Le mot grec latréia, rendu par «culte» dans nos versions, ad'abord signifié: «service mercenaire de celui qui est à la solde dequelqu'un». Les LXX l'ont pris pour rendre l'hébreu abôdâ (Ex 12:25et suivant sainte cérémonie; Sg. usage sacré; service de Dieu, De6:13, etc.). Le N.T. fait de même dans Jn 16:2,Ro 9:4 12:1,Php 3:3,Heb 8:5 9:1,9 12:28.Mais, pour la même idée, Col 2:18,23 emploie lemot thrêskéia qui, dans Tob 12:15, désignel'intercession d'un ange; il est aussi dans Ac 26:5 et Jas1:26 et suivant, que l'on traduit parfois par «religion». Heb9:21 emploie le mot leïtourgia. Il suffit de comparer enfrançais Jn 16:2 et Ro 12:1 pour comprendre que «culte»peut avoir deux sens très différents: la cérémonie publique, avecrites et prêtres--ou sans eux--et l'attitude intérieure, laconduite morale du fidèle. I L'histoire d'Israël montre diverses étapes de l'idée deculte. 1. C'est d'abord l'offrande d'action de grâces, sous forme de donsmatériels (hébreu tninkhâ, grec thusia pour Ge 4:3,et zebakh dans Ge 31:54). On l'applique aux repas de fêtesreligieuses (1Sa 1:4 16:2, etc., 1Co 10:18 pour le peuple;No 18:9,De 18:3 pour les prêtres). On l'emploie à l'occasion de délivrances : Ge 8:20, Noé sortant de l'arche; Ge 12:7 134,18 15:9,17, Abraham à diverses étapes de ses voyages en Canaan;Ex 5:3, Israël en vue d'obtenir du secours; Ex 12:14, encommémoration d'une délivrance. A Guilgal, Josué (Ex 4:30)dresse un monument qui a valeur de temple. David célèbre le retour del'arche (2Sa 6:17). Salomon inaugure le premier temple deJérusalem (1Ro 8), et les Juifs fidèles font de même pour lesecond (Esd 6). C'est au même ordre d'idées que répond lalégislation lévitique tout entière, sur les conditions rituelles du pardon: Ex 25 à Ex 30 Ex 35 à Ex 40,Le 1-7 9:11 16:1-17 22-23,No 3:44 4:49 No 6 No 8 No 9:14 15:28et suivant, etc. 2. Mais la pratique de tels cultes a mené à des abus si graves, fidèleset prêtres se sont montrés tellement au-dessous de la réalité,tellement incapables de s'élever au-dessus de la sanction matérielleet du rite, qu'une réaction violente s'est faite chez les Prophètes Osée (Os 6:6) dit que ce que Dieu aime, c'est «non lessacrifices, mais la piété; sa connaissance, et non les holocaustes».Amos (Am 5:21) déclare que Dieu ne regarde même pas un telculte.Michée (Mic 6:6) récuse «les milliers de béliers etles torrents d'huile», le sacrifice même d'un premier-né (allusionprobable à Ge 22:12,Jos 6:26 =1Ro 16:34,Jug 11:39,2Ro 3:27,cf. Ps 106:37-39), pour ne laisser de valeur cultuelle qu'à lamiséricorde et à l'humilité.Jérémie va jusqu'à dire (Jer 7:22) que les ordonnances rituellesne viennent point du Dieu qui se borne à demander «qu'on marche dansses voies»; et ces voies (Jer 7:5,10) sont la morale socialeélémentaire: justice envers tous, étrangers compris, secours auxveuves et aux orphelins (on voit où saint Jacques a pris sadéfinition de la «religion», Jas 1:27), lutte contre meurtre,idolâtrie, vol, adultère, mensonge et faux serment--le Sermon sur lamontagne en esquisse...(s. Paul continue la ligne dans Ro 12:1,en quittant la morale sociale pour entrer dans la moraleindividuelle, par la discipline du corps).Ces voix des prophètes d'Israël et de Juda ont été entendues dequelques fidèles; l'un d'eux (Ps 51:18) se déclare prêt àcélébrer un culte rituel si Dieu le demande; mais, dit-il, «tu neprends point plaisir aux holocaustes; ce qui t'est agréable, c'est uncoeur brisé et contrit». On comprend alors comment l'épître auxHébreux (Heb 5:1-10 7:11-18,23-28 8:1-9:10) peut parler del'inutilité du système lévitique et l'appeler une «ombre sansréalité», pour exalter d'autant mieux l'oeuvre unique de Jésus. Pourétablir ce qu'est le culte chrétien, nous ne pouvons partir que deJésus-Christ (Heb 8:1 et suivant), et le mot latréia du N.T.Nous suffira. 3. Une place intermédiaire doit être faite au culte pratiqué dans les synagogues (voir ce mot), avant le temps de Jésus et après lui.Les ordonnances lévitiques supposant l'existence du Temple deJérusalem, n'ont pu être suivies nulle part, entre la destruction dupremier temple et l'érection du second sous Zorobabel. On sait troppeu de choses sur celui de Léontopolis en Egypte (Esa 19:18-22)pour rien conclure sur le culte qui y était célébré, et d'ailleurs ila été le seul de son espèce hors Palestine. Quant au troisième temple(d'Hérode le Gd à l'an 70 de notre ère), il n'a pu rendre desservices qu'aux citadins de la capitale juive, auxquels se joignaientdes pèlerins, lors des grandes fêtes. Même à Jérusalem, il y avaitdes synagogues (Jn 9:22 12:42 16:2 18:20,Ac 6:9).Partout, en Palestine et dans le reste de l'empire romain (Ac15:21), le culte a été célébré dans des synagogues, sans sacrifices(voir encore Mt 4:23 9:35 13:54,Lu 4:14-28,Ac 9:20 à Damas,Ac 13:41 en Chypre, Ac 13:14 en Pisidie, Ac 14:1 àIcône, Ac 17:1 à Thessalonique, Ac 17:10 à Bérée, Ac18:4 à Corinthe, Ac 18:19-28 à Éphèse, Ac 28:15-29 àRome). La liturgie de la synagogue n'a connu que des prières, descantiques (les Psaumes) et la lecture des livres saints, avec desdiscours, pratique qui revit dans une partie notable duprotestantisme. Cependant, dans l'esprit même des rabbins, ce cultesimplifié n'a pas eu la valeur des cérémonies symboliques du Templede Jérusalem. Mais voici ce qu'un clairvoyant parmi les clairvoyants,un Père de l'Église, le pieux Origène (185-255), dit de celles-ci:«Si le culte au sanctuaire juif avait pu durer jusqu'à nous, ilaurait rendu impossible aux païens la conversion à Dieu. Sesexercices ne pouvaient satisfaire qu'une piété exaltée: on montraitde loin un «lieu très saint», des prêtres entourant unevictime...comme seul culte agréable au Seigneur. Mais Dieu soit louépour la venue du Christ, qui a détourné nos âmes de ce «spectacle»,pour qu'elles contemplassent les biens célestes et désirassentici-bas les biens spirituels! Loué soit Dieu de ce que le Christ a,sur la terre, aboli ce qui, avant lui, semblait si grand, et de cequ'il a élevé le culte dans la sphère de l'invisible et del'éternité! Lui-même, le Seigneur Jésus, demande des oreillesvraiment ouvertes et des yeux capables de voir l'invisible. Alors quenous étudions encore la loi de Moïse (lecture de l'A.T. dans l'Égliseprimitive), nous levons les yeux jusqu'aux lieux où le Christ estassis à la droite de Dieu, et nous cherchons les choses, non d'enbas, mais d'En-haut.»IISi l'on prend les paroles de Jésus relatives au culte, on voitqu'il ne semble pas avoir prévu pour nous autre chose qu'un acte individuel (Mt 6:5 et suivant, «entre dans ta chambre»),fait en esprit: sans rites puisque Dieu est Esprit; mais «envérité»: en conformité de la vie morale avec la Loi de Dieu (Jn4:24). Son modèle de prière (Mt 6:9-13 parallèle Lu11:2-4) est tel, qu'il peut servir à un croyant solitaire aussibien qu'au cercle de famille ou à une assemblée. Le conseil qu'ildonne à quiconque «va à l'autel» (Mt 5:23 et suivant) n'impliquepas nécessairement une assemblée de culte. 1. Mais, s'il n'a rien dit quant aux formes du culte, il a fourni en sapersonne un sujet d'adoration sans pareil, une source unique depardon, de secours et d'espérance; le culte chrétien devientalors une création originale, sans analogies véritables avec aucunautre culte.Jésus a prié (Mt 11:25-27,Jn 11:41 12:27 17; Gethsémané etGolgotha, Heb 5:7), et, quand nous sommes assemblés, aussi bienque lorsque nous sommes seuls, nous pouvons prier «en sonnom» (Jn 14:13).Il a chanté des cantiques: (Mt 26:30) nous pouvons chanteren public des hymnes à son honneur et à l'honneur de Dieu.Il a médité sur les Écritures: (Mt 20:17 22:31,Lu 4:21 9:26 11:5218:31 24:25 Jean 8:30-47) nous pouvons chercher dans l'A.T. ce qui leconcerne, pour connaître le plan de Dieu. De là à lire aussil'histoire de Jésus lui-même et les Actes de la Mission au I ersiècle (les épîtres en font partie), il n'y a qu'un pas; c'est leculte chrétien qui veut la méditation de l'Évangile.Enfin--lien de la gerbe sacrée--Jésus crée en ses disciplesauthentiques un sentiment fraternel, qui les oblige à se grouperen famille nouvelle: le culte chrétien est né, les fidèles serecrutant dans toute race, langue, époque, pour ne former qu'unpeuple nouveau et de franche volonté; c'est une création sans modèle,comme le Chef de l'Église est sans rival. Voir Jésus-Christ. 2. L'Église primitive a donc inauguré un culte qui lui était spécial.Sans doute, en Palestine, jusqu'aux jours de la persécution et de ladispersion, les chrétiens ont fréquenté le Temple juif ou lessynagogues (Ac 3:1). Mais très tôt on les voit réunis entreeux (Ac 1:4,15 2 4:24-31) et ils prient: là où l'on prie, il y aculte, avec la promesse que Jésus est présent (Mt 18:20 28:20),même lorsque c'est au Portique de Salomon qu'ils seréunissent (Ac 5:12). Aussitôt se forme le «ministère de laparole» (Ac 6:4), ce qui fait penser que, dans ces rencontresautant que dans la cure d'âmes individuelle, on médite les Écritures.Le baptême de quelques Samaritains (Ac 8:16) n'a pu être faitque dans un culte; c'est un culte qui se célèbre chezCorneille (Ac 10:24-48), à Antioche (Ac 13:1,3), àPhilippes au bord du fleuve (Ac 16:13-16) et chez le geölier(voir 33); à Corinthe (Ac 18:11), à Troas (Ac 20:7), àMilet (Ac 20:17-37), à Césarée (Ac 21:8-14), à Rome (Ac28:16,30 et suivant). Pour savoir de quelle liturgie se servait l'une au moins de cescommunautés, il faut lire 1Co 14, sans être en droit de conclureque partout ailleurs on fît de même. (a) Il y a des discours en «langues»--jaillis del'âme d'un orateur, que ses frères ont de la peine à suivre. Pauldéclare qu'il aime mieux dire cinq mots utiles à chacun, que dixmille sans portée, en «langues»; celles-ci peuvent faire sentir à unpaïen, hôte occasionnel du culte, qu'il y a des choses divines qu'ilignore (verset 22); il faut toutefois un interprète pour traduirel'extase pour le commun des assistants (verset 27), et il ne faut pasplus de deux ou trois de ces témoignages spéciaux. (b) Il y a des «prophéties»--mot qu'on ne peutentendre ici de l'annonce d'événements lointains; il est voisin dumot prédication, parole prononcée devant des hommes, pouragir sur eux. Lors de la Réforme, à Zurich, par ex., on appelaitainsi l'étude suivie des Écritures. Paul dit qu'elle s'adresse auxcroyants dans l'assemblée (verset 22); elle est donc l'équivalent de«l'instruction» du verset 26. On peut, dit-il, en avoir deux ou troisdans un culte (verset 29). (c) Il y a des prières et des cantiques (verset 16),qui doivent être intelligibles. C'est sur ce mot de Paul que Calvin(Préface aux psautiers de 1542 et 1562) se fonde pour demander que leculte entier soit en langue populaire et non en langue morte (lelatin, aujourd'hui;voir Chant). Paul accorde aux fidèles le droitd'indiquer des hymnes: il faut bien que le goût du chant soit là! (d) Dans ce culte, à Corinthe, il n'y a pas de prêtres. Quiconque a quelque chose à dire peut parler. Il n'y apas d'ordre de sujets; chaque sujet vient selon l'inspiration desfidèles; Paul se borne à recommander «l'ordre», c-à-d. qu'on ne parlepas tous à la fois...Rien n'indique que ce culte se tienne dans des lieux spécialement consacrés: lorsque Paul (Ro 16:6) parlede Priscille et d'Aquilas et de l'Église qui est dans leur maison,nous pouvons y voir une allusion à des cultes. Les cultes dans lesbasiliques--anciens greniers royaux mis à la disposition deschrétiens--sont de beaucoup postérieurs aux réunions dans les maisonsprivées et dans les catacombes, à Rome. Y a-t-il eu des jours spéciaux? Très tôt surgit le dimanche,qui est le «jour du Seigneur Jésus» (voir art.), choisi d'entre lessept de la semaine, à cause de la Résurrection. L'Église de Troas seréunit alors pour faire des adieux à Paul (Ac 20:7). Dans 1Co16:2, c'est le dimanche que l'on met à part de quoi alimenter lescollectes. Dans Ap 1:9 on voit saint Jean sur le rivage de sonîlot solitaire occupé à méditer, «au jour du Seigneur», à l'heure où,dans les Églises d'Asie Mineure, les disciples se réunissaient: c'estla communion des âmes dans la communion du jour. En tout cas, Paulblâme les Galates (Gal 4:10) d'avoir admis l'observation «juive» desjours, ce qui pourrait signifier qu'ils avaient renoncé au jour deJésus au profit du sabbat. Il ne peut pas toutefois y avoir eud'obligation à choisir le dimanche: le Synode de Jérusalem (Ac15), qui règle l'indispensable, ne dit mot des «jours»; le privilègedu sabbat juif était donc aboli, et celui du dimanche chrétien pasencore établi. Aux Romains (Ro 14:5) Paul concède qu'on peutfaire ou ne pas faire de distinction entre les jours: «c'est pour leSeigneur Jésus qu'on use de cette liberté». Mais c'est ce Nom-là quinous semble suffisant pour légitimer le choix du dimanche comme jourprincipal de culte. Fixer un jour a des avantages matériels certains;mais, là encore, la superstition s'en est mêlée; pour trop de gens,un culte célébré pendant la semaine a moins de valeur que celui dudimanche. On va plus loin: pour les mêmes gens, le culte du matin aplus de valeur que celui du soir; les hymnes bonnes «pour le soir»sont irrecevables le matin...Pour des spiritualistes, au contraire,«tout est à nous--les jours et les heures--et nous sommes au Christet le Christ est à Dieu» (1Co 3:22), formule libératrice etféconde, puisqu'elle tient compte des possibilités et des nécessitésde la vie de la paroisse et de celle des âmes.III Que veut-on donc, en célébrant un culte public? Plusieursthéories ont leurs partisans. 1. La théorie symboliste. Il s'agit de «décrire» le drame du salut,chaque moment du culte reproduisant une étape nécessaire de la viereligieuse: repentance, foi, sanctification, espérance éternelle.Dans ce système, l'ordre des sujets est très important, mais, dans lamesure où il est fixé, il conduit à monotonie et usure; l'âmes'habitue à ce cycle; elle peut n'y participer que peu ou point, sansque le culte y perde, l'ordre étant observé. Le dernier mot de cerégime est la «messe basse», qui peut se célébrer par un officianttout seul, sans assemblée; les paroissiens «font dire» une messe sansy prendre part; chez les protestants, tel exige qu'il y ait descultes, mais n'y va point... 2. La théorie pédagogique, voisine de la première. Le culte est une«leçon de religion»; tout est fait dans la supposition que lesassistants sont passifs, faute de piété éclairée et personnelle; onles morigène; l'officiant garde toujours tels quels les passages en«vous» (1Co 1:3); il joue lui-même un rôle capital, gardien dela tradition et des idées reçues; il a le ton d'un maître; lesfidèles n'ont qu'à «écouter avec attention et respect». Le sermoninstructif prend une importance telle qu'on dit: «aller au sermon»pour «aller au culte». Dans les Églises où il y a un «officiantlaïc», maint paroissien s'arrange à n'arriver que pour le sermon, ets'en va, le discours fini; et tel ministre qui succède au laïc lit la«salutation», comme si le culte ne commençait qu'à l'arrivée duministre. Lorsqu'on parle du sermon, on dit: «M. X a fait un beauculte» ou, ce qui est pis, «le culte de M. Z...a été remarquable».(Jadis on distinguait entre le culte de Baal et celui de Jéhovah;maintenant il faut y ajouter les innombrables illustrations de lachaire...). Ces abus de langage en disent long sur l'idée qu'on sefait du culte chrétien: en réalité, le sermon n'est qu'une desparties du culte, il ne fait de bien que si le début et la fin duculte ont été célébrés avec la collaboration intérieure del'assemblée entière. 3. La théorie religieuse. Pour elle, le culte est fait pour exprimerles sentiments qu'éprouvent des croyants. Il est «fait pour les genspieux, comme une kermesse pour les fêtards» (Schleiermacher).L'officiant devient alors le mandataire de ses compagnons de service;il transpose en «nous» tout ce qui peut être donné comme voix del'assemblée, selon Eph 3:20, cf. Ro 16:25, 1Co 1:3,Eph6:23,Php 4:23,2Th 3:16,Heb 13:20 et suivant, 1Pi 5:10,Jude1:24. Il joue un rôle de second plan; il peut être un laïc aussibien qu'un ministre; sacrements et prédication sont confiés aucroyant et non au fonctionnaire; l'ordre des sujets traités importemoins que leur présence; le culte dépend de la ferveur des fidèles.Les formules ont moins de crédit que les inspirations et lestémoignages; l'intérêt du culte et pour le culte se renouvelle dejour en jour. Il va sans dire que tout exercice religieux aura des effets pédagogiques et une portée symbolique, en rappelant ce queles coeurs légers sont trop enclins à oublier. Il va sans dire aussique l'institution d'officiants attitrés et bien formés est utile, àcondition qu'ils soient des inspirés et non des esclaves d'une«lettre» et d'un système. Si, pendant cinquante ans, le «Désert» avécu, jusqu'à l'arrivée de «ministres du culte», si les Quakersvivent depuis plus de deux cents ans sans aucun ministre du culte,c'est bien la preuve que le culte dépend du sens religieux desfidèles, officiants compris, et non de la présence d'un prêtre.IV Mais quels sont ces sentiments que le culte public est chargéd'exprimer de la part de tous? Étant simples, ils se retrouvent à desdegrés divers dans toutes les expériences chrétiennes; le culte peutdonc réunir des hommes de toute condition, dès qu'ils se sont donnésau Christ. Sans attribuer de valeur à l'ordre de leur énumération,comptons ici ces sentiments: (a) La reconnaissance pour les dons multiples etdivers, délivrances et bienfaits dont nous sommes l'objet, et, cheztous, pour le «don ineffable» de Jésus-Christ (2Co 9:15); lefidèle vient au culte pour rendre grâces publiquement, (b) La contrition, parce que, en regard de tant debienfaits, la conscience nous oblige à nous confesser pécheurs; lasainteté de ce Jésus nous condamne, et nous venons au culte pourdéclarer nos fautes, pour nous fortifier dans les promesses de pardonet d'aide journalière en Jésus, (c) La pitié pour les souffrants; la consciencedes obstacles dressés devant l'Église militante; les intérêts dufoyer, des amis, tout pousse un homme de coeur à faire des prièrespubliques; le culte est le rendez-vous des intercesseurs, au nom deJésus, (d) L' espérance éternelle leur est nécessaire; leculte est le rendez-vous des pèlerins du ciel, au nom de larésurrection de Jésus; c'est là que l'homme, en deuil est consolé parses frères encore épargnés, (e) Moins primitif, mais digne d'être satisfait, estle besoin de cohésion intellectuelle (credo) et d'unité dansl'action (programme social); le culte est le rendez-vous de ceuxqu'animent une même pensée et un même travail chrétien. Un mot semble manquer ici, celui d'Adoration (adorer =litt.lever le visage vers quelqu'un). Il est certain que nous n'allons auculte que dans la persuasion d'y faire, en commun, «l'expérience deDieu» (Spitta); ce Dieu est saint; ses perfections sont innombrables.Adorer, c'est se rendre compte de cette sainteté et de cetteperfection; mais se bornera-t-on à ce genre d'extase? Comment fairedes cultes qui ne tiendraient aucun compte des cinq élémentsci-dessus esquissés? L'adoration est moins un acte précis etlimité, qu'une attitude générale, dont tout bénéficie quand elleexiste, et dont tout pâtit quand elle manque. Sans l'adoration, quidit: «Tout par grâce!» la reconnaissance devient de la tenue delivres: «Tu as fait tant pour moi, j'ai fait tant pour toi, noussommes quittes!» (Ge 28:20-22,Lu 18: et suivant); avec elle, auculte, le coeur se remplit de gratitude et s'offre à tout servicepour un Maître si bon. Sans l'adoration, la repentance devientterreur (Ge 3:8 4:13,Mt 27:3,6); avec elle, le pécheur vient autrône de grâce (Heb 4:15,Jn 1:47-50,Mt 26:75,Lu 23:40-42,Ac9:6). Sans l'adoration, qui saisit l'infini des miséricordes duPère, la pitié se limite à quelques hommes, à une Église, à unerace seulement; avec elle, au culte, on sent que c'est sur la terreentière que doit venir le Règne (Mt 6:10,Php 2:10 et suivant,etc.). Sans l'adoration, qui montre la Maison du Père, l' espérance retombe, le fidèle, volontairement privé des joies dumonde, mais sans au-delà, est «le plus malheureux de tous leshommes» (1Co 15:19); avec elle, au culte, chaque homme en deuilréapprend à chercher auprès de Dieu «ceux qui se sont endormis» lespremiers (1Th 4:13), on mesure quelle est la fin du chemin quimonte de la terre au Paradis...Sans l'adoration, enfin, le credo rend dur et le programme devient administratif; avec elle, auculte, le credo se fait agent de liaison entre des frères, etl'action devient féconde. Qui dira les bienfaits d'un tel culte pour qui adore? Au lieud'être une vaine cérémonie, il touche à tous les besoins essentielsde l'âme; au lieu d'être parfois une heure d'école, dans la relationd'élèves maussades à professeur indifférent, il est une convocationfraternelle de cohéritiers du Christ, ministre et laïcs ne faisantqu'un. Qui se fatiguera de tels cultes? Qui abandonnera lesassemblées? (Heb 10:25) C'est dans l'exercice de ce culte que,au nom de Jésus, nous refaisons l'expérience des privilégiés del'Ancienne Alliance (Ps 16:11 42:3,5 43:4 122:1 133:1), quiconnurent déjà des extases de joie; nous nous préparons à rejoindreles croyants de l'Église primitive (Ap 7:9,17 11:15-19 15:2-819:1-8 21:22-27 22:15) qui, martyrs aux jours mauvais ou bonsserviteurs en temps propices, ont «gardé la foi» (2Ti 4:7); ondisait d'eux: «Ils ont été avec Jésus» (Ac 4:13). La question du culte ainsi posée, l'ordre des moments perd deson importance; leur présence seule est nécessaire. Que lacontrition doive toujours être en tête, voilà qui est inconcevable sile culte est la «fête des rachetés» (Spitta); mais que cettecontrition pût y manquer serait une honte. Ce n'est pas dans le cielseulement qu'il y a de la joie; Jésus l'a donnée (Jn 15:11 16:2417:13) sur la terre: il faut que le culte puisse débuter parelle...Pour exprimer ces besoins élémentaires, nous avons tout àdisposition: prières, cantiques, lectures bibliques avec ou sanssermon, silences remplis de ce qui ne peut se dire, musique assezspirituelle pour se subordonner à la liturgie, tableaux et vitrauxnés dans le coeur d'artistes chrétiens... L'emploi de ces moyens expressifs, l'ordre de ces momentsvarient. Ne chanter jamais que deux fois, par ex., serait tout aussiabsurde que de chanter à chaque culte une kyrielle de cantiques.Renvoyer toujours l'intercession à la fin du culte, quand lesparticipants sont fatigués ou inquiets de la durée de l'office, c'estcompromettre la réalité de cette prière. Donner toujours la «louange»à un laïc, et lui refuser le droit de faire, parfois, lesintercessions ou la confession des péchés, c'est priver le ministrede louer Dieu et le laïc de se faire l'avocat de ses frères et lemessager de la grâce. Quand il s'agit de la vie de l'esprit, larigidité n'est pas bonne conseillère. Mais, quel que soit le régimelégal dans lequel nous devions célébrer nos cultes publics, ilsseront un moyen de grâce, si c'est au nom de Jésus qu'on y convoqueet accueille les hommes, pour faire de ces heures fugitives leshaltes salutaires de notre vie spirituelle. «Lorsque les coeurs seconvertissent au Seigneur Jésus, tout voile est ôté; le Seigneur,c'est l'Esprit; là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté.Nous tous qui, le visage découvert, contemplons dans un miroir lagloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, degloire en gloire, comme par l'Esprit du Seigneur.» (2Co3:16,18). Voir Adoration, Liturgie. Note. Cet art. était achevé lorsque parut le t. II de l'ouvragecapital de R. Will, Le Culte (t. I, Strasbourg, 1925; t. II,Paris 1929). C'est à lui qu'on recourra si l'on veut une étudeapprofondie de l'histoire et de l'exercice du culte. L. M.-S.