CHAPITRE VIII.

ALEXANDRIE ET CÉSARÉE.

§ 1. Lectures alexandrines, et l’école alexandrine.

Quelle est la vérité réelle sur l’existence d’un texte alexandrin ? Y a-t-il, ou n’y a-t-il pas, suffisamment d’éléments de caractère alexandrin, et d’origine alexandrine ou égyptienne, pour constituer un texte des saints Évangiles à désigner par ce nom ?

C’est ce que pensait Griesbach, qui a conçu Origène comme la norme du texte alexandrin. Hort, qui semble avoir attribué à son texte neutre une grande partie des produits indigènes d’Alexandrie 1, parle plus de lectures que de texte. La question doit être tranchée sur la base de la preuve de l’affaire, qui sera maintenant produite pour l’essentiel.

Introduction, p. 127, etc.

Les Pères ou écrivains anciens que l’on peut qualifier d’alexandrins dans la période considérée sont les suivants : —

 

Traditionnel.

Néologue.

Héracléon....

1

7

Clément d’Alexandrie .

82

72

Denys d’Alexandrie .

12 5

Théognoste . . .

0 1

Pierre d’Alexandrie . .

7 8

Arius....

2 1

Athanase (c. Arianos) .

57 56

 

161 150

Sous les trente endroits déjà examinés, Clément, le plus important de ces écrivains, témoigne 8 fois pour la lecture traditionnelle et 14 fois pour la lecture néologienne. Origène, qui, dans ses premières années, était un dirigeant de cette école, témoigne respectivement 44 et 27 fois dans l’ordre indiqué.

1. Mat. i. 25.

Omet. Un manuscrit dit que le La Grecque a " son fils premier-né ."

2. Mat. v. 44.

Grande majorité, à l’exception de 5, omettent. Certains ajoutent dans la marge.

3. Mat. vi. 13.

Seuls 5 manuscrits ont la doxologie.

4. Mat. vii. 13.

Tous l’ont.

5. Mat. x. 13.

9 l’ont, et 3 en marge : 12 omettent, en plus des 3 que nous venons de mentionner.

6. Mat. xi. 27.

Tous ont βούληται.

7. Mat. XVII. 21.

Seuls 6 manuscrits l’ont, en plus de 7 en marge ou interligné : n’omettent pas entièrement.

8. Mat. XVIII. 11.

Seuls 4 l’ont.

9. Mat. xix. 16.

Seuls 7 d’entre eux ont " bon, " Mis à part quelques corrections : 12 omettent

9. Mat. xix. 17.

Seul 1 l’a.

10. Matth. XXIII. 38. Seuls 6 l’ont.
11. Mat. XXVII. 34.

L’un corrigé et l’autre qui a copié la correction. Tous les autres ont oinon (grec)1.

12. Mat. XXVIII. 2.

Tous l’ont.

13. Mat. XXVIII. 19.

Tous l’ont.

14. Marc i. 2.

Tous (c’est-à-dire 25) donnent, Esaia (grec).

15. Marc xvi. 9-20.

Aucun n’omet complètement : 2 Donne la fin alternative.

16. Luc, i. 28.

Seulement 4 + 2 corrigés: 12 Omettent.

17. Luc ii. 14.

Tous ont eudokia (grec)

18. Luc, x. 41-2.

X. 41 — 2. oligon de (3 Omit) esti chreia e enos : 1 omet e enos. 2 corrigés ajoutent " d’entre eux. "

19. Luc, xxii, 43-4.

Omis par 18 1 .

20. Luc, xxiii. 34..

Tous omettent1.

Probablement des lectures alexandrines.

21. Luc xxiii. 38. Tous omettent sauf 51 ( ?).

Chapitre 22. Luc xxiii. 45. Tous ont eklipontos (grec) 1.

23. Luc xxiv. 40. Tous l’ont.

24. Luc xxiv. 42. Tous omettent1.

25. Jean i. 3-4. Tous (sauf 1 qui s’arrête à oude ev (grec)) l’ont. Le Sahidic est dans l’autre sens.

26. Jean i. 18. Tous ont Theos 1.

27. Jean iii. 13. Omis par 9.

28. Jean x. 14. Tous ont des ' les miens, me connaissent ? Le Bohairique n’a pas de passif : d’où l’erreur 1.

29. Jean xvii. 24. Le Bohairique ne savait pas exprimer ous (grec) : d’où l’erreur 1.

30. Jean xxi. 25. Tous l’ont.

Les manuscrits diffèrent par leur nombre quant à leur témoignage dans chaque endroit.

Aucun manuscrit ne peut être considéré comme alexandrin : et en fait nous considérons la période anté-manuscrite. Par conséquent, toute référence aux manuscrits serait une conséquence de la présente enquête, et non un facteur dans celle-ci.

On verra, en examinant ces preuves, que la caractéristique la plus frappante se trouve dans l’instabilité de celles-ci. Le Bohairic vacille d’un côté à l’autre. Clément témoigne des deux côtés sur les trente places, mais la plupart du temps contre le texte traditionnel, tandis que les preuves qu’il a recueillies dans tous les cas donnent une légère majorité à ce dernier côté de la contestation. Origène, au contraire, à une large majorité, rejette les lectures néologiennes sur les trente passages, mais les reconnaît par un petit dans ses citations habituelles. Il est très remarquable, et pourtant caractéristique d’Origène, qui a effectivement changé sa maison d’Alexandrie à Césarée, que son habitude était d’adopter l’une des lectures syrio-bas-latines les plus remarquables de préférence à la lecture traditionnelle répandue à Alexandrie. Saint Ambroise (Ps. xxxvi. 35), en défendant la lecture de saint Jean, I, 3-4, « sans Lui rien n’a été fait : ce qui a été fait était la vie en Lui », dit que les Alexandrins et les Égyptiens suivent la lecture qui est maintenant adoptée partout, excepté par Lachmann, Tregelles et W.-Hort. On a dit qu’Origène avait l’habitude d’utiliser des manuscrits des deux sortes, et en effet personne ne peut examiner ses citations sans arriver à cette conclusion.

1 Probablement des lectures alexandrines.

C’est pourquoi nous sommes conduits tout d’abord à l’école de philosophie chrétienne qui, sous le nom d’école catéchétique, a rendu Alexandrie à jamais célèbre dans les premières annales de l’Église chrétienne. En effet, Origène était un critique textuel. Il consacra beaucoup de temps et de labeur au texte du Nouveau Testament, outre ses grands travaux sur l’Ancien, parce qu’il le trouva défiguré, comme il le dit, par des corruptions « les unes provenant de la négligence des scribes, les autres de la mauvaise licence de correction, les autres de l’arbitraire omissions et interpolations. 44 Une telle séance de jugement, ou, comme il faudrait peut-être le dire avec plus de justice pour Origène, une telle recherche d’enquête, impliquait l’appréciation des preuves de part et d’autre, ce dont il y a beaucoup d’indications dans ses œuvres. La connexion de cette école avec l’école établie à Césarée, où Origène semble avoir apporté ses manuscrits, et où il légua son enseignement et son esprit à des successeurs sympathiques, sera développée et décrite plus en détail dans la section suivante. Origène était de loin le personnage le plus important de l’école d’Alexandrie. Sa renommée et son influence dans cette province s’étendirent avec la réputation de ses autres écrits longtemps après sa mort. « Quand un écrivain parle de « copies exactes », ce qu’il veut dire en réalité, c’est le texte de l’Écriture qui a été employé ou approuvé par Origène 45. » En effet, il s’agissait d’une école élémentaire, inchoative, traitant dans un esprit académique et éclectique de preuves de toutes sortes, très intellectuelles plutôt qu’originales, comme par exemple dans l’accueil réservé à la variante syrio-bas-latine de saint Matthieu. xix. 16, 17, et accro à un certain degré à l’altération des passages. Il semble qu’à côté de cet humeur critique et de cette habitude, il y ait eu dans une certaine mesure un développement des lectures provinciales à Alexandrie ou dans les environs, et que des modes d’orthographe qui ont été rejetés dans les âges ultérieurs y ont pris leur essor. Des spécimens de la première de ces particularités peuvent être vus dans le tableau des lectures qui vient d’être donné de la version bohaïrique. Les principaux effets de l’étude alexandrine se sont produits dans l’école césarienne qui appelle maintenant notre considération.

44 Dans Matt. xv. 14, cité et traduit par le Dr Bigg dans ses Conférences de Bampton sur les platoniciens chrétiens d’Alexandrie, p. 123.

45 Burgon, Last Twelve Verses, p. 236, et note z.

§ 2. L’école césarienne.

En l’an 231, comme cela semble le plus probable, Origène quitta finalement Alexandrie. On peut dire qu’il eut alors son quartier général à Césarée en Palestine, bien qu’il ait voyagé en Grèce et en Arabie et qu’il ait séjourné à Néo-Césarée en Cappadoce avec son ami et élève Grégoire Thaumaturgue. Il avait déjà visité Rome : de sorte qu’il devait être bien qualifié par son expérience aussi bien que probablement par sa connaissance et sa collection de manuscrits pour jeter les bases générales pour le règlement futur du texte. Mais malheureusement, toute sa carrière fait de lui un homme au jugement incertain. Comme d’autres, il était un géant dans l’apprentissage, mais ordinaire dans l’utilisation de son savoir. Il était également étroitement lié à l’école philosophique d’Alexandrie, d’où est issu l’arianisme.

Les figures de proue de cette remarquable école de critique textuelle à Césarée étaient Origène et Eusèbe, en plus de Pamphile qui fait le lien entre les deux. Le fondement de l’école fut la célèbre bibliothèque de la ville, qui fut formée sur les fondations fournies par Origène, dans la mesure où les livres qu’elle contenait échappèrent à la destruction générale des manuscrits qui eut lieu lors de la persécution de Dioclétien. Il est remarquable que, bien qu’il ne semble guère douteux que les manuscrits du Vatican et du Sinaïtique aient été parmi les fruits de cette école, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, le témoignage des écrits d’Origène et d’Eusèbe est aussi favorable qu’il l’est au texte traditionnel. Dans le cas d’Origène, il n’y a, comme nous l’avons déjà dit1, pas loin d’une égalité entre les totaux de part et d’autre, outre une majorité de 44 contre 27 sur les trente textes importants : et les nombres pour Eusèbe sont respectivement de 315 à 214, et de 41 à 11.

1 Ci-dessus, p. 100.

La Palestine, de par sa position géographique, était bien adaptée pour être le site de la jonction de tous les cours d’eau. Les mêmes circonstances qui l’ont adapté pour en faire l’arène du grand drame de l’histoire du monde ont attiré sur ses rivages les divers éléments de la représentation dans le langage de la partie la plus caractéristique de la Parole de Dieu. Le Texte traditionnel l’atteindrait par diverses voies : le Syrio-Bas-Latin à travers la mer et de Syrie ; les lectures alexandrines du voisinage proche. Origène, dans ses voyages, aiderait à rassembler le tout. Les différents courants extraterrestres fusionneraient ainsi, et le texte de B et א en serait le résultat. Mais les lectures des manuscrits rapportées par Origène et surtout par Eusèbe prouvent que, dans cette vaste école, le texte traditionnel a acquis au moins une prépondérance décidée, selon le choix privé de ce dernier. Cependant, comme on le verra, il n’était probablement pas l’auteur de B et des six feuillets conjugués de א, mais aussi l’exécuteur de l’ordre de Constantin le surintendant en copiant ces célèbres manuscrits. A-t-il donc été influencé par les motifs d’un courtisan en envoyant les textes qu’il croyait les plus acceptables pour l’empereur ? Ou n’est-elle pas plus en accord avec les faits de l’affaire — en particulier telle qu’elle est interprétée par la diffusion ultérieure à Constantinople du Texte traditionnel1 — . qu’il faut en déduire que les cinquante manuscrits envoyés comportaient une grande proportion de textes d’un autre caractère ? Eusèbe, l’Homoiousien ou le Semi-arien, serait donc le collectionneur d’exemplaires pour répondre aux différents goûts et opinions, et son érudit et successeur Acacius, l’Homéen, serait plus probablement l’auteur de B et des six feuillets conjugués de א*. Le Le caractère édulcoré du latitudinaire, et l’enfoncement violent du partisan, sembleraient rendre une telle supposition non déraisonnable. Si l’on évalue l’école d’après les principes de la philosophie historique, et en accord avec l’existence du texte désigné par B et א et aussi avec les résultats ultérieurs, elle doit nous apparaître comme ayant un caractère transitoire, comprenant deux solutions distinctes et incongrues, dont l’une s’est avérée par la suite être la justesse par l’acceptation générale dans l’Église que le Dr Hort lui-même reconnaît avoir eu lieu.

1 Hort, Introduction, p. 143.

* Eusèbe a suggéré le Théorie homéenne, mais sa propre position, dans la mesure où il avait une position, est la meilleure indiqué ci-dessus.

Une enquête intéressante est suggérée ici en ce qui concerne les deux célèbres manuscrits que nous venons de mentionner. Comment se fait-il que nous ne possédions aucun manuscrit du Nouveau Testament d’une taille considérable plus ancienne que ceux-ci, ou du moins aucun autre manuscrit aussi ancien qu’ils le sont ? Outre les résultats désastreux de la persécution de Dioclétien, il y a beaucoup de force dans la réponse du doyen Burgon, qui, étant généralement reconnu comme de mauvais manuscrits, ils ont été laissés debout sur l’étagère dans leurs belles couvertures, tandis que d’autres, plus corrects, ont été mis en pièces en un usage constant. Mais les découvertes faites depuis la mort du doyen me permettent de proposer une autre réponse qui contribuera aussi à élargir notre regard sur ces questions.

L’habitude d’écrire sur vélin appartient à l’Asie. La première mention que nous rencontrons se trouve dans le chapitre 58 du 5e livre d’Hérodote, où l’historien nous dit que les Loniens écrivaient sur des peaux de moutons et de chèvres parce qu’ils ne pouvaient pas obtenir de « byblus », ou comme nous le savons mieux, de papyrus. Le vélin resta dans une obscurité relative jusqu’à l’époque d’Eumène II, roi de Pergame. Cet intelligent potentat, voulant agrandir sa bibliothèque et étant contrarié par les Ptolémées qui refusèrent par jalousie de lui fournir du papyrus, améliora les peaux de son pays46, et fit la "charta Pergamena", d’où le terme parchemin est descendu jusqu’à nous. On se souviendra que saint Paul envoya à Éphèse chercher « les livres, surtout les parchemins 47 ». Il y a des preuves que le vélin était utilisé à Rome ; mais les principaux matériaux employés là-bas semblent avoir été des tablettes de cire et des papyrus. Martial, écrivant vers la fin du Ier siècle, parle de manuscrits en vélin d’Homère, de Virgile, de Cicéron et d’Ovide 48. Mais si de tels manuscrits avaient prévalu en général, il serait parvenu à nous d’autres manuscrits. L’apparition du vélin dans l’usage général est marquée et annoncée par les produits de la bibliothèque de Césarée, qui, aidés par l’activité littéraire croissante en Asie et par la construction de Constantinople, a probablement été le moyen d’introduire un meilleur emploi du vélin. On a déjà remarqué4 qu’Acace et Euzoius, successivement évêques de Césarée après Eusèbe, surveillaient la copie des manuscrits sur papyrus sur vélin. Les onciales grecques n’étaient pas différentes, dans leur forme générale, des lettres hébraïques carrées utilisées à Jérusalem après la captivité. L’activité de Césarée asiatique s’est synchronisée avec l’augmentation de l’utilisation du vélin. Il semblerait qu’en s’y installant, Origène ait abandonné le papyrus pour le matériau plus durable.

46 Sir E. Maunde Thompson, Paléographie grecque et latine, p. 35. Plin. à. Hist. xiii.  11.

47 ta biblia, malista tas membranas (grec), 2 Tim. iv. 13.

48 Paléographie, à la p. 36.

4 Voir ci-dessus, p. 2.

Un mot pour expliquer mon argumentation. Si le vélin avait été constamment en usage dans l’Empire romain pendant les trois premiers siècles et un troisième qui s’est écoulé avant que B et א ne soient écrits, il aurait dû exister quelques restes d’une matière si capable de résister à la déchirure et à l’usure de l’usage et du temps. Comme il n’y a pas de manuscrits en vélin, à l’exception des fragments les plus courts datant d’avant 330 apr. J.-C., nous sommes forcés d’en déduire qu’un matériau d’écriture de nature périssable était généralement employé avant cette période. Or, non seulement le papyrus a été pendant longtemps le matériau reconnu pour un usage littéraire, mais nous pouvons retracer son emploi beaucoup plus tard qu’on ne le suppose habituellement. Il est vrai que la culture de cette plante en Égypte commença à décliner après la prise d’Alexandrie par les Mahométans en 638 après J.-C., et la destruction des célèbres bibliothèques ; mais elle continua d’exister pendant quelques siècles après. Il était également cultivé en Sicile et en Italie. « En France, le papyrus était d’un usage courant au VIe siècle. » Sir E. Maunde Thompson énumère les livres que l’on trouve aujourd’hui dans les bibliothèques européennes de Paris, de Gênes, de Milan, de Vienne, de Munich et d’ailleurs, dès le Xe siècle. Sa fabrication n’a cessé en Égypte qu’au Xe siècle. L’usage du papyrus ne cessa finalement que lorsque le papier fut introduit en Europe par les Maures et les Arabes, après quoi toute écriture fut exécutée sur des substances plus dures, et la main cursive chassa l’écriture onciale même du parchemin.

1 Paléographie, p. 27-34. Le papier a été fabriqué pour la première fois en Chine par un homme nommé  Ts’ai Lun, qui a vécu vers 90 après J.-C. On dit qu’il a utilisé l’écorce d’un arbre ; probablement Broussonetia papyrifera, Vent, à partir duquel on fabrique encore une sorte de papier grossier dans le nord de la Chine. Les meilleurs types de papier chinois moderne sont fabriqués à partir du bambou, qui est trempé et pilé jusqu’à l’obtention d’une pulpe. Voir Die Erfindung des Papiers in China, von Friedrich Hirth. Publié dans le vol. I du T’oung Pao (avril 1890). S. J. Brille : Leide. (Aimablement communiqué par M. H. A. Giles, H.B.M. Consul à Ningpo, auteur de A Chinese-English Dictionary, etc., par l’intermédiaire de mon ami le Dr Alexander Prior, de Park Terrace, N. W., et de Haise House, près de Taunton.)

La connaissance de la prédominance du papyrus, dont chacun peut s’assurer en consultant l’admirable livre de Sir E. Maunde Thompson, et de l’emploi de la main cursive devant le Christ, doit modifier beaucoup d’idées qui ont été largement entretenues au sujet des anciennes onciales.

1. En premier lieu, il est clair que tous les manuscrits cursifs ne sont nullement les descendants des onciales. Si l’emploi du papyrus dans les premiers âges de l’Église chrétienne était répandu dans la plus grande partie de l’Empire romain, et cette description est, je crois, inférieure à ce que les faits justifieraient, — alors plus de la moitié des racines de la généalogie doivent avoir été constituées à l’origine de manuscrits sur papyrus. De plus, si l’utilisation du papyrus s’est poursuivie longtemps après la date de B et א, alors non seulement il aurait occupé les premiers échelons dans les lignes de descendance, mais des exemplaires beaucoup plus tardifs auraient dû perpétuer la succession. Mais, par suite du caractère périssable du papyrus, ces exemplaires ont disparu et ne vivent plus que dans leur postérité cursive. Ce seul aspect de l’affaire à l’étude confère aux Cursives beaucoup plus d’intérêt et de valeur que beaucoup de gens ne leur attribueraient aujourd’hui.

2. Mais au-delà de cette conclusion, la lumière est jetée sur le sujet par le fait maintenant établi hors de tout doute, que l’écriture cursive existait dans le monde quelques siècles avant Jésus-Christ 1. Pour les lettres carrées (bien sûr en écriture entrecoupée de lignes circulaires), nous allons en Palestine et en Syrie, et ce n’est peut-être pas la raison pour laquelle les lettres grecques onciales sont apparues en premier, pour autant que les preuves des vestiges existants peuvent nous guider, dans ces pays. Le passage des lettres onciales aux lettres cursives vers le Xe siècle est des plus remarquables. Ne doit-elle pas provenir en grande partie de l’échec contemporain du papyrus que nous avons expliqué, et de ce que les écrivains cursifs sur papyrus s’essayent maintenant au vélin et introduisent leur style d’écriture plus facile et plus rapide dans cette classe de manuscrits1 ? S’il en est ainsi, le phénomène montre que, par la manière même dont elles sont écrites, les cursives déclarent silencieusement qu’elles ne sont pas seulement les enfants des onciales. D’une manière générale, ils sont la progéniture d’un mariage entre les deux, et les manuscrits sur papyrus semblent avoir été la meilleure moitié.

1 . . . La science de la paléographie, qui se trouve aujourd’hui sur un pied tout à fait différent de ce qu’elle avait il y a vingt ou même dix ans. Au lieu de commencer pratiquement au quatrième siècle de notre ère, avec le plus ancien des grands codex de vélin de la Bible, il commence maintenant au troisième siècle avant Jésus-Christ. Church Quarterly Review d’octobre 1894, p. 104.

1 . . . Il est tout à fait clair que la tradition textuelle du début de l’ère chrétienne est sensiblement identique à celle des manuscrits du Xe ou du XIe siècle, sur lesquels se basent nos textes classiques actuels. Mis à part les différences mineures, les papyrus, à de très rares exceptions près, représentent les mêmes textes que les manuscrits sur vélin de mille ans plus tard. Church Quarterly, p. 98 et 99. Ce qui est représenté ici comme étant incontestablement le cas en ce qui concerne les manuscrits classiques est en effet plus que ce que je prétends pour les manuscrits du Nouveau Testament. Les cursives étaient dans une large mesure les successeurs des papyrus.

Les résultats obtenus dans ce chapitre et dans le précédent sont le fruit des progrès réalisés dans les découvertes et les recherches au cours des dix dernières années. Mais ceux-ci n’étaient pas connus de Tischendorf ou de Tregelles, et encore moins à Lachmann. Ils n’auraient pas pu être adoptés par Hort dans sa vision de l’ensemble du sujet lorsqu’il a construit sa théorie intelligente mais malsaine il y a une quarantaine d’années 2 Notre conclusion doit certainement être que le monde est en train de laisser cette école peu à peu derrière lui.

2 Introduction, p. 16. Il l’a commencé en 1853, et comme il apparaît principalement sur la fondation de Lachmann.

 

CHAPITRE IX.

LES ANCIENNES ONCIALES. L’INFLUENCE D’ORIGÈNE.

1 Par l’éditeur.

Le CODEX B a été intronisé de bonne heure sur quelque chose comme la spéculation, et a été maintenu sur le trône par ce qui s’est étrangement élevé comme une superstition positive. Le texte de ce manuscrit n’a été connu avec précision qu’en 1867 2 : et pourtant, longtemps avant cette époque, il a été considéré par beaucoup de critiques comme la reine des onciales. Les collations de Bartolocci, de Mico, de Rulotta et de Birch n’étaient pas dignes de foi, bien qu’elles surpassassent de beaucoup les deux premières éditions de Mai. Pourtant, le préjugé en faveur de l’autorité mystérieuse qui était censée émettre des décrets du Vatican3 n’a pas attendu que la lumière claire de la critique soit jetée sur ses excentricités et ses défalcations. Le même esprit, biaisé par des sentiments et non gouverné par la raison, est demeuré depuis que l’on a davantage révélé la véritable nature de ce Codex 4.

2 Les quatorze brèves journées de travail de Tischendorf sont une merveille d’exactitude, mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles soient exemptes de toutes erreurs. C’est ainsi qu’il donne à tort Ευρακυλων au lieu de Ευρακυδων, comme l’a fait remarquer Vercellone dans sa Préface à l’édition in-octavo de Mai en 1859, et comme on peut le voir dans la copie photographique de B.

3 Cf. Scriveners Introduction, (4e éd.) II. Chapitre 283.

4 Voir l’édition de Kuenen et Cobet du Vatican B, Introduction.

Une démarche similaire a été suivie en ce qui concerne le Codex א. Peut-être pouvait-on s’attendre à ce que l’infirmité humaine eût influencé Tischendorf dans le traitement qu’il avait fait du trésor qu’il avait fait, bien que son caractère de jugement ne pût qu’être sérieusement blessé par le fait que, dans sa huitième édition, il modifia les convictions mûres de sa septième dans pas moins de 3 5721 cas, principalement à cause des lectures de son guide sinaïtique bien-aimé.

1 Prolégomènes de Grégoire à la 8e édition du Nouveau Testament de Tischendorf, (I) p. 286.

Pourtant, tout ce qui peut être avancé contre B peut être allégué encore plus fortement contre א. Elle s’ajoute au nombre des bévues de son associé : elle se fait remarquer par sa négligence ou sa licence habituelle : elle s’écarte souvent d’elle-même vers des erreurs flagrantes2. L’élévation du Sinaïtique à la première place, qui a été réalisée par Tischendorf en ce qui concerne sa propre pratique, n’a été applaudie que par très peu de savants : et il est difficilement concevable qu’ils puissent maintenir leur opinion, s’ils voulaient examiner par eux-mêmes de manière critique et impartiale cette copie erratique dans tout le Nouveau Testament.

2 Voir l’annexe V.

Le fait est que B et א étaient les produits de l’école de philosophie et d’enseignement qui a trouvé son exutoire dans les opinions semi-ariennes ou homéennes. La preuve de cette position est quelque peu difficile à donner, mais si l’on tient compte de la nature de la question et de la quantité de preuves productibles, elle est néanmoins tout à fait satisfaisante.

En premier lieu, selon le verdict de tous les critiques, la date de ces deux manuscrits coïncide avec l’époque où le semi-arianisme ou une autre forme d’arianisme était en plein essor en Orient, et selon toute apparence extérieure, l’Église universelle a été influencée. Dans les dernières années de son règne, Constantin était sous la domination de la faction arianisante ; et le règne de Constance II sur toutes les provinces de l’Empire romain qui parlaient grec, pendant lequel on encouragea les grandes écoles hérétiques de l’époque, compléta les deux décennies centrales du IVe siècle49. C’est une circonstance qui ne peut manquer de faire naître le soupçon que les manuscrits du Vatican et du Sinaïtique ont eu leur origine sous l’influence prédominante d’une si mauvaise renommée. À tout le moins, une enquête minutieuse est nécessaire pour voir si ces copies étaient effectivement exemptes de cette influence qui a fait l’objet d’une condamnation universelle.

49 Constantin mourut en 337 et Constance II régna jusqu’en 360.

Maintenant, à mesure que nous avançons, nous sommes frappés par une autre coïncidence des plus remarquables, qui, comme nous l’avons déjà remarqué, est également admise par tous, à savoir que la période de l’émergence de l’école orthodoxe de l’oppression et du règlement en sa faveur de la grande controverse de Nicée était aussi l’époque où le texte de B et א sombré dans la condamnation. Le côté orthodoxe, sous saint Chrysostome et d’autres, est devenu définitivement suprême, de même que le texte traditionnel. Devons-nous donc supposer, avec nos adversaires, que dans l’Église, la condamnation et l’acceptation étaient des compagnons inséparables ? Qu’au début l’hérésie et le texte pur, puis l’orthodoxie et la corruption textuelle, allaient de pair ? Que de tels couples mal assortis ont honoré l’histoire de l’Église ? Que sur une question aussi fondamentale que l’exactitude de la norme de référence écrite, il y avait précision du texte lorsque les hérétiques ou ceux qui s’adonnaient à l’hérésie étaient au pouvoir, mais que le texte sacré était contaminé lorsque les orthodoxes faisaient les choses à leur manière ? En effet, en est-il arrivé à ceci que nous devons chercher la Parole pure et sans souillure de Dieu , non pas parmi ces grands hommes qui, sous la conduite du Saint-Esprit, ont déterminé et réglé pour toujours les principaux articles de la foi et le canon de l’Écriture Sainte, mais parmi les reliques de ceux qui n’ont pu s’accorder les uns avec les autres, et dont les subtilités finement dessinées dans la croyance et la politique ont été le désespoir des historiens, et une énigme pour les étudiants de la science théologique ? Il n’est pas exagéré d’affirmer que la théologie et l’histoire ne connaissent pas de telles conclusions non scientifiques.

C’est donc une circonstance pleine de signification que les Codex B et א aient été produits à une époque aussi fâcheuse50, et qu’ils soient tombés dans l’oubli lors de la renaissance de l’orthodoxie, lorsque le texte traditionnel a été reçu de façon permanente. Mais la présente affaire repose aussi sur des preuves plus directes que celle-ci.

50 Dans ses Douze derniers versets de saint Marc, p. 291-294, le doyen Burgon a fait valoir qu’un laps de temps d’environ un demi-siècle séparait la date de א de celle de B. Mais il semble qu’il ait ensuite abandonné l’opinion qu’il avait adoptée à la première apparition de א en faveur de la conclusion adoptée par Tischendorf, Scrivener et d’autres experts, en raison de leur identification de l’écriture des six feuilles conjuguées de א avec celle du scribe de B. Voir ci-dessus, p. 46, 52.

L’influence que les écrits d’Origène ont exercée sur l’Église antique est vraiment extraordinaire. La renommée de son érudition, jointe à la splendeur de son génie, à ses vastes réalisations bibliques et à sa véritable perspicacité dans la profondeur de l’Écriture, lui valut l’admiration et le respect de la chrétienté primitive. Qu’on lui accorde librement les plus grands éloges pour la profondeur de beaucoup de ses paroles, l’ingéniosité de presque tous. Il faut en même temps admettre qu’il est hardi dans ses spéculations jusqu’à la limite de la témérité ; confiance injustifiée dans ses affirmations ; manque de sobriété ; dans ses remarques critiques, même insensé. Lecteur prodigieux autant que garçon prodigieux, ses livres eussent été d’une valeur incalculable, s’il ne paraissait avoir été tellement saturé des étranges spéculations des premiers hérétiques, qu’il en adopte quelquefois la méthode sauvage ; et, en fait, n’a pas été compté parmi les Pères orthodoxes de l’Église.

Mais (et c’est dans cette direction que tendent les remarques qui précèdent) la passion dominante d’Origène se trouve avoir été la critique textuelle 51. C’était à la fois son point fort et son point faible. Dans la bibliothèque de son ami Pamphile à Césarée, on trouva de nombreux codex qui lui avaient appartenu, et l’autographe de son Hexapla, qui fut vu et utilisé par saint Jérôme52. En effet, la collection de livres faite par Pamphile et à la réunion de laquelle il était au moins profondément redevable à Origène, devint un centre d’où, après la destruction des copies lors de la persécution de Dioclétien, l’autorité sur le texte sacré rayonna dans diverses directions. La copie d’après papyrus sur vélin y était assidûment poursuivie 53. Constantin demanda à Eusèbe cinquante belles copies54, parmi lesquelles il n’est pas improbable que les manuscrits (σωματία) B et א aient été effectivement trouvés 55. Mais même s’il n’en est pas ainsi, l’empereur n’aurait pas choisi Eusèbe pour l’ordre, si cet évêque n’avait pas eu l’habitude d’en fournir des copies : et Eusèbe continua en effet l’œuvre qu’il avait commencée sous son ami Pamphile, et dans laquelle celui-ci dut suivre la voie suivie par Origène. Encore une fois, on sait que Jérôme a eu recours à ce quartier56, et diverses entrées dans les manuscrits prouvent que d’autres ont fait de même57. Il est clair que la célèbre bibliothèque de Pamphile exerça une grande influence dans la province de la critique textuelle ; et l’esprit d’Origène fut puissant tout au long des opérations qui s’y rattachaient, du moins jusqu’à ce que les origénistes fussent peu à peu en disgrâce et finalement condamnés au cinquième concile général en 553 apr. J.-C.

51 Révision révisée, p. 292.

52 Le passage ci-dessus, y compris le dernier paragraphe, est de la plume du doyen.

53 Voir ci-dessus, Introduction, p. 2.

54 Il est remarquable que Constantin, à l’époque semi-arienne, s’adressât à Eusèbe, tandis que l’orthodoxe Constant envoya ensuite un ordre semblable à Athanase. Apol. ad Const. § 4 (Montfaucon, Vita Athan. p. xxxvii), ap. Histoire de l’Église de Wordsworth, vol. II, p. 45.

55 Voir l’ingénieux argument du chanoine Cook. Ces manuscrits sont assez beaux pour un ordre impérial. L’objection de mon ami, feu l’archidiacre Palmer (Scrivener’s Introduction, I. 119, note), que j’ai adoptée trop hâtivement pour d’autres raisons, également dans mon Guide textuel, p. 82, note 1, ne tiendra pas, parce que σωματία ne peut pas signifier « collections [d’écrits] », mais simplement, selon l’usage fréquent du mot dans les premiers âges de l’Église, ' Manuscrits sur vélin. La difficulté de traduire trissa kai tetrassa (grec) ' de trois ou quatre colonnes dans une page ' n’est pas insurmontable.

56 Scrivener, vol. II. 269 (4e éd.).

57 Scrivener, vol. I. 55 (4e éd.).

Mais en reliant B et א à la bibliothèque de Césarée, nous ne sommes pas laissés à la conjecture ou à l’inférence. Dans un colophon bien connu apposé à la fin du livre d’Esther en א par le troisième correcteur, il est dit que depuis le début du livre des Rois jusqu’à la fin d’Esther, le manuscrit a été comparé à une copie "corrigée de la main du saint martyr Pamphile," qui elle-même a été écrite et corrigée d’après l’Hexapla d’Origène58. Et un colophon semblable peut être trouvé attaché au livre d’Esdras. Il est ajouté que le Codex Sinaiticus (tode to teuchos - grec) et le Codex Pamphili (to auto palaiotaton biblion-grec) manifestaient un grand accord les uns avec les autres. La probabilité que א ait été ainsi copié, au moins en partie, d’après un manuscrit exécuté par Pamphile, est établie par le fait qu’un certain Codex Marchalianus est souvent mentionné, qui était dû à Pamphile et à Eusèbe, et que la recension de l’Ancien Testament par Origène, bien qu’il n’ait publié aucune édition du texte du Nouveau, jouissait d’une grande réputation. Dans les livres des Chroniques, saint Jérôme mentionne avec beaucoup de soin des manuscrits exécutés par Origène, qui ont été publiés par Pamphile et Eusèbe. Et dans le Codex H de saint Paul, il est dit que ce manuscrit a été comparé à un manuscrit de la bibliothèque de Césarée " qui a été écrit de la main du saint Pamphile60." Ces remarques, ajoutées à la fréquente allusion de saint Jérôme et d’autres aux manuscrits critiques (akribe - grec), par lesquels nous devons entendre ceux qui se distinguaient par l’approbation d’Origène ou qui étaient en accord avec l’esprit d’Origène, montrent évidemment la position critique qu’avaient la bibliothèque de Césarée et son illustre fondateur gagnés à l’époque. Et c’est tout à fait conforme à cette position que א ait été envoyé de cette « école de critique ».

58 Le colophon est donné intégralement par Wilhelm Bousset dans un numéro du célèbre Texte und Untersuchungen édité par Oscar von Gebhardt et Adolf Harnack, intitulé Textkritische Studien zum Neuen Testament, p. 45. II. Der Kodex Pamphili, 1894, auquel mon attention a été aimablement attirée par le Dr Sanday.

60 Miller’s Scrivener, I. 183-4. Par Euthalius, diacre, plus tard évêque de Sulci.

Mais si א l’était, alors B devait l’être ; — du moins, si la supposition certifiée par Tischendorf et Scrivener est vraie, que les six feuilles conjuguées de א ont été écrites par le scribe de B. Il y a donc une chaîne de référence, renforcée par la probabilité implicite qui nous a été fournie à partir des faits réels de l’affaire.

Pourtant, le Dr Hort est enclin à supposer que B et א ont tous deux été écrits en Occident, probablement à Rome ; que les ancêtres de B étaient entièrement occidentaux (dans le sens géographique, pas dans le sens textuel) jusqu’à une époque très reculée ; et que les ancêtres de א étaient en grande partie alexandrins, toujours dans le sens géographique, pas le sens textuel1. Pour cette opinion, dans laquelle le Dr Hort est le seul parmi les autorités, il n’y a rien d’autre que des « conjectures » fondées sur des allusions très sombres. En contraste avec les preuves qui viennent d’être apportées, il y a une absence de témoignage direct : outre cela, le lien entre les textes ou lectures occidentaux et syriens, qui a été récemment confirmé à un degré très matériel, doit affaiblir la force de certains de ses arguments.

1 Introduction, p. 267. Le Dr Hort réfute l’idée que B et א ont été écrits à Alexandrie (et non à Césarée), ce que personne ne soutient aujourd’hui.

§ 22·

Les points sur lesquels j’ai plutôt hâte d’attirer l’attention sont : 1° la mesure dans laquelle les œuvres d’Origène ont été étudiées par les anciens ; et 2° la curieuse découverte que les Codex אB, et dans une certaine mesure D, appartiennent à la même classe que ceux qu’Origène connaissait principalement ; ou bien ont été manipulés dans l’antiquité pour se conformer à l’enseignement d’Origène. La première me semble la supposition la plus naturelle ; mais l’une ou l’autre de ces inférences satisfait également à mon assertion, à savoir qu’Origène, et principalement BאD, ne doivent pas être considérés comme des autorités entièrement indépendantes, mais constituent une classe.

La preuve de cette position se trouve dans divers passages où l’on peut retracer l’influence d’Origène, comme dans l’omission de Uiou tou Theou (grec) — « Le Fils de Dieu » — dans Marc i.1 1 ; et de en Epheso (grec) — « à Éphèse » — dans Eph. i. i2 ; dans la substitution de Bethabara (Saint Jean i. 28) pour Béthanie3 ; dans l’omission de la seconde partie de la dernière demande, la Prière du Notre Père dans saint Luc4, de emprosthen mou gegonen (grec) dans Jean i. 27 5.

1 Voir l’annexe IV et la révision révisée, p. 132. Origène, c. Celsum, Praef. ii. 4 ; Commentaire, dans Jean ix. Suivi ici seulement par א *.

2 Voir les douze derniers versets, pp. 93-99. Aussi p. 66, note, 85, 107, 235.

3 Migne, viii. 96 d. Tauta egeneto en Bethania. osa de ton antigraphon akribesteron echei, en Bethabara, phesin. e gar Bethania ouchi peran tou Iordanou, oude epi tes eremon en all eggus pou ton Ierosolumon. (grec). Celui-ci prit rapidement la forme d’un scholium, ainsi qu’il suit : — Chre de ginoskein, oti ta akribe ton antigraphon en Bethabara periechei n gar Bethania ouchi peran tou Iordanou, all eggus pou ton Ierosolumon (grec) — qui est cité par le savant éditeur bénédictin d’Origène dans M. iv. 401 (en haut de la colonne de gauche), — évidemment de Coisl. 23, notre Evan. 39, — puisque les mots se trouvent dans Cramer, Cat. ii. 191 (lignes 1 à 3).

4 Origène, i. 265 ; coll. 1. 227, 256.

5 Origène, Commentaire, dans Jean VI.

C’est aussi lui qui est la cause de l’omission de la qualification importante eike sans cause') par Bא de saint Matthieu, v. 22 ; et c’est pourquoi, en opposition à toute la foule des copies, les versions6, Pères, ont été bannies du texte sacré par Lachmann, Tischendorf, W.Hort et les réviseurs7. C’est à la même influence, j’en suis persuadé, qu’il faut attribuer l’omission d’une petite poignée d’exemplaires (à savoir. A, B-א, D* F-G, et 17*) de la clause te aletheia me peithesthai (grec) ('afin que vous n’obéissiez pas à la vérité') Gal. iii. 1. Jérôme reconnaît dûment ces paroles en commentant l’Évangile de saint Matthieu 61 ; mais lorsqu’il arrive à l’endroit dans Galatiens 62, on l’observe d’abord pour admettre que la clause « se trouve dans certaines copies », et immédiatement pour ajouter que « dans la mesure où elle ne se trouve pas dans les copies d’Adamantius63, il l’omet ». L’indice de son omission est fourni par sa propre déclaration selon laquelle, en écrivant sur l’épître aux Galatiens, il avait fait d’Origène son guide 64. Et pourtant, les mots se trouvent dans la Vulgate.

6 Le mot est en fait translittéré en lettres syriaques dans la Peshitta.

7 Voir La révision révisée, p. 358-361.

61 vii. 52.

62 vii. 418.

63 Nom sous lequel Origène était connu.

64 Imbecillitatem virium mearum sentiens, Origenis Commentarios sum sequutus. Scripsit ille vir in epistolam Pauli ad Galatas quinque proprie volumina, et decimum Stromatum suorum librum commatico super explanatione ejus sermone complevit. — Praefatio, vii. 370.

Pour : —

Contre : —

Dans un certain endroit, Origène se livre à un exposé mystique des deux miracles de notre Seigneur de l’alimentation, tirant des conclusions merveilleuses, selon sa manière, des détails de l’un ou l’autre miracle. Nous trouvons qu’Hilaire1, que Jérôme2, que Chrysostome 3, avaient les remarques d’Origène devant eux lorsqu’ils commentaient à leur tour le repas miraculeux des 4000. Lors du repas des 5000, Origène fait remarquer que notre Seigneur « commande à la multitude de s’asseoir » (S. Matt. xiv. 19) : mais au moment de nourrir les 4000, il ne leur « commande » pas, mais seulement leur « ordonne » de s’asseoir (St. Matt. xv. 354)... D’où il est clair qu’Origène n’a pas lu comme nous le lisons dans saint Matthieu. xv. 35י kai ekeleuse tois ochlois (grec) — mais pareggeile à ochlo anapesein (grec) ; qui est la lecture du lieu parallèle dans saint Marc (viii. 6). Nous aurions bien sûr supposé un lapsus de mémoire de la part d’Origène ; mais que אBD se trouvent exposer le texte de saint Matthieu. xv. 35 conformément à Origène5. Il raisonne donc d’après un manuscrit qu’il a sous les yeux ; et remarquer, comme l’est sa malheureuse manière, ce qui s’avère n’être en réalité rien d’autre qu’une dépravation palpable du texte.

65 iii. 509-10.

1 686-7.                 2 vii- 117-20.             3 vii. 537 seq.

4 Je m’efforce, dans le texte, de rendre la question en question intelligible pour le Lecteur anglais. Mais de telles choses peuvent difficilement être expliquées en anglais sans plus de mots que le point ne vaut. Origène dit : — kakei men keleuei tous ochlous anaklithenai (grec) (Matt. xiv. 19), e anapesein epi tou chortou. (grec) (kai gar o Loukas (ix. 14) kataklinate autous, anegraphe kai o Markos (grec) (vi. 39), epetaxe, phesin, autois pantas anaklinai (grec)) enthade de ou keleui, alla paraggellei to ochlo anaklithenai. III. 509 f, 510 

5 Les seuls autres témoins sont ceux d’Évangile, 1, 33, et de l’archétype perdu de 13, 124, 346. Les Versions ne font pas de distinction certaine entre κελεύω et paraggello (grec). Chrysostome, le seul Père qui cite ce lieu, exhibe de ekeleuse... kai Labon (VII. 539 c).

Parlant de saint Jean, xiii, 26, Origène remarque : — « Il n’est pas écrit : « C’est à lui que je donnerai le morceau » ; mais avec l’ajout de « je tremperai » : car il est dit : « je tremperai le morceau et je le donnerai. » ' C’est la lecture de la BCL et elle est adoptée en conséquence par certains éditeurs. Mais il s’agit certainement d’une dépravation du texte que l’on peut attribuer avec confiance à l’interférence d’Origène lui-même. Qui, en tout cas, sur la foi d’un témoignage aussi précaire, abandonnerait la lecture établie de l’endroit, attestée comme elle l’est par tous les autres manuscrits connus et par plusieurs des Pères ? Les motifs sur lesquels Tischendorf lit bapso to psomion kai doso auto (grec) sont caractéristiques et, à leur manière, une curiosité 1.

Prenons un autre exemple du même phénomène. Il est clair, d’après le consentement (pour ainsi dire) de toutes les copies, que notre Sauveur a rejeté la tentation qui se trouve en second lieu dans l’Évangile de saint Luc avec ces mots : — « Va arrière de moi, Satan!2. » Mais Origène souligne officieusement que c’est précisément ce que notre Seigneur n’a pas dit. Il ajoute une raison, — « Il dit à Pierre : « Mets-toi derrière moi, Satan » ; mais au diable : « Retire-toi d’ici », sans ajouter « derrière moi » ; car être derrière Jésus est une bonne chose3.

1 Lectio ab omni parte commendatur, et a correctore alienissima : βάψω και δωσω ab usu est Johannis, sed elegantius videbatur βαψας επιδωσω vel δωσω.

2 Luc iv. 8. 

3 Pros men ton Petron eipen upage opiso mou, Satana pros de ton diabolon upage, Satana choris tes opiso mou prosthekes to gar upiso tou Iesou einai agathon esti (grec). iii. 540· Je crois qu’Origène est l’unique cause de la perplexité. Commentant Matt. xvi. 23 Ὕπαγε ὀπίσω μου σατανᾶ (les paroles adressées à Simon Pierre), il explique qu’elles sont une réprimande à l’Apôtre pour avoir, pendant un certain temps, à l’instigation de Satan , renoncé à le suivre. Comp, (dit-il) ces paroles adressées à Pierre (υπ. οπ. μου Σ.) avec ceux qui s’adressent à Satan à la tentation sans οπισω μου « car être derrière Christ est une bonne chose ». ... Je suppose qu’il avait sous les yeux un manuscrit de saint Matthieu, sans οπισω μου. Cette glose est mentionnée par Victor d’Antioche (173 Cat. Poss., i. 348 Cramer). Il est même répété par Jérôme sur Matt. vii. 21 de : Non ut plerique putant eadem Satanas et Apostolus Petrus sententia condemnantur. Petro enim dicitur, ' Vade retro me, Satana id est ' Sequere me, qui contrarius es voluntati meae.' Hic vero audit, ' Vade Satana : ' et non ei dicitur 'retro mej ut subaudiatur, ' vade in ignem aeternum.' Vade Satana (Irénée, 775, aussi Hilaire, 620 a). Pierre Alex, a υπαγε Σατανα, γεγραπται γαρ, ap. Routh, Reliqq. iv. 24 (p. 55). Audierat diabolus a Domino, Retire Sathanas, scandalum mihi es. Scriptum est, Dominum Deum tztum adorabis et illi soli servies, Tertullien, Scorp. c. 15. Ouk eipen Upage opiso mou ou gar upotrepsai oios te alla Upage Satana, en ois epelexo(grec). — Epist. ad Philipp, c. xii. Ignat, Interpol. Selon certains critiques (Tisch., Treg., W.Hort), il n’y a pas de υπαγε οπισω μου Σ. dans Lu. iv. 8, et seulement υπαγε Σ. dans Matt. iv. 10, de sorte que υπαγε οπισω μου Σατανα n’apparaît dans aucun des récits de la tentation. Mais je crois ύπαγε οπισω μου Σ. est la lecture correcte aux deux endroits. Justin M. Tryph. ii. Chapitre 352. Origène interp. ii. 132 b (Vade rétro), ainsi Ambroise, i. 671 ; ainsi Jérôme, vi. 8096; redi retro S., août iv. 47 e ; redi post me S., août iii. 842 g. Théodoret, ii. 1608. Ainsi Maximus Taur., Vigile. Robinetterie. Vade rétro S. ap. Sabattier. ' Vade post me Satana. Et sine dubio ire post Deum servi est.' Et iterum quod ait ad illum, 'Dominum Deum tuum adorabis, et ipsi soli servies' Archelaus et Man. disput. (Routh, Reliqq. v. 120), A. D. 277. Saint Antoine le moine, apud Athanas. ' Vita Ant'. I. 824 C D ( — Galland. iv. 647 a). 300 apr. J.-C. Retro vade Satana, ps.-Tatien (Lu.), 49. Athanase, i. 272 d, 537 c, 589 f. Nestorius ap. Marium Mere. (Galland. viii. 647 c) Vade rétro S. mais seulement Vade S. viii. 631c. Idatius (a. d. 385) apud Athanas. ii. 605 b. Chrys. vii. 172 bis (Matt.) J. Damascène, ii. 450. ps.-Chrys. x. 734 et 737. Opus Imperf. ap. Chrys. vi. 48 bis. Actes apocryphes, Tisch., p. 250.

Notre Sauveur, en une certaine occasion (S. Jean, VIII, 38), s’adressa ainsi à ses méchants compatriotes : — « Je vous dis ce que j'ai vu chez mon Père; et vous aussi, vous faites les choses que vous avez vues chez votre père. » Il oppose ses propres doctrines gracieuses à leurs actes meurtriers ; et les renvoie à leurs 'Pères' respectifs, — à « Mon Père », c’est-à-dire à Dieu ; et à « ton père », c’est-à-dire le diable1. Que ce soit là le véritable sens du lieu apparaît assez clairement d’après le contexte. « vu chez » et « ouïe de 2 » sont les expressions employées en de telles occasions, parce que la vue et l’ouïe sont les facultés qui familiarisent le mieux un homme avec la nature de ce dont il parle.

1 Voir verset 44.

2 Saint Jean, VIII, 40 ; xv. 15.

Origène, comprenant mal la question, soutient que Dieu est le « Père » dont il est question de part et d’autre. Je soupçonne que c’est lui qui, pour étayer ce point de vue, a effacé « Mon » et « votre » ; et dans le deuxième membre de la phrase, au lieu de « vu avec », il a substitué « entendu de » ; — comme si l’on avait voulu opposer la manière du Divin à la connaissance humaine, — ce qui serait clairement déplacé. De cette façon, ce qui est en réalité une révélation se convertit en un précepte quelque peu hors de propos : « Je dis les choses que j’ai vues avec le Père », « Faites les choses que vous avez entendues du Père », — c’est ainsi que Lachmann, Tischendorf, Tregelles, Alford exposent le lieu. Cyril Alex, a employé un texte ainsi altéré. Origène met aussi le verset 39 sous la forme d’un précepte (este ... poieite (grec)) ; mais il a tous les Pères1 (y compris lui-même), — toutes les versions, — toutes les copies contre lui, n’étant soutenues que par B.

1 Orig., Eusèbe, Épiph., Cyrille, Didyme, Basile, Chrysostome.

Mais les preuves contre « la lecture restaurée » sur lesquelles Alford attire l’attention (c’est-à-dire l’omission de μου et la substitution de ekousate para tou Patros pour eorakate para to Patri umon.) est accablante. Seules cinq copies (BCLTX) omettent μου : quatre seulement (BLT, 13) omettent umon (grec) : une toute petite poignée est destinée à remplacer ekousate (grec) par le génitif eorakate (grec). Chrys., Apolinaris, Cyrille Jérus., Ammonius, ainsi que toutes les versions anciennes de bonne réputation, protestent contre une telle exposition du texte. Dans le verset 39, cinq seulement lisent este (grec) (אBDLT) : tandis que poleite (grec) ne se trouve que dans le Cod. B. En conséquence, certains critiques préfèrent l'imparfait epoieite (grec) qui ne se trouve cependant que dans אDLT. « La lecture est remarquable », dit Alford. Oui, et c’est clairement fabriqué. Le texte ordinaire est juste.

§ 3.

En dehors de ces passages, dans lesquels il y a des preuves réelles d’un lien existant entre les lectures qu’ils contiennent et Origène, le caractère sceptique des manuscrits du Vatican et du Sinaïtique fournit une preuve forte de l’alliance entre eux et l’école origéniste. Il faut garder à l’esprit qu’Origène n’était pas responsable de tous les principes de l’école qui portait son nom, même peut-être moins que Calvin n’était responsable de tout ce que les calvinistes après lui ont tenu et enseigné. Les doctrines origénistes sont nées du mélange de la philosophie et du christianisme dans les écoles d’Alexandrie où Origène était le plus éminent des enseignants engagés.2

CHAPITRE X.

LES ANCIENNES ONCIALES. CODEX D.

§ I1·

1 Par l’éditeur.

Il est particulièrement remarquable que le Canon de l’Écriture Sainte, qui, comme le Texte, avait rencontré de l’opposition, ait été réglé dans la dernière partie du siècle où ces deux manuscrits ont été produits, ou au début du suivant. Les deux questions semblent s’être rencontrées dans Eusèbe. Ses penchants latitudinaires semblent l’avoir amené, dans ses paroles célèbres2 à insister indûment sur les objections que certaines personnes éprouvent à l’égard de quelques-uns des livres du Nouveau Testament, et nous ne devons donc pas nous étonner qu’il ait également approuvé ceux qui voulaient sans raison laisser de côté des parties du texte. Or, la première occasion, comme on le sait, où nous trouvons tous les livres du Nouveau Testament reconnus avec autorité, c’est au concile de Laodicée en 363 après J.-C., si le passage est authentique3, ce qui est très douteux ; et l’établissement du Canon, qui fut ainsi commencé, et qui s’accomplit vers la fin du siècle, fut suivi, comme il était naturel, de l’établissement du Texte. Mais comme celle-ci comportait une grande multitude de questions compliquées, et que la corruption s’était insinuée et avait acquis une emprise très solide, il s’écoula longtemps avant que l’acquiescement universel ne s’ensuivît enfin à l’acceptation générale faite au temps de saint Chrysostome. En fait, la Nature de la Parole Divine et le caractère de la Parole écrite ont été confirmés à peu près à la même époque : — principalement à l’époque où le Credo de Nicée a été réaffirmé au concile de Constantinople en 381 après J.-C. ; car le canon de l’Écriture Sainte a été fixé et le texte orthodoxe a acquis une suprématie sur le texte origéniste à peu près à la même époque : — et enfin, après le troisième concile de Constantinople, en 680 apr. J.-C., où la reconnaissance de la nature du Fils de l’homme a été placée dans une position supérieure à toute hérésie ; car c’est alors que le Texte Traditionnel a commencé sous une forme presque parfaite pour être transmis avec à peine d’opposition aux âges futurs de l’Église.

2 Eusèbe (Hist. Eccles, III, 25) divise les écrits de l’Église en trois classes : —

1. Les livres reçus (omologoumena (grec)), c’est-à-dire les quatre évangiles, les Actes, les quatorze épîtres de saint Paul, 1 Pierre, 1 Jean et l’Apocalypse ( ?).

2. Douteux (antilégomènes (grec)), c’est-à-dire Jacques, 2 Pierre, 2 et 3 Jean, Jude <cf. ii. 23 fin).

3. Faux (notha (grec)), Actes de saint Paul, pasteur d’Hermas, Révélation de saint Pierre, Épître de Barnabé, la soi-disant didachai (grec), Apocalypse de saint Jean ( ?).

Cette division semble avoir besoin d’être confirmée, si elle doit être considérée comme représentant l’opinion générale de l’Église de l’époque.

3 Voir Westcott, Canon, etc., p. 431-439.

Outre la multiplicité des points en jeu, trois causes spéciales ont retardé le règlement complet du texte, en ce qui concerne l’obtention dans toute l’Église d’une exactitude générale dans tous les Évangiles, pour ne pas parler de tout le Nouveau Testament.

1. L’origénisme, allant au-delà d’Origène, continua à être en vigueur jusqu’à ce qu’il fût condamné par le cinquième concile général en 553 après J.-C., et ne pouvait guère avoir complètement pris fin cette année-là. En outre, les controverses sur les vérités fondamentales agitaient l’Église et impliquaient un esprit sceptique et capricieux qui serait prêt à soutenir des variations étrangères dans la Parole écrite, jusqu’à ce que la censure soit portée sur le monothélisme au sixième concile général en 680 après J.-C.

2. L’Église fut terriblement éprouvée par le renversement de l’Empire romain et l’irruption de hordes de Barbares : et par conséquent les ecclésiastiques furent obligés de se retirer dans des frontières extrêmes, comme ils le firent en Irlande au cinquième siècle1, et de dépenser leurs énergies à sortir de là pour reconquérir des pays pour le royaume du Christ. La paralysie de l’effort chrétien qui en résulta dut être déplorable. Les bibliothèques et leurs trésors, comme à Césarée et à Alexandrie sous les mains des Mahométans au VIIe siècle, furent entièrement détruits. Le repos et le calme, l’étude et les débats patients et fréquents, les livres et autres aides à la recherche, devaient être difficiles à obtenir en ce temps-là, et étaient loin d’être assez disposés à favoriser l’amélioration générale d’un sujet dont l’extrême exactitude est le souffle et la vie.

1 Voir en particulier Haddan’s Remains, pp. 258-294, Scots on the Continent. Le sacrifice de cet érudit compétent et de cet excellent ecclésiastique, à un âge relativement précoce, au labeur qui était inévitable faute d’encouragement, d’habileté et de génie, a entraîné une perte sur l’érudition sacrée qui ne peut guère être surestimée.

3. L’Art d’écrire sur vélin avait à peine dépassé sa jeunesse que le texte préconisé par B et א tomba enfin en désuétude. La ponctuation n’existait que dans l’emploi occasionnel du point : les respirations ou les accents étaient peut-être à peine trouvés : l’orthographe, tant en ce qui concerne les consonnes que les voyelles, était incertaine et rudimentaire. De sorte que l’art de transcrire sur vélin, même en ce qui concerne les majuscules, n’est arrivé à maturité que vers le VIIIe siècle.

Mais il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait pas eu à cette époque des manuscrits d’une grande exactitude, bien qu’ils ne soient pas parvenus jusqu’à nous. Le grand nombre d’onciales et de cursives des âges ultérieurs a dû avoir un bon assemblage de prédécesseurs exacts à partir desquels ils ont été copiés. Il est probable que les copies les plus belles et les moins correctes sont tombées entre nos mains, car elles n’auraient pas été tellement utilisées, et auraient pu être en possession d’hommes d’un rang plus élevé dont l’ascendance païenne leur avait légué des tendances moins orthodoxes, et le matériel de beaucoup d’autres devait être trop périssable pour durer. L’arianisme a prévalu pendant une grande partie du VIe siècle en Italie, en Afrique, en Bourgogne et en Espagne. Des volumes plus vulgaires et plus grossiers, bien que plus précis, seraient facilement livrés à la destruction, surtout s’ils survivaient dans des descendants plus cultivés. Qu’il ait existé la majorité de ces manuscrits, qu’ils soient plus grossiers ou plus polis, tant en vélin qu’en papyrus, c’est ce que prouvent les citations de l’Écriture trouvées dans les auteurs de l’époque. Mais les manuscrits qui nous sont parvenus ne sont pas aussi parfaits que les autres qui datent du VIIIe siècle et des siècles suivants.

Ainsi, le Codex A, bien qu’il présente un texte plus proche du traditionnel que B ou א, est loin d’être un guide sûr. Le Codex C, qui a été écrit plus tard au Ve siècle, n’est qu’un palimpseste fragmentaire, c’est-à-dire qu’il a été considéré comme ayant si peu de valeur que les livres d’Éphrem le Syrien ont été écrits sur le grec : il ne contient pas plus des deux tiers du Nouveau Testament, et se situe, quant au caractère de son texte, entre A et B. Codex Q, un fragment de 235 vers, et le Codex I de 135, du même siècle, ne sont pas assez volumineux pour être pris en considération ici. Codex Φ et Σ, récemment découverts, étant des produits de la fin de la cinquième ou du commencement de la sixième, et contenant saint Matthieu et saint Marc presque complets, sont d’un caractère général semblable à A, et témoignent d’un plus grand progrès dans l’art. Il est malheureux en effet que seul un fragment de l’un ou de l’autre, bien que ce fragment dans les deux cas soit assez complet dans la mesure où il va, soit arrivé entre nos mains. Après eux succède le Codex D, ou Codex Bezae, aujourd’hui à la bibliothèque de Cambridge, ayant été légué à l’Université par Théodore Bèze, dont il porte le nom. Il se termine à Actes xxii. Chapitre 29.

§ 2. Codex D 1.

1 Le lecteur est maintenant entre les mains du Doyen. Voir l’ingénieuse et suggestive « Étude du Codex Bezae » de M. Rendel Harris dans les Textes et études de Cambridge, et « Le vieil élément syriaque dans le texte du Codex Bezae » du Dr Chase. Mais nous devons nous opposer à l’expression « vieux syriaque ».

Nul ne peut prétendre comprendre pleinement le caractère de ce Codex s’il n’a pas pris la peine d’en rassembler chaque mot avec attention. Celui-là découvrira qu’il n’omet pas moins de 3 704 mots dans les seuls Évangiles ; ajoute au texte authentique 2 213 ; remplaçants 2 121 ; transpose 3.471 et modifie 1.772. Au moment où il a fait cette découverte, son estime pour le Cod. D aura, on le suppose, subi de sérieuses modifications. Le total de 13 281 déviations par rapport au Texte Reçu est une objection redoutable à expliquer. Même le Dr Hort parle de « la quantité prodigieuse d’erreurs que D contient 2 ».

2 Introduction, p. 149.

Mais la connaissance intime du Codex qu’il a ainsi acquise l’a conduit à certains autres résultats, qu’il est de la plus haute importance de préciser et d’expliquer.

I. Et d’abord, il s’agit d’un texte qui, dans un évangile, est souvent assimilé aux autres. Et en fait, l’assimilation est parfois poussée si loin qu’un passage d’un Évangile est interpolé dans le passage parallèle d’un autre. En effet, la mesure dans laquelle, dans Cod. D, les interpolations de l'Évangile de saint Marc sont insérées dans l'Évangile selon saint Luc est même étonnante. Entre les versets 14 et 15 de saint Luc v., trente-deux mots sont interpolés à partir du passage parallèle de saint Marc, i. 45-ii. 1 : et dans le 10ème verset du 6ème chapitre, douze mots sont introduits de saint Marc, II. 27, 28. Dans saint Luc iv. 37,  ἀκοὴ, « le rapport », de saint Marc i. 28, est substitué à ἦχος, « le son », qui est lu dans les autres manuscrits. Outre l’introduction dans saint Luc i. 64 de ἐλύθη de saint Marc vii. 35, qui sera décrit ci-dessous, dans saint Luc v. 27, sept mots sont tirés du passage parallèle de saint Marc, ii. 14, et le passage entier est corrompu66. En donnant le Notre Père dans saint Luc xi. 2, le scribe fautif doit nécessairement illustrer la parole du Seigneur en interpolant une transcription inexacte de l’avertissement contre les « vaines redites » qu’il a donné auparavant dans le Sermon sur la montagne. Encore une fois, en ce qui concerne l’interpolation à partir d’autres sources, assez grossièrement, St. Matt. ii. 23 est inséré à la fin de saint Luc ii. 39 ; c’est-à-dire que le scribe de D, ou de quelque manuscrit d’où D a été copié, soit directement, soit indirectement, a jugé à propos d’expliquer le transport du Saint Enfant à Nazareth par l’explication donnée par saint Matthieu, mais citant de mémoire écrit « par le prophète » au singulier, au lieu de « par les prophètes » au pluriel 67. De même, dans saint Luc iv. 31 à la mention du nom de Capharnaüm, D doit être inséré de saint Matthieu. iv. 13, « ville maritime, sur les confins de Zabulon, et de Nephthali » (την παραθαλασσιον (sic) εν οριοις Ζαβουλων και Νεφθαλειμ). En effet, on ne peut se faire une idée adéquate de la maladresse, de la grossièreté de ces opérations, à moins qu’on n’en donne quelques exemples : mais il faut que quelques autres suffisent.

66 La même corruption générale du dépôt prévaut dans ce qui suit, à savoir la guérison du paralytique porté de quatre ans (v. 17-26), et l’appel de saint Matthieu (27-34), ainsi qu’en ce qui concerne la marche à travers les champs de blé le jour du sabbat (vi. 1-5), et la guérison de l’homme à la main desséchée (6-11). En effet, elle se poursuit jusqu’à la fin de l’appel des Douze (12-19). Les détails sont trop nombreux pour être insérés ici.

67 καθως ερεθη δια τον προφητου, au lieu de ὅπως πληρωθῇ διὰ τῶν προφητῶν.

1. Dans saint Marc, iii. 26, notre Seigneur prononce cette seule déclaration : «  Si donc Satan s'élève contre lui-même (ἀνέστη ἐφ ̓ ἑαυτὸν), et est divisé (καὶ μεμέρίσται) il ne peut point se soutenir, mais il tend à sa fin (ἀλλὰ τέλος ἔχει).' Au lieu de cela, D expose, « Et si Satan chasse Satan, il est divisé contre lui-même : son royaume ne peut subsister, mais il a une fin (ἀλλὰ τὸ τέλος ἔχει). » Maintenant, il s’agit clairement d’une imitation, et non d’une copie, de l’endroit parallèle à Saint-Matthieu. XII. 26, où l’on fait aussi une double déclaration, comme chacun peut le voir. Mais la réponse est aussi maladroite à la question posée dans saint Marc, mais pas dans saint Matthieu, « Comment Satan peut-il chasser Satan ? » Les lecteurs érudits remarqueront cependant que c’est ἐμερίσθη de saint Matthieu, où saint Marc a écrit μεμέρίσται, qui lui rend possible l’affirmation qui est impossible selon la représentation donnée par D de saint Marc.

2. À la fin de la parabole des livres, le scribe de D, ou l’un de ceux qu’il suivait, pensant que le serviteur oisif s’en tirait trop facilement, et confondant avec cette parabole l’autre parabole des talents, — aveugle bien sûr à la différence entre les châtiments infligés par un « seigneur » et ceux d’un roi nouvellement fait, — insère le verset 30 de saint Matt. xxv. à la fin de saint Luc xix. 27.

3. De nouveau, après saint Matt. XX. 28, quand l’Éternel eut réprimandé l’esprit d’ambition des deux fils de Zébédée, et qu’il eut ordonné à ses disciples de ne pas rechercher la préséance, en appliquant la leçon tirée de son propre exemple, comme il l’a montré en donnant sa vie en rançon pour plusieurs, D insère le passage insipide suivant : « Mais vous cherchez à croître à partir de peu, et à partir de plus grand pour être quelque chose de moindre.1. Et cela ne suffit pas : — on y ajoute aussi de saint Luc, xiv. 8-10, étant le passage bien connu sur le fait de prendre la chambre la plus basse lors des fêtes. Mais cette interpolation supplémentaire est, dans le style et le langage, différente des paroles de tous les évangiles, et se termine par l’information insipide : « Et cela te sera utile ». Il est remarquable que, tandis que D était seul dans les erreurs antérieures, il devient ici un successeur dans une partie ou une autre du passage de douze manuscrits de la Vieille Latine2 : et en effet le grec dans le passage en D est évidemment une version du Syrio-Bas-Latin. Les mots suivants, ou formes de mots ou de phrases, ne se trouvent pas dans le reste du N. T. : παρακληθέντε ς (aor. part, rogati ou vocati), άνακλίνεσθε (recumbite), Ξέχοντας (eminen lior ibus), δειπνοκλήτωρ (Invitator caenae), τι κάτω χώρει. (adhuc infra accede), Ettona topon - grec (loco inferiori), etton (inférieur), σύναγε τι νω (collige adhuc superius). Ces expressions latines sont tirées de l’un ou l’autre des douze manuscrits de la Vieille Latine. En dehors du latin, le curétonien est le seul allié, le Lewis étant mutilé, de l’onciale volage dont il s’agit.

Ces passages suffisent certainement à représenter pour le lecteur les interpolations du Codex D, qu’elles résultent de l’assimilation ou non. La description donnée par le très savant éditeur de ce manuscrit est en ces termes : — « Aucun manuscrit connu ne contient autant d’interpolations hardies et étendues (six cents, dit-on, dans les Actes seulement), approuvées, lorsqu’elles ne sont absolument pas étayées, principalement par la Vieille Latine et la version Curétonienne 68. »

68 Scrivener’s Introduction, I. 130 (4e éd.). Le lecteur se rappellera la suggestion donnée ci-dessus au chapitre VII que certaines de ces corruptions peuvent provenir des temps les plus reculés avant que les quatre Évangiles ne soient écrits. L’interpolation que nous venons de remarquer pourrait très bien avoir été une telle survie.

II. Il y a aussi dans cet exemplaire des Évangiles des traces d’une extrême licence qui appellent une attention particulière. Quelquefois on leur substitue des mots ou des expressions, quelquefois on change le sens, on introduit une confusion complète : on ignore les termes ou les formes délicates, et il s’ensuit une corruption générale.

J’entends, par exemple, des expressions telles que celles-ci, qui se trouvent toutes dans le cours d’un seul verset (S. Marc, iv. 1).

Saint Marc rapporte qu’un jour que notre Sauveur enseignait « près de la mer » (παρά), il y eut un si grand concours de personnes qu’il « monta dans une nacelle, et s'étant assis dans la nacelle, sur la mer », toute la multitude étant « à terre sur le rivage de la mer », c’est-à-dire le visage tourné dans la direction du navire dans lequel il était assis. Une histoire simple a-t-elle jamais été mieux racontée ?

Mais selon D, les faits de l’affaire étaient tout à fait différents. D’abord, c’était notre Sauveur qui enseignait « vers la mer » (πρός). Puis, à cause de la foule, il passa et « s’assit de l’autre côté de la mer » (πέραν). Enfin, la multitude — l’a suivi, je suppose ; car eux aussi — ' étaient de l’autre côté de la mer ' (πέραν). Maintenant, je pardonne au scribe ses deux transpositions et sa substitution non grammaticale de  λαός à ὄχλος. Mais j’insiste sur le fait qu’un manuscrit qui fait circuler des incidents de cette manière ne peut pas être considéré comme digne de foi. Le verset 2 commence de la même manière licencieuse. Au lieu de — « Et il leur enseignait beaucoup de choses (πολλά) par des similitudes », nous sommes informés qu'« il les enseigna en beaucoup de paraboles » (pollais - grec). Qui dira que nous sommes jamais en sécurité avec un tel guide ?