CANON DE L'A.T.

Quand nous parlons de Canon et de Canonicité, nous employonsdes termes qui, jusqu'au IV e siècle de l'ère chrétienne, n'avaientpas reçu le sens que nous leur attribuons aujourd'hui. «Canon» est unmot grec, signifiant baguette ou règle de charpentier, et qui, parextension, a pris le sens général de «règle»; par ex., dans Ga6:16: «Paix sur tous ceux qui suivront cette règle» (grec canon). Finalement, ce mot a désigné une liste ou un catalogue delivres représentant cette règle et que l'autorité a déclaré être lasainte Écriture. Toutefois, bien que les mots canon et canonicitén'aient été pris dans leur sens moderne qu'à une époque récente, lachose existait depuis longtemps. Quatre siècles environ avant J.-C,la Thora (loi du Pentateuque) était reconnue, mais d'une façon quenous ne pouvons appeler canonique, pour cette seule raison qu'il yaurait là un anachronisme. Deux siècles avant J.-C, les prophètesavaient obtenu semblable «reconnaissance»; tous les livres de l'A.T.étaient probablement composés un siècle avant l'ère chrétienne, et laplupart, sinon la totalité, sont déjà reconnus dans le N.T. commeÉcriture sainte. Lorsque nous entreprenons l'histoire du canon de l'AncienTestament, il existe extrêmement peu de témoignages extérieurs dignesde foi pour nous guider. Tous les passages qui jettent quelquelumière sur le problème peuvent être imprimés en six ou sept pages.C'est pourquoi nous sommes ramenés à l'A.T. lui-même et à quelquesallusions éparses, encore que significatives, qui se rencontrent dansdes sources hébraïques ou grecques. Il nous faudra commencer par la Bible hébraïque et non par laBible française; car l'ordonnance de cette dernière est inspirée parcelle de la Vulgate, qui elle-même avait subi l'influence de laversion grecque connue sous le nom des Septante (LXX), dans laquellecertains faits de haute importance sont déjà altérés. Par exemple,les livres de l'A.T. hébraïque sont divisés en trois parties,dénommées: «la Loi, les Prophètes et les Écrits». La Bible françaiseignore cette division; en outre, les noms et l'ordre de ses livres nesont pas ceux de la Bible hébraïque, mais ceux de la Version des LXX:les prophètes, par exemple, sont relégués à la fin, tandis que Ruthapparaît après les Juges, les Lamentations après Jérémie, alors que,dans la Bible hébraïque, ces deux livres font partie de la dernièresection, les «Écrits». Dans l'ordre grec, suivi par les versionsmodernes, la critique a déjà été à l'oeuvre, en arrangeant librementles matériaux, surtout d'après les sujets, ce que la table de Segondou de la Vers. Syn, met en évidence: «les livres historiques, leslivres poétiques, les prophètes». Mais cette disposition voile lefait, suggéré par l'ordre hébraïque, que certains livres, comme lesChroniques, furent écrits plus tard que d'autres, tels que les Rois,avec lesquels ils voisinent, et ont été introduits dans le Canonpostérieurement à ceux-ci. La division de la Bible hébraïque en trois parties a étéexpliquée de diverses manières: une explication, par exemple, est queces trois parties impliquent différents degrés d'inspiration, laThora étant regardée comme inspirée au plus haut degré et les Écritsau moindre; mais l'explication véritable est probablement celle-ci,que les divisions marquent des stages successifs dans ce que nouspouvons appeler la reconnaissance canonique de la littérature sacrée.La Loi a reçu d'abord cette reconnaissance, vers 400 av. J.-C; lesProphètes ont eu leur tour vers 200 et les Écrits cent ans environav. J.-C. L'unité de l'ensemble, en dépit de sa division tripartite,a été entièrement reconnue, ce que prouve avec évidence le N.T., quil'appelle «les Écritures» (Mt 22:29) ou «les saintesÉcritures» (Ro 1:2,2Ti 3:15). Par contre, il est incontestableque le nom d' «Ancien Testament», par son contraste avec le «NouveauTestament», apporté par Christ, (cf. 2Co 3:6,14) n'est pas juif,mais chrétien. A l'intérieur de cette division en trois parties existenttoutefois des subdivisions. Non pour la Thora: elle restait toujourselle-même, une et indivisible, et était regardée comme la base detout. Mais les «prophètes» ont été partagés par les Massorètes en«prophètes antérieurs», comprenant les quatre livres historiques:Josué, Juges, Samuel et les Rois (chacun des deux derniers considérécomme un seul livre) et les «prophètes postérieurs», au nombre dequatre aussi: Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et les douze (connus sous lenom de «petits prophètes» et réunis en un livre).Ici se posent deux questions: Pourquoi les livres historiques étaient-ils joints à la division prophétique? (a) On a prétendu qu'ils avaientété placés parmi les «prophètes», parce qu'ils sont en grande partiecomposés des actes des prophètes et racontent leurs carrières. Lelivre de Samuel esquisse l'activité du prophète Samuel, tandis quecelui des Rois donne une grande place à l'oeuvre d'Élie,d'Elisée (1Ro 1:7-2Ro 10), d'Ésaïe (2Ro 18 2Ro 19 2Ro 20). (b) Une autre explication est celle-ci: ces livres ontété écrits par des prophètes. Ceci, quoique très improbable, est vraidu moins en ce sens que ces livres ont été écrits avec un butreligieux et pour développer les vérités prêchées par les grandsprophètes: Dieu dirigeant l'histoire, son amour pour Israël, lecaractère impératif de la loi morale, et les peines inexorables quisuivent la désobéissance à cette loi. Que devons-nous entendre par prophètes «antérieurs » et «postérieurs »? --Ces derniers sont les prophètes proprement dits: Ésaïe,Jérémie, Ézéchiel et les Douze. Le Talmud les place dans l'ordresuivant: Jérémie, Ézéchiel, Ésaïe et les Douze. Cela tient, a-t-onsupposé, au fait que la dernière partie d'Ésaïe datait du temps del'exil. On appelait ces prophètes «postérieurs», probablement parceque leur recueil a été fermé plus tard que la collection des livreshistoriques, en d'autres termes parce qu'ils ont atteint plus tard la«canonicité». L'exil marque une très réelle coupure dans l'histoired'Israël, et il semble avoir été une période d'activité littéraireconsidérable. C'est alors que les matériaux historiques qui ont servide base aux livres des Juges, Samuel et Rois ont été rédigés par deshommes qui, écrivant sous l'influence du Deutéronome, découvert en621 av. J.-C, cherchaient à pénétrer leurs contemporains dessolennelles leçons renfermées dans ce grand livre et, pour cela,présentaient l'histoire de façon à faire ressortir ces leçons:sagesse de l'obéissance à la volonté de Dieu, folie et châtiment dela désobéissance. Cette collection des livres historiques aprobablement précédé celle des livres prophétiques. Mais lesécrivains y trouvaient un stimulant de plus à rassembler et àconserver les précieuses paroles des prophètes, si pleinesd'enseignements, d'avertissements et d'inspiration. Beaucoup de cesparoles existaient déjà sous une forme écrite; (cf. Esa 30:8,Jer36:32) mais comme la voix du prophète vivant pouvait encore sefaire entendre jusqu'à Malachie (450 av. J.-C.) et peut-être au delà,il est évident qu'une collection étendue des prophéties n'a puexister que bien plus tard, et la date à laquelle elles ont atteintla dignité canonique a été postérieure encore. La subdivision en «antérieurs» et «postérieurs», à laquelle a étéajoutée la mention de «petits» prophètes, réapparaît dans latroisième section de l'A.T., appelée «les Écrits», (a) Les trois grands livres: Psaumes, Proverbes etJob, étaient les «Écrits antérieurs», les Psaumes étant précédés deRuth, parce que la fin de ce livre donne là généalogie de David; (b) venaient ensuite les «petits Écrits»: le Cantique,l'Ecclésiaste et les Lamentations; (c) enfin les «Écrits postérieurs»: Esther, Daniel,Esdras, Néhémie et les Chroniques. La liste ainsi formée donne corpsà cette vérité, que les «Écrits antérieurs» contiennent beaucoup dematériaux primitifs, tandis que les «Écrits postérieurs» sontregardés par la critique moderne comme ayant une origine beaucoupplus récente et appartenant aux III e et II e siècles av. J.-C.Une autre subdivision, plus généralement acceptée, de la troisièmesection est: (a) les «Grands Écrits» (Psaumes, Proverbes, Job); (b) les cinq rouleaux (Cant., Ruth, Lam., Eccl.,Esth.), qu'on lisait aux diverses fêtes; (c) Daniel, Esd., Néh., Chron.Il est clair, d'aprèsMt 23:35, que les Chroniques étaient le dernier livre de l'A.T.familier à notre Seigneur, (cf. 2Ch 24:20 et suivant) tout commeil est le dernier livre de l'A.T. hébraïque. Avant d'aborder la discussion de la formation du Canon,considérons ce que ce nom implique. Un Canon n'est pas une apparitionsoudaine, mais une croissance graduelle; comme tel, il représente: (a) une Église ; (b) une littérature (a) Une Église a besoin de soutiens pour sa viereligieuse. Elle peut en trouver dans la coutume, la tradition, lesinstitutions et les voix de ses prêtres ou prophètes. Mais, à lalongue, elle éprouve le besoin d'une autorité permanente,représentative de la volonté divine. Un Canon implique une Église,une communauté de croyants, que leurs besoins religieux stimulent àrassembler et conserver des écrits qui ont déjà fait la preuve deleur puissance. L'Église a adopté et sanctionné certains livres,parce qu'ils répondaient à ses besoins. (b) Un Canon implique une littérature danslaquelle l'Église fait une sélection. Les Hébreux ont dû avoir, à unecertaine époque, une littérature bien plus considérable que celle del'A.T. Ce dernier lui-même y fait des allusions qui ne sont pasrares. Elle comprenait des hymnes de mariage, comme le Ps 45,des chants d'amour tels que le Cantique des Cantiques, et descomplaintes pour les morts. Si la littérature hébraïque qui subsisteest inspirée par un but religieux, ce fait est dû, non seulement àl'inclination religieuse du génie hébreu, mais à la circonspectionavec laquelle elle a été sélectionnée pour atteindre ce but. Noustrouvons de très bonne heure la trace d'un esprit préoccupé deretenir tout ce qui favorisait et développait la vie religieuse dupeuple: cela est évident pour la poésie et les lois primitives, etplus tard il en fut de même pour les livres historiques etprophétiques. Nous voyons encore des preuves de ce fait, d'une part dans leDécalogue et le Livre de l'Alliance (Ex 20, Ex 21 Ex 22 Ex 23), enchâssésdans le Pentateuque, d'autre part dans le chant de Débora (Jug5); ce dernier est une ballade de guerre, mais aussi un hymnereligieux: son but est indiqué par le verset 11: «célèbrent lesbienfaits de l'Éternel»; et sans aucun doute, cet hymne est le plusremarquable parmi bien d'autres semblables. Au surplus nous trouvonsplus d'une allusion à deux collections de chants analogues: l'une estle livre du Yachar (Jos 10:12 et suivant, 2Sa 1:18) ou duJuste (voir ce mot), qui semble avoir été un recueil de poèmesrelatant les exploits ou la vie de quelques-uns des grands hommes destemps anciens; l'autre est le «Livre des guerres de Jéhovah», dontnous possédons un court extrait dans No 21:14. Telle était lalittérature primitive dans laquelle Israël put faire un choix, quandle temps fut venu de choisir. Il est évident aussi que des documentsimportants étaient soigneusement conservés (De 31:26,1Sa 10:25),tout comme plus tard on garda précieusement les Proverbes (cf. Pr25:1) et les prophéties. Zacharie, par exemple, parle nettement des«premiers prophètes», c'est-à-dire de ceux d'avant l'exil (Za 1:47:7-12); et le livre des Rois est rempli d'allusions à deshistoires, depuis longtemps disparues, des rois d'Israël et de Juda. Il est incontestable que la Thora, c'est-à-dire le Pentateuque,fut la première partie de l'A.T. qui reçut la canonicité. Les Juifsla regardaient comme le Saint des saints, et elle fut traduite engrec avant le reste de l'A.T. Toutefois, la Thora se compose dedifférents éléments, soit historiques, soit relatifs aux lois, etcertains d'entre eux devinrent, pourrait-on dire, canoniques de faitavant les autres. Le premier pas dans la direction d'une canonicitédéfinitive de la Thora est représenté, en 621 av. J.-C, parl'acceptation publique du Deutéronome comme loi religieuse de la vienationale. En cette année-là, un livre fut découvert qui est désignénon seulement comme le Livre de la Loi (2Ro 22:8), mais comme leLivre de l'Alliance (2Ro 23:2) et que la plupart des critiquesmodernes supposent être le livre du Deutéronome (voir ce mot),sûrement dans une forme plus abrégée que celle que nous possédons. Ilest inutile d'entrer ici dans les raisons qui militent en faveur decette opinion; il suffit de constater que la réformation de Josiassemble avoir été fondée, point par point, sur ce livre. Pour nous, lefait important c'est que le peuple s'engagea à obéir de tout soncoeur aux préceptes du Livre (2Ro 23:3). On peut donc affirmerqu'à ce moment, dans l'Église juive, l'idée de canonicité était née.Les mots d' «Église» et de «canonicité» peuvent sans doute paraîtrepeu appropriés; mais ce que nous voulons établir, c'est que les vraisadorateurs de Jéhovah se sont placés eux-mêmes, de façon positive etsolennelle, dans l'obligation de se conformer aux ordonnances d'unlivre. Par cet acte, le principe de canonicité est implicitementétabli. Le peuple avait fait le premier pas pour devenir «le peupledu Livre», et il l'avait fait parce que le Livre faisait appel à saconscience, et qu'en ce Livre il voyait la Parole de Dieu. C'est, comme nous l'avons vu, dans l'esprit du Deutéronome quefut rédigée durant l'exil l'histoire comprise entre les premierstemps des Juges et la chute de la monarchie en 586 (Juges-2 Rois);aussi le Deutéronome imprima-t-il une marque ineffaçable, nonseulement sur la vie des Hébreux, mais sur leur littérature. Il estdifficile de ne pas voir dans l'apparition de ce livre une preuvefrappante de la grâce providentielle, s'exerçant exactement unegénération avant que le peuple, emmené en exil, fût violemment séparéde tous les appuis extérieurs de sa foi. La grâce divine voulut quelui fût apporté un livre capable tout ensemble: de nourrir sa viespirituelle dans le pays païen où il devait séjourner un demi-siècle,de constituer un centre de ralliement pour la conscience nationale,et de conserver au peuple son individualité religieuse, à un momentoù elle était sérieusement en péril. Il perdit son royaume terrestre,mais il gagna une Bible qui, avec le temps, lui valut un royaumeéternel.La Loi. Le deuxième degré dans l'évolution de la Thora vers la canonicité futfranchi quand Esdras «vint de Babylone avec la Loi de Dieu dans lesmains» (Esd 7:6,14), en l'an 458 ou 397 av. J.-C, (ce point estincertain), et qu'il lut et expliqua cette Loi (apparemment les loissacerdotales du Pentateuque) dans une grande assemblée qui dura unesemaine (Ne 8:18). Comme autrefois, au temps de Josias, lepeuple s'engagea à observer cette Loi (Ne 10:29); et cetengagement équivaut à une ratification canonique de la Thora,c'est-à-dire du Pentateuque, qui bientôt après dut exister ensubstance sous sa forme actuelle. Il est significatif, pour toute l'histoire subséquente dujudaïsme, que la Loi fut la première partie de l'A.T. à devenircanonique. Mais il convient de se rappeler que cela n'impliquaitpoint, à l'origine, asservissement à la lettre; car, même en 250 av.J.-C, quand la Thora fut traduite en grec, le texte de Ex 35 àEx 40 n'était pas encore absolument fixé. Il ne faut pas oubliernon plus que, précisément dans cette période de légalismegrandissant, furent écrits les livres généreux de Jonas et de Ruth,et sans nul doute aussi quelques-uns des Psaumes les plusuniversalistes et de la plus haute valeur spirituelle. Néanmoins laLoi conservait sa prépondérance, et son influence était telle que,même au temps du N.T., elle donnait son nom à la totalité de l'A.T.,et d'autres parties de l'A.T. sont citées comme «la Loi». (cf. Jn10:34 15:25,1Co 14:21)Les Prophètes. La section de l'A.T. connue sous ce nom ne devint canonique que plustard. La date exacte en est difficile à déterminer, mais elle doitêtre voisine de 200 av. J.-C. La collection prophétique sembleprésupposée par l'allusion de Da 9:8 (165 av. J.-C.) aux«Livres» qui contenaient une prophétie de Jérémie. Cette opinion estcorroborée par le fait suivant--que nous découvrons dans le prologueà la traduction de l'Ecclésiastique par le petit-fils de l'auteur(Jésus, fils de Sirach)--: déjà au moment où il écrivait (132 av.J.-C.), il existait une traduction grecque des livres prophétiques.Suivant une tradition qui peut renfermer un noyau de vérité, Néhémiefonda une bibliothèque où il réunit «les livres concernant lesprophètes» (2Ma 2:13); en ce cas, le début de lacollection prophétique remonterait à environ 450 av. J.-C, date quiest aussi approximativement celle de Malachie, l'un des derniersprophètes. L'exil avait prouvé la justesse des avertissementsmenaçants donnés par les premiers prophètes; il renforçait la notionde leur valeur et la nécessité de rassembler ces avertissements. Enoutre, la disette de prophètes vivants développait le sentiment queles grands jours de la prophétie étaient passés, bien qu'on pûtconserver un espoir de leur retour (Mal 4:5 et suivant, 1Ma 4:46 9). C'est ainsi que les grands messages des prophètes disparus prenaient toujours plus de prix, surtout pour deshommes vivant sous le règne de la Loi et du rite, et éprouvant lebesoin d'une autre nourriture spirituelle. Trois puissants motifs ont donc concouru à la formation durecueil prophétique: (a) le désir de conserver de si importants souvenirsd'un grand passé; (b) les besoins de l'esprit religieux, qui réclamaitla prophétie autant que la Thora; (c) la disparition de la prophétie. En présence detous ces faits, nous croyons fondés à supposer que la collection prophétiquefut close vers 200 av. J.-C.; et nous pouvons y voir, une fois de plus,l'oeuvre de la grâce providentielle: car, lorsqu'à peine plus detrente ans après, Antiochus persécuta cruellement les Juifs et renditla possession de la Thora punissable de mort, le recueil desprophètes était déjà là pour assurer l'individualité religieuse dupeuple hébreu, assailli par la culture grecque et les glaives syriens.Les Écrits. A trois reprises, le Prologue de l'Ecclésiastique fait allusion à ladivision tripartite de l'A.T., mais de façon à faire penser que latroisième division (les Écrits) n'était pas encore tout à fait aussifixée que les deux autres, car il mentionne «la Loi et les prophètes»(ou prophéties) et «les autres livres (ou le reste deslivres) de nos pères». Et le passage, déjà cité, de 2Ma2:13, laisse entendre que la bibliothèque fondée par Néhémiecontenait «les poèmes de David» (allusion probable au Psautier) etdes «lettres de rois concernant des dons sacrés» (peut-être référenceà Esdras et Néhémie). Une telle collection a dû être enrichie debeaucoup d'autres livres (Prov., Job, etc.) au cours des troissiècles suivants, et il y a sans doute du vrai dans cetteaffirmation, que «Judas a rassemblé toutes les Écritures que notreguerre avait dispersées» (2Ma 2:14). Ainsi la persécutiond'Antiochus (168 av. J.-C.) a pu stimuler les Juifs à compléter lacollection des trésors littéraires de leur religion, et «les Écrits»auraient été la contre-partie littéraire de la révolte desMacchabées. Une collection comprenant Daniel, écrit en 165 av. J.-C,n'a guère pu être close avant 140; mais, presque à coup sûr, vers 100av. J.-C, la collection des «Écrits» a dû recevoir l'autoritécanonique. En cette occurrence, le témoignage du N.T. est d'une importanceextrême. La référence, dans Lu 24:44, à «la Loi de Moïse, lesprophètes et les Psaumes», ne prouve pas absolument que la troisièmesection, «les Écrits», fût dans son entier regardée comme livressaints; mais l'allusion de Jésus, dans Mt 23:35, au sort deZacharie (qui est relaté dans 2Ch 24:21), semble indiquer que saBible, comme la Bible hébraïque d'aujourd'hui, se terminait auxChroniques et que, de son temps, les Écrits dans leur totalitéétaient regardés comme canoniques. Ce fait est confirmé par lescitations de l'A.T. dans le N.T., où apparaissent tous les livres del'A.T., sauf Esther, l'Ecclésiaste, le Cantique, Esdras, Néhémie,Abdias, Nahum et Sophonie; mais les cinq dernières exceptions sontsans importance, car Esdras et Néhémie vont avec les Chroniques, etles trois derniers noms appartiennent au recueil des petitsprophètes, qu'on regardait comme un seul livre, et dont d'autresparties sont fréquemment citées. Par ailleurs, il y a dans le N.T.des citations de livres apocryphes ou apocalyptiques, ou desallusions à ces livres. (cf. 2Ti 3:8,1Co 2:9,Jude 1:9,14)Quelques-uns en ont déduit que la troisième division n'était pasencore fixée au temps du Christ. Le plus probable est que, sans êtreencore officiellement fixée, elle était bien reconnue tacitementcomme telle dans l'opinion publique. Cette conclusion est suggéréepar la manière dont le Nouveau Testament se réfère à l'Ancien comme«l'Écriture», «les Écritures», ou «les saintes Écritures». (cf. Ga3:8) Plus tard Josèphe (vers 100 ap. J.-C), dont le Canon est lemême que le nôtre, dit que «bien qu'un temps si considérable aitpassé, personne n'a jamais osé se permettre d'ajouter ou deretrancher ou de modifier une syllabe»; le contexte donne à penserqu'il regardait le Canon comme fermé depuis près de quatre siècles.Nous pouvons donc sans crainte dire que «les Écrits» étaientpratiquement un recueil canonique au temps du Christ, et probablementune centaine d'années auparavant. Mais la canonisation pratique n'est pas identique à lacanonisation officielle. Celle-ci ne semble avoir eu lieu que deuxsiècles plus tard, au Synode de Jamnia (90 ou 118 ap. J.-C). Il yavait alors de bonnes raisons pour prendre la décision officielle:Jérusalem était tombée, le temple en ruines, le judaïsme en péril. Età nouveau, comme il l'avait fait à deux reprises, le judaïsme sauvason existence en sauvant ses Écritures. A la faveur de la languegrecque, le christianisme s'étendait rapidement; religion nouvelle,il était regardé comme un ennemi dangereux, qu'il fallait combattreénergiquement, et, avec l'extraordinaire vitalité qui n'a jamais faitdéfaut au judaïsme, il se montra à la hauteur des circonstances. UneÉcriture dont sa vie dépendait devait être un recueil aux limitesarrêtées, et au texte fixé, sans aucun doute possible. Ainsi, commel'a dit Cornill, «l'établissement et la fermeture du Canon furent unacte nécessaire et conscient du judaïsme pour assurer sa propreconservation; mais il ne faut pas oublier que les scribes ontseulement sanctionné le Canon, que ce n'est pas eux qui l'ont fait».Les livres sur lesquels le sceau canonique fut finalement apposéavaient déjà, depuis des siècles, établi leur pouvoir en soutenant eten inspirant la foi du peuple hébreu et en nourrissant pard'innombrables voies sa vie religieuse. Même longtemps après cettedate, des doutes s'élevèrent à propos de certains livres, enparticulier l'Ecclésiaste, Esther et le Cantique; mais ces doutes,qui souvent reposaient sur des motifs sans valeur, étaient surtoutacadémiques et n'eurent pas assez d'influence pour ébranlerl'autorité canonique de la collection dans son ensemble. L'A.T. grec comprenait, outre des matériaux légendaires, quelqueslivres, comme les Macchabées et l'Ecclésiastique, qui sembleraientmériter de trouver place dans le Canon. Luther, par exemple, enjugeait ainsi pour les Macchabées. Mais les Juifs de Palestine, plusstricts que les Juifs alexandrins de langue grecque, semblent avoirété guidés par des principes sûrs en excluant les livres connus commeapocryphes.Pour être admis dans le Canon, un livre devait: (a) être écrit en hébreu ou en araméen: un livre grec,même bon, n'en avait aucune chance; (b) être ancien ou réputé tel: ainsi l'Ecclésiasteétait associé au nom de Salomon; (c) enfin, pour les livres historiques, se rapporter àla période classique, que termina l'établissement du gouvernementsacerdotal (hiérocratie). Ce principe fit admettre Esdras et Néhémieet exclure 1 Macchabées. L'esprit moderne ne s'accommoderait certainement pas de cescritères; mais le résultat de leur application a été, en somme,entièrement satisfaisant. Les Apocryphes servent souvent à donner durelief à l'A.T. et nous aident à comprendre à quel point l'instinctjuif a été sûr, qui a limité ses livres religieux à la littérature del'A.T. Le principe en vertu duquel les Juifs de langue grecqueadmettaient les Apocryphes était sans nul doute l'édification, et cefut aussi la pensée essentielle qui présida à la formation du Canonpalestinien et produisit l'A.T. tel que nous le connaissons dansl'Église protestante. Ses livres ont été, durant des siècles, l'appuiincontesté et précieux de la vie religieuse hébraïque. Ils ont vécu,parce qu'ils avaient le droit de vivre. Ils avaient aidé leurslecteurs à vivre. Mis à l'épreuve, ils n'avaient pas été trouvés endéfaut. J.-E. McF.