DANIEL (livre de)

Ce livre se divise en deux parties, de longueur à peu près égale,mais distinctes à un double point de vue: la première (chap. 1-6)contient six anecdotes relatives à Daniel et ses compagnons, Danielétant nommé à la troisième personne; la deuxième (ch. 7-12) relatequatre visions où Daniel parle de lui-même à la première personne. Enoutre, une moitié du livre est écrite en araméen (Da 2 4-7:28),le reste en hébreu. --Au I er chapitre Daniel et ses trois compagnons, emmenés encaptivité à Babylone, séjournent à la cour du roi Nébucadnetsar enqualité de pages. Ils observent la loi juive concernant les alimentset sont considérés par le roi comme supérieurs à tous les sages deson royaume. Le ch. 2 relate un songe du roi: il voit une statue colossalebrisée par une pierre qui se détache sans aucune interventionhumaine. Daniel réussit à deviner et à interpréter le songe, ce queles devins païens sont incapables de faire: les quatre métaux dont secompose la statue représentent quatre empires qui se suivront et dontla puissance ira diminuant, jusqu'à ce qu'un empire d'une duréeéternelle (le Royaume des saints) vienne les remplacer. Daniel et sesamis sont récompensés par le roi, qui leur confère des chargesélevées. D'après Da 3:1-30 les trois amis sont jetés dans unefournaise ardente pour avoir refusé d'adorer une statue érigée par leroi. Secourus par un ange, ils sont préservés du feu. Nébucadnetsarreconnaît la supériorité du Dieu des Juifs. De Da 3:30 à Da 4 c'est encore un songe deNébucadnetsar, qui rêve d'un arbre puissant coupé au ras du sol.Daniel explique que le roi tombera en démence et vivra pendant septans comme les bêtes jusqu'à ce qu'il se repente. La prédiction seréalise, et Nébucadnetsar, ayant recouvré la raison, fait part del'événement à ses sujets et exalte le roi du ciel. Dans le cinquième récit (Da 5:1-6:1) le nom du roi change. Ala place de Nébucadnetsar on introduit son fils Belsatsar. Lors d'unfestin où celui-ci veut faire usage des vases sacrés enlevés autemple de Jérusalem, une main mystérieuse trace des signes sur lamuraille; Daniel interprète l'inscription (mené, mené, tékel,oupharsin), comme l'annonce de la ruine prochaine du royaumebabylonien; il est promu à la plus haute dignité, mais Belsatsar estmis à mort dans la même nuit et Darius, le Mède, lui succède. Le dernier récit (Da 6:2-28) raconte que les courtisans duroi, jaloux de Daniel, font promulguer un édit interdisant d'adresserpendant trente jours des prières à n'importe qui, si ce n'est au roi;Daniel ne s'étant point conformé à cet ordre, est surpris, tandisqu'il prie Dieu selon son habitude, et jeté dans une fosse à lions;mais les bêtes ne lui ayant fait aucun mal, Darius ordonne de leretirer de la fosse et d'y jeter ses adversaires. Encore une fois ilest question d'un édit royal prescrivant à tous les peuples d'adorerle Dieu de Daniel. Aux récits succèdent des visions à partir du ch. 7. Dans la première, quatre bêtes terribles sortent de la mer. Laquatrième, la plus formidable, a dix cornes; une autre petite cornes'élève du milieu d'elles et tient des discours pleins d'arrogance.Puis l'Ancien (la Tête) des Jours (voir art.), vêtu de blanc,s'assied sur le trône et procède au jugement qui met fin auxagissements de la quatrième bête et de la petite corne.L'interprétation de la vision, donnée par un ange, identifie lesquatre bêtes à quatre empires, les cornes à dix rois et fixe la duréedu dernier règne à 3 temps 1 /2, après quoi commencera le règne dessaints du Très-Haut. Dans la même vision apparaît, après le jugementsur les nuées du ciel, un personnage semblable à un fils d'homme,auquel est donnée la domination sans fin.--La deuxième vision estcelle d'un bélier à deux cornes, (les rois des Mèdes et des Persesd'après l'explication de l'ange). Un bouc arrive d'Occident (deGrèce), il a une corne unique (Alexandre le Gd) et renverse lebélier. De la corne du bouc sortent quatre autres cornes (lessuccesseurs d'Alexandre). Du milieu de ces dernières surgit une corne(Antiochus Épiphane) qui s'acharne sur l'armée des saints, sonsanctuaire et ses offrandes. L'oppression durera 2.300 soirs etmatins. --Dans la vision suivante (Da 9) Daniel se tourmente ausujet de la prédiction de Jer 25: les 70 ans auxquels leprophète avait fixé la durée de la dévastation de Jérusalem sontécoulés depuis longtemps. L'ange Gabriel explique les 70 ans commedes semaines d'années, c-à-d. 7 fois 70 ou 490 années. Dans ladernière semaine la persécution atteindra le point culminant et lesanctuaire sera profané pendant une demi-semaine. --La dernière vision (ch. 10-12) retrace le cours de l'histoiredepuis les rois de Perse. C'est une description détaillée des luttesdes rois du Nord (Syrie) et du Sud (Egypte) jusqu'au dernier roi duNord (Antiochus Épiphane), dont l'auteur connaît les guerres, lesviolences et les blasphèmes. Après l'extermination de ce monstre, ily aura une résurrection pour plusieurs. Le temps de l'épreuve finaleest fixé derechef à 1.290 jours (3 ans 1/2). L'arrière-plan historique du livre est double. D'une part les récits font vivre Daniel en Orient à la cour desrois de Babylone et de Médie jusqu'à Cyrus, c-à-d. au VI e siècleavant l'ère chrétienne. D'autre part les visions témoignent de la connaissance chezl'auteur de toute l'histoire politique jusqu'au II e sièclepré-chrétien. A plusieurs reprises le voyant insiste sur les persécutionsd'Antiochus Épiphane, qui mirent le peuple juif à deux doigts de saperte. Peu d'événements ont marqué aussi profondément dans l'histoiredu judaïsme. C'est alors qu'eut lieu le soulèvement connu sous le nomdes Macchabées (voir art.). Ému par les malheurs de son peuple, un écrivain juif d'une piétésincère, versé dans l'étude des livres saints, surtout des prophètes,résolut d'encourager ses compatriotes à résister à l'intrusion descultes païens, en composant un livre en tête duquel il inscrivit lenom d'un voyant d'autrefois, réputé dans les cercles pieux de lanation. Il choisit Daniel qui vécut dans les jours sombres de l'exil,ainsi que l'indique le livre lui-même, et qui laissa une granderéputation de sagesse dont la mémoire s'est conservée aussi dansquelques passages attribués au prophète Ézéchiel. Son nom même(Daniel signifie: Dieu est juge) n'est pas rare dans les inscriptionset les annales du judaïsme. Mais il ne faut point confondre notreDaniel avec les personnages de second rang cités dans les livresd'Esdras et de Néhémie (voir art. précéd.). Si donc le rédacteur aantidaté son livre, il ne faut pas oublier que la publicationd'ouvrages pseudonymes était un usage constant à son époque. Laprophétie passait alors pour morte et l'on cherchait à assurer plusd'autorité aux livres nouveaux en les plaçant sous l'égide des grandsinitiés d'autrefois. Il n'est pas possible d'attribuer la rédaction du livre, tel quenous le lisons aujourd'hui, à un auteur du VI e siècle, contemporaindes monarques qui y sont nommés. Bien des arguments s'opposent àcette opinion, que l'Église chrétienne a partagée avec la traditionjuive. En effet, si l'auteur avait vécu à la cour de Nébucadnetsar etde ses successeurs, il n'aurait pu commettre les erreurs multiplesque le livre renferme par rapport à la prise de Jérusalem, lasuccession des rois, etc. Les quatre royaumes du chap. 7 sont ceux de Babylone, de laMédie, de la Perse et de la Grèce. Les visions des chap. suivants,qui font ouvertement allusion aux tribulations des Juifs sousAntiochus, ne laissent aucun doute à cet égard. Les passages Da11:31-30 7:8,24, sont particulièrement instructifs. Ils ne sontprophétiques qu'en apparence, ils décrivent en style apocalyptique lasituation présente de l'écrivain et de ses contemporains. C'estpourquoi il est également impossible d'entendre par le quatrièmeroyaume l'empire romain, comme l'Église chrétienne était portée àle faire, pour obtenir une coïncidence entre l'époque du salut,placée par Daniel à la fin de ce royaume, et l'avènement duchristianisme. Si la date de la composition du livre fut celle que nous luiassignons, il ne s'ensuit nullement que les récits insérés dans lapremière partie de l'ouvrage soient de pures fictions. Ils reposentsur des traditions soit orales, soit écrites. Autrement on auraitpeine à comprendre pourquoi le rédacteur eut recours aux vieilleshistoires des empires d'Orient pour en faire les prototypes desévénements de son temps. Le choix des monarques du temps de l'exilpar lesquels il prélude à l'histoire d'Antiochus n'eût pas étéheureux. Et pourquoi quatre monarques dont l'un, Cyrus, seprêtait si peu à son but? La différence des situations est flagrante:dans les récits de l'exil il ne s'agit que d'une petite diaspora(voir ce mot) juive dans un cadre païen; à l'époque macchabéennec'est le judaïsme tout entier et le paganisme qui s'affrontent. Si lerédacteur désirait montrer seulement la fidélité de Daniel à lareligion juive et sa constance dans les persécutions, pourquoirappelait-il d'autre part qu'il existait entre lui et les roisidolâtres des rapports d'estime, de confiance et même d'amitié? Tout autre est le cas si l'auteur s'est trouvé en présence dequelques souvenirs qu'il mit à profit pour composer son apocalypse.Sans doute ces souvenirs s'étaient teintés de légendes dans le coursdes ans. Mais il n'y a pas lieu de douter de l'existence d'un Danielremarquablement doué, qui a joué un rôle important dans les cours del'Orient. Nous avons d'autres exemples de Juifs qui, à l'époquehellénistique, sont parvenus à des situations élevées grâce à leursrelations avec les princes et les gouverneurs étrangers. Des récitssur l'Orient, ses moeurs, ses croyances, sur la vie des coursorientales, circulaient depuis l'exil au sein du judaïsme. Leshistoires merveilleuses de Daniel y étaient répandues et lues, ainsique cela ressort de la prière de Mattathias dans 1Ma 2:59et suivant. Bien que cet ouvrage fût écrit après Daniel, il ne lui acependant pas emprunté ses notices, puisqu'il ne se réfère point à saseconde partie, c-à-d. aux visions, qui auraient été d'une hauteactualité dans les circonstances dont il parle. Selon toutevraisemblance, le rédacteur du livre de Daniel s'est donc servi detraditions anciennes sur un voyant de ce nom. Ce serait lajustification du titre qu'on donna au livre, lorsqu'on décida del'admettre dans le Canon. Divers indices cependant révèlent que tout en le canonisant onavait le sentiment que les droits du livre à cet honneur n'étaientpas d'une authenticité parfaite. Il restait des doutes sur sonantiquité, d'autant plus que certains éléments de son contenu, telsque l'angélologie, l'idée de la résurrection, l'emploi de la languearaméenne, la transcendance de Dieu, etc., avaient une apparence demodernité. Surtout l'introduction du Fils de l'homme dans lathéologie juive était une innovation vue de mauvais oeil par lesdocteurs et les dirigeants de la nation, comme en fait foi, entreautres, le procès de Jésus. L'étude attentive du texte même de Daniel enseigne que le conceptdu Fils de l'homme était un élément moderniste qui n'avait pas encoreobtenu un droit de cité complet dans l'eschatologie traditionnelle.Pour toutes ces raisons le livre de Daniel ne pénétra d'abord quedans la dernière classe du Canon hébraïque, celle des ketoubim (voir Canon de l'A.T.), et ce n'est que dans la traduction grecque del'A.T. qu'il obtint d'être agrégé au canon des prophètes, place qu'ilconserva dans la Vulgate et les traductions modernes. La version grecdes LXX ayant paru inexacte, l'Église chrétienne la remplaça dès leII e siècle par une autre qui contenait les suppléments connus sousles noms: la prière d'Azarias, l'histoire de Suzanne, le récit de Belet le Dragon (voir Apocryphes de l'A.T.). Le livre de Daniel eut une fortune peu ordinaire. Son influencesur le christianisme et sa théologie fut grande, ainsi qu'il appertdes écrits du N.T. où il est cité, et en particulier de l'Apocalypsejohannique (voir art.) qui lui emprunta une grande partie de sesidées et de ses images. Il imprima à l'eschatologie du judaïsme uncaractère nouveau par l'accent qu'il mit sur les mystères divins, larévélation de l'avenir et la précision des calculs de l'èremessianique où les chiffres 7, 4, 10, 3 1 /2, 70, figurent à chaquepage. Il fut le promoteur de ce genre littéraire spécial, appelél'Apocalyptique (voir Apocalypses). Il passe lui-même pour le premierdocument en date de l'Apocalyptique juive. Il est resté dansl'Église, à travers les siècles, la lecture favorite de ceux quehante la pensée du retour du Christ. Souvent, dans les tempsdifficiles, les âmes simples et croyantes ont puisé encouragements etconsolations dans les anecdotes qui dépeignent d'une façon si vivantela constance et la délivrance miraculeuse de Daniel. G. B.