Hébr. choub, verbe qui indique un revirement soit au sein d'unecollectivité soit chez un individu; grec épistrophê, du verbe épistré-pheln (tourner), intrans.: se tourner en sens contraire,revenir sur ses pas, rentrer en soi-même; opérer une conversion quifait que l'on se dirige de nouveau vers le point d'où l'ons'éloignait. Les prophètes emploient choub pour désigner l'acte de revenirà Jéhovah auquel le peuple a été infidèle. Ex: «Lorsque tu reviendras(Israël) à Jéhovah ton Dieu de tout ton coeur et de toute tonâme» (De 30:10), «Que le méchant retourne à Jéhovah qui aurapitié de lui» (Esa 55:7, cf. Ps 51:12,Esa 6:10, cité quatrefois dans le N.T.), etc. Jésus, dans Mt 18:3 (cf. strépheïn), met l'accent sur l'un des caractères essentiels de laconversion religieuse, lorsqu'il demande à ses disciples de renoncerà leurs ambitions égoïstes. A propos du reniement de Pierre, il dit à ce disciple:(Lu 22:32, cf. épistrépheïn) «Quand tu seras converti»(c-à-d. rentré en toi-même et inébranlable dans mon service), «affermis tes frères». Les larmes de Pierre nous apprennent que le portique de laconversion, c'est la repentance (Mt 26:75). Dans la parabole de l'enfant prodigue (Lu 15), Jésus nousfournit le type même de la conversion: égarement, déchéance,souffrance, repentance, d'où jaillit une décision intérieure: «Je melèverai et j'irai vers mon Père!» Toute la conversion au senschrétien est dans ce mot. On voit ici combien s'abusent ceux qui croient que se convertir,c'est simplement échanger un système religieux contre un autre,passer du culte de Baal au culte de Jéhovah, ou du catholicisme auprotestantisme, ou du rationalisme à l'orthodoxie. La conversionchrétienne est d'un tout autre ordre; elle a pour raison d'être ladéchéance de l'homme, pour mobile la conviction de péché, pour fruitla régénération. La question, dit Jésus à ses auditeurs à l'occasionde la chute de la tour de Siloé (Lu 13), est de vie ou de mort:tout homme qui ne change pas, qui ne vient pas à résipiscence (cf. méianoeîn), est voué à la mort. On trouvera dans les articles Chair et Esprit les motifs de cettealternative: se convertir ou mourir. Thème des discours les plusenflammés des prophètes d'Israël, cette alternative est reprise parJean-Baptiste, et c'est elle qui lui inspire son rite dubaptême: (Mt 3:5,16) confesser ses péchés, disparaître sousl'eau (symbole de mort à soi-même), reparaître à la surface (symbolede résurrection), sortir de l'eau pour entreprendre une carrièrenouvelle...tout le mécanisme, si j'ose dire, de la conversion est là,en un tableau vivant. Il faut s'être senti mourir pour se sentir renaître; mais pour sesentir mourir, il faut aller au Jourdain. (cf. Lu 7:30) Et voicique la conversion nous apparaît avec toujours plus de force dans soncaractère de décision personnelle, d'acte de volonté. La grâceprévenante qui sollicite la conversion et la prépare, (cf. Eze33:11) le don de l'Esprit qui répond à la conversion et régénère lepécheur repenti, viennent de Dieu et ne peuvent venir que de lui;mais la conversion est le moment où l'homme libre, changeant dedirection, décide de sa destinée. Elle répond au «Veux-tu êtreguéri?» de Jésus (Jn 5:6); elle est le geste qui ouvre la porteau divin visiteur qui frappe (Ap 3:20); elle est, non uneexpérience imposée d'En-haut, mais une activité de l'âme elle-même;sauvegarde de la liberté dans l'histoire de notre salut où tout estgrâce, elle est elle-même une grâce, puisque la liberté sauvegardéepermet seule à la créature de devenir une personne morale à l'imagede Dieu. C'est par respect pour cette libre conversion que Jésus a acceptéla croix. C'est parce que son regard prophétique sonde la dureté descoeurs qui profiteront de leur liberté pour mal faire, que Jésusdéclare douloureusement: «Vous ne voulez pas venir à moi pour avoirla vie!» (Jn 5:40), «Jérusalem, Jérusalem, qui tues lesprophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de foisj'ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble sacouvée sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu!» (Lu 13:34).Nous rejoignons ici la «volonté organe de créance» de Pascal. Lecaractère libre et personnel de la conversion est confirmé par toutl'ensemble des passages où le N.T. 11ous présente cet acte moralcomme inséparable de ces deux éléments: la repentance et lafoi (Ac 3:19 26:20 11:21 20:21 etc.). La parole de Vinet: «La conversion n'est que la sanctificationcommencée et la sanctification n'est que la conversion continuée» estvraie en ceci que les convertis ont toujours besoin de «veiller», dese contrôler sans cesse eux-mêmes et de prendre garde, au cours de lavie nouvelle où l'Esprit les a introduits, de ne pas «dériver denouveau vers des rives abandonnées». Mais, à lui donner un sens absolu, on y pourrait trouver occasionde confondre la décision de l'homme et l'action de Dieu. Pour seplacer sur le vrai terrain, il faut revenir à la scène qui inaugural'humanité spirituelle le jour de la Pentecôte (Ac 2). «Le coeurtranspercé par le discours de Pierre, la foule s'écria: Hommesfrères, que ferons-nous? Pierre leur répondit: Convertissez-vous etque chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour obtenirla rémission de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit.» Le coeur transpercé: émotion morale, éveil de la conscience,conviction de péché; la conversion: libre détermination de l'homme;le pardon des péchés: réponse du Christ à l'appel de la foi; le donde l'Esprit par lequel on naît de nouveau: conséquence dupardon (Ac 2:38). Telle est la marche des événements qui faitsortir l'homme de la «génération perverse» (Ac 2:40) et quil'agrège à l'humanité régénérée. Cette régénération est, elle, uneexpérience qui vient d'En-haut, un miracle de l'Esprit comme toutacte créateur; elle s'exprime pratiquement et se réalise dans lasanctification, laquelle n'est point le fait de l'homme, mais le faitde Dieu. C'est «l'Esprit qui sanctifie». Le pécheur seconvertit (Ac 9:35 11:21 14:15,2Co 3:16 etc.), mais il est sanctifié (Ro 15:16,1Pi 1:2,1Co 1:2 6:11 etc.). Voilà la distinction capitale où le chrétien trouve sa sécurité,la paix, la joie. Sa part est de renoncer volontairement au monde etde se jeter librement dans les bras de son Sauveur, en s'enremettant, pour la transformation de sa vie, à l'action souveraine del'Esprit. «Celui qui vous a appelés est fidèle, c'est lui qui lefera» (1Th 5:24). Si cette distinction était mieux comprise, iln'y aurait pas tant de pécheurs qui attendent que Dieu les convertisse, et tant de chrétiens qui se désespèrent de leurimpuissance à se sanctifier. On voit, par ce qui précède, que la conversion au sens chrétienexclut toute possibilité d'arriver au salut par les oeuvres, leprogrès, le perfectionnement de l'homme naturel. Avec elle, il nes'agit pas de monter mais de rebrousser; d'améliorer sa voie, mais dechanger de voie. Dans le récit de sa conversion qu'il fit devantAgrippa, Paul l'explique clairement: il s'agit de «passer desténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu» (Ac26:1,3, cf. Eph 5:8). Jésus avait déjà dit qu'on ne met pas le vin nouveau dans devieilles outres (Mt 9:17). L'apôtre des Gentils ne perd pas uneoccasion de rappeler que pour faire les oeuvres de Dieu, il fautavoir dépouillé le «vieil homme» et revêtu l'homme nouveau (Col3:9,Eph 4:24). Aussi la conversion et les grâces qui la suiventsont-elles, comparées par lui à une résurrection: «Réveille-toi, toiqui dors, et te relève d'entre les morts, et Christt'éclairera» (Eph 5:14). Sur ce point capital il en est du Juifcomme du Grec: «Il n'y a point de différence, dit-il, parce que tousont péché et sont privés de la gloire de Dieu» (Ro 3:22 etsuivant). C'est à tous les hommes, qu'ils soient de Jérusalem ou deDamas, que Paul applique sa formule où toute l'exhortation chrétienneest résumée: «Se repentir, se convertir, faire des oeuvres dignes dela repentance.» (Ac 26:20). En parlant à Nicodème de «nouvelle naissance», Jésus veut luidonner à entendre--et par lui à tous les pharisiens de tous lestemps,--que l'homme ne peut devenir meilleur qu'à la condition d'êtrebon, et qu'il ne peut être bon que si Dieu le crée à nouveau. «Unmauvais arbre ne peut porter de bons fruits» (Mt 7:18). Il nes'agit donc pas pour nous de porter plus ou moins de fruits, mais derecevoir en nous le germe d'un nouvel arbre (Jas 1:21). Pour quece germe de vie spirituelle éclose, il faut que l'homme lui ouvre uncoeur brisé et labouré. «Le commencement de notre conversion à Dieu,dit Calvin, est quand nous avons haine et horreur du péché, quand nonseulement nous avons crainte d'être punis, mais haïssons le péché,d'autant que nous entendons qu'il déplaît à Dieu» (Instit., III,3:7). Cet état d'âme suppose l'initiative divine. Comment, sans illumination intérieure, l'homme apprécierait-iltoute l'horreur de sa nuit? «Nul ne vient à moi, avait dit Jésus, sile Père qui m'a envoyé ne l'attire» (Jn 6:44); et n'est-ce pasprécisément dans la croix du Fils, dressée devant le pécheur, queculmine l'effort d'attirance du Père? «Quand j'aurai été élevé de laterre, j'attirerai tous les hommes à moi» (Jn 12:32). Maiscombien sont divers les chemins par lesquels Dieu, respectant la liberté humaine, exerce cette attirance etramène les pécheurs jusqu'à lui! Nous le voyons déjà dans lesconversions rapportées par le N.T.: Pierre, la Samaritaine, Lydie,Saul de Tarse, le geôlier de Philippes, le brigand sur la croix...Sile fait de la conversion demeure avec ses éléments invariables, ceséléments peuvent être fort diversement agencés suivant letempérament, l'éducation, le milieu, les circonstances de celui quise convertit et les expériences qui ont précédé, motivé la conversionelle-même. Sur ce point, on ne saurait trop méditer la mise en garde deVinet: «La marche de la conversion a été écrite une fois pour toutes,son histoire invariablement tracée, toutes les âmes sommées, pourainsi dire, de partir du même point et d'arriver par le même milieu,la suite des impressions de l'âme attirée vers Dieu minutieusementdécrite; en un mot, aucun médecin n'oserait prévoir avec autantd'assurance les phases successives d'une convalescence à la suite dela maladie la mieux connue et la plus régulièrement subie. Quel'infinie diversité de la sagesse de Dieu, et cette variété deconseils et de moyens qui, bien considérée, n'est encore et toujoursque de la charité, disparaissent dans la vague et pesante uniformitéde ces descriptions, c'est un inconvénient bien grave; mais ce n'estpas le seul, ni peut-être le plus considérable. J'en vois un plusgrand dans l'illusion de tant de personnes qui, au lieu d'obéirnaïvement à l'attrait de la grâce, au lieu de sentir ce qu'ellessentent, et (si cette expression est permise) au lieu de se laisserfaire, concertent pour ainsi dire une oeuvre qui n'est pas et ne peutêtre la leur, reproduisent d'après un catalogue officiel une certainesérie de mouvements et d'états moraux, passent régulièrement partoute la filière, et après avoir tout accompli et tout éprouvé auxtermes du règlement et sous les auspices d'un directeur, se trouventà la fin (amer, mais nécessaire désappointement!) n'avoir fait qu'unchemin illusoire et n'avoir marché qu'en rêve. Cela même, j'enconviens, est une paternelle, quoique dure leçon; maisn'accuse-t-elle pas notre précipitation et notre esprit de système?Et ne nous avertit-elle pas que, tout en présentant toujours avecintégrité aux pécheurs le plan de la charité de Dieu dans sa vraieforme, dans ses vraies conditions, nous devons nous garder departiculariser trop, de vouloir tout numéroter, nous devons laisser àchaque âme sa voie, qui est plutôt la voie de Dieu, respecter dansles individualités et dans les circonstances de tout genre desdonnées premières que Dieu a disposées à l'avance, les observer avecune attention tranquille, n'écrire l'histoire des faits qu'après lesfaits accomplis, et jamais l'histoire de chaque fait comme celle d'unautre, et enfin nous réjouir, en rapprochant toutes ces histoires, devoir, du sein de leur infinie et brillante diversité, ressortir uneunité majestueuse, l'unité des grands traits et non celle des formeset des incidents?» Le moyen par lequel Dieu travaille à la conversion des hommes estla prédication: «Nous faisons fonction d'ambassadeurs pour Christ»(2Co 5:20, cf. 2Ch 24:9,Ac 11:19 et suivant, Ro10:14,2Co 5:11). Le prédicateur fidèle, à la suite de son Maître(Lu 1:16, cf. Jas 5:19), accomplit donc le ministère royalqui consiste à remettre le monde sous la maîtrise de Dieu. Il prêchela conversion. Par mépris de l'homme? Non, mais par amour pourl'homme que le péché dénature et que la conversion à Dieu rétablitdans sa puissance et dans sa beauté. La difficulté, pour le prédicateur de la conversion, difficultéqui, dans les périodes de crise, l'accule au martyre, c'est que sonmessage l'oblige à proclamer au monde qu'il ne peut servir deuxmaîtres: le christianisme qui condamne l'homme naturel et exigesa conversion à Dieu, et l'humanisme qui glorifie l'homme naturelet le met à la place de Dieu: humanisme politique, au temps despremiers chrétiens, qui divinisait l'Empereur; humanisme littéraire,au temps de la Réforme, qui ameutait les libertins contre Calvin;humanisme scientifique ou social de notre temps, qui exclutl'enseignement chrétien de nos écoles de France ou qui tente ailleursl'expérience farouche de l'État meurtrier de Dieu. Sans doute,l'humanisme idéal, j'ai presque dit l'humanisme du rêve, n'est pointexclusif de l'idée chrétienne; il l'appelle au contraire en ce sensque, voulant l'homme intégral et souffrant de sa misère, il met à sonservice comme deux facteurs complémentaires, l'ordre de la nature etl'ordre de la grâce. Mais l'humanisme de la réalité, l'humanismehistorique n'est point cela. Dans l'humanisme historique, l'homme secherche, mais se cherche en dehors de Dieu, pour lui-même, parlui-même, avec une foi dans ses moyens et un orgueil de sa force quirend Dieu inutile, qui proprement l'exclut, et qui s'irrite de touterévélation humiliante prêchée de la part de Dieu; or, de toutes lesrévélations la plus humiliante est bien celle qui dévoile à l'hommela corruption de sa nature et la nécessité de sa conversion. Après avoir cité Calvin et Vinet, donnons ici la parole à unécrivain qui vit au milieu des jeunes de notre génération, lesconnaît et les comprend: «L'idéal humaniste, dit-il, est le plusgrand rival du christianisme. L'humanisme prétend que l'homme nedépasse pas l'homme, que l'homme n'est rien qu'homme. Lechristianisme dit que l'homme est une créature, qu'il est lié à Dieu,et qu'il est pécheur, en révolte contre Dieu...L'humanisme veut quel'homme s'exprime, que sa vie soit une expansion de ce qu'il possèdedéjà. Le christianisme veut que l'homme se convertisse et qu'il selaisse conduire par un Dieu souverain. C'est pourquoi on ne peutplacer le christianisme dans un nouvel humanisme. Si on le faisait,on mettrait de la dynamite dans son humanisme. Un vrai christianismedevrait montrer bientôt que l'humanisme se fait une idée fausse de laréalité humaine. Une des grandes raisons de la décadence del'humanisme moderne, c'est qu'on commence à découvrir que «le mondemoderne a besoin d'une vérité transcendante», mot que M. Julien Bendaplace à la première page de sa Trahison des Clercs. Cette véritétranscendante ne pourrait être un élément qu'on ajoute à sonhumanisme. Il faut la mettre tellement au centre, qu'il ne soit plusquestion d'humanisme, mais plutôt de christianisme. Ce christianismen'est pas l'expérience de quelques-uns. C'est l'expérience pourlaquelle chaque homme est né. Ce christianisme peut se servir deshumanités, comme il peut se servir de tout instrument humain. Mais ilne confondra pas l'instrument avec le but. Toutes choses sont à l'homme, mais l'homme est à Christ.» Onretrouvera ces lignes dans un ouvrage suggestif: Pour un humanismenouveau (324 p., Cahiers de Foi et Vie, 1930). Enquête loyaleet riche où les voix les plus diverses, les plus contradictoires, sefont entendre dans une commune bonne volonté pour dire comment onpeut atteindre l'idéal humain; «grave débat, faisceau de témoignagesvivants», où il y a beaucoup à apprendre, ce livre, bien moderne, meparaît, dans sa noblesse et son désarroi, témoigner avant tout et defaçon poignante en faveur de la nécessité de la conversion.Aujourd'hui comme aux jours où prêchait le Christ sur les bords dulac de Galilée, la conversion demeure la grande actualité, la grandedifficulté, la seule solution au problème humain. Alex. W.