DÉCALOGUE

Du grec déka logoï =dix paroles, (cf. Ex 34:28) appeléeshabituellement, d'après De 4:13: les dix commandements (cf.aussi De 10:4).Caractéristique générale. Le texte du Décalogue est introduit dans l'histoire par la célèbrethéophanie racontée dans Ex 19. Il s'agit de la chartereligieuse et morale du peuple élu, donnée par Dieu à Moïse au Sinaï.Cette charte est complémentaire de la manifestation de Jéhovah dansEx 3 et Ex 6. Elle constitue la Thora proprement dite,l'exhortation divine, la révélation inaugurale qu'on ne sauraitconfondre avec les principes d'une législation humaine, avec lacodification des coutumes d'une nation. Elle est une norme donnéed'En-haut, qui fait d'Israël un peuple à part, celui par lequell'humanité est appelée à connaître ce que Dieu veut et ce qu'il est:sa vérité en même temps que sa volonté. Le mot loi, dans la languefrançaise, est insuffisant pour définir le Décalogue, car icil'élément juridique est accompagné et même débordé par un élément degrâce. Au Décalogue se rattache tout un ensemble de révélations oùDieu parle aux hommes de l'aide qu'il assure et des bénédictionsqu'il garantit à quiconque marche dans sa voie. Par le Décalogue, endépit de sa forme négative, Dieu établit une communion entre sacréature et lui. Il dit à l'homme à quel prix peut et doit s'établircette communion, et en la présentant, il l'inaugure. Quand on s'estrendu compte de cette vérité fondamentale, on comprend la portéeunique du ministère de Moïse, et pourquoi Jn 1:16 traite de«grâce sur grâce» les deux révélations successives, celle que Moïse atransmise, et celle que Jésus a incarnée. A la hauteur où nous élèvecette conception de la révélation divine, à laquelle répond celle del'inspiration humaine, on ne saurait plus, sans s'écarter de laréalité, opposer la loi et la grâce.Les deux tables de la loi. Le Décalogue nous a été transmis sous deux formes diverses, dansEx 20 et dans De 5. La diversité des commentaires quiaccompagnent dans ces deux textes le commandementlui-même--commentaires dans lesquels on retrouve parfois l'influencede JE et de D--nous incite à comprendre que, sous sa forme primitive,susceptible d'être inscrite sur deux tables de pierre portatives, leDécalogue ne comportait que les affirmations principielles:

1. Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face. 2. Tu ne te feras aucune image taillée. 3. Tu ne prendras pas en vain (ou tu ne rendras pas vain) le nomde Jéhovah. 4. Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. 5. Honore ton père et ta mère. 6. Tu ne tueras point. 7. Tu ne commettras point d'adultère. 8. Tu ne déroberas point. 9. Tu ne témoigneras pas mensongèrement contre ton prochain. 10. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain.
Ramené à cette forme lapidaire, le Décalogue pouvait facilement tenirsur deux pierres portées par Moïse; la diversité des commentaires deEx 20 et de De 5 s'explique sans affecter l'authenticitédu document primitif en faveur de laquelle cette diversité, aucontraire, témoigne; de lui-même, par le nombre de ses mots, leDécalogue se partage en deux tables dont l'une a trait à la religionet l'autre à la morale; enfin le texte bref, incisif, constitue uncode fondamental que la mémoire peut facilement retenir. L'Église romaine, après Augustin, réunit au premier lecommandement relatif aux images--ce qui lui permet jusqu'à un certainpoint de justifier l'usage que son culte fait des tableaux et desstatues--, et pour garder le nombre 10 elle divise en deux le derniercommandement. Les Juifs tiennent le préambule du Décalogue pour lepremier commandement et constituent le deuxième commandement commeles catholiques romains. Luther a gardé la division augustinienne.Mais l'Église grecque orthodoxe et les Églises issues de la réformecalviniste sont restées fidèles à l'ordre naturel et logique dessujets traités par le Décalogue, lequel, comme on le verra plus loin,touche successivement à tous les points essentiels à la pureté de lareligion comme à l'intégrité de la morale.Le Décalogue et le groupe de lois Ex 34.Une importante école critique estime que le Décalogue primitif était,non celui de Ex 20, mais celui de Ex 34 (voir Alliance [lelivre de F] et les travaux de Guthe, Wellhausen, Smend, Stade, etc.sur ce sujet). Ex 20 appartiendrait dans ce cas, non à l'époquede Moïse, mais au prophétisme postérieur.On peut répondre: que la prédication des prophètes, dès Amos,suppose les commandements d' Ex 20 connus et incontestés commeautorité divine par le peuple auquel elle s'adresse; que le Décalogue d' Ex 34, qui n'est pas leseul groupe de dix lois rituelles ou sociales que l'on puissereconstituer dans le Pentateuque (on en a compté jusqu'à 10) est enlui-même tout à fait insuffisant pour légitimer la solennité du cadredans lequel l'ensemble des textes présente la révélation du Sinaï; ilcorrespond, dans ses préceptes, au livre de l'Alliance, et l'on peutvoir, par l'étude du code d'Hammourapi: «que les quelques observancesrelatives au culte que nous relevons dans le Livre de l'Alliance ontleur origine dans des croyances extrêmement antiques se perpétuant degénération en génération» (L. Gautier). De tels textes, trèsintéressants en eux-mêmes, n'auraient suffi en rien pour donner unecharte jéhovique au peuple élu. Enfin, retirer à Moïse le Décalogue classique,c'est enlever le fondement moral et religieux de l'alliance auquelson nom est attaché, pour ne plus laisser au législateur des Hébreuxque des institutions non systématisées, tombées pour la plupart endésuétude et insuffisantes toutes pour servir de thème initial auxlois de sainteté du Lévitique et à la prédication des prophètes. Onne s'explique plus pourquoi Moïse a été vénéré dans les générationssuivantes comme l'illuminateur de la conscience israélite, le porteurdes décrets divins, et pourquoi Jésus-Christ et Paul le considèrentcomme la figure dominante de tout l'A.T.Portée religieuse du Décalogue. Si l'on maintient au contraire la croyance traditionnelle, oncomprend ce que fut l'aube nouvelle qui, par l'intermédiaire deMoïse, se leva sur le monde. Envisagés au point de vue des intérêtsprimordiaux de toute vie sociale, les dix commandements nousapparaissent non comme un groupe de règles codifiant les coutumesancestrales ou donnant de façon plus ou moins fragmentaire lerudiment de législation nécessaire à des tribus rustiques et à demicivilisées (tel le Livre de l'Alliance Ex 21 à Ex 23), maiscomme la révélation systématique des principes essentiels à toutpeuple qui veut vivre d'une vie normale et marcher dans la voie duprogrès indéfini. Comme ensemble, ce sommaire de vérités n'est ni leproduit de son époque, ni le fruit de l'inspiration humaine; on nepeut l'expliquer qu'en lui maintenant le caractère de proclamationdivine que lui donnent nos récits, lesquels introduisent ces véritésdans l'histoire comme des paroles prononcées par Dieu et remises parécrit à Moïse sur deux tables de pierre (Ex 20:1 24:12 32:15,cf. De 5:22 9:10 et suivant). Moïse ayant brisé ces tables à lavue du taureau d'or fait par Aaron (Ex 32:19, cf. De 9:17),Dieu lui commanda de tailler deux nouvelles pierres et y inscrivit denouveau les dix paroles (Ex 34:1,4,28,De 10:1-4). Pour ce quiest des lois rituelles (Ex 34:11-26), Dieu dit à Moïse de lesécrire lui-même. Après avoir écrit le Décalogue, Jéhovah le remit àMoïse en lui enjoignant de le placer dans l'arche confectionnée à ceteffet (De 10:1-5). Lors de la dédicace du Temple de Salomon etde la composition du Deutéronome sous sa forme actuelle, c-à-d. auplus tôt pendant le ministère d'Ésaïe, les tables étaient dansl'arche (1Ro 8:9,De 10:5), et y restèrent, d'après la traditionrabbinique, jusqu'au jour où Jérémie est censé avoir brisé (ou caché)l'arche, pour la soustraire aux envahisseurs lors de la prise deJérusalem par Nébucadnetsar. Quel que soit le jugement que l'on porte sur laprésentation des faits dans notre récit, et quelles que soient lesdifficultés qu'offre la critique de nos textes actuels où tant dedocuments divers ont été mélangés, l'impression donnée par l'ensembledes témoignages demeure claire: ils désignent le Décalogue et tout cequi le concerne comme le noeud vital de la révélation que Jéhovah fitdirectement à Moïse en vue de constituer le peuple du vrai Dieu, lepeuple pédagogue de toutes les nations.Contenu du Décalogue. PREAMBULE: Dieu, sa présence active (Je suis), sa nature(Jéhovah, le Dieu qui est, qui vit, donc Dieu unique), son droit decommander (ton Dieu, qui t'a tiré du pays d'Egypte). 1 er COMMANDEMENT. Traduire «devant ma face» par «préférablementà moi» n'est pas assez dire; le sens est: mon service estincompatible avec celui d'autres dieux-patrons. On ne peut associerune divinité quelconque au Dieu qui est. Limiter celui-ci, c'estle nier. Quand De 6:4 dit: «Écoute Israël! Jéhovah est le seulJéhovah» (le seul Dieu qui est =le seul Seigneur, Mr 12:29), ilest bien dans la ligne du I er commandement. 2 e COMMANDEMENT. La défense concernant les images tailléesn'interdit pas seulement de reproduire le, vrai Dieu sous une formeplastique et d'en faire ainsi une idole. Les images tailléesdésignaient non seulement les représentations de la divinité, maistoute expression du fétichisme, de l'animisme, du totémisme, toutculte qui a pour objet une représentation des astres, des animaux,des végétaux, un corps matériel habité par un esprit. La notion deJéhovah est incompatible avec la divinisation de la nature qu'il acréée; c'est pourquoi il s'intitule: Dieu jaloux, c-à-d. exclusif. Ceux qui cherchent à infirmer la valeur de ces deux premierscommandements ou à en limiter la portée, sous prétexte qu'Israël n'apas abandonné ses dieux lares, les théraphim (1Sa 19:13), qu'ilpersistait à croire à l'existence des autres Elohim (Jug 11:24),qu'il a même adoré Jéhovah sous des formes matérielles (Jug17:3,1Ro 12:28, etc.;voir l'éphod dans Jug 8:27,1Sa 14:3 21:923:6),--il semble bien avoir compris des achéroth dans sonculte,--oublient que la vérité divine, même clairement proclamée, metdu temps à pénétrer les foules, à purifier leur adoration; si nous enétions réduits à juger du contenu primitif de l'Évangile par la façondont les peuples dits chrétiens le comprennent et le pratiquent, neserions-nous pas amenés à faire tort à la révélation du Christ toutcomme une certaine critique fait tort à la révélation de Moïse? Les deux premiers commandements ont dégagé la notion de Dieu detout polythéisme, de toute idolâtrie, de toute superstition. Les deuxsuivants ont trait au service de Dieu lui-même. 3 e COMMANDEMENT. Sens difficile à établir. On peut traduire: «Tune prendras pas en vain» ou «tu ne rendras pas vain» (proprement tune porteras pas au néant). Interpréter: «Tu ne feras pas de fauxserment» est restreindre beaucoup la portée de cette parole dont lecontexte exige qu'il traite d'une question large et, en quelquesorte, de principe, plutôt que d'une application particulière.L'emploi irrévérencieux, blasphématoire, du nom de la divinité estici certainement visé, mais c'est trop peu encore. Quand on sesouvient que l'expression «le nom de Jéhovah» signifie en maintsendroits la puissance agissante de Jéhovah (Ex 23:21,Ps 44:8 54:320:2,1Sa 17:45,Jer 10:6,1Ro 8:42, etc.; Jésus emploie le mot nom avec le même sens, voy. Jn 14, etc., et Paul aussi dansPhp 2, etc.), on en vient à penser que l'ordre ici donné étaitde ne point se comporter à la façon des païens dont les agissementsprofanes, les usages impurs et les cruautés jusque dans les pratiquesdu culte contrecarraient la volonté de Dieu et insultaient à sapuissance. L'activité de l'homme ne doit jamais être incompatibleavec l'exercice de la puissance de Dieu. En tout, elle doit être unservice loyal, qui glorifie le nom de Jéhovah et facilite sesdesseins au lieu de les compromettre, de les anéantir. Nous avons iciun des thèmes préférés de la prédication des prophètes (Esa29:10-13,Jer 5:10,19 7:1-15 8:8 sj etc.). Jésus lui-même y réfèrequand il dit aux pharisiens et aux scribes: «Pour maintenir votretradition, vous anéantissez fort bien le commandement deDieu» (Mr 7:9). Ainsi rétabli dans son sens large, le troisièmecommandement introduit logiquement le 4 e; 3 et 4 sont comme 1 et 2solidaires l'un de l'autre. 4 e COMMANDEMENT. L'idée fondamentale du sabbat, c'est que leservice de Dieu ne doit jamais s'interrompre. Glorifié par letravail, Dieu doit être sanctifié dans le repos. Une fois par semainel'homme, usufruitier, doit rendre la nature à Dieu, son possesseur.Libérés de toute domination humaine, l'esclave, la bête de somme, lechamp déchiré par le soc, ont relâche; ainsi, la création toutentière est rendue au Créateur, se repose, et la louange universelledu sabbat prophétise le temps où tout, sur la terre semée d'épines,sera redevenu Royaume de Dieu. Dans ces commandements 3 et 4, leDécalogue rejoint l'oraison dominicale (Mt 6:9 et suivant). 5 e -9 e COMMANDEMENTS. Les cinq commandements suivants ont traitaux relations entre les hommes: la famille, première cellule sociale,et la société; étant bien compris que, par société, on doit entendreici en premier lieu Israël, dont le Décalogue est la loi nationale.Le prochain qu'il faut respecter dans sa vie, son honneur, ses biens,sa liberté, c'est, au sens strict, l'Israélite, le membre du peupleélu appelé par Dieu à devenir au sein des autres nations le peuplemodèle. Tout ce qui attente à la sécurité, aux moeurs, à la paix et àla justice au sein de cette société nouvelle, compromet l'existencede cette société elle-même et, par là, menace le plan rédempteur deDieu. 10 e COMMANDEMENT. Ce commandement a aussi une intention socialeen ce sens que le verbe hébreu khâmad ne veut pas dire seulementconvoiter, mais indique l'élan de celui qui convoite pour s'emparerde l'objet convoité. Il n'en demeure pas moins que la 10 e parole,qui sert de conclusion à la charte divine, déborde le terrain desactes pour remonter au domaine des sentiments. Dieu, dans le 10 ecommandement, démasque en effet le péché initial qui a rendu les neufautres commandements nécessaires et qui porte en lui la racine detous les maux qui affligent l'humanité déchue. C'est la convoitisequi est à l'origine de la rupture de l'homme avec Dieu (Ge3:6-23, comm t et suivant 1-4), qui provoque le départ de l'enfantprodigue (Lu 15:12, commt 5) et qui a allumé en tous temps laguerre d'agression, au cours de laquelle meurtre, adultère, vol,mensonge (commts 6-9) sont multipliés, justifiés, glorifiés. Ce n'estpas un homme du temps de Moïse qui aurait su dévoiler ainsi la plaieoriginelle de toute infection humaine; Dieu seul pouvait la débrideret entreprendre de la guérir.CONCLUSION. Nous venons d'indiquer, tels qu'ils nous apparaissentd'après son contenu, le but et la portée du Décalogue. On comprendque l'Exode fasse remonter à Dieu, directement, son origine. Oncomprend aussi que l'ensemble des nations civilisées regardent leDécalogue comme le sommaire des lois dont l'observation fait vivre etdont la transgression fait mourir les sociétés humaines, et que lesgrandes communions chrétiennes aient maintenu le Décalogue dans leurcatéchisme et dans leur liturgie comme le portique de l'évangile dusalut. Exprimés dans leur ensemble sous la forme négative, les dixcommandements représentent bien ainsi la manifestation d'une volonténouvelle et supérieure qui intervient dans un état de choses fatal ala destinée humaine, et dont le premier acte devait être de barrer lechemin par lequel les hommes se hâtaient vers la corruption et laperdition. Mais il n'y a pas que des négations dans le mosaïsme, etJésus l'a bien fait ressortir quand il a proclamé que les deuxcommandements de l'amour pour Dieu et pour le prochain sont les plusgrands de tous et qu'ils résument les deux tables du Décalogue, cellerelative à Dieu et celle relative aux hommes (Mt 22:40). Sansdoute, ces deux commandements (De 6:5,Le 19:18) nous ont étéconservés dans un ensemble de textes (D et S) qui caractérisent destemps postérieurs à Moïse; mais ces textes mêmes les attribuentunanimement au fondateur de l'ancienne alliance, et la façon dontJésus les présente (Mr 12:28, cf. Jn 5:42-45) ne permet pasde douter qu'ils aient été pour lui le pivot de toute la révélationdont Moïse a été l'interprète. Jésus va même jusqu'à dire que toutela Loi dépend de ces deux commandements, y est commesuspendue (Mt 22:40). Paul affirme la même chose quand, aprèsavoir cité les commandements du Décalogue, il conclut: «l'amour estl'accomplissement de la loi» (Ro 13:10). Alex. W.