ACTES DES APÔTRES

LE TITRE.Le livre appelé habituellement «Actes des Apôtres» (en gr, praxeis ton apostolôn ; en latin acta apostolorum) et contenu dans notrerecueil du N.T. n'est pas le seul écrit de ce genre qu'ait connul'antiquité. Des livres intitulés: Actes de Paul et de Thécla, Actesde Jean, Actes de Thomas, Actes d'André, et beaucoup d'autres, ontjoué un rôle dans certaines Églises. Mais notre livre est le seul quiait conquis la dignité canonique; il est aussi le seul qui se donnecomme récit des exploits des apôtres en général. Ce titre nerépondrait nullement au contenu, si on voulait entendre par «apôtres»les Douze mentionnés à plusieurs reprises dans ce livre ainsi que parsaint Paul et énumérés Ac 1:13. Car parmi ceux-ci, il n'y aguère que Pierre, accompagné parfois de Jean, qui joue un rôleimportant. Par contre, beaucoup de personnages mis bien en relief etmême placés au premier plan par l'auteur n'ont jamais été rangésparmi les Douze: p. ex. Etienne, Philippe l'évangéliste (que latradition ultérieure a parfois à tort identifié à Philippe l'apôtre),Jacques frère du Seigneur, enfin Paul et ses compagnons. Mais letitre est parfaitement correct, si on prend le terme d' «apôtre» dansle sens de «missionnaire chrétien» (voir Apôtre). C'est en effet ledéveloppement de la mission chrétienne, élargi du récit du procès dePaul jusqu'à son arrivée à Rome, qui constitue le thème principal dulivre.LE TEXTE.Les manuscrits nous présentent deux formes de texte sensiblementdifférentes. L'une appelée a se trouve dans la plupart desmanuscrits et notamment dans la plupart des anciens: A,B,C, etautres; l'autre appelée Béta est représentée surtout par D (Code deTh. de Bèze) et par E, ainsi que par les anciennes versions latines. Comme l'a démontré von Soden, il ne peut s'agir dans (3) d'uneaccumulation fortuite de variantes: elles dérivent toutes ou presquetoutes de la même source. Comment expliquer cette divergence? Blass,Th. Zahn et d'autres savants ont supposé deux éditions du livreremontant chacune à l'auteur lui-même, l'édition alpha étant la copieenvoyée à Théophile, l'édition 8 étant le brouillon amplifié parl'auteur. Mais cette hypothèse a en général été abandonnée et lamajorité des spécialistes, p. ex. B. Weiss, Harnack, Loisy, Goguel,voient dans (3) un remaniement ultérieur de alpha. On peut en effetexpliquer un grand nombre d'additions de (3) par le souci d'harmoniserles textes entre eux ou avec des versets de l'A.T., ou par despréoccupations d'ordre théologique d'une époque postérieure. Laplupart des éditions modernes ainsi que les traductions donnent letexte alpha. Une belle édition des deux textes grecs a été donnéerécemment par Jackson et Lake (voir la Bibliographie).LE CONTENU.Abstraction faite de la préface (Ac 1:1-2), on peut distinguertrois grandes parties dans notre livre: I Histoire de l'Église de Jérusalem jusqu'à la mort d'Etienne (Ac 1 3-8:3). II Diffusion du Christianisme jusqu'à la mort d'Hérode Agrippa Ier (Ac 8:4-12:25). III Voyages missionnaires et procès de Paul jusqu'à son arrivée àRome (Ac 13:1-28:31).Iere PARTIE (Ac 1:3-8:3).Elle contient une série de morceaux de caractère assez différent etque le rédacteur du livre n'a pas toujours reliés d'une manière trèsintime. Nous pouvons les répartir en plusieurs groupes. 1. Textes concernant la vie intérieure de l'Église, (a) Un récit de l'Ascension du Christ (Ac 1:3-11). Ce morceau fait double emploi avec le récit Lu 24:50-53,expressément mentionné Ac 1 2. Il semble donc indiquer unremaniement de l'ouvrage, postérieur à la préface, (b) Le choix, par le sort, d'un remplaçant de JudasIscariote dans le collège des douze apôtres (Ac 1:12-26); danscette péricope est inséré un récit de la mort de Judas (différent deMt 27:3-5), que le troisième év. avait omis. (c) Deux récits du baptême des premiers chrétiens parl'Esprit: le plus long donnant des détails de natureglossolalique (Ac 2:1-13), l'autre, plus court et plussobre (Ac 4:23-31), enfin, des indications précieuses sur la viereligieuse des chrétiens (Ac 2:42-47 4:32-37). A ce derniertexte, qui relate l'organisation communiste de la paroisse, l'auteurdu livre a rattaché l'épisode du crime et du châtiment d'Ananias etde Saphira (Ac 5:1-11). (d) L'élection des diacres représentant les Juifsconvertis originaires de la Diaspora, dont Philippe dit l'évangélisteet Etienne (Ac 6:1,6). Quelques textes attestant la croissancede la communauté: 2:41 4:4 6:7. 2. Récits de guérisons miraculeuses, opérées par lesapôtres et surtout par Pierre (Ac 3:1-11 5:12-16). 3. Arrestations et persécutions de chrétiens par lesJuifs, (a) Arrestations d'apôtres par les Sadducéens.(Ac 4:1-22 5:17-21 5:21-42) la première fois Pierre et Jean, latroisième fois Pierre étant nommés expressément. Chaque fois lesprisonniers sont relâchés avant qu'un procès en règle ait eu lieu, laseconde fois d'une manière miraculeuse. Peut-être s'agit-il là encorede plusieurs traditions sur le même événement, juxtaposées par lerédacteur, (b) Arrestation et mise à mort d'Etienne à la suited'une émeute suscitée par des Juifs hellénistes, c-à-d. de laDiaspora (Ac 6:8-8:3). 4. Plusieurs grands discours, insérés dans différentsrécits: (a) Deux discours missionnaires de Pierre.(Ac 2:14-40 3:12-26) Indépendamment de toute questiond'authenticité, ces discours ont une haute valeur historique, parcequ'ils contiennent des idées anciennes qui nous renseignent entreautres sur la christologie des judéo-chrétiens de Jérusalem, (b) Le discours d'Etienne, remarquable, malgrécertaines atténuations de seconde main, par la hardiesse de saposition antisacerdotale qui contraste tellement avec les idées del'Église de Jérusalem, et qui d'autre part répond si peu auxpréoccupations des Églises pagano-chrétiennes, qu'il faut en faireremonter sinon la teneur du moins l'inspiration au premier martyrchrétien ou à son entourage (Ac 7:2-53).IIe PARTIE (Ac 8:4-12:25).Elle contient une série de traditions, tantôt autour de la personnede quelques missionnaires (Philippe, Pierre, Saul), tantôt autour decertaines Églises anciennes (Joppé, Damas, Antioche), les deux typesde récits se combinant de plusieurs manières. De plus, Ac 12raconte une persécution nouvelle: celle qu'organisa le roi HérodeAgrippa I er dont la mort est représentée comme un châtimentdivin (Ac 12:1-25). En laissant de côté ce dernier chapitre,nous pouvons distinguer quatre groupes de péricopes: 1. Traditions concernant les missions de Philippe l'évangéliste: (a) son voyage missionnaire en Samarie, où ilconvertit entre autres un certain Simon, nommé le Mage (Ac8:4-13), personnage qui a joué un grand rôle dans les traditionsultérieures sur les origines du gnosticisme; (b) la conversion de l'eunuque éthiopien.(Ac 8:26-40) 2. Traditions sur Pierre: (a) son voyage en Samarie et son conflit avec Simon leMage (Ac 8:14-25); (b) les miracles et conversions qu'il opère, à Lydda,Joppé et dans les environs de ces villes (Ac 9:32-43); (c) commencements de mission de Pierre en terrepaïenne, provoqués par des visions accordées à l'apôtre et àCorneille (Ac 10) et suivis d'une explication entre lui et leschrétiens de Jérusalem (Ac 11:1-18); un nouveau discoursmissionnaire de Pierre est inséré (Ac 10:31-43). 3. Le premier récit de la conversion de Saul, causéeégalement par une vision et suivie de son baptême par Ananias deDamas, les deux ayant été prévenus de leur rencontre d'une manièresurnaturelle (Ac 9:1-30). 4. Quelques notices sur le développement des Églises en Palestine, sur la mission parmi les Juifs de Phénicie, deChypre et d'Antioche, et sur la fondation et le développement del'Église pagano-chrétienne d'Antioche (Ac 9:31-11:19-30).IIIe PARTIE (Ac 13-28).Celle-ci étant plus homogène, nous nous contenterons d'un bref aperçu. 1. Voyage de Paul et de Barnabas (en leur qualité demissionnaires envoyés par la paroisse d'Antioche) en Chypre, Cilicie,Lycaonie, Pisidie, et retour à Antioche (Ac 13:1-14:28). 2. Voyage de P. et de B. à Jérusalem, où a lieu le«concile», ou synode, au sujet des obligations despagano-chrétiens à l'égard de la loi juive (Ac 14:18-15:35). 3. Voyage de Paul, avec Silas et Timothée, en Syrie,Cilicie, Lycaonie, Pisidie, Phrygie, Galatie, Mysie, ainsi qu'enMacédoine et en Grèce; traversée à Éphèse, où restent les compagnonsde Paul, et nouveau voyage en Asie Mineure: c'est le voyage appeléhabituellement le 2 e voyage missionnaire (Ac 15:36-18:23).Ce récit est suivi d'une notice sur Apollos, ancien disciple duBaptiste (Ac 18:24-28). 4. Retour à Éphèse, où Paul passe deux ans; conversiond'autres baptistes; conflits avec les Juifs et avec lesindustriels (Ac 19:1-40). 5. Deuxième voyage de Paul en Macédoine et en Grèce etretour à Troas par le même chemin: de là voyage par mer à Milet, puisen Phénicie, d'où l'apôtre gagne Jérusalem. Pendant ce 3 e voyagemissionnaire, Paul est tantôt accompagné tantôt précédé parplusieurs compagnons (Ac 20:1-21:16). 6. Emeute à Jérusalem et arrestation de l'apôtre parles Romains; après avoir comparu devant le Sanhédrin, il esttransféré à Césarée (Ac 21:17-23:35). 7. Captivité de Paul à Césarée (Ac 24-26). 8. Transfert de Paul à Rome (Ac 27:1-28:15). 9. Remarques sur l'arrivée et le séjour dans lacapitale, sans indication sur l'issue du procès et sur la fin dePaul (Ac 28:16-31). C'est dans cette partie que se trouvent un certain nombre detextes écrits à la première personne («nous partîmes, nous restâmes»,etc.); ce sont les péricopes: Ac 16:10-17 20:5-16 21:1-1827:1-28:1. On y trouve aussi cinq grands discours attribués à Paul(énumérés plus loin).SOURCES, COMPOSITION ET AUTEUR. 1. Une des sources de l'auteur se distingue nettement:c'est le récit de voyage d'un compagnon de Paul, écrit à la manièred'un journal à la première personne (voir les versets énumérés plushaut). Ce journal a été composé par quelqu'un qui s'est joint à Paulà Troas pendant son 2 e grand voyage missionnaire; il l'accompagna àPhilippes, où il assista à la conversion de Lydie et à la guérison dela pythonisse. Laissé en liberté au moment de l'arrestation de Pauldans cette ville, il y resta après le départ de l'apôtre et l'yattendit pour se joindre à lui lors de son retour du 2 e voyage enGrèce (3e voyage missionnaire). Il ne le quitta plus jusqu'à sonarrivée à Jérusalem (Ac 21:18). Enfin, nous le retrouvons dansla compagnie de Paul durant tout son voyage de Césarée à Rome. Il estd'ailleurs possible qu'outre les versets cités plus haut, certainesautres péricopes (où la première personne n'est pas employée parceque l'occasion ne s'en présentait pas) se rattachent à cette mêmesource, p. ex. le récit de l'arrestation de l'apôtre à Jérusalem oules indications sur son séjour à Rome (Ac 28:30). Certainssavants, comme Ed. Meyer, considèrent même l'ensemble des ch. 20-28comme appartenant à une source unique. Quoi qu'il en soit, noussommes ici en présence d'une source écrite d'une grande valeurhistorique. Le récit du naufrage notamment est un des meilleursrécits de voyage que l'antiquité nous ait conservés. 2. On considère habituellement avec raison commeappartenant également à des sources écrites les principaux grandsdiscours insérés dans notre livre, p. ex. ceux de Pierre, d'Etienneet les cinq grands discours de Paul: (a) sermon à Antioche de Pisidie (Ac 13:13-41), (b) discours apologétique à l'Aréopage (Ac 17:22-31), (c) discours d'adieu aux anciens d'Ephèse, apparemmenttrouvé dans une source éphésine et que notre auteur a eu desdifficultés à insérer dans le récit d'un voyage qui laissait de côtécette ville (Ac 20:18-35), (d) deux apologies de Paul, l'une adressée aux Juifsde Jérusalem (Ac 22:1-21), l'autre au roi Agrippa II (Ac26:2,23) Ces deux derniers discours reproduisent deux récits de laconversion de Paul, légèrement différents entre eux et de la versiondu chap. 9; l'auteur, n'ayant voulu en supprimer aucune, ni serépéter, en a placé deux dans la bouche de l'apôtre; s'il n'avait étéen présence que de traditions orales, il eût facilement pu lesharmoniser. Quant au discours d'Antioche et aux trois autres, ils necontiennent rien qui soit en contradiction avec la théologie del'apôtre connue par ses épîtres, mais les idées spécifiquementpauliniennes (la croix et sa valeur rédemptrice, la justification parla foi, etc.) en sont absentes; il faut donc les utiliser avecprudence lorsqu'on veut caractériser sa prédication. Quant auxanalogies que ces sermons présentent avec le style des haranguesphilosophiques de l'époque (voir sur ce point p. ex. H. Norden, Agnôslos Théos), elles ne constituent pas une objection décisivecontre leur historicité, Paul ayant dû les connaître et ayant pu,dans certains cas, les imiter. 3. L'ami de Théophile a-t-il disposé d'autres sourcesécrites, notamment dans les deux premières part, du livre des Actes?C'est probable pour le récit de la conversion de Paul (Ac 9).Quant aux autres traditions recueillies, elles peuvent être parvenuesà l'auteur par la voie orale; quant aux doublets signalés plus haut,ils présentent des versions assez différentes pour avoir pu êtreinterprétées comme des récits d'événements distincts, même sansl'appui de sources écrites. Les indications assez brèves sur l'Églised'Antioche pourraient par contre provenir d'une chronique. Une grande partiede ces sources, orales ou écrites, ont jailli à Jérusalem, d'autres àDamas, à Antioche, à Joppé. Les renseignements sur l'évangélistePhilippe peuvent avoir été transmis à l'auteur par ses filles, quePaul et ses compagnons (et sans doute beaucoup d'autres chrétiensaprès eux) ont visitées à Césarée. De toute manière les deux premières parties, où se côtoient despéricopes de provenances et de caractères très divers, sont loin deprésenter l'homogénéité relative de la troisième; mais elles révèlentd'autant mieux la manière de composer de l'auteur du livre. Soucieuxde présenter un ouvrage historique complet, il utilise sans trop departi pris, et en les juxtaposant, des récits de provenancesdiverses. C'est ainsi qu'il maintient les traditions qui suggèrent unrôle prépondérant des Douze dans l'histoire de l'Église, quoiquecette attente soit plutôt déçue par la suite du récit. A un certainmoment, il présente Pierre comme le champion par excellence de lamission parmi les païens, quoique la troisième partie du livreconfère ce rôle décidément à l'apôtre de Tarse. Le baptême chrétienest tantôt opposé (Ac 1:5) tantôt identifié (Ac 9:1816:15-33 etc.) au baptême par l'eau; parfois ils se suiventdans l'un ou dans l'autre ordre (Ac 8:16-17 10:44-48). Quant auxidées christologiques, elles présentent, malgré l'absence des idéespauliniennes, johanniques ou alexan-drines sur la préexistence, uneassez grande variété, Jésus étant présenté parfois comme instructeur,comme prophète, comme fils de l'homme, ou comme simple homme élevé àla dignité de fils de Dieu après sa résurrection (voy. p. ex. Ac2:22 3:22 4:27-30 5:31 7:37) Le point de vue personnel de l'auteur peut être saisi parfoisindirectement si l'on tient compte de la manière dont il présente lesévénements. Ainsi nous constatons que les conflits entre un partijudéo-chrétien très puissant et l'apôtre Paul sont loin de présenterle caractère aigu, profond et acharné que nous leur connaissons parles épîtres de l'apôtre des Gentils. L'auteur insiste au contrairesur tout ce qui peut rapprocher Paul de Jérusalem et notamment dePierre. Il croit même (Ac 15:20) que Paul se serait laisséimposer pour ses. Églises les commandements dits noachiques, faitdémenti par Ga 2:10 et par les renseignements sur les coutumesdes Églises pauliniennes donnés dans les épîtres de leur fondateur.L'École de Tubingue a voulu voir dans cette manière d'écrirel'histoire une déformation volontaire de la vérité au profit d'unetendance conciliatrice. Mais on s'accorde généralement à voir dansl'auteur un homme de bonne foi, vivant à une époque et dans un milieuoù la portée et le sens des événements n'étaient plus toujours biencompris. Toutefois le conflit entre Paul et Pierre à Antioche, quiavait dû faire quelque bruit dans les Églises, a pu être éliminéintentionnellement. De même le discours d'Etienne semble abrégé.Cette manière de composer de notre auteur, dont le sens critiquen'égale pas toujours le souci d'être complet, rappelle d'une façonfrappante celle du troisième évangile, dont les «Actes» serapprochent également par le vocabulaire, le style, une certaineprédilection pour les récits de voyage, les scènes pittoresques,parfois légèrement humoristiques. Il n'y a donc pas lieu de douter del'identité de l'auteur des Actes avec celui du troisième évangile,attestée d'ailleurs par les prologues.L'AUTEUR.Qui est cet auteur? Une tradition remontant au II e siècle (CanonMuratori 1-8, 34, 39; Irénée, adv. Hcer. III, 1; III, 14)désigne comme tel le médecin Luc, nommé Col 4:14,2Ti 4:11 etPhm 1:24. Cette thèse a encore été défendue récemment par dessavants de la valeur de Harnack et de Ed. Meyer. Mais d'une manièregénérale elle est de plus en plus abandonnée parce qu'elle se heurteà de graves difficultés. Comment se fait-il, en effet, qu'uncompagnon de Paul ait pu si mal connaître et ses idées et sa vie,qu'il ait présenté ses rapports avec l'Église de Jérusalem sous unautre jour que l'apôtre lui-même? (cf. surtout les deux récits sur le«Concile» de Jérusalem: Ga 2 et Ac 15). Comment expliquerl'absence des idées spécifiquement pauliniennes, comme lajustification par la foi? Comment comprendre l'acceptation sansréserve de certaines traditions au sujet de la résurrection duSeigneur, qui supposent une conception peu en accord avec les idéesde Paul, à savoir la revivification du corps terrestre? Pourquoi lelivre des Actes parle-t-il (Ac 11:30) d'un voyage de Paul àJérusalem entre son voyage mentionné Ac 9 (cf. Ga 1:18) etcelui de Ac 15, (cf. Ga 2:10) lequel voyageintermédiaire est expressément nié par Ga 1:22-2:17? Veut-onidentifier, au contraire, les récits de Ga 2 et Ac 11:30?Alors il faut s'étonner que cette entrevue jugée si importante parPaul ait été rapportée d'une manière si brève par notre auteur.Cependant la tradition lucaine ne semble pas être sans valeur. Rienn'empêche, en effet, que le récit à la 1 re personne dont nous avonsparlé plus haut ait été écrit par Luc, qui aurait accompagné sonmaître pendant une partie de ses voyages. On peut même aller jusqu'àadmettre que celui-ci s'est servi de son propre journal comme based'un récit des voyages de Paul, plus court ou plus long que celui quenous possédons, et dans lequel il aurait lui-même inséré certainesautres traditions. Ce récit primitif aurait ensuite pu être remaniépar l'auteur du livre, c-à-d. l'ami de Théophile. Ce ne serait pas lapremière fois dans l'histoire de la littérature biblique ou profaneque l'auteur d'une partie d'un ouvrage aurait prêté son nom au tout. Distinguer Luc de l'auteur à Théophile et limiter l'apport de Lucau récit de voyage représenté essentiellement par les textes à lapremière personne--solution qui est d'ailleurs suggérée par le texted'Irénée lui-même--c'est donc, comme on a fort bien dit, rétablir etla sincérité de Paul et celle de son compagnon. Une seule hypothèsepourrait sauver, du moins apparemment, la thèse de l'origine lucainede tout le livre: celle de Loisy, d'après laquelle le travail de Lucne nous serait parvenu que sous une forme profondément altérée. Maisd'une part cette explication soulève de nombreuses autresdifficultés, d'autre part les altérations et additions réelles, commel'insertion du deuxième récit de l'Ascension, peuvent s'expliquer parl'intervention d'une troisième main. Pourquoi l'auteur à Théophile ne raconte-t-il pas la fin de Paul?Plusieurs hypothèses ont été imaginées à ce sujet. Sa sources'arrêtait-elle au moment où la décision du tribunal romain aurait dûêtre relatée? On ne comprend pas pourquoi dans ce cas il n'a pu seprocurer d'autres renseignements sur cet événement assurément bienconnu des chrétiens de Rome. La mort lui aurait-elle retiré la plume?La date qu'on est obligé de fixer à la rédaction du livre (voir plusloin) rend cette explication peu probable. Il faut donc admettre, àdéfaut d'une explication plus satisfaisante, ou bien la perte desdernières lignes de l'ouvrage, ou bien une interruption du travailcausée soit par le désir d'ajouter un troisième tome, soit par desmotifs d'ordre politique, une condamnation de Paul cadrant trop malavec le souci d'atténuer le plus possible la responsabilité desRomains, ou encore d'ordre ecclésiastique (voir O. Cullmann dans Rev. Strasb. 1930, p. 294).DATE DE LA REDACTION DE L'OUVRAGE PAR L'AMI DE THEOPHILE.Elle doit être postérieure à la rédaction du 3 e évangile par le mêmeauteur, celle-ci étant généralement fixée entre 70 et 80. D'autrepart, l'auteur ignore encore le recueil des épîtres pauliniennes quisont déjà connues par Clément Romain, c-à-d. peu après 90. On peutdonc s'arrêter approximativement à l'an 85. Cette date devrait êtreavancée malgré tout d'une dizaine d'années, s'il était prouvé quenotre livre a utilisé les oeuvres de l'historien Josèphe. Mais lesressemblances (il s'agit surtout des pseudo-Messies Theudas et Judasle Galiléen, dont il est question dans des termes analogues Ac5:36-37 et Jos Ant., XX, 5:1 - 2) s'expliquent mieux parl'hypothèse d'une source commune (voir Goguel, Act., p. 117-129). Quant au lieu de la composition et à la résidence dudestinataire--qui n'est connu que de nom--nous n'en savons rien.VALEUR HISTORIQUE.La valeur historique du livre a été appréciée très différemment. Ilfaut se garder de porter un jugement en bloc. La question doit aucontraire être posée pour chaque péricope en particulier, vu que lavaleur d'un renseignement dépend, comme dans le 3 e évangile, dansune large mesure des sources utilisées. En ce qui concerne Paul, elleest naturellement particulièrement haute pour le récit de voyage à lapremière personne, ainsi que pour les détails concordant avec letémoignage des épîtres pauliniennes, et notoirement faible pourtoutes les parties contredisant celles-ci. Pour les autres péricopes, nous disposons d'un bon critère: unfait, une coutume ou une idée est d'autant mieux assuré qu'ilcontredit l'état de choses présupposé par la théologie etl'apologétique des générations postérieures. C'est pourquoi lesrenseignements sur les succès de missionnaires ou de chefs d'Églisesn'appartenant pas au collège des Douze (Jacques frère de Jésus,Etienne, Philippe, etc.) sont, sous réserve du jugement sur lesdétails, particulièrement dignes d'attention; de même des récits surle baptême par l'Esprit distingué du baptême par l'eau. Il en est demême des textes contenant les jugements relativement favorables surdes gnostiques (Simon dans le premier récit sur la mission enSamarie, Ac 8:4-17) ou des baptistes (Apollos et sescoreligionnaires, Ac 18:24-19:7). C'est pour la même raison quedes discours ou des récits soulignant l'attente de la parousie prochaine du Seigneur, ou impliquant la croyance à la légitimitéd'un prophétisme indépendant de toute autorité ecclésiastiqueextérieure, ou contenant l'aveu d'une attitude méfiante des chrétiensde Jérusalem à l'égard de la mission en terre païenne, appartiennent,en général, à des couches plus anciennes que celles où desconceptions opposées s'accusent. Judicieusement utilisé, le second tome de l'ouvrage de Théophilepeut donc, comme d'ailleurs le premier, fournir des enseignementstrès précieux sur la vie de la primitive Église. Valeur religieuse et pédagogique. Quiconque sait apprécier lavariété des tableaux pour la plupart fort dramatiques réunis dans celivre, et d'autant plus saisissants qu'ils sont plus sobres enexagérations hagiographiques que les nombreux livres d'Actesapocryphes, y trouvera, malgré certaines imperfections, des trésorsqui ne demandent qu'à être exploités. L'art chrétien ne s'y est pastrompé (Raphaël, etc.). Mais la théologie de vulgarisation a parfoisrendu un mauvais service à notre livre en le considérant avant toutcomme une chronique donnant une vue d'ensemble exacte et complète del'histoire du christianisme primitif. Cette manière de voir nonseulement se heurte à des difficultés d'ordre critique, mais risquede voiler l'originalité des péricopes et de fondre dans une vued'ensemble aux contours plutôt vagues et les faits et les personnes.Les uns et les autres reprennent au contraire leur couleur originaleet parfois pittoresque, lorsqu'on se donne la peine d'étudier chaquetableau pour soi et sans souci excessif de les harmoniser. De cette manière, même des récits quelque peu contradictoires oud'une portée historique moindre que celle que suppose l'auteur,pourront prendre une grande valeur comme témoignage de l'espritreligieux et notamment de l'enthousiasme pour le Messie Jésus et lapuissance de son Évangile qui animait cette période classique duchristianisme. C'est cette foi que l'instructeur devra faire revivreà l'aide des récits de ce livre unique. Jean H. EXTRAIT DE BIBLIOGRAPHIE E. de Faye, Origines des Églises de l'âge apost. Paris 1909;A. Loisy, Les Actes (introd., trad. et comment.), Paris 1920; Bible du Centenaire, t. IV, p. 177-228, Paris 1921;E. de Faye, De la valeur documentaire du livre des Actes (Rev. Strasb. 1921, p. 301-316);M. Goguel, Introd. N.T., t.III, Paris 1922;F. Jackson et K. Lake, The Acts of the Apostles 1re partie de The Beginnings of Christianity, vol. 1: Jewish, Gentile and ChristianBackground, London 1920; vol. 2: Criticism, 1922; vol. 3: Text, 1926;Jacquier, Les Actes (Introd., trad. et comment., point de vue cathol.), Paris 1926;P.-L. Codchoud et R. Stahl, Les deux auteurs du livre des Actes Voir aussi les Commentaires sur le livre des Actes