LE VATICAN, L’ARGENT
ET LE POUVOIR
Frédéric Harcourt
Mise en page par Jean leDuc
format Word -
format Pdf
-
format Mobile -
format Virtuel
INTRODUCTION:
Derrière les hauts murs qui enserrent le Vatican, se cache une
puissance mondiale financière et politique. Discrète. Coupée du
monde extérieur. Connue d'une poignée de personnes seulement.
Parfois, une information filtre; le plus souvent, quand quelque
chose ne va pas : un scandale, comme celui de la Banco
Ambrosiano, les placements 'imprudents' du cardinal Marcinkus...
Frédéric Hacourt, journaliste à Rome, rompt le mur du silence et
nous emmène à travers les dédales du Vatican. A travers les
structures, l'organisation, vers le centre de décision
véritable: là où se cachent les finances.
Saint-Siège et
Vatican
A Rome, le visiteur qui passe le
Tibre serpentant au milieu de la ville et emprunte l'avenue de
la Conciliation, brèche rectiligne taillée par les architectes
du fascisme, débouche sur la place Saint-Pierre. Et devant la
majesté simple des deux demi-cercles de colonnades dessinées par
Bernini pour "tenir dans leurs bras la chrétienté entière",
aussi devant cette façade baroque de la basilique, œuvre de
Maderno, qui ne parvient pas à éclipser l'harmonie de la coupole
projetée par Michel-Ange ce visiteur sera sans doute pris par la
sérénité, la magie des lieux. Il se sentira - ce qui est la plus
pure vérité transporté au cœur de la religion, de la
spiritualité. La proximité du Saint-Père lui donnera la
certitude de toucher le fond de la croyance. Il attendra une
apparition papale au grand balcon. Il priera, emporté par le
mouvement (tout canalisé) de la foule.
Ce visiteur, ainsi mobilisé, sera loin de songer que derrière
les façades historiques, derrière les hauts murs qui entourent
la Cité du Vatican, se cache l'un des grands centres de pouvoir
politique et économique mondiaux, protégé par l'atmosphère
feutrée de la cour des princes de l'Église et par l'immunité qui
découle de leur fonction. Un centre de pouvoir qui n'a d'égal .
si l'on envisage le secret qui l'environne, et ses méandres -
que le Kremlin en son temps. Mais ceci n'intéresse
pas notre visiteur. Son pèlerinage aux sources de la chrétienté
lui aura peut-être coûté des années et des années d'efforts
autant psychologiques qu'économiques. Peu lui importe alors, de
savoir ce qui est fait de son offrande (laissée dans des troncs
judicieusement placés sur son parcours), car il est venu ici
pour chercher l'espoir et le salut. Et il les a trouvés grâce
aux bons soins d'un pape moderne, féru de relations publiques,
d'effets théâtraux et de grandes entreprises publicitaires.
Laissons de côté la digne attitude du pèlerin parvenu à Rome.
Analysons plutôt le sens, la signification du trafic constant
qui unit le monde de la politique, le monde de la finance, et le
palais de l'Église. Tout d'abord, une distinction banale en
apparence mais essentielle dans ses effets: celle qui sépare
État du Vatican et Saint-Siège. Le Saint-Siège est
cette souveraineté abstraite du pape sur les catholiques,
estimés à 700 millions. Un organisme, bien que ne possédant
aucun territoire, reconnu par toutes les instances
internationales. A l'échelle planétaire, c'est la seule
exception du genre - si l'on exclut l'Ordre de Malte, par
ailleurs directement lié au Siège Apostolique Autour (ce concept
de Saint-Siège, gravitent toutes les nuances de l'Église
universelle. Différent est (la Cité du Vatican: ses
quarante-quatre hectares -distraits- à la ville de Rome sont en
fait ce qui subsiste des territoires pontificaux qui, il y a un
peu plus d'un siècle encore, barraient l'Italie du Latium aux
Marches. C'est un des plus petits états du monde avec le
Lichtenstein, la République de San-Marino et la Principauté de
Monaco. Il remplit les fonctions de support matériel aux
activités du Saint-Siège et de conservation de son patrimoine
religieux, artistique et culturel. Le pape en est le souverain
de droit absolu et divin, concentrant entre ses mains les trois
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le
point est de savoir lequel, du Saint-Siège et du Vatican, dépend
(le l'autre. Selon les paroles mêmes de Jean-Paul II, l'état
existe comme garantie de l'exercice de la liberté spirituelle du
Siège Apostolique, et donc comme moyen d'en assurer
l'indépendance réelle et visible dans son activité de
gouvernement en faveur de l'Eglise universelle ( ... ). Il ne
possède pas une société propre au service de laquelle il aurait
été créé, et ne se base pas non plus sur les formes d'action
sociale qui déterminent couramment la structure et l'organe de
tout autre État" Plus prosaïquement, Pie XI le définissait comme
"un petit lopin de terre bien utile au Saint-Siège".
Faisons un exemple concret : celui de la nationalité vaticane.
Son octroi ne suit aucune règle écrite, mais bien le bon vouloir
des autorités compétentes (les cardinaux) qui l'accordent en
reconnaissance d'un lien spécifique entre l'État et la personne
(et cela concerne avant tout les diplomates, les conseillers,
les employés laïques résidents et leur famille). Les citoyens du
Vatican sont à cette heure plus ou moins quatre cents.
L'attribution du passeport, par contre, est un privilège du
Saint-Siège. Car il faut savoir que l'État souverain du Vatican
n'entretient pas de relations extérieures. Ces passeports sont
actuellement au nombre de cent soixante, et en bénéficient les
ecclésiastiques diplomates. Et encore : le diocèse
de Rome, sous la dépendance directe du pape, est confié au
Vicaire Général de Sa Sainteté (le Belge Petrus Canasius Jean
Van Lierde) et au Vicaire Général de Rome, archiprêtre de
Saint-Jean de Latran. Nous avons compris? Rien n'est moins sûr.
D'ailleurs, des générations et des générations de juristes
italiens se sont arraché et s'arrachent encore les cheveux pour
tenter de délimiter la souveraineté de l'État du Vatican et
celle du Saint-Siège. Et sans succès. Car si l'État, en vertu
des règles internationales, détient certaines franchises, le
Saint-Siège, en vertu d'autres règles tout aussi reconnues,
bénéficie de facilités connexes qui en partie recouvrent les
premières. L'État du Vatican est un territoire, avec citoyenneté
mais avec diplomatie ; la citoyenneté ne donne pas droit au
passeport, et le passeport encore moins à la citoyenneté; ce qui
n'est pas du ressort du Saint-Siège est du ressort de l'État, et
vice-versa ; un simple changement d'attribution peut déterminer,
par exemple, un régime fiscal différent. Le tout, dans le
royaume de l'ambiguïté. Et nous allons le voir, source d'une
immense fortune pour le Saint-Siège (ou pour le Vatican ?).
Ainsi, le pape (l'Antichrist) résulte-t-il comme: Évêque de Rome
; Successeur du Prince des apôtres Souverain Pontife de l'Église
Universelle ; Patriarche d'Occident Primat d'Italie ; Archevêque
et Métropolite de la province romaine ; Souverain de l'État de
la Cité du Vatican ; et, enfin, Serviteur des Serviteurs de
Dieu. Le tout dûment enregistré par la République Italienne et
par bien d'autres États. La curie Un tel
résultat ne surgit pas par hasard. L'image publique et
internationale du pape comme chef absolu de la spiritualité
chrétienne, comme guide unique et comme chef d'État, doit être
confectionnée, transmise et soutenue par une organisation
politique solide. Ce qui sous-entend avant tout une
administration centrale hautement spécialisée et exclusive.
La curie
La curie est cette administration, ce
gouvernement de l'Église qui fonctionne comme un instrument
d'assistance du Saint Père dans ses multiples tâches. En tant
qu'organe suprême de l'Église la curie romaine agit suivant
trois lignes directrices; l'une, purement administrative,
regarde la subsistance de l'État du Vatican; la seconde, rayon
de la curie proprement dite, a rapport à la conservation de la
foi universelle; la troisième, définie surtout par allusions et
omissions, concerne la production des moyens économiques utiles
aux deux premières. Les compétences de la curie sont reprises
dans la constitution rédigée en 1969 par Paul VI sous le titre Regimini Ecclesiae Universae (pour le gouvernement de l'Église
universelle). L'esprit de ce texte comporte la particularité,
contraire à toutes les constitutions moderne le pouvoir y est
issu d'en haut: la volonté du pape descend cascade sur toute la
hiérarchie religieuse, et n'est en rien le reflet de la volonté
des fidèles. Le pape, élu mais d'émanation divine, est
infaillible. En ses décisions sont sans appel.
La constitution de l'Église est reconnue
notamment par la Convention de La Haye (1954) et par l’Unesco;
au point que le survol de l'État du Vatican est interdit (aux
avions, pas aux satellites). De la constitution encore, dérive
une série de lois et règlements du code de la route au code
pénal relevant d'un savant mélange entre progressisme et
féodalisme. Célèbre en ce sens est l'édit du substitut du
Secrétaire d'État (vice-premier ministre) autorisant les
résidents de la Cité, il y a peu, à posséder un chat, mais qui
ne résolut pas un urgent problème: les chats dépendent-ils du
Vatican ou du Saint-Siège ?...
En fait, le texte de cette constitution
veut être l'expression formelle du credo de tous les chrétiens
du monde réunis en une "nation supranationale - se situant
au-delà des différents régimes politiques et légaux auxquels ils
sont soumis. La curie regroupe une quarantaine de dicastères (ou
ministères) les congrégations, gardiennes de la doctrine et de
la discipline religieuse: les offices, qui publient les
documents du Saint-Siège, en administrent les biens et les
affaires; les tribunaux et les secrétariats, chargés des tâches
spéciales, Elle emploie quelques cinq cents religieux (du
cardinal au simple prêtre) et une cinquantaine de conseillers
laïques soumis à une discipline rappelant celle de l'armée
prussienne, doublée d'un affairisme bien actuel. Les chefs des
dicastères sont toujours des cardinaux et sont nommés par le
pape. Ils ont sous leurs ordres des officiers majeurs et
mineurs. Tous ces gens, avant d'entrer en fonction, prêtent
serment de fidélité au pape (en latin pour les prêtres, en
italien pour les laïcs), jurent de respecter le secret d'office
et, suivant la délicatesse de leur tâche, le secret pontifical
ou d'État.
Évolution
Les origines et l'évolution de cette curie
sont intéressantes à plus d'un point de vue : dans l'antiquité,
le vocable désignait le lieu, sur le forum, où étaient exécutés
les rites aussi bien religieux que politiques. Successivement,
il prit la signification de gouvernement, de sénat même, puis de
siège du patriarche et, avec le développement du diocèse de
Rome, d'administration centrale de l'Église, vers le Vème
siècle. Car l'Église, dans une première phase, s'organise
secrètement. Une fois devenue assez forte, elle émerge et
récupère petit à petit les structures politiques et
administratives de la société où elle a pris racine, jusqu'à les
recouvrir, les monopoliser et se substituer à État laïque. De la
sorte, la basilique antique. grand marché couvert servira de
modèle architectural aux premiers lieux de culte, et l'austère
règlement de vie des vestales gardiennes du feu inspirera les
communautés religieuses. Et le pape, dans la suite, deviendra
roi de Rome.
Quand les croyants se multiplient et se
diversifient, l'Église est forcée de se doter d'une
administration de la chose publique; le thème originel de
"spiritualité" glisse alors vers la -temporalité-. A l'étape
suivante, la spiritualité n'est plus qu'une raison de façade, le
ciment qui unit la base uniquement, car gérer une société
croissante signifie créer les moyens de cette gestion et de
cette croissance, c'est à dire renforcer le pouvoir politique et
économique. Le Vatican à travers les siècles, a suivi et suit
encore cette progression.
D'autre part, le pouvoir dans l'Église
étant une "émanation d'en haut", la porte est ouverte à tous les
abus. Le Saint-Siège peut ainsi se permettre de participer en
première ligne à la spéculation immobilière dans la Rome
moderne, ou agir sur le marché financier international comme
n'oserait le faire aucun État. Et en cas de litige ou de mise en
accusation, le Saint- Siège se retranche derrière la religion et
le Vatican derrière la Raison d'État ou vice-versa. Et de
laisser passer les remous du scandale puis, quand l'opinion
publique est à nouveau endormie, de remonter à l'assaut. Les
pertes que les caisses du Vatican subissent sont actuellement de
peu d'importance quand on considère que toute son activité
économique tend, dans la rigidité la plus totale, à la
concentration des richesses sur son souverain absolu : un
système à l'épreuve du temps et des vicissitudes de l'histoire.
Mais revenons à la curie. Sa forme actuelle
se ressent très fort des bouleversements politiques du siècle
passé, que Pie XI décrivait en 1852 comme "de très graves
mutations". Le Vatican, pour compenser- la perte rapide des
états pontificaux (et surtout de leurs revenus calqua son
administration sur celle des gouvernements modernes avec,
particulièrement, la création d'une structure diplomatique
autonome et modernes la veille du Congrès de Vienne (1815).
La réforme entreprise en 1965-67 par Paul
VI dans la foulée du concile Vatican II, formalisa cette
évolution en confirmant la curie dans son rôle de gouvernement
capitaliste, de pair avec sa définition de guide et de contrôle
spirituels adaptés aux dimensions désormais mondiales de
l'Église.
Parmi les dicastères relevons la
Congrégation pour la Cause des Saints, chargée de
l'illustration, par la béatification et la sanctification de la
doctrine. La Congrégation pour l'Inquisition, terme remplacé, au
début du siècle, par "Doctrine de la Foi", dite aussi
Saint-Office, fut fondée comme premier organisme permanent de la
curie lors de la contre-réforme. Son président est Joseph
Ratzinger, archevêque de Munich et cardinal depuis 1977, et son
secrétaire, jusqu'en avril 1984, fut Jean Jérôme Hamer, né à
Bruxelles cri 1916. Hamer a ensuite été placé à la tête de la
Congrégation pour les Religieux, d'où il supervise les activités
des ordres et contrôle leurs opérations de vente et achat de
biens immobiliers. Ces deux personnages sont des dominicains
traditionnalistes ; la contribution de leur ordre au Saint Siège
a toujours été l'étude et la formulation des dogmes et, par
conséquent, fut-il chargé d'organiser l'inquisition.
Le fonctionnement de la Congrégation pour
la Doctrine de la Foi a été déterminé en 1971 (réforme de la
curie); un "congrès des supérieurs et officiers" du dicastère
se réunit chaque samedi pour examiner toutes les publications
relatives à la foi catholique. Si elles sont jugées
non-conformes à la doctrine officielle, la Congrégation entame
soit une procédure extraordinaire (dans les cas mineurs où une
décision est prise immédiatement et sans le bénéfice d'un débat
contradictoire) ou une procédure ordinaire: deux experts sont
nommés, ainsi qu'un relateur "en faveur de l'auteur" (l'avocat
de la défense, qui n'aura aucun contact avec l'auteur
incriminé). Après réflexion, ceux-ci rendent leurs conclusions
qui font l'objet d'un débat à l'intérieur de la Congrégation. La
sanction est décidée et contresignée par le pape. Après quoi
seulement l'auteur recevra une communication, sera
éventuellement invité à Rome, et présentera une défense écrite.
Et il sera, ni plus ni moins, amené a avaliser la sanction déjà
passée aux actes. Il pourra faire appel, mais suivant le même
circuit et devant les mêmes juges. La procédure kafkaïenne
rappelle l'administration de la justice dans les pays
totalitaires.
La Congrégation pour l'Évangélisation des
Peuples, dite Propaganda Fide est, à l'encontre des autres,
détachée de l'administration centrale. Elle possède et gère ses
biens propres dont les revenus, complétés par le fruit des
"journées mondiales des missions" (estimé, actuellement, à 70
millions de dollars par an), financent ses 887 missions
principales auxquelles elle a distribué 400 millions de dollars
en 1982, en plus de 24 millions destinés à la formation de
nouveaux prêtres,
Propaganda Fide et Saint-Office ont droit à
la sollicitude particulière de Karol Wojtyla, un pape qui sait
mettre l'accent sur la propagande et l'image de marque de
l'Église. Elles ne cèdent le pas qu'au Secrétaire d'État
(premier ministre) et sont très actives: le cardinal Ratzinger
(présentement pape),
par exemple, a pris des mesures disciplinaires contre les
théologiens Hans Küng (qui a toujours refusé de se présenter à
Rome) et Edward Schillebeeckx, un dominicain hollandais (qui,
lui, a fait amende honorable et a accepté de modifier son livre
condamné). Joseph Ratzinger, encore, lançait en mars 1984
l'offensive contre la 'théologie de la libération' par lui taxée
de "nouvelle hérésie" d'autant plus dangereuse qu'elle se base
sur 'une interprétation néo-marxiste des Écritures'. Une
importante condamnation que celle-là, où l'on voit le
Saint-Siège tenter, à distance, de maintenir sous le joug
l'Amérique latine comptant désormais une bonne partie des
catholiques dont les critères culturels et religieux sont de
moins en moins semblables à ceux de l'Europe (ce qui fait dire à
certains, non sans malignité, que la vraie place du Saint-Siège
serait quelque part entre Bogota, Buenos Aires et San Paolo)..
Joseph Ratzinger, l'un des représentants
les plus réactionnaires de la hiérarchie vaticane, joue le rôle
de 'gendarme de Wojtyla'. Le pape, en plein accord avec sa ligne
conservatrice, conférait récemment le premier Prix Paul VI au
théologien Hans Urs Von Balthazar, 80 ans, Suisse et ex-jésuite,
auteur d'une monumentale œuvre se rattachant à la scolastique
du Moyen Age où il dit: 'L'enfer existe, mais pourrait bien
être vide. L'Église proclame les saints, c'est-à-dire ceux qui
ont droit au paradis, mais elle n'a jamais proclamé que
quelqu'un soit damné aux enfers.' On est bien loin, au Saint-Siège, des prétentions socio-politiques des prêtres-ministres du
Nicaragua.
Dans la même foulée, le pape autorisait le
retour du latin dans le rite de la messe: le latin, en soi,
n'est pas réactionnaire et est même porteur d'une part
importante de la culture occidentale; à l'inverse, l'usage de
la langue vulgaire dans la messe ne peut de prime abord être
entendu comme une conquête démocratique par la base des
fidèles. Mais le latin a toujours été le jargon du pouvoir
ecclésiastique, la langue à laquelle le 'vulgus' (vulgaire) n'a pas accès -et
de ce fait est-il le cheval de bataille de l'évêque Marcel
Lefebvre, champion du traditionalisme ennemi du concile
Vatican II, suspendu par Paul VI, et protégé par
l'aristocratie "noire" (ces familles nobles gravitant dans la
cour papale et maintenant encore, en plus d'être depuis la chute
de la royauté la seule nobles se qui compte en Italie, un fort
pouvoir économique à travers ses propriétés terriennes et ses
participations dans les banques et sociétés liées au Vatican -
Marcel Lefebvre fut l'hôte de la princesse Isabelle Colonna,
décédée il y a peu).
Tout ceci s'inscrit dans ce que le pape
Wojtyla nomme la "réforme" et le cardinal Ratzinger, plus
prosaïquement, la "restauration" de l'Église en lutte contre les
"excès postconciliaires, "œuvre d'éléments centrifuges et
irresponsables". Il est vrai que l'élargissement et la
diversification de l'Église fait perdre son rôle de référent
absolu au Saint-Siège romain dont la curie, en réaction, se
raidit sur des positions formalistes et dont le chef, le pape,
cherche à réaffirmer son autorité (en insistant, par exemple,
sur sa mission de "successeur de Pierre"). Le mouvement,
psychologiquement et politiquement, est bien compréhensible
(les puissants se défendent), mais quelle est sa viabilité ?
Certes, le Saint-Siège s'est doté d'évêques et de cardinaux
provenant du Tiers-Monde (dont certains, vu leurs origines, sont
encore plus conservateurs que les Romains eux-mêmes), mais ils
ne lui ont jusqu'à présent que conféré une touche d'exotisme
loin de représenter les aspirations de la communauté chrétienne
de base.
Joseph Ratzinger précise encore "La
restauration est souhaitable, et elle est d'ailleurs déjà en
train" - et il définit -diabolique- la culture et la politique
en Occident, tandis que celles de l'Est sont "en faillite", que
la "théologie de la libération" entretient "le mythe illusoire
de la lutte de classe" et que les autres religions sont des
"régimes de la terreur". Il invite enfin les fidèles à "renoncer
à certaines solidarités euphoriques" (comme l'ouverture de
l'Église à la gauche).
Suivent, dans l'organigramme de la curie,
les tribunaux (Sainte Rote tribunal de la Pénitence, tribunal
suprême de la Signature Apostolique), les secrétariats (pour les
chrétiens, pour les non chrétiens, pour les non-croyants). Le
secrétariat pour les non-chrétiens est dirigé par Jean Jadot, un
Belge de 75 ans, diplomate de formation, ex-délégué apostolique
aux USA (où, en 1979, il organisa la visite du pape), et
archevêque titulaire de Zuri (notons que les titres de ce genre
sont purement honorifiques: ils correspondent à des 'charges en
exil' depuis l'expansion de l'islam et du communisme).
L'administration palatine, sous la
responsabilité directe du pape, comprend la Fabrique de
Saint-Pierre, vouée à la gestion de la basilique (son bilan,
régénéré par les offrandes des visiteurs, est en équilibre), la
bibliothèque apostolique (700.000 volumes imprimés, 100.000
cartes géographiques, 65.000 manuscrits,... ), les archives
secrètes (qui rendent publiques, après 75 ans, les documents
pontificaux), la typographie polyglote, et l'Osservatore Romano.
Ce journal, auto-défini 'quotidien politique et religieux', est
un véritable chef-d'œuvre du non-dit et du sous-entendu où la
mise en page, le type de caractère employé, la longueur des
articles jouent un rôle déterminant. Ses éditoriaux, anonymes,
reflètent la ligne politique du Saint-Siège.
La Préfecture des Affaires Économiques du
Saint-Siège, (PAE) qui fait partie des offices de la curie, est
une sorte de cotir des comptes chargée de la vérification des
dépenses et recettes et, ce qui est neuf au sein du Vatican, de
la rédaction d'un bilan unifié.
Bilan
La publicité donnée à ce bilan vaut qu'on
s'y arrête un instant. Malgré les fortes résistances exprimées
par les cardinaux prévalut, sous Paul VI, la raison de
sensibiliser tous les fidèles aux 'problèmes économiques' du
Vatican - dans le but, cela va de soi, de solliciter les
offrandes en présentant une situation catastrophique et une
'Église pauvre'. Ce qui ne correspond que de loin à la réalité:
les opérations (dont certaines fort peu honnêtes., mais surtout
très rentables) de l'institut pour les Œuvres de Religion, ou
IOR ne figurent par exemple jamais dans le compte-rendu livré
aux archevêques et dont, jusqu'à la mort de Paul VI, n'était
rendue publique que la prévision du déficit (estimé à 20.240.000
dollars en 1979). Étrange pratique qui a permis et permet encore
au Saint-Siège de disposer des dons faits par les fidèles sans
devoir en justifier l'usage.
La cause de tant de secret ? Tout d'abord,
dit-on chez les cardinaux, la divulgation intégrale des comptes
du Vatican ne rencontrerait que l'incrédulité, et aurait des
effets nocifs. Toute information donnée hors contexte serait
trop facilement déformée et manipulée par les ennemis de
l'Église. Sans oublier le problème de fond: l'encyclique Populorum Progressium de Paul VI ne condamne-t-elle pas les
principes et méthodes du capitalisme ?
Comment, alors, faire admettre que l'Église
est 'condamnée', pour se donner les moyens de sa politique, à
opérer en bourse, à posséder des intérêts dans la grande
industrie, à participer au développement des multinationales ?
Mieux vaut, dit-on au Vatican, quelques pieux mensonges par
omission et insister sur l'aspect apostolique de l'Église.
Enfin, il y a les arguments techniques:
comment, par exemple, aplanir la comptabilité de toutes les
activités du Saint-Siège qui s'exercent clans les domaines les
plus disparates, et avec des tentacules dans le monde entier ?
Et peut-on mettre sur le même pied le patrimoine d'une Église en
pays communiste, officiellement propriété de l'État, avec le
patrimoine d'une Église d'un pays capitaliste .
Les arguments, dont certains poussés à la
limite du vraisemblable, ne manquent pas pour présenter le
Vatican comme victime de la malveillance du monde moderne, et
comme victime de son propre devoir... N'empêche que la gestion
économique et les profits cachés du Vatican tiennent une
importance énorme dans l'administration de l'entreprise
spirituelle - la preuve en est qu'un des tous premiers actes
d'un nouveau pape est de se faire apporter le livre de comptes
qu'il est le seul à pouvoir consulter dans son entièreté...
L'élection de Karol Wojtyla en 1978 devait
quelque peu changer cette pratique bien commode du secret: le
Vatican passait de mauvais moments en relation avec les affaires
conclues entre les banquiers Sindona et Calvi, et le IOR. Grand
besoin était d'épousseter le symbole de l'Église "des pauvres".
La création du Conseil pour l'Étude des Problèmes Économiques du
Saint-Siège, une commission cardinalice, allait rendre possible
la publication d'un bilan étoffé (bien que lacunaire: y manque
toujours la voix du IOR dont il résulte qu'en 1981 les entrées
étaient de 62 millions de dollars (dont 17 millions d'offrandes)
et les sorties de 59,5 millions de dollars. En 1982 le Conseil
annonçait simplement la prévision de la dette: quelques 30
millions de dollars. En 1983, le silence. Début 1984, la
Préfecture des Affaires Économiques s'alarmait - niais sans
créer la surprise - devant la probabilité d'un déficit de 32
millions de dollars. Avec ceci de particulier que le Vatican
déclarait pour la première fois ouvertement chercher à susciter
une augmentation substantielle des offrandes de la part des pays
riches, principalement l'Allemagne et les USA.
Au sommet de cette hiérarchie qui vient
d'être décrite, trône un personnage qui représente
officiellement la politique et la diplomatie du Saint-Siège:
le Secrétaire d'État, tellement influent que certains papes,
comme Pie XII durant les 'temps difficiles' du fascisme,
préférèrent en occuper eux-mêmes la charge. Le Secrétaire
d'État, qui veille à la préparation et à l'exécution des
décisions du pape, dirige une administration de onze conseillers
et auditeurs (tous ecclésiastiques et diplomates), un conseiller
laïque, onze attachés religieux (dont, fait exceptionnel dans
les hautes fonctions du Vatican, une Révérente Mère). Cette
administration est chargée du Chiffre de la Chancellerie des
Lettres Apostoliques, de l'information et Documentation, et du
Bureau Central des Statistiques de l'Église.
Le Secrétaire d'État est, depuis 1979,
Agostino Casaroli: un homme de 70 ans, professeur à l'Académie
de diplomatie du Vatican spécialiste, depuis les années '60, des
relations entre le Saint Siège et l'Europe de ]'Est, et fait
cardinal par Paul VI. C'est le premier ecclésiastique a avoir
trouvé, avec tact, un langage apte à rencontrer les exigences de
l'URSS dans ses relations avec le Vatican. La carrière de
Casaroli est exemplaire: entré en 1940 dans la Secrétairerie
d'État il est nommé sous-secrétaire au Conseil des Affaires
Publiques du Saint Siège (ministère des Affaires Étrangère en
1961. Jean XXIII le charge de se faire son messager à l'Est. En
1964 il est l'artisan du premier accord signé entre le Vatican
et un pays socialiste, le Traité de Budapest qui, vingt ans plus
tard, sera reconduit par les deux parties. Il s'active ensuite
en Tchécoslovaquie puis en Yougoslavie. En 1967, il devient
secrétaire aux Affaires Publiques. il sera fait cardinal en
1979. En 1981, il est à Moscou, porteur du Traité pour la
non-prolifération des armes atomiques. Sous sa houlette, plus de
cent États ont entrepris ou poursuivi des relations
diplomatiques avec le Saint-Siège. Et il régit maintenant, dans
les coulisses, tous les rapports du Saint-Siège avec, notamment,
la Pologne.
En avril 1984, le pape Jean-Paul Il
modifiait sensiblement les attributions de ce Secrétaire d'État.
Il lui déléguait 'en ses nom et lieu' le pouvoir administratif
et politique sur l'État de la Cité du Vatican jusqu'alors du
ressort de l'autorité pontificale. Casaroli devenait ainsi une
sorte de 'vice pape résident chargé de l'entièreté du pouvoir
temporel sur le gouvernement de l'Église ce qui laissait la
charge spirituelle de ce gouvernement à Karol Wojtyla. Le pape
est donc libre de résider en -dehors de Rome - élément important
pour un pontife voyageur comme Wojtyla - et de devenir une sorte
de représentant itinérant de l'Église universelle tandis que la
Cité du Vatican, en son absence, continue à remplir ses
fonctions. Cette interprétation de la décision de Wojtyla trouve
sa substance dans le fait que le pape, par le même document où
il déléguait ses pouvoirs à Casaroli nommait Bernardin Gantin,
originaire du Bénin, à la tête de la Congrégation pour les
Évêques (un poste fort important, puisque c'est de lui dont
dépend la désignation des représentants de l'Église à travers le
monde), l'office étant pour la première fois occupé par un homme
de couleur orienté vers le tiers-monde plutôt que vers le coter
de Rome.
Mais on peut aussi penser que cette
'promotion' de Casaroli représente, dans le plus pur style du
Vatican, un éloignement. En effet Casaroli désormais immergé
dans le pouvoir temporel, risque de perdre beaucoup de son poids
dans le gouvernement spirituel de l'Église c'est-à-dire la curie
et les Congrégations. D'autant plus qu'il se trouve maintenant
confronté, directement, à cieux de ses ennemis de toujours : le
cardinal Sebastiano Baggio devenu président de la Commission de
Contrôle pour l'État du Vatican, et le cardinal Agnelo Rossi,
nommé président de l'Administration (lu Patrimoine du Siège
Apostolique (APSA) en remplacement du même Casaroli
Au Secrétaire d'État est adjoint un
substitut - Eduardo Martinez Somalo, archevêque titulaire de
Tagore, directeur du Chiffre et des relations avec les
ambassades - dont le rôle est essentiel, puisqu'il sert de
filtre entre le Secrétaire d'État et le pape. Le substitut est
un personnage de tout premier plan et dans le passé récent le
prédécesseur de Somalo, Bellini, a pu à ce titre se faire le
porte-parole du conservatisme aussi bien économique que
politique du Saint-Siège.
En communication directe avec le Secrétaire
d'État, est la Préfecture des Affaires Publiques du Saint-Siège
ou bureau diplomatique né, comme nous l'avons esquissé, au début
du XIX` siècle et fixé dans sa forme définitive par Paul VI. Le
préfet en est, traditionnellement, le Secrétaire d'État et est
assisté d'un secrétaire - actuellement, Achille Silvestrini,
nommé en 1970 et depuis toujours collaborateur de Casaroli. Dans
le conseil de la Préfecture, nous retrouvons l'intransigeant
Ratzinger, président de la Congrégation pour la Doctrine de la
Foi. Le but de ce bureau est la gestion des rapports avec les
nonciatures et les délégations apostoliques des ambassades du
Vatican, (au nombre de 113 à travers le monde) et avec les
ambassades accréditées auprès du Saint-Siège (elle témoignent
d'un lien privilégié entre les États et le Saint-Siège, celui de
inclus tel quel dans la constitution. Et être rafraîchi en 1984
(après six brouillons et seize ans de négociations) par le
premier chef de gouvernement socialiste italien ayant jamais été
reçu officiellement au Vatican, Bettino Craxi. Le 'nouveau'
concordat qui résulte de la manœuvre n'est ni fait qu'un
remaniement au goût du jour de l'ancien (tandis que le traité de
conciliation et la convention financière demeurent intacts). Cet
accord reconduit substantiellement les facilités dont jouit le
Vatican sur le territoire italien.
Tandis que le catholicisme perd s'a
définition de 'religion d'État mais que l'État continue a
n'avoir aucun droit de regard dans la nomination des évêques
(cas unique en Europe: en Espagne, les dignitaires de l'Église
sont directement désignés par le roi). Et que le cours de
religion devient facultatif dans l'enseignement, que la Sainte
Rote n'a plus le monopole ni matière matrimoniale (dix ans après
la rédaction de la loi italienne sur le divorce !), et que sont
abolies les normes empêchant l'État de confier une charge
d'enseignement à un ecclésiastique encourant des sanctions
(normes d'héritage mussolinien). Ce qui, de la part du
Saint-Siège, représente de biens maigres concessions en regard
de la modification du régime des ordres religieux, du traitement
du clergé, et de la protection de son patrimoine artistique
modification allant, nous le verrons plus loin, dans le sens
d'un ultérieur enrichissement de l'Église et de l'État du
Vatican, une consécration définitive : le concordat témoigne
désormais de la doctrine officielle italienne en matière de ses
rapports avec la religion dominante. Il détermine 'une plus
grande liberté de l'Église face à l'État. selon les paroles du
cardinal Anastasio Ballestrero, président de la Conférence
épiscopale italienne. L'État en est-il conscient ?
On peut en douter, quand on connait le
laxisme et l'impréparation atavique de bon nombre de ses
politiciens. Mais on peut aussi être assuré que les ambiguïtés
contenues dans le texte du 'nouveau' concordat ont été
délibérément voulues par ses rédacteurs de la partie vaticane,
lesquels, ils l'ont prouvé au cours d'un siècle de relations
imbriquées entre le Saint-Siège et les dirigeants italiens, ne
pèchent certes pas par manque de vigilance.
Ce qui précède concerne essentiellement la
distribution et l'exercice du pouvoir au sein du gouvernement de
l'Église. Autrement important est l'aspect informel de son
organisation, les détours, les axes préférentiels et les
recoupements qui en déterminent finalement, la véritable
physionomie - laquelle - dépend de la personnalité du pape
régnant.
Depuis son élection en 1978, Karol Wojtyla
a su secouer la gérontocratie du sommet, celle-là même qui a
fait du Vatican un autre Kremlin. L'âge moyen des chefs de
dicastère qui était, en 1969, de 79 ans de plus vieux en avait
90, s'est abaissé en 1984 à 67 ans de plus jeune est J.
Ratzinger, 57 ans, et le plus vieux a 77 ans. D'autre part,
Wojtyla s'est asservi avec beaucoup d'intelligence une ancienne
tradition du Saint-Siège : le cumul des fonctions qui fait que
le cardinal Sebastiano Baggio gère contemporainement douze
charges et qu'Agostino Casaroli en occupe neuf, toutes de nature
politique et économique. Et la liste pourrait continuer.
Ce cumul permet à un nombre restreint de
cardinaux étroitement liés entre eux de dominer tout
l'organigramme du pouvoir et de multiplier les communications
horizontales et verticales. Ce qui, a certains égards, peut
déboucher sur des contradictions : ainsi le cardinal Caprio,
préfet de la PAE, devrait contrôler les finances du Governato
de la Cité du Vatican dont le dirigeant n'est autre que le
Secrétaire d'État chef absolu de Caprio... Les contradictions
sont bien sûr voulues et, en fin de compte, s'annulent dans un
délicat équilibre des forces convergeant vers l'unique pôle de
décision: le pape. Reste que seul un spécialiste est en mesure
de s'y retrouver dans cette profusion de bureaux et d'offices
aux compétences voisines. Nous verrons plus loin comment le
‘brouillage des pistes’ permet au Vatican de se rendre quasi
inaccessible et, surtout, de dissimuler la plupart des
opérations financières qu'il exécute ou l'ait exécuter.
Concrètement le pape Wojtyla, afin de
s'entourer d'une équipe fiable, a procédé en trois étapes: en
mars 1979, la mort du cardinal Villot rendait vacant le siège du
Secrétaire d'État qui échut, ainsi que la présidence de la
Préfecture des Affaires Publiques, à Agostino Casarofi. Giuseppe
Caprio passait de la Secrétairerie d'Etat à la présidence de
l'Administration du Patrimoine du Siège Apostolique (APSA) par
effet d'une dérogation temporaire car ce poste est
traditionnellement réservé au Secrétaire d'Etat. Et Eduardo
Martinez Somalo devenait le substitut du Secrétaire qu'il est
encore aujourd'hui. En 1981, la deuxième phase : Caprio quitte
l'APSA, qui retourne aux mains de Casaroli, et s'installe à la
Préfecture des Affaires Économiques; et l'archevêque Achille
Silvestrini devient secrétaire des Affaires Publiques. L'ultime
remaniement date d'avril 1984: les pouvoirs de Casaroli sur la
Cité du Vatican en sortent renforcés, mais le Secrétaire d'État
perd une fois de plus le contrôle de l'APSA qui échoit au
cardinal Rossi, ex-président de Propaganda Fide.
Ainsi, la diplomatie du Vatican est
l'apanage de Casaroli et de Silvestrini, alors que sa politique
économique dépend en substance de Casaroli et de Rossi.
Jean-Paul Il dirige donc un conseil réduit,
rajeuni, aux pouvoirs concentrés, qui s'est révélé apte à donner
une forte impulsion a la rédaction du 'nouveau' concordat entre
l'Italie et le Saint-Siège, et surtout à pourvoir à la ligne de
l'Ostpolitik du premier souverain pontife polonais de
l'histoire.
C'est un vieux rêve, ce rapprochement entre
l'Église et l'Europe de l'Est. Curzio Malaparte explique dans
son livre 'Technique du coup d'État' (1931) que l'Église uniate
de la Galicie Orientale (région frontière de l'URSS) fut, dès la
prise de pouvoir par les communistes, considérée par Rome comme
le 'pont naturel' pour la reconquête religieuse de la Russie.
Les unions, de doctrine catholique mais de rite orthodoxe,
furent déportés de l'URSS et reçurent, dans leur déplacement,
l'aide des jésuites. D'autre part monseigneur Achille Rati,
futur Pie XI et alors nonce apostolique, en accord avec le
représentant du gouvernement fasciste italien, refusa de quitter
Varsovie assiégée par Trotski et l'Armée rouge (en août 1920)
dans l'espoir de se lier aux bolcheviques et de devenir le
premier prélat en contact direct avec le nouveau pouvoir du
Krémlin. Mais Trotski ne prit pas la ville, et le projet demeura
sans suite.
Après la guerre, l'idée de la détente fut
réélaborée par Jean XXII et par Paul VI et fit son chemin aidée
notamment par les résolutions du concile Vatican Il (1962-65)
dont un des objectifs était de déterminer l'ouverture de
l'Église au monde non-catholique, et de reconnaître, au-delà des
rapports Est-Ouest, I*importance grandissante de l'axe Nord-Sud.
L'élection de Karol Wojtyla et l'ascension
de Agostino Casaroli à la charge suprême du gouvernement de
l'Eglise sont tout de suite apparues comme la confirmation de
cette politique.
Casaroli, conscient que Est et Ouest ont
suffisamment d'intérèts en commun pour, bien que se basant sur
des idéologies opposées, renouveler périodiquement les accords
de non-ingérence, élabora petit à petit une stratégie d'action
investissant la problématique des différences entre socialisme
et capitalisme. La stratégie visant, dans l'esprit de son
inventeur, à rompre l'isolement de l'Eglise dans le monde et à
faire du Saint-Siège un sujet politique international capable de
résorber le choc encore à venir (nous sommes et nous retiendrons
ici que la commission paritaire chargée de Statut sur ces points
dans un délai de six mois, n'avait divulgué au Parlement
italien, lors de la ratification du 'nouveau' concordat, que les
"principes généraux" des nouvelles normes. Le Parlement (à
majorité démocrate-chrétienne, donc par nature bien disposé)
était alors amené à se prononcer sur un texte encore inexistant.
Et d'acheter, en somme, un chat dans un sac. Le tout au nom
d'une mythique 'paix religieuse' dont le Saint-Siège semble bien
être le seul à profiter.
Une analyse critique du concordat permet de
déterminer certains de ses effets à venir: après l'incongruité
de la reconnaissance par la constitution clé 1947 d'un accord
passé entre un régime totalitaire de fascisme) et le
Saint-Siège, l'État démocratique italien a finalement sanctionné
l'importance de la tradition historique catholique dans le pays.
Le fait objectif qu'il était sans doute inutile de souligner --
sinon que l'acte représente un engagement solennel de la part de
l'État un jugement positif sur l'œuvre du Saint-Siège, et dans
les années Soixante) de la rencontre entre Nord et Sud.
Ainsi naît l'Ostpolitik du Saint-Siège
définie, à la fin des années Soixante-dix, par Agostino casaroli
lui-même : Harmoniser le refus de l'usage de la force militaire
et la sauvegarde de la paix et de la dignité du peuple tout en
évitant, outre le conflit larvé, celui qui a justement été
défini 'une guerre appelée paix'. Il s'agit donc de gérer
l'équilibre de la tension à l'aide de contacts renouvelés
s'opposant a la philosophie de la guerre froide.
Tactiquement, Casaroli se propose d' isoler
les aspects positifs dans le discours de l'interlocuteur, les
valoriser, les intégrer, sans renoncer a nos propres convictions; induire la participation de l'autre sans ignorer les risques
que cela comporte. On donne l'impression à l'autre qu'il est le
seul à décider tout en ne lui laissant pour ce faire qu'un
étroit espace de manœuvre.
Karol Wojtyla se pose en porte-parole de
cette Ostpolitik: étant Polonais, il est bien placé pour amener
les gouvernements de l'Est à lui prêter attention.
Wojtyla qui, après avoir pesamment soutenu
le syndicat Solidarnosc lors d'un premier voyage en Pologne en
1979, retournait dans son pays en juin 1983 pour une visite 'à
caractère exclusivement religieux et moral' d'un genre tout
particulier. Aussitôt reçu par le général Jaruzelski, il lui
réaffirmait 'l'entente et l'accord parfaits entre l'État
polonais et l'Église tout en souhaitant la fin de l'état de
siège (décrété en 1981) et, en contrepartie, condamnait les
sanctions économiques décidées par les USA envers la Pologne.
Une telle modération ne pouvait que satisfaire Jaruzelski qui, à
son tour, soulignait 'les valeurs communes entre l'État et
l'Église: l'intérêt de la nation, l'indépendance, la sécurité
aux frontières, l'unité, la croissance intellectuelle' - et de
promettre une substantielle libéralisation.
One man-show
Puis, venait le grand one-man-show du pape,
en six étapes à travers tout le pays (d'immenses réunions de
plus d'un million de personnes dans les stades, fruit de
l'habile propagande du clergé) durant lesquelles Woityla,
manœuvrant entre le mysticisme et l'hystérie des foules,
définissait Solidarnosc Comme un 'centre puissant et dynamique
de la vie ouvrière, intellectuelle et spirituelle placé sous le
symbole de la vierge de Jasna Gora et ajoutait: "Je me sens
responsable de la Pologne !" D'ou, réaction plus ou moins feinte
du pouvoir (censure à la télévision, pression politique,
démenti... ) et contre-réaction de Wojtyla qui corrigeait le
tir en insistant sur l'urgence pour le peuple, en vertu de la
Raison d'État, d'accepter l'autorité du gouvernement. Ainsi
Wojtyla tout en critiquant le régime et en louant Solidarriosc,
exaltait le patriotisme et la religion comme éléments de
cohésion sociale, laquelle sous-entend la nécessité d'une
victoire clé la société sur elle-même afin d'éliminer ses
tendances centrifuges. D'où, aussi le besoin d'un dialogue avec
le pouvoir justifiant en plein l'accord de non-agression passé
entre Wojtyla et Jaruzelski. Les USA prêtaient main-forte au
pape en estimant que son voyage représentait une 'lueur
d'espoir' pour la Pologne, et décidaient la fin de l'embargo en
échange très significatives de libéralisation' (et, de fait,
l'état du siège sera levé un mois plus tard).
Restait Lech Walesa: le jour même de sa
rencontre 'secrète' avec la pape, l'Osservatore Romano écrivait
: 'Officiellement, Walesa sort une fois de plus de la scène.
Nous pouvons dire qu'il a perdu sa bataille (...) ... )
Rendons-lui l'honneur désarmes.' Ce lui déclenchait un certain
mouvement de stupeur. L'auteur de l'article donnait sa démission
et affirmait qu'il n'avait fait qu'exprimer une opinion
personnelle - chose invraisemblable dans un journal où rien
n'échappe à la vigilance de la Secrétairerie d'État.
Ayant de la sorte préparé le terrain à
Jozet Glemp cardinal et primat de Pologne, le pape rentrait à
Roule . Déjà en 1981, ait milieu des troubles civils, Glemp
n'avait pas hésité à déclarer : 'Ce matin, la proclamation de
l'état de siège nous a jeté dans la consternation ce soir, nous
sommes déjà habitués à cette parole.' Une phrase qui résonne
comme un programme politique que ses actes, par la suite,
allaient corroborer.
Le primat, aussitôt après le départ du
pape, émettait un document signé par les évêques polonais et
soutenu par Wojtyla où est formulée la proposition de mobiliser
les cultivateurs par l'intermédiaire de centres de formation (et
d'endoctrinement) parastataux, coupant ainsi l'herbe sous le
pied de Solidarnosc rural.
Le projet comprend en outre la constitution
d'un Fonds pour l'agriculture, fruit d'une récolte de capitaux
en Allemagne fédérale, aux États Unis et au Canada desquels, par
voie de la proximité ou de l'immigration, sont sensibles au
problème polonais pour un montant de 1.700 millions de dollars à
distribuer en cinq ans à 3 millions d'entreprises familiales
privées (représentant 75% de la production nationale). La
gestion de ce Fonds doit bien entendu être confiée à l'Église
polonaise et lui permettre de réaffirmer son emprise sur les
campagne, qui, traditionnellement, sont plus sensibles à la
religion qu'au communisme. Cette monopolisation par un organisme
privé (l'Église) de capitaux étrangers est une entorse aux
principes du polonais comporte des avantages pour toutes les
parties: l'Église se pose comme courroie de transmission entre
l'État et le particulier, ce qui accroît son pouvoir; Moscou,
qui a avalisé la licence, se donne un vernis de libéralisme bien
utile sur le plan in-; et le général Jaruzelski s'assure un
meilleur rendement de l'agriculture, donc une augmentation des
revenus et une diminution du mécontentement rural entraînant la
perte de prestige de Solidarnosc et des prêtres rebelles. Et le
Saint-Siège tire la somme: l'équilibre entre pouvoir et
contre-pouvoir est maintenu, et chacun des bénéficiaires a de
bonnes raisons de croire que son poids a été déterminant dans la
prise de décision.
Le marché, en somme, est simple: l'Église
polonaise (dotée d'une organisation capillaire et d'une
structure rigide, autoritaire et dogmatique, dont la force
réside dans la foi comme moteur de l'identité culturelle et du
sens de la nation) propose au régime de le seconder dans son
effort pour 'moucher' Solidarnosc en échange de quoi cette
Église reçoit la reconnaissance définitive et indélébile de son
rôle socio-politique dans le contrôle de la base de la société.
Jozef Glemp continuait sur sa lancée: "Peu après sa fondation,
déclarait-il en mars 1984, Solidarnosc devint une organisation
politique. La moitié de ses 10 millions d'adhérents étaient
inscrits au Parti communiste, ce qui signifie que ses idéaux ne
coïncidaient pas avec ceux de l'Église. Quand le syndicat était
au mieux de sa force, J'ai déclaré que l'Église l'aurait soutenu
tant qu'il aurait poursuivi sa finalité originelle : défendre
les travailleurs. Mais à un certain point( ... ) Solidarnosc est
devenu un mélange de trotskistes et de marxiste,,; ( ... )
Walesa est un indépendant qui a été manipulé et a perdu le
contrôle." En d'autres mots: Solidarnosc est sacro-saint mais
s'éloigne de l'Église; cette déviance est un péché; le
sacrifice de Walesa purifiera la masse, dont la faute a été de
passer outre l'autorité de l'État et de l'Église. Mais l'Église
salvatrice saura remettre ses brebis sur le droit chemin.
Tandis que l'œuvre de médiation
continuait, une visite privée du président polonais Henryk
Jablonski à Wojtyla et Casaroli débouchait sur 'un colloque
sincère qui a touché beaucoup de thèmes importants'. Glemp
avançait: 'Il y a trop de prisonniers politiques en Pologne. La
mise en ordre du pays exige la création d'un climat politique
nouveau permettant d'éliminer les sources de tension et de
représailles.' L'appel était entendu : une nouvelle amnistie
(juillet 1984) libérait 600 opposants, dont de nombreux
dirigeants de Solidarnosc. Le pouvoir appelait à la prudence :
'Les Églises peuvent certes se développer dans les pays
socialistes, disait Adam Lopatka, ministre des Affaires
Religieuses, mais elles doivent s'adapter à la situation.'
Tandis que Glemp et la hiérarchie
religieuse, accusés de mollesse et de compromission,
commençaient lentement à perdre de leur pouvoir effectif.
La balle était maintenant dans le camp de
Solidarnosc clandestin et des prêtres rebelles. Parmi ces
derniers: Jerzy Popielusko. Un personnage emblématique dont le
meurtre, en octobre 1984, devait donner un coup d'arrêt aux
négociations sur le Fonds pour l*agriculture et ranimer les
vieux antagonismes. Mais peu importe, en fin de compte, de
savoir qui a décidé sa suppression. Car son effet global est que
toutes les factions, pour des raisons de survie, ont resserré
les rangs derrière Glemp et derrière Jaruzelski. La mort de
Popielusko entre dans la logique de la normalisation, et qui
plus est a rendu quelque lustre au charisme émoussé du chef de
l'Église et à la position du chef du gouvernement. Mais voyons
les faits.
Jerzy Popielusko est encore un tout jeune
prêtre quant le cardinal Wyszynski, le précédent primat de
Pologne, l'envoie en première ligne (en 1980) comme chapelain de
Solidarnosc. Dès 1982 (quelques mois après la proclamation de
l'état de siège), ses 'messes pour la Patrie' dans une paroisse
de la banlieue de Varsovie deviennent la tribune de Solidarnosc,
officiellement dissous Elles rassemblent tous les mois dix ou
quinze mille personnes : des fidèles, des bourgeois libéraux,
des athées convaincus. De sa chaire, le prêtre tonne : 'Les
idéaux de Solidarnosc sont ancrés dans le cœur de millions de
Polonais: lutter contre eux, c'est courir à l'échec!'. Et il
prend Wojtyla au sérieux, il le cite. Sa provocation envers
Jaruzelski et Glemp est permanente. Il doit être bâillonné en
guise d'exemple pour tous les autres. Jaruzelski lui fait
parvenir des menaces. Glemp le somme de réduire son discours,
pense à le faire transférer mais sensible à la pression de la
base, laisse courir. On parle même d'appeler Popielusko à Rome
et de l'ensevelir dans la curie. Rien n'y fait: le jeune curé,
originaire d'une région pauvre de la Pologne où la religion est
politique et vice-versa, continue en toute Conscience à défier
la stratégie du compromis. Glemp l'abandonne à son sort. La
presse officielle le définit 'un fanatique. Savonarole de Vanticommunisme'. Popielusko est devenu, selon les opinions, ou
un héros populaire, ou une variable dangereuse dans le pacte de
l'immobilisme. Un personnage incommode, en tout cas pour qui le
glas ne peut que sonner. Il disparaît, enlevé. Glemp temporise,
se rend dans la paroisse de son curé pour en chasser l'agence de
contre-information instaurée par Solidarnosc. Le Pouvoir reste
muet.
Mais Popielusk-o est déjà mort: l'exemple
est donné. Par la suite, trois officiers de la police secrète
sont inculpés. Le Pouvoir sauve sa crédibilité, proclame son
innocence (et Jaruzelski en profite, au passage, pour prendre le
contrôle des services de renseignements). L'avertissement (au
moins en partie d'inspiration moscovite) est générique : il
s'adresse a l'aile la plus intransigeante et figée du pouvoir et
à celle, à l'autre extrémité, la plus libérale de l'Église.
Le procès des trois responsables n'a, en
soi, aucun intérêt. Ses reflets psycho-politiques se feront
pourtant voir longtemps encore : la béatification ou la
canonisation de Jerzy Popielusko, décidée par la masse, pourra
profiter à l'Église des martyrs sont toujours utiles, ils
donnent raison au peuple et sont un moyen de pression sur le
pouvoir. Mais la condamnation à mort des responsables de son
assassinat, qui est la seule peine satisfaisante, vu les
'largesses' du droit polonais, pourrait contrecarrer le projet :
la jurisprudence du droit canon (même si les avis, à ce sujet,
restent partagés) empêche en effet la canonisation si du sang a
été versé pour venger le candidat. L'Église, pour satisfaire à
la demande de la base, devrait donc solliciter la grâce (ce qui
pourrait être interprété comme une couverture des réels
responsables). Si la grâce est acceptée, elle apporte de l'eau
au moulin de la frange extrême de Solidarnosc peu appréciée par
Glemp. Si elle est refusée, elle offre a l'Église de Glemp une
formidable occasion de propagande de pardon n'a pas été reçu, le
Pouvoir se livre à la vengeance barbare (œil pour œil, dent
pour dent').
Le dilemme, tellement parfait qu'on le
dirait inventé de toutes pièces, demeure. Et sa résolution est
désormais confiée à la diplomatie du Vatican et à la "politique
des petits pas" de Casaroli.
La Pologne est en train de devenir le
laboratoire d'une nouvelle forme de collaboration entre l'Église
et l'État socialiste cette fois, en parallèle avec la
désagrégation de la forme traditionnelle d'assistance réciproque
avec l'État capitaliste libéral dominé par les sociaux-chrétiens
En fonction de quoi Karol Wojtyla aura sans doute la
satisfaction de passer à l'histoire comme le premier pape du
rapprochement Est-Ouest - tâche pour laquelle, après tout, il a
été élu. Le cardinal Agostino Casaroli donc, revient en force
sur le terrain de la Pologne. Jouant sur les contradictions, sur
l'opposition entre discours de fermeture et discours
d'ouverture, il provoque ses interlocuteurs et orchestre sa
campagne. Pratiquement, cette provocation tourne autour de trois
faits: une prise de position du cardinal Ratzinger, une autre
de l'archevêque Marcinkus, et un voyage manqué de Karol Wojtyla
en Lituanie.
Joseph Ratzinger, le dirigeant du
Saint-Office, ayant publié en septembre 1984 une 'Instruction'
relative à la 'théologie de la libération' où le marxisme est
défini comme 'la honte de notre temps' laquelle, 'justement sous
prétexte de leur offrir la liberté, maintient des nations
entières dans des conditions d'esclavage indignes de l'homme'.
Même si 'le discours ne peut être entendu comme une approbation,
même indirecte, des oppresseurs de droite', tout le reste du
document est empreint d'une analyse socio-politique vieille de
cinquante ans et ne tenant aucun compte de la diversité actuelle
du marxisme à travers le monde.
Puis, il y a le cas de la Lituanie, l'une
des Républiques baltiques de l'URSS dont 85% des 3,5 millions
millions d'habitants sont catholiques et qui de ce fait (en plus
d'être voisine de la Pologne) est depuis toujours dans la mire
du Saint Siège. Afin de forcer le blocus soviétique, le pape
s'était d'abord fait inviter en 1983 par les évêques lituaniens
à un 'pèlerinage spirituel' en l'honneur du jubilé de Saint
Casimir, le patron de la Lituanie. L'URSS y opposait, par deux
fois, son veto. Même refus envers Casaroli, qui voulait aller
conclure le jubilé du saint. Et pour cause: juste avant, un
document signé, entre autres, par Paul Marcinkus,
archevêque-financier d'origine lituanienne, définissait la
République baltique comme 'un pays occupé par des étrangers' et
soumis 'aux dures conditions d'un régime impitoyable'. Sans
compter que le Saint-Siège, aujourd'hui encore, -entretient une
nonciature et une ambassade de la Lituanie indépendante.
Cette tentative de voyage en Lituanie,
aussi bien que le document de Ratzinger, semblent donc être
autant de coups de sonde pour ,savoir jusqu'où aller trop loin',
comme disait Cocteau, afin de permettre à Casaroli par la suite,
de développer un discours plus nuancé tenant compte des
réactions des interlocuteurs, qui ne peuvent que se découvrir,
et fait de ces petites phrases sont le SaintSiège a le secret
(ainsi déclarea-t-il à propos de l'Instruction de Ratzinger :
'Je n'étais pas présent à la discussion' - ce qui peut signifier
qu'il n'en partage pas la substance, comprenne qui voudra). Tous
ces mouvements servant à préparer un éventuel voyage de Wojtyla
et de Casaroli en Urss (on en parle depuis 1983). Ne serait-ce
pas là la consécration, offerte par Moscou sur un plateau
d'argent, de la politique du Saint-Siège en Pologne ?
L'Ostpolitik papale, en tout cas, devait
déjà être corroborée par Giulio Andreotti, ministre italien des
Affaires Étrangères, démocrate-chrétien, qui en décembre 1984 à
Varsovie, se déclarait favorablement impressionné par la
normalisation et insistait sur le fait que serait 'tout à fait
erronée la politique de la mise au ban de la Pologne par
l'Occident'. Ce dont il faudrait encore convaincre la population
du pays, pour laquelle les sanctions économiques occidentales
sont la marque de l'intérêt que l'Ouest porte à l'Est...
Il nous faut encore remarquer que la
Pologne est la base logistique de 'l'Église du silence': Rosa
Luxembourg, dans les années Trente, y voyait déjà le centre
culturel dont dépendait l'unification, au départ de l'Occident,
de toute la région baltique. Pouvait-elle imaginer qu'un
demi-siècle plus tard, l'Église allait reprendre le même thème
adapté à ses critères ? Le fait est que Henryk Gulbinowicz,
archevêque de Braslavia, s'intéresse à la Tchécoslovaquie, que
Ignacy Tokarczuk, évêque de Pozemsy, a les yeux tournés vers
Lvov (ex-Leopoldi, la capitale culturelle du royaume de la
Pologne maintenant en Ukraine), et que Edward Kisiel, évêque de
Bilystok connaît fort bien la Biélorussie. Ceux-là, et bien
d'autres, soutiennent un vaste réseau d'assistance aux
catholiques des Républiques baltiques (Estonie, Lituanie,
Lettonie, Biélorussie, Ukraine) de teinte nettement
anticommuniste et dont l'influence s'étend jusqu'à l'Oural.
Nord-Sud
Comme il a été dit. l'Ostpolitik du Saint
Siège tend à prévenir et donner l'impulsion à sa politique des
relations entre Nord et Sud. Celle-ci a été, jusqu'à présent et
avant tout, déterminée par les voyages du pape Wojtyla qui
cherche a lui Imprimer un élan de modernisme faisant oublier le
colonialisme missionnaire encore à l'honneur au début du siècle.
Le pape se déplaçait en mai 1984 en Orient,
sur ce 'front du Pacifique' communément indiqué comme la
'nouvelle frontière' du monde (il avait déjà visité les
Philippines et le Japon en 1981 ). Avec, tout d'abord, une
escale plus que technique a Fairbanks (Alaska), où il devait
rencontrer le président américain Ronald Reagan, retour de
Chine.
L'entrevue était importante: pour Reagan,
c*était l'occasion de faire les yeux doux aux 50 millions
d'Américains catholiques de quart de la population) en prévision
des élections de novembre de la même année, pour Wojtyla, il
s'agissait de signaler au monde l'intérêt que porte le Saint
Père à la Chine qui, avec son milliard d'habitants, représente
le plus grand réservoir de fidèles potentiels, donc de pouvoir.
Le 'cher peuple chinois', comme dit
Wojtyla, s'est en effet de plus en plus détaché du catholicisme
: après la rupture des relations diplomatiques avec le
Saint-Siège en 1949 et l'expulsion du nonce apostolique en 1951,
la répression s'est abattue sur les fidèles durant la Révolution
culturelle.
La restauration de Deng Xiaoping leur
apporta un soulagement de courte durée, puisqu'ils devaient à
nouveau être persécutés en 1981. Pour compenser, les autorités
fondaient en 1957 l'Église patriotique, de pure obédience
marxiste, et à laquelle une bonne partie des fidèles fait
désormais référence. Parallèlement subsiste une Église
clandestine liée au Vatican. Pour conquérir ce vaste marché de
la Chine, le Saint-Siège est prêt à renoncer à ses évêques
chinois en exil et aux relations diplomatiques avec Taiwan. Mais
il y a contradiction: reconnaître la Chine continentale
signifie pour le Saint-Siège englober l'Église patriotique qui
ne l'entend pas de cette oreille et abandonner l'Église
clandestine, le seul appui du pape dans le pays et le seul
groupe à en reconnaître l'autorité. Qu'à cela ne tienne, Wojtyla
récemment encore nommait devant les instances diplomatiques le
sous-continent asiatique dont, disait-il, 'l'Eglise suit
toujours avec respect et intérêt les aspirations et le
dynamisme'.
Après Fairbanks, l'envoi pour la Corée du
Sud, le "pays du matin calme". 40 millions d'habitants, une
Église en pleine expansion : 200.000 catholiques en 1945,
1.700.000 en 1984. l'aux de croissance : 10% par an. Et un
respect total de la hiérarchie assorti d'un conformisme de rêve.
Wojtyla y est accueilli comme le 'roi et de fait, il endosse
'l'étole de l'antique dragon', copie (-tu manteau de la dynastie
Yi, du XIVème siècle).
Dans un monumental spectacle à épisodes, il
cite Confucius, courtise les bouddhistes qui n'en demandaient
pas tant, évite de nommer la dictature, glisse sur la division
du pays, se livre à une frénétique activité de baptêmes,
ordinations, canonisations (103 saints en une seule séance, pour
lesquels le Saint-Siège a fourni une dispense ad hoc), visite
une léproserie (où il laisse un chèque de 25.000 dollars), et
s'adresse aux travailleurs pour critiquer aussi bien socialisme
que capitalisme. Au tableau, ne manque pas la psychose de
l'attentat : un 'déséquilibré' se jette sur la voiture papale.
Son revolver était de plastique ? Qu'importe, tout est bien qui
finit bien, et Woityla s'en va en emportant 'l'image d'un pays
ordonné et mûr'.
Un coup d'aile, et nous sommes en Papouasie
Autres moeurs, autres discours. Aux danseuses aux seins nus qui,
depuis les progrès de l'ethnologie, ne font plus scandale dans
les missions, le 'grand sorcier qu'est devenu Wojtyla distribue
des médailles, célèbre une messe en forêt (dans un endroit
touristique), et proclame: «Vous qui croyez aux bons esprits et
craignez les mauvais, remettez-vous en à Saint Michel, c'est un
bon esprit.» Le show se déplace ensuite aux Iles Salomon.
Puis, enfin, la Thaïlande. Très peu de
catholiques, là-bas : l'étape dure une demi-journée, avec
réception de la part de la famille royale, Rolls Royce et une
visite de dix-sept minutes au patriarche bouddhiste Vasna Tara.
Ça a été comme ça peut aller avec un bouddhiste, commentera plus
tard le pape. Il était enfermé dans son monde, mais il a été
très gentil. Il m'a demandé si je ne souffrais pas de la chaleur
et si je voulais m'arrêter quelques jours chez lui'. La
Thaïlande: là où, sous la protection du pape, l’Orient et
l’Occident ne se sont pas rencontrés....
Tout de même, ce voyage demeure une grande
mise en scène au minutage extraordinairement efficace. La
caravane pontificale s'est mue au rythme des retransmissions
télévisées par satellite, sans manquer un seul rendez-vous avec
la mondiovision, et contournant, de Fairbanks à Bangkok, la
Chine et l'URSS
La même caravane devait, quelques mois plus
tard, reprendre le vol pour le Canada, le plus long voyage
pontifical à cette date, ou Wojtyla portait une condamnation
définitive de la "théologie de la libération- (c'était en
septembre 1984: le pure Leonardo Boff venait d'être convoqué à
Rome). Passant de l'Atlantique an Pacifique des communautés de
pêcheurs de Terre-Neuve aux réserves indiennes (et manquant les
Esquimaux pour cause des mauvaises conditions atmosphériques),
avec une étape à Montréal où, dans le stade, deux cents
figurants lui rendaient hommage de chorégraphe était celui des
Jeux Olympiques), Karol Wojtyla se livra a l'illustration de la
doctrine sociale du Vatican: le socialisme a tous les torts,
l'unique faute du capitalisme est de distribuer inégalement les
richesses. Suivait un lâcher de ballons ou un chant choral. Puis: 'Le Sud pauvre jugera le Nord riche !'
L'idéal est la paix, le progrès, la
justice. Le ton est à la prophétie, à l'apocalypse (nucléaire).
Mais l'Église est là, qui sait pardonné - il va de soi que pour
être pardonner, il faut d'abord avoir commis la faute: le Nord
qui s'est enrichi, et qui encore s'enrichit en exploitant le
Sud, doit se repentir et sera écouté par le Saint Père. Et par
antithèse le Sud des regards se tournent vers l'Amérique latine
et ses prêtres-politiciens, ne peut avoir raison avec sa
théologie marxisante, il doit au contraire réapprendre à excuser
les exploiteurs dûment confessés.
Ce qui, dans l'ensemble, correspond aussi à
la politique économique du Vatican: lequel, nous y reviendrons,
n'a jamais hésité à s'associer aux opérateurs les plus
réactionnaires pour assurer un renouvellement - et, le plus
souvent, un accroissement - de ses richesses. Quitte, au besoin,
à faire plus tard amende honorable.
L'insertion du Saint-Siège en tant que
médiateur sur l'axe Nord/Sud trouve encore une illustration dans
la récente affaire de Malte (320.000 habitants, 85 % de
catholiques et une Église plus que puissante). En septembre
1984, le premier ministre Dom Mintoff se prononçait à
l'improviste pour la gratuité de l'enseignement. Ce qui allait a
l'encontre des intérêts des soixante-douze écoles
confessionnelles de l'île (20.000 étudiants) qui refusaient de
commencer l'année scolaire. La 'guerre scolaire' était
déclarée. Le bras de fer dura deux mois, et fut émaillé de
manifestations violentes et même d'actes de terrorisme. Rome
appuyait en tous points la fermeté de son évêque. En novembre,
un accord provisoire était souscrit: l'État s'engageait à
financer les écoles catholiques durant un an, en contrepartie de
la rédaction d'une liste complète des biens ecclésiastiques
(afin d'estimer le réel besoin d'aide publique de chaque
institut).
L'accord qui renforce l'emprise culturelle
de l'Église maltaise, fut signé à un moment particulier : juste
alors, Malte renégociait avec le gouvernement de Rome le traité
de 1980 portant sur la protection militaire de l'île par
l'Italie, intégrant une subvention de 60 millions de dollars et
la permanence d'une mission technique. Les nouvelles
propositions italiennes étant jugées peu crédibles, Dom Mintoff
s'adressa à Kadhafi (la Lybie avait déjà été présente à Malte
jusqu'en 1979) qui, surenchérissant, offrait pétrole et aide
militaire directe.
On comprend mieux l'enjeu de ce
retournement d'alliance quand on Sait que Malte se situe à 110
kilomètres de la Sicile et à 350 kilomètres de la Lybie, et fut
surnommée par les Anglais "la forteresse de la Méditerranée"
durant le dernier conflit mondial. Le bas profil maintenu par le
gouvernement italien durant les négociations s'explique par la
crainte de voir Malte s'adresser à l'URSS qui ferait n' importe
quoi pour acquérir une base maritime couvrant la région
moyen-orientale. En somme, le retour de Kadhafi sur l'île n'est
qu'un moindre mal.
D'autre part, le Saint Siège tire un
avantage direct de cette présence libyenne. Sa séculaire
implantation dans l'île lui permettra d'entrer en contact
rapproché avec un des chefs de l'Islam. L'Église s'est toujours
montrée hésitante dans ses avances envers les musulmans trop
souvent désunis. Kadhafi pourrait devenir le juste interlocuteur
du Saint-Siège (et à travers lui, de l'Occident) car il
représente un régime fort et monolithique, tout aussi
monolithique qu'apparaît le gouvernement de l'Église.
A ce sujet, ce n'est certes pas par hasard
que le successeur de Dom Mintoff qui vient de se retirer de la
politique active, soit Carmelo Mifsud Bonnici, auparavant
ministre de l'Instruction (directement impliqué Dans la 'guerre
scolaire') et dont un frère est archiprêtre.
Image et
conformisme de masse
Ainsi la diplomatie déployée par le
Saint-Siège joue-t-elle sur le théorème des extrêmes opposés
(qui évite, dans tous les cas,, de devoir se démentir), ce qui
amène à dire tout et le contraire de tout, dans une pratique
frisant souvent la schizophrénie.
Schématiquement, il s'agit soit de réaliser
un compromis (ou une compromission ?) avec des régimes forts de
droite ou du centre, afin de peser sur l'équilibre entre
socialisme et capitalisme, soit de tenter une récupération des
utopies politico-religieuses (cfr. la 'théologie de la
libération'), visant cette fois à modifier l'équilibre en sa
faveur. Les deux thèmes sont traités à travers l'élaborat on de
la dichotomie bien-mal (bien et mal étant, cas par cas,
redéfinis). Cette diplomatie insiste d'abord, comme il a été
dit, sur l'axe Est-Ouest, et y introduit une variable nouvelle
et pressante, le Tiers Monde. Nous avons ainsi une sorte de
tableau à deux entrées (bien, mal) et à trois variables (Est,
Ouest, Tiers-Monde) sur lequel le Saint-Siège déplace ses pions
selon un nombre restreint de combinaisons possibles. Deux de ces
combinaisons sont le refus total de l'Urss et l'appui plus ou
moins camouflé a Ronald Reagan.
On ne s'étonnera pas du parallélisme qui se
dessine entre la personnalité de Reagan et celle du pape
Wojtyla. Tous deux sont des hommes de spectacle dont la présence
au monde est assurée par l'image projetée à travers les mass
media. On connaît, à ce propos, le passé cinématographique de
Reagan, mais peut-être ignore-t-on le spectacle de music-hall
intitulé 'One World One Peace (musique de Francy Boland et Tito
Fontana, interprétation de Sarah Vaughan) commandé par Wojtyla
sur base de ses recueils de poésie, et dont il existera bientôt
des versions sur disque en anglais, italien, portugais, allemand
et espagnol des grandes langues du catholicisme). Reagan comme
Wojtyla est un 'homme de façade' derrière laquelle s'activent de
très compétentes équipes de technocrates responsables des
décisions qu'il transmet à son tour par la télévision. Le taux
d'écoute de tous les deux dépend essentiellement de l'intensité
du charisme libérateur qu'ils emphatisent sur l'écran. L'un
comme l'autre recourent au spectre de l'apocalypse exprimé en
idées sommaires. Ils jouent aussi sur la contradiction entre les
risques de la 'nouvelle frontière' (technologique, économique,
ou religieuse) et les valeurs traditionnelles qu'ils prônent, le
tout assaisonné d'accents prophétiques (ils se disent mandatés
par Dieu). Ils privilégient, dans la communication, le moyen
télévisuel qui offre une représentation 'froide' (c'est-à-dire
sans participation) où le contact humain est réduit à sa plus
simple expression et ils déploient beaucoup d'astuce pour faire
croire au contraire.
La magie, dans cette communication, est
celle du plus grand dénominateur social, lequel a pour
composantes le conformisme de masse, le triomphalisme et la
répétition. Par eux, Reagan comme Wojtyla se constituent en
objet de consommation immédiate dont ils tentent de saturer le
marché.
Et encore : l'activité du pape crée des
remous qui, à l'échelle locale, peuvent être jugés outranciers
mais confèrent suffisamment d'énergie cinétique à leurs ondes de
choc pour qu'elles se propagent jusque dans les zones les plus
reculées de la planète, le fait est que, plus on s'éloigne de
Rome, plus le pape bénéficie d'une renommée positive.
L'illustration la plus flagrante de cette activité sont ces
voyages pontificaux dont nous avons esquissé quelques aspects et
qui sont décrits par l'Osservatore Romano : 'une manière de
communier avec tous et avec chacun, une manière de se concilier
concrètement aux hommes des années Quatre-vingts en marche vers
l'An 2000'. Triomphalisme, encore, et tentative d'accréditer
l'existence d'un dialogue avec la masse, alors que celui-ci
n'existe qu'avec la classe politique dirigeante, dont le pape ne
se sépare presque jamais.
Plus concrètement, Reagan et Wojtyla
partagent deux grandes préoccupations : la Pologne et le
Nicaragua, et aussi un triste privilège : celui d'avoir été
victime d'un attentat (dûment manipulé par les mass media).
Karol Wojtyla détient aussi un record : en
six ans de pontificat, il totalisait en janvier 85 soixante-dix
voyages, dont vingt-six hors de l'Italie, pour un total de
336.000 kilomètres, soit plus de huit fois le tour du globe.
Evêques et
cardinaux
Avant d'en venir aux finances du Vatican, dernier mot à propos
du synode des évêques et du Sacré Collège de,, Cardinaux. Le
synode des évêques, organe consultatif créé par Paul VI cri 1965
et comparable à une chambre des députés, comprend quelques deux
cents représentants des Conférences épiscopales nationales (la
première a été fondée en Belgique en 1830: elle est
actuellement dirigée par le cardinal Godfried Danneels,
archevêque de Malines-Bruxelles). La fin de ces conférences est
de servir d'écran entre les États et le Vatican qui, étant
lui-même un État. Il peut intervenir directement dans leurs
affaires intérieures. A elles, par exemple, revient la tâche de
désigner le 'bon vote' en cas d'élection politiques. L'existence
du synode introduit quelque élément de 'démocratie dans le
gouvernement de I' Église, puisque la plupart de ses membres sont
désignés par un scrutin dans la hiérarchie religieuse Le Sacré
Collège des Cardinaux, l'ex-parlement du pape, joue un rôle plus
important. Les cardinaux, nommés par le pape et citoyens de
droit de la Cité du Vatican, sont au nombre théorique de 129 (il
y en a actuellement 126). Ils prennent leur retraite à 75 ans et
ont encore droit de vote en conclave (élection du pape) jusqu'à
80 ans (97 d'entre eux n'ont pas atteint cette limite d'âge).
Ils ont le rang de prince du sang, et détiennent le titre
d'Éminence. La plupart d'entre eux habitent à l'intérieur ou à
proximité immédiate de la Cité, dans de luxueux appartements mis
gratuitement à leur disposition par le Saint Siège. Leur
traitement, légèrement inférieur à celui d'un sénateur Italien,
se complète d'indemnités, d'offrandes personnelles, et des
bénéfices pour la protection d'ordres (privilège théoriquement
aboli). Ils sont le pilier du gouvernement de l'Église et Il
n'est pas de décision ou de document qui, avant d'être ratifié
par le pape, ne soit discute par eux.
Le
Governatorato
Du point de vue matériel, l'existence du
Vatican est assurée par le Governatorato de l'État de la Cité,
dont les activités sont contrôlées par une commission
cardinalice, Son président l'archevêque Paul Marcinkus y assure
le pouvoir exécutif.
Les dépenses de l'État sont essentiellement
constituées par l'entretien des édifices et des musées,
l'approvisionnement de la Cité en biens de consommation et
d'équipement. le traitement des employés et des gardes suisses,
et le fonctionnement de la radio vaticane. Ses revenus
proviennent de la vente des timbres (3.750.000 dollars en 1976),
des entrées aux musées (2 millions de billets vendus durant
l'année Sainte de 1975), de la mise sur marché de la monnaie
vaticane (avec une circulation limitée à 100 millions de Lire;
l'émission est à charge de l'Hôtel des Monnaies d'Italie), et de
l'exploitation des terrains de culture que le Vatican possède
un peu partout en Italie, Le bilan de la Cité est cri général,
en déséquilibre. Un délégué spécial laïque, le marquis don Giolio Sachetti épaulé par un conseil de noble-romains, en
surveille les entrées et les sorties.
La radio Vaticane, essentiel instrument de
propagande, émet à partir d'installations situées en dehors de
Rome (sur utile propriété extraterritoriale) et emploie 260
personnes dont 65 laïcs des techniciens surtout, de 35
nationalités différentes. File diffuse des programmes d'une
longueur moyenne de quinze minutes en 32 langues y compris le
mandarin !) Leur contenu est directement soumis à l'approbation
de la Secrétairerie d'État. Les coûts lié à cette radio,
comparés à ceux d'autres émetteurs, sont relativement réduits
bien qu'elle n'accepte pas de publicité. Elle est actuellement
en phase de modernisation, dont la dépense extraordinaire (près
de 10 millions dollars, dont 3 millions pour une antenne
pivotante unique au monde) est à charge de la Secrétairerie
d'État. Parallèlement, vient d'être créé un centre de
production télévisée travaillant à la diffusion de l'image
charismatique du Saint Père: son premier reportage, sur le
voyage de Wojtyla à Lourdes, a été diffusé par les télévisions
occidentales et acheté un peu partout en Amérique latine.
La radio vaticane est aux mains des
jésuites. Leur ordre, Fondé au XVIème siècle pour aider à 'la
conversion des courtisane, au baptême et à la défense des
juifs', a toujours prêté son concours, dans les domaines
intellectuel, culturel et de la communication, à
l'administration de l'Église. Un Belge fait partie de son
'gouvernement’: Simon Decloux 53 ans, l'un des quatre
conseillers du 'général' Hans Peter Kolvenbach.
En substance : l'Osservatore Romano est
dirigé par Mario Agnes ex-président de l'Action catholique,
puissante organisation italienne : le Service de Presse du
Saint-Siège est géré par Joaquin Novarro-Valls, Espagnol et
membre de l'Opus Dei; la télévision se développe sous la
houlette de Communion et Libération, autre influente
organisation catholique; la radio, comme il vient d'être dit,
est aux mains des jésuites; l'Opus Dei, encore, est bien
introduit dans le Conseil pontifical pour la famille (chargé de
divulguer et de faire appliquer l'enseignement de l'encyclique Humanae Vitae). Le tout est chapeauté par la Commission
pontificale pour les communications sociales, dirigées par
d'étroits collaborateurs du pape. Karol Wojtyla dispose là
d'instruments dociles veillant à l'efficace diffusion de son
image. Et, même, faisant vigilance en-dehors du Vatican.
Récemment, un vaticaniste (ainsi nomme-t-on
les journalistes spécialisés dans les affaires du Saint-Siège)
publia un article où était, entre autres jugements, jugements
positifs, critiquée l'attitude du pape-voyageur. Le journaliste
rapportait les témoignages d'autorités théologiques exprimant des
doutes quant à la valeur du triomphalisme mondain de Karol
Wojtyla.
Réaction foudroyante du Vatican: le
lendemain, un communiqué officiel repoussait 'avec indignation
le travestissement des pèlerinages du pape'; l'Osservatore
Romano, par la plume de son directeur, estimait que l'article
'transpire de l'anticléricalisme le plus démodé, sourd et
sordide', fruit du 'néo-intégrisme radical-clérical du
laïcisme' lequel 'a peur de ce que le pape, allant en personne
vers tous les peuples, se courbant, même physiquement, vers
l'homme concret là où il souffre, bouleverse les mentalités, les
méthodes, et les systèmes d'un néo-féodalisme fermé sur lui-même
(lui, çà et là, de façon parfois évidente, mais le plus souvent
subtile, blesse la dignité de la personne'. Et une sanction
était prise : le journaliste visé perdait le privilège (payant)
d'accompagner le pape dans son prochain voyage en Amérique
Centrale.
L'avertissement est brutal: il est
interdit de critiquer le pape, même a travers le témoignage de
tiers. Ce qui n'empêche ce pape de prêcher partout la liberté
d'expression. L'ultime sanction du genre remonte à 1974, quand
un correspondant avait publié une caricature jugée offensive à
l'encontre de deux évêques sud-américains qui défendaient
ouvertement l'œuvre du général Pinochet.
Le
pape-patron
Le personnel employé au Vatican comprend,
au total, 3000 personnes. Le Governatorato à lui seul en absorbe
1.400, presque tous laïcs et chargés, sous la direction de
religieux, des tâches techniques. Leur traitement est inférieur
au minimum vital reconnu en Italie où la plupart d'entre eux
habitent (et où ils sont exonérés des impôts).
Malgré un horaire de travail désormais de
36 heures semaine et la possibilité de bénéficier de quelques
avantages matériels (produits détaxés, etc), les conditions
d'existence de ce personnel laïque demeurent précaires. Autre
est le cas des employés religieux, dont les besoins essentiels
comme le logement et la pension sont assurés par leurs ordres
respectifs.
L'évolution de la prise de conscience et la
lutte du personnel laïque est typique de l'abîme qui sépare la
théorie sociale proclamée par le Saint-Siège et la pratique de
cette théorie dans ses propres murs.
Jusqu'au début du XXème siècle. l'employé
du Vatican recevait une compensation périodique, à laquelle
venait s'ajouter les 'incertains', c'est-à-dire une partie du
chiffre d'affaires réalisé par son bureau et laissé, par
l'administration centrale, à disposition du chef de service (un
religieux) qui la distribuait à date fixe et suivant une
hiérarchie et un rite compliqué. Chaque dicastère avait son
règlement propre. Il en résultait de profondes inégalités dans
les revenus, et aussi une dépendance totale de la personne
vis-à-vis du patron. Un système moyenâgeux - alors que
l'encyclique Rerum Novarum condamnait l'asservissement de
l'homme par le travail - les 'petits chefs', toujours attentifs
à bien faire pour accroître leurs privilèges jouaient un rôle
prépondérant.
Ce n'est qu'en 1979, à la lueur des luttes
sociales alors en cours en Italie, que les laïcs du Vatican
réussirent à imposer l'idée d'un syndicat, lequel, pour ne pas
choquer la susceptibilité des vieux cardinaux considérant ce
genre d'organismes comme autant d'associations de malfaiteurs
prit le nom d'association ne pouvant agir qu'en tenant compte du
milieu particulier, de la parcimonie et des 'disponibilités
réelles' du Saint-Siège. Cette association, qui doit aussi être
autonome, indépendante et apolitique, cherche à se faire
l'expression pratique de la doctrine Sociale de l'Église et
l'exemple concret de l'enseignement du pape. Une offre que même
un souverain pontife conservateur comme Wojtyla ne pouvait
repousser lui qui prêche que le travail est la fonction de
l'homme qu'il doit en valoriser la dignité, et que les syndicats
défendent de justes droits, ...
La constitution de l'association des
employés fut formalisée en 1980 lors d'une audience privée de
deux heures entre ses représentants le pape et le Secrétaire
d'État (un privilège !). Une commission dirigée, pour la part du
Vatican, par Jan Schotte Belge, mission de Sheut et archevêque
titulaire de Silli n'a à cette heure pas encore rejoint un
accord sur un contrat de travail unifié. Ici encore, comme
chaque fois qu'il s'agit de négocier, le Saint-Siège vise à
l'usure: il a le temps, ce qui n'est pas le cas de ses
dépendants qui ont charge de famille.
Les employés, pourraient recourir à la
grève pour débloquer la Théoriquement, ce droit ne leur est pas
nié. Mais, il est considéré comme non opportun" (une Injonction
qui, pratiquement, équivaut à une interdiction) et est inclus
dans la catégorie de la conflictualité permanente et la lutte de
classe vers laquelle la revendication, de personnel ne peut en
aucun cas «glisser». Le patron sait se défendre.
Retenons encore que les employés du Vatican
ne bénéficient pas de la garantie d'une juridiction propre du
travail, et que donc les licenciements restent a la discrétion
des autorités. La menace, en cas de non-conformisme est
flagrante. Bel exemple de duplicité, pour une dont est issue la
deuxième centrale syndicale italienne, ut lipour mi pape ardent
souteneur des droits et lides grèves de Solidarnosc. Mais il est
vrai que tout cela se passe 'à l'étranger', que Solidarnosc (en
définitive récupérable on l'a vu) se rebelle contre le
communisme, et que le syndical catholique italien lutte contre
l'emprise de la gauche.
Le tribunal civil du Vatican a été amené en
1984 a émettre Pour la première fois une sentence en matière de
travail. Trois journalistes allemandes de la radio, avec
respectivement douze, neuf et huit ans du service, rétribuées
entre 15 et 18.000 Lire par jour (un salaire inférieur à celui
d'un journalier agricole dans les régions les plus pauvres de
l’Italie), avaient été licenciées pour 'incompétence
professionnelles - en réalité, pour incompatibilité de caractère
avec leur nouveau chef de service. Préférant ne pas envoyer au
pape, leur chef suprême, une supplique à laquelle il aurait été
opposé une fin de non-recevoir, elles firent recours en justice.
Le tribunal du Vatican, seule juridiction compétente, rejeta la
demande en fonction d'une loi fasciste de 1926 (soit
quarante-six ans avant la rédaction du statut des travailleurs)
concernant 'l'emploi a temps indéterminé avec rétribution à la
pièce' qui indique que le patron ne peut en aucun cas être
poursuivi s'il a versé une indemnité de licenciement. Et cette
indemnité, bien maigre, avait été versée aux trois, journalistes
juste avant le 'procès'.
Le Vatican s'est une fois de plus servi de
l'ambigüité entre droit canon (déterminant la compétence) et
droit italien (déterminant la sentence).
Karol Wojtyla, si fier de son passé
d'ouvrier ne semble pas prêt à admettre une opposition
institutionnalisée sous son propre toit. Pour lui, même si
l'association des employés du Vatican a réussi à ébranler les
rapports médiévaux de dépendance (à la fin du XX' siècle !),
tout doit continuer à se dérouler à l'enseigne du paternalisme
entre les travailleurs de seuls au monde à jurer fidélité à leur
patron et l'infaillible propriétaire des moyens de production,
c'est le pape. Sans compter que celui-ci considère encore le
travail de ses dépendants comme un privilège, un apostolat, une
mission.
A.P.S.A.
Les finances officielles et déclarées du Saint-Siège, et qui ne
représentent qu'une infime partie des affaires brassées par lui,
sont du ressort de l'Administration du Patrimoine du Siège
Apostolique (APSA) dont la fondation remonte à 1878, quand le
pape, au moment de l'unification de l'Italie, dût pour subsister
se transformer de latifuduntiste en capitaliste, et que les
revenus officiels du Saint-Siège se trouvèrent drastiquement
réduits aux offrandes principalement des fidèles européens.
La tâche de l'APSA est d'organiser
financièrement l'administration (dicastères, archives,
bibliothèques), de pourvoir aux investissements et à tout
mouvement de capitaux. Sous sa forme actuelle, l'APSA est
contrôlée par une commission de cinq cardinaux et se compose
d'une section ordinaire (elle pourvoit à l'entretien du synode
des évêques, du Collège des Cardinaux, du Vicariat de Rome, des
universités et collèges pontificaux, de l'Osservatore Romano, de
l'administration palatine, etc…) et d'une section extraordinaire
conçue pour gérer les compensations versées par l'Italie au
Saint-Siège après la signature, en 1929, du premier concordat
pour un montant de 802 millions de dollars de l'époque (et
réputées 'limitées au strict minimum'). Ce capital fut investi
en bonne partie en titres solides. Récemment, l'APSA a acquis
des obligations et actions des sociétés Gulf Oil, IBM, General
Electric General Motors Shell, etc. Elle a pour conseillers les
banques Rotshild et Hambros de Londres, la Chase Manhattan, la
First National et la Morgan Guaranty de New York, et le Crédit
Suisse de Zurich. Le montant exact de son portefeuille est une
fois de plus tenu secret et comprend, outre la totalité du
patrimoine mobilier, une petite partie du patrimoine immobilier
de revenu.
On a pu parler, à un certain moment, d'un
total de quelques 300 millions de dollars.
L'APSA est d'autre part reconnue comme
banque centrale par le FMI, la Banque des Règlements
Internationaux, et la World Bank. En plus des postes de dépenses
déjà cités, l'APSA prend en charge les frais des cérémonies, des
conclaves (5 millions de dollars en 1978, pour les élections
successives de Jean-Paul I et Jean-Paul II), des voyages du
pape, et de l'entretien de la diplomatie.
L'administration de l'Armée Sainte 1983-84
dépendait de l'APSA pour les traitements du personnel (quatre
employés), les publications, etc. Ses cérémonies d'ouverture et
de fermeture furent réglées par le metteur en scène Zefirelli
(Jésus de Nazareth). Le
tout pour un budget minime, si l'on considère que le gros du
travail a été déchargé sur des comités spécifiques (un pour
chaque événement: le jubilé des handicapés, des jeunes, des
militaires, etc…) ou locaux déjà existants ou créés pour la
circonstance. D'autre part, le logement des pèlerins a été
assuré par des agences de voyages conventionnées avec des ordres
religieux offrant la pension complète à des prix imbattables (et
pour cause: ils disposent d'une main d'œuvre gratuite). A ces
coûts, il faut ajouter les heures supplémentaires fournies par
les Sampietrini ou les ouvriers de la Fabrique de Saint-Pierre
et l'illumination très coûteuse des basiliques, etc… Là où le
Saint-Siège y a certainement gagné, c'est dans le volume
croissant des offrandes laissées par les pèlerins.
Tandis que l'infrastructure urbaine
indispensable à canaliser le flot humain qui déferlait sur la
cité (une moyenne de 30.000 personnes par jour, avec une pointe
de 100.000 les jours d'audience publique du pape) était
'généreusement' laissée à charge de la municipalité
(communiste) : coût probable entre 4 et 7 millions de dollars, y
compris quelques initiatives culturelles (coordonnées, cette
fois, avec le Vatican). Sans compter avec les immenses
embouteillages quotidiens causés par les autocars et raison de
la nervosité croissante des habitants.
En somme, le pape continue à disposer, par
force d'habitude de Rome comme d'une propriété privée et pour un
investissement contenu a réalisé à travers l'Armée Sainte une
opération promotionnelle d'envergure planétaire lui permettant,
sans se déplacer, de prendre le pouls de toutes les Églises du
monde et par là même de réaffirmer sa permanence. Le tout en un
grand spectacle qui est autant folklorique que religieux - et
donc, très 'vendable'- tandis que la communauté romaine,
traditionnellement indifférente à ce genre de mise en scène,
n'en a subi qu'une gêne permanente et s'est vue obligée d'y
engouffrer une partie des taxes qu'elle paie.
Le
patrimoine
Nous avons déjà mentionné l'importance du
patrimoine mobilier du Saint-Siège, géré par l'APSA Son
patrimoine immobilier, bien que lui aussi couvert par le secret,
étant matériel est plus facile à déterminer.
Les 44 hectares proprement dits du Vatican
(constitués par des appartements, les musées, les jardins, et la
basilique Saint-Pierre), ainsi que 688.000 m² de terrains
construits à usage administratif, plus les universités
pontificales, plus les quelques 40 hectares de la villa d'été du
pape à Castelgandolfo, plus encore 550 hectares d'exploitations
agricoles, 200 hectares en bordures de mer et 1.200 hectares en
périphérie de Rome, constituent ce que l'on appelle
l'extraterritorialité du Vatican et échappent à la juridiction
italienne. Il n'en va pas de même pour les 325 ordres féminins
(19.812 membres) et les 87 ordres masculins (5.730 membres)
représentés à Rome, avec 600 maisons-mère, 306 paroisses, 30
cloîtres et 1.700 communautés, qui possèdent d'énormes
propriétés dont une bonne part est constituée par des immeubles
de rapport. Ces propriétés ne sont pas - s'en étonnera-t-on ? -
recensées comme telles, mais sont enregistrées auprès du
cadastre de l'État italien sous les dénominations les plus
diverses comme: chapitres, confraternités, archiconfraternités,
congrégations, vicariats, provinces ecclésiastiques, diocèse,
archidiocèse, basiliques, archibasiliques, secrétariats,
hospices, athénées, collèges, instituts, procures, cures,
fondations, sociétés, œuvres pieuses, missions, personnes
morales gérées par des congrégations, maisons d'exercices
spirituels, conservatoires, séminaires, comités, etc. Une
véritable jungle de noms et prête - noms - car il faut savoir
qu'une 'maison pieuse' n'entre pas dans le même registre qu'une
'pieuse maison'...
Quelques exemples: le Collège
ecclésiastique belge possède un grand immeuble face au palais
présidentiel ; les sœurs de Notre Seigneur de Namur, deux
immeubles pour un total de 43.000 m' dans une zone centrale de
la ville ; tandis que l'Ordre Hospitalier de Saint-Jean détient
l'entièreté de l'île sur le Tibre. Ces propriétés sont dites
improductives, et le sont au moins en partie, puisqu'elles
servent à l'exercice des ordres mentionnés (tout comme les 792
instituts d'éducation et les 325 maisons de bienfaisance
dispersés dans la cité).
Spéculation
Sous cette réalité en apparence
inoffensive, se cache en fait ce qui a été souvent dénoncé comme
le premier empire immobilier de Rome. Selon certaines
estimations, il couvrirait un quart de la superficie de la
capitale et équivaudrait à plusieurs centaines sinon milliers -
de millions de dollars. Car il faut, en plus de ce qui est
enregistré, compter avec les 'fraudes pies' (l'attestation à un
prête-nom de biens de l'Église) et les 'fraudes impies' de fait
de privés qui, pour échapper aux taxes italiennes, attestent
formellement leurs biens au nom d'un ordre) dont bénéficient
aussi bien laïcs que religieux. Un jungle, disions-nous, où un
terrain peut appartenir à une communauté et la construction qui
y est posée à un autre. Où la plupart des biens ne sont
déclarés que pour une valeur symbolique et, étant réputés à fin
de culte de religion, d'instruction, d'assistance, d'apostolat,
d'évangélisation des infidèles et de miséricorde, bénéficient
d'exemptions fiscales généralisées (conquises, de droit ou de
fait, avec la complicité du pouvoir démocrate-chrétien), de
contributions extraordinaires (censés, décimes du culte, etc…),
d'exemption de la 'main morte' (taxe sur la succession des
sociétés), de subventions communales pour l'entretien des
édifices du culte, d'exonération sur le matériel de construction
et sur la valeur ajoutée aux immeubles, de libertés douanières,
du paiement retardé de la TVA, de l'exemption des taxes
professionnelles et même d'aides au 'clergé nécessiteux'. Pour
ne citer que quelques banales facilités. Ce qui permet au
Saint-Siège (toujours, s'entend, sous les dénominations les plus
hétéroclites) de se lancer sans contrôle extérieur dans des
opérations de vente et achat de 'biens pour catéchumènes et
novices' avec des banques et sociétés financières toutes plus ou
moins liées au Vatican. Et ce sur la foi d'expertises qui lui
sont, comme par hasard, toujours favorables.
Sans oublier le système des dévolutions,
par lequel sont restitués au Saint-Siège, à terme déterminé, des
biens affectés à des congrégations. Et les legs exécutés 'en
échange du paradis', qui doivent pourtant être concordés de fois
en fois avec le gouvernement italien (ce qui donne une dimension
de l'importance, pour le Vatican, de la collusion avec les
politiciens).
Un exemple : en 1981, meurt la dame Ines
Villa Penna propriétaire de terrains en Calabre et d'immeubles
dans le centre historique de Rome. Elle laisse l'ensemble à la
Compagnie de Jésus, mis à part quelques appartements destinés à
ses plus proches collaborateurs. Les Jésuites mettent
immédiatement en vente fractionnée les immeubles de Rome,
passant outre le testament de la vieille dame qui prévoyait la
'protection de ses chers locataires'. La pratique est
inhabituelle : le droit canon, seul compétent en ce genre
d'opérations (à l'exclusion du droit italien, même si
l'opération se déroule sur le territoire de l'Italie) prévoit
que les ordres, pour vendre un bien immobilier, doivent avancer
une raison de bienfaisance. Ce qui peut, parfois, entrer en
contradiction avec l'usage véritable qui est fait du capital.
Pour éviter ce écueil, les ordres procèdent souvent par vente
lente, un appartement par an par exemple, et opposent une fin de
non-recevoir à toutes les protestations de particuliers
italiens.
Cette fois, au contraire, la Compagnie de
Jésus démontre la volonté de conclure l'affaire au plus vite:
la raison en est certainement que, afin de ne pas devoir inclure
l'immeuble dans leur patrimoine - et donc de se trouver après
coup dans l'obligation d'en justifier la vente - les jésuites
préfèrent vendre d'abord et intégrer dans leur bilan un capital
liquide qu'ils ne doivent pas déclarer.
Il s'agit, en quelque sorte, de sauter une
étape. La plus importante. A noter encore que seules les
habitations sont mises en vente : la tendance du Saint-Siège est
en effet, depuis une quinzaine d'années, de se débandasser des
locataires désormais trop bien protégés par la loi (italienne)
et ne conserver que les locaux commerciaux de meilleur rapport.
Le sac de
Rome
Ainsi le Saint-Siège participe-t-il activement à la
transformation de la morphologie de Rome, au "recyclage" de son
centre (où il possède la plupart de ses biens) en bureaux et
négoces, repoussant petit à petit la population vers la
périphérie où agissent les spéculateurs immobiliers dont bon
nombre sont étroitement liés au Vatican. Au point que, dit-on en
ville, le Vatican est en train de se livrer au troisième sac de
Rome de premier date de l'antiquité, et fut l’œuvre des
barbares; le second fut réalisé par les grandes familles de la
Renaissance, avides de vieux marbres pour leurs palais). Un sac
conçu et réalisé avec la complicité active de sociétés
immobilières et d'assurances, de banques et autres capitalistes
attirés par les énormes richesses du palais de l'Église ou
directement dépendants d'elles.
Et encore, ceci ne concerne que Rome. Le
même discours peut être fait à propos de la plupart des villes
d'Italie et de tant de cités d'Amérique du Sud... Ce qui est en
parfait contraste, un de plus, avec les dires de Karol Wojtyla:
'Le Siège Apostolique ne développe et ne peut développer
l'activité économique propre à un Etat; et exclut de ses
finalités institutionnelles la production de biens économiques
et l'enrichissement par la rente', tandis que l'offrande doit
être son seul moyen de subsistance 'sans recourir à d'autres
moyens qui pourraient apparaître comme moins respectueux de son
caractère particulier'. Une affirmation complètement démentie
par ce qui précède et qui n'est pourtant qu'un pâle croquis des
activités immobilières du Saint-Siège.
Non sans raison l'on commence, dans la
chrétienté, à se rendre compte de ce double jeu. En 1974, le
fait était dénoncé lors d'un congrès des catholiques romains et
repris, la même année, par le synode des évêques qui demandait:
'Les biens de l'Église sont-ils toujours administrés comme le
patrimoine des pauvres ? Leur gestion parfois n'induit-elle pas
une accumulation de la richesse identifiant l'Église avec les
riches et les puissants, tandis qu'elle réduit sa crédibilité
quand elle cherche à s'élever contre l'injustice et promouvoir
la justice ?' La question posée par le synode - un organe
consultatif, donc sans poids réel - est jusqu'à présent demeurée
sans réponse de la part de 'l'accusé'. Tandis que Ugo Poletti le
Vicaire Général de Rome en 1984 exhumait les résultats du
congrès des catholiques pour en retourner le sens: selon lui,
les 'maux' de Rome (spéculation immobilière, etc) sont dus au
manque d'ouverture des institutions communales (à dominante
communiste) à l'offre de collaboration charitable de l'Église,
et de citer la disponibilité des 3.000 volontaires de Caritas
Catholica. L'Église, comme il a déjà été mentionné, se sert du
paravent de la religion pour masquer ses autres activités.
Faisons un dernier exemple, digne d'une
anthologie: le palais de la Dataria, toujours au plein centre
de Rome, fut cédé par le Vatican à l'agence APSA pour le
ridicule montant des frais de notaire, mais sans pour autant que
l'immeuble historique perde ses privilèges
d'extraterritorialité. En conséquence, l'agence de presse
'officieuse' du gouvernement italien opère sur un territoire du
Vatican. Peut-on rêver mieux comme éventuel moyen de pression
occulte ?...
En 1977, l'hebdomadaire milanais «Europeo»
publiait une enquête sur les exactions immobilières du
Saint-Siège. Réaction immédiate de l'Osservatore Romano : ces
articles relèvent d'un anticléricalisme obtus, ils sont
'anticulturels' (?), irresponsables, et ne visent qu'au scandale
gratuit. Une condamnation qui, pourtant, ne comporte aucun
démenti. Quinze jours plus tard, le directeur de la revue, sous
pression de l'éditeur doublement lié au Vatican, remettait sa
démission (à vrai dire, ce directeur n'avait auparavant pas été
tendre avec le monde de la finance catholique et la politique
attenante).
L'argument principal opposé à l'Europeo par
le Saint-Siège était que celui-ci n'intervient pas dans
l'organisation et la gestion des différents ordres religieux
qui, par conséquent, disposent de leurs biens comme bon leur
semble. La chose est peut-être vraie, mais c'est oublier que les
administrateurs de ces biens sont nommés par les évêques, que
les évêques sont contrôlés par les cardinaux, que les cardinaux
sont nommés par le pape qui, d'autre part, se proclame
constitutionnellement 'administrateur et dispensateur' de toutes
les richesses ecclésiastiques. C'est oublier aussi que les
ordres, pour réaliser leurs opérations immobilières, doivent se
munir d'une autorisation délivrée par la curie.
Le patrimoine de l'Église apparaît donc
comme fractionné et incontrôlable par l'Église elle-même mais
pratiquement, puisqu'il dépend de la hiérarchie ecclésiastique,
il est réuni de manière invisible et efficace.
Et demeure une interrogation : pourquoi le
Vatican, tellement spécialisé dans le "silence pieux", aurait-il
daigné intervenir lors de l'enquête de l'Europeo si celle-ci
n'était vraiment qu'un tissu de mensonges ? Il est vrai que nous
nous trouvions alors en pleine époque de révision du concordat,
et que le Saint Siège avait tout intérêt à apparaître au public
comme plus que jamais nécessiteux. Comme il a été dit, en
appendice au "nouveau" concordat ont été élaborées, plus ou
moins dans les délais prévus, des normes précises en ce qui
concerne le régime des biens de l'Église, le statut de son
patrimoine culturel, et le traitement du clergé.
Le canon 1256 du droit de l'Église établit
que 'la propriété des biens, sous la suprême autorité du Pontife
Romain, appartient à la personne juridique (paroisse, diocèse)
qui les a légalement acquis'. Et le canon 1276 : "Le Pontife
Romain, en vertu de la suprématie de son gouvernement, est
l'administrateur et l'économe suprême de tous les biens
ecclésiastiques. Il y a donc séparation entre propriété et
administration ; la propriété étant régie par le droit canon
et/ou le droit italien, tandis que l'administrateur échappe, vu
sa position, à la loi. Ce qui laisse à nouveau la porte ouverte
aux abus dont nous venons de parier.
D'autre part, dans cet appendice au
concordat, une généreuse confusion entre 'nature' et 'activité'
religieuse est maintenue, qui a jusqu'à présent permis un
certain enrichissement des organismes religieux des gains
pouvant être escamotés et aussitôt réinvestis dans d'autres
activités) : un cinéma peut-il ainsi jouir des mêmes
exonérations fiscales qu'un hôpital? Selon les nouvelles normes,
'sont considérés comme ayant une fin religieuse ou de culte les
organismes qui font partie de la constitution hiérarchique de
l'Église, les instituts religieux, et les séminaires'. Pour
ceux-là, l'inscription au registre des personnes civiles (de
droit italien) est automatique. Tandis que le Vatican a la
faculté de demander des dispenses pour d'autres organismes 'aux
activités connexes à des finalités de caractère caritatif : la
définition est vague, elle rend possible un élargissement du
statut privilégié à toutes les Œuvres Pies dont le but lucratif
est souvent marqué. Tout dépendra, ici, de la vigilance dont
feront preuve les fonctionnaires et les politiciens chargés de
faire respecter les normes.
L'inscription au registre des personnes
civiles devrait permettre de réaliser un recensement complet des
biens ecclésiastiques réclamé depuis quarante ans par toutes les
forces politiques de l'opposition. Mais il s'agit d'une
supposition théorique, car il manque encore les instruments
administratifs indispensables à l'exécution du projet. Et, au vu
d'un siècle de relations déséquilibrées entre l'État laïque et
le Saint-Siège, gageons que le gouvernement de l'Église et la
Démocratie-chrétienne sauront, cette fois encore, éviter le
'piège'. Et nous ne parlons ici que des rapports entre Vatican
et Italie, terrain de choix, certes, mais non terrain unique du
renforcement du pouvoir de l'Église catholique. Combien sont en
effet les pays à posséder, eux aussi, leur concordat ? Ce
concordat détermine-t-il une situation de respect réciproque ?
Que l'on se souvienne seulement que l'indépendance en Belgique,
fut accompagnée d'une victorieuse offensive des évêques qui
assura pour longtemps à l'Église le premier poste dans
l'enseignement.
Le
patrimoine culturel
En plus de ce patrimoine immobilier, le
Vatican possède un énorme patrimoine culturel. Il s'agit,
d'abord, de la basilique Saint-Pierre et de ses annexes,
ensemble architectural composite, réalisé par les meilleurs
artistes depuis la Renaissance. Puis, viennent les bâtiments
érigés dans la Cité du Vatican et leurs ornementations (dont la
valeur a pu être estimée au double du budget de l'État Italien)
et les musées (90.000 m² y compris les réserves: d'une capacité
de 10 à 15.000 visiteurs par jour, exposant des œuvres uniques
allant de la plus haute antiquité à l'art moderne). Ce à quoi il
faut ajouter les fonds privés prêtés en permanence au Vatican,
la bibliothèque apostolique (qui couvre quatre siècles
d'histoire et est la plus grande du monde), les archives
secrètes, l'observatoire astronomique (construit au XVIème
siècle en vue du calcul de notre calendrier grégorien), deux
bunkers à l'épreuve du feu et des explosions atomiques
conservant les manuscrits les plus précieux, et enfin les
œuvres d'art peuplant les bureaux et logements, résultat du
mécénat systématiquement pratiqué au cours des siècles par les
papes et leur suite.
Ce patrimoine culturel a été presque
entièrement acquis par donations ou échanges. Ainsi la Belgique
put-elle troquer, contre des sculptures de l'antiquité et à
titre de 'prêt permanent', une tapisserie des Barberini
manquante à la collection vaticane.
La possession du trésor accumulé de la
sorte permet au Vatican de contrôler, indirectement, une partie
du marché de l'art : par la simple libération au juste moment,
d'une pièce recherchée, il est en mesure de bouleverser les prix
internationaux. Un médaillon de marbre de la fameuse Pieta de
Michel-Ange a été vendu à Londres, en 1979, pour quelques 20
millions de livres - ce qui donne une vague idée de la valeur
potentielle de l'original conservé dans le musée du pape.
Le trésor du Vatican est complété, sur un
autre versant, par les réserves en or tenues à Fort Knox aux USA
et en bonne partie résultat du judicieux transfert de fonds de
l'APSA en ce pays à la veille de la seconde guerre mondiale.
Leur estimation se monte à 4 ou 5 milliards de dollars.
Tout ceci appartient au pape - à sa
fonction, s'entend, et non pas à sa personne. Et alors Paul VI,
dans un geste vers l'Église des pauvres ne pouvait-il mettre en
vente que la tiare qui lui avait été offerte personnellement par
ses fidèles de Milan, un objet de 32 rubis, 19 émeraudes, 11
saphirs, 529 diamants et 252 perles finalement acquis par le
cardinal Spellman de New York.
Pour la loi italienne, 'les trésors d'art
et de science existant dans la Cité du Vatican et dans les
Palais du Latran doivent être visibles aux chercheurs et aux
visiteurs'. Sur la Cité seule (y compris Saint-Pierre et la
chapelle Sixtine) le pape détient la souveraineté absolue. Tout
le reste fait partie intégrante du patrimoine national, et à ce
titre est placé sous la tutelle de l'État. N'empêche que le
Saint-Siège a fait transférer d'autorité, le musée paléo-chrétien et une collection d'antiquités du Latran à
l'intérieur du Vatican (et donc en 'territoire étranger').
N'empêche aussi que la tutelle de l'Italie se limite
effectivement à une 'collaboration' autrement dit, le Saint
Siège décide de la nécessité d'une restauration à un édifice du
culte, et l'État italien exécute à ses frais.
L'annexe du 'nouveau' concordat, en plus de
réaffirmer la validité de la loi italienne en la matière, a
établi le statut du patrimoine artistique et culturel sous la
garde de l'Église Italie et Vatican s'y engagent à coordonner
leurs efforts afin de concorder les normes de l'entretien, de
la sauvegarde, de la valorisation et de la jouissance des biens
culturels ayant un caractère sacré. En outre, est prévue la
constitution d'un fonds de 3.500 millions de Lire, géré par le
ministère de l'Intérieur et renouvelable annuellement, destiné à
l'entretien et la construction de nouveaux édifices religieux.
Il en résulte une souveraineté mixte sur une importante partie
du patrimoine culturel italien. En d'autres termes, le Vatican
se voit reconnaître un pouvoir normatif en la matière: ce qui
représente un bond en arrière d'un demi-siècle, l'argument
n'ayant pas été considéré par le concordat de 1929.
Aujourd'hui, aucune personne privée ou
juridique ne bénéficie, dans la République, des largesses qui
viennent d'être octroyées à l'État du Vatican et au Saint-Siège.
Largesses qui, semble-t-il, ne leur
suffisent pas encore: en témoigne la grotesque histoire de l'
"enlèvement" du Christ ressuscité ou porteur de croix, une
statue sculptée par Michel-Ange en 1520 et exposée dans l'église
de Sainte Marie sur Minerve, au cœur de Rome. En mai 1984,
quelques mois après la ratification du concordat, la précieuse
statue était emballée et prête à être envoyée à la Nouvelle
Orléans où elle aurait dû devenir le clou du pavillon de
l'épiscopat américain dans la Louisiana World Expo, 'un show de
350 millions de dollars' selon ses organisateurs, une sorte de
Disneyland provisoire dépourvu de toute intention culturelle.
L'escamotage de la statue, éventé au dernier moment et par
hasard, ignorait l'avis contraire des experts, l'autorité de
l'administration des Biens culturels (I' Église et son contenu
sont de propriété domaniale) et violait une loi interdisant le
transport d'œuvres de grande dimension (la statue mesure deux
mètres). Avec la complicité, diton, de deux ministres
démocrates-chrétiens. Le Vatican, bien entendu, déclina toute
responsabilité (c'est pourtant lui qui avait commandité la
société de transport) et renvoya à l'épiscopat américain. Un
épiscopat d'autant plus intouchable qu'il est lointain.
Vatican et Saint-Siège, sautant les accords
encore tout frais, utilisent le patrimoine artistique publique
en fonction de leurs propres besoins de propagande, faisant
peser le coût de son entretien à la communauté nationale
italienne.
On se lamente souvent, au Vatican, du poids
financier que représentent le maintien et la sécurité de ses
collections d'art, et l'on omet systématiquement de mentionner
qu'elles constituent, outre la religion, le principal attrait du
Vatican et qu'elles servent mieux que n'importe quel discours à
la promotion de son image de marque.
Denier de
Saint-Pierre et portion congrue
En dehors des revenus du portefeuille de
titres géré par l'APSA et des spéculations immobilières, le
Saint-Siège bénéficie, en tant qu'entrée de capitaux frais, du
Denier de Saint-Pierre récolté une fois par an partout dans le
monde.
Témoin d'une tradition séculaire, le Denier
fut remis à l'honneur après 1870 et connaît actuellement une
tendance notable à la baisse: les intérêts conservateurs du
Saint Siège et sa participation dans des opérations économiques
peu 'chrétiennes' ont largement contribué à lui faire perdre de
sa crédibilité. Les fidèles se montrent moins généreux, ce qui
pousse le Vatican dans d'autres opérations encore moins claires,
etc. Un inévitable cercle vicieux, tandis que le Denier continue
à être présenté comme l'unique ressource du pape, laquelle
s'élevait, en 1978, à 4 ou 5 millions de dollars (ces chiffres
sont certainement manipulés: nous avons déjà vu, en parlant du
bilan du Vatican, qu'ils ne font que couvrir dollar par dollar
les déficits annoncés et les comptes demeurent ainsi toujours
miraculeusement en équilibre).
Il y a encore la question de la'pars
congrua' ou portion congrue, qui est le véritable prix payé par
l'État italien depuis cinquante ans en échange de la paix
religieuse. Héritage des prébendes moyenâgeuses, elle est ce qui
a subsisté de la loi sur les Garanties (1871) refusée par le
Saint-Siège: considérant la logique selon laquelle un prêtre a
'charge d'âmes', donc remplit une fonction publique, l'État lui
consent un subside si ses revenus se situent en-dessous du
minimum vital.
En manipulant le découpage des provinces
ecclésiastiques, des diocèses et des paroisses, la Conférence
épiscopale italienne est parvenue à multiplier le nombre des
prêtres dans le besoin. Sur 29.000 ecclésiastiques, les
ayants-droit sont actuellement 25.000. Le calcul de la portion
congrue intègre le rendement des 'bénéfices, (ils sont au nombre
de 30.000, dont 740.000 hectares de fermage en Ombrie, Emilie et
Toscane - certains religieux en tirent de grosses rentes, comme
don Lorenzo Pugi prévôt de San Pietro Mercantale, bénéficiaire
d'une des plus rentables entreprises vinicoles du Chianti). Le
minimum vital a été fixé en 1974: 735.000 Lire pour un curé,
2.960.000 Lires pour un évêque, et 3.150.000 Lires pour un
titulaire de siège métropolitain. En tenant compte de
l'indexation, un curé empoche aujourd'hui un peu moins de
1.000.000 de Lires, soit l'équivalent du traitement d'un
employé. L'ensemble de la 'pars congrua' grève le budget italien
de 310 milliards de Lires. Ces revenus, bien entendu, ignorent
les gains non déclarés des prêtres: offrandes, baptêmes,
communions solennelles, mariages, funérailles, etc.
Selon le 'nouveau' concordat, l'année 1990
marquera la fin du régime de la portion congrue (qui, cette même
année, coûtera 470 milliards de Lires à l'État). A sa place,
entreront en fonction trois cents Instituts diocésains pour le
soutien du clergé, dirigés par un Institut central, et chargés
de réunir les anciens 'bénéfices', de les rentabiliser, et d'en
distribuer le fruit. La Conférence épiscopale italienne fixera
dès lors le traitement des religieux. Ces modifications, avant
d'être négociées par le concordat, étaient déjà inscrites dans
le nouveau droit canon (1983): par conséquent, l'État italien
s'est trouvé devant un fait accompli, qu'il ne pouvait
qu'accepter désormais, s'autofinançant d'une autre innovation:
l'Église italienne, sera. un système de déduction fiscale
(2.000.000 de Lires par an) semblable à celui en vigueur aux
États Unis et en Allemagne fédérale, assorti de l'attribution de
0.8 % de l'impôt sur les revenus des personnes physiques,
permettra à chaque contribuable qui en fait la demande
d'attribuer une part de ses revenus à l'Église Tandis que les
chapelains, les deux cent mille enseignants de religion, et le
patrimoine culturel demeurent à charge de l'État.
Le nouveau système rendra l'Église plus
libre face à l'État. La gestion en propre de ses biens de
rapports lui conférera une plus grande facilité de manœuvre et
augmentera la dépendance du prêtre à la hiérarchie (qui,
décidant de ses revenus, contrôlera sa position), tout en
rendant leur lustre aux rapports de vassalité: une autre 'restauration'
qui vaut bien quelques éventuels sacrifices financiers en cette
époque de fronde post-conciliaire.
D'autre part, la gestion en propre élève à
nouveau l'Eglise au rang d'entité économique indépendante, ce
que la législation de 1870 voulait éviter. Sans compter que les
nécessités de l'autofinancement induisent de la part du clergé
un discours beaucoup plus persuasif, un appel constant à la
responsabilité des fidèles, et donc une plus grande rigidité
dans leur encadrement.
On fait aussi remarquer que le système de
déduction fiscale permettra le fichage systématique des citoyens
en deux catégories: les catholiques et les non-catholiques.
Tandis que la gestion unifiée des Instituts diocésains
entraînera une concentration ultérieure des biens
ecclésiastiques qui, en 1870, avaient été atomisés pour échapper
au contrôle de l'État. Et concentration signifie, dans tous les
cas, pouvoir.
'Les biens du peuple de Dieu', comme dit le
cardinal Anastasio Ballestrero, seront plus que jamais
monopolisés par une élite entretenant cette confusion où l'on
voit une communauté, l'Église soutenue par une autre communauté
(l'Italie) dont elle déclare à tous les effets ne pas faire
partie.
Valeurs boursières
On peut affirmer que le Saint-Siège, à travers les siècles et
par un lent et silencieux travail de thésaurisation a su
accumuler richesses dont l'existence exige une gestion adéquate.
Mais les pratiques économiques sont souvent peu morales : et
alors, afin de sauvegarder sa réputation, le Saint-Siège se voit
poussé à ne révéler qu'une partie des opérations qu'il lance et
à faire disparaître les autres dans ce qu'il est convenu
d'appeler les 'finances secrètes'.
Le mode de gestion des richesses, au
Vatican comme ailleurs, s'adapte bien évidemment aux structures
économiques du temps et du lieu - actuellement le Saint-Siège
met-il l'accent sur les valeurs boursières, fluides, anonymes et
dissimulables à souhait et qu'il fait manipuler sur le marché
par des intermédiaires de confiance.
La tendance est à l'élimination de certains
titres (pharmacie, armement, cinéma) jugés 'indécents', de la
participation dans les sociétés immobilières, et à la
concentration sur les 'utilités' (produits chimiques,
assurances, banques, etc). Le Vatican cherche aussi à
désinvestir en Italie, vu le cours défavorable de la Lire, au
profit de l'étranger (ce qui correspond, entre autres, à
l'internationalisation de l'Église) en visant partout à des
participations minoritaires pour éviter tant risques que
critiques.
Ces opérations sont, comme nous allons le
voir, en majeure partie réalisées par l'Institut pour les
Œuvres de Religion (IOR) en étroite relation avec les paradis
fiscaux des Bahamas, du Lichtenstein ou du Luxembourg, et
l'industrie et la finance catholiques du monde entier.
La politique économique du Vatican trouve
son origine dans les changements socio-politiques du début de
notre siècle: le pape venait juste de perdre les 1.300 km2 de
ses territoires qui divisaient la péninsule italienne d'Est en
Ouest, empêchant matériellement son unification (laquelle
n'était intervenue, pour la première fois depuis le Moyen-Age,
qu'en l'année 1870). Une perte qui n'était qu'en partie
compensée par les ressources du Denier de Saint-Pierre, alors
que la nouvelle bourgeoisie accédant au pouvoir se montrait
indifférente sinon hostile à l'Église. Le Nord du pays
commençait à s'industrialiser. Une première tentative de
concentration capitaliste avait tourné court: les frères Jacobs
'fervents catholiques proches du parti chrétien belge' et
propriétaires de la Banque vont qu'enregistrer l'état de fait.
Le Vatican, afin de mieux monopoliser l'expansion urbaine,
s'assura encore le contrôle des services publiques : tramways,
eau, gaz, électricité.
Cette fois, le Saint-Père était lancé dans
le monde de la haute finance. C'était le temps de Léon XIII qui
réforma et centralisa l'administration économique du Vatican et
créa une caisse secrète qui allait, plus tard, devenir le IOR.
Léon XIII devait se heurter de front au gouvernement belge du
Frère Orban franc-maçon et radical, ayant en 1880 laïcisé
l'enseignement. Un acte qui détermina une interruption de quatre
ans dans les relations diplomatiques entre le Vatican et la
Belgique, sans pourtant que le problème fut réglé (l'on se
souviendra de la guerre scolaire', combattue au nom de principes
similaires à la fin des années '50).
Afin de mieux pénétrer dans la spéculation
immobilière, le Vatican se munit d'une part de la Societa
Generale Immobiliare (que nous retrouverons plus loin) et entre
en affaires avec l'Union Générale, une banque française qui,
après une escroquerie aux dommages du Saint-Siège, tombera en
faillite (en cela, dit-on, "aidée" par les Rothschild).
Échaudé
le Vatican se replie alors sur le Banco di Roma un nouvel
organisme financier il assure tout de suite la moitié du
capital, et commence une politique de concentration des moulins
et fabriques de pâtes. Ce qui lui permettra, plus tard, de
contrôler le prix du pain à Rome.
La caution morale et idéologique de ces opérations est fournie
par l'encyclique Rerum Novarum oeuvre de Léon XIII par lequel
celui-ci s'élève contre le monopole des luttes sociales par la
gauche et rappelle à l'ordre le clergé progressiste dont les
idées risquent de se répandre comme une traînée de poudre dans
les colonies et les régimes absolutistes bien vus par le Saint
Siège. La condamnation de la 'nouvelle hérésie de l'Église du
Nicaragua par Joseph Ratzinger, et dont il a déjà été question,
relève de cette même philosophie.
Ceci, pour justifier la lutte féroce que
les financiers mandatés par le Vatican livrent en ce début du
siècle aux opérateurs économiques laïques. Rerum Novarum s'étend
parallèlement sur quelques thèmes politiques - le salaire est un
droit des travailleurs et non pas une marchandise; corporatisme
et ouvriérisme de droite sont les meilleures formes de défense
de ces travailleurs; l'Église veille à la justice et défend les
pauvres.
Le contenu du manifeste navigue à égale
distance entre le conservatisme et le modernisme. C'est sur lui
que s'appuieront les catholiques du Nord de l'Italie pour fonder
leurs coopératives agricoles et leurs instituts de crédits
encore aujourd'hui en activité. Il servira encore de base à la
constitution du premier parti politique de la péninsule, le
Partito Popolare qui, après l'éclipse du fascisme, deviendra la
Démocratie Chrétienne pour continuer la politique vaticane de
l'opposition entre Nord et Sud de la péninsule, entre libéraux
et catholiques selon le vieil adage 'diviser pour régner' qui
lui permet de demeurer majoritaire au Parlement (on notera que
le 'non expedit' ou interdiction de vote imposée aux catholiques
ne sera levé qu'au début de notre siècle -quand, justement, le
Saint-Siège se sera doté d'une structure politique efficace à
travers le Partito Popolare et que plus tard les facilités
économiques consenties par le régime fasciste (premier
concordat) le mettront en mesure de financer la future
Démocratie-chrétienne).
La première spéculation immobilière à Rome
n'est qu'un feu de paille : la débâcle survient brutalement en
1887. Les organismes financiers avaient périlleusement construit
un édifice de lettres de change se garantissant l'une l'autre et
les banques étrangères, alarmées, demandent des comptes. Les
faillites se suivent et se ressemblent (en un an, 229 des 407
chantiers de construction seront abandonnés). Les titres de la
Generale Immobiliare s'effondrent. Mais qu'importe: par
l'entremise d'hommes politiques de confiance, le Vatican obtient
une généreuse intervention de l'État redresse sa situation, et
l'Immobiliare qui l'a échappé belle se retrouve au début du
siècle nouveau à faire la pluie et le beau temps dans le milieu
de la construction.
Petit à petit les francs-maçons, ces
anticléricaux viscéraux, abaissent pour leur part la garde: le
Saint-Siège s'est désormais constitué en un solide consortium
capitaliste et la bourgeoisie libérale, à l'esprit toujours
pratique, trouve en lui un allié objectif. L'urgence de
l'entente est dictée par l'avènement d'un ennemi commun, le
prolétariat urbain, rouge et athée, contre lequel bourgeoisie et
Église vont tout faire pour dresser les paysans catholiques.
Un des grands opérateurs économiques de la
conversion du Saint-Siège en entité capitaliste fut Ernesto
Pacelli. Issu d'une famille de fonctionnaires du Vatican, neveu
de cardinal, cousin germain du futur Pie XII, il devient
conseiller financier du pape à 33 ans, en 1891 (l'armée même de
la rédaction de Rerum Novarum et président de la Banco di Roma
en 1903. Spécialiste des manœuvres en coulisses, il sut placer
les capitaux du pape dans des positions-clé de l'économie
italienne et internationale. Une de ses fameuses opérations, qui
devait faire école, est celle de l'augmentation du capital de la
Banco di Roma : il se livre d'abord à une réduction de la moitié
de la valeur des actions mises en circulation puis, après
quelques passages dans les livres de comptes, émet de nouveaux
titres qu'il 'vend' au pape en échange d'une hypothèque sur des
immeubles pontificaux, Le fait que ces actions soient dans les
mains du souverain pontife en augmente la valeur spéculative. Il
ne reste alors à Pacelli qu'à les mettre sur le marché en
réalisant de forts bénéfices. Seuls n'avoir pas été prévenus de
la complexité de la manœuvre, les petits actionnaires feront les
frais de la réduction initiale du capital.
Ernesto Pacelli lança par la suite les
tentacules de la Banco di Roma en France, au Portugal, en
Espagne, et perfectionna la technique des 'fraudes pies' en
réponse aux lois italiennes interdisant à l'Église de posséder
certains biens (et qui s'inverseront en 'fraudes impies' quand
l'État fasciste, en 1929, restituera ce droit au Vatican) .
Pacelli devait perdre tout crédit - au
Vatican comme au-dehors lors de l'affaire de la Lybie. Il avait
favorisé les investissements de la Banco di Roma dans cette
région alors partie de l'empire ottoman et où les Italiens, sous
la bannière d'une 'pénétration pacifique', s'occupaient avant
tout de prospection minière. Mais les profits tirés de ces
activités semblaient trop bas à Pacelli qui voulait mettre
directement la main sur les richesses du pays. Il finança donc
une campagne de presse destinée à 'provoquer l'événement' et à
raidir le gouvernement italien dans son opposition à l'empire
ottoman. Tant et si bien qu'une guerre fut réellement déclarée :
connue sous le nom 'd'expédition de Lybie', elle dura une année
(jusqu'en octobre 1912) et se voulut une imitation de la
politique coloniale des grandes puissances, une 'nouvelle terre
sainte', et 'la croisade du XXème siècle contre les infidèles'.
L'ivresse ainsi exprimée par l'Osservatore Romano dura peu. Les
belligérants concurrent une semi-débâcle réciproque et les
alliés de l'Italie, qui n'étaient pas encore prêts à entrer dans
la première guerre mondiale, la forcèrent à verser des
réparations aux Turcs. L'État dût encore prendre en charge la
majeure partie des pertes de la Banco di Roma, donc du Vatican,
qui s'était poussé en première ligne (se permettant, entre
autres, de spéculer sur les fournitures aux armées et, sur le
prix des chameaux).
La peu glorieuse initiative sonnait le glas
de la participation majoritaire du Saint-Siège dans l'organisme
financier. Il liquidait ses actions et Ernesto Pacelli était
contraint de se retirer. Ce qui ne signifie certes pas que le
Vatican abandonnait la place financière: aujourd'hui encore, tous
les dirigeants de la Banco di Roma sont étroitement liés à la
Démocratie Chrétienne et servent, à quelque distance, les
intérêts du pape.
Sautons un demi-siècle d'histoire : rien à
dire de la période du fascisme, si ce n'est qu'après une brève
période d'anticléricalisme, Mussolini prêta à Pie XI, puis à Pie
XII, un appui en tous points rendu. Car fascisme et Église
avaient en commun l'éternel ennemi (la 'subversion rouge'),
l'idéologie (ordre et discipline, hiérarchie et main de fer pour
'moraliser la nation') et la doctrine sociale de corporatisme).
Le premier concordat, résultat de ce rapprochement, fut étendu à
toutes sortes de privilèges de fait par une interprétation
immanquablement favorable au Saint-Siège - des privilèges durs à
mourir, puisque maintenant encore ils déterminent la capacité du
Saint-Siège d'agir à Rome et autre part (notamment dans le
domaine immobilier, cela a été dit) comme s'il possédait
toujours la souveraineté absolue sur le territoire et les
sujets.
Durant les années cinquante, l'Italie se
relevait lentement de ses blessures avec l'aide des capitaux
étrangers qui commençaient à y affluer. La Démocratie
Chrétienne, nouveau parti du pouvoir, allait servir de 'bras
séculaire' à l'Église en confirmant ses privilèges - non sans
quelques incongruités: le statut de prince du sang et la
‘personnalité sacrée et inviolable', niés à l'ex-famille
régnante, sont accordés par la République respectivement aux
cardinaux et au pape. D'ailleurs, un dicton ne disait-il pas
que, du fascisme et de l'Église, seule l'Église avait quelque
chance de survivre ?
Dans le domaine de l'immobilier, c'est le
temps de l'argent facile, des capitaux à fonds perdus déversés
sur l'Europe occidentale par le Plan Marshall et assortis d'une
seule condition: qu'ils servent à faire front à l'avance du
communisme. Une lutte, celle-là, très sensible en Italie et qui
a toujours eu le Vatican en première ligne. Ce qui le désigne
comme bénéficiaire prioritaire des largesses américaines.
La Societa Generale immobiliare, plus que
jamais active, monopolise le marché direct et indirect des
terrains et des immeubles. Elle dirige l'expansion de la
métropole vers la périphérie: sur ce qui furent les 'bénéfices'
concédés aux familles de la noblesse 'noire', et qui depuis 1870
sont devenus les propriétés privées de ces mêmes familles, elle
constitue des consortiums, projette des cotisations achète 10 ce
qu'elle revend 1.000, et fait pousser des cités dortoirs
(aujourd'hui encore dépourvues de tout service).
La Commune, dirigée par la
Démocratie-chrétienne, trace les rou et délivre les
autorisations. z Le procès verbal d'un conseil d'administration
de l'Immobiliare énonce : "Dans l'avenir, la Commune de Rome
devra se montrer compréhensive à l'égard de l'Immobiliare, la
laissant appliquer le plan régulateur comme elle l'entend.
L'Immobiliare possède les moyens (architectes, techniciens,
urbanistes, etc…) aptes à conférer à Rome le développement qui
convient à une cité de sa tradition." La leçon est écoutée. Les
affaires vont bon train. Rome a été, soit, consignée à l'Italie
naissante qui a eu l'outrecuidance d'en faire sa capitale. Mais
elle a été par la suite - et est encore - saccagée par les bons
soins du Vatican, au nom sans doute d'une trouble vengeance. Et
au nom du profit.
Michele
Sindona
Une autre histoire de pouvoir: celle de Michèle Sindona. Quand
il entre en scène, à la fin des années soixante, le Vatican
connaît un manque chronique de liquidité. l'APSA a dû se
résoudre à diminuer ses subventions à la presse catholique.
L'Eglise s'élargit, et elle a besoin de moderniser ses moyens de
communication, sa propagande. Elle doit faire face aux (timides)
revendications salariales de son personnel laïque. Les
multinationales grignotent son espace d'action financière. Tout
cela coûte à qui ne sait s'adapter. De plus, l'État italien a,
en 1968, réintroduit par surprise l'impôt sur les dividendes du
portefeuille de titres possédé par e Saint-Siège (son exemption
était un de ces privilèges acquis sous le fascisme). Paul VI, le
pape d'alors, cherche à diversifier et à exporter les
investissements. Une décision s'impose : pour transformer son
entreprise selon les critères du néo-capitalisme, il doit faire
appel à des financiers laïques rompus aux techniques de la
bourse et de la finance internationales.
Michel Sindona sera ce premier technicien.
Avocat, né en 1914 en Sicile, transposé à Milan à la fin des
années '40, de banquier il se fait conseiller fiscal et s'occupe
ensuite de vente de sociétés, ce qui lui permet de prendre le
contrôle d'une banque de crédit, la Privata Finanziara En 1958,
par un parent proche de la curie, il entre en contact avec
Massimo Spada alors secrétaire de l'APSA et encore aujourd'hui
conseiller de nombreuses sociétés, dont la Banco di Roma Spada
grand bourgeois de tradition, écoute le "génie de la finance"
Sindona qui lui propose de pourvoir à la vente de la Genrale
Immobiliare (elle était entrée en possession de l'immeuble du
Watergate à Washington et de l'Hôtel Meurisse à Paris).
Un accord est conclu en 1969 entre Spada et
Sindona avec lequel il est d'autre part entré en affaires et
dont les propriétés s'étendent désormais jusqu'aux USA. Massimo
Spada est entretemps devenu gentilhomme de Sa Sainteté, une
fonction honorifique qui survit au glorieux passé de la cour du
pape roi et est incluse dans le rôle de la Famille Pontificale.
Sindona s'engage formellement comme intermédiaire, puis comme
acquéreur dans l'opération sur l'Immobiliare les émailleries
Genovesi les céramiques Pozzi (en faillite), et sur la Condotte
d'Acqua (qui assure une bonne partie de la distribution d'eau
dans la capitale). Toutes ces sociétés sont bien entendu
propriété du Vatican. Massimo Spada prudemment, délègue sa
signature au prélat Sergio Guerri responsable de l'APSA
Malgré un premier paiement, l'accord est
bientôt contesté par Giovoanni Benelli d'abord, le substitut
du Secrétaire d'État et par Giuseppe Caprio successeur de Guerri
(passé au Governatorato à la tête de l'Apsa. Caprio élève des
doutes quant à la 'solidité' de Sindona - lequel cherche et
trouve un nouvel appui en la personne de l'archevêque Paul
Marcinkus
I.O.R.
Marcinkus d'origine lituanienne, s'est formé à la diplomatie
vaticane après une rapide ascension dans l'Eglise américaine. L'
amitié qu'il lia avec l'abbé Pasquale Macchi secrétaire
particulier du pape, lui permit d'entrer dans la finance du
Saint-Siège et de prendre le relais, dès 1971, du cardinal De
Jorrio grand comptable à l'ancienne manière (avec un penchant
marqué pour les mauvais investissements). L'entregent de
Marcinkus lui vaut aussi, un temps, de s'occuper de
l'organisation des voyages du pape (tâche maintenant confiée à
Robert Tucci le directeur de la radio vaticane).
Au départ Marcinkus qui n'y connaissait pas
grand-chose en économie, se montre avide des conseils dispensés
par le 'génie' Sindona. Avec celui-ci, il comprit vite que le
pape avait besoin d'un instrument financier exclusif et
efficace, capable de fournir au Saint-Siège la liquidité dont l'Église
universelle avait un urgent besoin. Cet instrument sera le IOR à
la direction duquel Marcinkus parvint sans encombre.
L'institut des Œuvres de Religion, fondé
en 1942 pour englober les finances secrètes héritées de Léon
XIII est une société de droit canon (et à ce titre, elle échappe
à la législation italienne) qui gère les dépôts 'destinés aux
œuvres de religion et de piété chrétienne et, en fait, visant à
fuir tout contrôle indiscret. Une dissimulation pieuse et fort
rentable protège l'Institut: officiellement, il s'occupe des
comptes courants du pape et d'autres honorables déposants;
réalité, il est le canal de toutes les opérations inavouables du
Vatican et de qui, en Italie (la banque s'active sur le
territoire du Vatican, avec une porte généreusement ouverte sur
le territoire italien), désire mettre son argent à l'abri. Rien
qui ressemble à une caisse d'Épargne normale: quelques guichets
anonymes dans la Cité, un hallebardier à l'entrée, une quinzaine
de comptables contraints au secret d'État et rigoureusement
exclus du syndicat des employés, une atmosphère feutrée où
viennent susurrer leurs confidences les représentants d'ordres
religieux du monde entier, des comptes attestés à la 'Divine
Providence', au "Sacré-Coeur de Jésus', etc. Et pourtant, le IOR
est un des instituts financiers réputés les plus solides et
solvables. Une banque à propos de laquelle Marcinkus se
lamentait: 'On parle souvent de nos pertes, jamais de nos
gains' - et pour cause puisque ces gains, et simplement le
capital réel de l'Institut sont un des secrets les mieux gardés
du Vatican, et que ne parvient au public que l'écho de quelques
unes de ses opérations manquées ou franchement malhonnêtes.
C'est alors, notamment, que Sindona vendit
à la Sofina belge une société mal en point. L'affaire fut un
désastre, et la Sofina réussit, après recours, à récupérer une
partie de sa mise.
En résumé, à la fin des années Soixante le
couple Sindona Marcinkus file du bon coton: pour Marcinkus,
Sindona représente la possibilité d'une ouverture sur le marché
financier international. Pour Sindona, Marcinkus possède la clé
d'un paradis fiscal installé au milieu de Rome. Dans l'optique
d'un homme d'affaires, c'est un rêve ! Même si Marcinkus, plus
tard, le niera, il est certain que les deux vivent une 'lune de
miel' émaillée de quelques faits saillants (des 'preuves de
fidélité' ?) comme le règlement du contentieux opposant la
famille Feltrinelli au Vatican.
Les Feltrinelli, enrichis d'abord dans le
commerce du bois de construction avaient su diversifier leurs
activités et créer un véritable empire immobilier dont
Giangiacomo, le rejeton, touchait les dividendes pour les
investir d'abord dans une maison d'édition et ensuite dans des
entreprises beaucoup moins légales. Giangiacomo Feltrinelli cas
typique du transformisme de la bourgeoisie aisée, fréquenta les
révolutionnaires castristes et les bandes sardes à mi-chemin
entre la délinquance et le terrorisme, et fonda les Groupes
d'Action Partisane, vague préfiguration des Brigades Rouges
financés, cela va de soi, en pompant avec désinvolture dans le
patrimoine de la famille (il mourra, en 1972, au pied d'un
pilonne à haute tension qu'il voulait miner, détail macabre: le
pilonne en question se situe sur un terrain appartenant aux
Feltrinnelli ... ). Le fait est qu'en 1965-67, ces choses
commençaient à se savoir et que le Vatican, contrôlant la Banca
Unione avec les Feltrinelli n'avait aucune envie de se trouver
mêlé, de près ou de loin, aux aventures du fils prodigue - mais
n'avait pas non plus intérêt à se débarrasser de sa part dans la
Banca Unione Ne restait alors qu'à "débarquer" les Feltrinelli
ce que Sindona, en rachetant les actions de la famille, réalisa
en douceur en 1968.
Le IOR avec son réseau de correspondants
couvrant toute l'Italie, avait aussi servi au Saint-Siège à
faire passer, lors de la Libération, des fonds américains du Sud
déjà libéré au Nord du pays, et destinés à aider les juifs et
opposants du régime réfugiés dans les énormes fonds qui, sortis
d'Italie par l'intermédiaire du IOR vont aller alimenter un
vertigineux circuit de sociétés plus ou moins fictives
s'achetant et se garantissant l'une l'autre. Et qui réalisent,
par la spéculation sur le dollar, des gains impensables.
Au Vatican, où l'argent ne cesse d'affluer,
on ferme un oeuil sur les irrégularités commises. C'est aussi à
cette époque que Sindona introduit Roberto Calvi auprès des
cardinaux. Calvi, comme on le sait, est le futur président de la
Banco Ambrosiano qui reprendra les affaires de Sindona. Il
finira pendu à Londres en 1982.
Sindona aux
Amériques
L'italie commence à être trop petite pour les appétits de
Michele Sindona Il se transfert aux USA où, toujours secondé par
Marcin il achète la Franklin National Bank pour la somme de 40
millions de dollars. L'un des intermédiaires de l'affaire est
Alberto Ferrari, membre de la loge maçonnique P2 et président,
entre autres, d'une société financière qui atteindra la
'notoriété' en 1978 pour avoir servi de canal à la disparition
de 17 millions de dollars, pot-de-vin officiel de l'Italie dans
la conclusion d'un contrat pétrolier avec l'Arabie Saoudite.
La tentative de Sindona de prendre une
participation dans l'American Vetco Industries est entachée de
telles irrégularités qu'elle vaudra au IOR de payer une amende
de 320.000 dollars au gouvernement américain. Mais qu'à cela ne
tienne: l'ascension de Sindona se fait irrésistible. La presse
le porte aux nues. Il contrôle maintenant 140 sociétés. Pour
renforcer son château de cartes, il joue sur la confiance dont
il bénéficie dans les milieux financiers et multiplie les
comptes en banque aux Bahamas et au Luxembourg, les double de
mandats fiduciaires réservés, et y fait apparaître et
disparaître les capitaux qui lui servent dans ses opérations
croisées. Même technique en bourse: avec l'aide de complicités
dûment payées, il vend et achète des actions de ses sociétés
dont la valeur réelle est nulle. Le système est à vitesse de
rotation croissante: il ne produit de richesse que si les
transactions se multiplient et s'escamotent l'une l'autre. Et il
s'écroule sur lui-même s'il n'est pas en permanence réalimenté
par de l'argent frais - que Sindona se procure par
l'intermédiaire de ses contacts politiques (démocrates-chrétiens
avant tout) et ses amitiés vaticanes. Car le IOR se trouve
ponctuellement derrière chaque opération de Sindona, soit comme
garant, soit comme pourvoyeur de capitaux.
La parabole tracée par Michele Sindona dans
le firmament de la haute finance laisse entrevoir la quantité de
pouvoir objectif possédé par le Vatican non pas, bien sûr, que
Sindona soit à considérer comme une victime, depuis longtemps
avait-il montré des dispositions pour les affaires peu claires -
mais en confiant son argent à un homme d'affaires spécialisé
dans la spéculation, le Vatican contribue à créer chez cet homme
une 'ivresse de l'altitude' ayant un effet explosif dans
l'édifice bancaire international, précaire par nature. Depuis
l'échec de l'expédition de Lybie le pape et ses conseillers
ecclésiastiques n'ignorent pas le risque. Ils ont appris à se
retirer à temps. l'Église des pauvres' se sert du financier le
plus habile, et quand celui-ci perd de son habileté, il est
désavoué au profit d'un personnage nouveau' les prétendants
n'ont jamais manqué.
Sindona, qui n'est pas lui non plus né de
la dernière pluie, tente de protéger ses arrières en
diversifiant ses sources d'approvisionnement. Il propose à la
Cosa Nostra, la mafia américaine (n'oublions pas que Sindona est
sicilien) de très lucratifs investissements. Plutôt que de
placer, à grands frais, les bénéfices de ses trafics sur des
comptes numérotés en Suisse, la Cosa Nostra en confie une partie
à Sindona qui l'insuffle dans son circuit de sociétés-bidon.
Pour le banquier, un capital en vaut un autre, pourvu qu'il soit
incontrôlable et incontrôlé, et à cet égard, l'argent de la
drogue n'a d'égal que celui du Vatican.
Ce dernier contrat avec la Cosa Nostra
porte Sindona au sommet absolu et tant convoité. Erreur fatale:
quand l'information commence à filtrer, politiciens et
ecclésiastiques s'empressent de retirer leur appui au
financier. La Franklin, mise sous enquête, est bientôt déclarée
en faillite frauduleuse pour une perte de 40 millions de dollars
sur de mauvaises opérations de change. Sindona tente un
redressement, mais ne parvient pas à se débarrasser à temps de
l'Immobiliare ni ne réussit quelques unes de ces fusions dont il
a le tous malgré l'aide du Banco di Roma (ce qui vaudra à son
directeur, plus tard, d'être arrêté pour complicité et
occultation de preuves). Tandis que le krach gagne, une à une,
toutes les sociétés de l'empire sindonien Conseillé par Licio
Gelmli le banquier se retire quelques temps à Taïwan Il est déjà
trop tard: le IOR prend ses distances et refuse, brandissant la
Raison d'État de reconnaître son implication dans les ‘aventures
de Sindona’ comme dit Marcinkus (ce qui n'empêchera pas le IOR
de récupérer au plus vite 5 millions de dollars dans les caisses
à double fond du banquier, ignorant l'interdiction dont elles
font désormais l'objet).
Le juge Guidi Viola a écrit : 'L'appui au
plan de sauvetage (proposé par Sindona) une véritable
escroquerie à charge de la Banca d'Italia et de la communauté
nationale, était fourni par de hautes personnalités politiques,
en premier lieu par le premier ministre de l'époque, Giulio
Andreotti.' Andreotti, comme nous le savons, est
démocrate-chrétien. Le plan de Sindona portait-sur 156 millions
de dollars.
Mario Sarcinelli et Paolo Baffi
respectivement sous-directeur et gouverneur de la Banca
d'Italia, s'étant opposés à la manœuvre furent poursuivis et
arrêtés pour 'abus professionnels', après une campagne de
diffamation menée par Licio Gelli Le juge qui instruit le cas
est Antonio Alibrandi, père de Alessandro, un terroriste
néo-fasciste abattu par la police en 1981, et lui-même plusieurs
fois cité lors de procès de terrorisme. Ce qui ne l'empêcha pas
de devenir, en 1984, Conseiller en Cassation.
La Societa Generale immobiliare devenue
Immobiliare-Sogene, fut rachetée en 1974 à Sindonia par
Arcangelo Belli, l'un des survivants des spéculateurs
immobiliers liés au Vatican. L'entreprise, à la dérive, ne
pouvait être sauvée même après l'intervention de Giulio
Andreotti, alors ministre du Bilan. Avec ses 81 millions de
dollars de dette, elle était consignée à ses créditeurs: la
Banco di Roma la Banco di Santo Spirito la Nuovo Banco
Ambrosiano la San Paolmo etc. Tous organismes dépendants
Vatican. La boucle est bouclée: la société a assuré, un siècle
durant, d'énormes bénéfices au Saint-Siège - et peu importe les
pertes qui devront être assumées par quelqu'un (l'État), pour
autant que l'ensemble de la manœuvre permette au Vatican de
demeurer dans le circuit de la finance.
Retournons à Sindona : nous sommes en 1976.
Le financier est condamné une première fois en Italie à trois
ans de réclusion pour violation des règlements bancaires. Giulio
Andreotti alors premier ministre, intervient plusieurs fois en
la faveur du banqueroutier victime, selon lui, d'un 'complot'.
Mais sans résultat. Sindona des USA, cherche à renouer ses liens
avec la franc-maçonnerie et la mafia - avec un certain succès,
semble-t-il, puisqu'il peut en 1979 faire éliminer physiquement
un liquidateur italien trop curieux de ses affaires par un tueur
lié à la Cosa Nostra Coût de l'opération: 45.000 dollars.
Puis il met en scène une campagne
diffamatoire et fait chanter Roberto Calvi. Pour cela, il
utilise les services de Luigi Cavallo agitateur notoire de
droite lié à la franc-maçonnerie et à l'appareil de
renseignement italien (il sera arrêté en France en 1984), et
aussi la médiation de Licio Gelli Rendement de l'opération:
500.000 dollars. La famille Gambino (versée dans le trafic de la
drogue) lui organise aussi un faux enlèvement rocambolesque qui
le conduit, sous le nom de Joseph Bonami de New York à Palerme
en passant par Athènes et Vienne. A Palerme, il est protégé - ou
surveillé ? - par la famille Inzirello-Spatola (riche, outre ses
revenus illicites, en solides appuis politiques), par certains
éléments de la loge P2 et par une autre association maçonnique
tout aussi "couverte" que la première. N'ayant pas pu réunir les
fonds que, vraisemblablement, il devait à la mafia, Sindona est
contraint de refaire surface aux USA où il est condamné en 1980
à 25 ans de prison pour la faillite de la Franklin.
Dans une tentative de se disculper, Sindona
racontera aux enquêteurs américains une fort intéressante
histoire : le but de son voyage en Sicile aurait été d'unifier
les forces indépendantistes de l'île. Pour comprendre le
concept, nous devons remonter à la Libération, et plus
précisément au massacre de Portella della Ginestra (1er mai
1947) où Salvatore Giuliano, bandit mafiosi, fit ouvrir le feu
sur les travailleurs manifestants. L'enquête ne découvrit jamais
les mandants de l'expédition, mais détermina l'existence d'une
alliance visant à faire de la Sicile, une fois détachée de
l'Italie. une dépendance des Etats Unis - une alliance où se
trouve la mafia (bien implantée aux États-Unis et en Sicile, et
en passe de développer ses trafics), les politiciens et franges
des services secrets les plus conservateurs, liés au clergé et à
la noblesse, et les francs-maçons. Parmi ces derniers, la loge
Alam du prince Giovanni Francesco Alliata di Monterela (par la
suite impliqué dans au moins deux complots italiens). Le lien
entre ces milieux étant assuré par Frank Gigliotti pasteur,
franc-maçon et agent de l'Oss (ancêtre de la CIA) Lequel, dans
les années Soixante, réalisera l'unification du Grand Orient
d'Italie, aujourd'hui encore en contact avec la CIA, et, se
servant de la loge de Alliata, fondera la loge P2 qu'il confiera
personnellement à Licio Gelli en 1971 (Gelli avait collaboré,
entre autres, avec l'Oss) Le dénominateur commun de ces
personnages est l'anticommunisme viscéral.
Ce n'est donc pas par hasard que, durant sa
permanence en Sicile, Sindona se targuera de l'aide de Joseph
Miceli Crimi, médecin et franc-maçon émigré aux États-Unis,
chargé par lui des médiations avec le monde politique et Licio
Gelli.
La réalité, en fait, est que peut-être
Sindona se sera servi des relents d'indépendantisme encore
présents parmi les conservateurs Siciliens pour vernir de 'dignité
politique' la nouvelle escroquerie qu'il essayait de mettre sur
pied.
Il aura fallu attendre 1983 pour que le
procès contre la 'bande Sindona' s'ouvre en Italie. 'La vérité,
a dit un juge chargé de l'instruction, est que l'establishment
politico-financier n'avait aucun intérêt à ce que se tienne ce
débat.' Après neuf mois d'audience, la Cour a rendu ses
conclusions, prononçant vingt-deux condamnations pour un total
de 122 ans de prison. Dont celles de Luigi Mennini (gentihomme
de Sa Sainteté et administrateur-délégué du IOR sept ans de
détention) et de Massimo Spada (pour son rôle de représentant du
Vatican dans bon nombre de sociétés de Sindona, cinq ans de
détention). Tous deux ont tenté d'opposer à la sentence leur
immunité diplomatique (Paul Marcinkus, Sergio Guerri et Giuseppe
Caprio appelent par la défense dans le procès américain, avais
fait de même), ce qui semble bien avoir porté puisque Massimo
Spada se présentait en septembre 1984, libre, aux obsèques de
Carlo Pesenti un autre financier catholique.
Un ultime détail: après la mort
mystérieuse, lors d'une tentative d'évasion, de Joseph Arico, le
tueur de Cosa Nostra engagé en 1979 par Sindona et qui peut-être
en savait long sur les délits du banquier, celui-ci exprima le
désir de rentrer en Italie. Craignait-il pour sa vie, ou plutôt
la disparition d'un témoin gênant le mettait il à l'abri de
nouvelles surprises ? Son vœu, en tout cas, a été exaucé en
septembre 1984. En Italie, en plus du procès en cours pour
banqueroute frauduleuse, il aura aussi à répondre d'extorsion,
d'assassinat, et d'association criminelle: une longue série de
combats légaux qu'il veut transformer en "un grand cirque" dont
on attend encore le spectacle.
Les 'aventures' de Michele Sindona
illustrent bien la connivence existant entre les milieux
financiers catholiques, le pouvoir politique, et le Vatican.
Souvent, s'introduit entre ces pôles, et avec une fonction de
lien et de conseil, une centrale de pouvoir occulte; la loge
maçonnique P2 (aujourd'hui démasquée mais, comme certains
indices tendent à le prouver, loin d'être démantelée). Un de ses
représentants les plus intéressants est sans aucun doute Umberto Ortolani.
Histoires de
P2
Umberto Ortolani un avocat de 73 ans,
arriva très tôt à Rome dans la suite d'un cardinal de Bologne,
et devint en 1963 gentilhomme de Sa Sainteté. Nous avons déjà
parlé de cette charge honorifique, qui permet encore maintenant
à ses bénéficiaires d'entrer dans l'intimité des grands de
l'Église Pour un ambitieux comme Ortolani; c'est un poste
d'observation - et d'action de choix.
Au début des années soixante, il s'est déjà
hissé à une place honorable dans le monde des affaires romain,
où il démontre une manie de la presse et du contrôle de
l'information. En 1963, il trafique derrière le rideau lors de
l'élection de Paul VI. Ses 'alliés' sont Giulio Andreotti, le
cardinal Lercaro son protecteur, et le cardinal Sueriens. Ces
deux derniers étant inscrits sur la liste des 'papables' Leo
Josef Suenens fait cardinal peu auparavant sur intervention de
la famille royale belge, renoncera en 1979 à l'archevêché de
Malines Bruxelles pour entrer dans la curie et résider à Rome.
Ortolani prêtera aussi son généreux
concours à Michele Sindona lors de l'affaire de la Generale
Immobiliare et fréquentera Giovanni Leone, l'unique président de
la République italienne obligé de démissionner pour avoir été
mêlé à un scandale politico-financier celui de la Lockheed. Ses
premiers contacts avec Licio Gelli fondateur de la P2, remonte à
1973: cette année-là, une agence de presse proche de la
franc-maçonnerie (et dont le directeur sera plus tard assassiné)
avait rendu publique un document selon lequel 'les problèmes de
l'Argentine' ne pouvaient être réglés que par l' 'élimination'
de Oberdan Sallustro et Aurelio Peccei dirigeants de la Fiat et
des Ortolani père et fils (et de fait, Sallustro fut enlevé et
exécuté dans des circonstances jamais éclaircies; Peccei fut
rapatrié et, jusqu'à sa mort, ne s'occupa plus que du Club de
Rome dont il avait été l'initiateur). Ortolani dont les affaires
en Amérique du Sud commençaient à marcher à plein rendement,
prit peur. Au point de s'adresser à Gelli pour trouver de
l'aide, et de s'inscrire à la P2 malgré le risque, pour le
croyant qu'il est, de l'excommunication attendant tous les
Francs-maçons
Il découvre chez Gelli la même passion de
la presse qui l'habite. Il devient son voisin à Montevideo et,
sans dédaigner la collaboration de Roberto Calvi, renforce sa
banque Bafisud étend ses affaires jusqu'au Brésil et en Suisse,
tout en maintenant de solides bases en Italie. Partagé entre le
pouvoir occulte et ses amitiés vaticanes, il devient le
coordinateur, le recruteur et l'éminence grise de la P2. Le
'trio GOC' (Gelli-Ortolani-Calvi) est désormais affirmé.
Les alliances politiques ne sont certes pas
oubliées: les connaissances d'Ortolani, outre Giulio Andreotti,
ont nom Joseph Strauss de leader catholique bavarois qui fut
reçu par Paul VI, en tant que symbole de la nouvelle alliance de
la droite avec l'Eglise contre la gauche) et Stroessner, le
général dictateur du Paraguay. Ortrolani participe activement à
la mise au point du projet de coup d'Êta du général Borghese,
en Italie - une entreprise qui en 1974, ne fut éventée que
d'extrême justesse. Il s'occupe encore de terrorisme
néo-fasciste (et l'on ne peut ici éviter de signaler la
'coïncidence' entre l'évasion de Licio Gelli de la prison de
Lausanne, en août 1983, et l'attentat manqué au rapide
Milan-Palerme, à quelques kilomètres de l'endroit où advint la
tragédie de l'Italicus - ces deux derniers faits ayant été
revendiqués, à neuf ans d'interval, par Ordine Nero une
formation d'extrême-droite dont se servaient Gelli et Ortolani).
Trafics
Ortolani est aussi le superviseur d'une colossale série de
trafics sur les pétroles qui coûta aux finances de l'État
italien, entre 1972 et 1978, plus d'un milliard de dollars de
manque à gagner et valut à 42 personnes d'être renvoyées en
jugement. Ce sont des fonctionnaires des Finances (comme le
général Giudice), des hommes d'affaires ex-collègues des
premiers, et des prêtres (Simeone Duca, ancien collaborateur de
la Congrégation Propaganda Fide et de monseigneur Paul
Marcinkus, puissant prélat romain aux solides relations
mondaines, et rendu célèbre pour avoir versé comme caution à sa
liberté un milliard de Lires; Francesco Quaglia, curé de Cesano
(Novara), doté de moyens financiers que ne justifie pas sa
modeste condition de prêtre de campagne) passés aux affaires et
assurant la bienveillance de politiciens en majorité
démocrates chrétiens (où l'on rencontre Sereno Freati secrétaire
d'Aldo Moro et récipiendaire d'une 'mensualité' des trafiquants
destinée à financer le parti de son patron - tandis que Giulio
Andreotti, alors ministre de la Défense, signa la nomination du
général Giudice).
Exception faite d'Andreotti et de Ugo
Poletti de Vicaire Général de Rome, ardent partisan de Giudice
en faveur duquel il multiplia les recommandations, et en étroite
relation avec don Quaglia ainsi que d'Ortolani tout ce beau
monde fut finalement accusé et jeté en prison - d'où, petit à
petit, il sort pour "raison de santé".
L'épisode est significatif: il montre des
escrocs (capables de transformer miraculeusement, dans leurs
comptes, l'essence en 'eau de lavage') chercher (et trouver,
contre rétribution) la complicité des milieux politiques avec la
bénédiction (elle aussi achetée) du milieu ecclésiastique. La
soudure entre les diverses pièces du puzzle est réalisée par les
francs-maçons de la P2, toujours sur la brèche.
En ce qui concerne l'implication de
certains ecclésiastiques dans l'affaire, nous remarquerons que
la persistance, mais aussi la dégénérescence - d'une hiérarchie
Religieuse encore et toujours de type féodal que les termes du
'nouveau' concordat confirme, offre de notables espaces de
manœuvre à qui, religieux ou non, sait s'approprier ce système
de la soumission. La culture de la 'subordination escomptée'
légitime - après les avoir produits tous les abus et génère,
puisque ses effets s'entrecroisent, l'insolence chez les
possédants, la manigance et l'escroquerie chez les dépendants,
et l'oubli dans la masse impuissante et soumise à l'écrasante
logique du pouvoir. Et, dans cette perspective, ce n'est certes
pas par hasard qu'au cœur des régions les plus déshéritées et
traditionnalistes de l'Italie, la domination mafieuse rencontre
souvent et parfois se juxtapose à la domination des forces
politiques démocrates chrétiennes, émanation directe de la
hiérarchie religieuse. Une clé de lecture qui restitue au
'Guépard', le roman de Tomasi di Lampedusa, toute sa valeur
prémonitoire…
Mais revenons-en à Umberto Ortolani. Après
plusieurs opérations très compliquées (comprenant même
l'enlèvement de son fils Amedeo, pour lequel il paya une rançon
dont la réunion l'engageait "pour le futur" vis-à-vis de ses
associés), il se retrouva en 1977 à siéger dans le conseil
d'administration de la Rizzoli, la plus grosse maison d'édition
italienne dont le contrôle finira par échoir au IOR et à
quelques « sociétés-bidon » de Roberto Calvi. Dans le mouvement,
intervint aussi la banque Rothschild de Zurich. La Rizzoli est
propriétaire de l'hebdomadaire Europeo: on commence maintenant
à comprendre pourquoi son directeur fut contraint à se retirer
lors de la publication de cette enquête sur le patrimoine
immobilier du Saint-Siège...
Par la suite, Ortolani sera encore inquiété
pour une histoire peu claire de financement au parti socialiste
italien (15 millions de dollars) qui seraient sortis des caisses
de la Bafisud, mais dont personne n'a jamais pu retracer le
parcours exact. Un mystère identique entoure le rôle d'Ortolani
dans la disparition du pot-de-vin officiel de l'Italie à
l'Arabie Saoudite.
De plus en plus critiqué, l'avocat était
obligé de renoncer à son appartenance à l'ordre de Malte et de
restituer le passeport diplomatique qui lui avait été confié
(l’ordre de Malte, souveraineté sans territoire, partage avec le
Vatican le privilège d'entretenir une diplomatie). Ortolani
devait faire l'objet d'un mandat d'arrêt international en 1981.
Mais, réfugié au Brésil où ses protections lui avaient offert
une nouvelle virginité, son arrestation à San Paolo en 1983 (un
mois après l'évasion de Gelli) était à considérer comme nulle et
non avenue. La même année, ils disparaissait discrètement de la
liste des gentils hommes de la Sainteté, à propos de laquelle il
n'existe néanmoins aucun règlement relatif à la radiation de la
justice italienne: bien que toujours poursuivi par son mandat
de capture, il 'conseillait' par voie de presse à ses juges de
lui attribuer l'honneur des arrêts au domicile, et faisait
mettre sous séquestre rien moins que quatre livres parlant de
ses relations avec la P2 et le Vatican retenus par lui
diffamatoires. Ortolani, au casier judiciaire toujours vierge,
est décrit dans la sentence de séquestre comme un homme 'entouré
de la plus haute estime générale' et 'à la conduite exemplaire
et sans tache'. Une certaine odeur de revanche de la P2…
Carlo
Pesenti
Derrière une bonne partie des entreprises financières du "trio
GOC" plane l'ombre discrète, mais persistante, d'un autre grand
argentier catholique: Carlo Pesenti Carlo Penseti est mort en septembre 1984, à
77 ans. Malade du cœur, une maladie diplomatique qui l'aidait
souvent à ne pas se présenter devant la justice, il démontra
jusqu'à la fin une grande vigueur dans la gestion de son empire
fait d'industries, de banques, de sociétés d'assurances, de
journaux, et de trafics variés.
Penseti catholique très pratiquant,
émergeait dans l'immédiat après-guerre à Bergame. Avec la
caution de la curie épiscopale, il reprenait la direction de
l'Italcementi, une industrie détenant alors la moitié du marché
italien des matériaux de construction, héritée d'un oncle par
trop fasciste de neveu partageait les mêmes idéaux, mais de
manière moins offensive). L'oncle Antonio, sénateur du royaume,
président de la Banco di Roma, ami intime de Mussolini, avait
construit une fortune sur les exportations coloniales en
Abyssinie et sur ses fabriques en Éthiopie. Carlo, plus tard,
réussira avec l'aide d'appuis politiques bien placés à donner
de lui-même et de la famille l'image d'antifascistes persécutés
lui permettant de participer de plein droit au boom économique
des années Cinquante et à la spéculation immobilière orchestrée
par le Vatican. Faisant valoir ses réussites, il recevait l'aval
de politiciens émergeants (dont celui de Giulio Andreotti) et
multipliait son rayon d'action: il sauvait du scandale, en les
redressant, deux banques catholiques (en remerciement, le
Vatican l'aidera à conquérir son premier institut de crédit) ;
il fondait l'Italmobiliare, une société versée dans la
spéculation immobilière; à la fin des années Soixante-dix, il
pouvait compter sur l'intervention d'Emilio Colombo,
démocrate-chrétien et ministre du Trésor, pour empêcher Sindona
de mettre la main sur l'Italcementi Et il renforçait aussi ses
liens avec les milieux ecclésiastiques et rencontrait
monseigneur Marcinkus.
Son système, pour multiplier l'argent,
était à l'épreuve du feu profitant du mouvement de la
reconstruction, il avait fait inscrire le ciment dans la liste
des produits à prix contrôlé (liste dressée par le ministère de
l'Industrie, aux mains des démocrates-chrétiens). Le mécanisme
est simple: le prix du ciment était établi sur base du coût de
production de cimenteries peu rentables (et maintenues
artificiellement en activité), ce qui permettait de gonfler les
gains des autres entreprises, rentables celles-là. En plus, Pesenti recourait massivement à des emprunts à bas intérêt,
spéculant sur l'érosion monétaire.
A la différence de Sindona, le financier
d'assaut, Pensenti assurera vite au Vatican une collaboration
économique plus lente et camouflée , mais aussi plus solide et
durable. Définitivement entré dans les secrets des princes de
l'Église (Jean XXIII l'appelait respectueusement 'Monsieur
Karoli') il suivra de loin les périlleuses évolutions de Roberto
Calvi.Giulio Andreotti a été appelé par le Parlement italien à
répondre, à la fin de l'année 1984, de ses responsabilités en
tant que ministre vis à vis de la loge maçonnique P2 de Sindona,
et du trafic des pétroles. Chaque fois, il a su trouver les
justes arguments et les justes alliances pour être blanchi de
tout soupçon. Et déplacer le débat du thème de la culpabilité à
celui de la bonne foi du politicien harassé par la t-pache.
Giulio Andreotti est l'homme du compromis,
du statu quo entre les parties. Son pouvoir naît de la capacité
de savoir combiner l'équilibre des forces pour déterminer un
effet favorable à la Démocratie chrétienne, sans jamais oublier
les intérêts du Vatican. Cette politique mire, avant tout, à ne
produire aucun résultat, mais plutôt à renforcer la capacité
d'agrégation de ses représentants.
Andreotti est dépourvu de projet au-delà de
la reconduction du pouvoir cristallisé autour de sa personne. Il
intronise sujet politique tout qui (comme Sindona) a acquis une
parcelle de pouvoir objectif disponible à s'associer à la
sienne. Au point de prétendre 'Le pouvoir use. Celui qui ne l'a
pas.' Et il a cyniquement raison en Italie, qui a le pouvoir ne
l'exerce pas et donc, selon l'inverse de la loi de la
démocratie, ne s'use pas. Au contraire, l'opposition est
sempiternellement obligée à prendre position, donc à brûler ses
ressources. Andreotti peut être défini comme un pur produit de
la politique, version Saint-Siège : son but est de maintenir ce
qui existe et esquivant toute possibilité de changement.
Il est d'ailleurs et depuis toujours en
étroite relation avec la hiérarchie religieuse qu'il n'hésite
jamais à défendre : lors d'une conférence de presse où il était
question des opérations financières secrètes de la 'maison de
Saint-Pierre', il se demandait :'Comment faire autrement, tout
en conservant la même productivité ? Alors que la très grande
majorité des fidèles est désormais dans le Tiers-Monde, et que
le Saint-Siège se trouve dans la position, non plus d'être
financé par eux, mais de les financer ? 'Andreotti peut avoir
raison. Pourtant, si le problème existe, il n'est pas de savoir
si le Vatican agit ou non comme n'importe quelle entreprise en
quête de profits mais bien que, malgré les nombreuses
révélations et mises en accusation, il continue obstinément de
prétendre ne pas le faire. L'explication de cette attitude est
que la plupart des accusations ne bénéficient pas d'une
publicité hors des frontières de l'Italie et ainsi la
réputation du Saint-Siège et du pape en demeure intouchée dans,
justement, les pays les moins informés, c'est à dire ceux du
Tiers-Monde. Dans ces contrées, est avant tout projetée d'image
d'Épinal d'un pape polyglotte, doté d'une résistance physique à
la limite de l'humain, et grand dispensateur de discours
d'apaisement. Tout l'appareil administratif et économique qui
produit, diffuse et entretient ce cliché est soigneusement
gommé comme le sont les appuis politiques, tel celui
d'Andreotti, dont le Saint-Siège ne pourrait à plus d'un titre
se passer. Et Andreotti d'insister, à propos des méfaits de
Calvi, Sindona et Ortolani 'Les cardinaux, disait-il, ne sont
pas extralucides: ils ne peuvent prévoir si tel ou tel
financier se révélera être un escroc.' Chiffres en main, la
malhonnêteté des autres est un risque qu'ils sont en effet en
mesure de se permettre...
Giulio Andreotti est encore, dit-on, un
fervent souteneur des réunions de la droite européenne tenues
par Antoine Pinay.
Antoine Pinay, ancien président du conseil des ministres de la
quatrième République française, entraîne aussi dans ces réunions
le comte Alain de Villegas et maître Jean Violet, titulaire de
la Légion d'Honneur et fait commandeur de l'ordre de Saint
George par Paul VI. Jean Violet est en relation politique et
financière avec l'Union Paneuropéenne, organisme d'extrême
droite fondé par Otto de Habsbourg, dont une des antennes est,
en Belgique, l'Académie Européenne des Sciences Politiques
(AESP) où sévit, à nouveau, Alain de Villegas.
Soutenu par maître Violet, Villegas fait
accepter par Alfredo Sanchez Bella, un pur du franquisme, alors
ministre en Espagne et membre de l'Opus Dei, deux projets de
recherche d'eau potable qui, après expérimentation en 1970, se
résumeront en un fiasco. Carlo Pensenti ami de Sanchez Bella, et
Philippe de Weck, président de l'Union des Banques Suisses,
participent aux frais.
Le terrain est prêt pour une escroquerie de
plus grande envergure cette fois-ci aux dépends de l'Etat
français, et connue sous le nom d' 'affaire des avions
renifleurs': près de 100 millions de FF pompés, entre 1975 et
1979, par Villegas et Aldo Bonassoli autre 'inventeur' italien.
Leur contrat reçoit le parrainage de Sanchez Bella, décidément
peu découragé, de Philippe de Weck, de Carlo Pesenti de 'personnes ecclésiastiques'
comme le dit le rapport de la Cour des comptes française, et
aussi de Daniel Boyer (qui contrôle la Prelate Corporation,
détentrice des droits exclusifs de reproduction de la
bibliothèque apostolique du Vatican - Boyer est d'autre part
propriétaire du mensuel belge l'Évènement) et de Crosby Kelly,
ex-technicien en armements, déjà en poste à Cuba, organisateur
des cérémonies du bicentenaire des USA en Belgique et sans doute
'propagandiste' de la CIA Entre Jean Violet et Philippe de Weck,
agit comme intermédiaire le père Dubois, un dominicain mort en
1979 qui avait intercédé auprès de Paul VI pour faire attribuer
la croix de l'ordre de Saint George à Violet. Et puis Philippe
de Weck, dont la banque UBS a pour conseiller un certain Sanchez
Bella, a auparavant été en affaires avec Sindona et Pesenti et
est membre d'une commission d'experts désignée par le pape pour
réformer le règlement du IOR. Enfin, pour les transferts de
fonds, intervient l'Ultrafin une société financière du groupe
Calvi, et la Banco Occidental de Madrid, proche du IOR et de
l'Opus Dei.
Non pas que nous voudrions dire que le
Vatican se trouve intéressé dans toutes les opérations
financières à odeur d'escroquerie, mais il faut reconnaître que
les mondes ecclésiastique politique et financier qui relèvent
d'une même classe dirigeante en conjuguant heureusement leurs
privilèges parviennent à réaliser des profits contribuant, en
définitive, à la reproduction de cette même classe. Ou, comme le
disait Sanchez Bella: 'Le monde se fait grâce à ces trois ou
quatre mille individus qui forment l'élite intellectuelle
internationale, mais qui ne parlent pas toujours de politique.
De Politique avec la majuscule, oui, mais pas de politique
partisane.' Et il ajoutait, à propos des avions renifleurs :
'L'essentiel était que (cette invention) ne tombe pas aux mains
des Soviétiques.' Où l'avidité du gain rejoint l'idéologie
pathologique.
Finances
'blanches'
Entretemps l'idée de la 'super-banque catholique' a continué à
animer les esprits en Italie. La tendance qui prévaut
aujourd'hui est à la concentration des instituts financiers et
au jeu à la hausse en bourse sur promesse d'élargissement et de
restructuration: autant de mouvements coordonnés par des hommes
de confiance du Vatican comme Carlo Pesenti ou le cardinal Siri,
l'archevêque de Gênes qui a su se rendre tellement indispensable
qu'à 79 ans, il n'a pas encore à ce jour été mis à la retraite
(il est d'autre part l'un des promoteurs avec le cardinal
Ratzinger du retour du latin dans la messe). Prêtant son
concours à divers groupes de pression (en particulier, la
bourgeoisie des entrepreneurs) il a développé dans les
institutions économiques et politiques de sa ville un pouvoir de
fait et une clientèle solide. A tel point que sa cure est
devenue une sorte d'office de placement auquel n'échappe aucune
nomination et aucune attribution de subvention officielle, et
est bien fréquentée par cette élite financière unie par de
profonds liens qui, au-delà du goût pour l'argent, se sent
investie d'une mission (produire de la richesse pour la plus
grande gloire du Saint-Siège) et pratique la loi du silence.
Mais reste que les dettes contractées
directement ou indirectement par le IOR demeurent en bonne
partie impayées. Calvi s'était engagé à assumer la faillite de
Sindona, mais en est mort. Et monseigneur Marcinkus, que fait-il
?
Paul Marcinkus après de longues
tergiversations, acceptait 'en reconnaissance de son implication
morale' (la sienne et celle du IOR de s'associer pour un montant
de 250 millions de dollars à la réparation offerte par le Banco
Ambrosiano, la banque de Calvi, à ses principaux créditeurs.
Etrange comportement du IOR qui s'est toujours déclaré étranger
aux accusations de complicité qui lui étaient lancées mais
comportement prévoyant, si l'on considère qu'il permet d'éviter
un procès international où De Strobel Marcinkus et Mennini
auraient bien plus difficile qu'en Italie de se prévaloir de
l'immunité diplomatique; alors qu'il s'agissait aussi de
présenter le bon profil à la veille de la signature du 'nouveau'
concordat et de restaurer la crédibilité du IOR en tant que
banque d'envergure mondiale.
Afin de réunir les fonds nécessaires à la
réalisation de ses engagements définis comme 'une contribution
volontaire' le IOR s'apprête à liquider certaines de ses
participations en France et aux Etats-Unis, en plus de vendre à
la Sumitomo Bank japonaise la Banca del Gottardo et de se
débarrasser d'une société immobilière romaine. Le tout, y
compris le paiement direct déjà invoqué, se montant à quelque
400 millions de dollars, soit les deux tiers de ce que
réclamaient les 120 créditeurs étrangers des Italiens restant
sur leur faim). Quant aux frais de justice (15 millions de
dollars), personne ne sait encore qui les supportera. Marcinkus
n'en a pas pour autant perdu la raison l'accord final prévoit
aussi le recouvrement d'un tiers des crédits contractés en
Amérique du Sud par deux banques étroitement liées au Vatican.
L'accord, étant donné qu'il est 'régi par
la loi italienne', pourrait aussi sonner le glas des privilèges
du Vatican en matière financière, l'empêchant de jouer sur le
conflit de compétence entre droit italien et droit canon.
Techniquement, la création d'une filiale italienne du IOR
résoudrait le problème en soumettant le IOR à la loi italienne.
Reste à savoir quand cette filiale sera effectivement créée.
Tandis que les poursuites intentées à Pellegrino De Strobel
Luigi Mennini et Paul Marcinkus restent elles aussi au
conditionnel. Tout au plus le 'nouveau' concordat signale-t-il
que 'le Saint-Siège confirme sa disponibilité à examiner avec le
gouvernement italien les questions regardant les activités en
Italie de l'Institut pour les Œuvres de Religion', sans
échéance.
La société romaine dont s'est débarrassé le
Vatican se nomme Vianini et est la quatrième entreprise
italienne en matière de grands chantiers de constructions. Dans
son conseil d'administration, siègent de Strobel et Mennini.
Elle a été acquise par Franco Caltagirone membre d'une famille
active depuis plus d'un demi-siècle dans le bâtiment, fort liée
à Andreotti, et rendue célèbre en 1981 par une banqueroute
frauduleuse qui poussa deux des cousins de Franco à l'exil. Leur
mandat d'arrêt devait être révoqué en janvier 1984, à peine une
semaine avant la signature du contrat Vianini, lequel représente
pour les Caltagirone, après tant de tribulations, un retour en
grand style sur la place des affaires romaines. Poursuivis pour
fraude fiscale et exportation illégale de capitaux (réalisée à
travers le IOR et la Finabank de Sindona, pour un montant évalué
en 1974 à 3 millions de dollars), les deux cousins avaient déjà
bénéficié d'une prescription et, qui plus est, de l'inscription
au passif de leur société en faillite de l'amende de 8 milliards
de Lires avec frais de justice à charge de l'Etat. Le juge
chargé de l'affaire était Antonio Alibradi, déjà rencontré lors
des tribulations de Michele Sindona.
Le Vatican, entre tous ses autres trafics,
s'intéresse encore en Italie aux 'patronages', ces organismes
d'assistance technico-légale et médicale en faveur des
travailleurs, liés au syndicats, aux partis politiques, et à
l'Église. Ils traitent en moyenne 15.000 dossiers par an, pour
lesquels ils reçoivent une subvention officielle de 150
milliards de Lires. Un projet de loi déposé par un parlementaire
démocrate-chrétien élu avec l'appui de Communion et Libération
voudrait en faire des coopératives privées, donc payantes ce
qui, au prix courant des démarches légales, leur rapporterait
750 milliards de Lires en plus de la subvention. El,
actuellement, les organisations catholiques s'emploient de
manière insistante à multiplier le nombre de 'patronages' à leur
dépendance.
En conclusion ? Les finances du Vatican
sont telles: elles font l'objet d'un bilan officiel toujours
mélancolique et ne représentant qu'une minime partie la seule
avouable des affaires brassées. Tandis que les autres
opérations, souvent difficiles à individualiser, influencent de
manière insidieuse l'entièreté des activités économiques et
politiques italiennes.
Et il y a cette légende: en l'an 258, le
diacre Laurent fut brûlé vif par l'autorité impériale pour avoir
refusé de livrer les richesses accumulées par ce qui était alors
la communauté chrétienne de Rome et ne deviendrait qu'un
demi-siècle plus tard l'Église. Le diacre Laurent s'était montré
prudent: il avait fait distribuer les biens aux pauvres de la
ville et, du haut de son bûcher, les indiqua comme le vrai et
unique trésor de la communauté. La légende n'explique pas
comment l'Église parvint, ensuite, à reconstituer son trésor. De
cette action-là, continue et opiniâtre, nous venons d'avoir
quelque aperçu.
Frédéric Hacourt, Mai 1984
Appendice 1
Criminalité internationale
La Banque
du Vatican au hit-parade des dix destinations les plus utilisées
pour le blanchiment d'argent.
Selon une source internationale, le Vatican
est le principal destinataire de plus de 55 milliards de dollars
US d'argent sale italien et se place à la huitième place des
destinations utilisées à travers le monde pour le blanchiment
d'argent, devant des paradis fiscaux comme les Bahamas, la
Suisse ou le Liechtenstein.
Une enquête récente du "London Telegraph"
et du "Inside Fraud Bulletin", cite la Cité du Vatican [1]
comme étant un des principaux États "cut out" au même titre que
des paradis fiscaux tels que Nauru, Macao et l'Ile Maurice. Un
État "cut out" est un État dans lequel la législation sur le
secret bancaire rend impossible la traçabilité de l'origine des
fonds qui y sont déposés.
La Banque du Vatican tente désespérément de
s'opposer à une plainte en justice déposée par des survivants
serbes et juifs de la Shoah devant la cour fédérale de San
Francisco (Affaire "Alperin contre la Banque du Vatican") et
visant à l'obliger à rendre compte de fonds spoliés lors de la
Deuxième Guerre Mondiale [2].
S'opposant à ces accusations, l'avocat de la Banque du Vatican,
Franzo Grande Stevens a déclaré sous serment devant la cour, que
la "raison d'être fondamentale [de la Banque du Vatican] est de
promouvoir des actes de piété" et que ses clients dépositaires
sont "essentiellement des employés de l'État de la Cité du
Vatican, des membres du Saint Siège, des congrégations
religieuses ainsi que des personnes déposant des sommes
destinées pour une part au moins à des œuvres de piété." Stevens
a également déclaré à la cour que la Banque du Vatican est sous
le contrôle du Pape et que les registres de la banque ne sont
pas conservés au-delà d'une période de dix ans.
Il semblerait que la Banque du Vatican
utilise l'image positive du Pape Jean Paul II pour masquer une
opération de blanchiment d'argent de grande envergure. La Banque
du Vatican a déjà été accusée par le passé d'héberger des fonds
spoliés par les Nazis et est actuellement soupçonnée
d'entretenir des liens avec le milieu du crime organisé, en
conséquence le moment où elle devra rendre des comptes semble ne
plus être bien loin. Les preuves s'empilent et tendent à
démontrer que les activités de la banque s'apparentaient plus à
des actes de piraterie que des œuvres de piété [3].
Me Jonathan Levy et Me
Thomas Dewey Easton,
avocats à la cour fédérale de San Francisco
[1]
À la différence des autres paradis fiscaux, le blanchiment
d'argent n'est pas opéré dans l'État de la Cité du Vatican par
des banques privées, mais par la Banque centrale (Istituto per
le opere di religione). Celle-ci est reconnue par la Banque des
règlements internationaux (Bank for International Settlements).
À partir du 1er janvier 2002, elle sera autorisée à émettre des
euros vaticans, alors même que l'État de la Cité du Vatican
n'est pas membre de l'Union européenne (Ndlr).
[2]
Cf.
http://www.vaticanbankclaims.com/
[3]
Dans les années quatre-vingt, le Saint-Siège, qui avait été
gravement mis en cause dans le scandale du Banco Ambrosiano,
prétendit avoir été victime d'un aigrefin, Michele Sindona, que
le pape Paul VI avait imprudemment nommé conseiller financier du
Vatican. L'enquête du juge Ferdinando Imposimato a démontré par
la suite que Michele Sindona avait été choisi en connaissance de
cause par le Saint-Siège parce qu'il était, depuis 1957, le
banquier de Cosa Nostra. Pour financer la lutte contre la
théologie de la libération en Amérique latine, Paul VI avait
accepté de faire alliance avec la mafia. Après le règlement des
dettes de l'Ambrosiano, le Saint-Siège s'est efforcé de faire
accroire qu'il avait définitivement assaini sa situation.
L'étude publiée par l'Inside Fraud Bulletin montre qu'il n'en
est rien (Ndlr).
Appendice 2
A41 - Texte intégral de l'Accord conclu entre
le Vatican et l'Autorité Palestinienne.
Article de Parole de Vie - Reproduction autorisée, pourvu
qu'elle soit intégrale, et que la source soit indiquée.
Nous avons pu nous procurer le texte
intégral de l'accord conclu entre le Pape Jean-Paul II et Yasser
Arafat. Voici sa traduction en français, assortie de
commentaires personnels.
Nous avons également traduit le récit d'un
rabbin israélien invité récemment au Vatican, pour une
conférence interreligieuse.
Le rapprochement de ces deux documents est
très intéressant, dans la perspective de la fausse paix qui doit
être conclue entre Israël et l'Antichrist, d'après la Bible, et
qui marquera le début de la Grande Tribulation.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Traduction du texte
intégral de l'accord entre le Vatican et l'OLP :
Mardi 15 février 2000
Préambule:
Le Saint-Siège, Autorité Souveraine de l'Eglise
Catholique, et l'Organisation de Libération de la Palestine
(ci-après dénommée OLP), agissant en tant que représentant du
Peuple Palestinien, travaillant au profit et en tant que
représentant de l'Autorité Palestinienne.
Profondément conscients de la signification
particulière de la Terre Sainte, qui constitue, entre autres, un
espace privilégié pour le dialogue inter-religieux entre les
adeptes des trois religions monothéistes. Ayant considéré
l'histoire et le développement des relations entre le
Saint-Siège et le Peuple Palestinien, en particulier les
relations de travail et l'établissement subséquent, le 26
octobre 1994, de relations officielles entre le Saint-Siège et
l'OLP. Rappelant et confirmant la création de la Commission de
Travail Bilatérale Permanente, ayant pour tâche
l'identification, l'étude et le suivi des problèmes d'intérêt
commun entre les deux parties. Réaffirmant le besoin de conclure
une paix juste et complète au Moyen-Orient, afin que toutes les
nations de cette région puissent vivre en bon voisinage et
travailler en commun au développement et à la prospérité de
toute la région et de tous ses habitants. Appelant à une
solution pacifique du conflit Israélo-Palestinien, qui tiendrait
compte des aspirations et droits nationaux légitimes et
inaliénables du Peuple Palestinien, par la négociation et la
conclusion d'un accord capable d'assurer la paix et la sûreté à
tous les peuples de la région, sur la base de la justice et de
l'équité, ainsi que du droit international, en particulier des
résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies touchant à
ce problème. Déclarant qu'une solution équitable du problème de
Jérusalem, fondée sur les résolutions internationales, est
fondamentale pour une paix juste et durable au Moyen-Orient, et
que toutes les décisions et actions unilatérales modifiant le
caractère et le statut spécifiques de Jérusalem sont moralement
et légalement inacceptables.
Appelant par conséquent à adopter un statut
spécial pour Jérusalem, statut faisant l'objet de garanties
internationales, et qui devrait sauvegarder ce qui suit :
-
La liberté de religion et de conscience
pour tous.
-
L'égalité devant la loi des trois
religions monothéistes, de leurs institutions et de leurs
fidèles, à l'intérieur de la Cité.
-
L'identité propre et le caractère sacré
de la Cité et de son héritage religieux et culturel
significatif.
-
Les Lieux Saints, leur liberté d'accès et
la liberté de culte à l'intérieur de ces Lieux.
-
Le régime du statu quo dans les Lieux
Saints, là où il s'applique.
Reconnaissant que les Palestiniens, quelle
que soit leur affiliation religieuse, sont des membres à part
entière de la société palestinienne.
Concluant que les travaux de la Commission
de Travail Bilatérale Permanente mentionnée supra sont
suffisamment avancés pour permettre la signature d'un premier
accord fondamental, qui doit offrir un fondement solide et
durable au développement continu de leurs relations présentes et
futures, et pour la poursuite des travaux actuels de la
Commission.
Se sont accordés sur les Articles
suivants:
Article 1
Paragraphe 1:
L'OLP affirme son engagement permanent à
soutenir et à observer le droit humain à la liberté de religion
et de conscience, tel qu'il est défini dans la Déclaration des
Droits de l'Homme et dans d'autres textes internationaux
relatifs à son application.
Paragraphe 2 :
Le Saint-Siège affirme l'engagement de
l'Église Catholique à soutenir ce droit et réaffirme une fois
encore le respect accordé par l'Église Catholique aux fidèles de
toutes les autres religions.
Article 2
Paragraphe 1:
Les Parties s'engagent à coopérer de
manière appropriée pour promouvoir le respect des droits de
l'homme, individuels et collectifs, pour combattre toutes les
formes de discrimination et de menaces contre la vie et la
dignité de l'homme, et pour promouvoir la compréhension et
l'harmonie entre les nations et les communautés.
Paragraphe 2 :
Les Parties continueront à encourager le
dialogue interreligieux, pour la promotion d'une meilleure
compréhension entre les peuples de différentes religions.
Article 3
L'OLP assurera et protègera dans la Loi
Palestinienne l'égalité des droits de l'homme et du citoyen pour
tous les citoyens, en garantissant de manière spécifique, et
sans préjudice des autres droits, la suppression de toute
discrimination, individuelle ou collective, fondée sur
l'appartenance à une religion, à une croyance ou à une pratique
religieuse.
Article 4
Le régime du statu quo sera maintenu et
observé pour tous les Lieux Saints Chrétiens, là où il
s'applique.
Article 5
L'OLP reconnaît à l'Église Catholique la
liberté d'exercer ses droits, de remplir ses fonctions et de
respecter ses traditions, par les moyens qu'elle juge
nécessaires, en particulier dans les domaines spirituel,
religieux, moral, charitable, éducationnel et culturel.
Article 6
L'OLP reconnaît les droits de l'Église
Catholique en matière économique, légale et fiscale. Ces droits
seront exercés en harmonie avec les droits des autorités
Palestiniennes dans ces domaines.
Article 7
La Loi Palestinienne reconnaîtra de plein
droit la personnalité légale de l'Eglise Catholique, ainsi que
celle de ses représentants canoniques légaux.
Article 8
Les dispositions de cet Accord ne doivent
porter préjudice à aucun autre Accord actuellement en vigueur
entre chacune des Parties et tout autre partie.
Article 9
La Commission de Travail Bilatérale
Permanente, en accord avec les instructions données par les
Autorités respectives des deux parties, pourra proposer d'autres
moyens de développer l'étude des points du présent accord.
Article 10
Si une controverse se présentait concernant
l'interprétation ou l'application des dispositions du présent
Accord, les parties la règleront par le moyen d'une consultation
mutuelle.
Article 11
Fait en deux exemplaires originaux, en
langue arabe et en langue anglaise, les deux textes étant
déclarés également authentiques. En cas de divergence, seul le
texte anglais fera foi.
Article 12
Le présent Accord entrera en application
dès le moment où il sera signé par les deux Parties.
Signé au Vatican, le 15 février 2000
|