EDEN (Jardin d')

(=délices). Par ce mot hébr., l'auteur du récit jéhoviste (Ge2:4-3:24) indique le lieu d'un jardin délicieux planté pour l'hommepar Jéhovah «du côté de l'Orient». Désignation vague et sommaire. Mais l'imagination humaine abesoin de précision, et la tradition hébraïque, qui prit à la lettrel'histoire d'Adam et d'Eve, ne tarda pas à fixer l'endroit de leurrésidence. C'est ce qui donna naissance à la note (verset 10-34) surles quatre bras du fleuve qui arrosait le jardin: le Pishon, leGuihon, l'Hiddéqel et l'Euphrate. Cette note fut plus tard inséréedans le récit. Elle trahit son origine étrangère par le fait qu'ellesuppose le jardin d'Éden au nord, vers les sources du Tigre et del'Euphrate, tandis que le texte primitif le place à l'orient de laPalestine. Ces quatre fleuves ont jeté les critiques dans bien desperplexités. Les suppositions les plus contradictoires ont été faitesrelativement au Pishon et au Guihon. La plus plausible est que, pourl'auteur de la note géographique, le Guihon était le Nil (puisqu'ilentourait le pays de Cus =la Nubie) et que le Pishon était l'Indus(puisque la terre d'Havila qu'il encerclait était le pays de l'or=l'Inde et l'Arabie, dont les produits se déversaient en Mésopotamie,par le golfe Persique). Quant au troisième fleuve, l'Hiddéqel, c'estle Tigre (= Idiglat en assyrien). On voit ici tout ensemble l'ingénuité des géographes del'antiquité (cf. Strabon, XV, 1:25 et Pausanias, II, 5:2;voir aussiJosèphe, Ant., I, 1:3) et l'impossibilité de situer une contréeréunissant les sources du Nil, de l'Indus, du Tigre et de l'Euphrate.Bientôt la fantaisie, dans ce problème, a brodé sur l'ignorance, etl'emplacement du Paradis (nom propre qui n'est pas dans l'A.T., cf.Lu 23:43) a été retrouvé par les spéculateurs dans les séjoursles plus divers: l'Arménie (cf. W.F. Warren, Paradise Found, 1886), la Mésopotamie (Fr. Delitzsch, Wo lag das Paradies? 1881),la Syrie, la Mongolie, l'Inde, la Chine, l'Australie, le Pérou,l'Europe même...et jusqu'au pôle nord. De toutes ces hypothèses, la seule qui pourrait répondre au texteprimitif serait la Mésopotamie, car le Jéhoviste, qui vivait dans leroyaume de Juda, parle simplement d'un jardin planté par Jéhovah àl'orient du séjour qu'il habite. La Mésopotamie serait d'autant plusindiquée ici que la plupart des grandes traditions bibliques sur lesorigines nous ramènent au milieu suméro-babylo-nien. Le mot Édenlui-même vient, selon toute probabilité, du terme babylonien Edinnu, qui veut dire «plaine»; les Sumirs appelaient Edin laplaine de Babylone. Quant au mot Paradis (grec paradéisos) par lequel les LXXrendent Éden dans Esa 51:3, il représente le mot hébreu d'époquetardive pardès, qui se trouve dans Ne 2:8,Ec 2:5 (VS.:parc), dans Ca 4:13 (VS.: bocage) et désigne un jardind'agrément; le mot lui-même dérive du perse: c'est le mot zend pairidaêza. Les Iraniens plaçaient le berceau de l'humanité aunord, sur une montagne où coulait une source céleste, qui entretenaitl'arbre de vie et se divisait ensuite en quatre fleuves. Parailleurs, le thème de la complainte sur le roi de Tyr dans Eze28:12,19 est tiré d'une légende sur le Paradis qui offre desressemblances frappantes avec le récit de Ge 2. Mais lamythologie y apparaît fortement. On retrouve le même thème transforméet amplifié dans la littérature apocalyptique et pseudépigraphique(Jubilés 3:9 4:26, Hénoc 24, Ass. Moïse 9, etc.). Le Coran fait aussiplusieurs allusions au Paradis perdu et au Paradis à venir, où ilaccorde une large part aux voluptés terrestres. --Le mot Paradis se retrouve dans trois passages du N.T., qui serapportent, non à l'Éden terrestre où l'humanité prit son origine,mais au séjour céleste où les nommes trouvent la récompense de leurfoi (Lu 23:43,2Co 12:4,Ap 2:7). En résumé: les notions que nous apporte la description du Paradisterrestre dans Ge 2 ne nous conduisent à aucun résultatsatisfaisant si nous voulons prendre le récit dans son sens littéral,pas même si nous voulions localiser l'Éden dans la Mésopotamie, carla géographie nous y montre, non quatre fleuves qui en sortent, maisdeux qui y entrent, ce qui est assez différent.Le plus sage est doncde nous ranger ici du côté d'Origène et de voir dans l'ensemble deGe 2:4-3:24 un récit figuré où l'auteur, nous décrivant lesorigines filiales de l'humanité par rapport au Père céleste (voirChute), présente les premiers rapports de Dieu et de l'homme sous laforme d'une parabole, laquelle, empruntant ses éléments matériels auxplus antiques traditions, comporte un enseignement spirituel quiconstitue une véritable révélation: parabole d'un jardin planté parJéhovah (Ge 2:8, cf. Eze 31:18,Esa 51:3), séjour où toutavait été organisé par le Créateur pour le bonheur de sa créature etpour son développement physique («cultiver», v. 15), moral(«garder», v. 16; «Arbre de l'expérience du bien et du mal», v. 9),religieux (Arbre de vie =aliment d'immortalité dans la communion etsous la direction divines, v. 9). Si nous prenons cette attitude, quimaintient tous les éléments religieux par lesquels l'auteurprophétique veut nous instruire de la part de Dieu, notre conceptionest dégagée des invraisemblances dont on fait si souvent argumentcontre la révélation de la Bible, nous évitons la tentation defournir des explications apologétiques qui n'expliquent rien, nousnous trouvons fort à l'aise vis-à-vis des mythologies où l'on trouveà bon droit des liens de parenté avec notre jardin biblique, et nousne courons pas le risque de faire comme le drogman qui, dans une ruede Jérusalem, montre la marche d'escalier où se tenait Lazare à laporte du mauvais riche. Alex. W.