DIEU

1. Introduction. La connaissance de Dieu est progressive et historique. Dieu a parléà nos pères à plusieurs reprises (=d'une manière fragmentaire etpar des individus différents) et de plusieurs manières (=visions, songes, discours directs; cf. No 12:6), déclare Heb1:1. Le caractère graduel et progressif de la connaissance de Dieuparmi les hommes est affirmé par tous les écrivains bibliques. Auxtemps d'ignorance (Ac 17:30) succèdent le temps de la grâce etle jour du salut (Esa 49:8). L'épithète «nouveau» se retrouvefréquemment et marque la nature successive de l'enseignement donné: nom nouveau (Esa 62:2), champ nouveau (Jer 4:3), esprit nouveau (Eze 11:19 18:31), terrenouvelle (Esa 66:22 etc.). Jésus, plus qu'aucun autre, aopposé le présent au passé révolu, par sa formule: «Mais moi, je vousdis (Mt 5:22,28 etc.). Dans l'entretien avec la Samaritaine, ila marqué qu'en ce qui concerne le culte à rendre à Dieu il y a une heure qui vient, après laquelle le mode d'adoration du Pèrechangera totalement (Jn 4:21). Dieu parle dans la succession dessiècles; sa voix est écoutée, mais il est impossible de comprendreson message si l'on n'examine la durée des temps et les bornes desdemeures humaines (Ac 17:26), c'est-à-dire l'histoire et lagéographie. Toutefois l'histoire de la révélation divine ne sepoursuit pas d'une manière progressive et régulière. Dieuabandonne (De 31:17,Esa 54:7,8), cache sa face (Eze 39:23,etc.), parle rarement (1Sa 3:1), livre à eux-mêmes lesincrédules (Ro 1:24-31), selon les époques et les peuples. LaBible ne cherche donc pas à donner une doctrine de Dieu, mais unehistoire de Dieu, féconde en accidents imprévus. 2. Le Dieu de l'Israël primitif. Il est tout à fait impossible de définir avec précision laconception de Dieu de la période antémosaïque, vu l'époque tardive etles remaniements des rédactions historiques dont nous disposons.Comment échapper aux interprétations, aux modifications involontairesdes écrivains bibliques venus plusieurs siècles après les événements?On a essayé de signaler surtout les faits et les coutumes quiparaissent les plus anciens. La présence de Jéhovah apparaît liée àcertains lieux, certains arbres, certaines sources (Ge 12:6 13:1835:7,Jos 24:26). Les peuples primitifs conçoivent difficilement unedivinité détachée de tout socle local. L'arche de l'alliance résolutplus tard le problème en représentant la présence invisible deJéhovah comme attachée à un objet non géographique. Jusque-là ce sontles résidences locales particulières de Jéhovah qui dominent. Or lamultiplicité des résidences sacrées entraîne presque inévitablementle polythéisme. S'il est impossible de tirer des conclusionscertaines de la forme Élohim, à terminaison plurielle, appliquéeà l'être divin, du moins peut-on dire que l'usage fait de ce mot`n'exclut pas les dieux multiples de la nature. Jacob revenant dechez Laban se trouve dans un camp d'Élohim, d'êtres divins quil'environnent (Ge 32:1). Les esprits des morts s'appellent desÉlohim (1Sa 28:13,Esa 8:18). L'être corporel mystérieux quilutte bras à bras avec Jacob à Péniel s'appelle Élohim (Ge32:28). Mention est également faite à diverses reprises des idoles théraphim que l'on trouve dans les maisons particulières (Ge31:30,1Sa 19:13,16), dans les temples (Jug 17:5 18:14,Os 3:4).Le vieux texte du Code de l'Alliance (Ex 21:5,6) parle aussi del'Élohim de la porte, dont l'image (sculptée?) se trouvait sur leseuil de la maison. Mais si des traces d'animisme et de polythéismesont certaines, elles sont impossibles à systématiser. Ce qui sembleen tout cas avoir été, dès le début, étranger à Israël, c'est l'idéed'une famille divine, d'une mythologie nationale. Jéhovah n'a nifemme ni enfant, n'engendre pas et n'est pas engendré. Latranscendance de Dieu, sa distinction absolue d'avec la race humaine,paraît remonter très haut dans les conceptions religieuses d'Israël.Le vieux mythe de la tour de Babel symbolise cette séparationnécessaire de Dieu et des hommes et enseigne la distance qui lessépare. Cette idée devait trouver plus tard dans la notion de création sa forme philosophique la plus achevée, en mettant enévidence la distinction absolue de l'esprit et de la matière et lasupériorité hiérarchique du premier. 3. Jéhovah, le Dieu d'Israël. A mesure que l'idée nationale se précise en Israël, se préciseégalement l'idée de Jéhovah, son Dieu. La religion d'Israël atoujours été une religion nationale, raciale et elle l'est encoreaujourd'hui. Jéhovah et Israël grandissent ensemble, luttentensemble, traversent ensemble le désert, vainquent ensemble lesCananéens. La tradition est unanime à placer l'origine d'Israël entant que peuple appartenant à Jéhovah dans les scènes qui ont eu pourthéâtre le mont Sinaï. C'est dans cette montagne que Jéhovah apparaîtpour la première fois à Moïse (Ex 3:15 4:24); c'est là qu'il semanifeste au peuple d'Israël comme son Dieu (Ex 20,Jug 5:5).Jéhovah est un esprit de montagne, le dieu de l'orage, du tremblementde terre, du volcan. Certains auteurs ont conclu d' Ex 24:16,17que le Sinaï, fumeux et ardent, fut effectivement ou symbolise unvolcan en activité. Le feu (voir ce mot) est l'élément qui précèdeJéhovah (Esa 30:27); le vent qui brûle est son souffle (Esa40:7); il habite dans le buisson ardent (Ex 3:2), dans lescharbons embrasés (Ps 18:9), au milieu d'une colonne de feu etde fumée (Ex 13:22). Jéhovah est un feu dévorant (De 4:24).Ses jugements se manifestent par le feu céleste (1Ro 18:38,2Ro1:12,Esa 10:17). Son approche est signalée par le feu, la fumée,l'orage, l'arc-en-ciel (Na 1:3-5,Ps 18:8-16,Ge 9:13). Ce Dieufort est un guerrier (Ex 15:3). Son peuple est Israël =Dieucombat. Les ennemis d'Israël sont les ennemis de Jéhovah (No10:35). Nul ne résiste lorsque Jéhovah combat (De 33:27,29).Cette idée du Dieu guerrier s'exprime aussi dans les mots: JéhovahSebaoth, Éternel des Armées (voir art. suiv., parag. 4), expressiondont le sens primitif est discuté et qui désigne parfois les arméescélestes (étoiles), mais aussi les armées d'Israël (1Sa 17:45). Le droit a sa source dans les volontés du Dieu auquel Israëlappartient. C'est au nom de Jéhovah que les anciens et les roisrendent la justice, concluent des contrats (Ge 31:49-53 1Sa20:42 etc.). La justice de Jéhovah est souvent sociale, nationaleplus qu'individuelle dans ses arrêts. Elle punit l'iniquité des pèressur les enfants jusqu'à la 3 e et la 4 e génération. Elle punit lepeuple entier (famine, peste, guerre) à cause de la faute d'un de seschefs. Mais elle s'occupe aussi de la moralité interne, secrète desindividus. Elle punit Caïn contre lequel aucun bras humain ne selèvera (Ge 4:15); Jéhovah ne laisse pas impunie la violationd'alliances politiques séculaires (2Sa 21:1). Un acte généreuxest appelé la bonté de Dieu (2Sa 9:3). Ce serait une erreur de penser que les Hébreux ne sont pasarrivés de très bonne heure à l'idée que la puissance de Jéhovahdépasse infiniment le territoire géographique d'Israël. Israël n'ajamais trouvé les limites de son Dieu. A mesure qu'il découvrit lemonde, il s'aperçut que son Dieu l'avait déjà précédé. Jéhovah bénitJacob en Mésopotamie et Joseph en Egypte. Il déploie son bras à lamer Rouge; en son honneur, on chante le Chant de la Mer (Ex15). Il habite le ciel (Ge 11:5). Il fait pleuvoir duciel (Ge 19:24). L'armée des cieux est à sa droite et à sagauche (1Ro 22:19). Israël chercherait en vain un endroit de lanature d'où son Dieu serait exclu. Mais ce sont les prophètes qui dece Dieu, vainqueur partout où les intérêts d'Israël l'appellent,feront le Dieu unique, s'occupant également et en tout temps detoutes les nations. 4. Le Dieu des prophètes. Avec les premiers prophètes (Amos, Osée, Ésaïe) nous arrivons, eneffet, à une conception moins raciale de l'activité de Jéhovah. Cen'est pas que ces prophètes aient eu le sentiment d'apporter unenotion nouvelle de Dieu. Ils invitaient, au contraire, leur peuple àrevenir au passé religieux lointain d'Israël et s'opposaient aupullulement récent des dieux étrangers. C'est sur la montagne deJéhovah, au Sinaï, qu'Élie va retremper sa foi et son courage etécouter la voix du Dieu des sommets et de la foudre (1Ro 19).Mais de l'opposition aux dieux étrangers, favorisés par des reinesétrangères, naîtra une conscience religieuse distincte du sentimentpatriotique. Les prophètes jugeront et condamneront leurs roisnationaux au nom de Jéhovah. La fidélité à Dieu s'opposera ainsi auloyalisme monarchique, la piété au patriotisme. Jéhovah punira sonpropre peuple (Am 2:4-13,Os 10:7 13:7). Ce Dieu dont lesintérêts se séparent des intérêts politiques immédiats de son peuple,c'est le Dieu de la justice (Am 5:24,Esa 1:17 5:7 etc.); c'estle Dieu qui a fait le ciel et la terre, les Pléiades et Orion (Am4:13 5:8); c'est le Dieu qui utilise à son gré les autres nationspour châtier son peuple (Esa 9:10), qui prend l'Assyrienpour verge de sa colère (Esa 10:5,Jer 25:9). Derrière lespéripéties de l'histoire des peuples, les prophètes discernent leferme dessein de Jéhovah qui punit et récompense, qui prépare letriomphe mondial de Jérusalem (Esa 2:2-4). Si l'idée de lajustice de Dieu, supérieure à tous les privilèges de race, utilisanttous les peuples pour sa manifestation, apparaît ainsi chez lespremiers prophètes, Israël n'en reste pas moins le but unique de lapédagogie divine et le centre de l'histoire. Le salut d'Israël et deJuda marquera le terme de son effort (Jer 23:5). Il ne faudra rien de moins que les cruelles épreuves de l'exil,les méditations des prophètes sur la destruction politique totaled'Israël, pour que l'idée du Dieu aux préoccupations universalistesl'emporte définitivement. Ézéchiel décrira la gloire de Jéhovah(Eze 1 et Eze 10) en termes dépouillés de tous souvenirsjudaïques et pénétrés au contraire d'expressions religieusesbabyloniennes. Le second Esaïe verra en Jéhovah celui qui est lepremier et le dernier (Esa 44:6), le créateur de la lumière etdes ténèbres (Esa 45:7 40:22 48:13 etc.). Toutes les nationssont devant lui comme une goutte d'eau (Esa 40:15) et elles sonttoutes également appelées (Esa 55:5). Le Dieu d'Israël estdevenu non plus seulement celui qui utilise tous les peuples, maiscelui qui les aime et les appelle à lui, si bien que la maison deJéhovah sera une maison de prière pour tous les peuples (Esa56:7). Jérusalem restera cependant à jamais le centre religieux detoute la terre. 5. Conceptions postexiliques. Pendant la période qui va de l'Exil à J.-C, l'idée de Dieu devientplus abstraite, plus philosophique, moins colorée d'histoire. L'idéedu Dieu créateur, de l'Esprit organisateur de la matière par lapuissance du Verbe, est affirmée en tête du Code sacerdotal. Dieu esttrès loin et son trône est au plus haut des cieux. Il est le Maîtredes cieux et de la terre. Toutes les images anthropomorphiquesdisparaissent. Dieu n'entre plus en contact avec les hommes que pardes messagers, des anges qui le représentent plus ou moinscomplètement, ou bien par des personnalités abstraites, deshypostases comme la Parole, la Sagesse. Quant à Dieu lui-même, onévite de prononcer son nom et on nie la possibilité d'un contactdirect avec lui. La traduction des LXX altère volontairement le textehébreu de manière à faire disparaître les affirmations naïvesd'autrefois. Dans Ex 19:3, Moïse ne monte plus vers Dieu, maisvers la montagne de Dieu. Dans Ex 24:10, Moïse et les 70 nevoient plus Dieu mais la place où se tenait le Dieu d'Israël.Dans les Targums (voir ce mot), l'homme n'est plus créé à l'image deDieu, mais à l'image des anges. Quand le fidèle songe à la puissancede Jéhovah, c'est l'ange qui est devant sa face (Esa 63:9),l'Esprit saint (Esa 63:10) qui se présentent à son esprit. C'estainsi que les Israélites étaient préparés à l'idée d'un messager deDieu qui ne serait pas seulement un prophète, mais participeraitintimement à la nature et à la volonté du Dieu lointain, invisible etintouchable. 6. Le Dieu de Jésus. Avec Jésus nous arrivons à celui qui a affirmé être seul enmesure de donner de Dieu une image vraiment exacte, vue del'intérieur et non de l'extérieur (Mt 11:27). Jésus cependantrattache son enseignement à la tradition religieuse de son peuplequ'il veut vivifier et accomplir. Il voit dans le: «Écoute Israël, jesuis Jéhovah, ton Dieu», le commandement premier etindépassable (Mr 12:29). Il reprend l'affirmation du prophèteque c'est le temple de Jérusalem qui sera une maison de prière pourtoutes les nations (Mr 11:17, cf. Mt 5:35). Jésus glorifieégalement, à la suite des prophètes, le Dieu de la nature qui a sontrône dans le ciel et la terre pour marchepied (Mt 5:34 11:25,Lu10:21), qui revêt magnifiquement les lis des champs et nourrit lesoiseaux de l'air (Mt 6:25,Lu 12:24), qui connaît les besoins deshommes (Lu 12:30), qui fait mouvoir même les montagnes sur lesappels de la foi et de la prière (Mt 17:20). Mais si Jésussignale ainsi le séculaire effort de Dieu pour se révéler à Israëlpar Moïse et les prophètes et à l'humanité entière par la-natureharmonieuse, il n'en unira pas moins Dieu et l'homme d'une manièrenouvelle, organique, en appelant Dieu le Père céleste et leshommes les fils du Père. Jésus conserve les images de sesprédécesseurs pour désigner les relations de Dieu avec les hommes: unRoi et ses sujets (Mt 18:23 22:2), un Berger et sesbrebis (Lu 15:3), un Maître et ses serviteurs (Mt 18:25 20:125:14 etc.). Mais il y a hétérogénéité de nature entre un Roi etses sujets, un Berger et ses brebis; aussi ces images sont-elleséparses et passagères dans les Évangiles, tandis que l'expression duPère céleste se retrouve vingt fois dans Matthieu, cinquante foisdans Jean. Jésus a voulu affirmer ainsi un lien naturel, impossible àrépudier, entre Dieu et la race humaine dans sa totalité. Dieu estinévitablement tourné vers l'homme et l'homme est inévitablementtourné vers Dieu. Dieu et l'homme sont donnés en même temps: un hommeavait deux fils (Lu 15:11). Dieu n'existe pour Jésus que le jouroù il devient Père. Ainsi l'interprétation religieuse etl'interprétation morale sont inséparablement liées. La parabole del'enfant prodigue nous montre le père et le fils incomplets etmalheureux tant qu'ils sont séparés, mais incomplets d'une manièreinégale. Le fils, en effet, n'est fort que des dons de son père; iln'a rien à lui que sa part d'héritage; incapable de rien acquérir, ilne sait que perdre ce qu'il a reçu. Mais, dans sa ruine totale, iln'a pas aliéné sa qualité de fils et ce dialogue rédempteur peuttoujours s'échanger: «Mon père, j'ai péché.--Mon fils que voici estrevenu à la vie.» Rester fils (Lu 15:31); devenir fils (Mt5:45); redevenir fils: (Lu 15:24) tels sont les trois cheminsoù s'engage l'humanité croyante. Jésus a renversé l'idée ancienne queDieu se tient isolé des pécheurs sur une montagne sainte etinaccessible. Il y a de la joie dans le ciel quand un pécheur serepent (Lu 15:7), même si sur la terre tous les pharisiensmurmurent. Dieu ne s'écarte pas des pécheurs mais va au-devant d'eux;il ressemble à cet homme qui convoqua pour un grand souper lespauvres et les estropiés (Lu 14:21), à ce berger qui allachercher la centième brebis, perdue au désert (Mt 18:12). Aulieu de mépriser les petits, songeons que leurs anges dans les cieuxvoient continuellement la face du Père qui est dans les cieux (Mt18:10). Ainsi l'idée centrale des Évangiles est celle de la paternité deDieu dans laquelle se fondent toutes les notions précédentes, cellede l'antériorité et de la suprématie de Dieu, celle de l'universalitédans l'espace et de la continuité dans le temps de l'amour de Dieu.Jésus a choisi l'image la plus propre à diminuer l'usure des siècles,et la variation des idées politiques, celle d'une autorité naturelle.Il a lié l'idée de Dieu à celle de la famille. Il n'y avait pas demoyen plus sûr d'en assurer l'intelligibilité universelle. Onobjectera peut-être que l'expression de Royaume de Dieu, ou descieux, est dans les Synoptiques plus fréquente et plus centrale quecelle de Père céleste (dans Matthieu, Royaume des cieux, ou de Dieu, setrouve 36 fois, et le nom de Père appliqué à Dieu, 20 fois). L'imagede Roi serait-elle vraiment préférée à celle de Père? Ce seraitoublier que l'expression de Royaume des cieux est empruntée par Jésusà la langue religieuse courante et n'a pas un contenu spécifiquementmonarchique. Cette expression a si peu de vigueur interne que lesSynoptiques substituent facilement à «Royaume de Dieu» deséquivalents comme Évangile, Nom (Lu 18:29, parallèle Mt19:29,Mr 10:29-Mr 13:10, parallèle Mt 24:14); Vie (Mr9:47, parallèle Mt 19:29); Gloire (Mt 20:21,parallèle Mr 10:37). Nous trouvons même dans Mt 26:29l'expression de Royaume du Père, et celle de Royaume du Fils del'homme dans Mt 16:28 où l'idée monarchique semble bien effacée.Jésus n'a pas cherché à développer l'image pourtant si familière àses auditeurs des prérogatives royales de Dieu, et il estinstructif de constater que dans la théologie johannique etpaulinienne l'expression Royaume de Dieu se raréfie tandis que cellede Père céleste se multiplie. S Le Royaume de Dieu (voir art.) estrefoulé dans l'avenir, c'est une perspective eschatologique; Dieusera Roi plus tard; dans le monde présent, Dieu est connu comme Père. Dieu est Père de trois manières distinctes: il est Père de Jésus, mon Père;(Mt 26:39,52,Lu 2:49 etc.) il est Père de tous les hommes, le Père (Lu 10:22,Mt 23:9 24:36 28:19, et d'innombrables passagesdans Jn); il est Père des disciples, notre Père,(Mt 6:9) votre Père (Mt 10:29). 7. Le Dieu de la théologie apostolique. Ainsi Jésus a donné de Dieu une idée avant tout religieuse etpratique. L'activité, la suprématie, l'amour de Dieu dans la viequotidienne sont affirmés, mais Jésus ne s'attarde pas auxinterrogations que la pensée réfléchie peut poser au sujet du Pèrecéleste. Il était inévitable cependant que des discipless'arrêtassent sur les divers sens dans lesquels Dieu est connu commeun Père. Le premier de ces sens était celui qui exprime les relationsparticulièrement intimes de Dieu et du Christ Jésus. Déjà lesSynoptiques signalaient le mystère des relations du Père et duFils (Mt 11:27). La pensée paulinienne constatera qu'il estdifficile de savoir lequel, du Père ou du Fils, a l'initiative et laresponsabilité du salut. Sans doute, il semble que Dieu ait toutfait, tout fixé (Ga 4:4), tout convenu (Ro 3:25). Mais leChrist n'a pas été un instrument passif entre les mains de Dieu. LeChrist annonce la paix et ouvre l'accès du Père (Eph 2:18); ilest celui qui étant riche s'est fait pauvre afin que par sapauvreté nous fussions enrichis (2Co 8:9); c'est parce qu'ils'est dépouillé lui-même, s'est rendu obéissant jusqu'à la mortque Dieu l'a souverainement élevé (Php 2:9). Le don du salut estdonc à la fois l'oeuvre du Père et celle du Fils. En un sens, c'estla face du Christ qui est illuminée par la gloire de Dieu (2Co4:6). Mais il n'est pas moins exact de dire que pour nous la face deDieu est transformée par la pensée qu'il n'a pas épargné sonFils (Ro 8:32) et par le souvenir des souffrances duChrist (2Co 1:5,Col 1:24). Engagée dans cette voie, la penséechrétienne devait se demander comment la rédemption s'était passée enDieu lui-même (Col 1:20) et attribuer au Christ une activitédivine, antérieure et étrangère au drame historique dont Jésus deNazareth avait été le héros (Col 1:16,Eph 1:22,1Co 8:6). C'estainsi que la réflexion chrétienne s'écartera de la notion purementreligieuse du Père céleste des Synoptiques et arrivera pour exprimerDieu dans sa totalité à des formules trinitaires (2Co 13:13,Mt28:19;voir Trinité). Le second de ces sens--amour du Père céleste pour tous leshommes--devait aussi être précisé et restreint par la penséeapostolique. Paul insistera sur le changement profond apporté par lavenue du Christ dans les relations de Dieu avec les hommes. EnChrist, ce n'est pas une idée nouvelle qui apparaît, ce sont toutes choses qui deviennent nouvelles (2Co 5:17). Il nes'agit pas d'un progrès, si décisif soit-il, dans notre connaissancede Dieu, mais d'un changement d'ordre métaphysique dans les rapportsde Dieu et du monde (2Co 5:19,Ro 5:6-11). L'arrivée du Christ nepeut pas se comparer à l'ascension d'un ou plusieurs degrés de plusdans la connaissance de Dieu, mais uniquement à l'acte créateurlui-même, à la parole: que la lumière brille au sein desténèbres (2Co 4:6). La pensée de Paul est pleinementthéologique, systématique. Il veut démontrer que tout genou doitfléchir dans les cieux, sur la terre et sous la terre au nom deJésus (Php 2:10). Il ne voit que ténèbres, péché dans l'humaniténaturelle. Tous, Juifs et Grecs, sont sous l'empire du péché etcoupables devant Dieu (Ro 3:9,19). Christ est venu annoncer lapaix à ceux qui étaient loin et à ceux qui étaient près, et c'est en lui seulement que nous avons accès auprès du Père (Eph2:18). Ces vues devaient inévitablement rétrécir la notion sigénéreuse du Père céleste que Jésus avait présentée, et elles ontentraîné la pensée chrétienne vers une conception exclusivementjudiciaire de l'activité divine. Dieu est lié par un code dont il nepeut jamais s'affranchir, par un événement historique qui est lefondement unique de la grâce et du pardon (1Co 3:11). Dieu estessentiellement celui qui justifie. Le pardon de Dieu est une chosedont on comprend exactement les modes et les raisons--et aussi leslimites. De plus, si Dieu juge, il est jugé aussi au nom des mêmesprincipes juridiques (Ro 3:4,6). Il se préoccupe de se justifierlui-même. Il veut montrer aux hommes tantôt son amour, tantôt sacolère, sa puissance, la richesse de sa gloire (Ro 9:22). Cespréoccupations doctrinales, apologétiques, chez le Dieu de Paulservent à appuyer la doctrine de la prédestination et devaientramener la pensée chrétienne à la notion d'un Dieu sévère et terriblequi rappellerait plus l'exclusivisme du Jéhovah du Sinaï que le Pèrecéleste des Synoptiques. La théologie johannique devait, elle aussi insister sur lesténèbres où est plongée l'humanité sans Christ. Sur l'oppositionentre le monde et les enfants de Dieu,voir Jn 14:17 17:25,1Jn3:1 4:5 5:19. Sur la nécessité absolue de la nouvelle naissancepour pouvoir voir le royaume de Dieu,voir Jn 3:3,5. Surl'obligation de croire au Fils premièrement pour pouvoir voir lavie,voir Jn 3:36,1Jn 2:19. Assurément, Dieu désire sauver lemonde entier, mais c'est le monde qui se juge lui-même en préférantles ténèbres à la lumière (Jn 3:19). Dieu est lumière (1Jn1:5). Le Christ est lumière (Jn 8:12), mais les ténèbres serefusent à recevoir la lumière (Jn 1:5) et le monde ne laconnaît pas (Jn 1:10). Pour ceux qui sont nés de Dieu, pour lesenfants, la lumière véritable vient d'apparaître (1Jn 2:8). Queceux-là sachent marcher dans la lumière (1Jn 1:7), demeurer dansla lumière (1Jn 2:10), fuir le monde et ses ténèbres,--etl'amour du Père sera en eux (1Jn 2:15). Cette révélationnouvelle, c'est que Dieu est esprit, que le culte qui lui estagréable est un culte en esprit et en vérité, indépendant de toutsanctuaire et tout socle géographique (Jn 4:21,24). Lespréoccupations nationales, historiques, qui jouent un si grand rôlechez le Dieu de Paul, disparaissent dans la théologie johannique. LaParole était en Dieu dès le commencement (Jn 1:1); le Fils areçu toutes choses des mains du Père (Jn 3:35) et possédait sagloire auprès de Dieu avant que le monde fût (Jn 17:5). L'amourde Dieu se manifeste dès le commencement. Il aime le premier (1Jn4:19). Aussi l'opposition entre le Dieu d'avant J.-C, et le Dieud'après J.-C, est-elle moins brutale que chez Paul. Assurément,l'amour de Dieu se manifeste essentiellement en ce que Dieu a envoyéson Fils unique pour nous sauver (1Jn 4:9), mais l'amour est undes aspects éternels et permanents de Dieu. Dieu est amour: cettedéfinition se suffit à elle-même. La première épître de Jean aime àrépéter: Dieu est amour, celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, là où Paul dirait: Dieu est en Christ, celui quidemeure en Christ... Aussi la théologie johannique devait-elleentraîner la pensée chrétienne du côté du Dieu intemporel desmystiques et des philosophes, l'éloigner non seulement du Dieu desJuifs, mais même du Dieu de Paul qui, à une date précise del'histoire, a fait toutes choses nouvelles.Conclusion. Il y aurait lieu également de signaler le Dieu de la prédicationmissionnaire aux païens, celui du livre des Actes, qui n'est pas toutà fait celui des Évangiles ni des Épîtres, mais les dimensionsmesurées de cet article interdisent tout espoir d'être complet. Cequi ne peut manquer de frapper le lecteur de cette esquisse rapide,c'est l'élan de la pensée religieuse biblique pour se dépassertoujours elle-même dans sa définition de Dieu; c'est la conviction deplus en plus profonde du mystère impénétrable de Dieu exprimée parJésus et par Paul (Ro 11:33) en termes inoubliables; c'est lacertitude continue que c'est Dieu qui cherche l'homme et non l'hommequi cherche Dieu. Le mot par excellence de tous les écrivainsbibliques est: «Ainsi parle Dieu». Pour eux, l'histoire dépose enfaveur de l'initiative, de l'agression divine. Si, sur ce fait,l'accord est fondamental, ces écrivains se diviseront sur lesreprésentations verbales et intellectuelles de Dieu qu'ilsproposeront. La moins liée au cadre d'une époque précise, la pluséternelle dans sa forme parce que la plus profondément humaine danssa définition, est celle que nous présente le Jésus des ÉvangilesSynoptiques.--(Voir art. suiv.). V M.