DIONYSOS

Nom grec de Bacchus, appelé aussi en latin Liber, dieuoriginaire de Thrace, fils de Zeus et de Sémélé, déesse lunaire. Dieude la force génératrice et de la végétation, ses plus anciennesfêtes, les dionysies primitives, étaient célébrées au moment dusolstice d'hiver, c-à-d. à l'époque où le jour reprend le pas sur lanuit et où le soleil va recommencer d'échauffer la terre, del'éveiller et de provoquer le retour de la vie dans la nature. Cemême moment symbolique de la puissance radieuse et vivifiantel'emportant sur la puissance des ténèbres et de la mort a été choisi,plus tard, pour célébrer la fête de Mithra, et les chrétiens y ontrattaché à leur tour la solennité de Noël. Mais, après les tempshomériques, Dionysos-Bacchus devint plus spécialement le dieu du vin,la divinité puissante, joyeuse mais terrible, de l'exaltation parl'ivresse; son culte orgiaque devint aisément populaire et serépandit dans toute la Grèce au temps de la démocratie. Dès lors, sesfêtes correspondent en Attique aux principales phases de l'histoirede la vigne et de son produit. C'étaient les Anthestêries, enfévrier, fêtes de la reprise de la végétation; les dionysiesurbaines ou grandes dionysies qui fêtaient en mars l'exubérancede la sève et toutes les promesses faites au printemps par le dieulibérateur (Athènes, aux jours de sa gloire, donnait à cette fête unextraordinaire éclat, de partout on accourait à la capitale et sonthéâtre vit, en ces occasions, applaudir des chefs-d'oeuvre); les Oscho-phories, fêtes du raisin à sa maturité--telle en Israël lafête des Souccoth qui célèbre les vendanges (De 16:13-15); les petites dionysies, à l'entrée de l'hiver, assemblées campagnardesoù l'on se réjouissait du vin nouveau et qui comportaient des choeurstantôt joyeux, tantôt graves; enfin les Lénées, dont lesprocessions célébraient en janvier les fêtes du pressoir. Les Bacchantes d'Euripide (voir aussi les Acharniens d'Aristophane) nous décrivent le caractère de la possession bachiquedont le mystère orphique est tout imprégné. Le culte de Bacchus est lié dans les Mystères (voir ce mot) àcelui de Démèter, la terre nourricière. Conservé d'abord à Eleusisdans sa pureté primitive comme glorification de la fertilité, de lafécondité et de la résurrection, il dégénéra à Athènes, et bientôtdans tout l'Orient méditerranéen, en fêtes où la frénésie mystiques'unissait à la débauche et l'extase au vertige des sens. Lesbacchanales, à cause de leur élément orgiastique, firent certainementbeaucoup de- mal à la Grèce, mais il est juste de reconnaître que, deces fêtes dionysiaques, où l'imagination s'exaltait au contact desmystères de la nature vivante et débordait en délire sacré, sortit unélargissement de la conception artistique et du sens littéraire; ledrame, cultivé avec tant de bonheur par le génie hellénique, y pritnaissance. L'histoire de l'oracle de Delphes nous montre aussi que lamantique, la divination par l'extase, apprit beaucoup des expériencesbachiques. Dionysos agit sur Apollon qui ceint la couronne de lierre.Tout ceci nous rappelle que l'intention première des transportsdionysiaques était de satisfaire à l'aspiration universelle del'humanité qui, en face de la mort, cherche un moyen pour revivre,pour échapper au poids douloureux de son impuissance, au remords desa faute, pour s'étourdir et en même temps s'abreuver à une source devie. Toutes les légendes relatives à Bacchus révèlent, à côté del'élément d'ivresse joyeuse et de débordement sensuel, cetteobsession de souffrir, de mourir, de renaître après l'expiationhéroïque et de s'unir à son dieu. «Le mysticisme chrétien pourraitreconnaître (dans la façon dont Euripide représente l'union mystiquede ces initiés avec Dionysos) plus d'un trait qu'il s'est approprié,moins par imitation que par un mouvement naturel qui pousse certainesâmes à se confondre dans une union passionnée avec l'objet inconnu deleur adoration» (J. Girard). Mais le bachisme était une fausse piste sur le chemin de la vie.Après avoir égaré la Grèce, il débaucha Rome. Le sénatus-consulte de186 av. J.-C, où le Sénat interdit les mystères dionysiaques,intervint trop tard pour empêcher la déchéance. Ce culte sensuel et sanguinaire avait été fort en honneur chezles Séleucides. Antiochus IV Épiphane (175-164) obligea les Juifs àparticiper aux processions dionysiaques (fêtes des bacchanales) et à«se promener dans les rues couronnés de lierre en l'honneur deBacchus» (2Ma 6:7); le lierre était la plante sacrée dudieu. Il ne semble pas qu'on ait considéré alors que la chose fît, enIsraël, grand scandale en dehors du milieu des puritains de l'époque.De fait, l'exaltation par l'ivresse, l'inspiration par l'ébriétén'étaient pas inconnues des Hébreux; les réactions des Récabites etdes naziréens (No 6:3,Jer 35 etc.), ainsi que les imprécationsdes prophètes, prouvent assez qu'il était nécessaire de combattre lesexcès de cet ordre. Ésaïe crie malheur contre ceux qui montrent leurbravoure à absorber vin et liqueurs fortes (Esa 5:22); ilstigmatise les «ivrognes d'Ephraïm» (Esa 28:1 et suivants),ainsi que les habitants de Juda, égarés par la boisson, avec leursprêtres et prophètes qui titubent en prophétisant et en rendant lajustice (Esa 28:7). Le deuxième Ésaïe met en scène les gardiensdu peuple, faux bergers et prophètes courtisans, qu'il traite dechiens muets au point de vue de l'inspiration divine, mais qu'ilmontre recherchant le vin et les liqueurs fortes (Esa 56:6-12).Ces passages sont à rapprocher de celui où Michée apostrophe sonpeuple qui lui interdit, à lui, de prophétiser, mais qui se trouvefort bien des diseurs d'oracles qui cherchent ailleurs qu'en Jéhovahleur inspiration (Mic 2,3). Tandis que les faux prophètesparlent sous l'empire des boissons spiritueuses (Mic 2:11, dontla trad. habituelle est: prophétiser sur le vin, ce qui donne unsens assez inexplicable, peut être traduit: prophétiser sous l'empire du vin; on trouve en effet le préfixe hébreu le dans lesens de: à cause de (Ge 4:23,Esa 14:9 60:9), sous l'empirede =lezôth: (Job 37:1) sous l'empire des faits qui fontéclater la puissance de Dieu, «mon coeur est tout tremblant»; VS.traduit «mon coeur frémit à ce spectacle»), lui, Michée, parle sousl'empire de l'Esprit de Jéhovah dont il est rempli, qui fait saforce, sa clairvoyance et son courage pour dénoncer à Israël sonpéché (Mic 3:8). On retrouve le rapprochement entre les deuxivresses dans la méprise d'Héli en présence de la prière extatiqued'Anne (1Sa 1:13), dans le cri de Jérémie: «Je suis comme unhomme ivre» (Jer 23:9), dans l'allusion d'Ésaïe comparantl'esprit d'étourdissement à une ivresse qui ne vient pas duvin (Esa 29:9). L'opposition entre les deux sources del'inspiration, celle d'en bas et celle d'en haut, la fausse et lavraie, l'infernale et la divine, se retrouve dans le N.T. quand saintPaul dit à ses paroissiens d'Éphèse et de Corinthe: «Ne vous enivrezpas de vin, mais soyez remplis d'Esprit saint...Un même Esprit aétanché notre soif» (Eph 5:18,1Co 12:13). C'est cette mêmeopposition soulignant la même association d'idées qui fait dire auxsceptiques de la foule, le jour de la Pentecôte: «Ils sont pleins devin doux!», à quoi saint Pierre répond: «Ces hommes ne sont pasivres, comme vous le supposez, mais dans ce que vous voyezs'accomplit la parole du prophète Joël...Je répandrai mon Esprit surmes serviteurs, et ils prophétiseront» (Ac 2:12-18). L'alternative ainsi posée justifie l'instinct des races latinesoù nous trouvons le même mot spiritus pour indiquer lespuissances mystérieuses, subtiles--spiritueuses ou spirituelles--quiont le secret de s'emparer du système cérébral, qui le dominent etl'exaltent et lui donnent l'illusion d'être affranchi oul'affranchissent réellement des limites de la vie ordinaire (voirExtase; cf. A. Westphal, Les Prophètes, 1924, t. I, pp. 48-93). On est un peu surpris de voir la littérature deutéronomiquecompter le vin et les liqueurs fortes parmi les éléments que «demandel'âme» pour se réjouir devant Jéhovah lors des fêtes religieusesd'Israël (De 14:26, cf. De 16:13-16) et l'austèreréformateur Néhémie, Esdras et son clergé, recommander les liqueursdouces au peuple qui devait manifester sa joie de la rénovation del'alliance jéhovique et préparer pour le lendemain la fête desTabernacles. Il faut en conclure, en tout cas, que le cycledionysiaque n'avait exercé aucune influence dans le monde auquelappartenaient les Juifs avant la conquête d'Alexandre le Gd. Quoiqu'il en soit, les Grecs et les Romains croyaient que la fête desTabernacles, célébrée sous des tentes de feuillage, avait étéinstituée en l'honneur de Bacchus. Tacite, mieux informé quePlutarque, distingue avec soin les solennités juives des cérémoniesdionysiaques. Ce qui n'empêche point que sous Antonin le Pieux(138-161 ap. J.-C.) les monnaies d 'Aelia Capitolina, c-à-d.Jérusalem, portent d'un côté l'effigie du monarque et de l'autreBacchus avec une grappe de raisin à la main et la panthère symboliqueà ses pieds. D'aucuns y trouvent la preuve que le monde païen voyaittoujours en Jérusalem une des capitales du culte de Dionysos. Cecicadrerait mal avec l'estime où l'on tenait, à Rome et ailleurs, lareligion des Juifs. Nous pensons qu'il faut plutôt voir ici unebravade comme celle de Ptolémée IV Philopator (222-204 av. J.-C.)voulant faire marquer les Juifs d'Egypte, au fer rouge, d'une feuillede lierre, emblème de Bacchus (3Ma 2:29), ou comme cellede Nicanor (61-160 av. J.-C.) menaçant les Juifs, s'ils ne livraientpas Judas Macchabée, de détruire l'autel et de consacrer à Jérusalem,sur l'emplacement du lieu saint, «un temple magnifique àBacchus» (2Ma 14:33). Alex. W.