LE DÉLUGE

 

Considérations géologiques et historiques

 

sur les derniers cataclysmes du globe

 

par Frederik Klee 1847

 

annoté et mise en page par

 Jean leDuc et Alexandre Cousinier

Juin 2024

 

Ce livre est incontournable pour obtenir la connaissance des anciennes civilisations qui existaient avant et après le déluge universel du temps de Noé.

 

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***

 

Croire tout découvert est une erreur profonde.

C'est prendre l'horizon pour les bornes du monde.

Arago le 5 mai 1845

 


 

PRÉFACE

 

CHAPITRE I.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.

 

CHAPITRE II.

LES FOSSILES.

 

CHAPITRE III.

ABRÉGÉ DE L HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.

 

CHAPITRE IV

SYSTÈME DE M. ELIE DE BEAUMONT SUR LES SOULÈVEMENTS DE MONTAGNES.

 

CHAPITRE V.

CLASSIFICATION DE LA BÊCHE.

 

CHAPITRE VI.

THÉORIE DE LA FORMATION DU MONDE.

 

CHAPITRE VII.

DES PRINCIPAUX MAMMIFÈRES ANTÉDILUVIENS ET DES CIRCONSTANCES DANS LESQUELLES ON LES TROUVE.

 

CHAPITRE VIII.

DIFFÉRENTES HYPOTHÈSES SUR LA PRÉSENCE DES PLANTES ET DES ANIMAUX DES TROPIQUES DANS LA ZONE SEPTENTRIONALE.

 

CHAPITRE IX.

PREUVE QU'AVANT LE DERNIER DÉLUGE LES CONTINENTS ÉTAIENT PLUS ÉTENDUS, ET QUE LE LITTORAL DES DIFFÉRENTES PARTIES DU MONDE ÉTAIT PLAT OU FAIBLEMENT INCLINÉ.

 

CHAPITRE X.

L'EUROPE, L'ASIE ET L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE ÉTAIENT

RÉUNIES AVANT LE DÉLUGE ET FORMAIENT UN SEUL

CONTINENT.

 

CHAPITRE XI.

LE DÉLUGE A ÉTÉ CAUSÉ PAR UN DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE.

 

CHAPITRE XII.

LA DIRECTION SUPPOSÉE DE L'AXE DE ROTATION DU GLOBE AVANT LE DÉLUGE OFFRE-T-ELLE LE MOYEN D'EXPLIQUER CERTAINS PHÉNOMÈNES GÉOLOGIQUES ENCORE OBSCURS?

 

CHAPITRE XIII.

LA CAUSE DU DÉPLACEMENT DE L'AXE AINSI QUE CELLE DU DÉLUGE

DOIVENT ÊTRE CHERCHÉES DANS LE DÉVELOPPEMENT

INTÉRIEUR DU GLOBE.

 

CHAPITRE XIV.

LA FORME DES CINQ PARTIES DU MONDE EST DUE EN PARTIE A L'ACTION DU DÉLUGE SUR LE LITTORAL DES ANCIENS CONTINENTS.

 

CHAPITRE XV.

LA FORMATION DU TERRAIN ERRATIQUE DE LA SCANDINAVIE ET DE L'HÉMISPHÈRE SEPTENTRIONAL EST UNE CONSÉQUENCE DES DIFFÉRENTS DÉPLACEMENTS DE L'AXE DU CLORE , NOTAMMENT DU DERNIER QUI A OCCASIONNÉ LE DÉLUGE.

 

CHAPITRE XVI.

HYPOTHÈSE QUE LES GOLFES ET LES BAIES DU CATÉGAT ET DR LA BALTIQUE ONT ÉTÉ CREUSÉS PAR LE DÉLUGE.

 

CHAPITRE XVII.

L'hypothèse D'un Déplacement De L'axe Du Globe Explique

NOMBRE DE PHÉNOMÈNES GÉOLOGIQUES QUI D'AILLEURS SERAIENT INEXPLICABLES.

 

SECONDE PARTIE.

PARTIE HISTORIQUE.

 

CHAPITRE I.

IL EST POSSIBLE QUE LE GENRE HUMAIN AIT PU SURVIVRE AUX RÉVOLUTIONS DE LA NATURE QUI ONT ACCOMPAGNÉ LE DERNIER DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE. LES HOMMES QUI ONT SURVÉCU A CETTE CATASTROPHE ET QUI REGARDAIENT LA TERRE COMME IMMOBILE DANS L'UNIVERS, ONT DU CROIRE QUE LE SOLEIL, LA LUNE ET LES ÉTOILES AVAIENT CHANGÉ DE PLACE DANS LE CIEL DURANT CETTE CATASTROPHE.

 

CHAPITRE II.

L'hypothèse Du Déplacement De L'axe du globe Est Confirmée

PAR LA TRADITION Du PARADIS ET LES TRADITIONS D'un CHANGEMENT DE CLIMAT.

 

CHAPITRE III.

DÉJÀ DU TEMPS DE NOÉ IL Y A EU UN ASSEZ HAUT DEGRÉ DE CIVILISATION, ET PAR CONSÉQUENT LE GENRE HUMAIN A EXISTÉ DES MILLIERS D'ANNÉES AVANT LE DÉLUGE.

 

CHAPITRE IV.

L'HYPOTHÈSE D'UN DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE EST CONFIRMÉE PAR LA RELATION MOSAÏQUE DU DÉLUGE. CETTE RELATION , AINSI QUE PLUSIEURS AUTRES QUI ONT LA MÊME ORIGINE, NE PARLE CEPENDANT QUE DE L'INONDATION CAUSÉE PAR CE DÉPLACEMENT D'AXE.

 

LA NARRATION MOSAÏQUE DU DÉLUGE.

(Genèse, chap. 6. )

( Genèse, chap. 7. )

(Genèse, chap. 8. )

 

LA TRADITION CHALDÉENNE.

LA TRADITION INDIENNE.

LA TRADITION GRECQUE.

 

CHAPITRE V.

LES PHÉNOMÈNES VOLCANIQUES LIES A CETTE CATASTROPHE SONT ATTESTÉS PAR LES TRADITIONS DES AMÉRICAINS, DES PERSANS ET DES CELTES, MAIS SURTOUT PAR LA MYTHOLOGIE SCANDINAVE , DONT LES NOTIONS SUR CETTE CATASTROPHE SONT TOUT A FAIT JUSTES.

 

LA PROPHÉTIE DE LA VALA.

 

CHAPITRE VI.

HYPOTHÈSE QUE L'ATLANTIDE DONT PARLE PLATON ÉTAIT UNE PARTIE DE L'EUROPE ACTUELLE.

 

CHAPITRE VII.

L'HYPOTHÈSE QUE L'ATLANTIDE DONT PARLE PLATON ÉTAIT UNE PARTIE DE L'EUROPE ACTUELLE, EST CONFIRMÉE PAR LE MYTHE DE PHAÉTON ET DU COMBAT DES DIEUX ET DES TITANS, MYTHES QUI NOUS OFFRENT UNE DESCRIPTION POÉTIQUE DE LA CATASTROPHE DU DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE OU DU DÉLUGE.

 

COMBAT DES DIEUX ET DES TITANS.

 

CHAPITRE VIII.

LA CATASTROPHE ET DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE EST AUSSI ATTESTÉE PAR LES TRADITIONS DE L'ATLANTIDE, SURTOUT PAR CELLE DE PLATON, QUI NOUS A CONSERVÉ UNE PARTIR IMPORTANTE DE L'HISTOIRE DU GENRE HUMAIN AVANT LE DÉLUGE. LA CONTINUATION DE CETTE TRADITION SE TROUVE DANS LA NARRATION MOSAÏQUE DU DÉLUGE.

 

CHAPITRE IX.

CONTINUATION.

 

CHAPITRE X.

CONTINUATION.

 

DIODORE DE SICILE.

 

CHAPITRE XI.

HYPOTHÈSE QUE BABEL OU BABYLONE, MENTIONNÉE DANS LA BIBLE, A EXISTE AVANT LE DÉLUGE , ET QUE LES IMAGES DE L'APOCALYPSE ONT ÉTÉ TIRÉES DE LA CATASTROPHE DU DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE, SURTOUT DE LA RUINE DE CETTE VILLE, QUI FUT DÉTRUITE LORS DE CETTE CATASTROPHE.

 

RÉVÉLATION DE SAINT-JEAN.

 

CHAPITRE XII.

LES SYSTÈMES ASTRONOMIQUES, PHILOSOPHIQUES ET RELIGIEUX DES ANCIENS SONT BASES SUR L'IDÉE D'UNE NOUVELLE TERRE ET D'UN NOUVEAU CIEL (FIRMAMENT), OU, EN D'AITRES TERMES, SUR LA CATASTROPHE D'UN DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE.

 

CHAPITRE XIII.

HYPOTHÈSE OU OUTRE NOK ET SA FAMILLE NOMBRE D'HOMMES SE SONT SAUVÉS DU DÉLUGE, ET QUE L'ATLANTIDE, DÉTRUITE LORS DE CETTE CATASTROPHE, A ÉTÉ L'ÉTAT CIVILISÉ LE PLUS ANCIEN.

 

CHAPITRE XIV.

SUR LES OSSEMENTS HUMAINS TROUVÉS DANS PLUSIEURS CAVERNES DILUVIENNES.

 

CHAPITRE XV.

RÉSUMÉ.

 


 

PRÉFACE

L'ouvrage que j'offre au public français a paru une première fois en danois en 1842, puis en allemand en 1843. Je crois pouvoir dire sans hésitation que deux résultats importants ont été gagnés à la science par ces recherches, savoir: 1° que l'histoire prouve d'une manière irréfutable que le genre humain doit avoir survécu à la dernière grande catastrophe du globe qu'on nomme ordinairement le déluge, et 2° qu'il résulte de la parfaite intelligence des arguments historiques, non moins que de ceux fournis par la géologie, que cette catastrophe a été accompagnée des plus terribles phénomènes volcaniques.

 

L'édition française a en outre été enrichie de plusieurs considérations nouvelles, soit géologiques, soit historiques.

 

J'ose espérer que ce travail, malgré sa forme populaire, mérite l'attention et l'examen de quelques-uns des hommes scientifiques dont la France se glorifie à si juste titre.

 

L AUTEUR.

Copenhague, le 15 septembre 1846.

 

« Le sujet de cet ouvrage, malgré l'attrait qu'il peut avoir aussi pour l'imagination ou pour la curiosité , étant au fond scientifique, on a préféré, dans la traduction française, ne pas trop sacrifier au génie de notre langue, génie si différent de celui des langues du Nord, et reproduire, avant tout, l'original avec la plus scrupuleuse fidélité. »

 

( Note de l'éditeur. )

 


 

PREMIÈRE PARTIE.

GÉOLOGIE.

 

CHAPITRE I.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.

Il fut un temps où les hommes de science pouvaient avoir la légitime prétention d'embrasser la totalité des connaissances humaines. Aujourd'hui l'individu le mieux doué reconnaît humblement que la vie suffit à peine pour sonder une seule des innombrables sources d'où jaillit la science. Même en voulant se borner aux vérités les plus essentielles, il se perd dans l'immensité des faits que la nature et l'histoire offrent à son examen. Et cependant qui oserait supposer que le cercle des sciences, quelque immense qu'il nous apparaisse, ne soit plus susceptible d'être agrandi ? Qui oserait se reposer dans la trompeuse illusion que nous sommes parvenus au terme de la lutte que la vérité soutient depuis le commencement des siècles contre la superstition, l'ignorance et le doute? Quelle intelligence assez étroite pourrait croire que l'astre du progrès a complètement dissipé les nuages de l'ignorance qui cachent à l'humanité son but suprême: la vérité et la liberté; tandis que la lumière de la science n'éclaire encore que quelques sommités du monde intellectuel? Combien n'est-il pas restreint, au contraire, le nombre de ceux qui, au milieu des générations que la terre a vues naître et mourir, ont exercé leur intelligence à comprendre les lois qui régissent l'univers! Et n'avons-nous pas à déplorer que la plupart d'entre eux aient craint de faire part de leurs découvertes à leurs contemporains? C'est qu'en effet ils avaient à redouter cette multitude, qui, par ses préventions, ses superstitions et son égoïsme, a toujours été un obstacle au perfectionnement de l'homme; cette masse réfractaire, qui, une fois vaincue, reçoit avec indifférence ces vérités, que nous regardons maintenant comme les joyaux les plus précieux de l'intelligence. Quelle lutte acharnée le christianisme lui-même n'a-t-il pas eu à soutenir pour l'établissement de ses doctrines! Dix-huit siècles sont écoulés, et c'est à peine si un quart des habitants du globe ont adopté les formes extérieures de cette religion à la fois si simple et si élevée.

 

Les idées que nous avons aujourd'hui de la forme de la terre, de ses climats, etc., idées que chacun adopte aveuglément comme des banalités qui n'ont pas besoin d'examen, quels combats n'ont-elles pas eu à soutenir contre l'incrédulité grossière et l'ignorance entêtée du passé! Que de siècles n'a-t-il pas fallu pour qu'on se décidât à renoncer à l'ancienne théorie de la forme plate de la terre ! pour qu'on reconnût qu'il ne règne pas dans le nord un froid éternel qui engourdit tout, et qu'au delà de l'équateur, franchi avec tant d'effroi par les compagnons de Gomer, il n'existe pas un feu dévorant! pour que Colomb convainquit son siècle incrédule de l'idée, qui aujourd'hui nous parait si simple, qu'on rencontrerait des terres jusqu'alors inconnues en voguant à travers l'Atlantique! pour que l'on admit enfin ces lois puissantes qui régissent l'univers, et forcent la terre et les planètes à décrire des orbites autour du soleil* (Les Saintes-Écritures affirment clairement que la Terre est fixe et stable, cela se voit même de l'étymologie du mot «terre» dans l'Hébreu: solide, fixe, stable, immobile, stationnaire, statique, etc. En d'autres mots, la Terre n'est pas en mouvement ni en rotation, ce qui serait contraire à la définition de son nom et à la révélation biblique. On voit donc par cela que la Terre n'est pas une planète, terme qui signifie «astre errant», mais un corps solide immobile suspendu dans le vide par des lois divines et immuables. En fait, nous voyons selon le Texte Sacré que la Terre est le centre de l'univers autour de laquelle tout est en mouvement. Toutes études sérieuses sur la Géologie ainsi que sur l'Astronomie doit avoir cette base scripturaire afin de ne pas s'égarer dans toutes sortes d'hypothèses scientifiques. Il ne faut jamais oublier que la science du monde n'est pas la science de Dieu.»! Cependant la vérité a fini par sortir triomphante de ces luttes; et ceux-là même qui l'avaient d'abord dédaignée ont enfin été forcés de la servir en s'inclinant devant sa force toute-puissante. Il en a été ainsi depuis que le premier mouvement intellectuel s'est fait remarquer parmi les hommes; et tant que le monde existera il en sera ainsi, à la seule différence près, que plus les lumières se répandront, plus la vérité sera universellement reconnue.

 

C'est, fortifié par cette persuasion, que je vais tâcher d'expliquer une page du grand livre de la nature, page encore très-obscure, mais d'un contenu qui étonne par sa richesse. Je n'ai point été guidé par la vaine pensée que mes opinions soient exemptes de toute erreur, mais par le désir irrésistible de livrer à l'examen des savants une série d'hypothèses qui au fond sont vraies, j'en suis intimement convaincu. Je dois, avant tout, faire observer que ce n'est pas seulement au point de vue géologique, mais bien surtout sous le rapport historique, que je désire que soit jugé cet ouvrage, dont le but est d'éclairer une époque remarquable de l'histoire de l'humanité; et partant, j'ose réclamer l'indulgence des géologues de profession, pour les erreurs que je puis avoir commises; car, s'il est vrai qu'un auteur ne doive point publier ses ouvrages avant de les avoir suffisamment mûris et étudiés, il ne doit pas non plus, d'un autre côté, trop tarder à livrer au public des résultats dont la justesse lui paraît évidente, et dont la divulgation peut aider à répandre un nouveau jour sur la science. Je n'ignore pas la grande différence qui existe entre les conclusions établies par moi dans ce livre et les opinions émises sur la même matière par des philosophes et des savants éminents; je ne m'abuse point sur la résistance qu'elles rencontreront peut-être de plusieurs parts, mais je me fie à l'impartialité avec laquelle les hommes sérieux examineront cet essai. J'ose encore espérer que si je réussis à les persuader de la justesse de mon idée principale, ils développeront cette théorie que j'expose en traits fugitifs. Tout en convenant de ce que cet ouvrage laisse à désirer quant à la forme, je ferai remarquer que son but principal, l'explication du déluge et des phénomènes qui s'y rapportent, n'est pas l'œuvre de quelques moments. Il y a au fond une idée, qui s'est éveillée en moi depuis plusieurs années, et que j'ai mûrie au milieu des doutes et des combats. Séduit par l'autorité des savants qui me paraissaient en opposition avec elle, je l'ai rejetée plusieurs fois, mais pour la reprendre ensuite avec une force de conviction et un intérêt nouveaux. Que ne le dirai-je, je n'ai pu me persuader que le récit de la Genèse sur le déluge, qui est d'une si grande vérité intérieure dans tout ce qu'il contient d'essentiel, ne reposât pas sur un fond historique. Je me suis alors adressé aux sources de l'histoire et à celles de la science; et l'étude des traditions historiques, non moins que l'examen des contours remarquables que présente le littoral des cinq parties du monde (qui montre partout des traces de l'ancienne extension des mers), m'ont confirmé dans l'idée que je m'étais faite de l'acte de la création, tel qu'il est rapporté dans la Bible.

 

Avant d'aborder mon sujet, et afin de le mettre à la portée d'un plus grand nombre de lecteurs, qu'il me soit permis, après avoir parlé des fossiles, ces restes intéressants d'un passé bien éloigné de nous, d'exposer un abrégé succinct de l'histoire de la géologie. Je présenterai ensuite un aperçu des différentes couches qui constituent l'écorce de la terre d'après leur âge relatif, en expliquant d'une manière succincte comment le globe est arrivé successivement à son état actuel, ou, en d'autres termes, comment le monde, nom glorieux que nous donnons à notre terre si chétive en proportion de l'univers entier, comment le monde, dis-je, a été créé. Il est superflu de dire que mon intention n'est point de faire ici un cours de géologie systématique.

 

Il fut un temps où des savants, d'ailleurs exempts de préjugés, auraient souri à la pensée que la terre, telle qu'elle est, eût pu être créée par la simple parole du Tout-Puissant; alors on ne voyait dans le récit de la Genèse qu'une narration figurée, accommodée à l'intelligence bornée du peuple d'Israël. L'on affirmait, avec une obstination qui caractérise généralement l'incrédulité, qu'il eût été indigne de Dieu d'avoir employé un certain nombre de jours à la création du monde. C'est ainsi qu'un zèle malentendu faisait rejeter les témoignages de la création du monde, que nous a transmis l'Écriture. On oubliait que l'établissement des lois éternelles et immuables, en vertu desquelles la terre et l'univers se sont développés graduellement, suppose, non moins que la création elle-même, l'intervention d'un Dieu infiniment sage et tout-puissant (Il est malheureux que l'auteur prenne une telle position, car l'hypothèse d'un développement graduel de la Terre n'est pas soutenue par les Saintes-Écritures, elle s'oppose catégoriquement à la Parole de Dieu qui créa toutes choses en pleine maturité d'existence. La création d'Adam comme homme fait et pleinement mature en est l'évidence. Adam n'a pas été créé comme un enfant qui sort de la matrice de sa mère avec un potentiel de développement physique, mais comme un adulte. De même l'univers entier a été créé parfait et en pleine maturité, ne nécessitant aucunement un développement graduel.).

 

Or la géologie confirme l'exactitude du récit de la création tel qu'il est rapporté par la Genèse, pourvu qu'on ne s'obstine pas à confondre l'esprit avec la lettre. Nous sommes appelés, ici comme partout ailleurs, à faire usage de la faculté de penser et de réfléchir, que Dieu nous accorda comme le plus précieux de ses biens. En procédant de la sorte, chacun peut trouver dans l'Écriture un exposé simple et vrai de la création, conforme aux lois géologiques et digne de son divin auteur (Puisque notre faculté de penser et de réfléchir est esclave du péché et de la chair, il est évident que cette faculté n'a pas la capacité de saisir la profondeur des vérités dans les Écritures, il faut une révélation pour cela et Dieu n'accorde pas une telle révélation à tous, mais seulement à ceux qu'il a choisi.). S'il est une chose qui doive nous étonner, c'est que ce ne soit qu'au dix-huitième et au dix-neuvième siècle, que quelques savants, armés de toute l'expérience et de toute la science du passé, aient eu l'idée de constater quelques-unes des vérités que Moïse avait déjà enseignées à son peuple (Comme nous avons constaté, ce n'est pas l'expérience qui saisit la vérité, elle ne peut en obtenir que quelques lueurs diffuses et obscures. Les savants raisonnent selon le monde et non selon Dieu, ils n'ont pas l'Esprit de Christ pour voir la vraie Lumière. Ils ne peuvent que monter des hypothèses approximatives qui les portent dans toutes sortes d'égarements.).

 

Dès le temps d'Aristote les anciens admettaient quatre éléments: la terre, le feu, l'eau et l'air, que l'on supposait être les principes constituants de la nature entière, et auxquels tous les corps pouvaient être ramenés par des procédés chimiques. Les chimistes ont prouvé plus tard que ces éléments se composent eux-mêmes d'autres éléments; et aujourd'hui l'on ne compte pas moins de cinquante corps simples, qui eux-mêmes seront peut-être décomposés à leur tour, à mesure que la science progressera.

 

D'après les renseignements que la science a recueillis, il n'y a jusqu'ici que seize éléments, qui concourent à la composition de la croûte de la terre, ainsi qu'à celle des fluides qui la couvrent et l'entourent ou qui s'y trouvent dans une circulation continuelle. Ce sont l'oxygène, l'hydrogène, l'azote, le carbone, le soufre, le chlore, le fluor, le phosphore, le silicium, l'aluminium, le potassium, le sodium, le magnésium, le calcium, le fer et le manganèse. Les six premiers de ces éléments y jouent le rôle principal.

 

Cependant il est très-rare que l'on trouve ces éléments à l'état pur. En général, ils se combinent entre eux d'une infinité de manières et donnent ainsi naissance à différents corps composés, qui sont doués de propriétés particulières, selon les proportions dans lesquelles ils se sont mélangés. Ainsi l'atmosphère de notre globe se compose de plusieurs gaz, mais principalement d'oxygène et d'azote dans la proportion d'environ 21 à 79, qui sont maintenus à l'état aériforme par la force extensive de la chaleur; l'eau se compose d'oxygène et d'hydrogène dans la proportion de 89 à 11; le feu provient d'une combinaison particulière de l'oxygène , du soufre, du chlore, etc., avec les différents corps combustibles; les différentes terres ne sont, d'après les recherches des chimistes modernes, que des oxydes de métaux, c'est-à-dire des combinaisons particulières des métaux avec l'oxygène. Un grand nombre de minéraux ne sont que des précipités de l'eau, principalement de celle de la mer.

 

Déjà les anciens admettaient que l'eau avait joué un rôle essentiel dans la formation de la croûte terrestre. La Genèse raconte que l'eau couvrait la terre avant l'apparition des animaux, des plantes et de l'homme; d'après les traditions des Chinois et des Égyptiens, l'eau est l'élément primitif; les traditions de l'Inde rapportent que l'eau fut la première œuvre du Créateur; et même les habitants du Nouveau-Monde, entre autres les Mexicains et les Péruviens, appellent le premier âge du monde: l'âge de l'eau. Au point de vue physique, il ne faut pas être observateur bien exercé pour s'apercevoir que la mer a joué un rôle capital dans l'histoire de la formation des continents; aussi trouvons-nous, chez les auteurs de tous les temps, des allusions fréquentes à cette action des eaux. Mais c'est aux géologues des derniers siècles qu'appartient le mérite d'avoir établi d'une manière scientifique: que tous les terrains du globe sont des dépôts marins, et, par conséquent, que, dans les temps antérieurs, la mer a couvert la plus grande partie des continents actuels. Ce sont eux qui nous ont appris que partout où l'on pénètre dans les entrailles de la terre pour en tirer les métaux, on rencontre des dépôts semblables à ceux que la mer forme de nos jours; que ces dépôts sont disposés par couches les unes au-dessus des autres avec une régularité et un ordre parfaits, même là où la disposition primitive a été altérée par quelque catastrophe. Si l'on considère en outre que plusieurs de ces terrains recèlent des pétrifications de plantes et d'animaux marins, qui, à raison de leur nombre et des circonstances dans lesquelles on les rencontre, prouvent suffisamment qu'ils doivent avoir péri dans le lieu même où ils ont vécu, on ne saurait douter que la mer n'ait effectivement couvert ces endroits à des époques antérieures à la nôtre.

 

Pour bien faire comprendre ce qui précède, il est nécessaire que nous traitions plus en détail des fossiles, qui constituent l'une des parties essentielles de nos connaissances géologiques.

 

CHAPITRE II.

LES FOSSILES.

On se ferait une idée fausse des fossiles, si l'on croyait que ce sont toujours les restes de corps organiques, d'animaux ou de végétaux pétrifiés. Un fossile n'est le plus souvent que le minéral remplissant l'espace primitivement occupé par un corps organique, végétal ou minéral, dont les parties dures ont été successivement pénétrées et remplacées par des substances minérales. Quelquefois cette substitution s'est faite avec une telle précision, que ces dernières ont pris tout à fait la structure et la forme des parties anéanties; ce qui a donné au minéral une ressemblance frappante avec le corps organique détruit. C'est par ce moyen que le bois a été transformé tantôt en quartz-agate grossier, tantôt en opale; des parties de silex ont remplacé la substance végétale primitive, tandis que la structure de la plante s'est conservée. Plus les parties organiques étaient délicates et molles, plus la structure organique a eu de peine à se conserver; ce qui explique pourquoi nous ne rencontrons à l'état fossile que des corps organiques qui, par suite de leur dureté et de leur nature chimique, résistent mieux à la destruction.

 

Dans les plantes, ce sont surtout les troncs, les branches et les racines que nous retrouvons à l'état fossile. Les débris d'animaux sont des dents, des os, des écailles et d'autres parties dures; mais de tous les fossiles, les plus fréquents ce sont les coquilles. On en trouve de toute forme et de toute dimension, quelquefois en si grande quantité, que l'on en a compté jusqu'à 10,4-54 dans 45 grammes de calcaire des environs de Sienne. Leur distribution n'est pas moins remarquable; il existe au milieu des continents des rochers énormes de coraux semblables à ceux que nous offre la mer du Sud, et des bancs de coquillages d'une étendue considérable. Il n'y a presque pas de terrain neptunien qui n'en contienne en plus ou moins grande quantité, et l'on en a signalé à toutes les profondeurs, dans les terrains houillers de l'Angleterre et de la Belgique jusqu'à plus de 330 mètres au-dessous du niveau de la mer. On les retrouve également au sommet des plus hautes montagnes, en Europe jusqu'à 4,330 mètres, et en Asie jusqu'à 5,330 mètres. Leur présence est, en outre, indépendante de la nature des terrains, car on les trouve dans les roches les plus dures aussi bien que dans les dépôts de marne et de sable; ce qui n'empêche pas qu'ils ne varient beaucoup selon les différents terrains. Ainsi, ceux qui ne se trouvent que dans les grandes profondeurs diffèrent en général notablement des plantes et des animaux actuels, tandis que ceux des couches supérieures s'en rapprochent au contraire beaucoup. Chaque couche a dû se trouver en son temps à la superficie de la terre, où vivaient les plantes et les animaux qu'elle recèle et qui, par un accident quelconque, ont été enterrés sous les couches qui les renferment aujourd'hui. Enfin, de même que, de nos jours, les animaux varient suivant les conditions générales d'existence dans lesquelles ils se trouvent; de même, on remarque une grande diversité entre les fossiles des différentes régions. L'on' distingue principalement ceux des dépôts d'eau salée et ceux d'eau douce. Il est des couches voisines de la surface, par exemple dans les bassins de Paris et de Londres, où l'on trouve étagés les uns au-dessus des autres des fossiles d'eau salée et des fossiles d'eau douce, ce qui prouve que ces lieux ont été alternativement recouverts par la mer et par des fleuves ou des lacs.

 

Les plantes fossiles ont aussi de leur côté attiré l'attention des savants, et parmi les botanistes éminents qui se sont occupes de l'étude des végétaux fossiles nous citerons Alexandre de Jussieu , Schlotheim, le comte de Sternberg et surtout M. Adolphe Brongniart1, qui a reconnu dans le règne végétal le même développement progressif qui se manifeste dons le monde animal. En somme, l'étude des plantes n'a cependant pas été cultivée avec la même persévérance que celle des restes d'animaux fossiles. L'on ne mimait en tout qu'à peu près 5 à (500 plantes fossiles, nombre bien restreint en comparaison de celui des plantes actuelles. Les végétaux du monde antérieur ont été rapportés à trois ou quatre périodes principales. Les plantes de la première période, de la période insulaire, telles que les cryptogames aux proportions gigantesques (les lycopodes, les fougères, les équisétacées), croissaient dans des îles qui n'étaient que très-peu élevées au-dessus du niveau de la mer. Ce sont des végétaux aux dimensions colossales, dont l'organisation est fort simple et très-peu variée. Toutes ces espèces sont éteintes et ne se rattachent à aucune des familles de plantes actuelles. On a surtout signalé un genre de fougère, dont le tronc est couvert d'écailles fort remarquables. Dans la deuxième période, la période littorale, on trouve une plus grande variété de plantes ; leur structure est plus composée, et l'on commence A remarquer chez elles une certaine analogie avec les plantes actuelles. Il se trouve même dans le nombre des types dont quelques espèces existent encore de nos jours, mais sans être aussi répandues qu'auparavant; c'est le cas de la famille des cycadées, qui a dû être très-nombreuse dans ces temps.

 

Dans la troisième période, la période continentale, les végétaux étaient à peu près les mêmes que de nos jours. Ce sont en général les mêmes familles et les mêmes classes; il n'y a que les espèces qui diffèrent. Les dicotylédones, les plus élevées dans l'échelle végétale, sont très fréquentes dans cette troisième période, et l'on trouve entre autres des feuilles qui rappellent ù tous égards nos peupliers, nos saules, nos érables.

 

Tout indique que dans ces trois périodes le règne végétal a joué un rôle très-important, ce qu'atteste l'immensité des terrains houillers, ces restes de forêts primitives, qui nous fournissent aujourd'hui de quoi subvenir à l'un de nos premiers besoins.

 

L'étude des animaux fossiles commença bien avant celle des végétaux. Il n'y a donc pas à s'étonner qu'au point où en étaient alors les sciences naturelles, on ait pu regarder les débris fossiles comme des jeux de la nature, et que certains de ces animaux aux dimensions colossales et aux formes bizarres, qui excitent encore aujourd'hui notre étonnement, aient donné lieu à une quantité de fables, au nombre desquelles il faut ranger la légende des anges rebelles vaincus, qui avaient une taille de 6 mètres, et dont les prétendus restes ne sont pas autre chose que les ossements du mammouth ou de l'éléphant antédiluvien. On peut encore citer d'autres fables du même genre: celle de Teutoboch, roi des premiers Allemands, géant de 10 mètres de long, dont les restes, trouvés en Dauphiné, furent plus tard reconnus pour être ceux d'un mastodonte; celle des Géants qui auraient vécu en Sicile, mais dont les prétendus restes sont des os d'hippopotames; celle de l'Homme primitif, décrit en 1726 par Scheuchzer, qui prétendait que les parties molles et la chair de l'homme primitif avaient été changées en pierre; ces mêmes restes furent plus tard reconnus pour être ceux d'une espèce éteinte de salamandre; la fable du Vautour géant, monstre ailé, auquel on attribuait tantôt la forme d'un basilic, tantôt celle d'un dragon, et dont on racontait qu'il avait englouti des familles entières. Il est reconnu aujourd'hui que ces prétendus restes du vautour géant sont des ossements de rhinocéros du nord; la fable du Cavalier pétrifié de la forêt de Fontainebleau, que des spéculateurs avides exposaient à l'admiration des curieux, mais qui fut déclaré par l'Académie de Paris n'être qu'une concrétion de grès, dans laquelle le ciseau était probablement venu nu secours de la spéculation.

 

Les peuples géants ont bien existé !

 

Des squelettes de géants furent trouvés partout dans le monde. Toutes les anciennes traditions, qu'elles soient hébraïques ou irlandaises, font état des anciens peuples de géants. Des squelettes de géants furent retrouvés, et il est curieux qu'on nous dissimule de telles trouvailles !

 

Sur le tableau ci-dessus:

A. L'homme moderne de nos jours a une taille moyenne d'environ 1 mètre 80 + ou - plusieurs cm.

B. Un squelette humain de 4mètres 57 a été trouvé dans la vallée de l'Euphrate, au sud-est de la Turquie, dans les années 50. Pendant la construction d'une route. Beaucoup de tombeaux contenant des géants ont été découverts là-bas.

C. Maximinus Thrax Ceaser de Rome en 235-238 après J-C, avait un squelette de 2mètres 59.

D. Goliath était grand d'environ 2 mètres 75 + ou - quelques cm. Voir 1 Samuel 17.

E. Le Roi Og, cité dans le Deutéronome 3:11 dont le lit en fer mesurait approximativement 4 mètres 30 de long et 1mètre 80 de large. Le Roi Og devait mesurer au moins 3 mètres 60.

F. Un squelette humain de 5 mètres 94 a été trouvé en 1577, Après J-C, sous un chêne déraciné dans le canton de Luzerne en Suisse.

G. Un squelette de 7 mètres a été trouvé en 1456,, près d'un fleuve vers valence, en France.

H. Un squelette de 7 mètres 90 environ, a été trouvé en 1613, près du château de Chaumont en France. Ce squelette, est décrit comme étant presque complet.

I. Trouvaille de deux restes humains (distincts) de 11 mètres chacun, découvert par des Carthaginois quelque part entre 200-600 Av J-C. (Un pied = égal 30,48 cm. Un pouce = 2,54 cm.)

 

Un squelette humain de 3 mètres 50 a été trouvé dans une mine de houille italienne.

Un squelette humain de 2 mètres 64 a été récupéré sous un monticule en pierre, un tombeau, à Brewersville, en Indiana, en 1870.

Un squelette humain de 3 mètres 50 a été trouvé dans le lit du lac mineur Humbolt (nanovolt) en juin 1931.

Un squelette humain de 3 mètres 66 a été trouvé par des soldats dans le ranch de Lompoc, California en 1883.

Une humanoïde de 2 mètres 14 et plusieurs autres semblables ont été trouvées en Chine dans les années '96'.

Des humains géants ont été trouvés. ont été trouvés dans le Texas, en Arizona, en Ohio, en Europe, et au Moyen-Orient.

 

Tout ce qui contredit la « religion » infondée et non prouvée de "l'origine unique et africaine de l'humanité" disparaît systématiquement. A l'origine de cette soustraction de preuves partout dans le monde, se trouve souvent le Smithonian Institut et ses "sous-marques". Lorsqu'un géant est trouvé le musée ou tout autre organisme l'ayant trouvé reçoit bourse, argent pour une étude.

 

Nota Bene: Les humains ne furent pas seuls concernés par ce gigantisme, puisque sont contemporains des squelettes de géants, des animaux gigantesques, comme des sauterelles de plus de 61 cm ou des chameaux de six mètres. Les squelettes géants furent donc trouvés sur la plupart des continents: Europe, Amérique, Asie, Moyen-Orient et Maghreb (un cas seulement près de Tunis.) Curieusement, les seules régions qui n'ont fourni aucune trace de géants sont celles d'Afrique noire.

 

 

La preuve du mensonge; une trace de dinosaure et à côté, une trace de pied humain qui lui est contemporaine. Le pied humain est plus grand que le pied de dinosaure ! Donc, le pied qui laissa trace de son pas était celui d'un homme géant, et contemporain des dinosaures ! On a ainsi l'évidence que l'homme et le dinosaure vivaient ensemble dans une même période. Un archéologue a déclaré: "Tout est soigneusement catalogué, photographié, empaqueté, mis en caisse et puis tout a disparu plus de preuves. Vous n'avez aucune chance de porter les découvertes à la connaissance d'un large public. Les pressions sont énormes dans ces cas là, et lorsque vous écrivez pour vérifier certaines découvertes ou pour les étudier, elles sont ignorées, perdues, jetées, introuvables."

 

La photo a été publiée en 1895. Ce géant découvert dans le Comté d'Antrim en Irlande, est plus haut que le wagon sur lequel il est appuyé. Cet homme monstrueux passe pour avoir été déterré par un Mr. Dyer qui prospectait pour trouver du minerai de fer dans le Comté d'Antrim. Les principales mensurations sont: La longueur totale de 12 pieds 2 . La circonférence de sa poitrine, 6 pieds 6 . Sa longueur de bras, 4 pieds 6. Il avait six orteils au pied droit. Son poids « brut » est 2 tonnes. Notons qu’il était bien conservé, sans doute par momification. Mr. Dyer, après avoir montré le géant à Dublin, est venu en Angleterre avec sa découverte bizarre et l'a exposée à Liverpool et Manchester demandant six pence par visite. Ensuite Mr Dyer a payé un certain Kershaw pour s'occuper de l'affaire et la trace du géant a ensuite disparu.

 

Beaucoup de découvertes « dérangeantes » pour la « science officielle » ont été détruites depuis quelques siècles, et surtout depuis l’avènement du « darwinisme » et de son évolution unique des espèces, ce incluant l’humanité et une soi-disant origine unique et évolutive depuis l'Afrique de tous les humains, théorie hypothétique uniquement, scientifiquement infondée et jamais prouvée !

 

Deux découvertes de géants, en Arabie Saoudite en 2004:

 

 

Une circonstance contribua à propager l'idée que les restes fossiles appartenaient à des êtres fantastiques; ce fut l'opinion émise par les anciens naturalistes qu'aucune espèce de corps organisé ne pouvait s'éteindre sur la terre. L'Anglais Lister et l'Allemand Blumenbacb , en établissant que ces restes pétrifiés inconnus devaient appartenir à des espèces éteintes d'animaux, ouvrirent les premiers la voie à des idées plus saines. Mais c'est à Cuvier qu'il était réservé de nous faire entrevoir l'immense portée de l'étude des fossiles, en établissant le grand principe de la corrélation des formes dans les êtres organisés, principe au moyen duquel chaque être peut, à la rigueur, être reconnu par un fragment quelconque de ses parties'. Il est vrai, comme le remarque Cuvier lui-même, que la détermination de l'espèce à laquelle appartient tel ou tel quadrupède fossile, dont on trouve rarement le squelette entier, encore moins la peau, les poils, etc., présente de grandes difficultés; mais, quelles que soient ces difficultés, la science est parvenue à les vaincre, grâce à l'ingénieux système de l'illustre naturaliste, de sorte qu'une seule dent, un os quelconque suffisent pour désigner l'espèce dont le fragment fait partie. Ainsi, la mâchoire d'un animal Carnivore permet de conclure le reste de la forme de la tête; car, pour que l'animal puisse entraîner sa proie, il lui faut certains muscles qui exigent certaines formes du cou et des vertèbres; pour qu'il puisse saisir sa proie, il faut que ses ongles soient mobiles, ce qui détermine la forme du pied, etc. C'est d'après cette méthode que Cuvier décrivit et classa à peu près cent espèces d'animaux fossiles. Sur ce nombre , il y en avait soixante-dix inconnues aux anciens naturalistes, et dont les formes monstrueuses, souvent très-différentes des formes actuelles, jetèrent le monde dans l'étonnement.

 

Une fois lancée dans cette voie, la paléontologie fit de rapides progrès. Des naturalistes éminents, tels que Alexandre Brongniart, Lamarck, Deshayes, d'Orbigny en France, Goldfuss, le comte Munster, H. G. Bronn, Hoffmann, C. H. v. Zieten en Allemagne, J. Sowerby, W. Buckland, Phillips en Angleterre, Agassiz en Suisse, firent des fossiles l'objet de recherches très-actives dont nous nous bornerons à citer quelques-uns des résultats.

 

Parmi les animaux non vertébrés, les animaux-plantes ou zoophytes pétrifiés se trouvent en énorme quantité, et cela est facile à concevoir. La plus grande partie des animaux de cette espèce, particulièrement les polypes, croissent sur les rochers, et comme ils sont dépourvus de la faculté de locomotion ils ont par là même plus de chances de se conserver. Une des découvertes les plus intéressantes de notre époque, est celle que l'on doit au naturaliste C. Fischer de Pirkenhammer, près de Carlsbad, découverte qui a été complétée par le professeur Ehrenberg de Berlin: c'est qu'il existe des animaux infusoires à l'état fossile. Ainsi dans 27 millimètres cubes de tripoli des environs de Bilin, en Bohême, ou de Cassel, on prétend avoir découvert à l'aide du calcul 4l millions d'infusoires.

 

Les mollusques jouent un rôle non moins important. On rencontre, dans toutes les formations de la croûte terrestre, des dépôts formés presque exclusivement de coquillages, dont quelques-uns atteignent des dimensions considérables, témoin les orthocératites qui mesurent jusqu'à deux mètres de longueur. On trouve aussi déjà, dans les couches plus anciennes, des débris de crustacés ( des trilobites). Les vers, en revanche, n'y sont que faiblement représentés, et les insectes sont encore moins fréquents. Au nombre de ces derniers sont les araignées fossiles que l'on a trouvées dans les terrains houillers de l'Angleterre. On sait aussi que l'on trouve des insectes dans l'ambre, qui est une substance végétale résineuse, espèce de gomme endurcie, provenant de pins qui faisaient partie de la flore antédiluvienne.

 

Parmi les animaux vertébrés, les poissons et les reptiles sont de la plus haute importance pour la géologie; non-seulement à cause de leur nombre, mais parce que les poissons, dont l'eau est la demeure naturelle, caractérisent presque toutes les couches neptuniennes , et peuvent ainsi nous donner une idée de l'aspect de la faune des mers aux différentes époques et des révolutions qu'elle a subies. C'est pour cette raison que quelques géologues se sont adonnés avec un soin tout particulier à l'étude des poissons fossiles, dont ils ont distingué plus de 1700 espèces réparties dans la plupart des formations neptuniennes. Le mont Bolca, près de Vérone, est un exemple remarquable de la quantité de poissons fossiles que l'on rencontre dans un espace restreint. M. Agassiz y a distingué 127 espèces dont aucune ne ressemble aux espèces actuelles.

 

Des scorpions de mer géants habitaient les eaux de l’actuelle Rhénanie-Palatinat, à l’est des Ardennes il y a, selon les savants en la matière, 400 millions d’années. Les arthropodes (insectes, arachnides, crustacés) qui peuplent aujourd’hui la planète sont de taille réduite. Cela n’a pas toujours été le cas. Il est estimé, selon la science moderne, que 400 millions d’années passées, des scorpions de mer de 2,5 mètres de long hantaient les eaux de l’actuelle Rhénanie-Palatinat, à l’est des Ardennes. Le paléontologue Markus Poschmann a découvert deux fragments de la pince d’un de ces spécimens dans une carrière. Elle devait mesurer près de 45 cm. C’est le plus grand arthropode terrestre ayant jamais existé. On ne sait pas ce qui a pu provoquer le développement exceptionnel de ces animaux marins. Chose certaine, la théorie de 400 millions d'années n'est pas soutenue par les Saintes-Écritures, toutefois il est certain que ces créatures étranges ont déjà existé sur notre Terre.

 

Les reptiles du monde antédiluvien diffèrent encore davantage des nôtres. Les sauriens, entre autres, étaient représentés par des animaux aux dimensions gigantesques et aux formes fantastiques, qui rappellent les monstres chimériques de la fable. Ils se trouvent en si grande quantité dans certaines couches, qu'il faut croire que pendant plusieurs époques ces animaux ont régné en souverains dans les golfes et dans les marais d'alors.

 

Une dame anglaise, miss Anning, nous a fait connaître l'un des plus remarquables de ces amphibies, l'ichtyosaure, nui avait la mâchoire d'un dauphin, les dents d'un crocodile, le sternum et la tête d'un lézard. Il faut que cet animal ait vécu en troupes fort nombreuses, car l'on trouve dans le Gloucestershire une roche épaisse de plusieurs pouces et de l'étendue d'un mille anglais, dont plus de la moitié se compose des excréments fossiles de ce reptile. Il est à présumer que l'ichtyosaure marchait difficilement sur la terre ; par contre, il était excellent nageur. Son museau était long et pointu, sa gueule largement fendue et sa tête d'une dimension énorme. L'on en a trouvé des mâchoires de plus de deux mètres de longueur; le cou, en revanche, était très-court. Quelques-uns de ces animaux avaient pour le moins cinq mètres de long.

 

 

Un autre animal de la même famille et d'aspect moins terrible, mais plus extraordinaire encore, c'est le plésiosaure, décrit par M. Conybeare. Cet animal avait la tête petite et le cou fort long. On connaît des individus qui mesurent jusqu'à 9 mètres de longueur.

 

Les naturalistes admettent encore quinze autres espèces d'animaux de la même famille, parmi lesquels le mosasaure, espèce intermédiaire entre le crocodile et le lézard, qui avait 8 mètres de long; le mégalosaure, reptile de plus de 13 mètres de long, qui a été décrit par Buckland; Iguanodon, ressemblant à l'iguane du Mexique, mais qui doit avoir eu 23 mètres de long; enfin, le ptérodactyle, trouvé près de Reichstadt, dont on a décrit huit espèces variant entre 50 et 130 centimètres de longueur. Cet animal a donné lieu à différentes suppositions; cependant l'on s'accorde généralement à l'envisager comme un reptile volant.

 

 

On ne connaît encore qu'un petit nombre de crapauds à l'état fossile. Les oiseaux fossiles sont encore plus rares, ce qui se conçoit aisément, quand l'on songe que leur vol leur donnait la faculté de se soustraire en partie aux catastrophes qui ont amené la mort des animaux terrestres. Cependant on trouve des empreintes de pieds d'oiseaux sur certaines couches de grès. On a signalé des os dans des grottes, ainsi que dans certaines formations récentes de gypse. Il existe aussi des œufs pétrifiés ainsi que des empreintes de plumes dans du calcaire; mais on n'a point encore trouvé les parties essentielles pour la détermination rigoureuse des espèces, c'est-à-dire des becs, des têtes et des ongles fossiles.

 

 

Les mammifères du monde antédiluvien, qui, en leur qualité d'animaux d'une organisation plus parfaite, appartiennent aux dernières époques, paraissent avoir atteint leur plus grand développement dans la période qui précéda immédiatement le déluge. Leurs débris fossiles se trouvent aussi bien dans les terrains récents que dans les terrains d'alluvion. Le fait que ces animaux existaient a la veille du déluge, nous autorise à supposer qu'ils ont été anéantis par cette catastrophe; et c'est pourquoi nous ne nous en occuperons pas ici, nous réservant d'y revenir plus tard quand nous traiterons du déluge. Je me bornerai seulement à citer ici quelques-uns des mammifères remarquables dont les espèces étaient déjà éteintes avant le déluge; tels sont le paléoptère, dont il doit avoir existé dix à douze espèces; les plus grands avaient la taille du rhinocéros, d'autres variant entre les dimensions du cheval et du porc; Yanoplothère, dont on connaît cinq espèces; le ckéropotame, Yadapis, etc., tous des pachydermes, que l'on trouve principalement dans le bassin de Paris.

 

CHAPITRE III.

ABRÉGÉ DE L HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.

Les Juifs et les Égyptiens sont les seuls peuples de l'antiquité qui aient eu des notions tant soit peu claires sur la géologie. Quand on compare le récit à la fois simple et noble que Moïse nous a laissé de la création du monde avec les descriptions vagues et embrouillées des philosophes grecs, qui se rattachaient cependant pour la plupart à la même école et qui vécurent après lui, on est obligé de convenir que la cosmogonie du législateur juif est de beaucoup supérieure à toutes les autres. Et cependant Moïse était élève des prêtres d'Égypte et vivait environ seize siècles avant Jésus-Christ. D'ailleurs les doctrines des philosophes ne se rapportent guère qu'à des faits isolés. Ainsi Thalès de Milet (au septième siècle avant Jésus-Christ) enseignait que l'eau avait formé la terre, Xénophane de Colophon (au sixième siècle avant Jésus-Christ) croyait que le continent avait d'abord été recouvert par les eaux de la mer, Hérodote (au cinquième siècle avant Jésus-Christ) avait la même opinion quant à l'Égypte, qu'il regardait comme étant formée par le Nil; mais aucun d'eux ne nous a donné un exposé complet de la création du monde. Ce qui est remarquable, c'est que les uns supposent au globe une origine neptunienne, tandis que d'autres, guidés sans doute par la vue des volcans de l'Italie et de la Grèce, le rattachent à des phénomènes volcaniques. Ainsi Zénon et Héraclite (au cinquième siècle avant Jésus-Christ) admettent que le feu est la cause première delà formation du globe. Empédocle d'Agrigente (au milieu du cinquième siècle) pensait que le feu intérieur avait soulevé les montagnes. Platon, né en 430, nous raconte que l'île Atlantide, située près du détroit de Gibraltar et plus grande que la Libye et l'Asie réunies, fut détruite par une inondation et par un tremblement de terre. Aristote, le fondateur des sciences naturelles de son époque, né en 384 avant Jésus-Christ, envisage la terre comme une sorte d'être vivant, auquel il attribue une jeunesse, un âge de maturité et une vieillesse. Strabon, enfin, né 60 ans avant Jésus-Christ, enseignait que le feu intérieur, incessamment actif au sein de la terre, avait à plusieurs reprises soulevé et fait disparaître sous les flots de la mer, non-seulement les iles, mais aussi des parties entières du globe.

 

Des siècles s'écoulèrent ensuite, pendant lesquels on cessa de cultiver les sciences. Ce furent les Arabes qui leur imprimèrent un nouvel essor. Un de leurs savants, Omar el Alem, qui vivait au dixième siècle après Jésus-Christ, écrivit un ouvrage sur le mouvement rétrograde de la mer. Mais la décadence de la puissance des Arabes entraîna de nouveau à sa suite celle des arts et des sciences, qui avaient fleuri chez eux. Cinq cents ans s'écoulèrent, pendant lesquels le soin des intérêts matériels ne laissa aux hommes aucun loisir pour se vouer sérieusement a l'étude de la terre. L'Italie, si riche en fossiles et si favorable aux recherches des savants, était destinée à devenir de nouveau le théâtre de la renaissance des sciences. Ce fut là que le célèbre savant Fracastor s'éleva, au commencement du seizième siècle, contre l'opinion qui prétend que les fossiles trouvés dans les différents terrains y avaient été amenés par la mer. De là, l'intérêt pour la géologie se répandit en France, en Allemagne, et ce fut sur les phénomènes de la nature de l'Italie que le Danois Niels Steensen, généralement connu sous le nom de Nicolas Stenon, fonda sa célèbre théorie que M. Elie de Beaumont a fait connaître à l'Europe. Cet ouvrage assure incontestablement â notre compatriote le premier rang parmi les géologues antérieurs à Werner, qu'il aurait peut-être surpassé, par la justesse de ses idées, s'il eût été son contemporain ou son successeur. Nicolas Stenon enseigna que l'écorce du globe était formée de couches parallèles et superposées, formées par la mer, des lacs ou des fleuves, etc.; que les bouleversements de ces couches étaient la conséquence de tremblements de terre et d'éruptions volcaniques, qui avaient formé les montagnes et les vallées. Ce fut encore lui qui le premier fit connaître l'existence de terrains antérieurs à l'apparition des êtres organiques. Mais ses contemporains, moins éclairés, oublièrent bientôt ces idées si justes et si profondes, qui, bien développées, auraient porté la science de la géologie à un degré bien supérieur à celui où elle se trouve actuellement. Ce furent surtout les préjugés de l'époque qui nuisirent au progrès de cette science, en faisant prévaloir des hypothèses absurdes, sous le prétexte de mettre la Bible en harmonie avec les phénomènes géologiques.

 

C'est surtout dans l'explication du déluge que même les savants du premier mérite se sont montrés féconds en hypothèses inconcevables. Un savant anglais, Thomas Burnet, supposa, par exemple, que la terre avait d'abord reçu pour surface une croûte unie et légère, qui s'était formée sur l'abîme des mers et qui, en crevant, avait produit le déluge; les débris de cette première écorce auraient ensuite formé, en se réunissant, la surface de la terre actuelle. Cette opinion fut partagée et développée à l'aide de nouvelles absurdités, par son compatriote John Woodward, professeur à Cambridge, qui ne manquait cependant pas d'érudition. William Whiston, astronome habile, croyait que le déluge avait été causé par la rencontre de la terre avec la queue de la comète qu'il avait observée l'an 1680. Les célèbres philosophes Descartes: et Leibnitz émirent l'opinion que la terre était un soleil éteint. Selon le premier, les différents éléments se seraient disposés de manière que le feu occupât le centre et que l'eau couvrit la surface du globe. C'était au feu central qu'il attribuait les effets volcaniques, la formation des métaux, etc. Leibnitz, au contraire, prétendait que la terre, après s'être refroidie, s'était changée en une masse de granit, couverte de verre et de gravier, et remplie de crevasses; que l'atmosphère en se refroidissant s'était transformée en eau, qui en se précipitant avec violence sur la terre l'avait inondée; mais que la surface du globe s'étant brisée en divers endroits avait ouvert aux eaux une issue dans son sein, et que les continents et les iles étaient apparus par suite de ces bouleversements. Jacques Scheuchzer de Zurich, prétendit que les eaux qui avaient produit le déluge avaient jailli de réservoirs contenus dans l'intérieur du globe, et que les montagnes avaient été formées des substances pierreuses du globe, dispersées d'abord par l'effet du déluge, mais rassemblées ensuite par l'intervention directe de la puissance divine, qui avait à dessein placé les montagnes dans les lieux où les pierres étaient le plus abondantes. Les systèmes exposés par les savants qui vinrent ensuite étaient plus conformes aux lois de la nature. L'abbé Pluche voulut, qu'un déplacement de l'axe, accompagné d'un affaissement de la surface du globe, eût produit le déluge; le bailli Engel pensait que cette catastrophe avait été produite par un changement du centre de gravité.

 

Le Cat émit l'opinion que les continents avaient été formés par l'action de la mer, qui, en creusant son lit, avait entassé ses dépôts et son limon, tandis que Maillets les croyait formés par le mouvement rétrograde de la mer. L'opinion contraire fut soutenue par Lazaro Moro, qui fut regardé pendant longtemps comme un des principaux représentants du volcanisme; mais ses idées ont en général bien moins de profondeur que celles qu'avait exposées, à peu près un siècle avant lui, Stenon. Comme celui-ci, il avança que les continents avaient été soulevés au-dessus du niveau de la mer par le feu, et que les fossiles qu'on y trouvait étaient des restes d'animaux qui y avaient vécu.

 

Ce fut l'an 1743 que Buffon exposa son système; mais quoique ses hypothèses ingénieuses et son beau style lui attirassent l'intérêt et l'approbation du public, ses opinions n'en furent pas moins condamnées comme hérétiques par la Sorbonne. Selon lui, quelque comète en touchant l'équateur du soleil dans une direction oblique en avait détaché les planètes; celles-ci étant originairement des masses fluides ignées comme le soleil, se seraient graduellement refroidies des pôles vers l'équateur. D'après son calcul, la terre aurait employé 74,800 ans pour arriver à la température actuelle, et il lui faudrait encore 93,000 ans pour faire descendre sa température moyenne à zéro; tous les êtres vivants seraient ainsi destinés à périr à mesure que la chaleur se dissiperait. Pour lui les continents se seraient formés de l'eau de l'atmosphère qui, en se précipitant avec violence, aurait laissé les continents à sec, pour s'engouffrer ensuite dans les tissures causées par la consolidation de la masse ignée. Il divisait en outre toute l'histoire du développement de la terre en six périodes, auxquelles il donna le nom significatif d'époques de la nature. Mais ce système, quelque ingénieux qu'il fût, se trouvait sur plusieurs points en opposition avec l'expérience et dut par conséquent être abandonné. Les idées de Pallas sont à bien des égards plus conformes aux lois de la nature, quoiqu'elles ne soient pas non plus exemptes d'erreurs. Ce grand naturaliste prétendit, par exemple, que les fossiles, si fréquents en Sibérie, y avaient été entraînés par un déluge causé par une éruption volcanique, qui aurait porté la mer des Indes sur l'Asie. Par cette catastrophe, les plantes et les animaux de l'Asie méridionale auraient été entraînés vers les régions septentrionales, où ils auraient été saisis par les glaces.

 

Les frères de Luc, contemporains de Pallas, et principalement Jean André firent faire des progrès réels aux sciences naturelles, surtout à la météorologie. Mais quoique ce dernier démontrât jusqu'à l'évidence la fausseté des systèmes antérieurs, il tomba lui aussi dans de graves erreurs, en voulant expliquer la création du monde et surtout le déluge conformément au récit de la Genèse. Ce n'était que par une étude approfondie de la série des terrains successifs et des fossiles qu'ils contiennent, qu'on pouvait parvenir à des résultats géologiques satisfaisants; condition indispensable de toute bonne théorie sur la création. Heureusement les géologues se décidèrent enfin à abandonner les hypothèses pour la partie plus pratique de leur science. C'est ce que firent entre autres les géologues allemands J. G. Lehmann et C. Fuchsel, les Anglais Mitchel, Withurst, mais surtout l'illustre Saussure, qui, indépendant de toute école, exposa plusieurs idées nouvelles, résultats des recherches minutieuses faites par lui pendant ses nombreux voyages dans les Alpes. Cependant il se borna en général à des résultats spéciaux. Le géologue allemand A. G. Werner, au contraire, fit de ses expériences locales la base d'une théorie générale, et devint ainsi non seulement le créateur d'un système de minéralogie, mais encore le fondateur d'une grande école, celle des neptunistes modernes. Comme ces idées ont passé longtemps pour incontestables et qu'elles ont exercé une grande influence sur le développement de la géologie, je présume qu'un résumé de son système pourra offrir quelque intérêt.

 

Werner fut le premier qui démontra que les différentes couches de l'écorce du globe se composent des mêmes éléments plus ou moins modifiés. Il divisa plus tard les terrains en un certain nombre de formations, et, quoique son système ne soit pas complètement admissible, on ne peut disconvenir de la justesse de la pensée sur laquelle il était basé. N'ayant à sa proximité d'autres montagnes que les Erzgebirge et leurs environs, où les traces d'une formation lente et régulière sont évidentes, il se décida tout à fait pour le système purement neptunien; car il croyait la terre formée de dépôts aqueux, dans lesquels les pierres et les masses de terres auraient été primitivement dissoutes et dont la surface de la terre aurait plusieurs fois été couverte. Restait à expliquer la cause de ces bouleversements. Comme ces dépôts n'auraient pu se former que successivement, il fallait nécessairement, selon sa théorie, envisager les couches inférieures comme antérieures à celles qui leur sont superposées. Werner rangea ainsi, parmi les formations les plus anciennes, les terrains dits primitif», qui, composés de granit, de schiste micacé, de gneiss, etc., étaient de nature cristalline et tout à fait dépourvus de fossiles; au-dessus de ceux-ci se trouvaient, selon lui, les terrains de transition, parmi lesquels il comptait les calcaires durs, les schistes argileux de transition, etc.; ces terrains, en partie cristallins, lui offrirent les premières traces de débris d'animaux ou de plantes. Au-dessus étaient situes les terrains stratifiés (Floetzgebirge; |e, terrains secondaires), qui paraissent plus jeunes que les précédents et sont surtout composés de différentes espèces de grès, de houille, d'argile, de gypse, etc.; où l'on trouve en abondance des fossiles principalement d'animaux marins; les formations les plus récentes étaient les terrains d'alluvion, composés de couches argileuses, carbonifères, etc., contenant des débris de bœufs, de cerfs, de rhinocéros, d'éléphants, etc. Le déplacement des couches fut attribué par Werner à des circonstances entièrement locales, comme à l'écroulement de cavernes. Quant aux volcans, ce n'étaient, selon lui, que de grands incendies de la terre, produits par des causes locales.

 

Ce fut ainsi que Werner jeta les premières bases de l'histoire du globe, qu'il fait remonter à des milliers d'années au delà des souvenirs des hommes. Cette idée si hardie est aujourd'hui généralement admise et destinée à prendre rang parmi les vérités les mieux démontrées. On conçoit aisément qu'un système qui portait à un aussi haut degré le cachet de la vérité, tout en s'appuyant sur les recherches géologiques les plus récentes, dut exciter l'étonnement du monde éclairé. Plusieurs hommes de lettres parmi les plus distingués de l'Allemagne, de la France et de l'Angleterre se livrèrent avec enthousiasme à une étude qui promettait une récolte si riche et si intéressante. Nous avons déjà mentionné plusieurs de ces savants en parlant des fossiles; nous devons nommer parmi les Allemands, J. C. W. Voigt, J. C. Freisleben, F. A. Reusz, Léopold de Buch, Alexandre de Humholdt et enfin Goethe; parmi les Français, Brochant de Villiers, d'Aubuisson, de Voisin, etc.; parmi les Anglais, Robert Jameson, fondateur de la Wernerian Society, W. Smith , Greenough, J. Webster, Conybeare, Mac-Culloch, W. Buckland, Sedwick, Lyell, Sowerby, etc., etc., ainsi que Henri Steffens, Norvégien d'origine, mais Danois par son éducation académique et ses rapports de famille.

 

Plusieurs des savants que nous venons de nommer épousèrent les idées de Weruer, et regardèrent l'écorce de la terre comme formée exclusivement par la mer; ce sont les disciples de l'école neptunienne moderne. Cependant la géologie fit bientôt de nouveaux progrès; on reconnut que plusieurs phénomènes géologiques, non-seulement étaient inexplicables dans la théorie de Werner, mais encore qu'ils lui étaient tout à fait contraires. Ainsi Werner rangeait le basalte dans la classe des formations secondaires, mais il fut prouvé qu'il entrait aussi dans la composition des terrains primitifs; le granit, qui devait appartenir aux formations primitives et se trouver, par conséquent, sous les autres terrains, fut trouvé au-dessus de ceux-ci dans les montagnes scandinaves, dans les Alpes et même dans les Erzgebirge, où Werner avait puisé les éléments de son système; enfin, une foule d'opinions furent émises sur l'âge des Alpes. Cependant la confiance qu'on avait en l'infaillibilité de la théorie de Werner était telle, que l'opinion exposée par son élève Voigt, excellent minéralogiste, selon laquelle la formation de l'écorce du globe était due en grande partie à l'effet du feu intérieur, ne put prévaloir. C'est à l'Écossais James Hutton qu'il était réservé de fonder l'école volcanique. Il prétendit que les montagnes avaient été soulevées de dessous le niveau de la mer, et que les terrains primitivement horizontaux avaient été déplacés et brisés par les effets des volcans. Il essaya de prouver que les continents formés de cette manière avaient été bouleversés plus tard par des tremblements volcaniques et des inondations de la mer, et que de leurs débris s'étaient formés les nouveaux continents. Selon lui, ces révolutions s'étaient au moins répétées deux fois. Les idées de Hutton furent ardemment défendues par John Playfair, qui enrichit son ouvrage de notes instructives, et par James Hall, qui fit plusieurs expériences très-intéressantes, tendant à appuyer la théorie de Hutton. D'autres savants anglais, français et allemands, adhérents de la même théorie, prétendirent que plusieurs terrains, notamment les terrains primitifs et non fossilifères, n'étaient pas des dépôts formés au fond des eaux, mais des substances, qui, fondues par le feu intérieur, avaient été portées à l'état liquide à la surface du globe, où elles s'étaient refroidies, en partie après la déposition de certains terrains que l'école de Werner considérait comme plus récents. Mais comme il arrive toujours, les défenseurs de cette nouvelle théorie qui attribuait au feu la principale part dans la formation de l'écorce du globe, tombèrent aussi de leur côté dans l'exagération; plusieurs de leurs arguments furent réfutés, et une lutte acharnée s'engagea entre les adhérents des deux théories du neptunisme et du volcanisme. La victoire resta enfin à deux des disciples de Werner, Léopold de Buch et Alexandre de Humboldt, qui avaient consenti à modifier les idées du maitre dans ce qu'elles avaient de trop exclusif.

 

Voir le site de l'Institut de Physique du Globe de Paris à l'adresse suivante: http://www.ipgp.fr/pages/06.php

 

C'est à M. Léopold de Buch qu'on doit l'ingénieuse théorie des soulèvements, selon laquelle la plupart des terrains qui composent l'écorce du globe ont d'abord été des sédiments déposés par la mer; mais qui, soulevés plus tard par l'action du feu central, ont fait éruption à la surface de la mer avec les formations plutoniennes antérieures. A l'aide de cette théorie, on explique encore comment il se fait que les roches inférieures, parmi lesquelles il faut ranger les terrains primitifs de Werner, se trouvent souvent placées au-dessus de terrains plus récents. C'est une conséquence de la pression intérieure, qui, en agissant contre la croûte du globe, lui a fait subir une tension excessive. Les couches supérieures ont alors dû se briser, et les inférieures ont ainsi été portées à la surface. Les premiers écrits du célèbre géologue de Berlin prouvent assez que ses idées furent d'abord neptuniennes; et, eu effet, ses études approfondies des Alpes, des volcans de l'Italie et du midi de la France, ne pouvaient lui en susciter d'autres. Sa conversion n'est due qu'aux voyages qu'il entreprit dans la Scandinavie pendant les années 1806 à 1808, de Christiania, à travers la Norvège, jusqu'au cap Nord; de là, à travers la Laponie, par Tornea, jusqu'à Stockholm, et de là à Christiania. Aux environs de cette dernière ville, il fut étonné de trouver le granit, que jusque-là on avait rangé parmi les terrains primitifs, et qui, suivant la théorie de Werner, devait appartenir aux terrains inférieurs, au milieu de terrains plus récents et recouvert principalement d'un calcaire particulier, contenant de nombreux fossiles. Il fut le premier à prouver que la Suède est soumise à un soulèvement continuel; et, après avoir exploré en 1815 les îles Canaries, en compagnie du botaniste norvégien Christian Smith, il jugea que ces îles étaient d'origine volcanique. S'appuyant ainsi sur les expériences qu'il avait faites, il émit l'opinion que les iles de l'océan Pacifique ont été formées par l'action volcanique. Il fit observer que les volcans peuvent être classés par groupes sur toute la surface du globe, ce qui prouve, selon lui, que le feu intérieur s'est fait jour à travers de grandes crevasses. Il en conclut que non-seulement des continents entiers, mais aussi les montagnes qui s'y trouvent , ont été soulevés par le feu souterrain, et que ce sont ces soulèvements qui, en déplaçant les couches primitivement horizontales, de manière à en former des collines ou des vallées, ont donné aux divers pays leurs caractères propres. Il prouva plus tard que l'énorme chaîne des Alpes a été soulevée par l'apparition du porphyre noir (mélaphyre), ou plutôt que l'apparition du porphyre noir est en rapport immédiat avec le soulèvement. M. de Humboldt, a son tour, nous a fait connaître plusieurs phénomènes très-intéressants sur le soulèvement des montagnes et la géologie en général; mais l'honneur d'avoir développé scientifiquement la théorie des soulèvements appartient a M. Elie de Beaumont, qui montra que le système de M. Léopold de Buch sur les montagnes de l'Allemagne, était applicable aux systèmes de montagnes de tous les pays, principalement à ceux de l'Europe, dont il fixa l'âge relatif, en recherchant les phénomènes les plus caractéristiques qui ont accompagné leur soulèvement. Il prouva que les dépôts des formations neptuniennes, qui constituent les terrains dits secondaires ou de transition, avaient dû être formés pendant des périodes de longue durée, uniformes et tranquilles, mais que, de temps en temps, il était survenu de grands cataclysmes qui avaient interrompu la régularité de ces dépôts. Grâce a leur composition très différente, on parvint aisément à distinguer ces différentes formations, d'autant plus que les débris de corps organiques ont dans chacune d'elles un caractère particulier. Ces phénomènes, ainsi que le déplacement des couches, ne peuvent, selon l'opinion ingénieuse de M. de Beaumont, être attribués qu'à des catastrophes subites, occasionnées par le soulèvement des montagnes. De l'examen de ces faits, il conclut que les soulèvements avaient dû avoir lieu en quatre périodes; mais ses recherches ultérieures l'engagèrent à augmenter le nombre des périodes jusqu'à douze et même jusqu'à quinze. On conçoit facilement d'après cela de quelle conséquence l'âge relatif des montagnes doit être pour l'histoire du développement du globe.

 

CHAPITRE IV

SYSTÈME DE M. ELIE DE BEAUMONT SUR LES SOULÈVEMENTS DE MONTAGNES.

Comme les hypothèses que j'exposerai plus tard sur le déluge et les phénomènes qui s'y rapportent, reposent essentiellement sur le système de M. Elie de Beaumont, il sera de toute nécessité d'exposer un précis chronologique des époques de soulèvements des divers systèmes de montagnes de l'Europe; époques qu'il ne faut pas confondre avec celles de leurs formations. Je choisirai, pour cet effet, le précis que nous en a donné F. Hoffmann.

1. Le système de montagnes le plus ancien, est celui du Westmorland et des Hunsrück avec les montagnes voisines de l'Eifel et du Taunus. Toutes les chaînes de montagnes, qui appartiennent à ce système, se dirigent assez exactement du N.-E. 1/4 E au S.-O. 1/4 O. Les montagnes du sud de l'Écosse et de l'ile de Man sont, sans doute, du même âge.

2. Les Rallons (dans la partie méridionale des Vosges) et les collines du Bocage (dans le département du Calvados), direction de l'E. 15° S. à l'O. 15° N. M. Élie de Beaumont croit pouvoir ranger dans ce système une partie de l'ancienne formation du Hartz.

3. Le système de montagnes du nord de l'Angleterre. Sa direction est presque exactement du S. au N. avec quelques déviations aux deux extrémités, s'étendant du N. N.-O. au S. S.-E.

4. Le système de montagnes des Pays-Bas et du sud du pays des Galles, qui, dans les Pays-Bas, s'étend d'abord du N. au S.-O. jusqu'à la rive gauche de la Meuse, où il change subitement de direction de l'E. à l'O. en se prolongeant sur la même ligne dans le Pembrokeshire.

5. Le système du Rhin, qui comprend les Vosges, la Forêt-Noire, s'étend presque du S. au N., ou du S. S.-O. au N. N.-E.

6. Le système comprenant le Böhmerwald et le Thuringerwald, ainsi que les collines d'Autun, dans la Vendée et au sud de la Bretagne; il se dirige du S.-E. au N.-O.

7. Le système comprenant les Erzgebirge, la Côte-d'Or, le mont Pilas, en Forez, et une partie du Jura, sur la rive gauche du Rhin; il suit la direction du S.-O. au N.-E.

8. Le système du mont Viso, auquel appartiennent les Alpes maritimes de Nice et d'Antibes, jusqu'à Lons-le-Saulnier, du N. N.-O. à S. S.-E.

9. Le système des Pyrénées et des Apennins, dont toutes les chaînes vont du N.-O. au S.-E., comprend d'abord la partie des Alpes orientales qui, après leur division à Goritz, poursuivent leur cours dans la direction du N.-O. au S.-E. à travers la Carinthie, la Carniole, la Croatie et la Dalmatie, longeant la mer Adriatique jusqu'à la péninsule de la Morée et les îles Ioniennes; ensuite la plus grande masse du Hartz ainsi que les hanteurs de la Westphalie, qui sont parallèles au Teutoburgerwald.

10. Le système de montagnes de la Corse et de la Sardaigne, dont la direction est du S. au N.; il comprend probablement plusieurs chaînes de montagnes de la France, de l'Allemagne et d'autres pays voisins.

11. Le système des Alpes occidentales, auquel appartient le Mont-Blanc; sa direction est du N. 26° au S. 26° 0. Il parait que les montagnes qui longent la côte orientale de l'Espagne, et les montagnes de la Scandinavie sont de la même époque.

12. Le système comprenant la chaîne principale des Alpes, depuis le Valais jusqu'en Autriche, est sans doute le plus récent de tous les soulèvements, puisque l'époque de sa formation coïncide avec l'époque du transport des blocs erratiques qu'on trouve épars, çà et là, dans les pays d'alluvion; toutes les chaînes de ce grand système vont à peu près de l'O. à l'E.

 

Après avoir déterminé l'âge relatif de ces systèmes de montagnes, M. E. de Beaumont, de concert avec d'autres géologues, en a poursuivi la comparaison avec d'autres systèmes de montagnes de l'Europe et des autres continents; mais, comme les rapports géologiques de ces continents ne sont encore qu'imparfaitement connus, il en résulte que les opinions qui se fondent sur ces rapports ne peuvent être considérées que comme des hypothèses vraisemblables qu'il est réservé à l'avenir de constater ou de réfuter. Ce qui parait certain, c'est que les montagnes sont d'autant plus considérables que leur soulèvement est plus récent. Cela se conçoit quand l'on songe que la croûte terrestre étant plus épaisse, la crise qui a provoqué les soulèvements a dû être d'autant plus violente. Ce résultat est aussi incontestable que l'idée sur laquelle M. E. de Beaumont a basé son système de classification.

 

CHAPITRE V.

CLASSIFICATION DE LA BÊCHE.

Quoique l'on soit en général d'accord sur les faits principaux de la géologie, il est cependant plusieurs points sur lesquels il règne encore beaucoup de doute. De ce nombre sont la classification spéciale des terrains et l'âge relatif qu'on leur attribue. Entre tous les systèmes de classification qu'on a proposés, celui de M. de La Bêche se distingue par sa simplicité et sa clarté; et s'il n'est pas exempt d'erreurs, particulièrement dans les deux premiers groupes (le groupe moderne et celui des blocs erratiques), il faut convenir qu'au moins l'ensemble du tableau est des plus satisfaisants. Pour donner aux lecteurs qui n'ont pas fait des études géologiques une idée de l'âge relatif des divers terrains, je vais transcrire ici cette classification avec les remarques dont l'auteur l'a fait précéder, en recommandant l'usage d'une carte figurative de la série des terrains de la surface de la terre, telle qu'on en trouve dans presque tous les traités élémentaires de géologie.

 

A. Terrains Stratifiés. — Premier groupe. ( Terrains modernes.) — Au premier abord, ce groupe paraît naturel et facile à déterminer ; mais dans la pratique il est souvent très-difficile de dire où il commence. Quand on considère la grande profondeur de beaucoup de gorges et de ravins qui paraissent devoir leur origine au pouvoir destructeur des cours d'eau existants; ces falaises, souvent formées des roches les plus dures, qui sont plus ou moins fréquentes sur les côtes; cette immense accumulation de terrains comparativement récents, tels que ceux qui constituent les deltas des grandes rivières; enfin ces vastes plaines, comme celles de la partie orientale de l'Amérique du sud, il est difficile d'imaginer que ces phénomènes aient pu être produits pendant la dune d'une période de temps, comparativement assez limitée. Géologiquement parlant, l'époque en est récente; mais, d'après nos idées du temps, elle parait remonter au delà des dates qu'on assigne communément à l'ordre de choses actuel.

 

Deuxième groupe. ( Blocs erratiques. ) — Ce groupe est extrêmement difficile à caractériser, et il ne doit être regardé que comme provisoire: c'est un groupe en quelque sorte conventionnel, comprenant ces dépôts superficiels de graviers, brèches et autres matériaux de transport qui se rencontrent dans les localités où des causes semblables à celles qui agissent maintenant n'auraient pu les amener. Le trait le plus extraordinaire de ce groupe est l'existence de ces énormes blocs que l'on trouve si singulièrement perchés sur des montagnes, ou épars sur des plaines situées à une grande distance des roches en place dont ils paraissent avoir été détachés.

 

Troisième groupe. (Supercrétacé. ) — Ce groupe comprend les terrains vulgairement appelés tertiaires. Ceux-ci sont extrêmement variés, et contiennent une accumulation immense de débris organiques, terrestres, d'eau douce et marins. On a reconnu récemment que ce groupe est lié plus étroitement qu'on ne l'avait supposé d'abord , d'un côté à l'ordre de choses actuel, de l'autre au groupe suivant.

 

Quatrième groupe. (Crétacé.) — Ce groupe contient les terrains qui, en Angleterre et dans le nord de la France, sont caractérisés par de la craie dans la partie supérieure et par des sables et des grès dans la partie inférieure. Peut-être ne doit-on attacher aucune valeur a ce nom de crétacé, car le caractère minéralogique de la partie supérieure de ce groupe, d'où le nom dérive, est probablement local, c'est-à-dire restreint à certaines parties de l'Europe, et la craie peut y être remplacée ailleurs par des calcaires compactes et même par des grès. Cependant, comme les géologues sont parfaitement d'accord sur ce que l'on entend, quand on parle de la craie, rien ne parait s'opposer, quant à présent, à ce que nous conservions a ce quatrième groupe le nom de crétacé. Le terrain de Weald y a été réuni, quoique les débris organiques qu'il contient indiquent une origine différente. On a pensé que l'étude de ce terrain était intimement liée à celle des terrains qui constituent essentiellement le groupe crétacé.

 

Cinquième groupe. (Oolitique.) — Il comprend les divers membres de la formation des oolites, ou formation des calcaires jurassiques, y compris le lias. Le mot oolitique a été conservé d'après les mêmes motifs que celui de crétacé. Dans le fait, ce caractère minéralogique ne s'observe que dans une faible partie des roches appartenant à la formation oolitique en Angleterre et en France; il n'est nullement particulier aux terrains en question, mais se retrouve dans beaucoup d'autres. Dans les Alpes et en Italie la formation oolitique semble remplacée par des calcaires-marbres noirs et compactes, en sorte que ces caractères minéralogiques ne sont que d'une faible importance.

 

Sixième groupe. (Grès rouge.) — Il comprend les marnes rouges ou bigarrées (marnes irisées, Keuper), le muschelkalk, le nouveau grès rouge ou grès bigarré (bunter Sandstein), le calcaire magnésien (Zechsttin), et le conglomérat rouge (rothe, t. are liegende, grès rouge). L'ensemble de ce groupe peut être considéré comme une masse de conglomérats, de grès, de marnes généralement de couleur ronge, mais plus fréquemment panachées dans les parties supérieures. Les divers calcaires qu'on y a indiqués peuvent être regardés comme subordonnés; quelquefois on n'en rencontre que d'une espèce, et c'est tantôt l'une, tantôt l'autre, quelquefois aussi toutes les deux manquent. Il n'y a même aucun motif pour croire que d'autres calcaires de caractères différents ne puissent exister dans ce groupe sur d'autres points du globe.

 

Septième groupe. (Carbonifère.) — Terrain houiller, calcaire carbonifère, vieux grès rouge des Anglais. Dans le plus grand nombre des cas, le terrain houiller est naturellement très-distinct du groupe du grès rouge qui lui est supérieur. Quant au vieux grès rouge, quoique dans le nord de l'Angleterre il soit parfaitement distinct du huitième groupe (celui de grauwacke qui lui est inférieur), il y a beaucoup d'autres contrées où ces deux formations ont entre elles une liaison si évidente, qu'on peut considérer le vieux grès comme n'étant, pour ainsi dire, que la partie supérieure du terrain de grauwacke.

 

Huitième groupe. (Grauwacke.) — On peut le considérer comme une masse de grès, de schistes et de conglomérats, au milieu desquels se développent accidentellement des calcaires. Des grès qui ressemblent, parleurs caractères minéralogiques, au vieux grès rouge des Anglais, occupent non-seulement la partie supérieure, mais souvent aussi d'autres étages plus inférieurs.

 

Neuvième groupe. (Terrains fossilifères inférieurs.) .— (le groupe est composé de roches schisteuses de différentes espèces, au milieu desquelles on rencontre fréquemment des composés stratifiés semblables à quelques-unes des roches non stratifiées. Les débris organiques y sont très rares.

 

Terrains stratifiés inférieurs ou non fossilifères. — Cette division comprend différentes espèces de schistes et divers composés cristallins disposés en couches, tels que du marbre saccharoïde avec lequel on voit alterner parfois du gneiss, de la protogyne, etc. Par suite de diverses circonstances, beaucoup de roches de la division précédente prennent tellement les caractères minéralogiques des roches cristallines qu'on ne peut les distinguer que par leur position géologique: l'on admet qu'en masse, les couches sédimentaires que nous venons d'énumérer sont beaucoup plus cristallines que celles de terrains stratifiés supérieurs, dont l'origine semble due à des causes essentiellement mécaniques.

 

B. Terrains non stratifiés. — Cette grande division naturelle est d'une haute importance dans l'histoire de notre globe, par la raison que les roches qui la composent ont produit, lors de leur apparition, des changements très considérables à la surface de la terre. On admet généralement que ces roches sont d'origine ignée; et en effet il est impossible de contester cette origine pour celles de ces roches non stratifiées, qui sont produites par les volcans actifs. Ce qui les caractérise principalement est leur tendance à prendre la structure cristalline, quoiqu'elle ne soit pas sensible dans plusieurs d'entre elles. Il arrive souvent que, dans la même masse, on peut observer tous les degrés, depuis la structure cristalline jusqu'à la structure compacte.

 

Parmi les minéraux qui composent ces roches, les plus abondants sont le feldspath, le quartz , la hornblende, le mica, la diallage, la serpentine, et principalement le premier (1).

 

(1) Cette classification, M. de la Bêche a ajouté un tableau synoptique, qui comprend les différents modes de classification de MM. Conybeare. Brongniart, d'Omalius d'Halloy et celle de Werner perfectionnée. Les éditions danoise, suédoise et allemande de cet ouvrage présentent, au lieu de la classification de M. de La Bêche, une comparaison entre le système de II. Leoobard et celui de M. Lyell, que j'ai cru devoir omettre ici. Je me bornerai à faire observer que le système du M. Leonhard est développé dans la Géologie qu'il fait paraître en 1836, à Stuligard, et celui de Lyell, dans les ouvrage, qu'il a publiés sous le titre de Principles of geology, et d'Eléments of qeology. Ces ouvrages out tous les deux été traduits en français, sous les auspices de M. Arago, par madame Tullia Meulien.

 

Ce système, comme tous les autres qu'on a imaginés, est presque exclusivement basé sur l'étude des terrains d'Europe. Or, bien que les observations recueillies dans d'autres parties du monde aient en général confirmé les résultats des travaux entrepris dans notre continent, on doit néanmoins s'attendre à les voir modifiés à bien des égards, lorsqu'on aura exploré sur une plus grande échelle l'écorce de notre globe. En attendant, les résultats auxquels on est arrivé n'en sont pas moins, aux yeux de tous les hommes sérieux, l'une des belles conquêtes de l'esprit humain. De ce nombre sont les théories des physiciens et des géologues sur la formation de l'écorce du globe, ou, pour me servir de l'expression consacrée, sur la création du monde. Entre ces diverses théories, celle de Léonhard s'accorde le mieux avec mon opinion personnelle. C'est pourquoi je l'exposerai ici avec quelques détails, en y apportant les modifications qu'exigent les hypothèses que je développerai ensuite (1).

(1) Cette théorie est développée d'une manière intéressante et avec plus de détails dans le traité publié par A. Petzholdt sons le titre d'Erdkunde (Leipzig. 1840).

 

CHAPITRE VI.

THÉORIE DE LA FORMATION DU MONDE.

Un illustre physicien, qui a su donner aux sciences naturelles une grande impulsion, M. Arago, a dit a que - la terre est une étoile qui, en se refroidissant, s'est couverte d'une écorce. C'est là une hypothèse qui me parait aussi belle que vraie, pourvu qu'on n'en déduise pas la supposition erronée que le soleil ou les étoiles en général sont, par rapport à la terre, à un degré inférieur de développement, supposition d'autant plus dénuée de fondement que tout ce que nous savons sur ces astres est plutôt de nature à faire supposer le contraire. D'ailleurs, rien ne nous autorise à juger du développement des étoiles d'après celui de la terre ; car, si les millions d'étoiles qui sont disséminées dans l'espace obéissent aux mêmes lois fondamentales, si elles sont formées de la même matière primitive, nous avons, d'un autre côté, toute raison de croire qu'il n'y en a pas deux qui aient parcouru exactement les mêmes phases. La variété de la création est infinie, comme la puissance du Créateur.

 

Dieu (Elohim), au commencement, créa prodigieusement les cieux et la terre; en une masse qui était fluide et sans forme, et les ténèbres étaient à la surface de l'espace sidérale, et le Souffle de Dieu en agitait le dessus des eaux. (Gen. 1:1,2)

 

Dans les temps primitifs, comme dans toutes les périodes du monde, la matière ignée a été vomie des profondeurs de la terre; les volcans encore en activité dans les différents climats sur toute la surface du globe montrent tant de conformité dans leurs phénomènes qu'on doit les considérer comme les effets d'une même cause. Des sources chaudes s'élèvent des profondeurs du globe et jaillissent en grand nombre des différentes couches de la terre. A ces faits, qui démontrent la chaleur intérieure du globe, se joint la découverte récente, aussi curieuse qu'importante, due aux sondages faits pour la construction des puits artésiens. La connaissance qu'on a eue par ce moyen de l'intérieur de notre globe nous a prouvé qu'en dépit des couches de glace qu'on rencontre en différents endroits, comme en Saxe, en Hongrie, en Russie, en Suède, la chaleur intérieure de la terre, qui est indépendante du soleil et de l'atmosphère extérieure, augmente d'une manière si surprenante, qu'à supposer que cette augmentation continuât dans la même proportion, on trouverait la terre brûlante à la profondeur d'un mille et demi géographique, c'est-à-dire à une profondeur qui n'est que le double de la hauteur du Cotopaxi, et qu'à une profondeur de cinq à six milles, tout serait à l'état de fusion.

 

Si nous nous figurons, dit Léonhard, que la terre a été originairement à l'état gazeux, ou plutôt que tous les éléments solides qui en forment la substance étaient répandus sous la forme de vapeurs dans un espace beaucoup plus grand que celui qu'ils occupent aujourd'hui, nous devrons en conclure que peu à peu la température de ces vapeurs a diminué par le dégagement de la chaleur; les corps les moins fluides et en même temps les plus lourds, c'est-à-dire les métaux, ont dû se condenser les premiers, de manière à former au centre de l'espace un noyau métallique dont la chaleur ardente devait empêcher la condensation des autres substances. Plus tard cependant d'autres matières ont dû se condenser sous l'influence de leurs affinités; de nouvelles combinaisons se sont formées. Le potassium et le sodium, à raison de leur affinité avec nombre de substances, ont sans doute joué un rôle important dans toutes ces opérations. Peu à peu la température a encore baissé. L'oxygène, l'hydrogène et le soufre, en général tous les corps non métalliques, se sont combinés et ont produit l'eau et d'autres corps. Après que la chaleur interne qui accompagna le premier mélange des éléments ont dégagé les parties ignées des parties volatiles, et que les autres substances se furent fondues en se disposant dans l'ordre de leurs affinités chimiques, il s'est formé autour du noyau de la terre une première couche de forme sphérique, composée de pierres, savoir: de gneiss, de schiste micacé et des plus anciens granits. Les premiers produits de la force créatrice intérieure de la terre, que nous retrouvons dans les plus grandes profondeurs des mines, ainsi que sur les sommités neigeuses de nombre de montagnes, sont, par conséquent, les premiers résultats de la coagulation de la surface de la terre. Nous les appelons montagnes primitives. Ce sont elles qui forment la base de tous les terrains postérieurs. A cette époque, aucune vie végétale ne pouvait encore se développer, ni aucune créature animale exister: aussi ces premières masses de roches ne contiennent-elles aucun vestige de corps organisés. Quand, par la suite des temps, le développement de la chaleur intérieure de la terre eut encore diminué, parce que la quantité de chaleur dégagée excédait celle qui se produisait, la surface de la terre se refroidit peu à peu, une partie notable de l'atmosphère qui jusque-là avait entouré le globe passa à l'état de gouttes et l'eau se précipita par torrents; il s'établit entre l'eau et la surface du globe qui se refroidissait une corrélation dont l'influence ne fut pas exclusivement mécanique, mais qui engendra aussi, par l'effet de la haute température de l'eau, des combinaisons chimiques très-variées. L'écorce du globe, alors encore assez mince, ne put opposer aucune résistance à la force expansive de l'intérieur; des lambeaux plus ou moins considérables s'en détachèrent; les couches de gneiss, de schiste micacé et de granit furent brisées et se décomposèrent; les eaux, dont la masse était fort considérable, furent violemment agitées; et, poussées par leur tendance à se maintenir à un niveau constant, elles se précipitèrent de tous côtés, en creusant leur lit dans les abîmes résultant de l'affaissement des terrains. Des étendues immenses, peut-être même toute la surface du globe, furent envahies par les eaux, qui formèrent des amas énormes de matières brisées et décomposées. Ces détritus furent l'origine des terrains ardoisiers, qui ne sont pas une formation propre, mais le produit altéré d'une formation antérieure. Cependant les éruptions continuèrent, et les bouleversements réitérés de la première écorce plutonienne, qui formait dans l'origine une seule masse continue, nous expliquent pourquoi ces masses plutoniennes ne se montrent souvent que dans quelques lieux isolés ou par bandes étroites qui sont les chaînes de montagnes. La contraction de certaines parties de l'écorce du globe produisit des fentes et des cavernes; l'eau pénétra, par ces ouvertures, jusqu'à l'intérieur du globe et occasionna de nouvelles éruptions. Le sein de la terre s'ouvrit et mit au jour les granits, les syénites, les porphyres et les calcaires anciens, qui, rompant l'ancienne écorce de gneiss, de schiste micacé et de granit, s'introduisirent dans les fentes et quelquefois aussi s'élevèrent au-dessus de la surface de cette écorce, sur laquelle ils furent rejetés. Ces masses plutoniennes secondaires, de même que les matières fondues les plus anciennes, ne renferment aucun fossile d'animaux ou de plantes, car aucun être vivant ne pouvait encore habiter la terre; elles ne renferment pas non plus de pierres détritiques ou fragments de roches arrondis et frottés les uns contre les autres par l'action d'une eau violemment agitée. En revanche, on y trouve des débris anguleux des plus anciennes masses plutoniennes; par exemple, des fragments d'anciens granits empâtés dans des granits de formation plus récente; des fragments de gneiss dans les porphyres; des morceaux de schiste micacé dans les calcaires, etc., preuve évidente que les formations plutoniennes plus récentes se sont fait jour à travers la plus ancienne écorce de la terre.

 

Les eaux ne laissèrent pas d'exercer aussi une très grande influence; elles continuèrent leur œuvre à la fois destructive et régénératrice; les matières très-variées sur lesquelles elles opérèrent formèrent, par la suite des temps, les plus anciens terrains ardoisiers, arénacés et calcaires, que la mer a peu à peu déposés et qu'on peut diviser en différents groupes, qui correspondent à autant de grandes époques dans l'histoire de la formation des terrains pendant et après les grandes révolutions qu'a subies l'écorce du globe. Les diverses formations se distinguent entre elles par des caractères particuliers; les formations neptuniennes, qui forment les terrains inférieurs, sont toujours plus anciennes que celles qui sont superposées, puisque les dépôts postérieurs ont dû se déposer sur ceux qui préexistaient. Pendant que ces dépôts neptuniens contribuaient à donner plus de consistance à l'écorce du globe et à en augmenter l'épaisseur, la puissance intérieure du globe commençait à soulever les terres, qui s'élevèrent de plus en plus au-dessus des eaux; d'abord sous la forme d'îles, ensuite sous celle de chaînes saillantes et enfin sous celle de continents. La terre commença de bonne heure à se couvrir de plantes, et l'apparition des animaux les moins parfaits coïncida à peu près avec celle des végétaux les plus simples. L'état du globe, pendant ce temps-là, doit avoir été fort différent de ce qu'il est aujourd'hui, car les restes de plantes et d'animaux trouvés dans les plus anciens terrains neptuniens appartiennent sans exception à des espèces éteintes, qui diffèrent complètement des plantes et des animaux actuels. De violentes catastrophes firent périr cette première création, ainsi que plusieurs autres, qui toutes comptent des milliers d'années; mais jamais une création ne s'est éteinte sans faire place à un nouvel ordre de choses plus parfait.

 

Tant que l'écorce coagulée du globe fut mince, il a dû régner un climat tropical, même dans les contrées les plus éloignées de l'équateur, quelle qu'ait été leur direction. Des vapeurs chaudes s'échappaient partout de l'écorce du globe, des sources bouillantes jaillissaient, les végétaux atteignaient des dimensions gigantesques, ce dont les forêts enfouies et les terrains houillers nous offrent des preuves incontestables. On est saisi d'étonnement en contemplant la puissance végétative de cette époque. Peu à peu cependant cette exubérance diminua à mesure que l'écorce du globe se refroidissait et que les climats commençaient à se différencier; en revanche, il en résulta une plus grande variété de forme dans le règne végétal. Il est probable que, pendant la première époque de la création, les rayons du soleil n'ont pu percer l'atmosphère trop surchargée de vapeurs. Selon l'avis des géologues, cette atmosphère devait être d'une autre nature que celle d'à présent, et contenir surtout une proportion plus considérable d'acide carbonique. La chaleur du soleil a dû néanmoins exercer une influence notable tant sur le développement de la terre en général que sur celui de la vie végétale et animale en particulier.

 

Pendant que le refroidissement de l'écorce du globe poursuivait sa marche, la force intérieure du globe ne restait pas inactive. Des soulèvements considérables continuaient d'avoir lieu en différents endroits, et le continent augmentait en surface; ailleurs l'océan, d'une étendue immense, soulevait ses ondes, et toute matière meuble était entraînée par les eaux, qui se chargeaient de tout ce qui pouvait être dissous. Les grands dépôts que laissa la mer formèrent de nouveaux terrains ardoisiers, arénacés et calcaires; et ces phénomènes, qui alternèrent avec des éruptions plutoniennes, quelquefois aussi avec des éjaculations de granit et de porphyre, ont dû être pendant les premiers temps assez fréquents, à en juger par le nombre de couches que l'on rencontre.

 

Lorsque les bouleversements furent devenus plus rares et qu'une plus grande régularité eut succédé à l'état convulsif des premières époques, le soleil, perçant l'atmosphère chaude et chargée de brouillards, se montra dans toute sa splendeur vivifiante; c'est alors qu'apparurent des plantes et des animaux d'une organisation plus parfaite. Enfin, lorsque tout fut disposé pour l'arrivée de l'homme, celui-ci fut créé par la main du Tout-Puissant pour occuper la première place sur cette terre, que des révolutions innombrables avaient rendue propre à lui servir de demeure durant son pèlerinage terrestre.

 

Cette théorie est d'accord, dans son essence, avec le récit du premier chapitre de la Genèse.

 

Telle est en abrégé l'histoire de la terre, histoire remarquable dont des naturalistes sont parvenus à fixer les principales époques. Il sera intéressant de comparer cette histoire de la création avec celle que nous présente le premier chapitre de la Genèse, qui, par la clarté des idées, surpasse de beaucoup toutes les cosmogonies des autres peuples anciens, et qui serait entièrement correcte s'il était permis d'attribuer, avec plusieurs savants, à l'inexactitude de quelque ancien copiste l'altération d'un mot ou d'une phrase dans le récit de la création. Mais, supposé même que de telles fautes n'aient pas été commises, on verra cependant que la Genèse, après nous avoir appris que Dieu créa au commencement le ciel et la terre, c'est-à-dire, comme le dit W. Buckland, l'univers et la masse non développée du globe terrestre, nous raconte ensuite la marche progressive de la création d'une manière conforme à ce qu'il y a d'essentiel dans la théorie géologique qui vient d'être exposée. Ainsi on y apprend que la terre s'est développée successivement; que d'abord a été créée la lumière, indispensable à l'existence de toute vie organique (Il est écrit nul part dans le Texte Sacré que Dieu créa la lumière, il dit seulement «que la lumière soit», et considérant que Dieu lui-même est Lumière, nous voyons qu'il s'agit ici de la manifestation de sa lumière qui est la source de la vie.); que les vapeurs aqueuses se sont ensuite dissipées pour former les nuages (les eaux qui sont au-dessus de l'étendue) et la mer (les eaux qui sont au-dessous de l'étendue); que la terre ferme et les eaux se sont séparées; que de bonne heure s'est développée une vie organique; que le soleil, la lune et les étoiles ont percé l'atmosphère chargée de vapeurs, pour se montrer dans toute leur splendeur (Ceci est complètement faux, le soleil, la lune et les étoiles ont été créés après que la Terre le fut.); que les êtres d'une organisation plus élevée ont alors apparu, et qu'enfin l'homme est sorti de la main du Créateur.

 

Une autre question est de savoir combien de milliers d'années se sont écoulées avant que le globe se soit recouvert d'une écorce solide et qu'il ait été rendu habitable pour l'homme. Pour résoudre ce problème, les pétrifications trouvées dans le sein de la terre sont les guides les plus sûrs. Il est, par conséquent, de la dernière importance pour les géologues de s'enquérir combien l'acte de la pétrification exige de temps pour que les parties organiques soient remplacées par des substances minérales. Au moyen de pareilles recherches et en examinant combien il a fallu de temps aux terrains neptuniens pour se déposer, on arrivera peut-être un jour à des conjectures vraisemblables sur l'âge de la terre, ou plutôt sur le minimum de temps qu'a exigé la création (Avec des conjectures on fait dire à la Bible ce qu'elle ne dit pas. On a pas à spéculer sur l'âge de la Terre lorsque les Saintes-Écritures affirment clairement que tout a été créé dans une période de sept jours de 24 heures chaque. Le mot Hébreu pour « jour » ou «YOM » ne désigne aucunement des périodes indéterminées, le terme est toujours utilisé par Moïse pour indiquer une durée de 24 heures.). Nous savons que la durée de la pétrification dépend des conditions extérieures et intérieures de l'organisme qui est destiné à subir cette transformation. C'est ainsi qu'on a trouvé enterrés dans un limon calcaire des ossements qui, pendant le court espace d'un an, s'étaient pétrifiés a tel point qu'ils ressemblaient parfaitement aux ossements d'animaux fossiles contenus dans les pierres à chaux, tandis qu'au contraire certaines sortes d'arbres ont exigé des siècles pour se pétrifier. Nous en avons un exemple frappant dans le pont que l'empereur Trajan fit construire sur le Danube au commencement de la seconde guerre contre les Daces. Par ordre de l'empereur François I", ce pont fut dix-sept cents ans plus tard soumis à un examen qui prouva que la pétrification d'un poteau de l'épaisseur de 33 centimètres n'avait avancé que de 13 millim., de sorte que, si la pétrification s'opérait toujours avec la même lenteur, il aurait fallu des milliers d'années pour que le poteau entier fût changé en pierre. On peut d'après cela se faire une idée approximative du temps qu'il a fallu pour changer en grès le fameux tronc de chêne de 1 mètre 30 c. d'épaisseur qui fut trouvé il y a quelques années près du village de Pennicuick, dans le voisinage d'Édimbourg. Ce tronc est sans doute le produit d'une des époques les plus récentes du développement du globe. Qu'on juge d'après cela de l'ancienneté qu'il faut attribuer au globe, dont l'histoire compte un si grand nombre d'époques relativement tout aussi longues. Le temps prodigieux qu'ont exigé les terrains neptuniens pour se déposer n'est pas moins surprenant. Faudra-t-il donc admettre l'opinion établie par plusieurs géologues, que le développement de la terre a exigé plusieurs millions d'années, ou est-il plus juste de réduire avec d'autres ce prodigieux chiffre à un espace plus court? Quoique les premiers s'approchent le plus de la vérité, je ne m'arrêterai pas plus longtemps à ce problème, dont, à cause de la grande difficulté de déterminer l'âge des terrains plutoniens, il sera toujours impossible de donner une solution tout à fait satisfaisante (Quel bel exemple de lâcheté scientifique de la part de l'auteur qui prétend supporter les Saintes-Écritures.).

 

CHAPITRE VII.

DES PRINCIPAUX MAMMIFÈRES ANTÉDILUVIENS ET DES CIRCONSTANCES DANS LESQUELLES ON LES TROUVE.

 

Au milieu des nombreuses questions que soulève l'étude de la terre, il en est trois qui ont pour nous un intérêt tout particulier, en ce qu'elles se rattachent plus directement à l'histoire de l'homme.

Ces questions, les voici:

1. Les terrains diluviens qui renferment des restes de plantes et d'animaux d'une organisation parfaite doivent-ils leur origine à des inondations partielles, ou à une ou plusieurs inondations générales, et notamment au déluge (diluvium) de la Genèse?

2. Quel a été le climat de la terre avant le déluge ?

3. La race humaine a-t-elle existé avant le déluge, et est-ce cette catastrophe qui l'a fait périr en partie ou en totalité?

 

Répondant à ces questions, je tâcherai de prouver dans les pages suivantes:

1. Que nombre d'inondations ont eu lieu durant le développement du globe, qu'en particulier les formations diluviennes les plus récentes proviennent d'une vaste inondation qui a envahi toutes les parties du monde, et dont il faut rechercher la cause dans un événement lié de la manière la plus intime à l'histoire entière du développement de la terre (Il faut « rechercher la cause » dans une intervention divine, et nul part ailleur.);

2. Qu'immédiatement avant cette inondation les climats étaient tout aussi variés que de nos jours, mais que le changement qui s'est opéré dans les régions boréales qui jouissaient auparavant du climat des tropiques, résulte des mêmes causes qui ont produit l'inondation (Il est faux que les climats étaient variés. Il y avait une seule température stable et universelle pour toute la Terre. Ceci fut changé seulement après le Déluge, lorsque les glaces couvrirent une grande partie de la Terre pour faire abaisser les eux du Déluge. Ce fut le début de l'hiver, saison que les hommes ne connaissaient pas auparavant.);

3. Et enfin qu'il est non-seulement possible, mais très-probable, que, lors de cette inondation et de ce changement de climats, la terre était peuplée par une race humaine qui n'a pas entièrement péri dans ces révolutions, de sorte que ce que nous enseigne l'Écriture Sainte sur le déluge se trouve confirmé dans ce qu'il y a d'essentiel (Il n'est pas « très-probable » mais assurément vrai que la Terre était peuplé par la race humaine et que seulement huit personnes survécurent à ce cataclysme).

 

De la solution de ces problèmes dépend l'interprétation de plusieurs phénomènes géologiques très-intéressants. Nous aurons à traiter en particulier des êtres organiques, et surtout des mammifères d'un ordre plus élevé enfouis dans des terrains diluviens, ainsi que des circonstances les plus remarquables au milieu desquelles on les a rencontrés (1).

(1) William Buckland a fait la description la plus détaillée des terrains diluviens et des débris d'animaux qui s'y trouvent, dans son fameux ouvrage: Reliquiœ diluvianœ or observations on the organic remains, contained in caves, fissures and diluvial gravel, and on other geological phenomena attesting the action of an universal deluge. London , 1824, 2e édition. Dans cet ouvrage, Buckland a démontré l'existence des terrains diluviens non-seulement dans tous les pays d'Europe, mais aussi dans les autres parties du monde. Voici sa définition des terrains diluviens, page 2: « I apply it to those extensive and general deposits of superficial loam and gravel, which appear to bave been produced by the last great convulsion, that has affected our planet, and with regard to the indications afforded by geology of such a convulsion, I entirely coincïde with the views of M. Cuvier in considering as bearing undeniable évidence of such a recent and transient inundation. » Dans son ouvrage: Discours sur les révolutions de la surface du globe, 6e édition, pages 288-289, Cuvier explique ces formations de la manière suivante: » Les couches les plus superficielles, ces bancs de limon et de sable argileux, mêlés de cailloux roulés provenus de pays éloignés et remplis d'ossements d'animaux terrestres en grande partie inconnus ou au moins étrangers, semblent surtout avoir recouvert toutes les plaines, rempli le fond de toutes les cavernes, obstrué toutes les fentes de rochers qui se sont trouvés à leur portée. Décrites avec un soin particulier par M. Buckland sous le nom de diluvium, et bien différentes de ces autres couches également meubles, sans cesse déposées par les torrents et par les fleuves, qui ne contiennent que des ossements d'animaux du pays, et que M. Buckland désigne sous le nom d'alluvium, elles forment aujourd'hui, aux yeux de tous les géologues, la preuve la plus évidente de l'inondation immense qui a été la dernière des catastrophes du globe. »

 

« Ayant moi-même consacré un soin tout particulier à l'étude des terrains de transport du Nord (Rullesteensformatiouerne), qui, ainsi qu'on le verra par la suite, ne sont que des formations diluviennes, je n'hésite pas à me ranger à la théorie de Buckland et de Cuvier dans ce qu'elle a d'essentiel; mais, d'un autre côté, je pense aussi que les formations diluviennes ne sont pas le résultat d'une seule, mais de plusieurs catastrophes générales survenant à différentes époques. Je partage à cet égard l'opinion émise par plusieurs auteurs modernes, et en particulier par Omalins d'Halloys, qui s'exprime ainsi ( Éléments de néologie, 2e édition , Paris, 1835, § 684 ): « Toutefois, il y a lieu de croire que les divers dépôts que nous avons rangés dans le terrain diluvien sont le résultat de plusieurs et non d'une seule catastrophe; mais cette circonstance ne s'oppose pas à ce que nous continuions de considérer le nom de déluge comme s'appliquant à la dernière de ces révolutions, et que nous en recherchions les causes sans craindre de nous appuyer des effets qui proviendraient de catastrophes antérieures, puisque tout nous prouve, ainsi que l'on verra ci-après, que ces catastrophes étaient des phénomènes de même nature produits par les mêmes causes. »

 

Le mammouth (elephas primigenhu) est un des animaux les plus remarquables du monde antédiluvien dont on ait trouvé des restes enfouis dans les terrains diluviens.

 

 

Il était voisin à bien des égards de l'éléphant des Indes, qu'il surpassait cependant en grandeur, puisqu'on lui assigne de 4 à 6 mètres de haut sur une longueur proportionnée. Ses défenses courbées, dont on a fréquemment trouvé des restes, ont jusqu'à 5 mètres de long. Une autre espèce (elephas jubatus) était couverte d'une laine rousse et avait une crinière noire. La Sibérie est la contrée où l'on a trouvé le plus de restes de mammouth, et les habitants de ce pays, surtout les Samoyèdes et les Toungouses, racontent les choses les plus fabuleuses sur le compte de ces animaux. Ils vivraient, selon eux, dans des souterrains, où ils se creuseraient des passages et se nourriraient de terre. Jusqu'ici on n'a pas trouvé de débris de mammouth dans les pays qu'habite l'éléphant d'aujourd'hui, d'où il faut conclure qu'à aucune époque ces animaux n'ont vécu ensemble; en revanche, on rencontre assez fréquemment des mammouths en Amérique et dans presque tous les pays de l'Europe, en Angleterre, en Espagne, en France, dans les Pays Bas, dans plusieurs contrées de l'Italie, de la Suisse, de l'Allemagne, de la Pologne, de la Suède, etc., mais surtout en Russie.

 

Un autre animal, dont l'espèce est éteinte, et qui, à plusieurs égards, n'est pas moins remarquable que le mammouth, c'est le mastodonte, qui semble avoir appartenu à la même famille, et dont on trouve souvent les restes accompagnant ceux du mammouth. II est à présumer qu'il surpassait ce dernier en longueur, sans être aussi haut sur jambes. On en distingue huit espèces, dont l'une avait 6 mètres de long sur 4 de haut. Le mastodonte avait, comme le mammouth, une trompe et des défenses qui quelquefois atteignaient la longueur de 4 mètres; il avait les jambes hautes et le cou très-court. Il parait qu'il se nourrissait de plantes, qu'il arrachait à l'aide de sa trompe. Sa principale patrie semble avoir été l'Amérique septentrionale, où on le trouve très-fréquemment; ses débris sont surtout fréquents sur les bords de l'Ohio, ce qui lui a valu le nom d'animal de l'Ohio. Il semble avoir recherché de préférence les contrées marécageuses; cependant M. Alexandre de Humboldt en a trouvé des ossements sur les Andes, non loin de Quito, ainsi que près de Santa-Fé de Bogota, à une hauteur de 2,700 mètres au-dessus de la surface de la mer. On le trouve aussi en Asie et en Europe, surtout en France, en Italie, en Suisse, en Autriche et en Bavière.

 

Un troisième animal fort remarquable, qu'on présume avoir atteint les dimensions de l'éléphant, mais qui jusqu'ici n'est guère connu, parce qu'il n'y a pas longtemps qu'il a été découvert, c'est le dinothérium. Cet animal avait de 5 à 6 mètres de long; on en connait la partie antérieure de la tète, qui a 2 mètres de long sur 1 mètre 50 centim. de large; la mâchoire inférieure était armée de deux défenses courbées en avant. On a voulu rapporter cet animal à la famille des tapirs, mais il est démontré aujourd'hui que c'est un genre à part. D'autres géologues l'ont rangé parmi les cétacés, à cause de la forme de son nez et de la manière dont sa nuque se joint a la tête.

 

Le sivatherium est un autre colosse des temps antédiluviens. On en a découvert récemment le crâne dans les monts Himalaya. Quant aux dimensions, cet animal ne le cède en rien a l'éléphant; l'os de son nez, recourbé en forme de trompe, semble indiquer qu'il était doué d'une trompe flexible. Les orbites de ses yeux étaient grandes; il portait sur le front, entre les yeux, deux cornes, derrière lesquelles il en avait deux autres divisées en trois branches. Sa forme était probablement trapue.

 

Le genre des paresseux compte parmi ses représentants fossiles un animal remarquable connu sous le nom de megatherium ou de paresseux géant. Cet animal avait une longueur de 4 mètres 50 centim. sur une hauteur de 2 mètres 60 centim., de sorte qu'il surpassait par ses dimensions nos plus grands rhinocéros. Il était couvert d'une armure; sa marche doit avoir été lourde et pénible; ses pieds de devant, qui avaient 60 centim. de long sur plus de 30 centim. de large, étaient armés de griffes pour creuser et remuer la terre. Il semble s'être nourri des tiges de plantes, qu'il broyait à l'aide de ses longues dents. On trouve de ses ossements dans les terrains diluviens de l'Amérique septentrionale et méridionale, surtout au Brésil, au Paraguay, à Buenos-Aires.

 

On ne sait pas avec certitude si le megalonyx appartenait à la même famille; car cet animal a des rapports à la fois avec le paresseux et avec le didelphe et le fourmilier. On en connaît deux espèces, dont l'une est d'une taille inférieure à celle du megatherium, mais supérieure cependant à celle du bœuf d'aujourd'hui. Le célèbre George Washington a le mérite d'avoir été le premier qui ait dirigé l'attention du naturalistes sur le squelette d'un mégalonyx trouvé dans une caverne en Virginie.

 

Parmi les animaux plus voisins de ceux de notre époque, il faut citer l'élan géant ou le cerf aux bois gigantesques, dont les cornes avaient de 4 mètres à 4 m. 50 c. d'une extrémité à l'autre. On le rencontre surtout fréquemment en Irlande. Pendant l'espace d'une vingtaine d'années , on a trouvé dans un seul jardin fruitier les ossements d'une trentaine de ces animaux.

 

Les carnassiers de cette époque surpassaient en force et en grandeur leurs analogues d'aujourd'hui, avec lesquels ils avaient du reste les plus grands rapports, et quant à leur organisation et quant à leur genre de vivre. C'est ainsi que l'on a trouvé en Angleterre, en France et en Allemagne, dans plusieurs cavernes de la période diluvienne, des restes d'hyènes, de tigres et d'ours, qui étaient beaucoup plus grands et plus voraces que ceux connus actuellement. Le rhinocéros, le cheval, le cochon, le bœuf, dont on connaît trois espèces, ainsi que plusieurs autres animaux de cette période, étaient aussi plus grands que ceux d'aujourd'hui. A en juger par les restes qu'on en a trouvés en Angleterre, en France, et principalement dans la vallée de l'Arno en Italie, il a existé plusieurs espèces d''hippopotames; une de ces espèces avait assez de rapport avec l'hippopotame d'Égypte; une autre était d'une taille à peine supérieure à celle du cochon.

 

Parmi les nombreuses cavernes diluviennes de l'Angleterre, de la France, de la Belgique et de l'Allemagne, qui ont fourni une quantité considérable de débris d'animaux éteints, il faut citer en première ligne la caverne près de Lunel-Vieil, non loin de Montpellier, et la fameuse caverne de Kirkdale, non loin de York en Angleterre, ainsi que la grotte nouvellement découverte de Yealmbridge, au sud-est de Portsmouth. La première de ces cavernes renferme des restes d'au moins trente-trois espèces d'animaux mammifères. Les ossements d'hyènes y sont les plus nombreux; ceux de l'ours, du chien, du chat sont moins fréquents; les débris du rhinocéros, du cochon, du castor, du lièvre, de la souris sont encore plus rares; en revanche, ceux du cerf, du bœuf et du cheval s'y rencontrent en très-grande quantité. Parmi les animaux dont on trouve des débris dans la caverne de Kirkdale, on compte les suivants: la hyène, le tigre, l'ours, le loup, le renard, la belette, l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, le cheval, le bœuf, trois espèces de daims, le lièvre, le lapin, le rat d'eau, la souris, le corbeau, le pigeon, l'alouette, le canard et un oiseau qui ressemblait à la grive. M. Buckland, dans son ouvrage mentionné plus haut « Reliquiae diluvianae, n a cherché à expliquer comment un si grand nombre d'animaux appartenant à des genres aussi différents que l'éléphant, le rhinocéros et la hyène, dont on compte de deux à trois cents individus, à en juger d'après le nombre de dents canines, ont pu se trouver réunis dans une seule caverne. L'auteur suppose que cette caverne a servi de demeure à plusieurs générations d'hyènes, et qu'à l'exemple des hyènes d'aujourd'hui, elles dévoraient les individus qui venaient à mourir; qu'en même temps elles entraînaient dans leur caverne les cadavres de toutes sortes d'animaux du voisinage, dont elles ne laissaient que les dents et les os les plus solides. M. Buckland explique ainsi pourquoi ce sont ces ossements qui se rencontrent le plus fréquemment, tandis que les ossements moins solides ont été dispersés ou brisés, et que ceux qu'on en a trouvés sont souvent rongés par des dents d'hyène. Cette explication est d'autant plus vraisemblable qu'on a trouvé dans cette même caverne une quantité considérable de coprolithes ou d'excréments pétrifiés d'hyène, c'est-à-dire de petites boules calcaires, remplies de débris osseux, qui prouvent l'extrême voracité de cet animal.

 

J'ai déjà fait remarquer qu'avant le déluge le règne végétal s'était développé avec plus de vigueur qu'actuellement. Il suffira d'ajouter ici qu'on a souvent trouvé, même dans les pays du Nord, en Allemagne, en Sibérie, dans le Canada, et même au Groenland, des restes de plantes tropicales et de très-grands arbres, non-seulement de conifères, mais même d'arbres fruitiers et de palmiers.

 

Ce ne sont pas seulement les proportions gigantesques et l'abondance extraordinaire des végétaux et des animaux antédiluviens qui méritent l'attention du naturaliste et de tout observateur sérieux; il est un autre fait non moins curieux à constater, c'est qu'on trouve fréquemment des restes d'êtres organiques dans des contrées où on ne devrait pas les supposer d'après leur genre de vie actuel. Ainsi, nous trouvons en Angleterre, en France, en Allemagne, des débris d'animaux qui aujourd'hui n'existent que dans les climats chauds, tels que l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, l'hyène, le tigre, etc. Les éléphants ne sont même nulle part plus fréquents qu'en Sibérie, tandis que la vraie patrie du mastodonte semble avoir été les contrées de l'Amérique septentrionale. On peut faire la même remarque à l'égard de certains végétaux , du palmier, par exemple, et d'autres plantes tropicales qu'on trouve pétrifiées dans le Groenland, et qui, selon toute apparence, n'auraient pas pu vivre dans les conditions climatériques actuelles de ces pays. Plusieurs de ces plantes et de ces animaux fossiles ont été recueillis simultanément dans les contrées les plus chaudes de l'Amérique, au Mexique, au Pérou, et dans plusieurs autres pays jouissant d'une haute température. L'étude comparative de plus de deux cent cinquante débris de plantes fossiles, trouvés dans les terrains houillers de l'Angleterre, de la France, de la Belgique, de la Bohême, du Canada et de la Baie de Baffin, a conduit les botanistes a penser qu'elles appartiennent presque toutes aux mêmes espèces.

 

D'où vient que les débris des mêmes animaux et des mêmes plantes se rencontrent sous des climats si différents? c'est là un problème géologique qui a fourni matière à une infinité d'hypothèses, les unes fort ingénieuses, les autres complètement absurdes, et qui peut-être est destiné à exercer encore longtemps la sagacité des physiciens. Mais, comme il n'existe aucun phénomène qui ne puisse être expliqué conformément aux lois fondamentales de la nature, je vais essayer à mon tour de résoudre la question. L'hypothèse que je propose est le résultat de longues et persévérantes recherches; mais, avant de l'exposer ici, je crois devoir mentionner succinctement quelques-unes des théories qui ont eu cours jusqu'ici parmi les naturalistes.

 

CHAPITRE VIII.

DIFFÉRENTES HYPOTHÈSES SUR LA PRÉSENCE DES PLANTES ET DES ANIMAUX DES TROPIQUES DANS LA ZONE SEPTENTRIONALE.

 

Une hypothèse qui a joui d'un certain crédit jusque dans ces derniers temps est la suivante: On suppose que les régions tropicales sont la véritable patrie des plantes et des animaux antédiluviens, et que leur présence dans les zones boréales et froides est le résultat d'une ou de plusieurs inondations qui les y auraient transportés des régions équatoriales. Cette théorie devait paraître d'autant plus vraisemblable, qu'il avait été prouvé par l'étude de la géologie et par celle des traditions historiques qu'à une certaine époque la mer avait envahi le continent, de manière à en submerger la plus grande partie. Pour se rendre compte du déplacement des plantes, on ne croyait pas même avoir besoin de recourir à l'hypothèse des inondations, puisque le Gulfstream, venant du golfe du Mexique, transporte le long de la côte orientale de l'Amérique du Nord, jusque sur la côte du Groenland, non-seulement des troncs d'arbres, mais aussi des graines et des fruits. Cela étant, on trouvait tout naturel qu'une partie de ces débris de végétaux s'y trouvassent à l'état de fossiles. Cependant des recherches plus approfondies devaient démontrer l'insuffisance de cette hypothèse, qui attribuait au transport par les eaux une influence évidemment exagérée. A supposer même qu'une partie des troncs fossiles eût pu être déplacée de cette manière, il est impossible d'admettre que les parties délicates des végétaux aient pu être transportées à des milliers de lieues de leur origine et conserver leur forme primitive assez intacte pour en laisser des empreintes aussi parfaites que celles qu'on rencontre fréquemment. Quant aux animaux, plusieurs circonstances nous prouvent qu'ils ont en général vécu dans les endroits où l'on a trouvé leurs débris fossiles; le grand nombre d'ossements d'hyène et d'autres animaux de proie des cavernes de France et d'Angleterre, et les circonstances au milieu desquelles ils s'y trouvent, ne permettent pas de douter que ces animaux n'aient vécu dans ces contrées. Blumenbach a fait la remarque qu'en 1803 ou connaissait déjà en Allemagne des ossements fossiles de plus de deux cents éléphants et de trente rhinocéros. On a déterré plus de cinq cents hippopotames dans la vallée de l'Arno, et, selon le témoignage du célèbre naturaliste russe Pallas, il n'y a pas dans la Russie d'Asie, depuis le Don jusqu'au détroit du Bering , un seul fleuve où l'on n'ait signalé des débris d'éléphant et d'autres animaux étrangers: aussi la grande quantité de défenses d'éléphant qu'on y trouve alimente-t-elle depuis un temps immémorial le commerce d'ivoire qui est très-important dans ces contrées. Au nord du pays des Samoyèdes on en recueillait autrefois des masses si considérables que, durant nombre d'années, il arrivait toutes les années a Saint-Pétersbourg des caravanes chargées de ces défenses. On raconte qu'il arrive encore annuellement à Jenisaisk un vaisseau dont la cargaison consiste principalement en dents de mammouth. On a trouvé des blocs de glace renfermant des cadavres entiers de ces animaux tout gelés, ce qui prouve bien qu'ils sont originaires des mêmes contrées où l'on trouve actuellement leurs ossements, et dont le climat autrefois chaud s'est subitement refroidi. C'est ainsi qu'en 1770 Pallas découvrit dans les sables gelés des rives du Wilni un rhinocéros avec ses poils, sa peau et sa chair, réduit à l'état de momie. En 1799, une masse de glace de 80 mètres de hauteur se déposa sur les côtes de la mer glaciale, non loin de l'embouchure du fleuve du Lena, et en 1804, pendant qu'elle fondait, on y trouva le cadavre d'un mammouth. Il fut malheureusement maltraité de plusieurs manières; un chef des Tongouses lui ôta les défenses, les Jakutes voisins en coupèrent la chair pour en nourrir leurs chiens, et les animaux de proie dévorèrent le reste. Les savants russes parvinrent néanmoins à retrouver tout le squelette, à l'exception des défenses et de l'une des jambes de devant. Le cou était pourvu d'une longue crinière, et les restes de la peau étaient couverts d'un poil roux et laineux. On réussit ensuite à réunir les parties enlevées au squelette, qui fut acheté par l'empereur Alexandre à raison de 8,000 roubles. Il orne maintenant le musée de Saint-Pétersbourg. On peut se faire une idée des proportions colossales de cet animal d'après sa tète, qui pèse deux cents kilos, et ses défenses qui en pèsent deux cent quatre vingt.

 

Une seconde hypothèse, qui a moins de valeur que la première, suppose que le climat actuel des contrées boréales où l'on trouve des os de mammouths n'est pas un obstacle à ce que ces animaux y aient vécu. Les défenseurs de cette hypothèse font observer que même de nos jours plusieurs espèces d'animaux, et surtout les tigres, qu'on supposait naguère ne pouvoir vivre que dans les climats chauds, pénètrent bien avant dans la Sibérie. Les restes de rennes trouvés dans les tourbières du Danemark et du nord de l'Allemagne, ajoutent-ils, font également foi de l'ancienne existence de cet animal dans ces pays. La circonstance que le mammouth, trouvé aux environs du fleuve Lena, était couvert d'un poil laineux, semble enfin démontrer, selon eux, que sa destination était de vivre dans un climat froid.

 

Une explication fut proposée il y a peu d'années par un savant anglais, M. Ranking, qui, après un séjour prolongé dans l'Hindostan et en Russie, prétendit que les ossements pétrifiés du mammouth trouvés en Europe et en Sibérie provenaient des éléphants dont les Romains et les soldats du Mogol faisaient usage dans leurs guerres, dans leurs chasses, et pour leurs fêtes et leurs cérémonies religieuses. L'auteur a cherché à rattacher cette opinion aux recherches qu'il avait faites sur les limites jusqu'où ces peuples ont pénétré, et sur les rapports de ces pays avec les contrées où les débris dont il est question ont été recueillis. Mais on conçoit difficilement que ces peuples, qui savaient apprécier l'ivoire, aient laissé derrière eux les défenses des éléphants morts en route; si même c'eût été le cas, cela ne suffirait pas pour rendre compte du nombre considérable de ces animaux en Sibérie. Ajoutez encore qu'on a trouvé des restes d'éléphants dans des contrées que les Romains et les habitants du Mogol n'ont jamais visitées, circonstance qui ne permet pas d'admettre que ces animaux, contrairement à leur disposition naturelle, ont été transférés dans ces contrées froides. S'il n'est pas vraisemblable que ces animaux aient été transportés en Sibérie, il y a encore moins lieu de supposer qu'ils aient de leur propre gré recherché les neiges et les glaces de ces régions, qui, même au milieu de l'été, ne sauraient offrir une nourriture convenable a des animaux d'une taille aussi colossale. La circonstance que, surtout pendant l'été, certaines espèces de tigres pénètrent assez en avant dans la Sibérie ne prouve rien contre la règle générale; et, quand on fait observer que dans l'antiquité le renne a probablement vécu dans des contrées plus méridionales et sous des climats plus chauds qu'actuellement, on oublie que le climat du Danemark et de l'Allemagne, où se trouvent des restes de cet animal, a été, même dans les temps historiques, plus froid qu'à présent, lorsque le sol était couvert de forêts épaisses et de terrains incultes. Il ne faut pas oublier non plus que ces pays, alors moins peuplés, offraient à ces animaux une retraite tranquille et paisible. Mais, à supposer qu'à l'aide de conclusions arbitraires on parvînt à appliquer l'hypothèse mentionnée aux animaux antédiluviens, il resterait toujours à expliquer l'apparition des végétaux des tropiques dans un climat entièrement incompatible avec leur nature.

 

Cette objection a suscité une troisième hypothèse qui veut que la position du globe terrestre à regard du soleil ait été dans les temps primitifs différente de ce quelle est aujourd'hui, différence qui a dû être causée par le déplacement de l'axe de rotation de la terre. Selon cette théorie, la cause du déplacement serait une cause extérieure, probablement le choc d'une comète ou d'un autre corps céleste. Quoique nous ne possédions pas de données positives pour réfuter cette hypothèse, je crois néanmoins qu'elle doit être rejetée comme contraire à la fixité des lois de la nature. Aussi bien aucune crainte ne me paraît plus dénuée de fondement que celle de la destruction du globe terrestre par le choc d'une comète, qui a si souvent préoccupé le genre humain. Une pareille catastrophe serait contraire à tout ce que nous connaissons de la constance et de la régularité des lois qui gouvernent l'univers (Évidemment l'auteur ne vivait pas au 21ie siècle et ne pouvait voir la fausseté de ce qu'il vient d'affirmer. Il y a amplement d'évidences de nos jours qu'une comète ou d'un astéroïde gigantesque accompagnés de plusieurs météorites auraient frappés la Terre au temps du Déluge, et par après au temps de la construction de la Tour de Babel. Ce fut le cataclysme initial qui fragmenta le Continent Terre en différentes sections, telles que nous les voyons de nos jours.).

 

 

Si les révolutions du globe ne dépendent pas d'influences extérieures, ce sera dans son intérieur même que nous aurons à rechercher leur cause. Il n'est pas nécessaire pour cela de voir dans les révolutions de la terre une conséquence forcée de son développement; et la preuve qu'il n'en est pas ainsi, c'est qu'aucune des hypothèses qui supposent un déplacement de l'axe n'a pu soutenir jusqu'ici un examen approfondi. On a, par exemple, supposé qu'il fut un temps où l'axe de rotation était perpendiculaire à l'orbite du globe, tandis que le globe tourne maintenant sur lui-même dans un plan de rotation formant avec l'équateur un angle d'environ 23°. Pour appuyer cette hypothèse, on a dit que depuis deux mille ans l'inclinaison de l'écliptique a diminué de vingt trois minutes une seconde, et que la conséquence de cette diminution, en supposant qu'elle se continuât avec la même régularité, serait, qu'après cent trente-huit mille ans, l'axe de la terre se trouverait de nouveau perpendiculaire à l'orbite, que les jours et les nuits seraient d'égale longueur, et qu'il n'y aurait alors qu'une seule saison invariable. Mais, en raisonnant de la sorte, on oublie que les étés tempérés, qui, d'après cette hypothèse , auraient continuellement régné dans une partie de la Sibérie, n'auraient pas suffi pour des animaux des tropiques, de même que l'hiver et les glaces éternelles qui auraient existé dans les régions boréales en auraient nécessairement exclu les palmiers et autres végétaux équatoriaux. On a de plus négligé ce fait important démontré par les astronomes, que l'inclinaison de l'axe sur l'orbite de la terre augmente et diminue périodiquement, et que cette variation, qui, d'après Laplace, n'excède pas 1 1°, est de si peu de conséquence, qu'elle ne peut guère avoir d'influence sur le climat. C'est la raison pour laquelle d'autres géologues ont supposé que l'axe du globe a eu jadis une autre direction, ou, pour mieux dire , que la position des pôles et de l'équateur du globe a été toute différente de ce qu'elle est aujourd'hui. M. Klugel a essayé de prouver, par une série de calculs faits avec beaucoup de soins, que le pôle sud était autrefois situé aux environs du cap de Bonne-Espérance, et que le pôle nord du côté opposé du globe, se trouvait placé dans la mer Pacifique, à environ .40° de latitude septentrionale, ce qui expliquerait d'une manière satisfaisante pourquoi on trouve des débris pétrifiés de plantes et d'animaux tropicaux en Europe, dans l'Asie septentrionale, dans la Nouvelle-Hollande, dans l'Amérique septentrionale et méridionale. Mais d'autres physiciens ont objecté que le résultat des mesures des degrés aux environs du cap de Bonne-Espérance, s'accorde entièrement avec celui des mesures faites dans l'Europe septentrionale et dans le Pérou, lorsqu'on admet, conformément à la théorie généralement adoptée, que le globe terrestre est un peu aplati sous les pôles actuels et élevé sous l'équateur. Ils ont de plus fait observer que la mesure des degrés du méridien au cap démontre que cette contrée a une élévation plus grande que celle de la France, tandis que le contraire devrait être le cas, si l'hypothèse de Al. Klugel était fondée. Plusieurs naturalistes modernes rejettent même entièrement la possibilité d'un déplacement de l'axe; et, dans l'assemblée des naturalistes à Copenhague, M. Hansteen a émis l'opinion que l'aplatissement du globe sous les pôles, de même que son élévation sous l'équateur, conséquences nécessaires de l'action opposée de la force centripète et de la force centrifuge, n'a pu s'opérer que dans les premières périodes de la formation du globe, quand la masse dont se compose son écorce était encore fluide ou molle. Il ne croit pas non plus a la possibilité que des êtres organisés qui, comme les mammouths, occupent un rang élevé dans l'échelle des êtres, aient pu exister dans ces premières périodes.

 

Voici maintenant une quatrième et dernière hypothèse qu'on a formulée à peu près comme suit: Autrefois le climat des tropiques régnait sur la surface entière du globe terrestre; mais, par l'effet d'une révolution coïncidant avec le déluge, la température a subi une brusque altération, à la suite de laquelle le froid a envahi les contrées éloignées de l'équateur, principalement celles près des pôles. Cette hypothèse, sous plusieurs rapports en opposition avec la précédente, a été adoptée par la plupart des géologues modernes, et peut être considérée comme celle qui dans ce moment jouit du plus grand crédit. Elle ne me parait cependant pas satisfaisante; elle tranche le nœud gordien et ne le dénoue pas. Aussi, on a été obligé d'avoir recours à des conjectures, dont une partie n'est pas justifiée par l'expérience. Quoique je sois fermement convaincu que le froid a subitement envahi plusieurs contrées qui jouissaient autrefois du climat des tropiques, je ne puis cependant pas embrasser l'opinion de ceux qui admettent qu'avant l'ordre de choses actuel le climat des tropiques régnait sur tout le globe sans que cette température fût l'effet du soleil, non plus que l'opinion de ceux qui veulent que le soleil ait alors agi d'une tout autre manière que maintenant, ni enfin celle de ceux qui croient que le soleil a agi de la même manière qu'aujourd'hui, mais que des circonstances survenues au sein de la terre ou dans l'atmosphère ont contribué à hausser la température dans certaines contrées. J'ai montré au commencement de ce livre que les premières époques de la formation du globe avaient dû jouir d'une chaleur très-intense, qui n'a diminué que graduellement; il me parait très-probable que le climat des tropiques a régné sur toute la surface du globe durant quelques-unes des périodes subséquentes du développement du globe, alors que le feu intérieur avait encore la faculté de réchauffer l'écorce encore assez mince du globe, et que des sources chaudes jaillissaient en abondance du sein de la terre, sans tenir compte d'autres circonstances qui devaient aussi contribuer à réchauffer l'atmosphère. Mais cela ne prouve nullement que les plantes et les animaux d'un ordre plus élevé, notamment les mammifères terrestres, aient pu se passer de la chaleur vivifiante du soleil, qui, selon toute apparence, est en rapport intime avec l'électricité, le magnétisme et les autres agents physiques du globe, et qui, sans doute, a coopéré pour sa part à la formation de l'écorce de la terre ainsi qu'au développement des êtres organiques qui l'habitent. Au reste, il serait difficile, même en appelant à son secours les rayons du soleil, de prouver qu'un climat tropical a régné sur toute la terre pendant les dernières périodes de la formation du globe, particulièrement pendant celle qui a dû précéder immédiatement le déluge. La connaissance que nous avons de la réfraction de la lumière et de la nature de l'atmosphère ne nous permet pas d'admettre que le soleil ait pu, par exemple, darder ses rayons perpendiculairement sur toute la surface du globe, ni que l'atmosphère ait pu les transmettre à la terre d'une autre manière que de nos jours. II serait bien plus simple de se ranger à l'avis de ceux qui admettent que le soleil a, à la vérité, agi de la même manière que de nos jours, mais que des influences particulières, émanées du sein de la terre ou de l'atmosphère, ont fait hausser la température sous les latitudes boréales, soit qu'un développement électromagnétique de chaleur se soit opéré par l'intermédiaire des volcans, alors nombreux vers les pôles, ou que, dans cette période, l'écorce du globe ne fût pas encore refroidie autour des pôles, supposition qu'on croit pouvoir fonder sur la présence en ces contrées de volcans et d'autres phénomènes semblables; soit que l'atmosphère tout entière eût alors une température plus chaude, qui aurait subi un refroidissement ou brusque ou graduel. Mais on peut objecter à cette explication qu'il a été démontré par M. Schouw, célèbre naturaliste danois, que les mêmes végétaux ont depuis un temps immémorial crû aux mêmes lieux, ce qui prouve par conséquent que la chaleur de l'atmosphère n'a point diminué, du moins dans les temps historiques. D'un autre côté, le fait qu'on a trouvé en Sibérie des rhinocéros et des mammouths, pris dans la glace et qui par conséquent ont dû être gelés aussitôt que tués, nous dit assez que le changement de température qui a produit ces effets n'est pas survenu lentement, mais qu'il a dû être au contraire très-brusque. Si c'était l'atmosphère qui se fût refroidie, il faudrait admettre qu'avant cet événement la température du globe allait comme aujourd'hui en augmentant du pôle à l'équateur, dans la même proportion qu'actuellement; si donc les pôles étaient doués d'une autre température équatoriale, là chaleur des régions tropicales, par cela seul qu'elles recevaient les rayons du soleil perpendiculairement, aurait dû être telle qu'il eût été impossible à des animaux conformés comme ceux d'aujourd'hui d'exister; et pourtant nous trouvons des débris de mammifères fossiles dans les pays tropicaux de l'Amérique. Tout nous autorise donc à croire que la chaleur de la zone torride n'a pas été avant le déluge d'une intensité beaucoup plus forte qu'actuellement.

 

Il ne nous reste maintenant plus qu'à examiner l'hypothèse selon laquelle le climat des régions éloignées des tropiques, et notamment des régions polaires, aurait été réchauffé par une chaleur émanée du centre de la terre. A supposer qu'il en fût ainsi, il sera toujours difficile, pour ne pas dire impossible, de prouver que les animaux d'une organisation plus élevée aient pu vivre dans une atmosphère semblable à celle d'une serre chaude, ou que les aurores boréales et le clair de lune aient pu remplacer pour eux la lumière vivifiante du soleil. On a essayé, il est vrai, d'appuyer cette conjecture sur le fait qu'on peut faire éclore des œufs de poule par la chaleur artificielle, mais cela ne prouve pas que cette chaleur soit suffisante pour le développement d'êtres organiques d'un ordre plus élevé, qui exigent, pour vivre et se reproduire, des conditions extérieures tout à fait différentes.

 

On voit que chacune de ces hypothèses présente des difficultés insurmontables, et, quelle que soit l'autorité des noms qui leur ont prêté leur appui, je ne puis m'empêcher de les trouver insuffisantes. Aussi me range-je du coté des géologues modernes qui rejettent toute hypothèse qui ne s'accorde ni avec l'expérience ni avec les lois de la nature (Aucune considération pour les lois divines ne sont prises par l'auteur, malgré ses prétentions à supporter les Saintes-Écritures.). C'est encore par cette considération que je récuse l'hypothèse du célèbre géologue Agassiz, selon laquelle le globe aurait éprouvé pendant son développement une sorte de fièvre qui tantôt aurait glacé sa surface et tantôt provoqué en tous lieux une chaleur tropicale. Je récuse par la même raison l'hypothèse plus ingénieuse, mais non moins arbitraire, de M. Poisson, selon laquelle notre système solaire aurait rencontré dans son trajet à travers l'espace des régions tantôt froides, tantôt chaudes. Je suis porté à croire que le froid qui s'est subitement emparé de plusieurs contrées antérieurement en possession d'un climat tropical a été l'effet d'un déplacement d'axe, et que ce déplacement s'est répété à plusieurs reprises durant le développement du globe. Cette hypothèse présente, à mon avis, le seul moyen d'expliquer d'une manière satisfaisante nombre de phénomènes géologiques qui jusqu'ici étaient restés inexpliqués. Je penche à croire que la température du globe s'est abaissée tant soit peu durant et immédiatement après chaque déplacement d'axe, mais que, pendant la durée des dernières périodes du développement du globe, les rapports climatériques ont été les mêmes qu'actuellement. Ce sont ces déplacements réitérés et les courants auxquels ils ont nécessairement donné lieu qui ont porté les naturalistes les plus distingués à imaginer les hypothèses en partie extravagantes que nous venons de passer en revue. Je crois, pour ma part, que les différents déplacements de l'axe sont des effets du développement progressif du globe, quel que soit l'agent immédiat qui les provoque. Je vais plus loin, et je dis que chacun de ces déplacements a donné au globe une nouvelle forme, et que les grands soulèvements et les affaissements de l'écorce du globe ont été en grande partie la conséquence de ces révolutions, qui, plus que toutes autres, étaient de nature à soulever des chaînes de montagnes (Il a été prouvé que les chaînes de montagnes se formèrent après le Déluge du temps de Péleg qui vivait lors de la construction de la Tour de Babel. Il aurait été impossible aux animaux qui sortirent de l'arche de Noé de descendre les monts escarpés de l'Hermon, si les chaînes de montagnes auraient été soulevées avant que l'arche trouve son repos final dans cette région. De même il aurait été impossible à ces animaux de se répandre sur toute la surface de la Terre si celle-ci n'aurait pas été un seul Continent à cette période.). Je ne nie pas que le feu souterrain ne joue un rôle très-important dans l'histoire du développement du globe, même dans les périodes géologiques les plus tranquilles; mais je crois que c'est à l'action des forces centripète et centrifuge que revient la plus grande part dans les catastrophes violentes qui ont agité notre globe. Ce sont ces forces qui, en brisant de grandes portions de l'écorce terrestre, ont provoqué les phénomènes volcaniques dans toute leur intensité, jusqu'à ce que, le déplacement de l'axe étant effectué, une nouvelle période plus tranquille, semblable à la période actuelle, a recommencé. Mais, tout en admettant que, durant le développement du globe, l'axe de la terre a été déplacé à plusieurs reprises, ce que nombre de faits géologiques semblent attester de la manière la plus convaincante, il faut convenir que les connaissances que nous avons jusqu'ici de l'histoire du développement du globe, en particulier des soulèvements des montagnes, sont trop imparfaites pour qu'il soit possible d'indiquer avec certitude la position antérieure des différents axes. Je n'essaierai pas non plus de démontrer systématiquement que l'axe du globe a été déplacé a plusieurs reprises. Je veux seulement prouver, par une série de faits géologiques et historiques, que la catastrophe la plus récente du globe a été l'effet d'un déplacement de l'axe. Les preuves de la dernière révolution sont, ainsi qu'on le verra ci-après, beaucoup plus évidentes que celles qu'on peut alléguer en faveur des déplacements antérieurs. Néanmoins, j'espère que, si je parviens à convaincre le lecteur de la possibilité d'un déplacement, il me sera facile de prouver que cette catastrophe a été précédée d'autres de la même nature.

 

CHAPITRE IX.

PREUVE QU'AVANT LE DERNIER DÉLUGE LES CONTINENTS ÉTAIENT PLUS ÉTENDUS, ET QUE LE LITTORAL DES DIFFÉRENTES PARTIES DU MONDE ÉTAIT PLAT OU FAIBLEMENT INCLINÉ.

 

Tout individu qui a examiné avec attention le littoral des différentes parties du globe doit être frappé de sa forme tonte particulière et du nombre de baies et de bras de mer qui entament de toutes parts le continent que nous habitons. D'un autre côté, l'expérience nous apprend que les irruptions partielles de la mer ont la faculté de creuser des baies et des bras de mer peu profonds. Nous sommes donc en droit d'en conclure qu'avant les grandes révolutions du globe, et notamment avant le déluge, le littoral des différentes parties du monde était plat et doucement incliné vers la mer, que les ports étaient peu profonds et que cette quantité de baies et de bras de mer que nous voyons actuellement et qui, d'après l'opinion des géologues , sont pour la plus grande partie l'ouvrage des eaux, n'existaient pas encore.

J'ai déjà fait observer que les terres ont principalement été formées par les soulèvements de l'écorce du globe qui ont forcé la mer à se retirer. Si cette écorce a été sujette à de fréquentes ruptures, celles-ci ont dû se manifester de préférence aux lieux où l'écorce était le plus tendue, c'est-à-dire loin des côtes. Cette hypothèse se trouve confirmée par la circonstance que les plus grands massifs de montagnes occupent le centre des plus grands continents, et qu'en général le sol s'incline partout du côté de la mer, comme le prouve le cours des fleuves. Lorsque les côtes sont escarpées, c'est en général par suite des ravages de la mer, soit qu'elle ait enlevé une partie du sol autrefois doucement incliné, ou qu'elle se soit creusé un lit. L'épaisseur de l'écorce du globe a donc été diminuée près des côtes, ce qui explique pourquoi les volcans se rencontrent le plus souvent près de la mer. Ces érosions de la mer, enlevant des étendues considérables aux anciennes terres, sont attestées par les faits historiques dans une foule de localités. Nombre de traditions historiques démontrent que, non-seulement les inondations de la mer ont jadis causé des altérations considérables dans la forme du littoral des différentes parties du monde, mais que la mer a même englouti des contrées très-étendues. Un coup d'œil jeté sur le littoral des différents pays suffit pour faire naître cette idée, qui devient presque une certitude quand on considère les nombreuses données historiques et géologiques qui l'appuient, quoiqu'il soit probable qu'on ne parviendra jamais à indiquer avec exactitude toutes les altérations causées par les eaux. On comprend qu'il n'entre pas dans mon plan de faire ici une énumération détaillée des changements que le littoral des différentes parties du monde a dû subir à la suite des différentes catastrophes occasionnées par les invasions de la mer, ni de développer les preuves de tel ou de tel changement dont il existe des témoignages géologiques. Je me bornerai à tracer un tableau rapide de la forme supposée des différentes parties du monde avant la dernière catastrophe diluvienne , et des altérations que ces parties ont subies par suite de cette catastrophe. Aussi bien pour atteindre le but principal de cet ouvrage (qui est de prouver ou du moins de rendre vraisemblable que c'est au déplacement de l'axe du globe qu'il faut attribuer le déluge universel), il nous importe bien plus de montrer que cette hypothèse est fondée dans tous ses points essentiels, que d'exposer en détail les différents changements qu'a éprouvés la surface du globe, ce qui serait l'objet d'une géologie systématique et complète au-dessus de la portée de nos connaissances actuelles.

J'admets donc comme première base de mon hypothèse que le littoral des différentes parties du monde, était plat et doucement incliné vers la mer, avant que les eaux, par suite de violentes catastrophes, en eussent altéré la forme. Cela posé, je vais essayer d'esquisser en quelques traits la forme des différentes parties du monde avant la dernière catastrophe (1).

(1)Pour l'intelligence de cet exposé, il aérait désirable que le lecteur eut sons lel vem des cartes exactes.

1. En examinant l'Europe, nous voyons que les côtes les plus exposées aux invasions de la mer sont pour l'ordinaire les plus escarpées. Nombre de faits géologiques et historiques prouvent que plusieurs golfes et bras de la Baltique ont été creusés par cette mer, qui a détaché plusieurs des îles danoises du continent en les séparant les unes des autres(2). De même, il a été prouvé que l'Angle(erre était autrefois unie à la France; que l'Irlande, les Hébrides et les Orcades faisaient partie de l'Écosse; que, si le détroit de Gibraltar n'a pas été creusé, il a du moins été considérablement élargi par une inondation ; que la plupart des golfes de la Méditerranée ont été formés par une pareille catastrophe ; que la Sardaigne était unie à l'île de Corse, et la Sicile à l'Italie; que la plupart des îles de l'archipel grec, dont plusieurs sont d'origine volcanique, étaient attenantes au continent, et que les détroits des Dardanelles et de Constantinople sont du moins en partie les résultats des révolutions de la mer. On est encore autorisé à supposer que toutes les côtes de l'Europe ont subi des changements plus considérables que ceux dont on peut avec sûreté démontrer les traces. De même, il faut croire que de grandes étendues de terre ont été détachées des côtes de la Norvège, de la Grande-Bretagne et de l'Espagne, sans parler des altérations qu'ont dû subir les côtes autour de la Méditerranée. Plusieurs géologues portent leurs hypothèses encore beaucoup plus loin, mais toujours est-il certain qu'il fut un temps où l'Europe, ainsi que les autres parties du monde, avait, du moins du côté de l'Occident, une étendue bien plus considérable qu'actuellement, de telle sorte que la mer a dû reprendre une partie du terrain que le feu lui avait antérieurement enlevé.

(2) Voyes le petit Traité sur la formation de la mer Baltique de M. Forchuaramer, dans le Staatsbûrqerliehra Magaztn.

2. Il en est de même de l'Asie. On ne peut guère douter que la plus grande partie de cette masse d'îles qu'on voit le long de sa côte orientale n'aient fait partie de son continent. Aussi la tradition raconte-t-elle que l'île de Ceylan, ainsi que plusieurs îles voisines de la côte méridionale de l'Asie, furent détachées du continent par une révolution de la mer (1). La structure géologique des côtes nous autorise encore à admettre que des parties considérables ont été englouties par la mer, qui a dû élargir, sinon creuser le détroit de Cook et celui de Béring. Des recherches ultérieures prouveront aussi qu'une partie des golfes de la mer glaciale, près du pôle nord, ont été creusés par cette mer.

(1)Cette même tradition nons raconte aussi, mais sans doute faussement, que l'île de Ceylan était le Paradis, la demeure primitive d'Adam et d'Eve. C'est par suite de cette tradition qu'on fait encore des pèlerinages h la montagne d'Adam.

3. L'Afrique porte aussi les marques d'une action violente de la mer, particulièrement sur la côte de Sierra-Leone, sur plusieurs points de la côte de Guinée, au Cap, sur la côte de Mozambique. Il se peut bien qu'on ne parvienne jamais à prouver l'hypothèse, qui, du reste, parait très-vraisemblable, que l'île de Madagascar, ainsi que les îles moins grandes de Bourbon, d'Ile de France, les Séchelles, les Amirantes et d'autres, ont fait partie du continent de l'Afrique ; mais la forme échancrée et escarpée des côtes et des îles mentionnées n'en restera pas moins comme un témoin de la violence de la mer.

4. De toutes les parties du monde, l'Amérique est celle où la mer a laissé les traces les plus manifestes de son action. Il est à regretter que le littoral si étendu de cette partie du monde n'ait pas encore été l'objet de recherches aussi exactes que celles que messieurs Alexandre de Humboldt, Bonpland, mon compatriote Lund (au Brésil) et d'autres savants distingués ont faites dans l'intérieur des terres. C'est en particulier le littoral occidental, depuis le cap Horn jusqu'au détroit de Cook, qui offre les preuves les plus convaincantes de la force prodigieuse de la mer, surtout dans sa partie méridionale, du côté du Chili, où les côtes sont en général très-escarpées.

Je ne conteste pas que ces côtes escarpées et fortement découpées ne doivent en partie leur caractère à la simple action des vagues de l'Océan agité par les tempêtes ; je ne disconviens pas non plus qu'après la formation des côtes des masses de roches primordiales n'aient pu se soulever du sein de la terre h peu près aux endroits mêmes où nous les voyons actuellement ; mais ces influences n'ont pas été les seules en jeu, car, dans ce cas, le littoral aurait, sinon toujours, du moins ordinairement, formé un talus qui se serait prolongé sous le niveau de la mer. Or, on ne trouve aucune trace d'un pareil talus ; au contraire , c'est précisément le long des côtes occidentales de l'Amérique que la mer a le plus de profondeur, comme c'est aussi le cas sur la côte occidentale de la Norvège et la côte orientale de l'Asie. La partie méridionale de l'Amérique, la Terre de Feu et le détroit de Magellan ne portent pas moins l'empreinte de la véhémence de la mer ; en revanche, le reste de la côte orientale de l'Amérique méridionale semble avoir moins souffert à mesure qu'on remonte vers le Nord. L'archipel du golfe du Mexique et toute la côte orientale de l'Amérique septentrionale ont éprouvé des changements très-violents. Il est probable que les îles de cet archipel étaient jadis en grande partie réunies au continent de l'Amérique, et qu'elles en ont été arrachées lorsque des irruptions formèrent ou du moins élargirent la baie du Mexique , ainsi que celles de Hudson et de Baffin, séparèrent du continent l'Ecosse nouvelle, la Terre-Neuve, le Groenland et plusieurs îles, et, selon toute apparence, arrachèrent même l'Islande du Groenland.

5. Nous connaissons jusqu'ici trop peu de chose de l'Océanie pour en pouvoir tirer des preuves de la grande puissance destructive de la mer. Tout ce qu'on sait avec certitude, c'est qu'une grande partie de ses iles ont une origine volcanique, que d'autres sont des bancs modernes de corail, et que grand nombre d'entre elles ont été soulevées au-dessus de la mer après le déluge. Selon plusieurs savants, la plus grande partie de l'Océanie tenait cependant au continent de l'Asie, et il y a longtemps que Steffens a émis l'idée ingénieuse qu'il y a eu une période dans laquelle il est à supposer que la Nouvelle-Guinée, la Louisiade, les Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande, ainsi que la Nouvelle-Hollande, formaient une grande presqu'île, dont la pointe méridionale était située entre le pays de Van Diemen et la Nouvelle-Zélande, vers le 30' de latitude méridionale; que cette presqu'île, réunie à l'Asie par un isthme, formait avec cette partie du monde un grand continent qui, dans sa forme et daus son développement, devait avoir la plus grande conformité avec l'Amérique, tandis que l'Europe occidentale, qui, selon des données géologiques, a dû être, du moins pendant un temps, séparée de l'Asie, formait conjointement avec l'Afrique un troisième continent à peu près semblable. M. Forchhammer a développé cette idée d'une manière aussi intéressante que profonde. Je partage cette opinion en tout ce qu'elle a d'essentiel; mais je crois qu'à l'égard de l'étendue des continents on peut encore aller plus loin.

 

CHAPITRE X.

L'EUROPE, L'ASIE ET L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE ÉTAIENT

RÉUNIES AVANT LE DÉLUGE ET FORMAIENT UN SEUL

CONTINENT.

 

On sait que l'Europe et l'Asie sont aujourd'hui réunies parles grandes plaines de la Russie, qui ont été soulevées au-dessus du niveau de la mer dans une période géologique relativement très-récente. On peut supposer, et je tâcherai de développer cette idée plus tard, qu'il a existé une période géologique plus reculée durant laquelle une grande partie de ces plaines était à sec , et qu'à cette époque l'Europe, l'Asie et l'Amérique septentrionale se joignaient au pôle nord de manière à former un continent d'une étendue prodigieuse, se prolongeant vers le pôle sud en trois presqu'îles, savoir : l'Amérique méridionale , l'Afrique et l'Océanie. C'est des débris de cet ancien continent que des révolutions violentes ont formé les terres actuelles.

Cette hypothèse paraîtra peut-être téméraire au premier abord; mais j'espère qu'après avoir parcouru ce traité on ne la trouvera pas dénuée de fondement. Ce qui parait certain , c'est qu'autrefois, avant que la mer ne recouvrit une partie des continents de ses eaux, la terre ferme occupait un espace beaucoup plus considérable que de nos jours. Dès lors le nombre des animaux antédiluviens aux proportions gigantesques n'a plus rien d'étonnant, puisqu'ils étaient en rapport avec l'étendue des continents aux époques où ils ont vécu, et que ces continents, comme nous le verrons plus tard, étaient plus appropriés que les terres actuelles au développement énergique du monde organique.

 

CHAPITRE XI.

LE DÉLUGE A ÉTÉ CAUSÉ PAR UN DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE.

 

L'examen approfondi des irruptions de la mer conduit à un autre résultat non moins important, savoir : que les irruptions qui ont eu lieu à une période géologique très rapprochée de nous sont toutes survenues pour ainsi dire simultanément, ce qui tendrait à prouver que le récit que nous fait la Bible de la catastrophe du déluge est conforme à la vérité dans tout ce qu'il a d'essentiel. Or, une inondation pareille n'a pu être occasionnée que par un déplacement de l'axe du globe. A l'aide de cette hypothèse, que je tâcherai de justifier, j'espère arriver à une explication satisfaisante de plusieurs phénomènes géologiques du plus grand intérêt , qui jusqu'ici sont restés inexpliqués.

Quand on jette un premier coup d'œil sur le littoral des continents et des îles, on est tenté de rejeter, comme contraire à toute vraisemblance, l'hypothèse qui attribue la configuration principale de la terre aux effets d'une seule inondation universelle. Il est clair que l'inondation ou l'invasion de la mer qui a produit les baies et les bras de mer a dû pénétrer dans le continent en suivant la direction que le courant lui avait imprimée partout où elle n'a pas été contrariée par la résistance de roches solides ou d'autres obstacles. Par conséquent, la forme des baies et principalement leur direction longitudinale doivent, ce me semble, indiquer de quel côté sont venues les eaux qui ont causé l'inondation. Mais il est à remarquer que les contours d'un même continent sont souvent de nature à faire supposer des invasions venues de différents côtés, ce qui est par conséquent contraire à l'idée d'une seule et même catastrophe. Ainsi, dans le continent occidental de l'Europe, la Grande-Bretagne et l'Irlande ont conservé les traces d'une inondation venue du sud-ouest, puisque les baies de ces contrées ont une direction nord-est, tandis que dans le nord de l'Europe, par exemple dans les environs de la Mer Blanche, l'inondation semble être venue ù peu près du nord-ouest et du nord ; enfin , dans la partie sud et sud-est de cette partie du monde, elle semble avoir suivi différentes directions. La direction des bras de mer dans l'Asie septentrionale nous montre que l'inondation y est venue à peu près du nord, tandis que la mer d'Ochotz, la Mer Jaune, la baie de Tunkin dans l'Asie orientale, semblent indiquer une invasion venant du sud-est. Dans la partie méridionale de l'Asie, la baie du Bengale parait avoir été formée par une irruption venant du sud, tandis que la côte occidentale si fortement découpée de l'Inde, le golfe de Cambodja , ainsi que le golfe Persique et la Mer Rouge, paraissent se rattacher, sinon entièrement, du moins en partie, à une invasion de la mer venant du côté du sud-est. En Afrique, l'inondation aurait suivi des directions non moins variées. Ainsi, elle aurait donné naissance à la Mer Rouge en suivant une direction sud-est ; la baie de Guinée, avec ses îles adjacentes, suppose au contraire une direction sud-ouest ; enfin, la forme du pays du Cap semble indiquer que l'inondation s'y est dirigée du nord-est au sud et de là au nord-ouest, de manière qu'elle aurait arrondi le continent de l'Afrique en tournoyant. Je ne m'arrêterai pas à l'Océanie, puisque les différentes directions du cataclysme y sont moins apparentes. Quant à l'Amérique, je ferai observer que la côte occidentale tout entière indique un courant venant à peu près du sud-sud-ouest, qui a pour ainsi dire échancré la côte, tandis que la baie de Baffin, le détroit de Hudson, la baie du Mexique et d'autres points portent les traces d'une invasion de la mer venant du sud-est. — Malgré cette diversité dans la direction des irruptions de la mer, il se pourrait néanmoins que toutes ces révolutions, non-seulement eussent coïncidé, mais encore qu'elles se rattachassent à la même catastrophe, qui, à mes yeux, n'est autre que la conséquence d'un déplacement de l'axe de rotation.

Si nous admettons qu'avant le déluge le pôle nord était situé à peu près au point de jonction du méridien de l'île de Ferro avec l'équateur actuel, et le pôle sud du côté opposé, de manière que les pôles actuels aient été traversés par l'équateur d'alors, on conçoit qu'un changement pareil n'a pas pu s'effectuer sans provoquer une grande inondation qui a dû non - seulement submerger les terres en tout ou en partie, mais encore exercer l'influence la plus énergique sur les littoraux qui étaient les plus exposés à la violence de la mer. Pour déterminer la direction des principaux courants de cette inondation, il importe de prendre en considération les mouvements réguliers du globe à cette époque, et plusieurs autres circonstances de la plus haute importance. Mais avant d'indiquer les conséquences d'un déluge occasionné par un déplacement de l'axe, il sera nécessaire d'examiner préalablement les points suivants :

1. Si le déplacement de l'axe, nonobstant les objections qu'on a faites en général à une pareille révolution, a été possible;

2. Si la position que j'attribue à l'are de rotation avant le déluge nous offre le moyen d'expliquer plusieurs phénomènes du plus haut intérêt, surtout le phénomène géologique si remarquable de la quantité de débris d'animaux et de végétaux de dimensions colossales trouvés dans des lieux, où , selon les relations climatériques actuelles , on ne pourrait s'attendre à les rencontrer. Je rappellerai seulement la découverte qu'on a faite de cadres d'animaux gigantesques antédiluviens dans les glaciers de la Sibérie.

3. Si on ne doit pas rechercher la cause du déplacement de l'axe du globe et du déluge, qui selon moi en a été la conséquence, dans le développement intérieur du globe même, et si on ne doit pas considérer cette révolution comme rentrant dans les plans de la Providence, autant du moins que nous sommes à même d'en juger.

1. Une première objection qui se présente à l'esprit de quiconque veut prouver la possibilité d'un déplacement d'axe, c'est sans contredit la circonstance déjà mentionnée, que l'affaissement du globe sous les pôles et son élévation sous l'équateur, conséquences nécessaires de l'action opposée des forces centripète et centrifuge, n'ont pu s'opérer que pendant les premières périodes du développement de la terre, lorsque toute sa masse était encore, sinon fluide, du moins flexible, et qu'aucun être organique ne pouvait exister. Je commencerai par faire observer qu'il est attesté par de nombreuses preuves géologiques que l'écorce du globe a subi des altérations très-considérables à des époques géologiques très-récentes. C'est ainsi que plusieurs parties de la Méditerranée se sont élevées pendant la période actuelle d'environ 650 mètres au-dessus du niveau de la mer. A la même époque, la grande plaine de l'Europe orientale a été exhaussée. C'est d'ailleurs un Fait incontestable que l'écorce du globe n'a pas encore de nos jours acquis assez de solidité pour résister à l'action des forces intérieures, puisque nous avons vu dans les temps modernes des parties considérables de territoire se soulever, les unes subitement, comme la côte du Chili en 1822, les autres lentement, comme certaines parties du Danemark. Dans certaines contrées, comme au Groenland, le sol s'affaisse, tandis qu'il s'élève et s'affaisse alternativement dans d'autres pays; il en est ainsi dans plusieurs districts de la Suède et de l'Italie. Il est clair par conséquent que l'écorce du globe n'a pas perdu toute sa flexibilité. Quant aux mesures de degrés, qu'on n'a faites que dans quelques endroits, elles prouvent seulement la forme sphéroïdale actuelle du globe, mais n'autorisent en aucune façon à conclure que telle était la forme du globe à l'époque du déluge, qui est éloignée de nous d'au moins 4200 ans (1). L'objection en question me paraît ainsi plus apparente que fondée. Je prétends même que l'examen des particularités du globe confirmera la possibilité d'un déplacement de l'axe.

(1) Les mesures de degrés les plus importantes sont celles qu'on a faites en France et en Laponie pour s'assurer rie l'exactitude des anciennes mesures, ainsi que celles qui uni en lien aux Indes, en Angleterre, riens le Hanovre, eu Russie et en Danemark. Elles oui toutes été faites par des savants du premier rang, munis des tneillenrs instruments, et avec un loin qui ne laisse aucun doute sur leur ctactitude. Eu comparant la deuxième et la quatrième colonne de la table synoptique contenue dans l'Astronomie populaire de M. \V . Herschell, et que nous reproduisons ici, on verra que la longueur d'un degré augmente à mesure qu'on approche du pôle ; qu'elle est à son mavimum près du pôle, au min,mum vers l'équateur : de sorte qu'il est bien évident que le globe est un sphéroïde. Mais cela n'autorise pas la conclusion que le globe n'a pas pu avoir une autre forme à une époque plus reculée.

Les matières qui composent actuellement les parties solides du globe étaient d'abord, comme je l'ai déjà fait observer, dissoutes et répandues dans l'espace à l'état de gaz: mais, en se condensant plus tard, elles ont dû Subir des combinaisons violentes propres à en altérer à tout moment l'équilibre. Il est par conséquent peu vraisemblable que ces matières si peu cohérentes aient, dans cet état primitif, été animées d'un mouvement rotatoire autour de leur axe. L'idée que nous nous formons de l'Être-Suprême et des lois éternelles de la nature s'oppose à la supposition que le Créateur serait intervenu arbitrairement dans le développement du globe pour produire ce mouvement de rotation. Il me parait donc plus probable et plus conforme à l'idée d'un plan conçu par le Créateur dès les premiers âges du développement du globe, d'admettre que la rotation n'a commencé qu'après que le globe eût en quelque sorte atteint un certain degré de maturité. Je présume par conséquent que l'action puissante qui fait tourner notre globe autour de son axe dans l'espace de vingt-quatre heures doit être cherchée dans le développement de l'écorce terrestre, ainsi que dans la composition et l'organisation intérieure du globe, et je déclare franchement que je ne puis adhérer à la théorie ingénieuse de Laplace et de Kant à l'égard du développement de notre système solaire. Il ne me parait pas que cette théorie offre une explication satisfaisante du cours extraordinaire et excentrique des comètes. Or comme il est vraisemblable, selon les expériences les plus récentes, que notre globe a été un jour une nébuleuse qui s'est changée d'abord en comète et ensuite en planète, il en résulte que la théorie que nous combattons, et qui est encore à plusieurs autres égards en opposition directe avec les expériences géologiques, n'est pas apte à rendre compte de toutes les révolutions du globe(1), J'ose d'ailleurs espérer qu'il sera évident, pour quiconque parcourra le présent ouvrage, que la théorie en question est loin d'être d'accord dans toutes ses parties avec les lois de la physique. .Mais en même temps, je dois faire la remarque expresse que, si je ne la trouve pas satisfaisante en tous points, ce n'est pas que je sois assez téméraire pour nier les vérités incontestables que nous a révélées l'astronomie, et que je regarde comme les preuves les plus irrécusables de la grandeur de l'esprit humain. Que Dieu me préserve d'une pareille folie ! Mais les calculs des astronomes peuvent être de la dernière exactitude, et néanmoins la théorie du mouvement des corps célestes reposer sur des suppositions erronées. C'est ce dont nous avons un exemple frappant dans le célèbre Tycho-Brahé. Comme astronome, il était certainement supérieur à Copernic ; mais, ne voulant pas adopter la théorie ingénieuse exposée par ce dernier cent ans plus tôt, il persista à prétendre, probablement par des motifs d'une piété mal entendue, que c'était le soleil qui tournait autour de la terre.

 

(1) Voici an résumé de cette théorie empruntée à la physique d'Oersted , 2e édition , § 412 : " Représentons-nous d'abord le système solaire dans son état non développé , et l'espace qu'il occupe rempli d'une substance aériforme dilatée. La force attractive duit finir par former un globe de cette matière. Figurons-nous ensuite ce globe animé d'un mouvement rotatoire autour de son axe : il en résultera qu'une partie de la matière sera chassée vers l'équateur de ce globe aériforme de manière à l'entourer d'un anneau qui, sous la forme d'une espèce d'élévation ou de convexité, resterait intimement lié à la masse principale, si celle-ci ne cherchait sans cesse à se condenser et par là à se séparer de l'anneau, qui finira par se détacher entièrement. Si un équilibre parfait ne soutient pas 1ontes les parties de l'anneau , celui-ci devrait nécessairement se briser et se contracter ensuite par la force attractive jusqu'à ce que ses différentes parties Unissent par former un globe. La force tendant n suivre la tangente que la masse tient de son premier mouvement de rotation duit, avec ta force attractive de la masse principale , forcer le nouveau globe à décrire une orbite autour de la masse primitive. De plus, comme toutes les parties' dont se compose ce nouveau globe n'ont pas une vitesse égale, il en résultera un mouvement autour de son axe. Une série de condensations consécutives ont dû produire une série de globes. Comme la masse qui leur a donné naissance s'est de plus en plus condensée , il faut que la densité de la masse de ces globes augmente eu proportion de leur proximité du soleil, si toutefois d'autres puissances n'y ont pas mis obstacle. Tout porte à croire qu'il doit régner dans le soleil un grand développement de chaleur, qui duit nécessairement produire une atmosphère très-considérable, qu'il faut prendre en considération lorsqu'on se propose de déterminer la grandeur de cet astre. La théorie qui vient d'être exposée explique pourquoi toutes les planètes forment comme une ceinture autour du soleil, attendu qu'elles ont tontes dû se former dans l'équateur de cet astre , dont les oscillations , ainsi que celles des planètes, doivent être circonscrites dans des limites fort étroites.

» Ce qui s'est opéré dans le grand globe nébuleux a pu se répéter dans les moindres avant qu'ils ne fussent condensés, ce qui nous explique l'origine des lunes. Si, au contraire , la formation de l'anneau s'est faite à une telle distance du globe principal que la force centripète et la force centrifuge y fussent en équilibre, l'anneau restera intact, sans aucune altération, comme un monument du développement primitif du système solaire. Saturne nous offre un pareil phénomène dans l'anneau qui l'entoure. Une planète entourée de ses lunes est, relativement an soleil , ce que celui-ci est par rapport à un système supérieur, où des orbites de soleils décrivent une ceinture autour d'un centre, comme nous le voyous dans la voie lactée. De tels systèmes, composés de systèmes solaires, peuvent encore faire partie d'autres systèmes d'un ordre plus élevé, et ainsi de suite. "

J'ai la conviction que la géologie finira par nous révéler un jour une théorie de la formation du globe non moins simple et ingénieuse que celle de Laplace; mais, il faut en convenir, la route qu'on a suivie jusqu'ici n'est pas de nature à conduire à ce résultat, aussi longtemps du moins qu'on s'obstinera à vouloir expliquer les phénomènes de la terre par ceux du ciel. Laplace, il est vrai, avait été obligé de procéder de cette manière, attendu que de son temps l'histoire des révolutions qu'a éprouvées notre globe était encore inconnue; mais il est évident que, maintenant que l'on commence à la connaître, c'est à la terre elle-même que nous devons demander le secret de son organisation. Le géologue qui scrute l'histoire du développement de notre planète ne doit pas s'inquiéter si les résultats de ses travaux sont conformes à tel ou tel système astronomique.

S'il trouve, par exemple, que l'axe de notre globe s'est déplacé à plusieurs reprises durant son développement, il devra démontrer cette proposition par des preuves géologiques , et, s'il est possible, en recourant aussi aux données historiques. Ce sera ensuite au mathématicien et au physicien d'examiner si le fait de plusieurs déplacements de l'axe s'accorde avec la théorie de Laplace, ou s'il est nécessaire d'en inventer une nouvelle.

Mon but n'est pas de proposer une nouvelle théorie de la création. Comme il sera démontré plus tard que le globe doit avoir changé d'axe au moins une fois, je me bornerai ici à examiner succinctement s'il est possible que l'écorce du globe, malgré sa force et sa solidité, ait pu changer de forme à une époque aussi rapprochée de nous que celle où vivaient les races éteintes des grands mammifères fossiles. Un examen impartial de cette hypothèse, qu'on a jusqu'ici rejetée, servira, je l'espère, à lui donner plus de vraisemblance.

Le diamètre polaire est, d'après Laplace, seulement d'1/309 ou, selon d'autres, d'environ 1/300 plus petit que le diamètre équatorial, ce qui fait à peu près 6 milles géographiques, de sorte qu'aux pôles on n'est que d'environ 'A milles plus rapproché du centre du globe qu'on ne l'est à l'équateur. Il est reconnu par de nombreuses observations que la température du sol augmente à mesure qu'on pénètre dans le sein de la terre, et cela dans une progression si surprenante, qu'à la profondeur d'un mille et demi géographique la température approche de celle du fer rouge, et qu'à la profondeur de 5 à 6 milles géographiques la masse est à l'état de fusion incandescente. Mais, supposé même qu'on n'admette pas cette conclusion, toujours est il que l'écorce du globe est extrêmement mince par rapport à son diamètre, qui est d'à peu près 1,720 milles, et à sa circonférence, qui est d'à peu près 5,400 milles, c'est-à-dire qu'en se représentant la terre sous la forme d'un globe d'un mètre de diamètre, la croûte solide n'aurait guère que l'épaisseur d'une feuille de papier. Le centre de notre globe est, selon toute apparence, occupé par un noyau solide; le globe n'est donc pas creux, encore moins, comme on l'a naïvement prétendu, peuplé d'êtres vivants. Cependant pour quiconque a suivi avec attention l'histoire du développement du globe, surtout les phénomènes qui ont dû accompagner son refroidissement graduel à partir de la surface ; pour quiconque a fait attention aux rapports intimes qui existent entre les volcans répandus à la surface du globe', ainsi qu'à la violence de leurs irruptions; pour quiconque a observé les déplacements auxquels ont été assujetties des parties considérables de l'écorce du globe à des époques très-rapprochées de nous, pour celui-là il ne saurait y avoir incompatibilité avec les lois de la nature, à supposer que l'écorce du globe ne repose pas immédiatement sur un fondement solide, mais qu'elle forme comme une voûte autour du noyau intérieur, semblable aux nuages qui voguent dans l'atmosphère. A ceux qui voudraient révoquer en doute la possibilité de ce phénomène, il suffirait de rappeler l'anneau de Saturne, qui forme également une voûte autour de sa planète. Mais, supposé qu'on rejette cette hypothèse ainsi que cette autre, qui veut que dans l'intérieur du globe tout soit en fusion, et qu'il y règne entre les forces centripète et centrifuge équilibre parfait, il n'en est pas moins vrai qu'il doit exister entre l'écorce du globe et son noyau de nombreuses et prodigieuses cavités, des réservoirs, des feux souterrains, qui permettent des soulèvements et des affaissements très-considérables ou même des écroulements de l'écorce du globe.

On ne peut donc nier la possibilité qu'il n'y ait dans l'intérieur du globe des cavités assez considérables pour permettre un affaissement de trois milles géographiques, ou d'environ 1/300 de la distance qui sépare la surface du centre. Ce qu'il nous importe par conséquent d'examiner, c'est si des affaissements et des soulèvements comme ceux qu'occasionnerait un déplacement de l'axe doivent nécessairement provoquer une dislocation générale de l'écorce du globe. La première fois que je m'adressai cette question, je crus devoir y répondre par l'affirmative. Une telle révolution me semblait d'ailleurs en même temps si chimérique, que j'aurais entièrement abandonné mon hypothèse d'un déplacement d'axe, et par conséquent toute ma théorie, si des raisons géologiques et historiques ne m'avaient forcé à la reprendre.

Peu à peu je vis cependant disparaître les objections auxquelles j'avais d'abord attribué tant de poids. En répartissant sur la surface entière du globe d'une part l'affaissement et d'autre part le soulèvement que le déplacement de l'axe aurait dû provoquer depuis les pôles jusqu'à l'équateur, je trouvai que le soulèvement et l'affaissement n'équivalent qu'à 1/900 de l'étendue; en d'autres termes, qu'une partie de la surface du globe qui aurait 900 pieds de longueur ne devrait s'élever que d'environ un pied vers le nouvel équateur, et ne s'affaisser que d'un pied vers le nouveau pôle : de sorte que la flexion que subira l'écorce du globe, même en supposant le plus grand changement de sa forme, serait très-faible en proportion de l'étendue de sa surface et en comparaison des contournements bien plus considérables que nous voyons que cette écorce a éprouvés en certains lieux. Ajouter encore, ce que je tâcherai de prouver plus tard, que la courbure de l'écorce du globe s'est opérée bien lentement, et la crainte d'une fracture complète deviendra tout à fait illusoire. Si l'on considère en outre que la surface de la terre est d'environ 9,282,000 milles carrés, tandis que son épaisseur est fort peu considérable, puisque, comme je viens de le faire remarquer, elle n'excède guère quelques milles; si enfin on songe combien a dû être faible la résistance que cette écorce mince et étendue pouvait opposer à la puissance prodigieuse de la force centripète et de la force centrifuge, on conviendra que, quelque forte que puisse être l'écorce du globe, surtout si l'on considère son enveloppe de rochers, elle n'en a pas moins dû céder, à l'instar d'un vêtement agité par le vent, aux forces agissant dans l'intérieur du globe. Si donc un déplacement d'axe a eu lieu, c'est que l'écorce du globe avait assez de flexibilité pour prendre une nouvelle forme, tout en conservant en plusieurs points ses anciens contours. Il est évident cependant que cette révolution n'a pu s'opérer sans causer les bouleversements les plus formidables, tels que des fissures de l'écorce du globe, des soulèvements de montagnes, des apparitions de volcans, des affaissements, etc.(1).

(1) Les astronomes et les géologues modernes sont en général peu disposés à admettra la possibilité d'un déplacement d'axe ; ils contiennent cependant de l'influence considérable que la force centrifuge a du exercer sur la forme do globe, ce qui les met en contradiction avec eux-mêmes. A l'appui de cette assertion , je citerai les § 182 et 183 de l'Astronomie populaire de Herschell.

.. La mer ne discontinue pas de ronger les terres ; elle en détache des parties et let dépose dans son lit en forme de vase et de gravier. Des recherches géologiques prouvent suffisamment que la puissance de la mer a fait éprouver à toutes les terres actuelles plus d'une altération ; elles en ont été déchirées et réduites en poussière, dispersées par les vagues et formées de nouveau. Les terres , considérées sous ce point de vue , perdent entièrement leur caractère de solidité. Il est vrai qu'elles peuvent, tant qu'elles forment une masse cohérente, résister aux attaques de la mer; mais , une fuis qu'elles sont dissoutes et dispersées dans l'eau, n'importe que ce soit sous la forme de sable ou de limon, elles sont forcées de suivre tous les mouvements de ce fluide. Soit donc que la terre demeurât immobile ou qu'elle tournât autour de sou axe, les côtes élevées seraient écroûtées , et leurs débris , disposés au fond de la mer, combleraient les cavités les plus profondes en tendant continuellement à donner à la surface du noyau solide la forme qu'exigent les lois de l'équilibre. Supposons que la terre cessât de tourner sur elle-même : il en résulterait que les continents près de l'équateur, qui ont été soulevés avec violence , seraient dans la suite des temps aplanis, et leurs terres transportées vers les pôles, où elles combleraient les affaissements qui s'y seraient opérés de manière à faire reprendre à la terre la forme globulaire. Si ensuite la terre reprenait sa rotation autour rie son axe, les parties saillantes près des pôles s'écrouleraient peu à peu et disparaîtraient pour être transportées vers l'équateur, où la mer est le plus profonde, jusqu'à ce que la terre eût peu à peu repris la forme qu'elle a actuellement, c'est-à-dire celle d'un ellipsoïde aplati.

- Nous sommes bien éloigné de prétendre avoir décrit ici le phénomène qui a fait prendre à notre globe sa forme actuelle ; tout ce que nous avons voulu démontrer, c'est qu'elle a la forme à laquelle elle devait nécessairement tendre par suite de sa rotation autour de son axe , supposé même qu'elle en eût eu originairement une autre. »

Telle est l'opinion de Herschell. J'espère prouver que la terre a effectivement varié de forme, et que ces changements ont été produits par la force centrifuge et la force centripète.

Les résultats des différentes mesures de degrés non plus que la forme aplatie du globe près des pôles ne sont donc pas un argument irrésistible contre la supposition d'un déplacement d'axe, et encore moins contre un déplacement qui suppose que les points de jonction du méridien de Ferro et de l'équateur ont été transportés tout d'un coup du pôle dans leur position actuelle, puisque dans cette hypothèse, une plus grande partie de la surface du globe a dû conserver son ancienne distance du centre, tandis qu'il n'en est pas ainsi dans toute autre hypothèse. Enfin les résultats des mesures de degrés qui ont été faites au Cap, au Pérou, en Laponie et en France, et qui, notamment en France, ne sont pas entièrement d'accord avec la théorie de l'aplatissement du globe près des pôles, s'expliquent fort bien dans mon hypothèse de la situation différente des pôles avant la dernière grande révolution du globe, pourvu qu'on ait égard aux soulèvements et aux affaissements occasionnés par la dernière révolution. Mon hypothèse expliquera aussi le luit que nous a révélé la mesure des degrés eu en France, selon laquelle ce pays serait plus plat que ne l'admet la forme générale du globe. En effet, la France est située a peu près entre la place qu'occupe le pôle nord actuel et celle que j'assigne à l'ancien pôle. Il en résulte que, tant que l'équateur traversait le pôle nord actuel, la force centripète devait agir sur les centrées de la France situées sous le 45me degré de latitude, tandis que la partie septentrionale se soulevait. Après que le pôle nord eut pris sa place actuelle, cette même force a changé de direction, et c'est la partie méridionale qui s'est soulevée.

 

CHAPITRE XII.

LA DIRECTION SUPPOSÉE DE L'AXE DE ROTATION DU GLOBE AVANT LE DÉLUGE OFFRE-T-ELLE LE MOYEN D'EXPLIQUER CERTAINS PHÉNOMÈNES GÉOLOGIQUES ENCORE OBSCURS?

 

La direction que je suppose à l'axe du globe avant le déluge explique d'une manière satisfaisante la fréquence et le développement prodigieux des plantes et des animaux des tropiques dans des lieux, où, d'après les rapports actuels du climat, on s'attendrait le moins à les rencontrer. En effet, dans mon hypothèse, le soleil a dû frapper de ses rayons la plus grande partie des terres avant le déluge, et favoriser ainsi au plus haut degré le développement de la vie animale et végétale. L'équateur traversait les pôles actuels en passant à peu près à 90° du méridien de l'ile de Fer. Il était situé entre l'Afrique et l'Océanie, partageait l'Asie et l'Amérique du nord, et passait à l'ouest de l'Amérique du sud. Les anciens pôles avec leurs glaces se trouvaient ainsi occuper le milieu des mers actuelles. L'Europe, l'Asie et l'Amérique formaient près du pôle nord un seul continent, et il est probable que la mer a englouti des étendues considérables de littoral, puisque, comme nous l'avons vu plus haut, l'Amérique était beaucoup plus étendue vers l'occident, l'Afrique vers l'orient et que l'Asie s'étendait au sud jusqu'à se réunir au sud-est à la Nouvelle-Hollande, ainsi qu'à plusieurs iles de l'Océanie. Mais, quaud même on n'admettrait pas cette hypothèse, il n'en est pas moins vrai qu'on ne saurait imaginer une autre direction de l'axe du globe qui permit au soleil de réchauffer à la fois une aussi grande étendue de terres, surtout s'il est vrai que l'inclinaison du plan de l'orbite sur celui de la rotation fût aussi grande qu'elle l'est actuellement. En attribuant à l'axe du globe la direction que je viens d'indiquer, nous n'aurons, pas besoin, pour expliquer le développement exubérant du monde organique avant le déluge, d'avoir recours à la supposition arbitraire d'un climat différent. L'hypothèse que je propose explique comment les animaux et les végétaux des tropiques qui exigent un climat toujours chaud, ont pu, à une époque antérieure à la nôtre, vivre dans des lieux où le froid règne actuellement dans toute sa rigueur durant la plus grande partie de l'année. On comprend également comment les éléphants, les rhinocéros, les hippopotames, les hyènes, les tigres et d'autres animaux du monde antédiluvien ont pu vivre en Angleterre, en France, en Allemagne, etc., et comment il se fait que le mammouth ou l'éléphant antédiluvien, qui, à en juger d'après son organisation, a dû rechercher les plaines unies couvertes d'une riche végétation, ne se trouve nulle part plus fréquemment que dans les plaines de la Sibérie, tandis que le mastodonte, qu'on suppose avoir préféré les contrées chaudes et marécageuses, a pu vivre dans l'Amérique du nord, puisque la constitution physique de plusieurs contrées de ce pays, notamment des districts habités actuellement par les Indiens libres, présentent avec profusion toutes les conditions nécessaires à leur existence. On explique de même comment le Groenland pouvait nourrir des palmiers, tandis qu'à la même époque les plantes et les animaux des tropiques existaient au Mexique, au Pérou et dans l'Amérique méridionale; comment les restes fossiles de plantes trouvées dans les terrains houillers de l'Angleterre, de la France, de la Belgique, de la Bohême, du Canada et des contrées voisines du golfe de Baffin ont pu appartenir presque tous aux mêmes espèces. Si donc nous supposons que la Sibérie et l'Amérique du nord étaient situées sous la ligne ou qu'elles en étaient du moins rapprochées, et que plus tard, par suite d'un déplacement d'axe, ces terres se sont trouvées près des glaces du pôle nord, nous ne nous étonnerons plus de rencontrer des cadavres bien conservés de rhinocéros et de mammouths dans les glaces de la Sibérie, où ils ont dû être enveloppés depuis des milliers d'années, après avoir été saisis dans les contrées où ils vivaient par le déluge, qui fut la conséquence nécessaire du déplacement de l'axe du globe. L'eau en se changeant subitement en glace les a entièrement préservés du contact de l'air extérieur, et par conséquent aussi de la corruption, qui se serait manifestée au bout de quelques jours, s'ils avaient séjourné dans l'eau où ils auraient été soumis à l'influence de l'air (1).

(1) Les zoologistes et les géologues ne s'accordent pas sur la nature du climat de certaines époques géologiques. Était-il tropical, tempéré ou froid ? On peut citer des faits à l'appui de chacune de ces opinions. C'est ainsi que plusieurs espèces d'animaux de la période diluvienne, tels que le bœuf, le cheval, le chien, etc., dont les espèces analogues de nos jours ne supportent pas un climat très-chaud , se trouvent fréquemment dans l'Europe occidentale , mais deviennent plus rares à meure qu'on avance vers le nord et l'est. Le célèbre Cuvier exprime , dans son ouvrage sur les ossements fossiles ( 4e édition , VI, page 179 ), son étonnement de ce que les restes do cerf à bois gigantesques, qu'on a trouvés dans des terrains semblables à ceux qui recèlent les restes de l'éléphant et du rhinocéros , se rencontrent si fréquemment eu Irlande . tandis qu'ils deviennent plus rares dans l'Europe occidentale à mesure que l'on avance vers le nord ou vers l'est, et qu'on approche des contrées où les restes d'éléphants dominent, comme , par exemple, en Sibérie. Ce fait, que Cuvier propose comme au problème géologique à résoudre , n'offre aucune difficulté si l'on admet avec nous un déplacement de l'axe suivant lequel l'équateur aurait traversé la région des pôles actuels, la Sibérie et l'Asie, de manière à déterminer des conditions climatériques telles que les plateaux de la Sibérie ont dû offrir une demeure convenable à l'éléphant, tandis que le cerf ne pouvait y vivre. Il est hors de doute que les animaux dont on a trouvé les restes dans les terrains diluviens ont, eu général, vécu aux lieux mêmes où leurs débris se rencontrent. En même temps, il ne faut pas perdre de vue que le déluge, que la plupart des géologues s'accordent à regarder comme une catastrophe qui a envahi presque toutes les parties dit monde , a nécessairement dû transporter les animaux, ou les restes d'animaux que cette inondation a fait périr, dans des latitudes éloignées de leur demeure primitive, et que par conséquent l'apparition de quelques rares débris d'animaux des tropiques dans certains lieux ne nous autorise nullement à en conclure que ces animaux y ont vécu à cette époque, ni que ces lieux ont joui d'un climat des tropiques. Lorsque, plus tard . j'expliquerai la théorie des différents courants produits par le déluge , l'idée que je viens de signaler sera plus évidente, et l'on conviendra que la présence de quelques animaux des tropiques ne suffit pas pour en conclure un climat tropical dans les lieux où ils ont été trouvés ; car on pourrait affirmer, avec autant de raison , que le climat des tropiques n'a régné nulle part, et qu'il y a eu partout un climat tempéré. Il ne faut non plus perdre de vue que les débris de plantes dont on a invoqué le témoignage afin de prouver que certains lieux oui joui d'un climat tropical se trouvent presque exclusivement dans les' terrains les plus anciens, et que, par conséquent, ils ne peuvent nous apprendre que fort peu do chose sur l'état du climat immédiatement avant le déluge. Voici l'explication qui me paraît la plus naturelle: dans les lieux où l'on rencontre des restes nombreux d'animaux des tropiques, au sein des terrains diluviens, il faut que le climat des tropiques ait régné immédiatement avant le déluge. Réciproquement, il faut que dans les lieux où les terrains diluviens recèlent des restes fréquents d'animaux, dont les espèces analogues vivent dans un climat moins chaud ou dans un climat tempéré, il ait régné un climat tempéré immédiatement avant le déluge.

Ces conclusions me paraissent si simples et déduites de prémisses si incontestables, que personne ne voudra les contester.

Il est un autre phénomène géologique du plus grand intérêt qui s'explique au moyen de mon hypothèse d'un déplacement d'axe, je veux dire la circonstance que les grands continents qui ont été soulevés du sein de la mer courent du nord au sud et non pas de l'ouest à l'est. Supposons que l'écorce du globe, formée d'une enveloppe pierreuse et de plusieurs couches superposées, ait été primitivement sphérique; supposons en outre que son épaisseur soit, à quelques exceptions près, uniforme, que le renflement occasionné par le feu souterrain ait, par conséquent, été le même sur tous les points et qu'aucune autre force de la nature n'ait coopéré à produire des soulèvements ou des affaissements, il est évident que l'écorce du globe, une fois recouverte par les eaux, se serait partout soulevée également, et par conséquent n'aurait guère pu s'élever au-dessus du niveau de la mer. Mais nous voyons que c'est précisément le contraire qui a eu lieu, puisque de vastes étendues ont peu à peu émergé jusqu'à une hauteur très-considérable.

En vertu de quelle loi de la nature ce soulèvement s'est-il opéré? Telle est la question qui reste à résoudre. Sans vouloir nier que des circonstances particulières, telles que l'épaisseur inégale de l'écorce du globe ou l'action variable de la chaleur intérieure, ne puissent avoir contribué à faire soulever le continent au-dessus du niveau de la mer, je pense que la cause essentielle n'a pu être autre que la force centrifuge. Il est évident que la région de l'équateur est celle où cette force a dû agir avec le plus d'énergie, et que c'est par conséquent dans cette région que l'écorce du globe a pu le plus difficilement résister à la force extensive agissant de l'intérieur. C'est donc là que l'exhaussement du sol au-dessus du niveau de la mer a dû atteindre son maximum, et il a dû continuer jusqu'à ce que l'équilibre se soit rétabli entre les différentes parties du globe. Cependant on peut démontrer avec certitude que plusieurs circonstances locales, notamment la plus ou moins grande résistance de l'écorce du globe, ont dû empêcher cette écorce de s'élever uniformément : en sorte que les reliefs les plus considérables auront dû se former la où la force centrifuge agissait avec le plus d'énergie. Je suppose qu'il a dû en être ainsi de la contrée qui était au centre de l'immense continent que je suppose avoir été formé des différents continents actuels, qui est précisément celle où sont situées les plus hautes montagnes de l'Asie et de tout le globe. Cette partie de la surface du globe aura ainsi été la première mise à sec, et l'élévation

du grand continent aura été en augmentant vers l'équateur. En admettant que l'équateur ait eu autrefois la situation que je lui assigne, nous pouvons, par conséquent, nous expliquer pourquoi le grand plateau de la haute Asie est la contrée la plus élevée au-dessus de la mer, et après celui-ci les plateaux de l'Amérique, puisque ces plateaux correspondent précisément aux régions de l'ancien équateur.

On objectera peut-être que, d'après ce que je viens d'avancer, il faudrait que les continents de l'Asie et de l'Amérique septentrionale, surtout les contrées situées sous l'ancien équateur ou à l'entour du pôle nord actuel, ainsi que les contrées de l'Amérique centrale, et une partie de l'Europe, notamment une partie de la plaine orientale de cette partie du monde, fussent bien plus élevés qu'ils ne le sont effectivement. Je répondrai à cela que ma théorie admet comme vraisemblable que ces' contrées se sont plus tard abaissées. Ainsi, le sol des parties septentrionales de l'Amérique et de l'Asie a dû nécessairement s'affaisser par suite du déplacement de l'axe du globe, lorsque ces contrées ont été transférées de l'équateur dans le voisinage du pôle, et cela par l'effet de la force centripète qui l'a emporté sur la force centrifuge que l'on sait être à peu près nulle, sous les pôles. D'ailleurs l'expérience nous apprend que des affaissements pareils s'opèrent encore de nos jours, puisque, d'après les observations de M. Pingel, non-seulement le Groenland, mais aussi une grande partie de l'Amérique septentrionale et de l'Asie septentrionale, s'affaissent lentement. Quant au continent de l'Amérique centrale, il y a assez de raisons pour admettre que sa faible élévation au-dessus du niveau de la mer provient des mêmes forces qui ont déterminé un écroulement partiel vers le pôle nord et un affaissement graduel des contrées environnantes; seulement, ces forces, par suite de circonstances locales, ont agi d'une manière différente dans l'Amérique centrale. Car il faut se rappeler que cette partie du Nouveau-Monde est située non-seulement près de l'équateur actuel, mais aussi près des contrées qui, selon moi, ont été traversées par l'ancien équateur, c'est-à-dire à peu près au point de jonction de ces deux équateurs. Conformément à ma théorie, le sol de ce continent a du être très-élevé au-dessus du niveau de la mer, particulièrement après le déplacement de l'axe. Ajoutons à cela que, par suite du déplacement de l'axe, l'écorce du globe était probablement, comme le continent voisin du pôle nord, très-tendue dans ces lieux, et, par conséquent, fort sujette à se briser et à s'écrouler. Néanmoins, comme le continent de l'Amérique centrale était peu étendu, et que, par conséquent, la tension de l'écorce du globe a dû y être moins grande qu'au pôle nord, il a pu arriver que l'écorce se soit seulement fendue en s'affaissant. Une circonstance qui vient à l'appui de cette supposition, c'est l'existence de cette immense fente qui, selon M. Alexandre de Humboldt, traverse le continent de l'Amérique de l'est à l'ouest, depuis les côtes de la mer Atlantique jusqu'à la mer Pacifique. Plusieurs volcans sont situés sur cette fente, qui s'étend entre le 18° et le 19°, sur une longueur de 150 lieues. Tels sont les volcans de Tuatla, d'Orizaba, de Puebla, de Nevada di Toluca, de Tancitaro et de Colima, qui s'élèvent en partie jusqu'à une hauteur de 5197 mètres. Prolongée du côté de l'ouest, cette fente traverse, à une distance de plus de 50 lieues, les îles volcaniques de Revillagigedose, encore plus loin, dans la mer du sud, l'archipel de Sandwich avec le Mowna-Roa, qui s'élève jusqu'à une hauteur de 4872 mètres. Or, une coïncidence aussi remarquable ne saurait être l'effet du hasard : il faut absolument en chercher la cause dans une Ipi physique. Quant à la grande plaine orientale de l'Europe, qui a incontestablement été couverte par les eaux dans la période actuelle, je suppose, contrairement à l'opinion générale, qu'elle est la conséquence d'un affaissement subit, dont l'effet a dû être une inondation violente. Je développerai plus tard les raisons sur lesquelles je fonde cette opinion.

On objectera peut-être que ma théorie n'est pas d'accord avec les recherches faites sur le niveau des cinq parties du monde; que c'est le plateau de l'Asie et plusieurs contrées de l'Amérique méridionale, et non les contrées situées sous l'équateur actuel, qui constituent les points culminants du globe; mais il ne faut pas perdre de vue que l'épaisseur de l'écorce du globe a naturellement dû augmenter dans la même proportion que le refroidissement progressif de l'intérieur du globe et des dépôts neptuniens. On pourra, par conséquent, admettre que, déjà avant le dernier déplacement de l'axe, l'écorce du globe avait une consistance telle, que ces plateaux, qui sont traversés par de nombreuses chaînes de montagnes, ont pu résister à tout affaissement, alors même que l'écorce se brisait en d'autres lieux sous l'influence du déplacement de l'axe, et que de nouvelles chaînes de montagnes venaient changer le niveau des différentes contrées. Ajoutez à cela que le poids de la masse des eaux, qui a tout d'abord dû prendre la forme sphérique, devrait nécessairement empêcher que le fond de la mer sous l'équateur et les terres exondées qui s'y rattachent ne s'élevassent jusqu'à la hauteur que les grandes lois de la nature semblent exiger.

On pourrait en outre objecter que les différents mouvements qu'on aperçoit de nos jours dans plusieurs parties de l'écorce du globe ne s'accordent pas avec la grande influence que j'attribue à la force centrifuge. Je conviens que la cause des mouvements présents ne réside pas uniquement dans la force centrifuge, mais plutôt dans une autre force : la force d'extension de la chaleur intérieure. Quoi qu'il en soit, plusieurs données géologiques indiquent que la force centrifuge exerce encore de nos jours une influence considérable sur les terres en les soulevant. D'un autre côté le fait que l'écorce du globe conserve depuis plusieurs milliers d'années sa forme actuelle est une preuve qu'elle s'est consolidée, et, par conséquent, que les effets actuels de la force centrifuge ne peuvent être comparés a ceux qui étaient produits lorsque cette écorce était encore assez mince pour subir des modifications brusques et fréquentes. Aujourd'hui il parait que les soulèvements et les affaissements partiels de la surface du globe n'ont d'autre cause que la chaleur intérieure. Quoique l'action de cet agent soit variable selon les circonstances locales, on doit néanmoins supposer qu'il tend en général à dilater l'écorce du globe, de même qu'un gaz emprisonné dans un ballon en gonfle également toutes les parties. Mais, s'il est vrai que la force extensive tende à faire disparaître les inégalités de l'écorce du globe, il s'ensuit que ce seront les parties les plus rapprochées du centre du globe qui devront subir de préférence l'influence de la force extensive ; elle agira avec le plus d'énergie sur les parties les moins élevées de l'écorce du globe et principalement sur celles qui sont recouvertes par la mer. Ce seront par conséquent ces parties du globe qui, dans la suite des temps, seront les plus exposées aux tremblements de terre. Cette hypothèse paraîtra peut-être trop hardie au premier abord, d'autant plus que jusqu'ici on a prétendu tout le contraire : je n'en suis pas moins convaincu que ceux qui voudraient soumettre cette question à un examen plus approfondi, finiraient par se ranger à ma théorie. C'est ainsi que pendant les temps modernes les tremblements de terre ont été comparativement très-fréquents dans le Danemark, dont le sol est bien moins élevé que celui des autres pays de l'Europe. Il a été prouvé que le sol de ce pays continue à se soulever d'une manière graduelle au-dessus du niveau de la mer(1), tandis que le sol plus élevé de la plupart des autres pays de l'Europe, celui de l'Angleterre, de la France, de l'Espagne et même d'une partie de l'Italie avec ses volcans, le Vésuve et l'Etna, conserve à peu près son ancien niveau au-dessus de la mer. Le fait que ce sont les pays où se trouvent les volcans en activité qui ont été jusqu'ici les plus exposés aux éruptions volcaniques et aux tremblements de terre qui en sont la conséquence ne saurait constituer une objection sérieuse, puisqu'il a été prouvé qu'il existe une liaison intime entre la plupart des volcans, quel qu'éloignés qu'ils soient les uns des autres; en sorte qu'il est tout naturel que les éruptions volcaniques qui occasionnent des tremblements surtout dans les contrées adjacentes s'opèrent par des voies déjà ouvertes.

(1) Voyez le petit exposé intéressant du professeur Torchhammer, dans le Dajen de l'an 1841, numéros 84 et 85.

J'observerai encore que l'étude des volcans nous enseigne que les conséquences des tremblements de terre dans les contrées élevées ont été, en somme, plutôt des écroulements que des soulèvements. S'il y a des lieux auxquels cette règle ne soit pas applicable, il faut en chercher la cause dans la combinaison des forces centripète et centrifuge, qui tend sans cesse à développer la forme sphérique. Ceci nous explique pourquoi en 1822 une grande partie du littoral du Chili, aux environs de l'équateur actuel, s'est subitement soulevée de plusieurs pieds, quoique son niveau fût déjà très-élevé, tandis que la côte du Groenland est actuellement en voie d'affaissement. Il parait qu'un affaissement semblable a lieu dans une grande partie de l'Amérique septentrionale et de l'Asie septentrionale. Or, comme ces régions n'étaient pas très-éloignées de l'ancien équateur, elles ont dû subir pendant cette période un renflement très-considérable. Il est plus difficile d'expliquer l'exhaussement et l'affaissement périodique du littoral de la Suéde, depuis Colmar jusqu'à Tornea, ainsi que la circonstance que la rive opposée du golfe de Bothnie s'élève et s'affaisse également, quoique d'une manière moins sensible. Je serais tenté de lui assigner la même cause qu'au soulèvement et à l'affaissement alternatif du temple de Serapis, près de Puzzuoli; savoir, d'une part la tendance de la chaleur souterraine à soulever les terres les plus basses, et d'autre part la lutte de la force centripète et de la force centrifuge, dont l'énergie doit s'augmenter par le déplacement périodique de l'axe de 1 1/2 degré (1° 21'), relativement au plan de l'écliptique(1). D'ailleurs le grand nombre d'iles d'origine volcanique dont l'océan est parsemé nous prouvent assez que le fond de la mer est encore plus sujet aux soulèvements que ne le sont les terres peu élevées ; et, encore de nos jours, nous voyons sortir du sein de la mer de pareilles îles volcaniques. Cette disposition du fond de la mer a se soulever, disposition qui doit surtout se manifester au lieu où le globe est le plus soumis à l'action de la force centrifuge, c'est-à-dire aux environs de l'équateur, nous explique ainsi d'une manière satisfaisante pourquoi les îles d'origine volcanique qui datent d'une époque relativement moderne sont si nombreuses dans le grand Océan, aux environs de l'équateur actuel.

(1) II se pourrait bien que la raison pourquoi les pétrifications d'eau douce et celles d'eau salée alternent dans les bassins de Londres et de Paris n'eût d'autre cause qu'nu affaissement et un soulèvement alternatif de ces contrées.

Un troisième phénomène géologique d'un haut intérêt, et qui est intimement lié à celui que je viens de révéler, s'explique par la même hypothèse; c'est le fait que toutes les chaînes de montagnes du globe sont orientées du nord au sud ou de l'est à l'ouest. Si nous admettons que l'axe du globe a été déplacé a plusieurs reprises et que le plan de son nouvel équateur forme un angle de 90° avec son ancien, on concevra facilement que l'écorce du globe, en changeant de forme, a dû se briser de préférence dans le sens de l'équateur, où le globe était principalement soumis à l'action de la force centrifuge, et où les différentes parties de son écorce étaient moins qu'ailleurs balancées par la force centripète. En appliquant ce raisonnement aux différents systèmes de montagnes du globe, on verra qu'il est justifié par la direction de presque toutes les chaînes. C'est ainsi que les montagnes primitives, qui, d'après les observations de Steffens, de Léopold de Buch, d'Alexandre de Humboldt et de plusieurs autres géologues, courent du nord au sud ou de l'ouest à l'est, suivent les unes la direction que j'attribue à l'ancien équateur, les autres celle de l'équateur actuel. Ce phénomène semble donc venir à l'appui de la supposition que l'ancien équateur avait effectivement la direction que je lui assigne. Mon hypothèse est enfin confirmée par la classification des systèmes des montagnes de l'Europe, établie par M. Elie de Beaumont, dont j'ai donné un extrait au commencement de cet ouvrage. Remarquons cependant que M. Elie de Beaumont suppose que le soulèvement des chaînes de montagnes a été occasionné par le refroidissement de l'écorce du globe, qui, d'après lui, a dû la briser en lignes décrivant des arcs de cercle, tandis qu'il me semble plus vraisemblable d'admettre que c'est le refroidissement qui a fait soulever des chaînes de montagnes très-irrégulières ; ce qui me porte à attribuer la régularité des soulèvements des montagnes à une cause purement mécanique ; savoir, à la force centrifuge.

Il existe des phénomènes semblables dans les chaînes de montagnes d'Asie (1) et d'autres parties du monde , mais comme les rapports géologiques de ces pays ne sont pas encore suffisamment connus , je n'entreprendrai pas d'en déduire aucune conclusion, quoiqu'il me semble très-probable que plusieurs des chaînes de montagnes qui se dirigent de l'ouest à l'est, par exemple, le massif principal des montagnes de l'Afrique centrale, doivent leur naissance à la période diluvienne et au dernier déplacement de l'équateur. M. Elie de Beaumont considère la chaîne colossale des Andes comme la dernière chaîne de montagnes qui se soit soulevée, et il suppose que ce soulèvement a occasionné le déluge. D'après ma théorie aussi le soulèvement de cette chaîne de montagnes peut avoir eu, quoique indirectement, quelque part dans cette catastrophe, attendu que les Andes suivent la direction qui a dû cire celle de l'ancien équateur, et qu'elles s'étendent jusqu'aux environs du pôle nord. Le soulèvement des Andes, en augmentant l'étendue de l'immense continent qui entoure le pôle nord actuel, a, par conséquent, pu contribuer à en briser la surface, et c'est cette révolution qui, selon moi, a causé le déplacement de l'axe du globe et le déluge.

(1) Voyez l'Asie Centrale, par Hamboldt.

L'hypothèse de M. Elie de Beaumont sur l'origine du déluge n'est donc point en contradiction avec mes idées. Celles-ci se concilient aussi fort bien avec l'hypothèse que semble approuver M. le professeur Forchhammer, selon laquelle il faudrait attribuer cette catastrophe au soulèvement de la chaîne de l'Oural, qui doit avoir coïncidé à peu près avec celui de la chaîne des Andes. On pourrait supposer aussi que des soulèvements considérables ont eu lieu dans la chaîne des Andes après le déplacement de l'axe et la catastrophe du déluge qui en est la conséquence, puisque l'équateur actuel traverse l'Amérique. Cependant plusieurs raisons théoriques dont le développement dépasserait les limites de cet ouvrage, me portent à croire que le soulèvement de la chaîne principale des Andes est beaucoup plus ancien.

Un quatrième phénomène géologique, qui semble se rattacher intimement aux deux précédents, principalement à celui de la direction des chaînes de montagnes du nord au sud et de l'ouest à l'est, c'est la manière dont sont distribués les volcans. On a proposé différentes théories sur la distribution des volcans ; mais, quelque divergentes qu'elles soient, elles s'accordent cependant toutes à admettre que les volcans décrivent des lignes du nord au sud et de l'ouest à l'est. Sickler avait pensé que la plupart des volcans pouvaient se rapporter à neuf lignes décrivant, quoique avec des interruptions assez notables, des arcs de cercle d'un pôle à l'autre, dont trois lignes parallèles, qui, sous la même latitude, font le tour du globe. La principale de ces lignes, celle qui passe sous l'équateur ou près de celui-ci, se compose de plus de 100 volcans ; la seconde, qui est à 51° de l'équateur, fait le tour du pôle-nord; quoiqu'elle soit la plus petite, elle n'en présente pas moins quelques-uns des volcans les plus terribles. La troisième ligne fait le tour du pôle-sud, à peu près à pareille distance de l'équateur, puisque, au dire des navigateurs, la Terre de Feu , les îles de la Circoncision, de la Désolation, celles de Sandwich, et le plus grand nombre des autres îles au delà du 51° de latitude méridionale, malgré le peu d'accès qu'elles offrent aux visiteurs, par suite de masses de glace qui les couvrent, présentent des indices non équivoques d'une origine volcanique.

D'après l'opinion de plusieurs géologues, la force volcanique parait atteindre son maximum d'énergie sous les pôles et sous l'équateur, tandis que dans les pays tempérés les volcans qui décrivent des arcs de méridien sont moins considérables. Le professeur Forchhammer admet, ainsi que M. Lyell, six lignes principales de volcans, dont trois vont du nord au sud, et dont les trois autres sont situées aux environs de l'équateur. Ces dernières, qui vont de l'ouest à l'est, sont distribuées de telle sorte que chacun des trois grands continents que nous avons admis, savoir : l'Europe et l'Afrique, l'Asie et l'Australie, l'Amérique septentrionale et méridionale, présentent une liane se dirigeant du nord au sud, et une autre qui va de l'est à l'ouest.

Quoiqu'il en soit, la régularité de ces lignes ne peut être attribuée au hasard ni à des causes locales. Il semble qu'on doive en chercher l'origine dans la même cause qui a occasionné les phénomènes précédents, c'est-à-dire dans le déplacement de l'axe du globe. On sait que les volcans datent des périodes les plus récentes de la formation du globe; supposons donc que par suite de la force centrifuge l'écorce du globe ait été sollicitée à se soulever, et par conséquent à se briser de préférence sous l'équateur, supposons en outre que la chaleur du soleil, que nous savons être le plus forte sous l'équateur, ait eu quelque influence sur le développement des volcans, et je crois qu'il sera permis d'admettre que le plus grand nombre des volcans doivent leur origine à divers déplacements de l'axe du globe, qui ont dû fissurer profondément l'écorce du globe, partout où celle-ci n'a pas été entièrement brisée par l'effet des soulèvements et des affaissements occasionnés par cette révolution. Quoi qu'il en soit de cette conjecture, je ne vois pas qu'il soit contraire aux lois de la nature d'admettre que les volcans, qui suivent la direction de l'équateur actuel, et qui pour la plupart datent des temps modernes , ont apparu après le déplacement de l'axe, tandis que ceux qui suivent la direction du méridien remontent à la période qui a précédé immédiatement cette révolution , alors que l'équateur traversait les pôles, et que la masse principale des terres, qui s'étend du nord au sud, se trouvait située le long de l'équateur. Ce qui parait venir à l'appui de cette explication, c'est la circonstance que les volcans de l'Amérique, qui sont situés sous les points de jonction des deux équateurs, sont les plus développés et les plus actifs, tandis que les volcans de l'Asie centrale, qui ne se trouvent ni sous l'équateur, ni près de lui, ne sont, pour ainsi dire, que des solfatares. Quant aux volcans qui se trouvent réunis autour des deux pôles, peut-être faut-il les attribuer aux nombreuses cavités de ces régions. Aussi longtemps que ces cavités (qui doivent être l'effet de la force expansive de la chaleur souterraine) se trouvaient dans les régions de l'équateur, elles n'ont pas été soumises à l'influence de la force centripète; mais lorsque une fois elles se sont trouvées transférées sous les pôles, où cette force exerce sa plus grande puissance, l'écorce du globe qui les recouvre a dû céder, et la chaleur intérieure qui se trouvait par là fortement comprimée, a dû chercher une issue et causer ainsi des éruptions nombreuses et violentes.

Un cinquième phénomène remarquable réclame encore notre attention. Bien qu'il serve principalement à prouver combien en divers lieux l'écorce du globe a été réduite en fragments pendant la période diluvienne, il n'en contient pas moins un argument important en faveur d'un déplacement de l'axe : c'est le fait de la fréquence dans les terrains diluviens de différents métaux, tels que de l'étain, du cuivre, du platine, de l'or, principalement de l'or en poudre, etc., etc. ; puis de différentes pierres précieuses, telles que de l'agate, de la cornaline, de l'onyx, du zirkon, du saphir, du topaze, du diamant et d'autres. Les géologues qui attribuent à l'action de l'eau la décomposition des terrains, expliquent de la même manière l'existence des métaux et des pierres précieuses dans les terrains diluviens. Il ne faut cependant pas oublier que le sable et l'argile, qui constituent principalement les terrains diluviens, ne sont fréquemment que le résultat d'une décomposition chimique du feldspath et du quartz dont se compose le granit, et que pour que cette décomposition ait pu avoir lieu, il a fallu que des vapeurs volcaniques communiquassent aux eaux une température très-élevée. De même, les métaux, les pierres précieuses, notamment l'or et le diamant, qui se sont trouvés primitivement dans les terrains les plus anciens, dont le gisement est ordinairement inférieur à celui des terrains d'une formation plus récente, supposent nécessairement, pour être arrivés à la surface, qu'une révolution ait détruit les roches dans les

quelles ils étaient renfermés, et en outre qu'une force extraordinaire soit intervenue pour réduire en grains ou en poudre fine l'or, qui, de tous les métaux connus, est le plus flexible.

En résumé, quelle que soit l'influence que l'eau, par suite du déplacement de l'axe, a pu exercer pendant l'époque diluvienne, je prétends qu'il faut nécessairement supposer la coopération d'autres forces non moins puissantes, qui sont la force centripète et la force centrifuge, ainsi que la force volcanique dont elles ont dû accroître l'énergie. Ce sont ces forces réunies qui, à mon avis, ont principalement coopéré à briser les terrains les plus inférieurs et à former les terrains diluviens, qui ont ensuite été déposés par la mer. Il se présente ici un fait bien digne de remarque : les terrains diluviens dans lesquels on rencontre le plus souvent les métaux et les pierres précieuses, de même que les lieux où on les trouve, sont surtout situés dans le voisinage des parties du globe où ont dû s'opérer, par suite du déplacement de l'axe, les affaissements et les soulèvements les plus violents , et où , par conséquent, l'écorce du globe plus qu'ailleurs a dû être réduite en fragments, tandis que les parties de la surface, qui se trouvaient entre l'ancien et le nouvel équateur, n'éprouvaient en quelque sorte qu'un faible ébranlement. Je démontrerai plus tard que ces soulèvements et ces affaissements ont effectivement eu lieu. Je me bornerai ici à faire observer que ces accidents, ainsi que la dislocation de l'écorce du globe, qui en a été la conséquence, doivent principalement être survenus là , où, par suite du déplacement de l'axe, la force centripète et la force centrifuge ont exercé le plus d'influence, savoir, aux environs des anciens pôles, qui se trouvent sous l'équateur actuel, et aux environs des deux points de l'ancien équateur, qui se sont trouvés former les pôles actuels. C'est aussi précisément dans ces lieux que les métaux et les pierres précieuses sont le plus abondants, quoiqu'il faille admettre que le courant de l'eau les ait déplacés tant soit peu. C'est ainsi, par exemple, que les pierres précieuses de l'Amérique se trouvent principalement au Brésil, dont les terrains diluviens renferment aussi de l'or, et que la côte occidentale de l'Afrique (la Côte d'Or) offre la plus grande abondance de poudre d'or. Or, s'il est vrai que le point de jonction du méridien de l'île de Ferro et de l'équateur actuel correspond à l'emplacement de l'ancien pôle nord, dans l'Atlantique, il s'ensuit que ces deux pays, le Brésil et la côte occidentale de l'Afrique, étaient peu éloignés du pôle d'alors. L'ancien pôle sud se trouvait au contraire au point opposé du globe dans la mer du Sud. On verra plus tard que le premier courant principal du déluge devrait nécessairement porter les terres, déchirées par le déplacement de l'axe, des environs du pôle sud vers l'Océan des Indes, d'où le second courant principal du déluge devrait les rejeter sur l'île de Ceylan et sur les Grandes-Indes, en deçà du Gange. Ceci explique pourquoi les terrains diluviens de ces pays renferment non-seulement une quantité considérable de cuivre et d'autres sortes de métaux, mais encore assez de diamants et d'autres pierres précieuses pour avoir rendu célèbres les noms de l'Inde et de Golconde. La circonstance qu'il faut chercher l'ophir des anciens aux environs de la mer des Indes est un indice que l'or abondait déjà anciennement dans ces contrées. Aussi, plusieurs des îles situées au sud-est de l'Asie, telles que l'île de Banka, si riche en étain, semblent-elles prouver, par leur richesse en métaux, combien les bouleversements des terrains ont dû être violents dans ces lieux.

Si ensuite nous tournons nos regards du côté du pôle nord actuel, qui, selon ma théorie, se trouve sous l'ancien équateur, nous verrons qu'on trouve fréquemment en Sibérie, non-seulement des métaux, mais aussi des pierres précieuses. Les vastes contrées qui s'étendent au pied de la chaîne de l'Oural sont formées de terrains diluviens qui renferment de l'or. Cet or provient sans doute de la décomposition do fer sulfuré contenu dans les masses de quartz et de feldspath, de l'espèce qu'on trouve encore dans les reines de granit des mines de Berezowsk et de Catharinenburg. Le fait qu'on a trouvé dans ces mêmes terrains diluviens des dents et des ossements d'éléphants, détruits probablement par le dernier déluge , est une preuve que ces terrains ont été décomposés à la même époque.

Un sixième phénomène qui non-seulement vient à l'appui de l'hypothèse que Taxe du globe a été déplacé à plusieurs reprises, mais qui indique même que ce déplacement a été très-considérable, c'est la manière dont nombre de couches neptuniennes ont été recourbées et contournées. Ce phénomène se répète dans presque toutes les formations neptuniennes secondaires et tertiaires ; on l'a remarqué dans tous les pays où les circonstances locales ont permis d'étudier les couches de la terre, tantôt isolément sous la forme de collines et de monticules, tantôt sous la forme de chaînes de montagnes, l'n exemple très-remarquable de couches contournées se voit dans les montagnes de craie de l'île de Mœen. La côte orientale de l'Ecosse, notamment du Berwickshire et du Forfarshire, nous en offre un autre exemple, sur une étendue d'environ 28 kilomètres. Je citerai encore la Suisse, où la grande chaîne des montagnes du Jura se compose de plusieurs crêtes parallèles séparées par des vallées longitudinales et formées de couches fossilifères recourbées. On a expliqué de plusieurs manières les contournements de ces couches, qui, dans le principe, ont dû être horizontales; mais la théorie la plus satisfaisante est relie de James Hall, qui voit dans ces formes contournées l'effet d'une pression agissant à la fois sur la surface et sur les extrémités opposées des couches lorsqu'elles étaient encore flexibles. C'est ainsi qu'elles ont pris la forme qu'elles ont conservée en se roidissant. Quand il s'agit de trouver la cause d'une pression latérale assez forte pour donner aux couches une forme contournée, il n'est pas hors de propos de recourir à un soulèvement de deux chaînes de montagnes parallèles ou à d'autres révolutions partielles de la nature. Je dois cependant faire observer qu'en général, le soulèvement de montagnes est plutôt propre à faire prendre aux couches déplacées une position inclinée qu'une forme contournée. Il semble que l'énorme pression qui était nécessaire pour produire ces phénomènes n'ait pu être amenée que par le déplacement simultané de plusieurs parties de l'écorce du globe, se portant des régions de l'équateur vers les régions polaires, et par la tendance du globe à prendre une nouvelle forme sphérique. Cette hypothèse du moins est la seule qui réunisse toutes les conditions nécessaires pour produire une telle pression, savoir : la force centripète, qui tendait à porter vers le centre la partie disloquée de l'écorce du globe; le liquide intérieur, qui empêchait qu'elle ne s'affaissât considérablement; et enfin, l'énorme pression latérale que devait subir l'écorce du globe toutes les fois qu'elle s'enfonçait dans des excavations d'une étendue horizontale moindre que sa propre surface. Si ce phénomène n'est pas plus fréquent et s'il ne se montre le plus souvent que sur des espaces peu étendus, c'est que l'écorce du globe a été sujette à de nombreuses révolutions qui en ont effacé en partie les traces.

Les phénomènes géologiques que je viens de signaler, de même que plusieurs autres d'une importance non moins grande que je mentionnerai plus tard, s'expliquent donc au moyen de l'hypothèse que l'équateur a une fois eu une ' autre position que celle qu'il a actuellement; ces phénomènes sont par conséquent autant d'indices géologiques en faveur de cette hypothèse. Je ne disconviens cependant pas que, si ces indices n'étaient que des faits isolés, ils ne suffiraient pas pour justifier la théorie, et qu'il faudrait lui chercher des preuves nouvelles et plus fortes; mais je pense que les phénomènes que j'ai allégués en faveur de mon hypothèse la rendent assez vraisemblable pour qu'il me soit permis de devancer la marche de ces investigations, en recherchant si ce n'est pas dans l'histoire du développement du globe qu'il faut placer la cause du déplacement de son axe, et si la révolution causée par ce déplacement n'est pas un chaînon nécessaire dans la grande série des phénomènes de la nature si intimement liés les uns aux autres, dont se compose l'histoire du développement du globe; en d'autres termes, s'il n'y a pas assez de raisons pour admettre que le déplacement de l'axe du globe est la conséquence des grandes lois de la nature. Je terminerai enfin ces recherches en exposant la preuve principale sur laquelle je fonde ma théorie, savoir les effets produits sur le littoral des terres par le déluge que le dernier déplacement d'axe a dû occasionner.

 

CHAPITRE XIII.

LA CAUSE DU DÉPLACEMENT DE L'AXE AINSI QUE CELLE DU DÉLUGE

DOIVENT ÊTRE CHERCHÉES DANS LE DÉVELOPPEMENT

INTÉRIEUR DU GLOBE.

 

Le lecteur attentif a dû s'apercevoir que j'attribue à la force centrifuge une influence beaucoup plus considérable sur le soulèvement des terres que ne sont disposés à lui en accorder les géologues modernes. Si donc la théorie nouvelle émise dans cet ouvrage , ou plutôt si l'ancienne théorie, qui y est considérée sous un nouveau point de vue, et qu'on pourrait peut-être nommer la théorie de la force centrifuge, se trouve confirmée dans ses parties essentielles, il faudra considérablement modifier les idées ingénieuses exposées d'abord par M. Léopold de Buch et développées ensuite par M. Elie de Beaumont, car si la force centrifuge n'a pas exercé une influence prépondérante pendant les périodes de calme, nous admettons en revanche qu'elle a contribué pour une bonne part à soulever les terres au-dessus du niveau de la mer pendant les catastrophes violentes qui ont agité notre globe. Léopold de Buch et Elie de Beaumont prétendent au contraire que le soulèvement des terres doit être attribué uniquement à l'action du feu souterrain. Il me semble incontestable que la force centrifuge a dû jouer un rôle important dans l'histoire du développement du globe, et cela de concert avec d'autres forces qui ont alternativement fait valoir leur influence. J'ai déjà fait observer que, selon toute apparence, les conditions qu'exige le développement de cette force ne sont pas inhérentes aux matières dont se compose notre globe, mais qu'il y a eu une époque, dans l'histoire de son développement, où la force centrifuge a commencé à agir. Après que les vapeurs répandues dans l'atmosphère se furent condensées en forme d'eau, le globe a commencé à tourner autour de son axe ; en d'autres termes, il a passé de l'état de comète à celui de planète. En admettant que l'axe du globe a été déplacé à plusieurs reprises, on peut, au moyen de l'épaisseur croissante des couches, vérifier l'influence croissante que la force centrifuge exerce sur le soulèvement des terrains au-dessus du niveau de la mer dans les périodes consécutives de la création. Cette épaisseur croissante de l'écorce du globe a dû, en effet, lui donner plus de solidité et la faculté de mieux résister à la force centrifuge, ou mieux à la force expansive du feu intérieur augmentée de la force centrifuge. C'est dans cette résistance croissante qu'il faut à mon avis chercher la cause des grands paroxysmes auxquels le globe a été assujetti, ainsi que de l'apparition des grandes masses de montagnes qui ont été soulevées par la force centrifuge dans les lieux où l'écorce du globe s'est brisée, c'est-à-dire, en général, le long de l'équateur (1).

(1) Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de faire observer mu géologues que l'hypothèse que je vient d'exposer no permet pas d'admettre , avec Léopold de Buch et plusieurs autres, que les montagnes ont été soulevées par suite de la mise au jour de nouvelles masses plutoniennes, principalement du porphyre. Ces masses plutoniennes, que je suppose destinées par la Providence à diminuer te danger du soulèvement des chaînes de montagnes. puisqu'elles ont servi à boucher toutes les fentes et crevasses que ces révolutions ont causées , ces mattes ont, il est vrai. pour la plupart été portées à la surface du globe lors des soulèvements de montagnes ; mais elles sont plutôt la conséquence des soulèvements que leur cause. Cette hypothèse explique aussi pourquoi ces masses plutoniennes, dont certainement le sein de la terre renferme des provisions considérables, n'ont pas fait leur éruption avec plus de violence, et pourquoi, aujourd'hui que la forme sphéroïdale du globe est pour ainsi dire entièrement développée, le feu souterrain, dont l'énergie ne semble pus avoir diminué , se fait jour ordinairement par la voie des volcans, et non d'une manière plus dangereuse eu brisant l'écorce du globe et en soulevant des montagnes. Les temps historiques nous o1frent cependant quelques exemples rares de ce dernier phénomène ; c'est ainsi que Strabon raconte qu'une montagne s'est soulevée près de Méthone , en Grèce. De même s'est soulevé, il n'y a pas longtemps , le mont d'Ullabund , à l'embouchure de l'Indus , qui a cinquante milles anglais d'étendue. Je citerai enfin les tissures qui se sont formées à l'écorce du globe dans l'île de Lanserote, en 1730 et les années suivantes. Les deux derniers de ces phénomènes sont remarquables en ce qu'ils se sont opérés de l'ouest à l'est, c'est-à-dire parallèlement à l'équateur actuel.

Au point où en est aujourd'hui la géologie, ce serait m'engager dans des hypothèses sans bornes, que d'essayer d'analyser les différentes causes auxquelles on a attribué les déplacements divers de l'axe du globe durant son développement, telles que : le choc d'une comète, le déplacement successif du centre de gravité, la force magnétique et d'autres causes encore qu'il serait superflu d'énumérer. Je me bornerai à faire observer, qu'au point de vue de la philosophie géologique, ces catastrophes ont dû être le résultat du développement du globe et non l'effet du hasard. Ceci s'applique principalement à la dernière catastrophe, dont la conséquence immédiate et la plus importante a été un déluge universel, qui a dû inonder toutes les terres et exercer une grande influence sur la forme du littoral des continents. Ce cataclysme était sans doute prévu dans les plans du Créateur, comme devant conduire à un ordre de choses plus parfait. On objectera que cette catastrophe ayant dû nécessairement faire périr la plus grande partie des êtres organiques, pour qui les terres étaient une condition absolue d'existence, elle semble, par là même, être en opposition avec la sagesse infinie de Dieu. Mais il ne faut pas oublier que ces révolutions du globe (dont toutefois aucune n'a été aussi violente que la dernière) étaient nécessaires pour le développement de la création. C'est ce qu'il nous sera surtout facile de démontrer pour la dernière révolution. Il est incontestable que l'existence d'un continent aussi immense que celui que formaient les cinq parties du monde, lorsqu'elles étaient réunies, a dû offrir les conditions les plus favorables pour la vie végétale et animale, par suite de sa situation sous l'équateur, de ses plateaux et d'autres rapports physiques qui en faisaient un sol extrêmement fertile. Aussi avons-nous vu que les fossiles parvenus jusqu'à nous démontrent qu'avant le déluge la vie animale et végétale était douée d'une énergie telle, qu'elle semble avoir exigé un continent comme celui que je suppose. En effet, il faut l'existence d'un pareil continent pour expliquer d'une manière satisfaisante l'apparition d'animaux aux proportions colossales, dont on ne trouve nulle part des débris aussi nombreux qu'en Sibérie et dans l'Amérique du nord, c'est-à-dire précisément dans les contrées qui, d'après ma théorie, constituent les restes de ce continent prodigieux qui, par grâce à sa position élevée, à son climat chaud, et aux chaînes de montagnes dont il était traversé, doit avoir offert plus qu'aucun autre, les conditions nécessaires au développement et à la propagation de ces animaux.

Mais le dernier but de la création du monde n'a pas pu être le développement de la vie végétale et animale tel que nous le rencontrons dans les derniers âges du globe, pas plus que de faire atteindre à l'homme de grandes dimensions physiques. Le développement spirituel du genre humain, tel est le seul plan digne des grandes vues du Créateur. Je crois donc que de même que le règne minéral et le règne végétal ont atteint leur point culminant, l'un dans les plus anciennes périodes de la formation du globe, l'autre dans une des époques suivantes, de même le règne animal a joué son rôle le plus important dans la période qui s'est terminée par le déluge. Admettons un instant que l'opinion des anciens naturalistes qui pensent que le genre humain a du être très-répandu avant le déluge, soit erronée, supposons même qu'il n'ait point existé d'êtres humains avant le déluge universel, qu'encore le développement progressif des facultés intellectuelles du genre humain aurait nécessité une révolution semblable. Ne voyons nous pas en effet les habitants de l'Asie, de ce berceau du genre humain, où l'homme a pu dès son enfance et où il peut encore aujourd'hui se procurer sans peine les objets nécessaires à son existence, rester durant des siècles au même degré de développement, tandis que les habitants de l'Europe, qui avaient à vaincre les difficultés nombreuses que leur opposait la constitution physique de cette partie du monde, marchaient dans la voie du progrès intellectuel avec une persistance que les peuples asiatiques n'atteindront peut-être jamais ! et tout cela uniquement à cause de la constitution naturelle de leur sol.

Il ne peut être question d'exposer ici comment les rapports physiques de l'Europe ont contribué à donnera la vie politique et domestique de cette partie du monde un développement si différent de celui des autres— ce serait empiéter sur le domaine de la philosophie de l'histoire. Je me bornerai donc à faire observer que l'expression « séparé par la mer » est et a toujours été fausse (si ce n'est dans les temps les plus reculés, lorsque la navigation était presque entièrement inconnue), et qu'il faudrait plutôt dire : « réuni par la mer, « puisque c'est précisément aux bords des mers de l'Europe, notamment de la Méditerranée et de la Baltique, que la civilisation a commencé à se développer et a pris le plus d'essor, tandis que ce n'est que beaucoup plus tard, par suite des bouleversements de l'ordre établi et principalement par suite des migrations des peuples, de la propagation du christianisme, des croisades, mais surtout par suite de la révolution causée par l'invention de l'art de l'imprimerie, que les autres nations de l'Europe ont pris part à ces bienfaits intellectuels(1). Je n'essaierai non plus de montrer, puisque d'autres l'ont fait avant moi, comment la constitution naturelle du littoral de ces mers a contribué de concert avec plusieurs autres circonstances à modifier la civilisation des peuples de ces contrées, ni comment la civilisation ancienne est arrivée à son apogée chez les Grecs, qui habitaient précisément de nombreuses petites îles, et qui plus que toute autre nation se trouvaient entourés par la mer, qui les séparait les uns des autres(2). Le fait important pour nous est de constater que la mer a joué le rôle le plus important dans l'histoire du développement du genre humain ; mais pour qu'il en fût ainsi, il était nécessaire que les voies de communication qu'elle offrait ne fussent pas d'un accès trop difficile, c'est-à-dire qu'il y eût des bras de mer sûrs et profonds, puisque sans cela la navigation et le commerce maritime n'auraient jamais pu prendre une bien grande extension. Or, il résulte de ce que nous avons dit du soulèvement successif des terres au-dessus du niveau de la mer, que les bras de mer et les golfes profonds, si appropriés aux besoins de la navigation et du commerce, n'ont pu se creuser leur lit pendant les époques tranquilles du développement du globe, puisqu'ils tendent au contraire à en niveler la surface. Il faut donc qu'ils soient l'effet d'irruptions violentes de la mer durant des époques plus agitées, d'où il résulte que le déluge, qui, comme nous le verrons par la suite, a profondément altéré l'ancien littoral des terres et formé des bras de mer et des golfes nombreux et profonds, doit être considéré comme la cause nécessaire de l'existence de ces derniers et comme un chaînon indispensable dans l'histoire du développement du globe. Remarquons encore que l'homme, privé de l'usage des métaux, n'aurait jamais sans le déluge pu s'élever à un haut degré de civilisation, attendu que les soulèvements de montagnes, même les plus considérables (qui en général ne disloquent pas le sol, mais se bornent uniquement à déplacer les masses anciennes) , n'auraient pas mis l'homme en mesure de se procurer des métaux en grande abondance, s'il avait été obligé de les extraire à grand'peine du sein de la terre. Il fallait qu'un bouleversement violent, accompagné d'un déluge général, vint les arracher en quantité suffisante aux roches solides et les disperser à la surface. Sous ce rapport encore, un déplacement d'axe qui aurait violemment bouleversé certaines parties de l'écorce du globe, nous apparaît comme une conséquence nécessaire des lois de la nature.

(1) Peut-être cependant qu'une foi» l'énorme développement des voies de communication par terre, notamment des chemins de fer, justifiera l'ancien dicton.

(2)Voir la Philosophie de l'Histoire, par Hegel, notamment la seconde partie , et la Philosophie de Molbech.

Quand le globe fut assez avancé pour que le règne animal, dont l'homme aussi fait partie, put atteindre le plus grand développement physique dont il est susceptible, il ne restait plus à réaliser que le développement intellectuel de l'homme. Une révolution, dont il faut rechercher la cause dans le globe même et dont le résultat fut un bouleversement total de l'ordre de choses existant, devait réaliser ce dernier progrès. La cause de cette révolution fut un déplacement de l'axe du globe, accompagné non-seulement de violents phénomènes volcaniques, mais aussi d'un déluge général, provoqué par ce même déplacement. Je vais démontrer dans les pages qui suivent quels fuient les effets de ce déluge sur les littoraux, et je prie le lecteur qui voudra me suivre dans ces recherches, de se munir d'un globe ou au moins de cartes assez exactes comprenant les cinq parties du monde(1).

(1) Quant au déplacement même de l'axe, je me bornerai à faire observer que si l'on suspend quelque part ou poids à on anneau se mouvant horizontalement sur son centre, ou si l'on eu diminue quelque part le poids, ce n'est que par un déplacement de son plan sous un angle de 90° que l'équilibre peut se rétablir. Un déplacement de l'axe du globe sous un angle de 90° est dès lors ce qu'il y a de plus probable, soit qu'on l'attribue à une influence magnétique ou à une force purement mécanique, par exemple à un affaissement sous l'équateur, par la raison qu'en admettant un déplacement semblable , le globe a pu le plus promptement, et sans des bouleversements trop considérables , reprendre le repos nécessaire durant la rotation. Mais comme il n'est guère probable que ce repos ait été absolu après le déplacement de l'axe, il est bien possible que le déplacement périodique de l'axe du globe, que les astronomes attribuent à une antre cause, savoir à la révolution de la lune autour du soleil, soit du moins en partie la conséquence du grand déplacement que je suppose avoir eu lieu.

 

CHAPITRE XIV.

LA FORME DES CINQ PARTIES DU MONDE EST DUE EN PARTIE A L'ACTION DU DÉLUGE SUR LE LITTORAL DES ANCIENS CONTINENTS.

 

Il faut chercher la cause du déluge, principalement dans deux circonstances ; savoir : 1° l'inaptitude des eaux à obéir aussi promptement que les parties solides du globe à la nouvelle force motrice; 2° la faculté qu'avaient les eaux de revêtir plus facilement que l'écorce solide du globe la nouvelle forme sphéroïdale, après que le globe eut pris sa nouvelle position. Par conséquent, du moment où l'équilibre fut rétabli, la mer a dû chercher à gagner les régions de l'équateur et recouvrir toutes les terres que ne protégeaient pas contre l'inondation l'élévation de leur ancien niveau ou le soulèvement récent. Ce sont ces circonstances qui ont déterminé la direction des deux courants principaux du déluge. En même temps, par l'effet du nouveau plan de rotation d'ouest en est, une direction occidentale a dû être imprimée au second courant principal, qui transportait les eaux des pôles actuels vers l'équateur actuel, et il a dû en résulter un refoulement prodigieux de ces mêmes eaux. Si l'effet de cette direction occidentale n'a pas été bien considérable près des pôles, où la rotation du globe est peu sensible, il a dû en Revanche être d'autant plus violent sous l'équateur, où la masse des eaux était très-considérable. Cette direction du courant a sans doute joué un rôle important, et c'est elle en partie qui a façonné les golfes et les bras de mer que le courant y avait creusés. Pour répandre plus de clarté sur cette matière, je distinguerai trois courants principaux, sans compter les courants secondaires. On conçoit en effet qu'un globe qui chemine dans l'espace a dû éprouver des vibrations prolongées par suite du déplacement de son axe. Ces vibrations n'ont pas laissé d'exercer quelque influence ; mais en tous cas les courants qu'elles ont occasionnés et les mouvements de toute nature qu'elles ont fait subir à la mer n'ont été que des agents subalternes dont l'influence ne saurait être comparée à celle des trois courants principaux. 

Examinons d'abord l'effet du premier courant principal qui est résulté de l'inaptitude des eaux â obéir aussi promptement que les parties solides du globe à la nouvelle force motrice pendant le déplacement de l'axe.

Si nous nous représentons le point de l'Atlantique où le méridien de l'île de Fer coupe l'équateur actuel sous l'ancien pôle nord, et le point opposé de la mer Pacifique à la place du pôle sud actuel ; si nous considérons en outre que le globe s'est mu dans la même direction qu'actuellement, savoir de la gauche à la droite (a—b), c'est-à-dire de l'ouest à l'est, et que la force qui a déplacé l'axe, force que je désigne par la lettre x, a commencé par attirer lentement vers le pôle nord les parties de la surface du globe qui occupent aujourd'hui les régions de ce pôle, mais qui précédemment, d'après mon hypothèse, étaient situées sous l'équateur, dont je nommerai le centre y, il est clair que, par suite de la rotation du globe autour de son axe, le point y n'aura pu se diriger directement de l'équateur vers le pôle nord, mais qu'il aura dû suivre la diagonale des forces.

En effet, deux forces se trouvaient ici en présence. D'une part l'ancienne rotation du globe de l'ouest à l'est (a—b), c'est-à-dire de a vers b, sollicitant toutes les parties de sa surface, et par conséquent aussi le point y dans la direction de l'ouest à l'est avec une vitesse donnée, qui aura été en diminuant de l'équateur vers les pôles; d'autre part l'influence de x sur y, qui, attirait avec une certaine vitesse ce dernier point vers le pôle nord, et formait un angle de 90° avec l'ancienne force de rotation,

Sollicité ainsi par ces deux forces, le point y n'aura suivi ni la ligne a b, ni la ligne a c, mais leur diagonale a d.

Or, comme la vitesse de la rotation va toujours en diminuant de l'équateur aux pôles, il s'ensuit que le point y devra aboutir au pôle nord, en décrivant une spirale dont les cercles iront en diminuant ; réciproquement les lieux qui précédemment se trouvaient sous les pôles, se porteront vers l'équateur, en décrivant une spirale dont les cercles iront en augmentant.

Quand les forces agissent à angle droit, la ligne que parcourt un corps en suivant la diagonale des forces {voyez la dernière figure ci-dessus) est plus longue que celle qu'il aurait parcourue, s'il n'était mu que par une de ces forces ( ad est plus grand que ab ). Pour peu que le mouvement selon la diagonale ait lieu dans le même espace de temps, il devra être accéléré. Cela posé, il est clair que le point y, en cédant à la force diagonale occasionnée par x et l'ancienne rotation du globe, avancera à chaque pas de sa route de l'équateur vers le pôle nord avec une vitesse relativement plus grande qne celle qu'il aurait eue, s'il avait suivi simplement l'ancienne rotation du globe. A l'exception des deux points où l'ancien et le nouvel équateur se croisent, c'est-à-dire des deux points qui sont restés situés sous l'équateur, il en sera de même pour tous les autres points de la surface du globe, puisque, par l'effet de la masse solide du globe, la force x agira partout également. Jusqu'à ce que l'équilibre se soit rétabli, la surface du globe sera donc animée d'une plus grande vitesse que si elle n'avait obéi qu'à la force de rotation. Cette accélération sera surtout sensible sur le fond solide de la mer; les eaux, au contraire, qui en sont moins affectées, subiront un mouvement inverse à la diagonale qu'aura suivie le fond.

Pour déterminer exactement la vitesse de ce courant du déluge, il faudrait savoir de combien était plus grande la vitesse accélérée du globe ; or, comme la force qui a attiré le point y vers le pôle nord est inconnue, et qu'il est impossible, dans l'état actuel de nos connaissances géologiques, de calculer la résistance qu'a rencontrée la niasse des eaux sur les différents points de la surface du globe, nous sommes par là même privés de toute base solide pour asseoir nos calculs. Nous serons donc obliges de recourir à l'histoire, dont les renseignements autorisent à conclure que le déplacement de l'axe s'est effectué dans un laps de temps relativement long, et que par conséquent le premier courant du déluge doit s'être avancé avec une grande lenteur.

Mais, quelque lent qu'ait été le déplacement de l'axe, il n'en est pas moins certain que le poids prodigieux de la masse d'eau, qui successivement sortait de son ancien lit, a dû exercer une influence considérable sur les littoraux. C'est ce que j'essaierai de démontrer en jetant un coup d'œil rapide sur chacune des grandes mers; mais, comme il est difficile de suivre sur une surface plane la diagonale des forces qui ont animé le globe pendant le déplacement de son axe, il sera plus convenable de les décomposer dans leurs deux éléments, savoir: la force rotatoire primitive et la force qui tendait à déplacer l'axe de rotation, pour en conclure approximativement la diagonale du mouvement.

Même en suivant cette marche, il sera difficile de déterminer quelle a été l'influence de ces forces combinées sur le mouvement des terres solides, et par conséquent sur la direction de l'inondation qui a suivi une direction inverse. Quoi qu'il en soit, il est évident que l'énergie de ces forces a dû beaucoup varier par suite de la forme sphérique du globe. Si nous nous figurons que la partie de l'Atlantique, qui actuellement se trouve au point de jonction du méridien de l'île de Fer et de l'équateur, était placée autrefois aux régions du pôle nord; qu'elle a été transférée lentement dans sa situation actuelle, on conçoit que la vitesse du mouvement a dû atteindre son maximum sous le méridien de l'île de Fer, et qu'elle est allée en diminuant à partir de ce méridien jusqu'à se perdre aux deux points opposas du globe, c'est-à-dire à 90° de ce méridien. Il en est de même de l'influence que l'ancienne force rotatoire du globe doit avoir exercée. Aux lieux qui anciennement occupaient les régions polaires, et qui, par conséquent, se trouvent actuellement au point de jonction du méridien de l'île de Fer et de l'équateur, cette force doit avoir été nulle, tandis qu'elle a déployé sa plus grande énergie à 90° de ces points, aux régions qui se trouvaient sous l'ancien équateur et qui aujourd'hui sont aux pôles. En suivant la diagonale de ces deux mouvements, la vitesse de la rotation du globe doit avoir été accélérée; la mer, qui n'a pu suivre assez vite la nouvelle impulsion donnée, a pris une direction opposée et a ainsi occasionné le premier courant principal du déluge, qui nous a laissé des traces non équivoques de sa direction dans la forme des golfes et des bras de mer, lesquels sont ainsi devenus des témoins du déplacement d'axe.

I. Océan Atlantique. On sait que cette mer s'étend du nord au sud sous le méridien de 1'île de Fer. S'il est vrai que la partie de la surface du globe, qui avant le déplacement d'axe était située au pôle nord, a été lentement transférée dans sa situation actuelle au point de jonction de ce méridien et de l'équateur, il a dû résulter de ce déplacement un mouvement du nord au sud qui se sera communiqué au fond de la mer. Ce mouvement a dû atteindre son maximum sous le méridien de l'île de Fer, et diminuer à l'est et à l'ouest de ce méridien. L'influence du mouvement rotatoire du globe devait à son tour exercer une influence notable, en imprimant aux parties solides du globe ou au fond de la mer un autre mouvement. Par suite de la plus grande force motrice dont étaient douées les régions voisines de l'équateur, l'énergie de ce dernier mouvement a dû aller en augmentant des régions des anciens pôles vers l'ancien équateur; le fond de l'Atlantique a dû, en vertu de l'ancienne rotation du globe autour de  son axe, subir un mouvement demi-circulaire qui, au nord de l'équateur actuel (ou plutôt au nord du point qui jadis était situé sous le pôle nord), le poussait de l'est à l'ouest et dont la force allait en croissant jusqu'au point occupé par le pôle actuel, tandis qu'au sud de l'équateur le mouvement imprimé au fond de la mer était dirigé de l'ouest à l'est et allait en croissant jusqu'à la région située actuellement sous le pôle sud (1).

(1) Le lecteur voudra bien ne pas perdre de vue qu'à proprement parler il n'es1 pas question de différents équateurs ou de différents pôles, mais seulement d'un déplacement des différentes parties de la surface du globe relativement au plan invariable de l'équateur et aux points invariables nommés les pôles. Quand donc il est question, dans le présent ouvrage, de » l'équateur actuel, . je désigne par la la partie de la surface du globe qui actuellement est située dans le plan de l'équateur, de même que l'expression » l'ancien pôle nord « désigne le lien qui précédemment était situé sons le pôle nord, et ainsi de suite.

Ce que je viens de dire de la vitesse accélérée du mouvement diagonal explique pourquoi le courant de l'Atlantique, et par conséquent aussi la disposition des golfes formés par ce courant, supposent une direction inverse de celle de la diagonale susmentionnée. On comprend également la forme du littoral des contrées voisines de l'Atlantique, puisque par suite de l'ancienne rotation du globe les flots de la mer venant du midi devaient déjà, dans l'Europe méridionale, commencer à prendre une direction de l'est à l'ouest, et que cette direction a dû être plus prononcée à mesure que le courant avançait vers le nord. Je ne vois pas que, selon le principe qui vient d'être avancé quant au creusement des bras de mer, l'existence d'une telle invasion de la mer puisse être révoquée en doute. Je ne pense pas que quiconque a examiné attentivement les golfes et les bras de mer de la Norvège, de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, ceux de la côte occidentale de la France, de l'Espagne et du Portugal, ainsi que le détroit de Gibraltar, puisse récuser l'idée qu'une irruption prodigieuse de la mer, venant à peu près du sud-ouest et ayant une direction de plus en plus prononcée de l'ouest à l'est à mesure qu'elle avançait et augmentait en violence, a inondé la partie occidentale de l'Europe septentrionale, et changé sa forme en détachant et submergeant des contrées d'une étendue considérable, creusant des baies et des bras de mer profonds et ne laissant en place que les rochers les plus solides qui pouvaient braver la fureur de la mer. Aussi ces rochers ne sont-ils nulle part aussi fréquents que sur les côtes de la Norvège, qui plus qu'aucun autre pays a été exposé à la fureur des vagues, et qui a sans doute, conjointement avec la Grande-Bretagne et l'Irlande, formé la muraille la plus forte contre l'invasion de la mer (1). Qu'on considère, par exemple, la cote aride de la Suède avec ses récifs, depuis Kullen jusqu'en Norvège, et l'entrée du port de Gothenbourg avec ses massifs de rochers dépourvus de végétation, et l'on reconnaîtra que l'hypothèse qui voit dans l'aridité de ces contrées l'ouvrage d'un terrible courant inondant la partie sud-ouest de la Suède, décomposant tous les terrains meubles, creusant le golfe profond de Christiania entre la Suède et la Norvège, est aussi fondée que celle qui attribue ces rochers à un soulèvement lent. J'espère qu'il deviendra évident par la suite de cet ouvrage que ces contrées de la Scandinavie ont été exhaussées longtemps avant l'époque du déluge, et que les soulèvements qui actuellement ont lieu en Scandinavie sont une suite du déplacement d'axe, qui a provoqué l'affaissement de certaines parties du globe, qui actuellement cherchent à reprendre leur position relativement au centre du globe, telle que les lois de la nature la leur assignent (1).

(1) Une circonstance digne d'attention , c'est que ce premier courant principal semble expliquer le phénomène si remarquable mentionné entre autres par W. Buckland dans l'introduction de son ouvrage intitulé : Geology and Mineralogy, savoir, que la côte occidentale de l'Angleterre ne présente que des formations anciennes, et qu'elle a pour cette raison une apparence très-aride et sauvage , tandis que l'intérieur de ce pays est riche en terrains houillers d'une étendue prodigieuse, qui offrent des conditions d'existence à une nombreuse population Industrielle , et que la cote orientale est formé* de terrains plus récents, même d'alluvions qui en font un pays agricole couvert de champs et de prairies. Il n'est par conséquent pas hors de propos d'admettre que c'est le déluge, dont le premier courant suivait une direction sud-ouest, qui a donné à l'Angleterre son apparence si variée, en détachant de la côte occidentale les terrains relativement modernes et peu cohérents, et en se ralentissant peu à peu dans sa marche destructive. Il sera démontré plus tard que le second courant principat, qui a déposé les terrains diluviens de l'Angleterre, doit être venu du nord, et que ce courant a effacé ou du moins rendu moins sensibles les traces du premier courant principal. La circonstance qu'à la même époque un affaissement considérable a eu lieu près de la côte orientale de la Grande-Bretagne confirme cette hypothèse.

(1) En 1840, j'eus encore une fois l'occasion de faire un voyage eu Norvège par le bateau à vapeur qui fait le service de Copenhague à Christiania. Je pus dunc étudier attentivement l'entrée du port de Gothenbourg, ainsi que les divers points du golfe de Christiania auxquels touche le bateau à vapeur. Les nouvelles observations que je fis me confirmèrent dans l'idée que la forme du littoral est due en partie du moins à une invasion de la mer venant du sud-ouest. Cette idée a été fortifiée chez moi dans mon dernier voyage en Norvège , en 1844 , lors de la réunion des naturalistes Scandinaves à Christiania. Les eaux de l'Atlantique au nord de l'équateur actuel ont donc été poussées du sud au nord avec une tendance de plus en plus prononcée à dévier à l'est, à mesure qu'elles approchaient du pôle. Cette disposition se révèle aussi dans la forme de la côte d'Afrique depuis la Sénégambie jusqu'au détroit de Gibraltar, bien que cette partie du monde fût protégée par les monts Atlas.

Cependant les eaux de l'Atlantique septentrionale, tout en exerçant leurs ravages sur l'Europe occidentale et surtout sur sa partie nord-ouest ( qui certainement a été entièrement inondée), et tout en se frayant un chemin entre le Groenland et la Norvège, ont dû rencontrer des obstacles très-considérables dans les montagnes de l'Europe occidentale, ce dont font foi les Hébrides, les Orcades, les îles de Schetland et de Faro, ainsi que l'Islande, dont la physionomie nous dit assez que c'est elle qui a reçu le premier choc de la mer agitée. Cette résistance, conjointement avec la tendance des eaux de la partie méridionale de l'Atlantique septentrionale ( savoir la partie de l'Atlantique qui se trouvait aux régions de l'ancien pôle nord ), a dû forcer ces eaux à submerger le Groenland et des étendues très-considérables de la partie orientale de l'Amérique du nord, et, tout en décomposant des masses prodigieuses des terrains meubles, donner naissance au golfe de Baffin, aux détroits de Cumberland et de Hudson, et peut-être aussi au golfe de Hudson, qui cependant semble plutôt avoir été formé par le second courant principal des eaux venant du nord.

Les eaux de la partie de l'Atlantique qui occupe l'hémisphère au sud de l'équateur actuel n'ont pas causé des ravages aussi violents. Comme elles avaient également une direction sud-nord, elles ont plutôt contribué à augmenter la violence du courant dans la partie septentrionale de l'Atlantique. Nous avons montré en effet que plus la mer était éloignée de l'ancien pôle nord, plus la vitesse du courant occasionné par le mouvement inverse du fond solide a du être considérable. Les eaux de l'Atlantique au nord-est des Antilles furent entraînées avec beaucoup plus de violence que celles de la partie située vers les îles du cap Vert et la Sénégambie, et par conséquent firent place beaucoup plus promptement que ces dernières aux nouvelles masses d'eau. La vitesse du courant occasionné par là le long de la partie orientale de l'Amérique méridionale dans la direction des Antilles, doit encore avoir été accélérée par la circonstance que les eaux de l'Atlantique au sud de l'équateur actuel (eaux qui d'abord ont été arrêtées par l'Afrique, dans les flancs de laquelle elles ont creuse le golfe de Guinée, et par les îles à l'ouest de l'Afrique, ainsi que par les masses d'eaux qui se mouvaient avec moins de célérité ) étaient également chassées dans la direction des Antilles. Cette direction, de concert avec le troisième courant principal, qui était moins violent que les autres, et qui suivait aussi la direction de l'est à l'ouest, nous explique facilement l'origine des Antilles, qui, selon toute apparence, faisaient originairement partie du continent américain,

ainsi que l'origine du grand golfe du Mexique. Il est probable aussi que l'Amérique méridionale doit en partie sa forme allongée et aiguë du côté du sud, à l'influence de la partie méridionale de l'Atlantique ; du moins remarque-t-on des témoins de la violence croissante des flots dans les grandes masses de rochers noirs qui accompagnent la côte depuis les environs de Fernambuco jusqu'au cap Horn. Ce fait est d'accord également avec l'hypothèse qu'au sud de l'équateur actuel, l'Atlantique avait une tendance très-prononcée à dévier à l'ouest.

Ainsi le littoral des terres qui environnent l'Atlantique rend pour ainsi dire témoignage des courants survenus dans cette mer à la suite du déplacement de l'axe du globe, et la violence de ces courants est attestée par la profondeur relativement très-considérable de l'Atlantique. Des sondages exacts, si jamais on est en état d'en exécuter, démontreront sans doute que cette mer a le plus de profondeur aux lieux où, selon mon hypothèse, les courants ont dû être le plus violents et où la mer était le plus resserrée.

2. Quoique moins faciles à signaler, les effets du déluge n'ont pas dû être moins sensibles dans l'océan Pacifique. Tandis que l'ancien pôle nord était transporté dans la région où l'équateur actuel coupe le méridien de l'Ile de Fer, l'ancien pôle sud émigrait dans la région correspondante de l'océan Pacifique qui aujourd'hui est l'équateur. Ce déplacement n'a pu s'opérer sans communiquer aux eaux de l'océan Pacifique un mouvement diagonal en sens inverse de celui dont était animée la masse solide du globe ; mouvement qui a dû amener la destruction de terres étendues. Ce que nous voyons confirme l'existence d'une telle révolution.

Considérons d'abord l'océan Pacifique au nord de l'équateur actuel, ou si l'on aime mieux au nord de l'ancien pôle-sud. La force qui a déplacé l'axe du globe a dû communiquer au fond de la mer un mouvement, du sud au nord, qui aura été à son maximum sous le méridien de l'ile de Fer, mais qui à mesure qu'il avançait vers l'ancien équateur a été modifié par le mouvement rotatoire du globe autour de son axe de l'ouest à l'est. Ces mouvements combinés auront communiqué à cette mer un mouvement inverse de leur diagonale, soit du nord-est au sud-ouest, et poussant les eaux contre la côte orientale du continent de l'Asie et de la Nouvelle-Hollande, elles auront donné naissance aux formes déchirées et découpées que présente le littoral de ces contrées, ainsi qu'aux îles nombreuses dont abondent l'Asie orientale et l'Océanie. Aussi semble-t'il qu'il n'y ait qu'un déluge qui ait pu produire un si grand nombre d'iles et leur donner leur forme propre. — La partie septentrionale de la mer Pacifique a, par conséquent, exercé sa plus grande influence sur l'Asie orientale et l'Océanie ; elle a en outre agi sur l'Amérique, qui a principalement dû ressentir l'influence de cette partie de la mer qui est au sud de l'équateur actuel. L'ancienne rotation du globe a dû imprimer au fond de cette partie de l'océan Pacifique, ainsi qu'au fond de tout le Grand-Océan, un mouvement circulai je autour de l'ancien pôle-sud, et ce mouvement a dû être à son maximum sous l'ancien équateur, c'est-à-dire à 90° de l'ancien pôle-sud, ou à 270" à l'est de l'ile de Fer, où cet équateur aura suivi à peu près la direction actuelle du nord au sud. Ainsi, tandis que la force qui déplaçait l'axe du globe portait la pointe méridionale de l'Amérique par un mouvement circulaire au sud-ouest, la mer recevait le long de ses côtes une impulsion inverse ; la même force aura poussé l'Amérique septentrionale vers le nord, en lui faisant subir un mouvement circulaire, tandis que les eaux de la partie septentrionale de la mer Pacifique étaient lancées au sud-ouest par-dessus l'Asie orientale et l'Océanie, laissant la place qu'elles avaient occupée à d'autres masses d'eau. Par suite de ces mouvements compliqués la mer Pacifique a dû être animée d'un mouvement semi-circulaire le long de toute la côte occidentale de l'Amérique, depuis sa pointe méridionale jusqu'aux îles Aléoutes, et c'est aux endroits où le courant était le plus violent et où les terres étaient le moins protégées par des montagnes que l'Amérique a dû souffrir le plus de l'influence du déluge.

Cette hypothèse se trouve en effet confirmée par l'observation. Toute la côte occidentale de l'Amérique est découpée jusqu'aux régions que protégeaient contre la violence des eaux les Andes et leurs ramifications ; c'est l'Amérique du sud et l'Amérique moyenne jusqu'à la Californie qui ont souffert le plus. Nous remarquons aussi que là où le courant était le plus fort, la mer ne présente que quelques îles rocailleuses, dont les masses de granit ont pu résister à la puissance des eaux. Les îles de Sainte-Hélène, de l'Ascension, les Hébrides occidentales, les Orcades, les îles de Shetland, celle de Faro et l'Islande, situées aux lieux où le courant a été le plus fort, confirment également cette hypothèse. De même aussi la mer Pacifique, qui sans doute est redevable de sa grande profondeur le long de la côte occidentale de l'Amérique à la violence du courant, ne présente que quelques roches le long de cette côte, telles que l'île de San-Juan-Fernandez, celle de San-Felipe, les îles de Gallapagos, etc.

C'est ainsi que la mer elle-même nous fournit une preuve des ravages du déluge. C'est sans doute aussi par suite du mouvement du déluge le long des terres, que la côte occidentale de l'Amérique est restée privée de bras de mer profonds et sûrs, tandis qu'ils sont fort nombreux le long de presque toute la côte de la Norvège et d'une grande partie de la côte orientale de la Chine, par suite sans doute de la circonstance que le courant violent s'est jeté sur ces derniers pays dans une direction oblique.

3. Si nous considérons maintenant la mer des Indes ou la partie du Grand-Océan placée entre l'Amérique, l'Asie et la Nouvelle-Hollande, nous trouverons que la force, qui a déplacé l'axe, de concert avec celle qui faisait tourner le globe autour de son ancien axe, ont également dû communiquer à cette mer une direction inverse de la diagonale de ces mouvements. L'énergie de ce courant, qui par conséquent aura été du nord au sud, a dû atteindre son maximum sous l'ancien équateur ou à 90° à l'est du méridien de l'île de Fer ; mais comme la force qui déplaçait l'axe faisait en même temps décrire à la côte orientale d'Afrique, et principalement à sa partie méridionale, un mouvement oblique vers la mer, le courant a été obligé de prendre une direction nord-est sud-ouest et a ainsi inondé la côte avec une violence proportionnée à sa force. Or, comme celle-ci a dû atteindre son maximum au point le plus méridional, ceci nous explique comment à été creusé le détroit de Mozambique, comment ont été formées l'île de Madagascar et les îles au nord-est et à l'est de celle-ci, qui sont en partie composées d'énormes rochers qui probablement étaient réunis à l'Afrique. Cette même hypothèse nous explique aussi la forme aiguë de la partie méridionale de l'Afrique. La mer des Indes, poussée dans la direction nord-est sud-ouest, détachait de cette partie du monde les terrains qui formaient l'ancien littoral du côté du sud-est, tandis que les eaux de la partie méridionale de l'Atlantique, poussées dans une direction sud-est nord-ouest, enlevaient les terrains qui formaient l'ancien littoral du côté du sud-ouest. Ces deux mers réunies ont pour ainsi dire fait tournoyer autour de la côte du Cap les eaux qui de la sorte ont arrondi la pointe méridionale de l'Afrique, et ont creusé le lit profond de la mer autour du cap de Bonne-Espérance. C'est du moins un fait digne de remarque que toute la côte orientale de l'Afrique, et sa côte occidentale, aient la même forme que les masses de rochers qui les protègent et les fortifient. Nous retrouvons ce même phénomène plus ou moins prononcé dans la forme du littoral des autres parties du monde, ce qui vient encore à l'appui de ma théorie.

4. Le froid et les glaces nous empêchent d'avoir des renseignements exacts sur les terres baignées par la mer Glaciale du sud. Nous savons cependant qu'elles sont formées de rochers arides ou couverts seulement d'un peu de terreau, et leur constitution particulière ainsi que leur peu d'étendue relativement à la mer qui les entoure indique assez qu'elles ont beaucoup souffert des attaques de la mer, dont le mouvement était accéléré, quant à l'Atlantique, par la force qui déplaçait l'axe du globe ; et quant à la mer Pacifique, par suite du mouvement rotatoire du globe autour de son axe. Les eaux de la mer du Sud, poussées le long de la côte orientale et occidentale de l'Amérique du sud, ont ainsi contribué de concert avec celles de l'Atlantique et de la mer Pacifique à donner à ce pays sa forme allongée et pointue.

Cet aperçu succinct de la direction du premier courant principal du déluge et de son influence sur les côtes des cinq parties du monde, nous conduit ainsi à ce résultat très-important : c'est que la forme du littoral de ces cinq parties du monde n'est pas l'effet du hasard, mais se rattache à l'une des révolutions de la nature. Cette révolution est l'un des anneaux les plus importants de la grande chaîne d'événements, qui, conformément au plan sage et invariable de la Providence, a amené successivement l'ordre de choses actuel sur la terre. Cette vérité gagnera en évidence lorsqu'on aura suivi ma théorie dans ses détails.

La seconde direction principale du déluge, celle des pôles vers l'équateur, confirme aussi d'une manière frappante l'opinion que je viens d'énoncer. Après que l'Atlantique se fut ouvert un passage entre la Norvège et le Groenland et qu'elle eut inondé une partie de l'Europe occidentale et de l'Amérique orientale, les eaux ont dû s'accumuler dans les régions du pôle-nord ; mais lorsque l'équilibre fut rétabli, la tendance du globe à prendre sa forme sphéroïdale a dû forcer les eaux à s'écouler de nouveau dans toutes les directions vers l'équateur. Ce mouvement a donné naissance aux baies et aux bras de mer qui courent du nord au sud, tels que ceux qui se trouvent le long de la mer Glaciale du nord. Aussi voyons-nous que toute la partie septentrionale de la Sibérie, de l'Europe, de l'Islande et même de l'Amérique, qui cependant nous est fort peu connue, présente une suite non interrompue de golfes et de bras de mer qui, à peu d'exceptions près, suivent avec la plus grande régularité une direction nord-sud (1).

(1) Les effets sus-mentionnés de l'invasion de la mer qui est venue des régions polaires, et qui a probablement déposé les terrains diluviens de l'hémisphère septentrional, ont sans doute engagé Huckland et plusieurs autres géologues à prétendre que » le déluge est venu du nord , » ce qui sera , je m'en flatte. évident lorsque j'aurai traité des terraina erratiques du Nord , et du creusement des golfes et des bras de mer do Catégat et de la Baltique.

Bien moins faciles à suivre et bien moins réguliers sont les effets du courant de la mer dans la direction du pôle sud à l'équateur. Il en faut chercher la raison dans diverses circonstances. Et d'abord que les terres sont relativement rares dans l'hémisphère méridional depuis le pôle sud jusqu'au 45°. Ajoutez à cela que les terres, depuis cette latitude jusqu'à l'équateur, où le globe est formé de masses plus solides, étaient déjà soulevées lors du déplacement d'axe, de sorte que la violence des eaux a dû être moins grande sous cette latitude. Observons encore que l'influence du troisième courant principal, occasionné par la rotation du globe d'ouest en est, et qui par conséquent suivait la direction inverse de l'est à l'ouest, a dû aller en croissant à mesure que le second courant principal approchait de l'équateur, où la vitesse du mouvement rotatoire du globe est à son maximum. Ajoutez enfin le balancement considérable de la mer, occasionné, soit par les mouvements plus ou moins irréguliers auxquels le globe a dû. être sujet pendant quelque temps, à la suite du déplacement de son axe, soit par la réaction des courants du nord au sud qui sont venus se heurter sous l'équateur, et l'on comprendra facilement pourquoi les régions de l'équateur actuel entre le 45° degré de latitude septentrionale et méridionale sont celles où les traces non équivoques d'une direction prépondérante du déluge sont les moins fréquentes, spécialement au sud de l'équateur, où la masse d'eau était plus considérable. Les traces de courants n'y sont cependant pas entièrement nulles : c'est ainsi que le grand golfe qui forme toute la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande semble être l'effet d'un puissant courant venant du côté du sud, et la grande masse de ces mêmes eaux semble expliquer comment en venant de ce côté elles ont pu repousser le courant du nord et creuser les golfes de la mer des Indes, et comment conjointement avec le troisième courant principal, dont la direction était de l'est à l'ouest, elles ont pu creuser et modifier les golfes nombreux de l'Asie, qui tous plus ou moins semblent se rattacher à un courant venu du sud-est, tels que la mer Rouge, le golfe Persique, le golfe de Siam et celui de Tonkin, la mer Jaune, etc. Plusieurs des golfes de la côte orientale de l'Afrique et de l'Amérique semblent aussi se rattacher au troisième courant principal, qui probablement a exercé une influence notable sur la forme des côtes de la Méditerranée.

Quoiqu'il soit difficile d'indiquer la loi selon laquelle ont été creusés les golfes de la Méditerranée, on n'est cependant pas entièrement dépourvu de guide en suivant ma théorie. Le premier courant du déluge venant du sud-ouest semble avoir laissé des traces dans les golfes de Gênes et de Venise, mais surtout dans la forme du littoral de la Dalmatie ainsi que dans celle de la côte occidentale de la Turquie, de la Grèce et de l'Asie-Mineure. Peut-être aussi ce courant a-t-il formé les détroits des Dardanelles et de Constantinople, bien qu'ils semblent dater d'une époque plus récente. De même que la côte méridionale de la Mer Noire forme deux baies qui rappellent le second courant principal, de même la circonstance que la Méditerranée ne présente pas de golfes dans la direction du nord au sud, mais que la mer le long de l'Afrique est peu profonde et son fond formé de sable, semble confirmer ma théorie, puisque, pendant que le déplacement d'axe avait lieu, la partie de l'Europe qui est au midi du 45° de latitude boréale, devait être suffisamment exhaussée pour être à l'abri des eaux, si ce n'est de celles que le premier courant principal avait élevées à un niveau plus considérable. Mais c'est surtout le troisième courant, dont la direction est de l'est à l'ouest, qui a laissé des traces sensibles sur les côtes de la Méditerranée, en imprimant aux eaux poussées du côté du nord et du nord-est par le premier courant principal, une direction nord-ouest, direction qui est très visible dans les golfes du littoral de la France et de l'Espagne, mais surtout dans celui de Tarente, dans la mer Adriatique et dans la côte orientale de la Turquie et de la Grèce.

On peut sans doute élever des doutes sur l'exactitude de plusieurs détails de la théorie du creusement des golfes et des bras de mer que je viens d'exposer. Néanmoins elle me semble assez évidente, dans ce qu'elle a d'essentiel , pour former, conjointement avec les indices nombreux qui déjà ont été signalés ou qui vont l'être, une preuve irréfragable du déplacement d'axe que je suppose avoir eu lieu.

Je ne saurais terminer cette partie du présent ouvrage sans mentionner deux phénomènes du plus grand intérêt géologique pour les Scandinaves, savoir : les terrains erratiques (diluvium) de l'hémisphère boréal, principalement ceux de l'Europe septentrionale, et le creusement des baies du Catégat ainsi que des golfes de la Baltique. Les terrains erratiques ont donné lieu à nombre de conjectures, et M. Forchhammer a établi à leur sujet une hypothèse très-ingénieuse, qui s'accorde en ce qu'elle a d'essentiel avec mon hypothèse d'un déplacement d'axe et ses conséquences immédiates.

 

CHAPITRE XV.

LA FORMATION DU TERRAIN ERRATIQUE DE LA SCANDINAVIE ET DE L'HÉMISPHÈRE SEPTENTRIONAL EST UNE CONSÉQUENCE DES DIFFÉRENTS DÉPLACEMENTS DE L'AXE DU CLORE , NOTAMMENT DU DERNIER QUI A OCCASIONNÉ LE DÉLUGE.

 

Le terrain erratique de l'Europe septentrionale présente, pour me servir des paroles mêmes de M. Forchhammer, un phénomène géologique du plus grand intérêt. On le trouve dans la plus grande partie de la Suède méridionale, dans tout le Danemark, dans la partie orientale de l'Angleterre méridionale, dans l'Allemagne septentrionale jusqu'aux montagnes du Harz et de Saxe, dans la plaine orientale de l'Europe autour de la Baltique, et il a sans doute des rapports intimes avec le terrain erratique de la Pologne et de la Russie. Sa surface très-inégale forme rarement des plaines étendues, et, sous ce rapport, il diffère beaucoup de la formation à grès humique (formation d'Ahl), qui est plus récente et dont la surface est partout unie. Quelquefois cependant ce terrain forme des plaines et nous en avons des exemples dans les landes de Vibourg, mais en général sa surface est ondulée. Le sol de toute la Sélande, de la Fionie, et des petites îles dont se compose le Danemark (à l'exception toutefois de l'île élevée de Mœn), ainsi que celui de la partie orientale du Jutland, du Slesvig et du Holstein, a partout le caractère de terrain erratique, et, grâce aux masses d'argile qui entrent dans la composition de ce terrain, le sol de ces contrées est favorable à la culture du blé et du colza et au développement du hêtre. La surface ondulée de ce terrain présente toujours des formes arrondies et des collines isolées ou réunies en groupes. Les chaînes de collines sont rares et de peu d'étendue. Les vallées ont le même caractère ; elles sont pour l'ordinaire évasées et profondes, leurs berges sont plus ou moins élevées. Qu'on se représente une quantité de segments sphériques placés ù côté les uns des autres, et l'on aura une image du terrain erratique du Danemark. Les vallées en forme d'auge ont été autrefois des lacs, dans les plus petits desquels s'est déposé par la suite des temps un terrain bourbeux qui les a comblés.

C'est cette variété de collines et de vallées qui, jointe à la fertilité d'un sol approprié à la culture des céréales et au développement du hêtre, a donné aux contrées que je viens de mentionner leur caractère gracieux et riche, mais en même temps uniforme. Ce n'est qu'aux environs de Veile et au nord de cette ville que les vallées prennent une forme plus allongée. Dans les régions où les couches de sable prédominent, les côtes de la mer sont plates et unies ; là où l'argile domine, elles sont escarpées et minées parla mer, qui parfois y a creusé des golfes profonds qui s'étendent bien avant dans les terres.

Le terrain erratique se compose de sable, de marne, d'argile bleue et jaune, et on y trouve répandus depuis la surface jusqu'à la base des fragments de granit, de gneiss, de porphyre amphibolique, de grès de transition, de grunstein, etc., tandis que les pierres, dont la substance n'est pas très-dure, s'y rencontrent rarement. Les gros blocs ont perdu pour la plupart leurs angles saillants, et leur surface arrondie porte d'ordinaire les traces d'un frottement long et continu. On en trouve quelquefois qui sont très-volumineux; il en est un dans le diocèse de Flade dans l'île de Mors, qui a 7 mètres de long sur 6 mètres de large, et dont l'épaisseur est inconnue. Des blocs semblables existent en Allemagne, où l'on citait jadis comme l'un des plus remarquables la pierre de Markgraf sur le Rauhe-Alpe, qui pesait 250000 kilogrammes; on en a fait un vase de 7 mètres de diamètre. C'est encore un fait digne de remarque, que ces blocs ne se trouvent pas seulement à la surface du sol, mais jusque dans les plus grandes profondeurs des dépôts sablonneux et argileux qui entrent dans la composition du terrain erratique.

Les blocs erratiques appartenant aux formations plutoniennes ou à celles de transition présentent des traces si évidentes de leur affinité avec les roches des montagnes de la Scandinavie, qu'on ne saurait douter qu'ils n'aient été amenés de ces montagnes ou d'autres qui leur ressemblent. Le silex est de l'espèce que renferment les terrains calcaires du Danemark ; d'autres espèces de pierres telles que le basalte et l'olivine, trouvées aux environs de Copenhague, mais originaires d'Hor, près de Ringsis en Scanie, et le grès houiller, sont de même nature que les montagnes de cette partie de l'Europe.

Les recherches les plus récentes de M. Forchhammer sur le terrain erratique, l'ont conduit à y distinguer trois formations ; savoir : les dépôts ligniteux, les dépôts argileux (les argiles à blocs erratiques), et les dépôts sablonneux (les sables à blocs erratiques). Il suppose que la formation de ces dépôts s'est opérée dans l'intervalle qui s'est écoulé depuis la première époque pliocène jusqu'à l'époque actuelle. Selon lui, la formation du terrain erratique a par conséquent exigé une durée de temps considérable, et a eu lieu à des époques fort éloignées les unes des autres. Sans partager en tous points l'opinion de M. Forchhammer sur les révolutions de la nature qui ont donné naissance à ces formations et notamment aux dépôts sablonneux que j'ai attribués au déplacement de l'axe du globe, je suis cependant d'accord avec lui en tout ce que sa théorie de la formation du terrain erratique a d'essentiel. Les conditions géologiques dans lesquelles on rencontre ce terrain en Danemark n'étant guère connues en France, je donnerai ici une description succincte de ce terrain d'après un rapport de M. Forchhammer à l'académie des sciences de Copenhague, inséré dans le journal Dansk Ugeskrift du 9 décembre 1842.

" Les recherches géologiques faites en Danemark nous ont appris que déjà à la fm de l'époque crétacée les masses de rochers qui forment la Scandinavie ont commencé à se déplacer. Ce mouvement a bouleversé une chaîne de récifs de corail qui semble avoir bordé la limite sud-ouest des montagnes primordiales de la Scandinavie, et les vagues de la mer, agitées par le mouvement du sol, ont formé, des débris de ces récifs, les couches ondulées du Limestone. Ce premier ébranlement n'a fourni ni blocs erratiques, ni sable, ni argile, provenant des terrains primordiaux. Dans une formation subséquente qui s'est opérée à une époque très-éloignée de la précédente et qui coïncide avec les formations qu'on désigne en général sous le nom de formations pliocènes anciennes, on rencontre déjà des blocs erratiques appartenant aux terrains primordiaux de la Scandinavie, mélangés avec de rares débris de la formation crétacée. Cette formation est très-riche en fossiles, surtout d'animaux d'eau douce. Elle ne peut donc avoir été transportée par les glaciers, et comme l'organisation des fossiles indique un climat à peu près semblable au climat actuel de la Méditerranée, il serait contraire à toute vraisemblance d'admettre que les masses qui les renferment ont été transportées sur des radeaux de glace.

" Les blocs erratiques sont surtout volumineux et nombreux dans la seconde formation du terrain erratique, les dépôts argileux ou argiles à blocs erratiques. M. Dons, propriétaire de Hesselagergaard en Fionie, a offert au gouvernement un bloc dont la partie qui s'élevait au-dessus du sol avait la forme d'une pyramide de 3.4 mètres de circonférence et de 3 mètres 60 c. de hauteur. Le roi de Danemark l'ayant fait dégager des terres qui l'entouraient jusqu'à une profondeur de 3 mètres 30 c, il s'est trouvé que la base de la pyramide allait toujours en s'élargissant, et il n'est guère probable que la moitié de cet énorme bloc soit dégagée. Les fossiles qu'on rencontre quelquefois dans cette formation prouvent aussi qu'elle s'est opérée dans la mer, et que la mer avait déjà alors les propriétés qu'elle possède actuellement. Il est donc impossible que des glaciers aient charrié ces masses de pierres, de sable et d'argile aux lieux où elles se trouvent actuellement. D'un autre côté, le fait que le sable, l'argile et les pierres se trouvent presque toujours mélangés, exclut la supposition que des iles de glace auraient charrié ces masses du nord au midi, pour les déposer sur cette partie du fond de la mer qui, en se soulevant par la suite, aurait formé le sol du Danemark. Car il ne faut pas perdre de vue que des îles de glace qui seraient assez grandes pour charrier des masses considérables de terres et de pierres ne peuvent flotter que dans une mer profonde, et que la différence de vitesse avec laquelle les pierres, le sable et l'argile se seraient précipités pendant que la glace fondait lentement, aurait nécessairement séparé ces différentes parties, ce dont nous ne trouvons aucune trace dans le terrain erratique. Je ferai encore observer qu'à peu près la moitié de nos pierres erratiques, grandes et petites, sont formées des rochers appartenant au terrain de la craie. Celles-ci ne viennent donc pas des parties élevées de la péninsule Scandinave, mais des couches inférieures de notre propre sol. Le rapport entre les pierres appartenant au terrain crétacé et la craie

eu place est si intime, que déjà deux luis le nombre considérable de ces pierres m'a engagé à y faire des fouilles, et chaque fois j'ai trouvé de la craie en place. Les soulèvements nombreux qui ont eu lieu à cette époque montrent que tout le sol, et notamment celui qui entoure le Catégat, a été violemment agité, et ces violentes révolutions plutoniennes expliquent suffisamment l'origine des pierres erratiques ; elles ont été détachées des terrains primordiaux très-éloignés de la surface du globe et sont le résultat de la révolution violente qui s'y est opérée. Cette l'évolution a continué encore bien avant dans la période suivante, et elle n'a pas même encore entièrement cessé de nos jours, mais continue à se révéler dans de légers tremblements de terre.

» La troisième et dernière formation qui entre dans la composition du terrain erratique, savoir, les dépôts sablonneux, renferme en beaucoup d'endroits des fossiles d'animaux qui se trouvent encore dans les mers du Danemark; mais, tandis que l'argile renferme des fossiles d'animaux qui ont vécu dans la profondeur des mers, ceux du sable appartiennent à des espèces qui doivent avoir vécu près des côtes. L'irrégularité et la déclivité des couches ainsi que leurs interruptions fréquentes, la forme longitudinale des collines ( par exemple, de la colline entre Herlôv et Lystrup, dans la Sélande septentrionale, d'une colline semblable entre Nestved et l'auberge de Mogenstrup, des collines de Refsnœv, de la partie septentrionale de Samsoé et notamment de Helgenœs, en Jutland), tout nous révèle que c'est dans une mer très-agitée que s'est opérée cette formation dont les masses cohérentes ont conservé la forme des vagues.

" Cette dernière formation se retrouve dans des contrées très-étendues de la Suède. Nous y rencontrons toutes les particularités qui caractérisent les collines du Danemark, et personne ne s'étonnera que les blocs erratiques soient plus communs dans ce pays de rochers, tandis que le sable est plus commun en Danemark. »

Tel est l'exposé de M. Forchhammer, auquel je crois encore devoir ajouter la description d'une des parties principales du terrain erratique, savoir: des blocs erratiques et des collines longitudinales dites Aase de la Scandinavie et de la Finlande, dans la formation desquelles ces blocs jouent un rôle important. Je tirerai cette description des écrits de Léonhard (1).

(1) Géologie. III, 468. — Léonhard partage l'opinion erronée de plusieurs géologues, du nombre desqucls sont surtout les géologues allemands , qui pensent que 1rs blocs erratiques, principalement ceux, qui ont des proportions considérables, ne se trouvent qu'à la surface du sol. Il n'en est point ainsi, et l'on rencontre des blocs erratiques plus ou moins volumineux , mêlés irrégulièrement avec les autres formulions qui entrent dans la composition du terrain erratique, jusqu'à une profondeur de 70 à 100 mètres. L'exposé de Léonhard est juste néanmoins dans son ensemble , puisqu'il est permis de croire que les rapports qui lient les différentes formations du terrain erratique entre elles sont les mêmes dans toute leur épaisseur. Il est naturel qu'en Norvège surtout ce terrain ne se trouve qu'à la surface do sol.

« La présence des blocs erratiques plus ou moins volumineux à la surface du globe, dans différentes parties de l'hémisphère boréal, constitue l'un des phénomènes les plus importants de la géologie. Ces blocs sont souvent enfouis dans l'argile ou dans le sable, mais ils ne sont jamais liés aux terrains en place. Dans certaines contrées les blocs les plus rapprochés de la mer sont les plus grands, ù l'inverse de ce qui se voit en d'autres lieux, où le volume des blocs va en diminuant à partir des montagnes. L'observateur est naturellement porté a placer dans les montagnes voisines l'origine de ces blocs, qui sont quelquefois si nombreux qu'ils-entravent souvent l'agriculture et rendent des contrées entières stériles. Mais comment faire lorsque sur l'espace de plus de cent lieues il n'y a pas de montagnes dont ils auraient pu avoir été détachés, et qu'en outre la mer les sépare des chaînes de montagnes qu'on est tenté de regarder comme leur gisement primitif? Nous trouvons, par exemple, grand nombre de ces blocs en Danemark et dans tous les pays qui entourent la Baltique, dans les plaines sablonneuses de la Westphalie, du Hanovre, du Holstein, du Mecklenbourg, de la Prusse, de la Pologne, de la Russie, depuis Saint-Pétersbourg jusqu'à Moscou et jusqu'aux Karpathes, sans qu'on puisse indiquer avec précision jusqu'où ils s'étendent. En certaines contrées ces blocs sont assez rares, et il y a des espaces de plusieurs lieues où on n'en trouve aucune trace; mais il est d'autres contrées où ils sont très-abondants et d'un volume prodigieux; plusieurs ont des angles saillants, ceux surtout qui sont enfouis; mais la plupart sont arrondis et comme usés. Tous les blocs dispersés dans le Danemark et dans l'Allemagne septentrionale ont été amenés de la Norvège et de la Suède ; en Prusse et en Pologne, on rencontre des débris des montagnes de la Finlande; dans la Russie septentrionale, jusqu'au Niémen, ces blocs sont aussi formés des rochers de la Finlande, ou bien ils ont du rapport avec les montagnes près du lac d'Onega.

» Dans la plaine du Yorkshire, en Angleterre, et même jusqu'à la côte orientale de ce royaume, on trouve des blocs de granit qui doivent avoir traversé la grande chaîne centrale des montagnes de l'Angleterre; d'autres blocs erratiques de ce comté ont été amenés, dit-on, de la côte du Labrador, et il est hors de doute qu'on rencontre dans la Bretagne des blocs erratiques originaires de la Norvège.

» Sur la côte de la Hollande s'élèvent des collines sablonneuses d'environ 50 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer. Sur le sable jusqu'aux rives de l'Escaut se trouvent dispersés des fragments de rochers et de grands blocs erratiques, qui tous sont d'origine septentrionale. Dans les landes autour d'Amersfoort, dans la province d'Utrecht, se trouvent des blocs de granit et de porphyre, de la même espèce que ceux qu'on rencontre en Suède et en Norvège. Les blocs augmentent de dimension à partir de la Belgique, dans la direction de l'Ostfriesland, de la Scanie et du Smaaland ; dans les landes de Mooker on trouve de même fréquemment des blocs de silex pyromaque, qui ne peuvent provenir de la Scandinavie ; des parties calcaires y sont intimement liées et les blocs sont couverts de pétrifications.

» Ces blocs ne sont pas disposés ou amoncelés dans la direction de certains courants; ils sont dispersés à l'aventure, quoique pour l'ordinaire par groupes, et semblent avoir été lancés, comme l'eau d'une fontaine, d'un point central autour duquel ils décrivent un demi-cercle.

« Un phénomène propre à la Scandinavie et surtout à la Suède et à la Finlande, et qui est intimement lié à l'existence des blocs erratiques, c'est celui de ces digues nommées Aase ou plutôt Sandaase Ces digues sont composées de débris rocheux, d'amas de sable (d'argile), de gravier, de granit et de blocs de granit ; en Suède elles s'étendent du nord au sud ; en Finlande leur direction est plus variable, et on les voit quelquefois se croiser. Un autre fait non moins remarquable, c'est que la surface des rochers de la Suède, partout où ils sont dénudés, n'est pas seulement usée et polie, mais présente aussi des sillons et des stries nombreuses qui ne peuvent provenir que du passage de blocs transportés par les eaux. Ces sillons et stries sont en général parallèles et dirigés pour la plupart du nord au sud. Cependant il est plusieurs contrées où elles courent de l'est à l'ouest (ou plus exactement de l'ouest à l'est), et quelquefois elles affectent différentes directions dans une même montagne. Des observations semblables ont été faites en Finlande. Toutes les hauteurs entre les 40 et 43° de longitude et les 60 et 62° de latitude y sont arrondies et ne présentent ni arêtes ni angles. Les montagnes et les collines granitiques ont perdu leur forme particulière ; elles sont arrondies comme les grandes vagues de la mer après une tempête. Lorsqu'elles ont été protégées contre l'influence de l'atmosphère par des masses de gravier, on trouve leur surface parfaitement polie, de manière à refléter les rayons du soleil. Les sillons et les stries parallèles s'y retrouvent également et suivent une certaine direction , presque toujours du nord-nord-ouest au sud-sud-est. »

M. Léonhard, ainsi que plusieurs autres géologues, suppose que ces phénomènes, qui se déploient dans la plaine de la Scandinavie et de l'Europe orientale, proviennent d'invasions violentes de la mer, qui, après avoir inondé la Scandinavie et la Finlande, ont transporté les ruines des montagnes de ces pays au sud à travers la plaine orientale de l'Europe. Cette hypothèse a été modifiée par M. Forchhammer, qui suppose que les formes arrondies des montagnes de la Scandinavie sont en grande partie dues au mouvement ordinaire des ondes, à une époque où ces montagnes étaient recouvertes par les eaux de la mer, et qu'une grande partie des débris des roches erratiques ont été détachés du fond sur lequel ils reposent, en particulier ceux du Danemark. Parmi les autres théories qu'on a exposées jusqu'ici pour expliquer les phénomènes erratiques, la plus remarquable est la théorie des glaciers de M. Agassiz, qui suppose que les blocs auraient été transportés par des glaciers a la manière des morains ; mais je ne pense pas que cette hypothèse soit applicable au terrain erratique de la Scandinavie. Aussi la plupart des géologues scandinaves l'ont-ils récusée pour le terrain erratique du nord de l'Europe, et tous ceux qui ont vu le phénomène sur les lieux s'accordent a attribuer son origine à de grands courants. On en revient ainsi peu à peu à l'opinion du savant Sefstrôm, qu'on peut résumer dans les propositions suivantes :

1. Il y a eu une grande inondation qui a lancé une masse considérable de pierres, de sable, de gravier, d'argile, par-dessus les montagnes de la Scandinavie; les débris moins volumineux ont formé les digues ou traînées longitudinales nommées Au.se en Scandinavie ; les débris plus volumineux ont glissé par-dessus les rochers en place et y ont produit les sillons et les stries que nous y remarquons.

2. Ces débris ont usé et arrondi le versant septentrional de toutes les montagnes et de toutes les roches que Sefstrôm a rencontrées en Suède (hypothèse qui n'est cependant pas fondée dans toute son étendue).

3. Cette inondation a en général suivi la direction du nord-nord-est an sud-sud-ouest, mais les collines qui se trouvaient sur son passage ont contribué à en modifier la direction.

4. Cette révolution a dû s'opérer dans une période géologique relativement récente, moderne.

5. Le courant était animé d'une vitesse très-considérable.

6. Sa puissance a dû être considérable, à en juger d'après les masses qu'il a déplacées.

7. Cette révolution a été de longue durée (M. Sefstrôm a été conduit a cette opinion par suite de la supposition, qu'il partageait avec nombre d'autres géologues, que le terrain erratique de l'Europe septentrionale était le résultat d'une seule période géologique, tandis que les différentes formations qui entrent dans sa composition indiquent plusieurs catastrophes.

8. Cette inondation a élevé les eaux de la mer d'au moins 500 mètres au-dessus de leur niveau actuel. Je pense avec Sefstrôm que c'est principalement au courant venant du nord qu'il faut attribuer la direction des sillons et des stries que présentent les rochers de la Scandinavie, ainsi que celle des OEsars qui s'y trouvent, direction qui presque partout en Suède est du nord au sud. En Danemark, les traînées longitudinales, qui pour la plupart ont la même direction, ont été formées par le déluge. Cependant, avant d'entreprendre de prouver que les directions principales du déluge, occasionné par le dernier déplacement de l'axe du globe, devaient nécessairement entraîner les débris des rochers du nord et les jeter sur les plaines méridionales précisément aux lieux où elles se trouvent maintenant, je crois devoir mettre sous les yeux du lecteur l'hypothèse ingénieuse de M. Forchhammer sur la formation du terrain erratique; car il me parait incontestable, comme l'a démontré ce savant minéralogue, que cette formation n'est pas exclusivement l'effet de l'action mécanique de la mer, mais qu'un agent bien plus énergique y a coopéré. Cette hypothèse, proposée d'abord pour le terrain erratique du Danemark, me semble plus ou moins applicable à tous les terrains diluviens qui nous sont connus jusqu'ici et qui tous, bien que modifiés selon les localités, ont le plus grand rapport avec le terrain erratique du Danemark (1).

(1) Tout en renvoyant mes lecteurs aux Reliqmœ diluvianœ de Buckland, où les différents terrains diluviens sont décrits avec exactitude, je me bornerai à extraire de cet ouvrage la description que M. Bald , savant géologue anglais, a donnée de l'ancien terrain alluvien de l'Angleterre , auquel Buckland a donné le nom de dilurium. » Ce terrain , dit-il, occupe une grande étendue ; il recouvre une partie considérable de la surface de la Grande-Bretagne ; on le trouve également à des hauteurs très-considérables et sous le niveau de la mer; il se compose de trois formations : de sable , de gravier et d'argile. Dans l'argile se trouve quelquefois du sable, du gravier, des blocs erratiques (boulder stones) du poids de plusieurs tonnes, mais on n'y remarque aucune trace de stratification ; des blocs erratiques plus ou moins volumineux se trouvent disséminés dans toute la masse. En quelques endroits , l'alluvion forme une couche de 50 mètres d'épaisseur ; elle renferme non-seulement des blocs erratiques, mais aussi du gravier (gravel ). c'est-à-dire des fragments arrondis de toute espèce de roche et des débris anguleux des roches voisines ; ces derniers sont en général moins compactes que les premiers , qui , à force d'être mules, ont été convertis en galets, "

Comme s'exprime M. Forchhammer, ce n'est qu'en admettant des soulèvements et des affaissements successifs durant la formation du terrain erratique que l'on parvint h expliquer la disparition de tous ces dépôts. Au premier abord cette hypothèse semble peu applicable au Danemark, que nous sommes habitués à considérer comme un pays calme, puisqu'il n'a ni volcans, ni courants de lave, ni roches plutoniennes, et que c'est à peine s'il ressent quelques légères secousses lorsque l'Europe entière est ébranlée dans ses fondements. Mais il faut remarquer qu'il n'y a que les mouvements plus violents qui ont pu produire la matière dont la plus grande partie du sol du Danemark et de l'Allemagne septentrionale est formée. La chaîne de montagnes dont l'ile de Môen fait partie, et qui occupe une étendue de 60 milles depuis la mer du Nord jusqu'aux bords de la Baltique, prouve aussi que des soulèvements et des affaissements considérables ont eu lieu, et les couches inclinées du Helgoland, qui s'étendent jusqu'à l'île de Sylt, attestent le même fait.

Les catastrophes qui ont bouleversé les montagnes de la Scandinavie et entraîné leurs débris dans la mer adjacente, ont dû également bouleverser le terrain crétacé qui formait le fond de cette mer. Je crois donc que le terrain erratique indique que le niveau de la Scandinavie a éprouvé de grands changements. Qu'on se représente le sol de la Scandinavie soulevé par le gaz souterrain, non pas d'une manière régulière, mais par un mouvement ondulatoire ; il s'ensuivra que le sol tout entier aura dû être violemment agité ; des masses de ce gaz se seront échappées partout où l'écorce du globe se sera crevassée, et, par suite du frottement des rochers les uns contre les autres, celles-ci auront été réduites tantôt en une poudre très fine et tantôt en fragments plus gros.

Voilà comment le déplacement de l'axe du globe a nécessairement dû opérer sur le sol de la Scandinavie. Ce déplacement, ainsi que les soulèvements et les affaissements qui en furent les conséquences, aurait communiqué une commotion violente aux parties de l'écorce du globe dont la position relativement à l'équateur et aux pôles, et par conséquent aussi relativement au centre du globe, se trouvait changée. Comme l'écorce du globe n'était pas assez solide pour résister à la force qui tendait à lui donner une nouvelle forme, il a du en résulter un mouvement en général ondulatoire. Le Danemark et les montagnes de la Scandinavie doivent surtout avoir été en proie à ces commotions que M. Forchhammer suppose nécessaires pour avoir bouleversé le terrain crétacé et les autres terrains modernes du Danemark, et réduire, au moyen d'émanations gazeuses, les roches en place de la Scandinavie en blocs plus ou moins volumineux, en gravier et en cette poussière fme qui, en se mêlant aux eaux de la mer, s'est changée en sable et en argile. Les raisons sur lesquelles M. Forchhammer fonde son hypothèse de la formation du terrain erratique me semblent décisives ; mais j'ose croire qu'en admettant ma théorie d'un déplacement d'axe, on est autorisé à limiter l'époque de la formation des dépôts sablonneux, et qu'on peut la rapporter à une seule période relativement très-courte. On rencontre, à la vérité, en Danemark, surtout sur la côte orientale du Slesvig et du Holstein, certains dépôts sablonneux qui sont plus anciens que les dépôts argileux du terrain erratique, et qui, par conséquent, ne sont pas le produit de la catastrophe en question. Il n'est pas douteux, en effet, qu'une partie considérable du Danemark, surtout la partie occidentale du Jutland, qui probablement était unie à la Norvège, ne se soit soulevée du sein des eaux avant la formation des dépôts de lignites qui entrent dans la composition du terrain erratique, et que M. Forchhammer nous dit provenir de forêts de conifères, dont l'espèce est éteinte. Mais il est d'autres raisons géologiques qui me portent à croire qu'à l'époque de la formation des dépôts argileux le sol du Danemark s'est affaissé sous le niveau de la mer, mais pour s'exhausser de nouveau avant la formation des dépôts sablonneux. Il me paraît dès lors probable que le sol du Danemark, comme celui de la plupart des autres pays de l'Europe, était recouvert des terrains tertiaires. Si de nos jours il n'en reste plus guère de traces, c'est parce qu'ils ont été emportés par le premier courant principal du déluge, formé des masses d'eau de la mer du Nord, auxquelles sont venues se joindre celles de l'Atlantique. Ce courant, tout en submergeant le Danemark et la péninsule Scandinave, semble avoir donné au Jutland sa forme allongée en pointe du côté du nord-est, et avoir creusé le golfe de Christiania, ainsi que les autres golfes et bras de mer le long du Catégat. Rappelons que le dernier déplacement de l'ave doit avoir eu pour résultat d'affaisser d'une manière irrégulière, et sous l'influence d'irruptions volcaniques de plus en plus violentes, toute la plaine orientale de l'Europe; d'où l'on peut conclure que les dépôts sablonneux du terrain erratique ont surtout été formés par les énormes courants venant du nord et de l'est. L'impétuosité même de ces courants et les commotions qu'a dû éprouver le globe, du moins pendant quelque temps après le déplacement de son axe, ont eu pour résultat de faire affluer et refluer la mer à plusieurs reprises, quoiqu'avec une énergie toujours décroissante; et c'est sans doute pendant cette période, lors de la formation des dépôts sablonneux (alors que l'écorce solide du globe était animée d'un mouvement ondulatoire très-prononcé), qu'auraient été déposées les différentes couches de cette formation. Dans l'intervalle du flux et du reflux de la mer et pendant que celle-ci était moins agitée, une quantité assez considérable de sable et d'argile tenue en suspension a dû se précipiter au fond des eaux. Ceci se sera répété à plusieurs reprises, quoiqu'avec une énergie toujours moindre, et de nouvelles couches auront recouvert les plus anciennes. On comprend qu'il est impossible de fixer la durée de temps qu'a exigé pour s'effectuer chaque flux et reflux de la mer ; nous ferons seulement observer que, parties du pôle nord, ces eaux ont dit pénétrer bien avant dans l'Allemagne, et traverser la Russie pour venir se mêler avec celles de la mer Noire ; or, est il surprenant que dans un trajet pareil les eaux aient trouvé mainte occasion de déposer les matériaux qu'elles charriaient. La puissance des couches du terrain erratique n'empêche pas de supposer qu'elles ne soient l'effet d'une seule catastrophe subite et violente, du moment que des circonstances particulières n'indiquent pas qu'elles ont été formées par une suite de catastrophes. La question principale qui se présente est par conséquent de savoir si la forme arrondie des blocs que ces terrains renferment ne suppose pas nécessairement qu'ils ont été roulés longtemps au fond de l'eau. Or, si nous tenons compte des effets extraordinaires des forces plutoniennes qui, pendant la catastrophe du déplacement d'axe, ont agi sur les parties disloquées de l'écorce du globe de manière à réduire en poudre les masses pierreuses les plus cohérentes; si nous considérons en outre que précisément là où les courants étaient le plus violents la mer a dû exercer l'influence la plus considérable sur les masses pierreuses en les arrondissant ; qu'après le déplacement d'axe il doit s'être écoulé un assez long espace de temps avant que la mer ne reprit son calme ; qu'une partie de ces masses pierreuses arrondies doivent probablement leur forme à des catastrophes plus anciennes ; que plusieurs des blocs erratiques ne sont point arrondis, mais anguleux; si nous considérons enfin que les blocs erratiques qui se trouvent près de la surface, et qui ont été usés pendant des milliers d'années, ont dû perdre leurs parties saillantes, nous ne trouverons pas surprenant que la plupart des dépôts sablonneux du terrain erratique proviennent d'une seule catastrophe qui, par des raisons historiques que j'avancerai plus tard, semble avoir duré pour le moins une année. Il suffit de rappeler qu'en nombre d'endroits les sables ont dû être lancés sur le rivage par la mer agitée, et que les soulèvements et les affaissements qui ont accompagné le déplacement d'axe ont dû produire les mêmes effets dans tous les lieux où les conditions du sol étaient les mêmes. On explique ainsi d'une manière satisfaisante l'origine des dépôts sablonneux du terrain erratique, non seulement de l'Europe septentrionale, mais encore de tout l'hémisphère septentrional (1).

(1) Observons ici que , quoique l'argile joue un grand rôle dans la composition (le ces dépôts, on les a cependant hommes dépôts sablonneux, parce que le sable y domine généralement, ce qui est surtout le cas en Scandinave.

Je vais maintenant essayer de signaler en peu de mots les contrées par où ont passé les courants qui ont déposé le terrain dont les blocs erratiques forment la partie essentielle. Le premier courant principal du déluge a traversé la partie septentrionale de l'Atlantique avec une vitesse toujours croissante, en partant du sud-ouest pour se rapprocher toujours plus de l'est. C'est ce courant qui a entraîné les blocs détachés de la côte occidentale de l'Angleterre par-dessus la chaîne centrale, vers la côte orientale, où nous les trouvons. Dans la Scandinavie, le premier courant du déluge a suivi une direction presque ouest-est : il a dû par conséquent porter dans la même direction les rochers qu'il charriait, et qui, dans leur passage, ont poli la surface des rochers et formé les digues longitudinales ou œsars qui suivent surtout en Finlande la direction de l'ouest à l'est. Le second courant principal du déluge, que nous avons vu suivre une direction nord sud, a dû partir des régions du pôle nord pour se diriger vers l'équateur; et, tout en charriant les blocs erratiques vers le sud, il a dû effacer en grande partie les traces du premier courant principal. On concevra ainsi comment il se fait que les blocs erratiques de la Russie proviennent des montagnes prés de l'Onéga et des montagnes de la Finlande, comment ceux du Danemark, de l'Allemagne septentrionale, de la Hollande et en partie ceux de l'Angleterre ont été transportés de la Scandinavie par le courant violent de la mer ; comment ce même courant a pu creuser les vallées et former les œsars qui suivent une direction du nord au sud (1); enfin, comment les terrains diluviens de France et d'Angleterre ont pu être déposés, comme le soutiennent les géologues, par un déluge venant du nord. La circonstance même que l'Angleterre présente des pierres erratiques qui proviennent du Labrador s'explique lorsqu'on se rappelle qu'une partie des eaux de l'Atlantique ont dû, d'après l'hypothèse que j'ai émise plus haut, être lancées contre la côte orientale de l'Amérique septentrionale et creuser la baie de Baffin ; tandis que les blocs venus de la cote du Labrador ont dû être entraînés du nord au sud par le second courant du déluge, par conséquent aussi en Angleterre.

1 II n'y a, selon mon avis , aucun doute que la plupart des œsars tic la Norvège n'aient été formées par le courant sus-mentionné , quoique des raisons locales les obligent quelquefois à dévier de leur direction normale du nord au sud. Les dépôts argileux du terrain erratique de la Norvège sont, comme ceux du Danemark , extrêmement fertiles ; nous en avons des exemples frappants dans les contrées qui bordent le lac du Mjosen , surtout dans les districts de Toten et de Hedemarken, ainsi que dans l'île de Helge, avec la superbe terre de Hovinsholm, dans le Mjosen même. Dans le Hedemark, qu'on appelle généralement « le grenier à blé de la Norvège, » les champs sont littéralement cachés par des pierres erratiques appartenant à la dernière catastrophe de la terre , ct les cultivateurs sont par cette raison forcés d'employer une méthode de labour tout û fait particulière (Abling) , qui, tout en étant très-pénible , semble cependant favoriser le développement du blé. J'ai vu récemment un champ que le propriétaire de la verrerie de Hurdal lit défricher, ct qui peut servir d'exemple de la fertilité du terrain erratique. De volumineux blocs erratiques détachés des montagnes voisines par la dernière catastrophe, et jetés dans la vallée étroite qui forme le bassin du lac et du Heure ( Elo) de Hurdal, out été enlevés et ont cédé la place à de riches moissons. Il serait à désirer que de pareilles transformations fussent moins rares en Norvège.

Comme j'admets que la mer, en refluant du golfe de Christiania et de la Norvège, à travers le Catégat et les Belts , est venue s'unir à un courant encore plus fort venant du golfe de Bothnie et de la Baltique, il est naturel que les masses de blocs erratiques venues des montagnes de la Suède aient suivi la diagonale de ces deux courants, et se soient disséminées sur la Scanie, le Holstein, la Frise orientale et la Belgique (2).

(2) Une série de recherches fort ingénieuses de M. Forchhammer sur le terrain erratique du Danemark out prouvé que celui de la cote occidentale de la péninsule du Jutland contient beaucoup de grès de transition, qui doit être venu de la mer du Nord, ou peut-être de la continuation d'une formation de grès, qu'on rencontre dans la Norvège méridionale ; qu'en revanche , le terrain erratique de la partie septentrionale de la Sélande, de la Fionie et de la partie méridionale du Jutland oriental est surtout riche en porphyre de transition , qui doit avoir été amené des environs de Christiania ou de quelque autre système de montagnes de la même espèce ; enfin, que le terrain erratique de la partie orientale du Danemark, notamment do la partie orientale du nord de la Sélande, et probablement aussi des îles de Moen , de Falster et de Laland , ainsi que de la partie orientale de la Fionie , contiennent beaucoup de calcaire de transition , qui 'luit avoir été amené par les eaux de la Baltique. Ces faits semblent confirmer d'une manière remarquable la direction supposée des trois courants principaux du déluge, savoir: de l'ouest, du nord et de l'est.

L'explication que je viens de donner de l'origine des blocs erratiques est encore confirmée par l'existence de blocs sur plusieurs points de l'Amérique septentrionale, notamment près des lacs Huron et Érié.

Les steppes ou les landes si remarquables de l'Amérique septentrionale, ainsi que les alluvions de la Sibérie, semblent également prouver que des étendues prodigieuses de l'écorce du globe ont été abîmées par une grande révolution de la nature, et que les terrains erratiques formés de leurs ruines ont été en quelque sorte lancés dans toutes les directions.

Pour prouver cette hypothèse, je citerai ici un auteur qui s'est exprimé en faveur de l'identité du terrain diluvien de l'Amérique avec celui de l'Europe, savoir le docteur Hitchcook (2). Quoiqu'il semble admettre la théorie des glaciers d'Agassiz, il n'en est pas moins vrai que les résultats auxquels il est arrivé concordent pour la plupart avec la théorie de Sefstrôm et semblent confirmer ce que j'ai avancé de l'action du second courant principal du déluge. Ces résultats sont :

(2) First auniversary address before the " Association of American Geologests - at their second annual meeting In Philadelphia, New Haven . Hamlen 1841

1. Que le terrain diluvien de l'Amérique doit être le résultat d'une ou de plusieurs forces très-généralement répandues qui auront agi dans la même direction en partant du nord ou du nord-est ;

2. Que cette force a agi sur toutes les hauteurs depuis le niveau actuel de la mer, ou peut-être même au-dessous de celui-ci et jusqu'à une hauteur de 1000 à 1300 mètres; (dans la Nouvelle-Angleterre, le sommet du plus grand nombre des collines et des montagnes, sans en excepter même les pics isolés, qui n'ont pas moins de 1000 mètres de hauteur, sont évidemment polis et présentent des sillons et des stries; il en est de même de leurs versants septentrionaux ; les versants orientaux et occidentaux présentent même ce phénomène jusqu'au fond des vallées les plus profondes ) ;

3. Que la présence de polis et de stries également Lien conservés aux différents niveaux semble indiquer que les agents qui ont produit ce phénomène ont agi simultanément à toutes les hauteurs ;

4. Que le parallélisme parfait des stries sur des étendues considérables est une preuve qu'elles ont été produites par les angles saillants de masses très-lourdes et très-volumineuses qui, dans leur passage, ont été poussées avec une force presque irrésistible par l'eau ou quelque autre agent;

5. Que l'énergie de cet agent semble avoir été en diminuant du côté du sud ;

6. Que la hauteur relative des différentes parties de la surface du sol n'a pas été modifiée depuis lors ;

7. Que le continent de l'Amérique du nord était en grande partie exhaussé lorsque survint le phénomène erratique ;

8. Que l'eau doit avoir été l'une des forces motrices de cet agent ;

9. Que la glace doit en avoir été une autre ;

10. Que cet agent a exercé son influence avant l'existence du genre humain , puisque aucune trace de débris d'hommes ou d'animaux des espèces existantes n'a été trouvée dans les terrains diluviens ; mais que les débris qu'on y a découverts appartiennent pour la plupart à des espèces éteintes, et que les dépôts argileux et sablonneux formés dans cette période ne contiennent probablement aucun animal ni aucune plante(1) ;

(1) Je me bornerai a faire observer ici qu'il en est de même du terrain erratique de la Scandinavie, dont cependant les derniers dépôts sablonneux ont été déposés longtemps après la création du genre humain. Les violentes commotions qui ont accompagné la formation des terrains erratiques ont nécessairement dû anéantir les masses molles qui s'y trouvaient, conséquemment les plantes , les animaux et les hommes , et n'y laisser que quelques pétrifications qui, par suite de leur dureté, oui pu résister à la force écrasante.

11. Que cet agent doit cependant avoir exercé son influence à une époque relativement récente ;

12. Qu'il doit avoir été plus puissant qu'aucun de ceux qui aujourd'hui agissent sur notre globe.

Une autre question est de savoir si la même catastrophe qui a formé les blocs erratiques de l'hémisphère septentrional a aussi donné naissance aux blocs erratiques des Alpes. La présence de ces blocs sur les flancs du Jura a donné lieu à bon nombre d'hypothèses, entre autres à celle des glaciers. Il ne m'appartient pas de prononcer un jugement définitif sur cette question, n'ayant pas vu les localités (2) ; mais au point de vue sous lequel j'envisage la catastrophe qui a donné lieu à la formation du terrain erratique de la Scandinavie, je dois naturellement être porté à adopter l'ancienne explication qui attribue le transport des blocs de la Suisse à des courants, et qui me parait la plus simple. Je pense donc que l'époque du soulèvement de la masse principale des Alpes, qui a coïncidé avec celle du déluge général, a été accompagnée d'invasions violentes de la mer et d'irruptions plutoniennes d'une grande énergie, et que le mouvement ondulatoire de l'écorce du globe, en brisant la masse principale des Alpes immédiatement après leur soulèvement aura donné naissance aux vallées transversales. Cette opinion me parait d'autant plus vraisemblable que plusieurs géologues, entre autres Buckland(1), assurent que le déluge général s'est étendu jusqu'en Suisse, et que les blocs erratiques de ce pays présentent des rapports frappants avec ceux du terrain erratique de la Scandinavie. On ne saurait nier que les soulèvements et les affaissements puissants que j'admets n'aient dû fortement ébranler les Alpes, et qu'il n'ait pu s'en détacher des blocs et se former des ruines. Si l'on se rappelle que le premier courant principal du déluge devait nécessairement rejeter les eaux de la Méditerranée sur l'Europe, tandis que le second courant principal, qui allait du nord au sud , portait les eaux de la mer du Nord et une partie de celles de la Baltique à travers les vallées de l'Oder, de l'Ems, du Weser et du Rhin jusque bien avant dans l'Europe centrale, on est naturellement porté à admettre que ce déluge a exercé une influence assez puissante sur les Alpes pour en détacher des blocs et les entraîner dans sa course. Il est vrai qu'on ne retrouve pas toujours les traces de la route qu'ont parcourue ces blocs, quoiqu'on puisse les suivre en plusieurs lieux ; mais il faut se rappeler que l'écorce du globe a probablement, depuis cette catastrophe, éprouvé plusieurs révolutions violentes, et que le cours régulier des eaux et celui des glaciers, durant une période tranquille de quatre mille ans, y ont dû produire des changements considérables.

2 II me paraît cependant que les partisans de la théorie des glaciers, du nombre desquels sont plusieurs savants du premier ordre, commettent deux grandes fautes : d abord d'appliquer celle théorie à tons les blocs erratiques de la Suisse , sans exception ; et, en second lieu , de l'appliquer aux terrains erratiques de l'Europe septentrionale , à l'égard desquels M. Forchhammer a prouvé de la manière la plus péremptoire qu'elle n'est pas applicable.

1 Reliquiæ Diluvianæ, première édition, page 213 , où il démontre comment le déluge a déplacé les blocs de rochers de la Suisse.

 

CHAPITRE XVI.

HYPOTHÈSE QUE LES GOLFES ET LES BAIES DU CATÉGAT ET DR LA BALTIQUE ONT ETE CREUSÉS PAR LE DÉLUGE.

 

Dans un petit mémoire du plus grand intérêt, M. Forchhammer a tâché de prouver (1) qu'il fut un temps où le golfe de Bothnie et celui de Finlande formaient deux lacs, dont le premier, selon Engelhard, versait probablement son trop-plein par le lac Wener dans la mer du Nord ; et que les îles d'Aland sont les débris de l'isthme qui séparait ces lacs de la Baltique et unissait la Suède a la Finlande et celle-ci à l'Esthlande. Cette barrière a dû être franchie à peu près simultanément par les eaux de ces deux lacs qui ont produit dans la Baltique un courant dont la direction était commandée par la diagonale des deux déversements. Ce courant se sera, par conséquent, d'abord jeté sur les îles d'Oland et de Gothland, et il aura laissé les traces de ses ravages sur la côte nord-est de Bornholm. Après avoir creusé le golfe de Dantzig, les eaux auront en refluant pris une direction occidentale ; c'est alors qu'elles auront creusé le golfe de Christianstad en Scanie, et qu'elles se seront répandues à travers le détroit profond qui sépare l'île de Bornholm de la Suède, sur le grand plateau de craie dont les îles de Sélande, de Môen, de Rygen et plusieurs autres îles du Danemark sont les débris. Files s'y seront creusé deux passages, l'un entre Môen et Rygen, l'autre, qui se sera plus tard refermé, entre Arkona et Stubbenkammer. Mais, n'ayant plus ici assez de force pour se frayer un passage à travers les couches de craie plus solides de la Sélande, le courant se sera borné à y creuser le golfe de Prœstô et celui de Kjôge. Enfin il se sera définitivement arrêté au fond du golfe profond près de Travemünde, qu'on peut considérer comme la continuation du passage creusé parla mer entre Rygen et Moen. En refluant il aura uni ses eaux à celles qui étaient entraînées à sa suite, et, à la faveur des rapports locaux, il aura creusé les baies nombreuses du Holstein et du Slesvig, formé les petites îles du Danemark et creusé les deux Belts. Cette grande catastrophe qui sépara l'île de Bornholm de la Suède, la Sélande de la Scanie, l'île de Môen de celle de Rygen, etc. , et qui, selon l'opinion de M. Forchhammer, doit avoir eu lieu lorsque le globe était déjà habitable, sinon habité par des hommes, est confirmée par les rapports des blocs nombreux gisant près des côtes du Mecklenbourg et du Lauenbourg avec ceux des contrées plus septentrionales, ainsi que par le rapport de la flore du Danemark avec celle des régions plus méridionales. Il faut, selon M. Forchhammer, chercher l'origine de ces rapports dans le flux et le reflux d'un courant venant du nord.

(1) Uber die Bildung der Ostsee, dans le Staatsbürgerliches Magazin, par Falch VII, page 588-46 ; Sleswig, 1827.

On concevra facilement, d'après la théorie quej'ai donnée de la formation des golfes et des bras de mer des différentes parties du monde en général, que je partage en plein l'opinion ingénieuse de M. Forchhammer sur le creusement des baies et des golfes du Danemark en tout ce qu'elle a d'essentiel. Il me paraît, par conséquent, plus que vraisemblable : 1° que le Danemark tout entier formait avant le déluge une seule plaine attenant non-seulement au Holstein et à l'Allemagne, mais aussi à la Suède, et dont les terrains récents ont été entraînés par le premier courant principal du déluge ; 2° que la Baltique, le golfe de Bothnie et celui de Finlande formaient trois lacs : le lac de Bothnie, versant son trop-plein, à travers le Wener, dans la mer du Nord, tandis que le lac de Finlande versait son trop-plein dans la Baltique, qui communiquait probablement avec le Catégat ou la mer du Nord au moyen de quelque canal qui aura traversé le Danemark ou la Suède, peut-être par le lac de Vettern et le fleuve de Motala, si remarquable à cause du reflux périodique de ses eaux. Mais ici se présentent deux objections notables qui empêchent d'admettre que le mouvement des eaux de la Baltique ait été la conséquence de la rupture d'un rempart retenant prisonnières les eaux des golfes de Bothnie et de Finlande. La première de ces objections, c'est que la masse d'eau qu'auraient contenue ces deux lacs ne me semble pas suffisante pour opérer la révolution prodigieuse qui a séparé l'île de Rygen de celle de Môen, creusé les Belts et donné naissance aux îles et aux baies du Danemark. Je ne disconviens pas qu'une irruption violente de la Baltique par-dessus les terrains peu cohérents qui constituaient la plaine danoise n'ait pu exercer une influence considérable; mais il faut se rappeler que, si même un tremblement de terre avait coïncidé avec cette révolution et brisé la barrière qui retenait les eaux des lacs de Bothnie et de Finlande, on ne peut cependant guère supposer que la masse des eaux contenue dans le lac de Bothnie, (qui doit déjà alors avoir eu une issue naturelle par le lac du Wener), ait été lancée subitement par-dessus le long rempart de granit dont les îles d'Aland nous présentent encore les ruines. Faut-il supposer que l'écoulement des eaux s'est opéré graduellement? mais cette circonstance aurait, dès l'origine, considérablement affaibli la puissance du courant. En traversant le bassin de la Baltique, qui est fort grand en comparaison de celui du golfe de Bothnie, le courant aurait encore perdu de son énergie en venant à plusieurs reprises se briser contre les côtes ; et, après avoir séparé l'île de Bornholm de la Scanie, il aurait été si faible qu'il n'aurait pas pu se frayer un passage à travers la plaine du Danemark et déposer les énormes blocs qu'on trouve sur les côtes sud-ouest de la Baltique, et dont celui qui se voit au sommet du Klingsberg, colline la plus élevée du Holstein, est un exemple frappant. Ce bloc ne le cède guère, quant a sa circonférence, à celui trouvé à Hesselager, en Fionie; il a, d'après Steffens (1), 35 mètres de circonférence, 14 mètres de longueur et 9 mètres de largeur à la surface du sol (2). —. La seconde objection, qui est peut-être encore plus fondée, découle de la forme des baies et des bras de mer de la côte septentrionale du Danemark. Os haies et bras de mer sont le résultat d'un courant venu du Catégat dans la direction du nord au sud, à peu près à l'époque de l'inondation causée par la Baltique. C'est un point sur lequel il ne me reste aucun doute, et je suis convaincu que quiconque aura de ses propres yeux examiné la côte septentrionale de la Fionie et surtout celle de la Sélande septentrionale, ainsi que la côte opposée de la Suède, partagera mon avis. Lorsqu'à l'âge de douze ans je revenais de la Norvège, après y avoir fait un séjour de deux ans, je fus frappé de la grande ressemblance des blocs de rochers dispersés sur les îles du Danemark avec les rochers en place de la Norvège. A cette époque déjà je fus saisi d'un vague pressentiment et je me demandai si ces blocs n'auraient point eu leur gisement primitif en Norvège. Depuis lors j'ai eu le bonheur de visiter presque tous les ans, durant mes vacances d'été, les différentes contrées de la partie orientale de la Sélande septentrionale, et surtout les côtes qui eurent toujours pour moi un intérêt irrésistible. La fable Scandinave de Géfion, creusant un sillon pour former la Sélande au milieu des flots, fable qui me semblait indiquer que le Sund avait détaché la Sélande de la Suède; la relation simple et imposante de Moïse sur le déluge, et les blocs venant du nord que je rencontrais toujours dans mes pèlerinages, et qui nécessairement devaient avoir été transportés par une inondation violente de la Norvège ou du moins de la Suède adjacente, tout cela préoccupait mon imagination; je m'évertuais à chercher la liaison intime de ces différents ordres de faits, sans pouvoir y parvenir.

(1) Geognostisih-yeologisch* Auftatze, Hamburg, 1810, page 123.

(2) Le gouvernement fait enlever les terres qui entourent le bloc trouvé ;i Hcsselager en Fionie, et il se trouve que se circonférence augmenté d'une manière si prodigieuse qu'on serait tenté de croire que c'est une roche en place, hypothèse qui semble con1irmée par la proximité du Kollen- Dans un de ses cours publics , le professeur Forchhammer a cherché à expliquer d'une manière aussi ingénieuse que naturelle comment la mer a pu déplacer ces énormes masses de ruchers , en faisant observer que lès masses d'argile et de sable qui toujours accompagnent les blocs erratiques ont été décomposées dans la mer, et que celle-ci aura par conséquent eu à peu près le même poids spécifique que les blocs qu'elle a déplacés. Mais, quoique celte explication soit satisfaisante quant à l'acte du déplacement en général, elle n'est pas , ce me semble, applicable aux blocs erratiques dont il est question ici. Stetfens suppose, dans le mémoire que je viens de citer, que c'est à l'irruption de la mer, qui duit avoir recouvert la plaine orientale de l'Europe, qu'est dû le creusement des golfes et des bras ile mer du Danemark.

Plus tard, lorsque des investigations scrupuleuses m'eurent confirmé dans l'idée qu'à une époque peu reculée, le Sund doit effectivement avoir détaché la Sélande de la Suède, j'examinai avec intérêt la plupart des côtes septentrionales, orientales et méridionales de la Sélande; étudiant en détail chaque colline, chaque vallée qui se trouve le long du rivage depuis Copenhague jusqu'à Hornbœk et Nakkehoved. Quand ensuite, il y a environ douze ans, je lus le mémoire si intéressant du professeur Forchhammer, dont je viens de donner un aperçu, je fus frappé de la justesse de l'idée fondamentale de sa théorie, et je trouvai de nouvelles preuves en sa faveur, il y a environ neuf ans, dans l'île de Môen, ainsi que dans plusieurs autres petites îles danoises ; je découvris également le long du Sund jusqu'à Elseneur des traces plus ou moins distinctes d'un courant venant du sud-est. Mais, arrivé au nord d'Elseneur, l'hypothèse ingénieuse du professeur Forchhammer ne pouvait plus me servir de guide. Tout ici indiquait qu'une invasion des eaux venant du nord et coïncidant avec celle qui venait du sud-est avait établi une communication citre le Catégat et la Baltique, soit par-dessus les iles, soit a travers le Sund ct les Belts. On peut citer à l'appui de cette hypothèse non-seulement les golfes et bras de mer du Jutland et particulièrement ceux de la Fionie, de la Sélande et d'une pîrtie de la Suède (tels que le Odensefjord en Fionie, le lssefjord avec ses bras, le Lammefjord, Roeskildcjord, Holbeksfjord, Skeldenvick et la baie de Laholm, en Suède, qui doivent nécessairement leur origine à un courant venant du nord), mais aussi toute la constitution naturelle des côtes.

C'est au nord des Belts que se trouvent en général les collines les plus élevées que la mer ait formées, telles que Veirhôien dans Odsherred, Muglehoien près de Frederiksvork, Odinshoi près de Hellebak en Sélande. Enfin le caractère propre de tout le pays aux environs du Catégat vient à son tour confirmer ces mêmes données, telles que je les avais déduites il y a plusieurs années de l'examen des contrées qui longent la partie méridionale et orientale du Catégat, et notamment de l'examen minutieux des bords de l'Oresund au nord d'Elseneur et de Helsengbourg jusqu'à Nakkehoved et Kullen. Quiconque a contemplé d'un œil attentif la nature de ces contrées aura sans doute observé comment la largeur du Sund va en diminuant du nord au sud jusqu'à Kronbourg, où il est le plus étroit; comment le Sund a élevé depuis Nakkehoved jusqu'à Elseneur, sur le rivage de la Sélande, une chaîne de collines et de monticules formée de terrain erratique, principalement de sable et d'argile qui entrent dans la composition de ce terrain; comment ces collines indiquent la direction du courant; comment elles ont altéré le caractère du paysage près de Hellebak, si charmant par ses bois et ses lacs nombreux; comment est formée la colline d'Odin, fameuse à cause de la belle vue dont on jouit du haut de son sommet; comment la hauteur des collines va en diminuant du côté de Hellebak; comment les blocs erratiques rejetés par la mer sont nombreux sur le promontoire près de la forêt de Hornbak; comment, plus à l'ouest, la mer qui a versé ses eaux par-dessus la côte a déposé, surtout près du moulin dit Dronningemôllen, des masses de sable, tandis qu'elle n'a déposé les parties argileuses qu'au delà d'Esrom et de Nôddebo, et n'a laissé dans ce dernier endroit que quelques bancs d'argile métamorphosés par les soins de l'inspecteur du phare, M. Faber, en un site délicieux. Toute la côte de la Suède au nord de Helsengbourg, du moins jusqu'à Kullen, porte des traces encore plus frappantes de l'invasion d'une mer venant du nord-ouest. Ce sont des étendues considérables de terrain couvertes de sable et de nombreux blocs erratiques disséminés sur les plaines, qui donnent en général à la contrée un air de tristesse qui contraste singulièrement avec la gaieté des paysages voisins de la Sélande, et que les soins de l'homme n'ont pu chasser que dans les terres seigneuriales. Contemplons enfin le promontoire de Kullen, dont les formes ondulées semblent être l'effet de la violence des eaux, et demandons-nous si les masses de granit du côté du nord et du nord-est, ainsi que les entailles que la mer semble y avoir faites, n'indiquent pas pour cause de leur état actuel une puissance bien autrement énergique que celle de la mer agitée par la tempête.

L'île de Hoeen, qui se termine en pointe du côté du nord, porte des traces moins frappantes des assauts d'un courant venant du nord, tandis que ces traces sont plus évidentes sur la côte occidentale de la Sélande et sur la côte orientale du Jutland, en Fionie, et dans la plupart des petites îles danoises, quoique toutes ces contrées nous présentent aussi des traces bien incontestables d'un courant venant du sud-est.

Je crois donc qu'on peut admettre comme démontré qu'un courant venant du nord a creuse le Sund et les Belts: qu'un autre courant venant de l'est a détruit tout le grand plateau de craie orientale, et que tous deux se sont rencontrés à peu près dans l'emplacement du bassin actuel de la Baltique. Réunis, ces deux courants auront ensuite creusé les golfes et bras de mer de la partie méridionale du Danemark, ainsi que les canaux qui séparent les nombreuses petites îles qui font partie de ce royaume. Mais, comme la masse des eaux qui s'était surtout accrue par le courant venant de la Baltique ne pouvait être contenue dans ce bassin, elles se seront écoulées en partie par-dessus le Jutland et le Slesvig, mais surtout par-dessus le Mecklenbourg, le Holstein, le Hanovre et la Hollande, à peu près dans la direction indiquée par la traînée de blocs erratiques que mentionne Léonhard. Ces deux courants étaient l'un et l'autre le résultat du déplacement d'axe. Le premier courant principal du déluge, en poussant les eaux de la mer du Nord vers le nord-est et les lançant par-dessus la côte occidentale du Danemark, a dû former les iles à l'ouest du Slesvig et du Jutland, creuser les golfes de la côte occidentale de la péninsule, peut-être aussi la plus grande partie du Lûmfjord, qui semble avoir été formé par un courant venant de sud-ouest. Après avoir donné à la partie septentrionale du Jutland (1) sa forme allongée, il s'est ensuite jeté avec une énergie toujours croissante sur la côte occidentale de la Suède, qui présente des traces évidentes d'un courant venant du sud-ouest, et, resserré enfin entre la côte de la Norvège et celle de la Suède, il a creusé le golfe de Christiania. Mais les eaux ont dû commencer à refluer aussitôt que la force qui avait fait déplacer l'axe du globe a cessé d'agir. Celles qui ne s'étaient pas écoulées par-dessus le sol de la Suède ont dû refluer du nord au sud; et nous, en considérant la carie du Danemark, nous remarquons en effet comment ce courant, cédant aux rochers de la Suède, a donné à la côte orientale du Jutland sa forme, et, après s'être divisé en trois bras et avoir creusé le Sund et les deux Belts, a ensuite traversé la plaine basse du Danemark. Des courants semblables ont sans doute eu lieu dans la Baltique. Supposez même que le courant venant du sud-ouest n'ait pas été assez puissant pour ouvrir une communication entre le golfe de Bothnie, celui de Finlande et la Baltique, il n'en est pas moins vrai que le creusage a pu s'effectuer par le concours de la masse d'eau qui, en venant du nord, aura creusé la mer Blanche, inondé la Scandinavie, la Finlande et la plaine orientale d'Europe, et sera venue augmenter la puissance des eaux de la Baltique. Ce n'est que par l'hypothèse d'une inondation violente de la mer comme celle que je viens de décrire qu'on peut expliquer la présence des sillons et des stries sur les montagnes et la forme des œsars de la Scandinavie et de la Finlande. Cette inondation a de même, à mon avis, été nécessaire pour déchirer la plaine danoise et surtout pour effectuer le transport des blocs erratiques d'un volume prodigieux, qui ont été détachés des rochers de la Scandinavie et dispersés, non-seulement sur les plaines du Danemark, mais aussi sur la partie septentrionale de l'Allemagne et de la Hollande. Il me parait donc que les golfes et les bras du Catégat et de la Baltique, ainsi que le terrain erratique de la Scandinavie, présentent des preuves frappantes en faveur de ma théorie (1).

1 Je ne prétends point que des inondations postérieures , par exemple l'inondation cimbrique, n'aient pu modifier considérablement la forme de la côte occidentale du Danemark.

1 Des tombeaux à Bornholm , qui datent de l'introduction du christianisme , les traces que la mer a laissées de son niveau à différentes époques, ainsi que les soulèvements qui s'opèrent encore de nos jours , out fourni au professeur Forchhammer des indices géologiques dont il a , avec une sagacité qui lai fait grand honneur , tiré une conclusion qui semble confirmer mon hypothèse. Il prétend qu'on peut prouver que le creusement des bras de la Baltique et la formation du terrain erratique qui en est la conséquence se sont opérés il y a 4 à 5000 ans , époque à laquelle , comme on pourra s'en convaincre ensuite par plusieurs raisons historiques , le déluge , occasionné par le dernier déplacement d'axe, doit avoir eu lieu.

CHAPITRE XVII.

L'hypothèse D'un Déplacement De L'axe Du Globe Explique

NOMBRE DE PHÉNOMÈNES GÉOLOGIQUES QUI D'AILLEURS SERAIENT INEXPLICABLES.

 

On concevra par ce qui vient d'être dit que je ne puis admettre comme absolument juste l'hypothèse géologique qu'une grande partie de l'Europe, surtout de la plaine orientale, ne se serait soulevée au-dessus du niveau de la mer que dans la période actuelle de la création, mais qu'à mon avis elle doit nécessairement avoir subi les modifications qu'exige la théorie que je viens d'exposer. Je suppose donc que cette partie de l'Europe a été exondée a une époque bien plus éloignée, mais que, s'étant de nouveau affaissée par suite du déplacement de l'axe du globe, elle a été recouverte par les eaux de la mer : les courants venant du nord et de la Baltique, qui charriaient le terrain erratique et les débris de l'écorce du globe, bouleversé près des pôles, auront par conséquent traversé la Russie et seront venus réunir leurs eaux à celles de la Méditerranée. Cette hypothèse me semble mieux que toute autre expliquer l'origine des steppes de la Russie et le peu de profondeur de l'immense mer bourbeuse qui a recouvert ces contrées à une époque qui, géologiquement parlant, peut être considérée comme moderne. Que tel ait été le caractère de cette mer, c'est ce que prouvent la constitution naturelle de ces contrées et des raisons historiques, dont plusieurs seront mentionnées dans la suite de cri ouvrage.

L'idée d'une grande inondation, comme celle que je postule, n'oblige cependant pas à admettre que des soulèvement considérables n'aient pu avoir eu lieu postérieurement, et qu'il ne s'en opère encore. Au contraire, je regarde ces mouvements comme une conséquence nécessaire de l'affaissement occasionné par le déplacement de l'axe, car il me parait très-probable que le poids prodigieux des eaux qui à cette époque ont inondé l'Europe, et dont la force s'est augmentée par l'impétuosité du courant, ont produit un affaissement plus considérable que ne l'exigeait la tendance du globe à prendre la forme sphéroïdale. Dans la suite des temps, les parties ainsi affaissées auront par conséquent dû tendre et tendent encore à reprendre leur distance naturelle du centre du globe. Nous trouvons encore une preuve en faveur de cette immersion de l'Europe dans le fait que les contrées sablonneuses sont précisément celles où la mer a dû de préférence dépasser ses anciennes limites : telles sont la partie septentrionale de l'Allemagne, dont le sol, qui est couvert d'un terrain erratique, a été envahi par le second courant principal; les îles de Catégat, la péninsule du Jutland, les dunes de la France et de l'Angleterre, les landes de la France, contrées qui toutes furent envahies par les deux courants principaux ; les lagunes de Venise et les contrées voisines de la mer Noire et de la mer Caspienne, etc. En revanche, là où la force du courant était assez considérable pour balayer la surface du sol, le sable n'a pas eu le loisir de se précipiter. Il en a été ainsi dans une partie de la Grande-Bretagne et dans la partie septentrionale et occidentale de la Scandinavie. Aux lieux où des masses puissantes de granit ont offert un abri, le sable et les blocs erratiques ont formé des collines longitudinales, œsars, comme nous en voyons dans les parties méridionale et orientale de la Scandinavie et de la Finlande. Il ne faut pas, à la vérité, perdre de vue que le marsck si fertile ainsi que d'autres formations modernes ont plus tard recouvert le sol en plusieurs endroits, et ont en partie altéré le caractère des dépôts sablonneux déposés par le déluge. A tout prendre, la théorie qui veut que la plaine orientale de l'Europe, ou même toute la partie septentrionale de l'Europe, se soit affaissée dans une période relativement moderne, est au moins aussi fondée que celle qui postule un soulèvement. Quoi qu'il en soit, je crois qu'il est permis d'admettre que l'hypothèse d'un affaissement de la partie de l'Europe qui se trouve éloignée de plus de 45° de l'équateur actuel et de moins de 45° de l'ancien équateur, et qui par conséquent a dû être surtout considérable dans la Russie orientale, peut servir à expliquer nombre de phénomènes géologiques qui ont embarrassé les géologues. Elle explique pourquoi l'Europe orientale et les régions de la mer Caspienne qui touchent actuellement à des contrées relativement très élevées formaient à une époque relativement récente le fond d'une mer. En effet, par suite des affaissements qui furent la conséquence nécessaire du dernier déplacement d'axe, ces parties de l'écorce du globe qui n'avaient pas à leur surface des masses de rochers pour les protéger, ont dû être comprimées dans l'angle des deux lignes montagneuses qui se croisent dans la direction des deux équateurs, du nouveau et de l'ancien; en d'autres termes, entre les montagnes de la Haute-Asie et de l'Europe centrale. Elles auront par conséquent éprouvé un affaissement plus considérable que n'exigeait leur distance du pôle et de l'équateur, phénomène qui s'est répété avec plus ou moins d'énergie dans toutes les contrées affaissées dont la surface n'était pas protégée par de grandes masses de roches primordiales. On conçoit par les mêmes raisons pourquoi le Danemark, la Finlande et la Scandinavie oui éprouvé ces terribles révolutions dont les traces sont encore visibles de nos jours, pourquoi tout le bassin de la mer du Nord a pu s'affaisser subitement, comme le prouvent les forêts sous-marines sur les côtes du Danemark, de la Hollande, de la France et de l'Angleterre, et comment cet affaissement a pu, à une époque où le globe était déjà habité par le genre humain, donner naissance au canal qui sépare l'Angleterre de la France (1).

1 II est clair que les forêts su us-marines de chênes , de bouleaux et de sapins, qui sont mentionnées dans les ouvrages de Lyell et de Léonhard , n'ont pu croître au fond de la mer. De même il est clair qu'elles doivent avoir été submergées subitement avec le sol sur lequel elles croissaient, car sans cela l'eau de la mer aurait attaqué leurs racines et aurait provoqué leur décomposition. C'est eu partie par-dessus ces forêts qu'a clc déposée une alluvion fertile nommée « marsch » par les habitants du Holstein et du Slesvïg. M. Forchhammer, qui a examiné ce phénomène avec le plus grand soin , suppose que cette alluvion a été déposée à une époque plus favorable que l'époque actuelle ù la formation de ces atterrissements, c'est-à-dire avant que ne fût creusé le canal qui sépare l'Angleterre de la France. Or, voici an phénomène géologique remarquable dont M. Forchhammer s'est assuré lui-même et que d'autres témoins ont confirmé publiquement. Lorsqu'en 1841 on creusa près de Husum un canal traversant une de ces forêts sous-marines recouverte d'alluvion (marsch) , on y trouva un tumulus funéraire qui recouvrait un tombeau bâti en granit de la construction ordinaire en Scandinavie, dans lequel on trouva des armes faites avec du silex. Le sommet de ce tumulus était ù plusieurs pieds sous le niveau de la mer. La découverte de ce monument prouve d'une manière incontestable que le Danemark a été habité avant que ce tumulus ne fût élevé, par conséquent avant qu'il ne s'affaissât avec le sol sur lequel il se trouve, avant que l'alluvion ne se déposât, et partant, selon M. Forchhammer, avant que l'Atlantique ne se fût frayé an passage entre l'Angleterre et la France, et n'eût par là occasionné l'inondation cimbrique (entre le sixième et le huitième siècle avant Jésus-Christ). Cette inondation , dont il reste des traces remarquables dans les dépôts erratiques que Forchhammer a trouvés dans les contrées occidentales du Holstein et du Jutland , jusqu'aux environs de Skanderbourg, a aussi, selon une tradition remarquable des habitants du Jutland , été provoquée par une reine d'Angleterre qui, pour inonder le Danemark , fit creuser le canal entre l'Angleterre et la France. Observons que, même dans les circonstances les plus favorables, la formation de l'alluvion (du marsch) qui a empêché les eaux de détruire le tumulus avec la forêt qui l'entoure a exigé plusieurs siècles, et on concevra que ce tumulus doit dater d'une époque très-reculée, et qu'il doit avoir été élevé au moins 1000 ans avant la naissance de Jésus-Christ, probablement encore beaucoup plus tôt.

On conçoit pourquoi le sol de la France, qui témoigne d'un grand affaissement dans sa partie septentrionale, tandis que sa partie méridionale, et notamment les régions de la Méditerranée, a été soulevée lors du déplacement d'axe; pourquoi, dis-je, le sol de la France est plus aplati qu'il ne devait l'être d'après les mesures de degrés qui y ont été effectuées; pourquoi l'Europe méridionale, notamment les régions de la Méditerranée dont le soulèvement a dû s'effectuer d'une manière irrégulière par suite du dernier déplacement d'axe, nous offre dans certaines localités des soulèvements si extraordinaires (1); pourquoi, tandis que la partie nord-est de l'Europe, y compris la côte orientale de l'Angleterre, s'affaissait et que sa partie sud-ouest s'élevait, il a pu se former une large fissure à travers la Grèce, l'Italie, la Suisse, la France, la Grande-Bretagne et l'Irlande. C'est cette fissure qui, en Grèce et en Italie, c'est-à-dire là où elle est moins considérable, a donné naissance à des volcans, dont plusieurs sont encore en activité ; en Suisse, où elle est très-considérable, elle se lie au soulèvement de la masse principale des Alpes ; en France, nous en voyons la trace dans de nombreux volcans éteints; en Angleterre, on la retrouve dans d'énormes fentes des couches carbonifères du Northumberland, allant du sud-est au sud-ouest; et en Islande, on la reconnaît probablement par la masse remarquable de lave disloquée qu'elle doit avoir vomie à une époque géologique récente (2). On s'explique également par notre hypothèse le caractère métamorphique des montagnes de la Scandinavie, ainsi que la circonstance que le granit des Alpes est d'une origine récente et que la force volcanique, dont l'énergie doit avoir été affaiblie partout par les eaux du déluge, est aujourd'hui éteint en plusieurs lieux. On comprend enfin l'origine des steppes de l'Europe orientale, de l'Asie septentrionale et de l'Amérique septentrionale qui, ce me semble, ne peuvent être que le résultat d'un dessèchement successif d'une mer chargée de limon, de sable, de pierres et d'autres débris de l'écorce bouleversée du globe, tandis que la configuration de la plaine danoise, qui, à la même époque, avait déjà été soulevée et divisée en îles par la force des courants, suppose une mer se retirant promptement et façonnant pendant son retrait les collines nombreuses du Danemark, qui ressemblent à des vagues pétrifiées.

1 Le professeur Hoffmann prétend ( Geschichte der Geognosie, 1838 , p. .430 ) qu'il est évident que dans la période actuelle plusieurs lieux de la Sicile ont éprouvé un soulèvement de 330 à 400 mètres an-de6sus du niveau de la mer, et Charles Lyell exprime, tant dans l'introduction au troisième tome qu'à la page 126 de son ouvrage déjà mentionné , son étonnement d'avoir trouvé dans l'île d'Ischia, à une hauteur de plus de 700 mètres nu-dessus du niveau de la mer, plus de vingt espèces de moules pétrifiés, dont les espèces analogues , à quelques exceptions près , vivent toutes dans la Méditerranée , circonstance qui prouve que ce soulèvement doit s'être opéré dans une période moderne de la formation du globe. C'est dans un fait incontestable que non-seulement des îles entières de la Méditerranée , mais aussi des étendues considérables de terre sur les bords de cette mer ont été soulevées dans une période récente.

(2) Une suite d'investigations scrupuleuses, faites par M. Steenstrup , savant danois, ont amené le résultat le plus intéressant. Il prétend qu'avant la mise au jour de cette masse de lave il régnait dans toute l'Islande un climat chaud fie climat des régions du Mississipi) qui subitement se refroidit lors de l'irruption de cette lave. Dans ma théorie, l'irruption de masses de lave et le changement subit de climat ont dû être les conséquences du déplacement de l'axe.

Je m'arrête ici ; un plus grand nombre de preuves géologiques en faveur de mon idée principale serait superflu aux savants qui veulent bien se laisser convaincre, et inutiles à ceux qui tiennent aveuglément aux anciens systèmes.

 

SECONDE PARTIE.

PARTIE HISTORIQUE.

 

CHAPITRE I.

IL EST POSSIBLE QUE LE GENRE HUMAIN AIT PU SURVIVRE AUX RÉVOLUTIONS DE LA NATURE QUI ONT ACCOMPAGNÉ LE DERNIER DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE. LES HOMMES QUI ONT SURVÉCU A CETTE CATASTROPHE ET QUI REGARDAIENT LA TERRE COMME IMMOBILE DANS L'UNIVERS, ONT DU CROIRE QUE LE SOLEIL, LA LUNE ET LES ÉTOILES AVAIENT CHANGÉ DE PLACE DANS LE CIEL DURANT CETTE CATASTROPHE.

 

Que le globe ait offert les conditions nécessaires à l'existence du genre humain à l'époque où la grande et dernière révolution mentionnée ci-dessus est supposée avoir eu lieu, c'est un fait sur lequel les géologues et les naturalistes les plus distingués sont d'accord. Il ne me reste donc qu'à défendre ma troisième assertion, savoir : qu'on peut regarder comme certain que le genre humain a existé avant le déluge, et que les révolutions occasionnées par le déplacement de l'axe du globe ne l'ont pas fait périr tont entier; par conséquent, que ce que rapporte l'Écriture au sujet du déluge doit être considéré dans ses points principaux comme parfaitement conforme à la vérité.

Qu'il me soit permis, afin de prouver ce que j'avance, d'indiquer succinctement :

1. Comment, malgré les révolutions de la nature qui ont accompagné le déplacement de l'axe, il a été possible qu'une partie des êtres vivants, conséquemment aussi du genre humain, supposé qu'il ait existé à cette époque, ait pu éviter la destruction presque générale ;

2. Comment la supposition qu'une partie du genre humain a été sauvée se trouve confirmée d'une manière remarquable par la plus ancienne histoire, ainsi que par les traditions et les mythes qui sont parvenus jusqu'à nous, et dont les relations s'accordent entièrement, en ce qu'elles ont d'essentiel, avec ce qui, en effet, doit avoir eu lieu lors d'une telle catastrophe ; enfin ,

3. Comment mon assertion se trouve confirmée d'une manière intéressante par plusieurs données géologiques, sur lesquelles certainement on peut élever des doutes, mais que cependant un scepticisme mal entendu a le tort de rejeter trop facilement.

Les naturalistes et les philosophes ont, jusqu'ici, vainement essayé d'expliquer l'origine de la vie organique en général, et celle du genre humain en particulier; de décider si la vie organique dérive d'une individualisation de certaines forces naturelles ( generatio œquivoca ) ; si, par exemple, le premier homme n'a point eu de parents, ou si un développement graduel et progressif a eu lieu ; si, par exemple encore, l'homme, avant de devenir homme, a passé par plusieurs degrés de développements, et si le premier homme, comme le prétendent plusieurs géologues, n'a été qu'un singe perfectionné; si, sous certaines conditions, un type primitif organique peut se transformer en une variété constante, et par conséquent si un individu de la race caucasienne peut devenir un nègre, et ainsi de suite. Tous ces problèmes, et plusieurs autres du plus grand intérêt, sur lesquels les savants ont exercé leur sagacité, sans pourtant jusqu'ici en avoir trouve la clef, sont hors de la sphère de cet ouvrage. Je me bornerai à faire observer ici, qu'à l'aide de l'histoire et de la mythologie on peut suivre les différences des races jusqu'aux temps les plus reculés du genre humain, qu'il est ainsi très-probable que dès l'origine il a dû exister différentes races.

Quelque opinion que l'on adopte, on peut admettre, je crois, que non-seulement la race caucasienne, mais aussi les quatre autres races principales ont existé avant le déluge. Voici, selon nous, ce qui confirme cette hypothèse : d'abord on peut prouver que le règne animal, notamment les mammifères terrestres, c'est-à-dire le second et le plus noble résultat de la force organique, atteignit son plus grand développement dans la période qui précéda immédiatement le déluge; ensuite, il me paraît contraire à la loi de perfectionnement progressif d'admettre que la nature ait produit la race caucasienne (race qui, ainsi qu'on le verra, peut être supposée avoir survécu au déluge) avant les races humaines dont le développement intellectuel est moins parfait, et qui, par leur organisation, ont plus de rapport avec le règne animal. Il est vrai que ces races sont proportionnellement très-pauvres en traditions historiques qui fassent allusion au déluge, ce qui semblerait prouver une origine plus récente; cependant les Américains ne manquent pas de traditions sur cette catastrophe (1).

(1) Quoique je regarde comme très-vraisemblable que l'Amérique ail eu des habitants avant le déluge, ceci n'exclut ni le fait historique qu'après le déluge, mais avant l'arrivée de Colomb , cette partie du monde ait reçu des habitants de l'Europe , ni la possibilité que des peuplades d'Asie s'y soient établies après avoir traverse le détroit de Béring ; peut-être même qu'il en sera venu , comme le prétend Malte-Brun , de la Polynésie et de l'Afrique.

Observons encore qu'à l'exception des habitants de la république de Haïti et de quelques autres phénomènes épars, les nègres sont restés, même dans la patrie libre de leurs pères, l'Afrique, pendant 2 à 3 mille uns, à peuples au même degré de développement ; d'où il résulte que leur peu de civilisation n'est pas une raison suf1isante pour nier l'antiquité de leur origine. Celle-ci, au contraire, semble confirmée par les fumeux dessins d'hiéroglyphes et d'antiquités égyptiennes dont Union a enrichi le monde savant. Ces dessins, dans lesquels on distingue facilement les traits de la race caucasienne, race des vainqueurs, et ceux de la race éthiopienne, race des vaincus, semblent prouver la lutte opiniâtre que les plus anciens Égyptiens, qui tout au moins 2000 ans avant la naissance de Jésus-Christ s'étaient établis dans la haute Égypte, ont dû soutenir avec les habitants originaires du pays.

Il est donc probable qu'il ne fut plus créé d'hommes après le déluge (à partir duquel il faut supposer que la force organique commença à céder devant l'intelligence croissante), à moins que ce ne soient, comme le prétendent plusieurs naturalistes et historiens, les malheureux Papuas, ou le peuple remarquable des Bohémiens, dont l'apparition au milieu d'une période historique reste encore une énigme (1).

(1) M. George Borrow , dans son intéressant livre : The Zincali or the Gypsies of Spain, Londres, 1841, a tâché de prouver que les Bohémiens sont originaires de l'Inde.

A l'aide d'un globe terrestre on pourra facilement s'assurer que le dernier déplacement de l'axe permet de supposer que la différence climatérique, condition nécessaire pour l'existence et la conservation des races, existait déjà avant le déluge, ce qui est contraire à l'opinion générale des géologues; de plus, qu'elle est restée presque la même, après le déluge, dans les parties du globe où il faut placer la demeure primitive des différentes races; enfin, que ces endroits ont évité la destruction presque totale qui a résulté de ce grand cataclysme. Mais, pour rendre cette hypothèse plus évidente, je vais exposer en peu de mots l'influence du déluge sur les différentes parties du monde.

Quant à l'Europe, il n'est guère probable que sur aucun point elle ait pu être protégée contre les inondations diluviennes. Cette partie du monde, ayant été en butte à l'impétuosité des eaux du côté de l'ouest, du nord et du sud, doit avoir été submergée presque tout entière, et supposez même que cette inondation n'ait pas été accompagnée de phénomènes volcaniques, elle doit nécessairement avoir détruit presque tout être vivant. Les seuls endroits qui, selon ma théorie, aient pu rester intacts et à l'abri, sont les points les plus élevés de l'Espagne (patrie originaire des Celtes) et les montagnes gréco-turques, hypothèse qui aussi semble confirmée par une tradition obscure et vague (1).

(1) D'après ce que prétend mon célèbre compatriote , feu M. Rask , on a commis une grande faute historique en supposant Deucalion contemporain de Noé ; car si un Grec á vécu du temps de ce dernier , il faut que ce soit Ogygès. Il me paraît donc probable que le déluge de Deucalion a été un phénomène partiel causé peut-être par un soulèvement soudain du fond de la Méditerranée , ou par un affaissement de la plaine orientale de l'Europe , qu'aurait produit le déplacement de l'axe. Plus tard , cette plaine se sera peu à peu relevée et aura reparu au-dessus de la mer , dont elle avait longtemps formé le fond. Cette dernière hypothèse semble confirmée par une ancienne tradition des Samothraces , conservée par Diodore de Sicile ( lib. V, cap. XLVII ) , selon laquelle le Pont- Euxin , qui formait autrefois un lac, fut gonflé par les eaux des fleuves qui s'y versaient ; puis, en se jetant comme un torrent dans l'Hellespont , inonda une partie des côtes de l'Asie ( l'Asie mineure ) , et changea en mer une partie du continent du côté de la Samothrace.

Il en est tout autrement de l'Asie, quoiqu'elle aussi en partie ait dû être submergée. Nous avons déjà vu comment la première direction principale du déluge fit sortir de ses bords les eaux de la Méditerranée et chassa avec beaucoup d'énergie les eaux du Grand-Océan dans la direction du nord-est au sud-ouest par-dessus leurs anciennes limites du côté de l'orient; de même nous avons vu comment ce courant du déluge a séparé la Nouvelle-Hollande du continent, hypothèse qui est confirmée par l'immense quantité de petites îles situées près de la côte de l'Asie orientale. La seconde direction principale de l'inondation lança du côté du nord la mer Glaciale sur toute la Sibérie, et produisit, conjointement avec la troisième direction principale, du côté du sud, dans le Grand-Océan, un courant qui se dirigea du nord-ouest, et inonda les côtes orientales et méridionales, surtout celles du sud-ouest de toute l'Asie : de sorte que probablement l'Arabie, presque toute l'Asie Mineure et la Perse furent inondées. Il paraîtrait naturel que ces courants puissants, qui se frayaient un chemin de toutes parts, eussent entièrement inondé l'Asie. Mais il faut se rappeler notre supposition : que l'ancien équateur a traversé l'Asie; que, par conséquent, le niveau de cette partie du monde, lequel est plus élevé au-dessus de la mer que celui des autres, a dû l'être encore davantage du temps du déluge; puis, que le premier courant principal du déluge, le plus dangereux pour l'Asie, avançant avec une grande lenteur, ne put faire hausser de beaucoup la mer au-dessus de son niveau actuel; que le courant impétueux venant du nord n'a guère pu s'étendre au delà des montagnes limitrophes de la Sibérie, la situation de ce pays du coté du pôle nord étant très-élevée et les eaux s'étant répandues de tous côtés; enfin, que la force du courant du sud-est fut rompue par la tendance que la mer située au nord de l'équateur actuel avait à se précipiter vers le midi, ainsi que par l'Océanie, les îles et les montagnes de la côte orientale de l'Asie. Il est donc à présumer que du moins une partie du plateau de l'Inde, tout le Thibet, la plus grande partie du Mogol et de la Chine, n'ont pas été visités par le déluge ; et, supposé même que les soulèvements et les phénomènes volcaniques, occasionnés par le. déplacement de l'axe, aient détruit en partie les pays que le déluge a épargnés, il reste cependant des contrées assez étendues pour que des peuplades entières de la race indo-caucasienne et mogolienne, ainsi que la race malaise, aient pu s'y réfugier. On s'expliquera encore mieux la conservation de la race malaise, qui a pu se sauver dans les îles de Bornéo et autres grandes îles de la Sonde, si la demeure primitive de cette race a été au sud-est de l'Asie, où elle se trouve encore en partie, et si on se la représente chassée après le déluge par les races caucasienne et mogole qui, depuis cette catastrophe, se répandirent de plus en plus. Afin de mieux comprendre comment il a été possible que ces différentes races aient été conservées, il faut, en contemplant les pays habités par elles, se rappeler que le point où se croisent l'équateur actuel et l'ancien dut rester entièrement invariable sous le déplacement de l'axe, et que, sans presque changer de climat, ces contrées se sont tournées très-lentement d'un quart de cercle de leur situation précédente à leur situation actuelle.

Il en est de même sans doute de l'Afrique, qui cependant, à cause de sa situation, a dû éprouver des révolutions beaucoup plus violentes que l'Asie. Il semble du moins que, par suite de cette catastrophe, la plus grande partie du désert de Sahara se soit élevée au-dessus de la mer; de même faut-il admettre que c'est surtout sous l'équateur actuel que les soulèvements les plus violents ont eu lieu dans l'Afrique occidentale ; ils y auront donné naissance aux grandes chaînes de montagnes qui traversent l'Afrique centrale de l'occident à l'orient. De toutes parts l'Afrique était exposée aux ravages de l'inondation ; mais on se convaincra cependant, en considérant un globe terrestre, que non-seulement la Haute-Égypte, la Nubie et l'Abyssinie, dont le niveau s'éleva lentement durant le déluge et qui furent à l'abri du courant principal, mais même une grande partie de l'Afrique centrale, ont pu échapper et offrir un refuge suffisant à la race éthiopienne.

Il est possible de même que la race américaine ait pu se sauver sur les plateaux du Mexique et du Pérou , d'où elle semble tirer son origine, et cette hypothèse est confirmée par les traditions de cette race.

Mais, objectera-t-on peut-être, les hommes ont dû sentir que le globe changeait de rotation, et il a dû se conserver des traditions sur ce point particulier. Oui, répondrai-je à l'avance, et la suite de l'ouvrage rendra évidente cette observation ; oui, si les résultats immédiats de la catastrophe du déplacement de l'axe n'avaient pas duré, même aux endroits où ils ont été le moins perceptibles, à peu prés une année ; on peut donc déduire de là que le déplacement de l'axe a eu lieu avec une telle lenteur, que même les parties de la surface du globe mues avec le plus de vitesse par cette révolution, par exemple, le point y mentionné plus haut, n'eurent qu'une augmentation de vitesse moyenne de quelques lieues par jour. Il ne faut pas oublier non plus que cette vitesse accélérée n'est pas venue tout d'un coup, mais qu'elle a dû s'accroître imperceptiblement. Par suite de la grande force attractive de la terre, on ne s'aperçoit pas qu'on fait sous l'équateur 5,400 lieues dans l'univers pendant les vingt-quatre heures. On concevra ainsi facilement que, lors du déplacement d'axe, les hommes d'alors qui croyaient que la terre restait immobile, et qui d'ailleurs devaient diriger toute leur attention sur les terribles événements de la nature occasionnés par le déplacement de l'axe, n'aient pu s'apercevoir que la terre elle-même changeait de rotation; mais ceux qui ont survécu à cette catastrophe ont dû croire que le soleil, la lune et les étoiles avaient changé de place dans le ciel. Nous verrons plus tard que telle fut en effet leur opinion.

 

CHAPITRE II.

L'hypothèse Du Déplacement De L'axe du globe Est Confirmée

PAR LA TRADITION Du PARADIS ET LES TRADITIONS D'un CHANGEMENT DE CLIMAT.

 

La situation du paradis ou de la demeure primitive de nos premiers parents est un problème qui a donné ample matière à des recherches souvent savantes et ingénieuses, mais plus souvent futiles. Ce sont surtout les théologiens *qni, tout naturellement, se sont jetés avec prédilection et presque avec fureur sur ce sujet, quoique en général ils aient envisagé la question sous un point de vue entièrement faux. Comme il s'est écoulé mille à deux mille ans depuis le séjour des premiers hommes dans le paradis jusqu'à l'invention de l'art d'écrire, et comme ainsi l'explication de ce problème doit être basée essentiellement sur d'anciennes traditions, on conçoit que vraisemblablement on ne parviendra jamais à le résoudre avec certitude. Peut-être un jour, quand la constitution naturelle de l'Asie sera exactement connue, la géologie pourra-t-elle résoudre avec quelque probabilité ce problème d'une manière négative: nous voulons dire qu'en fixant d'une manière conséquente et exacte l'âge relatif des couches de la terre et des soulèvements des montagnes, et en comparant les résultats obtenus par là avec les traditions historiques, elle sera en état d'indiquer les pays élevés où n'a pu être situé le paradis; mais il n'est guère probable qu'elle puisse jamais exactement indiquer l'endroit où il se trouvait. Il me paraît cependant vraisemblable que le premier séjour du «nirc humain (mais non pas de la race caucasienne, comme on le prétend ordinairement) ait été les plus hautes montagnes de l'Asie, l'Himmalaya ou l'Hindokosch (le Caucase indien), appelé anciennement l'Imaûs, montagnes où les mythes des Indiens, des Chinois et une partie de ceux des Perses placent la première demeure des dieux; la mythologie Scandinave, dont mon savant compatriote, Finn-Magnussen, a prouvé l'origine orientale, a conservé aussi un souvenir confus de ce genre dans le fabuleux Ymer (1).

1 Les Chinois no sont pal les seuls à prétendre que la Chine est le pays central du globe et à faire sourire par là les Européens , qui en connaissent mieux la configuration actuelle ; les Indiens, de même, croyaient que la montagne de leurs dieux était située au centre du monde. Nos ancêtres scandinaves, qui sont venus de l'Asie , avaient aussi une idée semblable , puisqu'ils plaçaient ta demeure de leurs dieux , Asgaard , au milieu du monde , c'est-à-dire au centre de la surface de la terre d'alors. Il est assez remarquable qu'une telle idée n'est pas sans fondement , puisqu'il faut admettre , comme je crois l'avoir démontré, que l'Europe, l'Asie et l'Amérique , unies vers le pôle nord, formaient avant le déluge un seul continent, et que la Nouvelle-Hollande a été unie à l'Asie ; ainsi les plus hautes montagnes de l'Asie se trouvaient placées à peu prés au centre de la surface de la terre, telle qu'elle était en ces temps. Voilà encore un trait qui semble caractériser les Chinois d'une manière très-remarquable , les Chinois , civilisés de bonne heure et qui , selon toute apparence , ont déjà formé un état depuis les temps les plus reculés. Probablement, comme je le montrerai plus lard, ce peuple aura survécu au déluge: ils avaient auparavant des notions assez claires sur les rapports géographiques du globe; mais après le déluge, qui transforma le grand continent, les Chinois , grâce à leur état d'isolement pendant des milliers d'années , grâce à leur attachement obstiné à leurs anciennes opinions , auront été hors d'état de reconnaître que la Chine n'est plus an centre de ce qu'on nomme ordinairement le monde.

Il semble, en effet, s'il faut en juger d'après de fortes preuves historiques et géologiques, que ce soit de ces montagnes que la plus ancienne race humaine s'est répandue sur la terre. I!nc autre raison nous force, pour ainsi dire, à placer ici la première demeure du genre humain. Bien que la température de l'Asie méridionale soit en général douce et chaude, les vallées adjacentes sont cependant les seules contrées qui, sous des rapports plus heureux qu'à présent, ont pu offrir les conditions nécessaires à l'existence de l'homme nouvellement créé, lequel était encore sans défense et sans ressources. Mais c'est en vain que nous cherchons aux environs même de ces hantes montagnes de l'Asie actuelle cet Eden souriant qui, suivant l'Écriture, fut la demeure de nos premiers parents, où régnait, comme sur les plaines élevées de l'Amérique, un printemps éternel; cet Eden où l'homme, sans expérience et ayant à combattre les bêtes féroces, put trouver facilement dans toutes les saisons de l'année de quoi se nourrir. Le climat actuel de l'Asie n'offre rien de pareil. Or, comme il semble contraire aux lois de la nature de supposer qu'à une époque aussi rapprochée de nous que celle de l'enfance du genre humain, le climat ait partout été plus chaud qu'il ne l'est maintenant, l'impossibilité de trouver dans l'Asie d'aujourd'hui un lieu où placer le paradis est une preuve, assez forte, quoique indirecte, d'un déplacement de taxe du globe après la création du genre humain. Mais si, d'après mon hypothèse, l'équateur a une fois traversé l'Asie, alors les hautes montagnes de cette dernière ont offert le séjour terrestre le plus enchanteur qu'on puisse se figurer, avec les conditions qui semblent avoir été nécessaires à l'enfance du genre humain. Une des traditions les plus anciennes du peuple Zend (anciens Perses) confirme d'une manière remarquable qu'en effet un changement de climat a eu lieu en Asie. « Au commencement régnait un été éternel, dit Eerienne Véedjo, un de leurs livres sacrés ; plus tard un hiver rigoureux envahit le monde; l'hiver devint de plus en plus rude, il régna d'abord cinq mois et à la fin jusqu'à dix mois. Alors le peuple Zend quitta ses montagnes et descendit dans les contrées plus chaudes de la Sogdiane, de la Bactriane et du Persis. A la vérité, Djemsid et son peuple retrouvèrent encore l'hiver dans toutes les contrées où ils allèrent, mais Ormudz y changea ce mal en bien, car aussitôt qu'au printemps la glace et la neige furent fondues, la terre se couvrit de la plus riche verdure. Dans ses émigrations, le peuple Zend trouva les contrées depuis l'Indus jusqu'au Tigre encore désertes et inhahitées. Djemsid fui le premier qui conduisit des hommes et des animaux domestiques dans ces lieux (1). »

(1) J.-G. Rode : Die heilige Sage und das gesammte Religionssystem der alten Bactrer , Meder und Perser , oder des Zendvolks , p. 97-99.

Cette tradition est intéressante sous un double rapport : d'abord, parce qu'elle indique que le climat jadis chaud de la Haute-Asie, s'étant refroidi après le déplacement de l'axe, a pris bientôt après, et probablement par suite des masses toujours croissantes de glace et de neige, le caractère que, selon Ritter et autres géographes célèbres, il conserve encore actuellement ; elle est intéressante en outre, parce qu'elle nous apprend que le peuple Zend trouva plusieurs des contrées les plus fertiles de l'Asie désertes et inhabitées. Ceci montre, selon moi, que ces contrées peu élevées et situées près de la mer ont été, du moins en partie, dépeuplées par le déluge, lequel coïncida avec le changement de climat. Cette hypothèse est confirmée, comme on va le voir, non-seulement par la mythologie Scandinave et celtique, mais aussi par des traditions historiques. L'histoire de la Chine est remplie de détails sur différents déluges. Lopi (article Sous-Teni), après avoir rapporté que les saisons furent changées, que les jours et les nuits furent confondus, ajoute : il y avait alors de grandes eaux dans tont l'univers... Les Égyptiens croyaient que l'écliptique, d'abord parallèle à I'équateur (ce qui supposait un printemps perpétuel, le paradis de la Genèse ou le jardin des Hespérides), s'était inclinée par l'effet du passage d'une comète; que les jours et les nuits furent confondus, et les saisons changées par le changement de la terre ; idée que nous retrouvons chez plusieurs philosophes grecs, disciples des Égyptiens (2).

(2) Voir J.-B. Bouché de Cluny. Les Druides. Paris , I84t.

Dans un ouvrage (3) qui, pour être aujourd'hui indignement oublie, ne m'en parait pas moins une œuvre de :Iénie, mon compatriote, le très-savant Uask, fait observer qu'il ne faut pas confondre la première demeure du genre humain avec le paradis de la Genèse, où l'auteur de la tradition de la création ( pour mieux dire, celui qui a recueilli cette tradition) place le premier homme de l'histoire, Adam. Rask ajoute que très-probablement Adam a vécu en ce même endroit, mais sans être la souche du genre humain. Adam, selon moi, est la source de la race caucasienne, race par conséquent d'une origine plus récente que la plupart des autres, mais qui de très-bonne heure aurait exercé une domination presque générale autour d'elle. Je me sépare encore de Rask sur le point principal qui nous occupe dans ce moment. Il suppose, mais cela me parait fort douteux, que l'Eden, si exactement décrit dans la Bible et qui probablement aura été quelque province tout historique, était situé dans la partie méridionale de la Mésopotamie, dans les contrées fertiles autour de Basra. Il est vraisemblable que les révolutions de la nature, causées nécessairement par le dernier déplacement de l'axe du globe, changèrent la direction des fleuves dans la partie occidentale de l'Asie, comme le démontrent aussi plusieurs phénomènes géologiques et traditions historiques; par là, la base sur laquelle Rask a fondé son ingénieuse hypothèse du paradis se trouve renversée. Des raisons géologiques et historiques, qui par la suite paraîtront plus claires, me portent donc à placer le paradis de la Genèse, comme le font les meilleurs commentateurs modernes de la Bible, dans le Caucase actuel, dont le climat doit avoir été beaucoup plus doux avant le déplacement de l'axe qu'il ne l'est à présent, et où la race caucasienne se trouve dans son développement le plus normal et le plus beau.

(3) Den ældste hebraiske Tidsregning indtil Moses , efter Kilderne paany bearbeidet og forsynet med et Kort over Paradis. Kjobenharn , 1828.

 

CHAPITRE III.

DÉJÀ DU TEMPS DE NOÉ IL Y A EU UN ASSEZ HAUT DEGRÉ DE CIVILISATION, ET PAR CONSÉQUENT LE GENRE HUMAIN A EXISTÉ DES MILLIERS D'ANNÉES AVANT LE DÉLUGE.

 

Quant aux principes de l'ère raskienne , sur laquelle devrait être basé tout manuel historique, ils me paraissent inébranlables. Je renvoie ceux qui voudront étudier à fond la plus ancienne histoire de l'homme à l'ouvrage de Rask, et je me borne à faire observer ici que la justesse de son hypothèse, selon laquelle le genre humain existait déjà avant Adam, est confirmée par la Bible, par les plus anciens fragments de l'histoire des Égyptiens et des Babyloniens, de celle aussi des Indiens et des Chinois; fragments sur l'authenticité desquels on ne saurait élever de doutes et qui en grande partie sont bien plus anciens que les livres de Moïse (1).

(1) Quelques parties du Pentateuque (par exemple les premiers chapitres de la Genèse) datent, selon toute apparence, d'une époque bien antérieure à Moïse; celui-ci vivait environ I 100 ans après Adnm et semble tenir ses relations des Égyptiens ; mais il n'y a pas de doute que d'autres fragments du Pentateuque ne soient, en grande partie, d'un temps postérieur à ce législateur. Il est même vraisemblable que les fragments divers qui composent les livres de Moïse n'ont été mis en ordre complet que du temps des rois , peut-être même après l'exil de Baby loue , c'est-à-dire seize à vingt-deux siècles après Adam Moïse fut sans contredit un des génies les plus éminents de l'antiquité, et personne ne saurait révoquer en doute sa profonde érudition , sa connaissance des hommes , son rare amour de la vérité . mais , à supposer même que nous le considérions comme infaillible dans ses relations purement historiques et géographiques, on comprendra facilement que des erreurs volontaires ou involontaires ont pu , par ia suite des temps , se glisser jaus les écrits qui portent son nom ; que , par conséquent, ils doivent être soumis à une critique judicieuse.

Déjà cette circonstance, que la Bible indique exactement quand sont morts Adam et ses descendants, quand leur sont nés des fils, prouve assez qu'Adam ne peut avoir été le premier homme, puisque sans doute plusieurs siècles ont dû s'écouler avant que le genre humain lût assez avancé pour pouvoir posséder une chronologie exacte. II aura fallu un espace de temps encore plus long pour inventer l'art d'écrire, sans lequel n'aurait pu se conserver la table chronologique des premiers hommes renfermée dans la Bible. Cette chronologie est cependant d'une exactitude remarquable et presque toujours en harmonie avec celle des anciens Égyptiens, des Babyloniens, en partie aussi avec celle des Indiens et des Chinois (1).

 

(1) La seule tentative de démontrer cette harmonie a coûté à beaucoup de savants distingués une partie de leur célébrité si péniblement acquise. On s'est tourmenté pour expliquer d'une manière contraire à toute expérience et aux lois de la nature comment les premiers hommes ont pu vivre aussi longtemps que nous l'enseigne la Bible; comment , par exemple, Méthusalem , dont l'âge a passé en proverbe, a pu atteindre l'âge de 069 ans. C'est à Rask que nous sommes redevables de l'explication de ce problème , et, n'eût-il point d'autre mérite, celui-ci seul suffirait pour le rendre illustre, sinon auprès de ses contemporains, du moins auprès de la postérité. Rask a résolu ce problème d'une manière aussi ingénieuse que naturelle, eu faisant observer que dans l'enfance du genre humain, lorsque l'année artificielle astronomique dont nous nous servons à présent n'était pas encore connue, l'homme a dû se servir d'une autre division du temps. Au commencement on a dû se borner à la division naturelle du temps en jours ; plus tard , on l'aura divisé en mois lunaires. Mais ensuite, lorsque la manière de calculer le temps devenait plus compliquée, on additionna 2, 3, 4, ou encore plus de mois, et on finit par faire usage de l'année solaire , qui suppose déjà des connaissances assez avancées dans l'astronomie. Voilà comment s'y sont pris les Indiens, les Chinois, les Babyloniens et les Égyptiens , comme l'attestent plusieurs auteurs de l'antiquité. Remarquons encore qu'au témoignage de toutes les nations , soit civilisées , soit barbares , l'homme , dans les temps historiques, n'a guère dépassé les limites actuellement assignées à la durée de sa vie. Il serait donc contraire aux lois de la nature d'admettre que les premiers hommes eussent vécu aussi longtemps que nous l'apprend la Bible, si les années dont il f est question sont des années solaires. Rask a clairement démontré comment on peut réduite le nombre de ces années, en supposant que depuis Adam jusqu'à Noé, l'année a été égale à un mois , depuis Sem jusqu'à Serug à deux mois, etc. , et que là où la règle qu'il propose n'est pas applicable, le compilateur de la relation mosaïque , obligé lui-même d'opérer une réduction, a commis une faute. Rask indique les passages où une faute semblable a dû , selon lui , être commise, et il la corrige. Pour l'instruction de ceux de mes lecteurs qui n'ont pas sous la main l'ouvrage de Rask , et qui désireraient savoir l'âge qu'ont atteint selon lui les premiers hommes mentionnés dans la Bible avant le déluge, puis l'âge qu'ils avaient à la naissance de leurs fils, ce qui indique l'espace de temps écoule d'une génération à l'autre , je présente ici un extrait de son ouvrage.

 

L'AGE DES ADAMITES.

Cette table généalogique de la Bible doit, si je ne me trompe , convaincre tout lecteur exempt de préjugés de la vérité de l'hypothèse que l'art d'écrire, du moins à l'aide d'hiéroglyphes, a été en usage avant le déluge. C'est ce que nous apprennent aussi plusieurs anciennes traditions , surtout cette tradition intéressante que nous a conservée Alexandre Polyhistor, qu'il avait recueillie des récits de Bérosos , et selon laquelle les livres saints furent, après le déluge, déterrés à Sippare. L'hypothèse que l'art d'écrire a été inventé avant le déluge, se trouve confirmée encore, si l'on considère combien peu il y a de personnes qui, si elles ne l'ont pas noté, savent à quel âge sont parvenus leurs bisaïeuls , et quel âge ceux-ci avaient à la naissance de leurs premiers-nés. Cela convenu, comment serait-il possible que Noé, par exemple, qui, selon la Bible, fut sauvé du déluge, eût su, sans le secours de notices écrites, non-seulement l'âge du bisaïeul do son quatrième aient, quand celui-ci eut son premier-né et quand il mourut, mais encore ces mêmes circonstances, quant à leur descendance jusqu'à lui, sans parler des noms de toute cette génération. Ce serait, ce me semble, exiger un peu trop de la mémoire des Adamites et de leur intérêt pour leurs ancêtres.

 

Le fait que, selon la Bible, Abel, fils d'Adam, fui berger et Caïn laboureur prouve aussi un degré de civilisation qu'un ne peut supposer aux premiers hommes, si l'on réfléchit au grand nombre d'expériences qu'a dû faire le genre humain, dont la première nourriture naturelle dut consister en fruits ou, à leur défaut, en poisson et en gibier, avant d'avoir l'idée de rassembler le bétail par troupeaux et de cultiver la terre à l'aide d'instruments artificiels. La Bible nous apprend encore (gen., Iv, 17) qu'après la naissance de son fils Hénoc, Caïn exilé bâtit une ville, ce qui suppose nécessairement que déjà alors il y avait d'autres hommes que les Adamites, puisqu'on ne peut bâtir de ville sans hommes. Aussi la Bible fait-elle, déjà du temps de Noé, la distinction entre les fils de Dieu et les filles des hommes; elle dit même expressément (gen., vi,4) qu'en ce temps-là il y avait déjà des Géans sur la terre, lesquels, de tout temps, avaient été des gens de renom. Il se peut bien que cette expression s'applique à une race d'hommes plus grande que la nôtre, mais on ne peut nullement l'appliquer à des anges ou à d'autres êtres fantastiques, comme l'ont fait certains interprètes ineptes de l'Ancien Testament (1).

(1) La Rible (Gen., VI, 2) dit que les fils de Dieu prirent femmes parmi les filles des hommes. Cette circonstance prouve évidemment qu'il faut entendre par fils de Dieu (le texte hébreu dit les fils des dieux) des hommes, selon toute apparence les Élohim on les Élymées, et non pas, comme le veulent plusieurs interprètes de la Bible , des anges ou autres êtres célestes ; car il serait absurde d'admettre que les anges eussent épousé des hommes mortels. Rask en conclut, et sa conclusion me semble fondée, qu'il faut entendre par les Élohims les anciens habitants du pays où vivaient les adamites , dont ils épousèrent les filles.

Nous apprenons donc, du récit de la Bible même, qu'il a existé d'autres hommes sur la terre du temps d'Adam; et ce fait est confirmé par la littérature ancienne des Indiens, des Persans, des Babyloniens et des Égyptiens. Les Babyloniens et les Égyptiens ont même une série de dieux ou de rois qui, non-seulement ont régné pendant une période égale à la période écoulée depuis Adam jusqu'à Noé, mais dont les noms et les détails de vie s'accordent en partie avec ceux que nous a conservés la Bible sur les neuf Adamites jusqu'à Noé. Comme la Bible donne le nom de Seth à un des fds d'Adam, c'est sans doute parce qu'il remplaça son frère; et l'historien juif Josèphe lui attribuant pour qualité distinctive le courage, sans doute il faut voir en lui le même personnage que la divinité égyptienne nommée Arès (ou Mars) par les traducteurs grecs, mais dont le vrai nom semble avoir été Alasporos. Enos ou Anovis (car les caractères hébraïques peuvent être lus également de l'une et de l'autre façon), est sans doute l'Anubis des Égyptiens. Le cinquième Adamite, Mahalaléel, dont le nom est formé du mot médique Maha (mégas, grand), est sans doute le cinquième Babylonien qui correspond au cinquième roi des Égyptiens, ou Mégaloros, en grec Apollon. Enfin la tradition nous dit que Xisuthros de Babylone échappa au déluge à peu près de la même manière que Noé. Il est donc probable, comme le fait observer Rask, que le vrai nom d'Adam, qui, en français, veut dire " homme » fut Oros ou Aloros, et qu'il était sujet de Jéhovah (Jova), ou de quelque autre roi puissant, qui, pour quelque faute, l'aura exilé d'Héden (1). Ce Jova (Jéhova-Elohim, Deus deorum) régna sans doute sur les Elohim (les dieux, les dives des Mèdes) ou les Elymées, peuple qui, non-seulement, semble avoir exercé une influence très considérable sur les destinées des Adamites, mais aussi avoir communiqué les bienfaits de la civilisation à presque tous les anciens peuples de l'Asie, car tous, sous différentes formes, ont conservé dans leurs mythologies le souvenir des princes de ce peuple, ou des douze grands béros élohiques. Nous les retrouvons, par exemple, dans la mythologie des Babyloniens et des Égyptiens, d'où, plus tard , ils ont passé dans celle des Grecs et des Romains. Nous les retrouvons même chez les habitants du Nord, dans les douze Diars, Drotter ou Hofgoder d'Odin. Enfin, d'après l'Écriture sainte, les fils des Elohim, c'est-à-dire de Dieu ou des dieux (dénomination que plusieurs des despotes de l'Orient ont gardée jusqu'à nos jours : l'empereur de la Chine, par exemple, qui se fait appeler fils du ciel, le Dalaï Lama du Thibet, que la superstition considère comme une espèce de dieu, etc.) ; ces fils des Elohim, disons-nous, d'après la Bible même, étaient les maîtres du pays, taudis que les Adamites ou les descendants d'Adam, qui presque toujours, ou du moins dans les premiers chapitres de la Genèse, sont nommés les enfants des hommes (ou plutôt les enfants d'Adam, de l'homme) étaient dans la dépendance. Au chapitre vi, verset 2 de la Genèse, par exemple, il est dit que " les fils de Dieu, voyant que les filles des » hommes étaient belles, prirent pour leurs femmes de » toutes celles qu'ils choisirent, » relation qui rappelle l'usage qu'ont encore de nos jours les princes de l'Orient, en prenant pour femmes surtout des Circassiennes. Ajoutez que la mythologie des Grecs et leurs poètes (par exemple Hésiode et autres) placent les dieux sur la terre dans la société des hommes ; que les relations des Égyptiens, qui ne visent nullement à faire passer les dieux pour des êtres célestes, les rangent tout bonnement dans la série des rois et prétendent qu'ils ont régné (ebasileusan mot grec) ; que même quelques traditions, par exemple celle de Diodore de Sicile au sujet des Atlantes, racontent, comme on le verra dans la suite, pourquoi et comment ces hommes ont été adorés comme des dieux ; enfin, que la mythologie du Nord, sortie de l'Asie, distingue, comme des races différentes d'hommes, les Ases ou les dieux (Elohim, Guderne, les Gothes), les Jetter ou les géants (les Gigantes, les Titanes ou les Atlantides), et les Mens ou les hommes par excellence ( la race caucasienne, les Adamites, die Menschen). Il faut donc, il est donc facile de le voir, que les Elohim ou les dieux aient réellement été des hommes, quoique probablement d'une race plus grande de taillé que la race caucasienne ; hypothèse dont la justesse deviendra plus évidente par la suite.

(1) Le génitif latin (Jovis) a la même racine ; Rask croit encore que Jehovah (Jova) et l'islandais Jofur (roi) sont synonymes. Jupiter ou Jovis pater, composé de jore (dénomination umbrique et pater (père) désigne donc originairement la même divinité que Jehnvah ou Jova.

Les noms primitifs des princes élohiques ont malheureusement été perdus, comme le fait observer Rask, et ils n'existent plus que dans les traditions grecques (surtout chez Diodore, t, 13). Comme cependant l'histoire de ces princes est plus intimement liée à celle des Adamites ou de l'Héden qu'à celle de tout autre peuple de l'antiquité; connue aussi elle peut servir à compléter l'histoire, contenue dans la Bible, des hommes avant le déluge, je crois qu'il sera intéressant de mettre à côté les uns des autres, et de comparer les princes élohiques et les Adamites, dont Rask a porté la chronologie à un degré de vraisemblance qui s'approche de la certitude.

LES DOUZE DIEUX OU HÉROS ÉLYMÉS.

 

La Bible donnant Adam pour le premier homme par excellence (kat exochen, grec), et appelant ses descendants les enfants des hommes, c'est là, malgré la saine critique historique, malgré toute exégèse sensée, et, chose encore plus étrange, malgré le témoignage de la Bible même, c'est là ce qui a suffit pour engager les plus anciens théologiens et exégètes, dans leur ignorance des sources orientales, à avancer l'opinion qu'il n'a point existé d'hommes sur la terre avant Adam ; et cette opinion, enseignée à la jeunesse comme infaillible, a fini par devenir une espèce d'article de foi, même pour les hommes les plus éclairés. Considérant donc comme une vérité historique inébranlable, qu'il a existé des hommes avant Adam, on est autorisé, je crois, à avancer l'hypothèse qu'Adam a été la souche de la race caucasienne ; celle-ci, par conséquent, aura été postérieure à plusieurs autres races d'hommes, avec lesquelles cependant elle aura eu les rapports les plus intimes. Grâce à ses facultés supérieures, cette nouvelle race aura non-seulement su s'approprier les avantages de la civilisation, déjà obtenus par suite du développement progressif des races plus anciennes, existant depuis des siècles, mais elle aura encore fait valoir sa supériorité spirituelle au point de s'appeler dans ses écrits, et surtout dans la Bible, « les hommes « par excellence, et d'écrire sa propre histoire comme étant celle même du genre humain. En admettant cette hypothèse, l'autorité de l'Écriture sainte ne sera ébranlée dans aucun point essentiel ; on y gagnera même de faire accorder, sous tous les rapports, son contenu, non-seulement avec les exigences de l'histoire, mais aussi avec les mythes les plus remarquables de la Grèce et du Nord, enfin avec la géologie. Quelle que soit la théorie qu'on adopte quant à la création, il me semble que les lois naturelles du développement progressif de toutes choses exigent que la race humaine, de même que celle des animaux, se soit développée graduellement ; que, du moins, plusieurs races humaines moins nobles aient existé avant la race caucasienne, pour préparer le chemin à cette race plus parfaite. Cette hypothèse semble d'autant plus fondée, que la division généralement admise du genre humain en cinq races n'est ni juste ni même conséquente. Si l'on ne veut admettre que tout le genre humain descende d'une même souche, qui, par suite de l'influence particulière des climats et d'autres circonstances, u produit des races constantes, il faut, avec Cuvier, reconnaître trois variétés, savoir : la caucasienne, l'éthiopienne et la mongolienne ; les autres ( la race américaine et la malaise), nées du mélange de celles-là, ne sont que des races bâtardes. Ou bien il faut, et plus logiquement, ce me semble, admettre autant de races principales qu'on trouve de variétés constantes. C'est pourquoi le naturaliste français Bory de Saint-Vincent divise le genre humain en quinze races principales, en admettant autant d'autochtones ou d'aborigènes , division qu'il appuie en général sur la crue des cheveux et sur les modifications de la couleur de la peau.

Quoique sa division soit, à plusieurs égards, inexacte et contraire à tout ce que nous enseigne l'histoire, il faut cependant, nous parait-il, admettre avec lui que, par la voie de la géographie historique, on ne peut parvenir à aucun autre résultat, sinon qu'il y a eu primitivement plusieurs races différentes. Cette opinion est aussi soutenue par d'ingénieux savants, tels que Malte-Brun (1), Pinkerton, Dumoulin, d'Urville, Lesson, etc. Quoi qu'il en soit, il me semble évident que plusieurs des institutions de l'antiquité, surtout le système des castes, si sévère chez les Indiens et chez les Égyptiens, n'ont pas été des inventions purement humaines, basées uniquement sur les rapports des vainqueurs avec les vaincus, ou sur la diversité originaire du culte, mais qu'elles supposent nécessairement une différence de races très-ancienne entre les castes qui n'avaient point la permission de s'allier entre elles par le mariage. Il n'y a qu'une différence de races qui puisse faire comprendre comment le système des castes, système absurde et contraire à tous les droits humains, ait pu se soutenir dans toute sa rigueur dans une contrée aussi vaste et aussi peuplée que les Indes, où il eût été facile de s'y soustraire, et, ce qui est plus frappant encore, qu'il ait pu s'y conserver sans altération jusqu'à nos jours, pendant quatre mille ans, malgré toutes les grandes révolutions politiques qui ont ébranlé ce pays. Ces institutions ont encore une force dont nous ne trouvons qu'une faible image dans les rapports de convenance, aussi misérables que ridicules, qui existent dans les Indes occidentales; là, cependant, la différence physique des races est beaucoup plus prononcée qu'elle ne l'a jamais été dans l'Indostan , mais le christianisme et un plus haut degré de civilisation ont adouci ce contraste (1).

(1) Mon célèbre compatriote Malte-Brun a établi dans sa Géographie universelle (Géographie mathématique, physique et politique, Paris, 1803, I, p. 540-50), avant que le système de Bory de Saint-Vincent eût excité l'attention générale , seize races , savoir : la race polaire , la race finlandaise , la race slave , la race gothique-germanique , les races occidentales-européennes , les races grecques et pélasgiques, la race arabe , la race tartare et mongolienne, la race indienne, la race malaise, la race noire dans les iles de l'Océan Pacifique, la race olivâtre de l'Océan Pacifique , la race maure , la race des négres , les races de l'Afrique orientale et les races américaines.

(1) Il me semble que celle différence des races s'explique très-bien par la doctrine des Brahmanes, qui fait dériver les différentes castes d'autant de membres du corps de Brahma : c'est ainsi que la caste des prètres (Hrabmanas) est supposée descendre de la tete de ce dieu ; la caste des guerriers (Tschatriya). de ses épaules ; la caste des artisans (Wagsya), de son estomac ; et la caste des serviteurs (Sudra), de ses pieds. Il est remarquable aussi que, selon la tradition du peuple Zend, Ormudz (le bon esprit) fit de la semence de Cajamort germer une plante qui, au bout de quinse ans, devint un arbre, lequel poussa quinze rejetons. Cet arbre avait la forme d'un homme et d'une femme réunis, dont les fruits étaient dix couples d'êtres humains; l'on de ces couples, Meschia et Meschiana, devinrent les parents des hommes, dénomination par laquelle, comme je l'ai déjà démontré, il ne faut entendre qu'une seule race, savoir la race caucasienne (les enfants d'Adam , les meus de In mythologie scandinave, les hommes proprement dits.

 

Quand plusieurs naturalistes , malgré ce que nous enseignent les sciences naturelles et l'histoire, soutiennent néanmoins que non-seulement toutes les castes indiennes, mais aussi la plus grande partie des peuples européens, nommément les peuples du Nord aux cheveux blonds, aux yeux bleus, les Italiens au teint brun et foncé, aux yeux noirs, ainsi que les Américains, les Mogols et les Nègres, descendent de la race qu'on appelle caucasienne, race dont il faut supposer que l'Adam de la Bible fut le premier père, nous ne pouvons voir là qu'une erreur, erreur puisée dans une fausse interprétation de l'Écriture sainte et sucée pour ainsi dire avec le lait; la philanthropie qui la maintient est certainement très-chrétienne et très-louable, mais elle fuit tomber l'Écriture dans des contradictions manifestes, contradictions qui disparaissent aisément si l'on admet l'hypothèse que la race caucasienne est de beaucoup postérieure à plusieurs autres races d'hommes.

On peut prouver, avec assez de certitude, que les lettres ont commencé de fleurir à peu près à la même époque chez les Babyloniens, les Indiens, les Égyptiens et les Chinois, c'est-à-dire environ 2000 ans avant Jésus-Christ ; que l'art d'écrire, ou du moins l'usage des hiéroglyphes, a existé (500 ans, si ce n'est plus, avant le déluge, car cela est confirmé par les relations exactes sur les Adamites, ainsi que par les tables chronologiques des princes et des dieux qui nous ont été conservées. Il est alors incontestable qu'Adam, chassé d'Héden, a dû trouver la Chaldée et la Babylonie passablement peuplées, du moins par des peuples sauvages ; que, du temps de Noé, il y avait des états policés, et même des villes, dans l'empire de Babylone, dans l'Inde, peut-être aussi en Égypte et en Chine. Quiconque, dans le seul but de trouver la vérité, examinera sans préjugé les plus anciens fragments historiques qui nous restent, ne s'avisera pas d'élever aucun doute à ce sujet. Suivant la Bible, ainsi que nous l'avons vu, Caïn déjà bâtit une ville, Hanoch ; et le babylonien Bérosos mentionne connue existant avant le déluge, Pantebla, Sippara, Larangcha et Babylone; il ajoute que celle-ci lut rebâtie après cette grande catastrophe. Ce dernier point se trouve confirmé d'une manière très-intéressante par les images employées dans l'Apocalypse ; ces images , que nous rappellerons plus tard, sont tirées d'un vieux document historique, qui décrit la chute de Babylone précisément de la manière dont elle doit avoir eu lieu si elle a été la suite du déplacement de l'axe, selon notre supposition (1).

(1) II est à regretter que les écrits historiques de Bérosos, prêtre babylonien, qui vivait au quatrième siècle avant Jésus-Christ et qui a sans doute puisé aux sources mêmes, aient presque entièrement été perdus et qu'il ne nous en reste que des fragments épars cités par quelques anciens auteurs, chez lesquels ces écrits sont d'un grand poids. Ce peu de restes ont été recueillis par M. Richter dans une dissertation intitulée : Berosi Chaldæorum historiæ quæ supersunt. Lipsiœ , 1825.

Ces indications, qui s'accordent avec plusieurs traditions indiennes, chinoises, égyptiennes et arabes, sont surtout confirmées par les relations, à tout prendre, authentiques, qui nous ont été transmises par les auteurs grecs sur les ouvrages prodigieux des anciens Babyloniens, Assyriens, Indiens et Égyptiens. Ces ouvrages ne sont que de quelques siècles postérieurs au déluge et excitent encore notre admiration. Ils ont échappé en partie à la ruine commune que préparent en général à toute œuvre humaine les révolutions de la nature, le temps destructeur et le vandalisme des nations barbares. Qui n'a entendu parler de ces temples prodigieux des anciens Indiens, creusés dans des rochers immenses, ainsi que de leurs idoles taillées dans d'énormes masses de roc? et des pyramides, des obélisques, et des temples des anciens Égyptiens? L'histoire nous dépeint avec des couleurs à la vérité exagérées, mais cependant vraies, la pompe et le luxe de l'ancienne Babylone, ses jardins suspendus, ses canaux, ses aqueducs, ses murs de plusieurs milles de longueur, ainsi que la manière dont cette ville fut embellie par la reine d'Assyrie. Or, Sémiramis vivait environ 2,000 ans avant Jésus-Christ, c'est-à-dire 450 ans après le déluge, qui eut lieu, d'après Rask, environ 2,458 ans avant Jésus-Christ (1). Vu le court espace de temps qui sépare le règne de Sémiramis du déluge, il faut sans contredit supposer un assez haut degré de civilisation à l'époque du déluge, puisque dans ces anciens temps la civilisation n'a dû pouvoir se développer que lentement. En effet, nul homme sensé de nos jours ne s'aviserait de croire que le genre humain actuel ait été entièrement ignorant il y a 4 à 500 ans, ni que, s'il devait recommencer son développement, mais sans les ressources nombreuses que nous avons, il pût prendre les mœurs de la lie civilisée, bâtir des villes superbes, inventer l'art d'écrire, etc., dans le court espace de 4 à 500 ans, à partir de son enfance, et lorsqu'il n'était encore question pour lui que de satisfaire aux premiers besoins de la vie. Eh bien ! ne serait-il pas de même on ne peut plus absurde de prétendre, comme le font souvent, au moins d'une manière indirecte, les historiens les plus distingués, que le développement de la civilisation du genre humain dans l'antiquité ait fait des progrès aussi énormes dans un pareil intervalle? L'histoire et la philosophie nous forcent donc d'admettre que le genre humain a existé des milliers d'années avant le déluge.

(1) Voir p. 198.

 

CHAPITRE IV.

L'HYPOTHÈSE D'UN DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE EST CONFIRMÉE PAR LA RELATION MOSAÏQUE DU DÉLUGE. CETTE RELATION , AINSI QUE PLUSIEURS AUTRES QUI ONT LA MÊME ORIGINE, NE PARLE CEPENDANT QUE DE L'INONDATION CAUSÉE PAR CE DÉPLACEMENT D'AXE.

 

Or, s'il faut supposer que déjà avant le déluge il existait une civilisation assez avancée pour que l'homme sût s'appliquer aux occupations d'une vie plus policée, à la nourriture du bétail et à l'agriculture; pour qu'il connût l'art de bâtir des villes et de conserver par le moyen de l'écriture le souvenir du passé ; alors il n'y a aucune raison de douter, comme le font certains sceptiques, de la vérité du récit de la Bible, selon lequel Noé et sa famille ont échappé aux eaux du déluge dans une espèce de vaisseau nommé l'Arche. Encore moins est-il permis de nier qu'il y ait un fond de vérité dans ces relations d'un déluge général que nous retrouvons, quoique sous différentes formes, chez presque toutes les nations de l'antiquité. D'un autre côté, il ne faut pas perdre de vue à quel point, même de nos jours, l'histoire peut être dénaturée par des embellissements et des changements ; il sera par conséquent évident que nous ne pouvons ajouter foi à ce qui se trouve dans la Bible de surnaturel et d'inconcevable, mais qu'il faut y faire la part de la superstition et des mutilations d'un temps postérieur. Il n'entre pas dans le plan de cet ouvrage de citer ici toutes les traditions différentes sur le déluge, puisqu'elles ne donnent pas lieu à des ré

flexions historiques-géologiques. Je me bornerai à la narration mosaïque du déluge, si touchante par sa vérité intérieure, et à quelques autres traditions, qui toutes semblent puisées, connue le verra facilement le lecteur éclairé, à une source commune, probablement quelque document égyptien ou babylonien des temps les plus reculés.

 

LA NARRATION MOSAÏQUE DU DÉLUGE.

(Genèse, chap. 6. )

 

11. Et la terre était corrompue devant Dieu(1) et remplie d'extorsion.

(1) Le texte hébreu dit toujours le Dieu des Dieux ( Jehova Elohim , c'est-à-dire Dieu des Élymées ou Jupiter. )

12. Dieu donc regarda la terre, et voici elle était corrompue ; car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre.

13. Et Dieu dit à Noé : La fin de toute chair est venue devant moi; car ils ont rempli la terre d'extorsion, ainsi je les détruirai avec la terre.

14. Fais-toi une arche de bois de gopher; tu feras l'arche par loges, et tu l'enduiras de bitume par dedans et par dehors.

15. Et tu la feras ainsi : la longueur de l'arche sera de trois cents coudées, sa largeur de cinquante coudées, et sa hauteur de trente coudées.

16. Tu donneras du jour à l'arche; tu feras son comble d'une coudée de hauteur; tu mettras la porte de l'arche à son côté, et tu la feras avec un bas étage, un second et un troisième.

17. Et voici, je ferai venir un déluge d'eau sur la terre pour détruire toute chair qui a esprit de vie en soi sous les cieux, et tout ce qui est sur la terre expirera.

18. Mais j'établirai mon alliance avec toi; et tu entreras dans l'arche, toi, tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi.

19. Et de tout ce qui a vie d'entre toute chair, tu en feras entrer deux de chaque espèce dans l'arche, pour les conserver en vie avec toi, savoir le mâle et la femelle.

20. Des oiseaux selon leur espèce ; des bêtes selon leur espèce; et de tous les animaux qui se meuvent, selon leur espèce; il y entrera de tous deux de chaque espèce avec toi, afin que tu les conserves en vie.

21. Prends aussi avec toi de toute nourriture qu'on mange, et fais-en ta provision, afin qu'elle serve pour ta nourriture et pour celle des animaux.

22. Et Noé fit toutes les choses que Dieu lui avait commandées; il les fit ainsi.

 

( Genèse, chap. 7. )

 

1. Et l'Eternel dit à Noé : Entre, toi et toute ta maison dans l'arche, car je t'ai vu juste devant moi en ce temps.

2. Tu prendras de toutes les bêtes nettes sept de chaque espèce, le mâle et la femelle; mais des bêtes qui ne sont point nettes, une couple, le mâle et la femelle.

3. Tu prendras aussi des oiseaux des cieux sept de chaque espèce, le mâle et la femelle, afin d'en conserver la race sur toute la terre.

4. Car dans sept jours je ferai pleuvoir sur toute la terre pendant quarante jours et quarante nuits, et j'exterminerai de dessus la terre toute chose qui subsiste et que j'ai faite.

5. Et Noé fit toutes les choses que l'Eternel lui avait commandées.

6. Et Noé était âgé de six cents ans quand le déluge des eaux vint sur la terre.

7, Noé donc entra, et ses fils, sa femme et les femmes de

ses fils, avec lui dans l'arche, à cause des eaux du déluge.

8. Il y entra aussi des bêtes nettes et des bêtes qui ne sont point nettes, et des oiseaux, et de tout ce qui sèment sur la terre.

9. Elles entrèrent deux à deux avec Noé dans l'arche, savoir le mâle et la femelle, comme Dieu lui avait commandé.

10. Et il arriva qu'au septième jour les eaux du déluge furent sur la terre.

11. Et l'an six cent de la vie de Noé, au second mois, au dix-septième jour du mois, en ce jour-lù toutes les fontaines du grand abîme furent rompues et les bondes des cieux furent ouvertes.

12. Et la pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits.

13. En ce même jour-là, Noé, Sem, Cham et Japhet, fils de Noc, entrèrent dans l'arche avec la femme de Noé et les trois femmes de ses fils avec eux ;

14. Eux et toutes les bêtes selon leur espèce, et tous les animaux domestiques selon leur espèce, et tous les reptiles qui se meuvent sur la terre selon leur espèce, et tout petit oiseau ayant des ailes, de quelque sorte que ce soit.

15. Il vint donc de toute chair qui a en soi esprit de vie une couple à Noé dans l'arche.

16. Le mule, dis-je, et la femelle de toute chair y vinrent, comme Dieu lui avait commandé; puis l'Eternel ferma l'arche sur lui.

17. Et le déluge se répandit pendant quarante jours sur la terre; et les eaux crûrent et élevèrent l'arche, et elle fut élevée de dessus la terre.

18. Et les eaux se renforcèrent et s'accrurent fort sur la terre, et l'arche flottait au-dessus des eaux.

19. Et les eaux se renforcèrent prodigieusement sur la terre, et ton tes les plus hautes montagnes qui étaient sous tous les cieux furent couvertes.

20. Les eaux s'élevèrent de quinze coudées plus haut; ainsi les montagnes furent couvertes.

21. Et toute chair qui se mouvait sur la terre expira, tant des oiseaux que du bétail, des bêtes et de tous les reptiles qui se traînent sur la terre, et tous les hommes.

22. Toutes les choses qui étaient sur le sec et qui avaient respiration de vie en leurs narines moururent.

23. Tout ce donc qui subsistait sur la terre fut exterminé, depuis les hommes jusqu'aux bêtes, jusqu'aux reptiles et jusqu'aux oiseaux des cieux ; et ils furent exterminés de dessus la terre ; Noé demeura de reste et ce qui était avec lui dans l'arche.

24 Et les eaux se maintirent sur la terre pendant cent cinquante jours.

 

(Genèse, chap. 8. )

 

1. Or, Dieu se souvint de Noé, et de toutes les bêtes, et de tous les animaux qui étaient avec lui dans l'arche. Et Dieu fit passer un vent sur la terre, et les eaux s'arrêtèrent.

2. Car les sources de l'abime et les bondes des cieux avaient été fermées, et la pluie des cieux avait été retenue.

3. Et les eaux se retiraient de plus en plus de dessus la terre; et au bout des cent cinquante jours elles diminuèrent.

4. Et au dix-septième jour du septième mois l'arche s'arrêta sur les montagnes d'Ararat.

5. Et les eaux allaient en diminuant de plus en plus, jusqu'au dixième mois; et au premier du dixième mois, les sommets des montagnes se montrèrent.

6. Puis il arriva qu'au bout de quarante jours Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait faite à l'arche.

7. Et il lâcha un corbeau qui sortit, allant et revenant, jusqu'à ce que les eaux séchassent sur la terre.

8. Il lâcha aussi d'avec soi un pigeon pour voir si les eaux étaient diminuées sur In terre.

9. Mais le pigeon ne trouvant sur quoi asseoir la plante de son pied retourna a lui dans l'arche ; car les eaux étaient sur toute la terre. Et Noé, avançant sa main, le reprit et le retira à soi dans l'arche.

10. Et quand il eut attendu encore sept autres jours, il lâcha encore un pigeon hors de l'arche.

11. Et sur le soir le pigeon revint à lui; et voici, il avait dans son bec une feuille d'olivier qu'il avait arrachée, et Noé connut que les eaux s'étaient retirées de dessus la terre.

12. Et il attendit encore sept autres jours; puis il lâcha le pigeon, qui ne retourna plus à lui.

13. Et il arriva que l'an six cent un de l'âge de Noé, an premier jour du premier mois, les eaux se séchèrent de dessus la terre ; et Noé, ôtant la couverture de l'arche, regarda, et voici, la surface de la terre se séchait.

14. Et au vingt-septième jour du second mois, la terre fut sèche.

15. Alors Dieu parla à Noé, disant :

16. Sors de l'arche, toi, ta femme, tes fils et les femmes de tes fils avec toi.

17. Fais sortir avec toi toutes les bêtes qui sont avec toi, de toute chair, tant des oiseaux que des bêtes, et tous les animaux qui se meuvent sur la terre. Qu'ils peuplent en abondance la terre, et qu'ils croissent et multiplient sur la terre.

18. Noé donc sortit, ses fils, sa femme et les femmes de ses fils avec lui.

19. Toutes les bêtes, tous les reptiles, tous les oiseaux, tout ce qui rampe sur la terre, selon leurs espèces , sortirent de l'arche.

20. Et Noé bâtit un autel A l'Eternel, et prit de toute

bête nette et de tout oiseau net, et il offrit des holocaustes sur l'autel.

21. Et l'Éternel flaira une odeur qui l'apaisa, et dit en son cœur : Je ne maudirai plus la terre à l'occasion des hommes; car l'imagination du cœur des hommes est mauvaise dès leur jeunesse; et je ne détruirai plus tout ce qui vit, comme j'ai fait.

22. Mais tant que la terre durera, les semailles et les moissons, le froid et le chaud, l'été et l'hiver, le tour et la nuit ne cesseront point.

 

LA TRADITION CHALDÉENNE (1).

1 George Sync lle cite cette tradition selon Alex. Polyhistor , qui l'a tirée de Bérosos . Voir Richter : Berosi Chaldæorum historia quæ supersunt , p. 55-58,

Après la mort d'Otiarte, son fils Zisuthros régna pendant dix-huit sares; pendant son règne eut lieu le grand déluge. Or, voici la tradition qui en a été conservée : Cronos lui apparut en songe et lui dit que, le quinzième jour du mois daïscos, tous les hommes périraient a la suite d'une inondation. Il lui ordonnait d'écrire l'histoire du commencement, du milieu et de la fin de toutes choses, et de l'enfouir dans la ville du soleil, Sippara. Puis il bâtirait un navire à bord duquel il se rendrait avec sa famille et ses plus intimes amis; il y ferait provision de vivres, y ferait entrer des animaux, soit des oiseaux, soit des quadrupèdes; et quand il aurait tout préparé, il mettrait à la voile. Lorsque Zisuthros demanda comment il ferait pour naviguer, Cronos lui répondit qu'il fallait d'abord prier les dieux pour qu'ils fussent propices aux hommes. Il ne désobéit pas, mais il bâtit un navire long de cinq et large de deux stades; il y rassembla tout ce qui lui avait été ordonné et y embarqua sa femme, ses enfants ainsi que ses plus proches amis. Le déluge alors étant survenu et ayant cessé peu de temps après, Zisuthros lâcha quelques oiseaux; mais, comme ils ne trouvaient ni nourriture ni aucun lieu où se percher, ils retournèrent au navire. Au bout de quelques jours, Zisuthros lâcha de nouveau les oiseaux ; ils retournèrent au navire les pieds pleins de limon. Mais ayant été envoyés pour la troisième fois, ils ne revinrent plus au navire. Alors Zisuthros comprit que la terre commençait a paraître de nouveau. Il détacha donc une partie des planches du navire, et, voyant qu'il avait abordé à une montagne, il sortit avec sa femme, sa fille et le pilote. Il baisa la terre, éleva un autel, et fit des sacrifices aux dieux ; puis il disparut avec ceux qui étaient sortis avec lui du vaisseau. Comme il ne retournait point, ceux qui étaient demeurés dans le navire en sortirent pour le chercher et l'appelèrent par son nom. Cependant ils ne virent plus Zisuthros, mais ils entendirent des cieux sa voix qui leur commandait d'être pieux, car il était maintenant auprès des dieux, chez qui il avait sa demeure à cause de sa piété; sa femme, sa fille et le pilote aussi participaient à sa gloire. Il leur commanda de retourner à Babylone et d'y déterrer, selon la volonté du sort, les écrits enfouis à Sippara, et de les livrer aux hommes ; il leur raconta qu'ils étaient dans l'Arménie. Ayant entendu cela, ils firent des offrandes aux dieux et allèrent à pied à Babylone. Une partie de ce navire qui avait abordé en Arménie, se trouve encore sur la montagne des Corydées. On en tire du bitume qu'on ratisse du navire pour l'employer aux sacrifices expiatoires. Quand ces hommes furent venus a Babylone, ils déterrèrent les écrits à Sippara, ils rebâtirent l'ancienne Babylone, fondèrent beaucoup de villes et élevèrent des temples.

 

LA TRADITION INDIENNE (1).

1 Works of Will . Jones. Tome I , P 287.

Ce fut après que le démon Haiagriva eut volé les Védas, gardés par le dieu Brahma, pendant que celui-ci était allé se reposer à la fm du sixième âge du monde dans la dixième incarnation de Dieu (Manwantara), que tout le genre humain fut exterminé, à l'exception des sept Rischies et de Satyawrata, qui régnait alors à Dravira, contrée située près de la mer, au midi de Carnate. Pendant qu'un jour, conformément à la loi, ce prince faisait ses ablutions dans le fleuve Critamala, Wischnu lui apparut sous la forme d'un petit poisson, qui, en passant d'une eau dans une autre, devenait de plus en plus grand, jusqu'à ce que Satyawrata finit par le transporter dans l'Océan. Ici Wischnu parla à son adorateur étonné, en ces termes : *, Au bout de sept jours toutes les créatures qui m'ont injurié seront exterminées par une inondation, mais tu seras sauvé dans un grand navire merveilleusement bâti. Prends donc toutes sortes d'herbes utiles et de grains mangeables pour ta nourriture, et de toutes les bêtes une paire, puis embarque-toi avec les sept Rischies, ta femme et leurs femmes. Embarque-toi sans crainte et tu verras Dieu face à face, et il répondra à toutes les questions. » Après avoir parlé ainsi, il disparut. Au bout de sept jours l'Océan déborda et la terre fut submergée par des pluies continuelles ; alors Satyawrata, qui réfléchissait sur la divinité, vit un grand navire flotter sur les eaux. Il y entra et observa exactement les ordres de Wischnu, qui, ayant pris la forme d'un poisson énorme, attacha le navire à son immense corne par le moyen d'une grande hydre, qui servit en guise de câble. Après l'inondation, Wischnu tua le démon et reprit les Védas, instruisit Satyawrata des sciences divines, et l'éleva an rang du septième Menu sous le nom de Waivasvvata.

 

LA TRADITION GRECQUE (1).

1 Quoique j'admette avec Rask que le déluge de Deucalion a été de beaucoup postérieur au déluge de la Bible , je crois néanmoins devoir citer ici ce mythe , parce que j'en crois les détails empruntés à une tradition plus ancienne , et qu'il rapporte un trait assez remarquable , savoir que Deucalion ne fut sur la mer que pendant neuf jours et neuf nuits. La tradition se trouve dans Apollodori Bibliotheca , lib. I , chap . VII.

Le fils de Deucalion fui Prométhée. Il régna sur la Pythie et épousa Pyrrha, fille d'Epimèthe et de Pandore, première femme que formerait les dieux. Comme Zeus voulait mettre fin au troisième âge (l'âge de cuivre), Deucalion bâtit une caisse, y fit porter le nécessaire et s'y rendit lui-même avec Pyrrha. Zeus répandit donc beaucoup de pluie du ciel Et submergea la plus grande partie de l'Hellade, de sorte que tous les hommes périrent, à l'exception d'un petit nombre, qui se sauvèrent sur les plus hautes montagnes. Alors les montagnes de la Thessalie se fendirent, et toute la contrée au delà de l'Isthme et du Péloponèse fut inondée. Mais Deucalion vogua dans sa caisse sur la mer pendant neuf jours et autant de nuits, jusqu'à Ce qu'il vînt au Parnasse. Quand les eaux eurent baissé il sortit de la caisse, et fit des offrandes à Zeus Phyxios (le sauveur). Zeus lui envoya Hermès pour lui ordonner de demander Ce qu'il désirait, et il désira que les hommes fussent créés de nouveau. Zeus lui dit de ramasser des pierres et de les jeter derrière lui. Les pierres que jeta Deucalion devinrent des hommes, celles de Pyrrha des femmes. C'est pourquoi les peuples sont nommés métaphoriquement λαοι, de λάας, une pierre.

Il n'y a, comme nous le voyons, que la relation mosaïque qui contienne une exposition exacte et détaillée du déluge, et elle en est d'autant plus intéressante. On ne peut pas, il il est vrai, décider avec certitude si Noé a prévu cette catastrophe ou non, et s'il a par cette raison bâti un navire d'une construction particulière. Mais il est très-probable que les révolutions de la nature qui doivent avoir précédé le déluge, et dont l'énergie doit avoir été en croissant, lui auront présagé un grand danger imminent. Il aura par conséquent pu trouver le temps, surtout comme les eaux croissaient très-lentement, de pourvoir à sa sûreté et à celle de sa famille. Mais ceux qui survécurent au déluge et sur les relations desquels est basée la description de l'inondation générale, n'ont pu indiquer exactement, ni s'il s'est passé sept jours, comme le dit la Bible, avant que l'inondation atteignît la demeure de Noé; ni si la pluie continuelle a duré quarante jours et quarante nuits (l'Ancien Testament se sert souvent du nombre quarante comme d'un nombre indéterminé); ni si les eaux sont restées sur la terre pendant une année. Leur expérience a dû nécessairement se borner à une partie relativement fort petite de la surface du globe, et comme la violence des terribles révolutions qui seront mentionnées dans la suite de cet ouvrage devait réclamer l'attention tout entière des hommes, nous comprendrons facilement comment ces indications numériques, dont la précision prouve qu'elles ne sont pas inventées, peuvent être inexactes, quoique ayant été données de bonne foi.

 

Chose pourtant remarquable! la direction principale du déluge indiquée par la Bible est celle qu'il a dû suivre dans l'Asie-Mineure, par suite du fait que nous adoptons, du déplacement d'axe. Cette catastrophe a dû, en effet, comme l'indique clairement la Bible, faire monter lentement les eaux et leur faire couvrir enfin les plus hautes sommités de ces contrées-là. Plus tard, lorsque la force qui avait fait déplacer l'axe du globe eut cessé d'agir, les eaux durent se retirer de plus en plus de dessus la terre et aller en diminuant de plus en plus de la même manière lente qu'elles avaient mise à croître : de sorte que d'abord ont apparu les sommets des montagnes et puis les contrées plus basses, dont le niveau avait été soulevé partiellement parla force centrifuge, jusqu'à ce qu'enfin la terre fût sèche. Ce n'est donc point une hypothèse trop hardie d'avancer qu'il n'y a qu'un déplacement d'axe qui ait pu faire monter et baisser les eaux de l'Océan avec la régularité qu'indique la Genèse ; que, par conséquent, un déplacement d'axe, qui a eu lieu depuis que le genre humain habite la terre, est prouvé, du moins indirectement, par la Genèse même.

Je ne disconviens pas qu'il semble impossible que Noé et toute sa famille aient pu rester pendant une année entière dans l'arche; mais en revanche, à mon avis, on peut expliquer cette autre circonstance que l'arche fut poussée dans une direction du sud-est au nord-ouest de Babylone, jusqu'au mont Ararat; car il est vraisemblable que la puissance réunie du second et du troisième courant principal du déluge (voir ci-dessus), après avoir creusé le golfe Persique, aura poussé l'arche vers le mont Ararat. L'arc-en-ciel, enfin, mentionné après le déluge (Gen., V, 13-17), est un phénomène facile à expliquer après une période pluvieuse et agitée : il semble, de concert avec les autres circonstances que je viens de mentionner, confirmer d'une manière incontestable, que la narration mosaïque du déluge est, dans ses points essentiels, conforme aux lois de la nature et à la vérité.

 

CHAPITRE V.

LES PHÉNOMÈNES VOLCANIQUES LIES A CETTE CATASTROPHE SONT ATTESTÉS PAR LES TRADITIONS DES AMÉRICAINS, DES PERSANS ET DES CELTES, MAIS SURTOUT PAR LA MYTHOLOGIE SCANDINAVE , DONT LES NOTIONS SUR CETTE CATASTROPHE SONT TOUT A FAIT JUSTES.

 

De même que. l'inondation causée par le déplacement d'axe a pour elle le témoignage de plusieurs traditions, surtout de celles conservées par Moïse et des Chaldéens, de même nous ne sommes pas dépourvus de preuves semblables en faveur des autres phénomènes liés à cette catastrophe, tels que les éruptions volcaniques, le tonnerre et la foudre. Je citerai à ce sujet une tradition remarquable des Indiens de l'Amérique septentrionale. Nous avons vu que la patrie primitive du mastodonte, dont on trouve les restes dans les couches diluviennes, semble avoir été l'Amérique septentrionale, c'est-à-dire une contrée située près de la partie de la surface du globe qui doit avoir été entièrement bouleversée par suite du déplacement d'axe, et où, par conséquent, les phénomènes volcaniques durent déployer une grande énergie, le tonnerre gronder avec une force extraordinaire, et où les ravages de la foudre auront été fréquents avant que la mer, en dépassant ses bords, éteignit les phénomènes volcaniques. Eh bien ! les Indiens racontent que le mastodonte a vécu sur la terre avec des hommes d'une taille proportionnée à celle de ce colosse, mais que l'Être suprême les lit périr les uns et les autres par la foudre.

Les traditions des Mexicains et des Acolhouains, tirées de celles des Toltèques, disent que le monde à subi quatre révolutions périodiques, après lesquelles le soleil a été recréé pour la cinquième fois, idée que nous retrouverons plus tard sous une forme différente non-seulement dans la mythologie grecque et Scandinave, mais aussi dans les traditions des Égyptiens et dans les images de l'Apocalypse. Selon ces traditions, il a été mis fin au premier âge du monde par une grande famine; au second, par le feu; au troisième, par des orages et des tempêtes; au quatrième, par une grande inondation. Nous verrons plus tard que ces quatre phénomènes ont nécessairement coïncidé, et qu'ils ont accompagné la dernière catastrophe du globe ici mentionnée. En considérant attentivement les traditions des Américains touchant la destruction et le renouvellement du monde, il sera évident qu'elles sont au fond les mêmes que celles des Égyptiens, des Indiens et des Chinois, et la preuve s'en trouve dans la foule d'ouvrages qui viennent d'être publiés sur ce sujet (1).

(1) Gonférer , par exemple , Alex. Bradford : Americain antiquities.

Plus remarquable encore est la tradition du peuple Zend sur l'inondation générale. Elle raconte qu'une comète tomba sur la terre et qu'elle l'embrasa. De l'eau bouillante tomba sur les arbres et les dessécha jusqu'aux racines; alors l'astre Tatscher versa de l'eau, éteignit l'embrasement et couvrit la terre à la hanteur d'un homme. La narration mosaïque porte que les eaux s'élevèrent de quinze coudées sur les plus hautes montagnes; mais ce trait-là nous montre d'une manière intéressante que l'inondation n'atteignit pas partout la même hauteur, ce qui d'ailleurs eût été impossible. Si donc on lit attentivement le système religieux du peuple Zend, on ne pourra guère douter que les doctrines de Zoroastre, quant à la pyrolâtrie, la destruction du monde par le feu et la purification du genre humain dans le lac de feu, ne tirent leur origine de cette catastrophe.

L'Edda Scandinave, qui tire probablement son origine de l'Asie, confirme également par son Ragnarokur, son Muspelheim, ses flammes de Surtur et autres phénomènes ignés, le fait que l'Asie, où les volcans sont presque entièrement éteints depuis les temps historiques, quoiqu'il y en ait encore d'actifs dans son intérieur, a subi jadis de très-violentes révolutions volcaniques; elles doivent avoir eu lieu après la création du genre humain; car, sans cela, ces récits ne seraient pas passés dans la mythologie.

Mais, selon la mythologie scandinave, il s'est joint à ces violentes éruptions volcaniques le plus terrible bouleversement de la mer, au sein de laquelle la terre s'est abîmée et d'où elle est ressortie de nouveau. Cette description de la terre s'abimant et se soulevant des eaux est d'autant plus intéressante, qu'elle nous montre que la mythologique Scandinave a saisi la même catastrophe d'un point de vue différent de la relation mosaïque, selon laquelle les eaux s'accrurent et s'élevèrent peu à peu. Je citerai ici quelques-uns des plus remarquables passages de la prophétie de la Vala, dont les images sont tirées de la catastrophe du déluge; elles renferment une description rapsodique de la fin du monde et de son renouvellement, conformément aux idées des anciens habitants du Nord. En comparant avec cette prophétie les traditions indiennes et égyptiennes touchant la fin du monde et son renouvellement, comme aussi les images dont se sert l'Apocalypse, nous trouvons entre elles une conformité parfaite ; il sera évident que l'idée de l'enfer et du feu éternel et les images de la Bible sur le jour du Seigneur ou le dernier jugement, ne doivent de même leur origine qu'au déplacement d'axe, auquel nous sommes ainsi toujours ramenés. C'est seulement parce qu'on a considéré d'un seul et unique point de vue cette catastrophe que, sans égard à ce qu'exigent la géologie et l'histoire, on a séparé les phénomènes volcaniques des phénomènes diluviens, et qu'on est parvenu à se former une idée entièrement fausse du déluge.

 

LA PROPHÉTIE DE LA VALA.

 

Í. 2.

NiVerdenerjeghusker

Og ni Himle.

II. 4. För Börs Sönner Kloderne oplifted',

De, som det herlige Midgaard skabte , Solskinned, fraSyd.

5. Solfra Sönden.

XII. 36. Ostpaa sad den Gamle

IJernskoven

Ogfödte der

Fenris Slægter.

Af dem vor der

Een især

Maanens Opsluger

I Troldeham.

37. Met döende Menneskers

Lig han mættes

 

Je me souviens de neuf mondes

Et de neuf cieux.

Avant que les fils de Bor 1 élevassent les globes ,

Eux qui créèrent Le resplendissant Midgaard , Le soleil luisait du sud.

Le soleil du sud.

A l'orient était assise la vieille 2

Dans la forêt de fer 3,

Et elle enfanta là

La race de Fenris.

De celle- ci il y eut

Un surtout ,

Lui qui dévora la lune 4 ,

Enveloppé de la peau du sorciers

Il se rassasie

Des corps des hommes mourants ,

 

1 Les fils de Bor , c'est - à-dire les Ases ou les Dieux.

2 La vieille Jette Angurbode (qui annonce les soucis ) , de qui Loke , l'Ase déchu , eut la déesse de la mort , Héla , le loup Fenris et l'hydre de Midgaard .

3 Jernskoven , la forêt de fer ; par là les anciens habitants du Nord entendaient l'é- tendue de rochers garnis de glace près d'Udgaard à l'extrémité du monde.

4 Ce passage se rapporte au mythe des monstres ( loups , dragons et Jettes ) qui persécutent le soleil ( Sol , une Asynie) et son frère la lune (Maanen) pour les engloutir. Quand ceux -ci seraient engloutis il y aurait une obscurité profonde qui causerait la fin du monde. Cette crainte était fondée ; car le titan ( géant) Skold ( Skoll ) engloutit le soleil , et un autre Jette , Har ou Maanagarmur , la lune.

 

Smitter Guders Sæde

Med det röde Blod.

Da fordunkles Solens

Skin i Sommertiden

Alskens Veir bli'r

Uveir. -

39. Men en anden

Sodröd Hane galer

Nedenfor Jorden

I Helas Sale.

40. Höit tuder Udyret.

Længreseerhunfrem,

Til Kræfternes Oplösning

Og Seierguders Fald.

41. Brödre skulle stride

Ogfælde hverandre

Frænder Slægtskabsbaand

Sönderrive.

Ondt er deti Verden,

Hoer gaaer stærkt i Svang.

Oxetid , Sværdtid;

Skjolde da klöves,

Vindtid, Ulvtid

Förend Verden falder

Il souille le siège des dieux

Du sang rouge.

Alors s'obscurcit la lueur

Du soleil pendant l'été,

Tous les temps

Deviennent mauvais temps. 

Mais un autre coq ,

Rouge comme la suie, chante

Au-dessous de la terre

Dans les salles de Héla ¹ .

Le monstre 2 hurle à haute voix.

Elle (la sibylle) regarde plus avant dans l'avenir ,

Jusqu'à la dissolution des forces

Et la chute des dieux vainqueurs.

Les frères se feront la guerre

Et se tueront entre eux.

Les parents déchireront

Le lien du sang.

Le monde est pervers ,

L'adultère est en vogue.

C'est un temps de hache, de glaive ;

Des boucliers seront fendus ,

Il y aura un temps d'orage , un temps de loup ,

Avant que le monde tombe en ruine.

1 De même que la race de Fenris en général est une personnification du feu volcanique , de même les trois coqs des mythes scandinaves ne représentent que les différents effets du feu l'aurore boréale , le feu atmosphérique et la flamme volcanique. Voir l'ancienne Edda, I , 65, et la doctrine d'Edda de Finn Magnussen , IV, 516. Héla, la déesse des enfers ou le Tartare même.

2 Garmur , le Cerbère du mythe scandinave , que les Ases avaient enchaîné devant la caverne de Guipa , mais qui , lors de la lutte des Jettes (géants) avec les Ases, rompit ses liens pour aller prendre part au combat.

Alors commence le grand combat qui finit par la destruction des dieux et des hommes ( des Élymées et des Caucasiens).

 

XIV. 1. Surturfra Söndenfarer.

Medflammende Luer,

Steenbjerge knage,

Mænd Dödens Vei betræde,

MenHimlen splittes ad.

Surtur s'élance du sud

Avec des flammes étincelantes 1.

Les montagnes de pierre craquent ,

Les hommes passent par le chemin de la mort ,

Mais le ciel se brise.

1 Surtur , le souverain du Muspelheim resplendissant , qui forme contraste avec le Niflheim glacé et nébuleux . Selon les mythes , Surtur paraît dans le Ragnarokur pour prendre part au combat des Ases ; après les avoir vaincus , il mit le feu au monde qui est consumé.

Après avoir raconté la chute d'Othin , de Vidar et d'Atle (Atlas) dans le combat avec les Jettes , la sibylle continue :

 

50. Da skulle Mennesker alle

Hjemmet forlade.

51. Solen formörkes,

Jord synker i Hav,

Fra Himlen forsvinde

De skinnende Stjerner,

Rögskyer omhvirvle

Altnærende Træ,

Höie Flammer spille

Mod Himmelen selv.

Alors tous les hommes

Quitteront leur demeure.

Le soleil se couvre de ténèbres ,

La terre s'abîme dans la mer,

Du ciel disparaissent

Les étoiles étincelantes ,

Des nuages de fumée enveloppent

L'arbre tout nourrissant 2 ;

De hautes flammes montent

Vers le ciel même.

2 Ygdrasil , l'excellent arbre au milieu d'Asgaard , dont les rameaux , qui s'étendent jusqu'aux cieux , abritent le monde entier,

52. Havet voldsomt hæves

Mod Himmelen selv,

Farer over Lande ;

Men Luften brister,

Deden kommer Snee

Og snare Vinde,

Men Regnens Flugt

Dafrygtes maa. —

XV. 5. Ei længer bestaae

Jord eller Sol,

Luften omtumles

AfluendeStrömme;

Mimers klare

Kilde dölger

Vished om Skjæbnen.

La mer s'élève avec violence

Jusques aux cieux ,

Passe par- dessus les terres ;

Mais l'air crève ;

De là vient la neige

Et les vents impétueux ;

C'est alors qu'il faut craindre

La puissance de la pluie. —

La terre ni le soleil

N'existent plus ,

L'air est bouleversé

Par des ruisseaux étincelants ;

La source claire

De Mimer cache

La certitude du destin ' .

 

XVIII. 31. Op seer hun komme

Andengang

Jord af Havet

Herlig grön. -

Elle (la sibylle) voit

Pour la seconde fois

S'élever de la mer

La terre couverte de verdure.

1 Mimer, nom de la source de la sagesse qui arrose les racines d'Vgdrasil.

La catastrophe finie , les dieux se rencontrent sur la plaine d'Ida , où Asgaard avait été situé.

 

2. Aserne mödes

Paa Idasletten ,

Og om den vældige

Jordomgiver tale;

Der de erindre

Fortids store Daad

Og den hoie Guds

Gamle Lære.

3. Der skulle paany

Les Ases se rencontrent

Sur la plaine d'Ida ,

Et parlent de celui qui puissamment

Embrasse la terre 2 ;

Là ils se rappellent

Les grands exploits d'autrefois

Et l'ancienne doctrine

Du grand Dieu.

Là se retrouveront

2 L'hydre de Midgaard qui, lors de la fin da monde, fait déborder la mer en s'entortillant autour de la terre , mais qui succombe dans un combat avec Thor. Sans doute une allégorie de la puissance de l'eau .

Forunderlige

Gyldne Tavler

I Græssetfindes ,

Som de i Tidens Ophav

Eiet havde

Guders Fyrste

Og Fjölners Slægt.

4. Usaaede Agre

Skulle da Frugter bære ,

Alt Ondtforsvinde.

Les merveilleuses

Tablettes dorées

Sur l'herbe ,

Qu'avaient possédées

Au commencement des temps

Le prince des dieux

Et la génération de Fjolner.

Alors les champs incultes

Porteront des fruits ,

Tout le mal disparaîtra.

 

 

On le voit par cette prophétie, les anciens habitants du Nord, qui admettaient neuf mondes et neuf cieux, s'imaginaient, de même que les Indiens, les Égyptiens et plusieurs autres nations, que notre globe avait été détruit plusieurs fois par d'horribles catastrophes ; qu'ensuite il avait été recréé, de sorte que chaque fois une nouvelle terre -et un nouveau ciel avaient été reproduits. Cela ne veut pas dire autre chose, sinon que la surface de la terre avait été altérée, et qu'une autre partie du firmament avec d'autres constellations avait apparu. Mais voilà précisément l'idée qu'a dû faire naître un déplacement de l'axe du globe, car les hommes qui survécurent à cette catastrophe et qui croyaient la terre immobile, durent nécessairement croire que les anciennes étoiles avaient disparu et que d'autres constellations les avaient remplacées, ou, en d'autres termes, qu'un nouveau firmament avait été créé. Ce qu'il y a de plus remarquable dans la mythologie du Nord, c'est qu'elle nous raconte qu'avant l'ordre actuel des choses (avant que les fils de Bor, c'est-à-dire les dieux, eussent créé Midgaard), le soleil se levait au sud, tandis qu'à présent il se lève à l'est, et qu'elle place à l'est la zone glaciale (Jernskoven), qui est actuellement au nord. Elle établit ainsi un rapport direct entre le déplacement du lieu où le soleil se levait et la destruction et le renouvellement du monde. Ceci est encore confirmé par un autre passage de la mythologie du Nord ( Vafthundermal, v. 46 et 47 ), suivant lequel, après la destruction du monde (Surturs Brand), lorsque Fenris (c'est-à-dire les ténèbres) aura dévoré le soleil, cet astre sera remplacé par un nouveau soleil. Or, comme les images de la destruction future du monde sont empruntées à une catastrophe qui a ravagé notre globe, et comme cette catastrophe n'a pu détruire le soleil, il n'y aurait pas lieu de prédire qu'après la destruction du monde apparaîtrait un nouveau soleil, si, après la révolution antérieure, le soleil ne s'était pas levé, comme je l'ai démontré, d'un autre côté que précédemment, et qu'ainsi on ne l'eût pas pu prendre pour un nouveau soleil. Les hommes qui avaient survécu à cette catastrophe en ont tout naturellement parlé à leurs fils ; mais, comme ils ne croyaient pas que la terre pût changer de place, ils faisaient changer de place au soleil: ils disaient qu'il s'était levé autrefois du côté du sud et que les régions froides s'étaient trouvées à l'est, tandis qu'ils auraient dû dire que les contrées orientales d'aujourd'hui avaient été situées autrefois au sud et les contrées septentrionales à l'est. Pour comprendre les images de la mythologie Scandinave, il est donc nécessaire de supposer que le genre humain a survécu à un déplacement d'axe du globe. Comme je me suis proposé de montrer plus tard les rapports intimes qui lient l'hypothèse d'un déplacement du lieu où le soleil se levait, aux traditions et aux mythes les plus importants des anciens, ainsi qu'à leurs idées religieuses et astronomiques, je me bornerai ici à faire observer qu'il semble en être résulté chez les anciens une confusion, non-seulement des noms des vents (Homère, par exemple, fait venir du même côté deux vents différents), mais encore de ceux des plages mêmes. C'est ainsi qu'en latin le sud est désigné par le mot auster, mot vraisemblablement venu de l'Asie et qui, un peu modifié, a passé dans plusieurs langues européennes, par exemple, dans la langue danoise et suédoise (Ost), allemande (Ost), anglaise (East) ; mais dans toutes ces langues, qui, de même que le latin, sont directement ou indirectement originaires de l'Asie, il désigne l'est. Observons encore que, lorsque les plus anciens auteurs scandinaves parlent des contrées situées au nord, on doit entendre par là les contrées situées à l'est ou au nord-est, confusion qui me semble toujours résulter du déplacement d'axe. Si l'on objecte qu'une telle confusion dans les idées a pu difficilement avoir lieu, puisque les connaissances astronomiques, qui de l'Asie ont été apportées dans le nord, étaient déjà assez développées, comme M. Finn Magnussen l'a montré dans différents écrits ; par conséquent si l'on veut placer le lever du soleil au sud, dans une des époques antérieures du globe que supposent les anciens; j'observerai seulement que cette tradition remarquable d'un autre lever du soleil sera en tout cas une preuve importante en faveur de mon hypothèse.

Les traditions celtiques, qui de même tirent leur origine de l'Asie (1), ont aussi conservé le souvenir de cette catastrophe, dont le récit a été modifié d'après les circonstances locales. Non-seulement elles disent que des villes florissantes ont été englouties par le déluge, et qu'un petit nombre d'hommes et d'animaux se sont sauvés sur les sommets des montagnes; elles font encore mention d'un terrible incendie des forets, que les auteurs rapportent à une période plus moderne, mais qui est indubitablement le même dont parlent le mythe de Phaéton et celui du combat des Dieux et des Titans, mythes, comme nous le verrons ensuite, qui ont de même emprunté leurs images à la catastrophe du déplacement d'axe ou du déluge. « Les montagnes, disent les traditions des Druides (1), furent le lieu primitif où errait le petit nombre d'hommes et d'animaux échappés au déluge, lorsqu'un événement vint tout à coup changer la face de toute la Celtique. La foudre tomba au sommet des monts Pyrénées, la flamme électrique s'attacha sur un amas de branches résineuses dont le sol était couvert, en fit un brasier qui en un instant communiqua le feu aux forêts dont cette contrée était couverte. En peu de jours toute cette haute région devint un vaste bûcher. L'incendie dirigea ses ravages d'un côté sur l'Ibérie (l'Espagne), de l'autre sur la Celtique, en suivant la chaîne des Cévennes, du Gévaudan, du Vivarais, du Charolais. De là le feu se porta sur le plateau de Langres, où la fureur des flammes envahit d'une part le Jura et les Vosges, de l'autre les Alpes jusqu'aux rives de l'Eridan (le Pô) ; là finit l'incendie (2). »

(1) Voir , par exemple , Godfrig Higgins : The Celtic Druids or an attempt to show that the Druids were the Priests of oriental colonies who emigrated from India. London , 1829

(1) Bouche de Cluny, Les Druides, Paris, 1844, p. 30-31.

(2) Ou doit se rappeler ici que Phaéton fut précipité par la foudre de Jupiter duos l'Eridan , et que l'incendie allumé par Phaéton finit par cette chute.

Que des phénomènes volcaniques ont coïncidé avec l'inondation, c'est ce que nous apprennent aussi les idées des Druides sur la fin du monde, idées dont la ressemblance frappante avec la mythologie Scandinave et les images de l'Apocalypse prouve qu'elles sont puisées à la même source, savoir aux traditions sur le déplacement d'axe ou le déluge. Mais comme cette ressemblance sera plus évidente dans la suite du présent ouvrage, je me bornerai ici à citer les prophéties des Druides touchant la ruine future du monde, telles qu'on les lit chez Bouché de Cluny(3). « Mais quand la fin de ce monde, qui est la terre, viendra pour elle, Bélénos (4) n'y enverra plus que de pâles rayons qui ne suffiront plus pour l'échauffer, et alors trois années stériles viendront (5). La lumière céleste palissant de plus eu plus, la chaleur deviendra moindre encore, et la neige fondra en abondance des quatre coins de l'univers. Les hommes, pressés par la faim, s'entr'égorgcront, tous les liens de famille seront brisés, les frères tueront les frères, les enfants les pères, les femmes leurs maris. Tous les désordres régneront sur la terre comme au temps où l'on ne connaissait point Ésus (1), où personne ne suivait d'autre loi que celle d'une peur brutale de mourir de faim. Les étoiles ne donneront plus de clarté, les montagnes seront ébranlées, les arbres déracinés, jetés au loin par la tempête. La mer débordera de tontes parts, les fleuves rouleront des flots de venin qui tueront tout ce qui sera vivant. L'eau et le feu détruiront la terre et la feront ensuite belle comme au commencement. Ce sera le nouveau règne d'Ésus. »

(2) Les Druides. Paris, 1844, p. 200-202.

(4) Le dieu du soleil.

(5) La mythologie scandinave a trois hivers.

(1) L'Être suprême ( Jésus ? )

 

CHAPITRE VI.

HYPOTHÈSE QUE L'ATLANTIDE DONT PARLE PLATON ÉTAIT UNE PARTIE DE L'EUROPE ACTUELLE.

 

La tradition remarquable de l'Atlantide, que je copierai tout entière à cause de son importance et de la clarté des idées qui y sont énoncées , nous fait de même connaître non-seulement le caractère diluvien de la catastrophe , mais aussi son caractère volcanique. Cette tradition nous a été conservée par Platon, et quiconque la lira sans prévention trouvera que Platon la raconte de bonne foi. La description qui y est faite de l'Atlantide engloutie par la mer s'applique d'une manière remarquable à l'état dans lequel la catastrophe du déplacement d'axe doit, à mon avis, avoir laissé la plaine orientale de l'Europe, surtout la Russie. Selon la tradition, cette plaine a dû être pendant quelque temps une mer basse, une espèce de vaste marais où l'on ne pouvait naviguer. Ce ne fut que plus tard qu'elle se releva; elle prit alors ce caractère remarquable qu'elle conserve encore aujourd'hui, mais qu'elle n'aurait point eu si elle n'avait pas été submergée par la mer. Je pose donc l'hypothèse géologique-historique que l'Atlantide des anciens est l'Europe actuelle et que ses habitants, qui périrent par le déluge, sont les Atlantes ou les Titans des anciens. Cette hypothèse donne, sans contredit, la clef d'une foule de problèmes que présente non-seulement la mythologie des Grecs et des Romains, mais aussi celle des Scandinaves, dont les mythes ingénieux ont une base beaucoup plus solide et supposent une réflexion beaucoup plus exacte sur la nature, une connaissance de l'histoire des temps fabuleux beaucoup plus profonde qu'une observation superficielle ne le ferait soupçonner et que le scepticisme historique des temps modernes n'est disposé à le croire (1).

(1) C'est J.-G. Rhode qui , dans son ouvrage déjà cité , se sert de quelques expressions applicables surtout à plusieurs auteurs allemands . « Il faut , dit- il , pour avoir rang parmi les historiens modernes , souiller arbitrairement le sanctuaire de l'ancienne histoire. On reconstruit l'antiquité selon des plans prémédités , et tout ce qui ne contient pas dans cet édifice , tout ce qui est trop difficile à comprendre dans l'antiquité la plus reculée , tout ce qui ne s'accorde pas avec la manière actuelle de penser et qui ne peut être traduit dans le langage moderne de la science , tout cela on l'appelle des hiéroglyphes, des allégories, des symboles. Certes, les explications de cette espèce sont faciles , puisqu'il ne faut que juger conformément à notre manière de penser et d'observer, sans se soucier de celle des siècles les plus reculés. »

C'est un fait géologique, confirmé par des témoignages historiques irrécusables, qu'à une époque géologiquement non éloignée de nous et même dans les temps historiques, la plus grande partie de la plaine orientale de l'Europe a été couverte par la mer. C'est ainsi qu'Hérodote, qui vivait au cinquième siècle avant Jésus-Christ, raconte que des gens qui demeuraient à l'est du Palus Méotide ( la mer d'Azof) venaient de découvrir, en poursuivant le gibier, que le limon s'était tellement durci qu'on pouvait marcher dessus. Strabon lui-même, le plus grand géographe de son temps, Strabon, qui ne vivait que peu de temps avant Jésus-Christ, croyait, ainsi que plusieurs auteurs du moyen âge, que la mer Noire communiquait à l'Océan. Remarquons encore que c'est sans doute le dessèchement de la plaine orientale de l'Europe qui a fourni aux peuplades de l'Asie, lorsqu'elles allaient commencer la grande migration, une occasion favorable de pénétrer dans l'Europe ; les aborigènes de cette partie du monde qui ont survécu au déluge auront émigré en traversant ou l'Asie-Mineure et la Grèce, ou la partie septentrionale de la Itussie, de la Finlande et de la Scandinavie, ou en suivant l'une et l'autre route. Or, si l'on admet qu'avant le déplacement de l'axe du globe, cette partie de l'Europe ait été élevée au-dessus du niveau de la mer, qu'elle ait eu un climat au moins aussi favorable que celui des parties de l'Asie alors habitées, on ne saurait nier, en partant ainsi d'un point de vue géologique, qu'il ne puisse y avoir eu là, comme Maton nous le raconte, des États avec un gouvernement régulier, quoiqu'il ne faille pas oublier dans quel but (pour faire une description idéale d'Athènes), Platon s'est servi de la tradition de l'Atlantide, qui, déjà alors (plus de deux mille ans après le déluge), n'était guère qu'une tradition historique très-intéressante. Considérons que les rapports géographiques permettent très bien de supposer que l'Atlantide ait pu confiner à l'État de Babylone ou l'Elymée, lequel déjà avant le déluge doit avoir été très-civilisé ; considérons encore que nombre d'anciens auteurs, par exemple, Homère, Aristote, Proclus et la plupart des Néoplatoniciens, Diogène Laerce, Diodore de Sicile, Plutarque, Strabon, Pline, Suidas, Pomponius Mela, Ammien Marcellin, Arnobe, Tertullien , Cosmas Indicopleustès, etc., qui souvent parlent de l'Atlantide, de même que plusieurs des hommes de lettres les plus distingués des derniers siècles, n'ont pas révoqué en doute son existence, et l'on reconnaîtra que ce qui nous est raconté sur cet état ne peut être considéré comme historiquement impossible, quoique les meilleurs manuels d'histoire universelle et autres ouvrages historiques modernes, même les plus détaillés et les plus distingués, n'en fassent pas mention.

Les historiens les plus éclairés sont obligés d'avouer que toutes nos connaissances historiques se bornent à quelques petits fragments incomplets, souvent très-fautifs, et qu'on a perdu le souvenir non-seulement des détails d'une foule innombrable d'événements, mais même des événements de la plus haute importance du moyen âge et de l'antiquité. Toute histoire, soi-disant universelle, n'est donc qu'une histoire tant soit peu cohérente des États modernes européens, de la Grèce et de l'Empire romain, à laquelle ont été joints quelques fragments de l'histoire du reste du monde; et l'on a commis la grande faute d'omettre, comme peu dignes d'attention, les relations les plus anciennes et les plus intéressantes de l'Orient.

Cette partialité dérive surtout de notre grande prédilection pour tout ce qui concerne les Romains et les Grecs, mais en partie aussi de notre ignorance inexcusable des relations orientales. Je ne partage cependant pas l'opinion de ceux qui veulent qu'on néglige l'étude des classiques latins et grecs, qui ont formé tant de brillants talents, de ceux qui prétendent que l'histoire de l'Orient est plus importante que celle de l'Europe moderne. Non, certes ! je crois, au contraire, avec un célèbre historien, que dix ans de l'histoire de la révolution française sont plus instructifs que mille ans de l'histoire des Chinois; mais je prétends qu'on soit juste, ce qu'on n'a pas toujours été a l'égard de l'antiquité orientale. Au lieu de former, comme on le fait presque toujours, de l'histoire des Indiens, des Chinois et des Égyptiens une espèce de supplément à l'histoire universelle, on devrait faire précéder toute l'histoire universelle d'un aperçu de la vie politique, civile et intellectuelle de ces anciens peuples.

Il me semble clair que l'Atlantide ne peut avoir été située au delà des Colonnes d'Hercule, près de la chaîne de l'Atlas. Hérodote, il est vrai, semble l'y placer; mais, comme il vivait au cinquième siècle avant Jésus-Christ, ou environ deux mille ans après le déluge, on ne peut guère ajouter foi à ses relations. Satis m'arrêter à la conséquence nécessaire "de l'adoption de ma théorie d'un déplacement d'axe, savoir, que le climat de ces contrées doit, avant le' déluge, avoir été très-froid, je ferai observer la grande distance qui sépare ces contrées de l'Orient, que les mythes nous dépeignent comme le foyer de la civilisation au temps du déluge. Notez encore qu'un mythe, conservé par Diodore de Sicile (III, chap. 56), raconte qu'Urane, régnant sur les Atlantes, avait étendu son empire sur la plus grande partie du monde alors habité, surtout du côté du Nord et de l'Occident. Mais, avec les rapports géographiques actuels, ceci aurait été impossible, du moins du côté de l'Occident, puisque la grande chaîne de l'Atlas se prolonge de ce côté à peu près jusqu'à la mer Atlantique, et que la Méditerranée, du côté du Nord, empêche des conquêtes étendues. Une autre tradition raconte que le Titan Atlas, fils de Japet (sans doute le Japhet oriental), eut pour héritage l'Occident, par où l'on ne peut entendre que l'Europe, comme le prouvent aussi les traditions sur l'Atlantide. En admettant que l'Atlantide ait existé, il faut par conséquent supposer qu'elle était située dans les contrées à l'ouest et. au nord de la partie de l'Orient alors habitée, d'où dérivent les mythes sur l'Atlantide, par conséquent dans l'Europe, qui probablement n été exposée aux plus violentes révolutions de la nature, aux envahissements de la mer, et en aura été recouverte tout entière durant le déplacement d'axe. Si l'on ne veut pas que l'Atlantide ait été située en Europe, on saurait difficilement se figurer que les Atlantes ou les Titans, d'un côté, et les dieux (ou les Dives, les Elohim, les Élymées), de l'autre, se soient fait la guerre. Or, comme on ne peut révoquer en doute que ces derniers n'aient été un peuple qui habitait près de l'Euphrate et du Tigre, là où plus tard florissait l'empire de Babylone, de même tous ceux qui cherchent un sens plus profond dans les mythes de l'antiquité et qui reconnaissent l'existence d'un empire des dieux, doivent nécessairement reconnaître aussi celle du peuple des Titans ou des Atlantes. La justesse de l'hypothèse, que l'Atlantide est l'Europe actuelle, est encore confirmée par plusieurs détails mythologiques qui sont en accord avec ce que nous enseigne la géologie et surtout avec ce qui doit s'être passé lors de la catastrophe du déluge.

Quiconque aura fait une étude un peu approfondie de la mythologie grecque et romaine, dont l'origine est incontestablement plus ancienne que celle des Grecs et des Romains eux-mêmes, et dont il faut chercher la patrie dans l'Orient, aura sans doute été frappé de la distinction qu'elle établit entre les dieux : il y a pour elle les dieux d'un temps postérieur, dont on peut montrer la patrie dans l'Orient, surtout dans l'état élohique ou dans l'Élymée (Elysée), et les dieux anciens ou les Titans, dont les mythes et les traditions placent la demeure, soit vaguement dans les régions à l'Occident et au Nord, soit plus définitivement dans les différents pays de l'Europe, soit encore dans les îles de la Méditerranée. C'est ainsi que Saturne, chassé de son empire par son fils Jupiter, est censé avoir régné en Italie; l'île de Crète était la patrie de Jupiter; l'entrée des enfers, où les Titans étaient enchaînés, se trouvait en Grèce; les fleuves infernaux, l'Achéron et le Cocyte, y coulaient aussi, tandis que l'île grecque de Négrepont semble, par son ancien nom d'Egribos, rappeler l'idée des enfers mêmes ou de l'Érèbe. Pour ce qui est du « Tartaros », je crois que de son nom dérive celui de la Tartarie. La première direction du déluge, du sud-ouest au nord-est, me fait supposer qu'originairement on a désigné par le Tartaros les contrées à l'est de l'Atlantide. Ces contrées, qui, à mon avis, ont été la demeure primitive de la race mogole, auront en grande partie été ravagées par le déluge, et sans doute elles furent considérées comme englouties par les flots. Les peuples de l'Occident, ayant successivement appris à connaître une plus grande partie de l'Orient, et ne retrouvant pas le Tartaros dans les régions que je viens de désigner, l'auront relégué dans les contrées plus éloignées de l'Occident, jusqu'à ce qu'enfin ils auront fini par ne plus croire à son existence. C'est cependant des régions de l'Orient qu'à une époque relativement moderne les Tartares se sont jetés sur l'Europe. Ce que je suppose pour le Tartaros, je le vois aussi arrivé pour l'Atlas. Avant le déluge, on aura sans doute désigné par l'Atlas quelque montagne de l'Europe; mais, après cette catastrophe, ce nom aura été donné aux montagnes les plus occidentales de l'Afrique (1).

(1) Que les Grecs et après eux les peuples modernes de l'Occident aient désigné les contrées que le déluge a dévastées par tes noms de Scythie , de Sarmatie, etc., et que le nom de Tartarie ne paraisse que dans l'histoire du moyen âge , ce n'est pas une circonstance à laquelle on puisse attribuer une grande valeur. Naturellement les Grecs . dont la civilisation ne commença qu'environ mille ans après le déluge, et qui ne pouvaient considérer l'Atlantis et en partie le Tartare que comme des contrées englouties par les Ilots ou comme des fictions mythologiques, ont donné de nouveaux noms à ces mêmes régions, quand elles se sont relevées de dessous la mer et peu à peu desséchées. Si la dénomination de l'Atlas, avec d'autres dont on s'est servi avant le déluge, a pu se maintenir dans l'Occident, il est explicable aussi que le nom du Tartaros ait pu se conserver dans les contrées du nord-est de l'Asie , dont l'histoire est presque tout à fait inconnue, pour être rapportée dans l'Occident par les Tartares guerriers.

Si les Grecs, dont la civilisation et la mythologie ne sont guère plus anciennes que le dix-septième siècle avant Jésus-Christ, placent la demeure des dieux régnants dans leur proximité, il n'y a rien là d'étonnant : ils ont cela de commun avec presque tous les autres peuples de l'antiquité. Mais ce qui me paraît très-remarquable, c'est qu'ils eussent aussi chez eux, et pour ainsi dire au milieu d'eux, la demeure de leurs anciens dieux, dont l'empire sans doute aura été renversé déjà avant le déluge. On ne saurait expliquer ce phénomène qu'en supposant que le culte des dieux modernes, lesquels sans doute ont été des personnages historiques, n'a pu leur faire oublier leurs anciens dieux; de même que le culte des Ases n'a pu faire oublier aux habitants du Nord les anciens personnages historico-mythologiques, dont la tradition avait lié la vie et les exploits à certains lieux de l'Europe.

 

CHAPITRE VII.

L'HYPOTHÈSE QUE L'ATLANTIDE DONT PARLE PLATON ÉTAIT UNE PARTIE DE L'EUROPE ACTUELLE, EST CONFIRMÉE PAR LE MYTHE DE PHAÉTON ET DU COMBAT DES DIEUX ET DES TITANS, MYTHES QUI NOUS OFFRENT UNE DESCRIPTION POÉTIQUE DE LA CATASTROPHE DU DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE OU DU DÉLUGE.

 

On a cru trouver une anomalie dans l'opinion des anciens sur la position des îles Fortunées, au sujet desquelles on a formé tant de conjectures, mais qui ne me semblent avoir été autre chose que les iles de la Méditerranée : or, il est connu que les anciens supposaient ces îles situées près de l'Érèbe et du Tartare, dans le voisinage desquelles ils placèrent aussi les Hespérides, ces enfants de la nuit aux fruits dorés (les étoiles). Mais cette anomalie disparaîtra en adoptant mon hypothèse d'un déplacement d'axe, et en admettant que ces traditions se rapportent à une époque qui a précédé le déluge, mais que plus tard le souvenir exact de ces relations géographiques s'est perdu. Ce qui est digne aussi de remarque, c'est que la mythologie grecque raconte que l'ancien dieu du soleil (Hélios) était un Titan ou un Atlante ; elle semble indiquer par là que le soleil s'est levé du côté de l'empire atlantique, savoir, au nord-ouest ou au nord de l'État élohique. L'origine de cette tradition ne saurait être expliquée en admettant que la situation de notre globe relativement au soleil n'a éprouvé aucun changement; mais on la trouvera facilement à l'aide de ma théorie, si l'on suppose qu'avant le dernier déplacement de l'axe de notre globe le soleil s'est levé dans la partie de l'horizon qui actuellement est tournée vers le Nord.

Ce qui rend cette tradition encore plus intéressante, c'est que le mythe célèbre de Phaéton fait allusion à ce changement de la direction que parcourt le soleil dans le ciel; de plus, ce changement n'y est pas attribué à Apollon ou au dieu moderne du soleil, qui vient de l'Orient, mais à l'ancien dieu du soleil (Hélios), mythe qui, dans l'Atlantide de Platon, est expliqué d'une manière tout à fait conforme à mon hypothèse. — Hélios, dit ce mythe, permit un jour à son fils Phaéton de conduire le char du soleil; mais, dans son orgueil de jeune homme, il pressa tellement les chevaux, que ceux-ci, privés de leur conducteur ordinaire, dévièrent de la route qu'il fallait tenir. Tantôt ils approchaient trop près du ciel- et tantôt trop près de la terre ; les bois et les montagnes prirent feu, les fleuves et les sources tarirent, et la terre fut enfin obligée d'implorer le secours de Jupiter, qui lança sa foudre contre Phaéton et le précipita dans l'Éridan (1). —Si l'on considère combien il est peu vraisemblable qu'un tel mythe, qui est contraire à l'ordre régulier des choses, ait pu naître et exister sans une cause particulière, on sera obligé d'avouer qu'il renferme une preuve marquée de mon hypothèse, touchant le déplacement de l'axe du globe. Les hommes qui avaient survécu à cette catastrophe et qui, en effet, devaient être bien surpris de voir le soleil changer de place dans le ciel, ont nécessairement dû supposer que les révolutions causées par le déplacement d'axe étaient la suite de la déviation du soleil de son cours ordinaire, idée que nous verrons développée plus clairement dans la suite du présent ouvrage. Ce n'est donc pas seulement la mythologie Scandinave qui porte que le soleil se levait jadis dans une autre plage; celle des Grecs aussi en rend témoignage, comme je viens de le montrer; elle nous apprend ainsi que la terre, depuis qu'elle fut peuplée par le genre humain, a changé de place vis-à-vis du soleil. Le récit des anciens montre que c'est la même catastrophe qu'ils ont dépeinte sous différentes formes; cette considération ne doit-elle pas nous faire reconnaître l'importance de ces traditions?

(1) Observons ici que l'embrasement dont fait mention la mythologie celtique finit de même près de l'Éridan.

Le mythe intéressant du combat des dieux et des Titans nous apprend aussi combien Ia mythologie grecque a su s'approprier avec exactitude les phénomènes résultant du déplacement d'axe. Si l'on en sépare ce qui est purement mythologique, on verra qu'il renferme une description très-naturelle des révolutions que l'Europe, patrie vraisemblable des Titans ou des Atlantes, a subies. Cependant, pour éviter jusqu'à l'apparence de partialité, je donnerai ici ce mythe d'après la théogonie même d'Hésiode, en rappelant au lecteur que l'auteur vivait environ neuf cents ans avant Jésus-Christ, et que sans doute il s'est servi de traditions beaucoup plus anciennes.

 

COMBAT DES DIEUX ET DES TITANS.

 

629 Déjà depuis longtemps, avec des efforts qui fatiguaient l'esprit, Les dieux Titans et ceux qui, avec fierté, nommaient Cronos leur père,

Se faisaient la guerre et se livraient des combats acharnés. Ceux-là, les fiers Titans, étaient les descendants de l'auguste Othrys;

Mais ceux-ci, les dieux généreux, étaient d'origine olympique, Car Cronos les avait engendrés de Rhéa aux beaux cheveux.

635 Rangés lus uns contre les autres dans la guerre effroyable, Ils s'étaient, pendant dix ans, livré des combats continuels; La guerre était sans fin, la victoire ne se prononçait en faveur D'aucun des partis, et les souffrances de la guerre étaient égales pour tous.

Mais lorsque, devant ceux-ci, dûment furent placés les vases

640 Pleins de nectar et d'ambroisie, nourriture des dieux,

Le cœur des immortels se remplit d'un noble courage,

Et, lorsqu'ils se furent rassasiés de nectar et d'ambroisie , Le père des dieux et des hommes leur parla ainsi :

 

Ainsi il parla, et les dieux applaudirent

665 A ses paroles, le cœur s'enflamma plus que jamais Du désir de combattre : tous commencèrent un combat épouvantable

En ce jour remarquable, tant les hommes que les femmes,

Les dieux Titans et les enfants de Cronos, ainsi que ceux

Que Jupiter avait appelés à la lumière des profondeurs d'Érèbe (1) ;

(1) Les Géants.

670 Terribles, puissants, remplis d'une force formidable,

A chacun d'eux poussaient cent bras de leurs épaules vigoureuses ,

Et cinquante têtes poussaient à chacune De leurs épaules ; ils avaient des membres énormes. Rangés dans le triste combat contre l'essaim des Titans,

675 Ils soulevèrent avec facilité, de leurs mains puissantes, d'immenses rocs ;

Mais les Titans aussi n'étaient pas lents à renforcer leurs bandes aguerries.

C'est alors qu'on vit ce que peuvent la force et l'adresse ;

La mer immense mugit horriblement; La terre retentit en craquant; le ciel ébranlé gémit (1) ;

(1) L'original porte : S'oùpavòs supùs otóuevos , c'est- à-dire le ciel fortement ébranlé. Cette expression remarquable , combinée avec la circonstance que le combat principal ne dura qu'un seul jour , montre que le mythe ici mentionné et celui de Phaeton dépeignent la même catastrophe , ce qu'on verra aussi par la tradition de l'Atlantide.

680 Et le haut Olympe, secoué par l'attaque des dieux,

Trembla jusque dans sa base; jusque dans les profondeurs

Du Tartare se fit sentir la secousse violente

Que produisaient le trépignement et les cris retentissants

De la foule des combattants, qui lançaient d'une main forte leurs armes,

Et décochaient avec précipitation les (lèches qui portent la mort.

685 Le cri retentissant des combattants monta jusque vers les étoiles du ciel,

Lorsque avec fureur ils se précipitèrent les uns contre les

autres. Cronion ne dompta plus sa force ; le cœur du dieu

Se remplit d'un noble courage, et il développa toute sa puissance ;

Il marcha au plus haut du ciel et de l'Olympe,

690 Lançant sans cesse la foudre; les tempêtes puissantes Avec le grondement du tonnerre et les éclairs étincelants

S'envolèrent de sa main, qui sans cesse lit scintiller

Les saintes flammes; alors la terre fertile craqua partout Enveloppée de flammes, et les immenses forets embrasées pétillèrent.

695 Déjà toute la terre était brillante; les flots écumants de l'Océan

Et la mer désolée bouillonnaient; une vapeur étouffante Entourait les Titans terrestres; la flamme prodigieuse s'éleva Jusque vers les régions célestes; la lueur resplendissante des éclairs

Éblouit les yeux mêmes des plus forts.

700 Mais l'incendie prodigieux pénétra jusqu'au chaos.

Partout l'œil rencontrait la même rue, partout l'oreille

était frappée du même son ,

Comme si la terre et le firmament routé s'approchaient,

Car un bruit épouvantable retentit de la terre, qui se souleva,

Et du firmament, qui se précipita dans les abîmes.

705 Tel fut le tumulte qui s'éleva quand les dieux se rencontrèrent au combat.

Les rents grondaient sourdement en chassant devant eux la poussière et les décombres, Et en faisant élever la tempête accompagnée de tonnerre et des éclairs rougeâtres.

Les traits du puissant Jupiter; ils jetèrent partout de l'effroi et de la confusion

Dans les rangs des combattants ; le bruit épouvantable du combat

710 S'éleva jusqu'au ciel, et il y eut des exploits glorieux,

Quand tout d'un coup le combat cessa; mais, rangés les uns contre les autres,

Ils recommencèrent bientôt le combat sous le bruit des armes.

Cottos, Briaréos et Gygès, impétueux à la guerre,

Furent les premiers à exciter de nouveau les horribles combats.

715 Ils lancèrent de leurs bras puissants trois cents blocs de roche.

Et leurs flèches nombreuses cachèrent sous leur ombre toute l'armée des Titans.

Les chassant tous ensemble sous la profonde terre, ils leur imposèrent

Des liens douloureux ; malgré leur fureur, ils les lièrent

De leurs mains victorieuses dans des profondeurs, éloignées

720 Autant de la terre que le ciel l'est de celle-ci.

 

Ce mythe est très-remarquable sous plusieurs rapports. D'abord il confirme l'hypothèse que l'Atlantide a fait partie de l'Europe; car la strophe : " Les flots écumants de l'Océan et de la mer étendue bouillonnaient » (" EÇɛɛ dè χθὼν πᾶσα, καὶ Ὠκεανοῖο ρέεθρα , ποντος τ' ατρύγετος ), nous montre que l'état des Atlantes était situé entre l'Océan (c'est-à-dire l'Océan Atlantique actuel) et la mer (la Méditerranée actuelle). Ensuite il nous fournit un nouveau témoignage très-frappant du déplacement d'axe. Il nous apprend que, pendant la catastrophe, le ciel (le firmament) fui fortement ébranlé (oupavoç eùpù; Aeto'ixevo;), et que partout l'œil rencontrait la même vue, que partout l'oreille était frappée du même son, comme si la terre et le ciel voûte (le firmament) s'approchaient (itaoto o'avra 6:p6aXu.oïatv tosîv, -r,8' ouaatv osaav àxoîiaat. Autojç M; #ts yata xat oùpavà; eùpùç ÛTrspOtv ictXvato). Enfin il dit qu'il s'éleva un grand bruit de la terre, qui se souleva, et du ciel (du firmament), qui se précipita dans les abîmes (toïo; y^p xe asytOto; Ooûttoç opwpst, xvj; uiv épEtitou.gvr|ç, Toû O'0']/o'0£v IçEptirdvto;). Le mythe s'est donc servi d'images tirées de la catastrophe du déplacement d'axe, puisque, lors de cette catastrophe, une partie du firmament alors connu dut sembler s'abaisser vers la terre et disparaître sous l'horizon; ou, pour me servir des expressions mêmes de la mythologie Scandinave et de l'Apocalypse, un nouveau ciel ( une nouvelle partie du firmament avec de nouvelles constellations) dut sembler apparaître, et le ciel étoilé faire l'effet de vibrer jusqu'à ce que l'équilibre du globe fût rétabli.

Ce mythe nous offre surtout une description conforme à la nature, des violents phénomènes de soulèvement et d'affaissement auxquels une partie de l'Europe et de l'Asie, selon ma théorie, a dû être exposée, tandis que le récit mosaïque, au contraire, nous décrit l'inondation que le déplacement de l'axe dû globe a dû provoquer dans l'Asie-Mineure, dans la Perse et surtout dans les terres situées plus à l'est. Mais, malgré leur différence apparente, le mythe cité et le récit mosaïque présentent tous deux une ressemblance remarquable. Dans le mythe, le combat des dieux et des Titans est dit avoir duré dix ans, avant que les dieux aient pu remporter la victoire ; ou , en d'autres termes, l'issue de la catastrophe resta douteuse pendant dix ans. Si l'on admet, avec Rask, qu'avant le déluge on s'est servi d'années lunaires, alors l'espace de temps qu'est censé avoir pris le combat des dieux est le même que celui pendant lequel, selon la Bible, l'issue de la catastrophe du déluge fut douteuse; ou, en d'autres termes, avant que les sommets des montagnes reparussent, c'est-à-dire , dix mois (1).

(1). Gen viii, 5. Au premier jour du dixième mois , les sommets des montagnes se mont Au premier jour du dixième mois , les sommets des montagnes se montrèrent.

Cette circonstance fournit une nouvelle preuve en faveur de l'hypothèse que ces révolutions, si différemment dépeintes selon la diversité des localités, ne sont que les deux faces de la même catastrophe, et que le récit historique modifié a passé dans la mythologie gréco-romaine, la superstition, ou l'imagination poétique, ayant regardé cette révolution de la nature comme un effet du combat des dieux anciens et modernes. La justesse de cette hypothèse deviendra encore plus évidente pour le lecteur quand il verra, dans la suite du présent ouvrage, que la narration mosaïque du déluge et la tradition de l'Atlantide chez Platon (tradition historique de la même catastrophe que le mythe du combat des dieux et des Titans dépeint avec des couleurs poétiques) ont l'une et l'autre la môme source, savoir, la doctrine des prêtres égyptiens, et qu'elles se suppléent mutuellement : de sorte qu'elles ne peuvent pas être comprises séparément. On peut déjà facilement se convaincre que les traits principaux de la mythologie gréco-romaine, quoique un peu changés, s'accordent tout à fait avec la plus ancienne histoire du genre humain, celle que nous a laissée la Bible. C'est ainsi que le récit de la mythologie sur la création de l'homme a une grande conformité avec celui de la Bible. Le titan Prométhée forme aussi le premier homme d'argile, à l'image des dieux, après avoir enlevé clandestinement au soleil la flamme céleste pour animer l'être qu'il venait de créer. D'après lu Bible, Ève, par son mauvais désir de manger du fruit de l'arbre du bien et du mal, fait entrer le péché dans le monde; d'après la mythologie, tous les maux s'échappèrent de la boite de la curieuse Pandore. Le Seigneur, dans son courroux contre le genre humain devenu pécheur, résolut de le faire périr dans les eaux du déluge; Jupiter (Jovis-pater, Jova, Jehova), pour se venger de Prométhée, envoya une grande inondation, qui fit périr presque tous les hommes. La Bible raconte que les fils des dieux épousèrent les filles des hommes, ce qui montre clairement que les fils des dieux étaient des hommes ; la mythologie gréco-romaine est presque inépuisable en aventures amoureuses entre les soi-disant dieux et les filles des hommes. La Bible atteste expressément que les géants d'autrefois étaient des géants de renom; la mythologie a ses géants et ses héros célèbres. Enfin, de même que nous ne saurions nier les vérités de la Bible, confirmées d'ailleurs par l'histoire; de même il y aurait la plus grande inconséquence à ne pas vouloir admettre que les plus importants mythes gréco-romains sont basés sur des événements historiques ; que les dieux et les Titans, ou les Atlantes, dont les premiers sont issus, ont effectivement été un peuple, ou plutôt, pour m'exprimer plus exactement, qu'ils ont été les princes, les souverains d'un peuple réel, dont la mythologie a tiré les noms et les exploits de l'oubli où sont tombés les autres hommes de ce temps-là. Ajoutons qu'on a trouvé, en plusieurs lieux de l'Europe, des ossements humains fossiles; que, dans leur nombre, comme le prétendent de célèbres géologues, il y a des restes de la période diluvienne : et nous ne saurions douter que l'Europe n'ait été habitée avant le déluge par un peuple réel, probablement par les Titans et les Atlantes ; enfin, que l'ignorance ou la superstition n'ait transformé plusieurs de leurs princes, de leurs héros ou de leurs héroïnes, qui n'étaient que des personnages historiques, en dieux mythiques et fabuleux.

 

 

CHAPITRE VIII.

LA CATASTROPHE ET DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE EST AUSSI ATTESTÉE PAR LES TRADITIONS DE L'ATLANTIDE, SURTOUT PAR CELLE DE PLATON, QUI NOUS A CONSERVÉ UNE PARTIR IMPORTANTE DE L'HISTOIRE DU GENRE HUMAIN AVANT LE DÉLUGE. LA CONTINUATION DE CETTE TRADITION SE TROUVE DANS LA NARRATION MOSAÏQUE DU DÉLUGE.

 

Pour mieux mettre le lecteur à même de juger de la validité de l'hypothèse que je viens de poser, savoir, que l'Europe soit l'Atlantide jadis engloutie, je citerai ici les anciennes traditions les plus importantes touchant l'état du genre humain avant le déluge, en y ajoutant quelque peu de notes. Je prie le lecteur de se rappeler que je me borne a prétendre que la narration mosaïque du déluge, comme les mythes auparavant cités, reposent sur une base historique. Aussi la tradition principale de l'Atlantide chez Platon ne se présente-t-elle que comme de vagues souvenirs du narrateur sur ce qu'il a entendu, pendant son enfance, du législateur athénien Solon, qui lui-même l'avait entendu des prêtres égyptiens. D'autre part, il ne faut pas non plus oublier que, par suite de l'antiquité de l'Égypte et de leur propre civilisation , les prêtres égyptiens jouissaient d'une réputation si grande que plusieurs sages île la Grèce el autres hommes célèbres cherchaient chez eux l'instruction ; ainsi l'Égypte est la patrie primitive de beaucoup de doctrines que nous tenons des Grecs, et la plupart des anciens savants de la Grèce étaient littéralement les disciples des Égyptiens.

 

LES TRADITIONS DE L'ATLANTIDE.

(Timœos de Platon, p. 251, E.)

 

Il y a en Égypte, dit Critias (1), dans le Delta, au sommet duquel se divise le Nil qui l'entoure, un nome appelé Saïtique, et la ville principale de ce nome est Sais, celle-là même d'où le roi Amasis était originaire. Les habitants ont une divinité fondatrice de leur État, dont le nom est en égyptien Neïth, et en grec, s'il faut les en croire, Athènes (2). Ils aiment beaucoup les Athéniens et prétendent appartenir en quelque manière à la même nation. Solon disait qu'arrivé dans leur pays, il avait joui de la plus grande considération, et que d'après les questions qu'il adressa sur les antiquités aux prêtres qui les connaissaient le mieux, il s'était convaincu que ni lui-même, ni aucun Grec n'y entendait rien, pour ainsi dire. Il ajoutait que, voulant un jour les engager à s'expliquer sur les antiquités, il s'était mis à parler des temps les plus reculés des nôtres, de Phoronée, qu'on nomme le premier, de Niobé, et, après le déluge, de Deucalion et de Pyrrha, et de tout ce qu'on en raconte; qu'il avait fait la généalogie de leurs descendants, et s'était efforcé de fixer la date des événements, en se rappelant les époques; qu'alors un prêtre très-âgé lui avait dit : « Solon, Solon, vous autres Grecs vous Mes tous des enfants; en Grèce, il n'y a pas un vieillard ; » — qu'à ces mots il lui avait demandé : « Comment l'entendez-vous? » — et que le prêtre avait repris : u Vous êtes jeunes par vos âmes; car vous n'avez en elles aucune opinion antique venue d'une longue tradition, aucune connaissance blanchie par le temps. Et voici pourquoi : des destructions d'hommes ont eu lieu en grand nombre et de bien des manières, et auront lieu encore; de très-grandes par le feu et les eaux ; d'autres moindres, par mille autres causes. Ainsi cette tradition, qui existe aussi chez vous, qu'autrefois Phaéton, fils du Soleil, ayant attelé le char paternel et, ne pouvant le diriger dans la même route que son père, avait tout brûlé sur la terre, et que, frappé de la foudre, il avait péri lui-même, c'est là un récit d'un caractère fabuleux ; mais la vérité est qu'elle signifie l'aberration de tous les corps qui se meuvent autour de la terre et dans les deux, de leurs orbites, et une destruction qui arrive par intervalles, de tout ce qui est sur la terre, par un grand feu (1). Alors ceux qui habitent les montagnes et les lieux élevés et arides périssent plus tôt que ceux qui habitent les bords des fleuves et de la mer.

(1) C'est Critias le jeune , personnage assez connu , petit-fils de Critias l'aîné , parent de Solon , que Platon introduit dans le dialogue.

(2) Toute cette tradition nous fera connaître que , si la tradition attribue aux dieux (les Élohim , les Élymées , les Dives des Mèdes , les 02: des Grecs , les Dii des Romains ) des qualités surhumaines , ils sont cependant supposés avoir vécu parmi les hommes (les Adamites ou les enfants de l'homme ) . Il faut par conséquent qu'ils aient été des hommes réels , mais sans doute d'une race différente.

(1) Le texte original a : Τὸ δ' αληθές ἐστι τῶν περὶ γῆν καὶ κατ ' οὐρανὸν ἰόντων παράλ λαξις καὶ διὰ μακρῶν χρόνων γινομένη τῶν ἐπί γῆς πυρὶ πολλῷ φθορά . Ge remarquable passage semble contenir directement un témoignage traditionnel , sinon historique , d'un déplacement d'axe ; car les anciens , qui regardaient encore dans ce temps-là la terre comme immobile et tout changement de sa position comme impossible , devaient tout naturellement croire que les corps célestes , en changeant de place , avaient causé la destruction de la terre. Platon en a été aussi intérieurement persuadé. On arrive à ce résultat si l'on compare ce passage avec les parallèles aux dialogues des Lois , p. 677 a , et avec la Politique , p. 269 a , et si l'on tient compte de cette circonstance : que plusieurs savants grecs plus modernes , par exemple Plutarque , se donnèrent de la peine pour réfuter ces opinions exposées par Platon , partagées d'ailleurs , non- seulement par plu- sieurs philosophes grecs plus anciens, mais retrouvées aussi dans les hymnes orphiques, chez Héraclite , Bérose et plusieurs autres . Aussi , la suite fera voir au lecteur que cette idée n'appartient pas en propre à Platon , mais qu'elle a passé avec la tradition elle- même des Égyptiens aux Grecs ; les premiers eurent les notions fondamentales , astronomiques et philosophiques de la ruine et du renouvellement du monde , en commun avec les Indiens , les Chaldéens et plusieurs autres peuples.

Pour nous, le Nil, auquel nous devons notre conservation dans bien d'autres circonstances, nous sauve encore et nous préserve dans ce désastre. Et lorsque les dieux purifient la terre en la submergeant, si les bouviers et les pâtres ne périssent pas sur les montagnes, du moins les habitants de vos villes sont entraînés dans la mer par le courant des fleuves. Mais dans ce pays-ci, ni alors, ni à aucune époque, les eaux ne se précipitent jamais d'en haut sur les campagnes; au contraire, la nature a voulu qu'elles nous vinssent des profondeurs de la terre. Voilà comment et par quelles causes on dit que, dans notre pays, les traditions les plus anciennes se sont conservées. Et, en effet, dans tous les pays où ni des pluies excessives, ni des chaleurs extrêmes ne chassent les habitants, la race humaine peut augmenter ou diminuer de nombre, mais elle ne disparait jamais entièrement. Aussi, tout ce qui s'est fait de beau, ou de grand, ou de remarquable sous un rapport quelconque, soit dans votre pays, soit dans le nôtre, soit dans un autre lieu connu de nous par la renommée, tout cela est ici écrit dès longtemps et conservé dans nos temples. Mais chez vous et chez les autres peuples, l'usage des lettres et de tout ce qui est nécessaire à un État policé ne date jamais que d'une époque récente, et bientôt, à certains intervalles, viennent fondre sur vous, comme une peste meurtrière, des torrents qui se précipitent du ciel et ne laissent subsister que des hommes étrangers aux lettres et aux muscs: de sorte que vous recommencez, pour ainsi dire, votre enfance, ne connaissant aucun événement de notre pays, ou du vôtre, qui remonte aux anciens temps. Ainsi Solon, tous ces détails généalogiques que tu nous as donnés sur ta pairie, sont bien près de ressembler à des contes d'enfant. Car, d'abord, vous ne parlez que d'un déluge, tandis qu'il y en a eu bien d'autres auparavant ; ensuite, vous ne savez pas que dans votre pays a existé la race d'hommes la plus excellente et la plus parfaite, dont tu descends toi et toute ta nation, après qu'elle eut péri à l'exception d'un petit nombre; mais vous l'ignorez, parce que les premiers descendants moururent sans rien transmettre par les lettres pendant plusieurs générations. Car autrefois, Solon, avant cette grande destruction par les eaux, cette même république d'Athènes qui existe maintenant excellait dans la guerre et se distinguait en tout par la sagesse de ses lois, et c'est elle, dit-on, qui a fait les plus belles actions, et qui a eu les institutions les plus belles dont nous ayons jamais entendu parler sous les cieux (1). »

(1) On ne peut guère douter qu'Athènes , telle qu'elle est dépeinte ici , surtout dans la République, ne doive être regardée comme un État idéal , mais on n'a pas le droit de rejeter l'authenticité de la tradition en général et moins encore de considérer le récit de Platon , malgré les paroles expresses de celui- ci , comme une fiction . On verra plus bas qu'il y a quelque probabilité historique , qu'un peuple belliqueux qui , suivant la tradition , s'est opposé aux invasions des Atlantes , ait existé aux mêmes lieux où plus tard a été bâtie la ville d'Athènes. Cette hypothèse semble confirmée , non - seulement par le mythe que je viens de rapporter du combat des Titans ( ou des Atlantes ) et des dieux (ou des Élohim) , dans lequel les géants étaient du parti de ces derniers , mais aussi par la relation remarquable de Varron ( de Re rustica , lib. III , cap . 1 ) , selon laquelle Thèbes fut fondée avant l'inondation d'Ogygès . Les Athéniens , d'ailleurs , cela est encore à noter ; les Athéniens prétendaient que leur État était le plus ancien des États de la Grèce , et qu'ils descendaient des héros de l'antiquité , prétentions que les autres Grecs semblaient tacitement reconnaître.

Solon disait qu'à ce discours il fut émerveillé; que, plein d'une grande curiosité, il pria les prêtres de lui exposer exactement et en détail tout ce qui avait rapport aux anciens habitants de sa patrie, et que le prêtre lui répondit : " Très-volontiers, Solon, je te le dirai par affection pour toi et pour ta patrie, mais surtout en considération de la déesse à laquelle appartiennent votre cité et la nôtre, et qui a veillé à leur entretien, à leur éducation. Elle a commencé par la vôtre, empruntant à la terre et à Vulcain la semence dont elle vous a formés, et mille ans plus tard elle a fondé la nôtre ; et ce gouvernement établi parmi nous date, d'après nos livres sacrés, de huit mille ans (2). Je vais donc te parler de tes concitoyens qui vivaient il y a neuf mille ans, et te faire connaître en peu de mots leurs institutions et le plus glorieux de leurs exploits. Quant aux détails précis, une autre fois, à notre loisir, nous en parcourrons toute la suite, tenant en main les livres mêmes. Compare donc ces lois à celles de ce pays, et tu verras que beaucoup des anciennes lois d'Athènes se retrouvent ici maintenant. Et d'abord, les prêtres forment une classe séparée de toutes les autres. De même la classe des artisans, dont chaque branche exerce si profession à part sans se mêler aux autres, ainsi celle des pasteurs, celle des chasseurs, celle des cultivateurs. La caste guerrière est également ici, comme tu l'as peut-être entendu dire, entièrement séparée des autres, et ses membres doivent, d'après les lois, ne s'occuper que des soins de la guerre. Il en est pareillement ainsi de leur manière de s'armer avec des boucliers et des lances : nous nous en sommes servis avant tous les autres peuples de l'Asie, parce que nous les tenions de la déesse, de même que, dans vos contrées, vous êtes les premiers à qui elle en ait montré l'usage. Et quant ù l'intelligence, vous voyez sans doute quelle attention y donnent nos lois dès le principe, arrivant par la découverte de tout ce qui concerne l'ordre du monde à l'art de la divination et de la médecine dans l'intérêt de la santé, tirant ainsi parti de ces connaissances divines pour l'usage des hommes et embrassant toutes les sciences qui tiennent à celles-là. Ainsi, autrefois, tout cet ordre si bien réglé a été établi chez vous, avant de l'être ici, par la déesse qui a fondé et organisé votre État, et qui a choisi le pays où vous êtes nés, parce qu'elle jugeait, d'après l'heureuse température des saisons, qu'il produirait des hommes de la plus grande sagesse. En effet, comme elle est une déesse belliqueuse et sa;[P, c'est le pays où devaient naître les hommes les plus semblables à elle, qu'elle a dû choisir le premier pour y fonder un État. Vous viviez donc sous l'empire de telles lois, avec des institutions meilleures que je ne puis vous le dire, et vous surpassiez tous les hommes dans tous les genres de mérite, comme devait le faire un peuple engendré et instruit par les dieux. Aussi de grands et de nombreux exploits de votre république, écrits dans nos livres, excitent notre admiration; mais il y en a un surtout qui est entre tous les autres le plus grand et le plus beau. Vos livres disent que votre république mit fin aux dévastations d'une puissance formidable, qui s'avançait pour envahira la fois toute l'Europe et l'Asie, sortant d'une contrée lointaine, du milieu de la mer Atlantique. Alors, en effet, on pouvait traverser cette mer; car il s'y trouvait une ile devant cette ouverture que vous nommez dans votre langue les Colonnes d'Hercule, et cette île était plus grande que la Lybie et l'Asie ensemble (1): de sorte que, de ses bords, les navigateurs d'alors passaient aux autres îles; et, de ces dernières, sur tout le continent situé en face et qui entoure cette mer vraiment digne de ce nom. Car pour la mer située en deçà de ce détroit dont nous parlions, elle ne semble être vraiment qu'un petit port dont l'entrée est bien étroite; mais pour l'autre, c'est là une mer véritable, et c'est à la terre qui l'entoure de toutes parts que l'on peut vraiment donner avec une justesse parfaite le nom de continent. Dans cette ile Atlantide s'était formée une grande et étonnante puissance de rois dominant sur l'île entière, sur beaucoup d'autres îles et de portions du continent. En outre, dans nos contrées en deçà du détroit, ils dominaient sur la Lybie jusque vers l'Égypte, et sur l'Europe jusqu'à la Tyrrhénie (1). Eh bien! cette puissance, réunissant toutes ses forces, vint fondre sur votre pays, sur le nôtre, sur tous ceux qui sont en deçà du détroit, pour les asservir tous ensemble. Alors, ô Solon! se montra la puissance de votre république, qui s'illustra aux yeux du genre humain par sa valeur et son énergie. Car, surpassant tous les peuples par son courage et son habileté dans tous les arts qui tiennent à la guerre, d'abord à la tête des Grecs, ensuite réduite à ses propres forces par la défection de tous ses alliés, exposée aux plus grands dangers, elle triompha pourtant de tous ses ennemis et érigea des trophées, préserva du joug ceux qui n'y étaient pas encore assujettis, et quant aux autres peuples situés comme nous en deçà des Colonnes d'Hercule, tous, sans exception, elle les délivra. Mais plus tard des tremblements de terre extraordinaires et des inondations étant survenus, en un seul jour et une seule nuit de désastre, chez vous la terre engloutit tous les hommes en état de porter les armes, qui se trouvaient réunis, et l'île Atlantide s'enfonça sous les eaux et disparut (1): d'où vient que maintenant encore on ne peut parcourir cette mer et la connaître, parce que la navigation est empêchée par la vase très-profonde que l'île a formée en s'abîmant (2).

(2) On comprendra facilement qu'il est impossible de déterminer avec certitude à quoi il faut réduire ces années ; mais en admettant ( conformément à l'opinion de Rask) que les Égyptiens , depuis le déluge jusqu'au temps où Solon visita Saïs , aient donné une durée différente à leurs années et qu'ils leur aient en général donné une durée de trois mois , on trouvera peut- être que les durées ici indiquées sont entièrement justes.

(1) Comme les anciens en général n'entendaient par la Lybie que l'Afrique septentrionale habitable, de même que par l'Asie ils n'entendaient en général que l'Asie-Mineure, il n'est nullement nécessaire de supposer que l'Atlantide ait eu la même grandeur que l'Europe d'aujourd'hui.

(1) Si nous comparons cette description des frontières de l'Atlantide avec les régions où ont été trouvés les restes d'hommes fossiles qui seront mentionnés plus tard , et si nous nous rappelons qu'à une époque non éloignée de nous la Grande- Bretagne et l'Irlande , selon toute apparence , ont été réunies et se sont étendues beaucoup plus loin du côté de l'ouest qu'elles ne le font actuellement ( ce que le groupe Wealdien , sédiment d'un très-grand fleuve venant du nord- ouest , semble indiquer ) , tandis que du côté de l'est ces contrées ont été unies à la France , nous reconnaîtrons que ce n'est pas sans fondement qu'on peut supposer que l'État atlantique a compris la Grande- Bretagne , l'Irlande et les îles environnantes , ainsi que toute l'Europe du nord et du nord- ouest (la Scandinavie , les Pays - Bas , la Belgique , la France , une partie de l'Allemagne et la Suisse) . Conjointement avec la partie septentrionale de la plaine orientale de l'Europe, ces contrées semblent avoir formé une énorme péninsule , liée probablement à l'Asie du côté du nord et du nord - est , mais séparée de la péninsule actuelle au delà des Pyrénées par la Méditerranée , qui alors peut- être , comme le suppose M. Forchhammer , aura couvert le midi de la France et , par cette voie , aura été unie à la mer Atlantique. Sup- posons encore que c'est seulement depuis le déplacement d'axe qu'une grande partie de l'Europe moyenne , mais surtout de l'Europe méridionale , forme , avec le reste de l'Europe, un grand continent et qu'avant cette révolution ces terres ne formaient que des îles (les îles Heureuses ? ) , et l'on sera , si je ne me trompe , autorisé à entendre par 64 autres îles en partie les îles actuelles de la Méditerranée et en partie celles qui ont disparu. Quelque incertaine que soit la description de Platon quant à la situation de l'Atlantide , il me paraît cependant que ce pays ne peut être l'Amérique , comme l'ont pré- tendu quelques auteurs du siècle passé , quoiqu'on ne puisse nier que la description de Platon ne s'applique jusqu'à un certain point à cette partie du monde.

(1) La circonstance citée ici que la plus terrible partie de la catastrophe dura un jour et une nuit montre, connue je l'ai déjà fait remarquer, que cette explication du mythe de Phaéton peut aussi s'appliquer à celle du combat des dieux et des Titans, et que ce dernier mythe n'est qu'un récit poétique de la guerre ici mentionnée et de la chute de l'Atlantide.

(2) Cette description de la mer Atlantique aura sans doute été applicable à la plaine orientale de l'Europe, peu de temps après le déplacement d'axe, lorsqu'elle était recouverte par les eaux. Homme plus tard cette plaine se sera peu à peu desséchée, et que du temps de Platon elle aura été à peu près sèche, le manque d'une connaissance plus exacte des événements de l'antiquité aura probablement porté les Grecs à placer cette mer , qui avait disparu de la sorte , au delà des Colonnes d'Hercule.

 

 

CHAPITRE IX.

CONTINUATION.

(Critias de Platon, p. 109, B. )

En effet, les dieux se partagèrent autrefois toute la terre, et dans ce partage ils se réglèrent sur les diverses contrées, et non sur leurs prétentions ; car il ne serait pas juste de penser que les dieux ignorassent ce qui convenait à chacun d'eux, et que, le sachant, ils cherchassent à se disputer et à s'enlever leur part les uns aux autres. C'est donc la justice qui présida à ce partage et leur fit obtenir la contrée qui leur était agréable; ils s'y établirent et, en s'y établissant, ils élevèrent les animaux qui leur appartenaient, comme les bergers élèvent leurs troupeaux, non pas en faisant violence au corps avec le corps, comme les pâtres qui mènent le bétail à coups de bâton, mais en traitant l'homme en animal docile, et en le dirigeant du haut de la proue avec une sorte de gouvernail, c'est-à-dire avec la persuasion, dont ils touchaient son âme suivant leurs vues; et c'est de cette manière qu'ils conduisirent l'espèce humaine tout entière (1). Ainsi les diverses contrées échurent à divers dieux et furent gouvernées par eux. Vulcain et Minerve, qui avaient la même nature, et parce qu'ils venaient du même père, et parce qu'ils tendaient au même but, à cause de leur amour pour les sciences et les arts, obtinrent tous deux en partage notre pays (2), qui semblait convenir et appartenir à leur vertu et à leur sagesse. Ils firent des indigènes des hommes de bien, et leur inspirèrent le désir de vivre sous un gouvernement régulier. Les noms de ces hommes ont été conservés, mais leurs actions ont péri par la destruction de ceux qui les avaient recueillies et par l'éloignement des temps ; car la race qui survivait toujours, comme je l'ai dit précédemment, c'étaient les habitants des montagnes, hommes illettrés, qui avaient seulement appris les noms des chefs du pays et ne savaient que peu de chose de leurs actions.

(1) Cette description nous montre aussi que les soi-disant dieux ( Élohim ) furent an peuple vainqueur ou peut-être leurs princes, qui se distribuèrent les pays de la race subjuguée.

(2) L'Attique.

Ils se plurent donc à donner ces noms à leurs enfants, mais ne connurent les vertus et les institutions de leurs ancêtres que par quelques traditions obscures ; et comme eux et leurs enfants étaient restés, pendant plusieurs générations, dans un grand dénuement des choses nécessaires à la vie, ils ne songèrent plus qu'aux moyens d'y pourvoir, et ne s'occupèrent plus que de ce soin dans leurs discours : de manière qu'ils négligèrent les faits antérieurs et passés ; car on ne commence à rechercher el à raconter les choses antiques que lorsqu'il règne du loisir dans les villes, cl que quelques habitants sont déjà en sécurité du côté des besoins de la rie, main cela n'arrive pas auparavant. C'est de cette manière que les noms des anciens héros nous ont été conservés sans que leurs actions soient parvenues jusqu'a nous. Et, ce que je dis là, je le conjecture de ce que les noms de Cécrops, d'Érechthée, d'Érichthonius, d'Érisichthon et de la plupart des personnages qui remontent au delà de Thésée, se trouvaient rappelés dans le récit de, la guerre que les prêtres firent à Solon, comme il nous le rapporta lui-même, et que les noms de femmes n'y étaient pas oubliés. Il était aussi fait mention de l'image et de la statue de Minerve; et comme alors les femmes partageaient avec les hommes les fatigues de la guerre, la déesse, suivant cette coutume, était représentée avec une armure, pour montrer que, parmi tous les animaux qui vivent en société, les mâles comme les femelles étaient naturellement capables de se livrer aux mêmes travaux et d'exercer les facultés qui appartiennent à chaque espèce. Il y avait, dans notre pays, les différentes classes de citoyens qui travaillent aux métiers et à la terre pour en tirer notre nourriture; mais la classe des guerriers avait été séparée dès le principe par des hommes divins; ils habitaient a part, possédant tout ce qui était nécessaire à leur entretien et à leur instruction, sans avoir aucune fortune particulière : de manière que, tous les biens étant communs entr'eux, ils croyaient ne devoir rien exiger de leurs concitoyens au delà de la nourriture, et remplissaient toutes les fonctions dont nous avons parlé hier au sujet des défenseurs que nous donnions à notre État (1). En outre, on rapporte avec vraisemblance et vérité que les frontières de notre pays s'étendaient alors jusqu'à l'isthme d'un côté, et de l'autre jusqu'aux monts Cithéron et Parnèthe; puis elles descendaient, ayant à droite Oropie, et laissant à gauche, vers la mer, le fleuve Asopus. On ajoute que la fertilité du sol était tellement supérieure à celle de toute autre terre, qu'il pouvait nourrir une nombreuse armée composée de gens du voisinage qui veillaient autour de cette contrée. Mais une grande preuve de sa fécondité, c'est que, dans son état actuel, parle nombre et la qualité de ses productions de toute espèce, par l'abondance de ses pâturages, elle peut soutenir la comparaison avec une terre quelconque. Telle était alors , outre sa beauté, la richesse de notre pays : mais comment le croire, et comment ce qui en reste pourrait-il être comparé justement à ce qui existait? Toute l'Attique se détache du reste du continent, et s'avance au loin dans la mer comme un promontoire, et la mer qui l'entoure est profonde dans toute son étendue. Ainsi, dans les vastes et nombreuses inondations qui survinrent pendant ces neuf mille ans1 (car tel est le nombre d'années écoulées depuis ce temps-là jusqu'à présent), la terre qui, dans ces jours de bouleversements, était entraînée avec les eaux du haut des montagnes ne formait point, comme en d'autres lieux, des atterrissements considérables, mais elle se répandait toujours autour du rivage et disparaissait dans les profondeurs de la mer. Aussi notre pays a éprouvé ce qui arrive aux petites îles ; si on le compare, dans son état actuel, à ce qu'il était autrefois, on le trouvera semblable à un corps malade qui n'a conservé que les os ; et, tout ce qu'il renfermait de terre molle et grasse ayant coulé autour du rivage, il no présente plus que l'apparence d'un corps décharné. Mais, lorsqu'il était dans son intégrité, ses montagnes étaient des collines élevées ; les plaines que nous appelons maintenant les champs de Phellée avaient une terre abondante et fertile, et les monts étaient couverts de forêts dont il reste encore des témoignages visibles ; car il n'y a pas bien longtemps que, sur celles de ces montagnes qui ne servent plus qu'à nourrir des abeilles, on a coupé des arbres pour couvrir de grandes maisons dont les toitures subsistent encore. Il y avait beaucoup d'autres arbres cultivés et de nombreux pâturages pour les troupeaux. La pluie que Jupiter répandait chaque année ne se perdait pas, comme aujourd'hui, en coulant à travers une terre rare dans la mer; mais, comme la terre était abondante, elle buvait la pluie, ou, recevant sur ses couches d'argile l'eau qui était descendue des hauteurs, elle la conservait dans les cavités, et produisait en tous lieux une grande quantité de sources et de fleuves dont les monuments sacrés, subsistant encore près de leurs lits desséchés, attestent la vérité de ce récit. Telles étaient nos campagnes par les bienfaits de la nature, et elles étaient cultivées, comme il est vraisemblable, par de vrais laboureurs occupés de leurs travaux, amis de l'honnête et heureusement nés, possédant une terre excellente, de l'eau en grande abondance, et jouissant du climat le plus tempéré.

(1) La République, IIIe et IVe livres.

(1) Ainsi est confirmée celte circonstance dont plusieurs autres traditions fout meu1iou : que , môme après le déluge , la Grèce a été affligée par plusieurs inondations e1 révolutions de la nature; la suite le rendra plus évident.

Quant à la ville, voici comment elle était alors disposée : d'abord l'Acropolis n'était point ce qu'elle est aujourd'hui ; car une seule nuit extrêmement pluvieuse détrempa la terre qui la couvrait, et l'en priva presque entièrement dans le même temps qu'eurent lieu les tremblements de terre et la terrible inondation qui est la troisième avant le désastre de Deucalion. Auparavant, à une autre époque, l'Acropolis s'étendait vers l'Éridan et l'Ilissus, comprenait le Pnyx et avait pour limite le mont Lycabette, situé derrière le Pnyx. Elle était tout entière couverte de terre, et, à l'exception de quelques endroits, son sommet présentait une plate-forme. A l'extérieur, sur ses flancs, étaient établis les artisans et les laboureurs qui cultivaient leurs champs dans le voisinage ; sur le sommet, autour du temple de Minerve et de Vulcain, résidait à part la classe des guerriers, et leur enceinte était entourée d'une clôture comme le jardin d'une seule famille. Vers le nord, ils avaient construit des maisons qu'ils habitaient en commun et des salles où, pendant l'hiver, ils prenaient ensemble leurs repas; et ils possédaient tout ce qu'il faut dans la vie commune pour le service des maisons et des temples, excepté l'or et l'argent, car ils n'en faisaient point usage; mais, cherchant un juste milieu entre le luxe et l'indigence, ils s'étaient construit des demeures décentes dans lesquelles ils vieillissaient, eux et les enfants de leurs enfants, et qu'ils transmettaient toujours, telles qu'ils les avaient reçues, à des fils semblables à eux-mêmes. Vers le midi, ils avaient des jardins, des gymnases et des salles à manger comme il en faut pour l'été, et ils s'en servaient pendant cette saison. A la place qu'occupe maintenant la citadelle, il y avait une source qui, en disparaissant dans les tremblements de terre, n'a laissé alentour que de faibles ruisseaux, et qui fournissait alors à tous les habitants une eau abondante et salutaire pendant l'hiver et pendant l'été. Tels étaient le séjour et la manière de vivre des guerriers, défenseurs de leurs concitoyens et chefs reconnus des autres Grecs, tâchant, autant que possible, d'avoir toujours à leur disposition le même nombre d'hommes et de femmes en état de porter déjà les armes et de les porter encore, et ils étaient au plus vingt mille.

Voilà donc quels étaient ces hommes et la manière dont ils gouvernaient, avec une justice persévérante, leur cité et celles de la Grèce ; la beauté de leur corps et les vertus de toute espèce qui ornaient leurs âmes les avaient rendus illustres dans l'Europe et dans l'Asie entière, où leur gloire éclipsait celle des autres hommes. Quant à leurs ennemis, je dois maintenant vous les faire connaître comme à des amis et vous peindre leur situation dès les premiers temps, si je n'ai pas perdu le souvenir de Ce que j'ai entendu raconter dans mou enfance.

Mais avant de commencer mon récit, je vous dois un petit avertissement, c'est de ne pas trouver étrange que je donne souvent des noms grecs à des barbares : en voici la raison. Lorsque Solon songea à faire de ce récit un de ses poèmes (1), il s'enquit de la valeur des noms; et, trouvant que les égyptiens, qui les avaient écrits les premiers, ne s'étaient point fait scrupule de les traduire dans leur idiome, il reprit à son tour la signification de chacun de ces noms et les écrivit en les transportant dans notre langue. Ces manuscrits de Solon se trouvaient chez mon grand-père(2); ils sont maintenant chez moi, et je les ai étudiés avec soin dans mon enfance. Ne soyez donc point étonnés de m'entendre employer des noms grecs : vous en savez la raison. Voici quel était le commencement de cette longue histoire.

(1) On voit par là que les savants de la Grèce, ce qui est d'ailleurs suffisamment connu, se servaient ordinairement d'événements historiques en composant leurs poèmes, par exemple l'Iliade, l'Odyssée, la Théogonie, etc. ("est à cette circonstance que nous devons la connaissance de beaucoup de détails historiques qui, sans cela, auraient été inévitablement perdus. Nous devons donc "beaucoup de reconnaissance aux Grecs , quoique certainement la licence poétique leur ait fait plus ou moins altérer les faits.

(2) Critias l'ainé.

Je vous l'ai dit précédemment : lorsque les dieux se partagèrent toute la terre par portions grandes ou petites, chacun d'eux fonda des temples et des sacrifices en son honneur. Neptune, a qui était échue l'Atlantide, établit les enfants qu'il eut d'une mortelle dans un endroit de l'Ile que je vais vous décrire (3). Près de la mer, et au milieu de l'île, était située une plaine, qui passe pour avoir été la plus belle de toutes les plaines, et remarquable par sa fertilité. Prés de cette plaine, à cinquante stades plus loin et toujours au milieu de l'Ile, il y avait une montagne peu élevée. Là demeurait un de ces hommes premiers nés de la terre, qui s'appelait Événor et avait pour compagne Leucippe. Ils n'eurent pour enfant qu'une fille nommée Clito, qui était nubile lorsqu'elle perdit son père et sa mère. Neptune en devint épris et s'unit à elle; puis, voulant bien clore la colline qu'elle habitait, il la creuse alentour et forme des enceintes d'eau et de terre alternativement plus grandes et plus petites qui se repliaient les unes autour des autres; il yen avait deux en terre et trois en eau et toutes étaient parfaitement circulaires, comme s'il les avait tracées au compas à partir du centre de l'île : de manière que la colline était inaccessible aux hommes ; car on ne connaissait alors ni les vaisseaux ni l'art de naviguer. Comme il était dieu , il n'eut pas de peine à embellir le milieu de l'île : il fit jaillir de la terre deux sources, l'une qui répandait une eau chaude, l'autre une eau froide, et il tira du sein de la terre une nourriture variée el suffisante.

(3) Nous avons ici un récit analogue à celui de la Genèse , VI , 2 : « Les fils des dieux (les Élohim) , voyant que les filles des hommes (les Adamites ) étaient belles , en prirent pour leurs femmes de toutes celles qu'ils choisirent, »

Sa femme fut cinq fois enceinte et lui donna chaque fois deux enfants mâles ; il les éleva et partagea l'île entière de l'Atlantide en dix portions : il donna à l'aîné des deux premiers jumeaux la demeure de sa mère et la terre vaste et fertile qui s'étendait alentour, et l'établit roi de ses frères, qu'il fit aussi souverains d'un grand nombre d'hommes et d'une grande étendue de pays. Il leur donna à tous des noms : l'aîné, qui fut le premier roi, s'appela Atlas, et c'est de lui que l'île entière et la mer ont tiré le nom d'Atlantique. Son frère jumeau, qui était né après lui, eut en partage l'extrémité de l'île voisine des Colonnes d'Hercule et de la terre qui s'appelle encore aujourd'hui Gadirique (1), à cause de ce voisinage; son nom en grec était Eumèle, et en langue du pays Gadire ; et c'est ce nom qu'il donna à la contrée. Les enfants des secondes couches furent nommés l'un Amphère, l'autre Évémon ; ceux des troisièmes furent appelés, le premier Mnésée, le second Autochthone; ceux des quatrièmes, Élasippe et Mestor; dans les cinquièmes, le premier né reçut le nom d'Azaès et le second celui de Diaprépès. Tous ces fils de Neptune et leurs enfants demeurèrent dans ce pays pendant plusieurs générations, et régnèrent sur beaucoup d'autres iles situées dans la mer; et même, comme je l'ai dit auparavant, ils étendirent leur empire en deçà du détroit jusqu'à l'Égypte et la Thyrrhénie. La postérité d'Atlas fut nombreuse et vénérée ; le plus âgé de la race devenait roi et laissait toujours le pouvoir au plus âgé de ses enfants, de manière qu'ils le conservèrent dans la famille pendant plusieurs générations. Ils possédaient des richesses si considérables, qu'il est difficile que des dynasties royales en aient amassé ou en amassent jamais autant, et ils avaient dans la ville et dans le reste du pays tout ce qu'il était important de se procurer. En effet, beaucoup de choses leur venaient du dehors, à cause de l'étendue de leur empire; mais la plupart de celles qui sont nécessaires à la vie leur étaient fournies par l'île même : d'abord toutes les substances qu'on tire des mines, soit solides, soit fusibles, et le métal dont nous ne possédons aujourd'hui que le nom, mais qui était alors une espèce réelle, l'orichalque (1), que l'on extrayait de la terre en plusieurs endroits de l'île, et qu'après l'or on regardait comme le plus précieux des métaux. Ensuite tous les bois qui sont nécessaires à l'art du charpentier, l'île les produisait en abondance. Elle nourrissait aussi un grand nombre d'animaux sauvages et domestiques : l'espèce des éléphants y était très-nombreuse, car tous les autres animaux y trouvaient une pâture abondante, et ceux qui vivent dans les marais, dans les lacs ou dans les fleuves, et ceux qui habitent les montagnes ou les plaines, et de même l'éléphant, quoiqu'il soit naturellement très-grand et très-vorace (1). En outre, tous les parfums que la terre produit aujourd'hui, racines, herbes, bois, sucs découlant des fleurs ou des fruits, l'île les produisait et les développait en abondance. De plus, elle donnait le fruit adouci par la culture, le fruit sec qui nous sert de nourriture, tous ceux que nous employons comme mets et dont nous désignons les espèces du nom de légumes; celui qui est ligneux et fournit un breuvage, un aliment et de l'huile; celui qui a une coque, qui est difficile à garder et sert aux jeux et aux amusements; ceux que nous aimons au dessert pour réveiller l'appétit lorsque l'estomac est rassasié : telles étaient les , productions belles, admirables et infinies en nombre que contenait cette île divine qui a existé un jour sous le soleil. Avec tous les matériaux que leur fournissait la terre, les rois construisirent des temples, des demeures royales, des ports, des chantiers, et firent tous les autres ouvrages dans l'ordre que je vais vous dire.

(1) L'Espagne (?).

(1) Le platine , le laiton , ou quelque composition ?

(1) On a trouvé , comme je l'ai déjà remarqué, de nombreux restes d'éléphants dans les cavernes et dans les terrains diluviens de l'Europe.

Ils commencèrent par jeter des ponts sur les fossés qui entouraient l'ancienne métropole, pour établir des communications entre le palais des rois et le reste du pays. Ils avaient élevé de bonne heure ce palais dans la demeure qu'avaient occupée le dieu et leurs ancêtres, et chacun en le recevant ajoutait à ses embellissements, et tâchait de surpasser son prédécesseur jusqu'à ce qu'ils en eussent fait une demeure qui frappât d'admiration par la grandeur et la beauté des travaux. Ils avaient d'abord creusé un canal, qui avait 3 arpents de largeur sur 33 mètres de profondeur et 9 kilom. 247 mètres de longueur ; il partait de la mer et aboutissait à l'enceinte extérieure, et, pour qu'il pût recevoir comme un port les vaisseaux qui venaient de la mer, ils lui avaient fait une embouchure où pouvaient entrer les plus grands navires. Dans les enceintes de terre qui séparaient les fossés, ils firent encore, le long des ponts, des tranchées assez larges pour le passage d'une seule galère, et, pour qu'on put y naviguer h couvert, ils les couvrirent de toits élevés ; car les bords des enceintes de terre avaient une profondeur qui surpassait de beaucoup celle de la mer. Le plus grand des fossés, qui communiquait avec la mer, avait 554 mètres de largeur, et l'enceinte de terre qui venait ensuite en avait autant. Des deux enceintes suivantes, celle d'eau avait 369 mètres de largeur, celle de terre lui était égale sous ce rapport, et enfin l'enceinte qui entourait l'Ile intérieure n'avait que 184 mètres. Cette ile, où se trouvait le palais des rois, avait un diamètre de 924 mètres. Ils environnèrent d'un mur de pierre l'île, les digues et les ponts, qui avaient 1 arpent de largeur, et ils établirent des tours et des portes à l'entrée de ceux de ces ponts qui livraient un passage à la mer. Ils tirèrent les pierres du pourtour même de l'île intérieure, ainsi que des flancs intérieurs et extérieurs des digues; il y en avait de blanches, de noires et de rouges. Tout en faisant ces extractions, on creusa dans l'intérieur deux bassins pour loger les vaisseaux, qui se trouvaient abrités par le rocher même. Parmi ces constructions, on fit les unes simples, les autres de pierres de diverses couleurs, qu'on avait mélangées pour réjouir la vue en donnant un plaisir qu'il leur est naturel de produire. Quant au mur de l'enceinte extérieure, on le couvrit dans toute son étendue circulaire d'airain, qui servit d'enduit, et celui de l'enceinte intérieure fut revêtu d'airain, qu'on fondit tout alentour; celui qui entourait la citadelle fut recouvert d'orichalque qui avait l'éclat du feu. Voici maintenant quelle était l'ordonnance du palais situé. dans l'intérieur de la citadelle. Au milieu s'élevait le temple sacré de Clito et de Neptune, sanctuaire entouré d'une muraille d'or : c'était là que dans l'origine ils avaient engendré les enfants des dix dynasties; c'était là aussi qu'on arrivait chaque année des dix principautés pour offrir à ces deux divinités les prémices des fruits. Le temple de Neptune avait 184 mètres de longueur sur 3 arpents de largeur avec une hauteur proportionnée; mais sa forme présentait quelque chose de barbare. Tout l'extérieur était revêtu d'argent à l'exception des acrotères, qui étaient d'or; dans l'intérieur, le plafond était d'ivoire diversifié par l'or, l'argent et l'orichalque; et tout le reste, les murs, les colonnes et le pavé, était recouvert d'orichalque (1). Il y avait des statues d'or : on voyait le dieu debout sur son char et dirigeant six coursiers ailés; sa taille était telle qu'il touchait le plafond du temple; autour de lut étaient rangées cent néréides assises sur des dauphins; on croyait alors que c'était là leur nombre (2). Il y avait encore beaucoup d'autres statues offertes par des particuliers. A l'extérieur, on voyait les images en or de tous les rois et de toutes les reines qui descendaient des dix enfants de Neptune (3) ; et l'on remarquait encore beaucoup d'autres offrandes faites par les rois et les particuliers, soit de la ville — elle même, soit des pays qui lui étaient soumis. L'autel, par la grandeur et la beauté du travail, était digne de cette magnificence, et le palais des rois répondait à la grandeur de l'empire et aux ornements du temple. Les deux sources, l'une chaude, l'autre froide, ne tarissaient point, et l'agrément et la salubrité de leurs eaux les rendaient admirables pour tous les usages. Alentour on avait construit des maisons et planté des arbres qui se plaisent près des eaux; on avait laissé des bassins découverts, d'autres étaient fermés pour les bains chauds qu'on prend en hiver : il y en avait pour les rois, pour les particuliers et pour les femmes ; d'autres étaient réservés aux chevaux et aux bêtes de somme, et tous étaient ornés d'une manière convenable. L'eau sortait de ces bassins pour se rendre au bois sacré de Neptune, où elle arrosait des arbres de toute espèce, auxquels la fertilité du sol donnait une beauté et une hauteur prodigieuse, et des conduits pratiqués le long des ponts portaient le reste vers les enceintes extérieures. La, on avait construit beaucoup de temples en l'honneur de beaucoup de dieux, un grand nombre de jardins et des gymnases, les uns pour les hommes, les autres pour les chevaux, et placés séparément dans les deux îles que formaient les digues; mais entre autres on distinguait l'hippodrome situé au milieu de la plus grande des îles : il avait 184 mètres de largeur ; et sa longueur, qui comprenait tout le tour de l'ile, servait de carrière aux chevaux. Il y avait des deux côtés des casernes destinées à un grand nombre de troupes ; quant à celles sur-lesquelles on pouvait compter davantage, elles étaient logées dans la plus petite des enceintes et plus rapprochées de la citadelle; et celles dont la fidélité était à toute épreuve avaient leurs quartiers dans la citadelle autour des rois eux-mêmes. Les arsenaux maritimes étaient remplis de vaisseaux et fournis de tous les agrès nécessaires; tous les équipements étaient complets. Telles étaient les dispositions autour de la demeure royale. Lorsqu'on traversait les trois ports extérieurs, on rencontrait un mur circulaire qui partait de la mer, et, s'éloignant partout de 9 kil. 247 m. de la plus grande enceinte et de son port, revenait fermer au même point l'embouchure du canal situé vers la mer. Tout cet espace était couvert de maisons serrées les unes contre les autres; le canal et le plus grand port étaient remplis de vaisseaux et de marchands arrivés de tous les pays, et leurs voix discordantes, leurs clameurs au milieu d'un bruit continuel, retentissaient nuit et jour (1).

(1) Cette description des temples et des châteaux des dieux est remarquable par sa conformité avec celle de ces mêmes lieux d'après la mythologie scandinave. D'après celle- ci ils étaient resplendissants d'or et d'argent, et avaient de nombreux appartements. Leurs toits étaient couverts de cuivre et ils étaient entourés de lacs et de remparts , etc. Le pont même qui conduisait au château semble se retrouver dans le « Bifrost » de la mythologie scandinave , par lequel cependant on entend généralement l'arc- en - ciel. Quoiqu'il soit hors de doute que ni nos ancêtres païens , ni les Grecs et les Romains n'eussent, quant aux dieux , les idées grossières qu'on leur attribue souvent à tort , on ne peut cependant pas nier qu'ils n'aient aussi élevé des hommes , par exemple Othin et plusieurs des Ases , au rang des dieux. Ici se présente une question intéressante : la description des châteaux qui ont été attribués comme demeures à plusieurs de ces dieux modernes , n'est- elle pas tirée de l'ancienne mythologie primitive des Scandinaves ? Quiconque aura observé combien il est peu vraisemblable que de telles fictions ne repo- sent pas sur quelque chose de réel , sera certainement porté à admettre qu'elles sont le fruit de souvenirs confus de l'antiquité. La tradition mentionnée ici y fait aussi allusion, mais la terrible catastrophe que j'ai indiquée l'a soustraite à la certitude historique.

(2) Les Grecs n'en admettaient que cinquante.

(3)Les anciens Égyptiens avaient de semblables statues ; voir Hérodote , II , 143.

1 Celle description rappelle la ville de Babylone ou Babel , dont on verra la chute dépeinte dans l'Apocalypse.

Je viens de vous rapporter à peu près tout ce que l'on sait de cette ville et de cette demeure ancienne, il faut tâcher à présent de vous faire connaître comment la nature et l'art avaient disposé le reste du pays.

On dit donc, d'abord, que tout le sol s'élevait à pic fort au-dessus de la mer, et qu'autour de la ville régnait une vaste plaine (2), qui elle-même avait pour ceinture une chaîne de montagnes dont la base s'étendait jusqu'à la mer : cette plaine était unie et régulière, mais d'une forme oblongue; d'un côté elle avait 55 myriamètres, et au-dessus de 36 myriamètres à partir de la mer jusqu'au milieu. Tout cet endroit de l'île était exposé au midi et défendu contre le nord. Les montagnes qui l'entouraient, d'après ce que dit la tradition, surpassaient en nombre, en grandeur et en beauté toutes celles qui existent aujourd'hui. Elles renfermaient un grand nombre de villages riches et peuplés; en outre des fleuves, des lacs, des prairies qui procuraient une pâture abondante a tous les animaux sauvages et domestiques, enfin des forêts qui fournissaient en grande quantité des bois de toute espèce pour tous les ouvrages en général et pour chacun en particulier. Telle était la manière dont cette plaine avait été disposée par la nature et par les efforts d'une longue suite de rois. Elle avait la forme d'un tétragone carré et oblong dans presque toute sa surface; et les parties où elle s'en écartait, on les avait corrigées en creusant un fossé alentour. Il est difficile de croire ce qu'on rapporte de la profondeur, de la largeur et de la longueur de ce fossé, si on le considère comme un ouvrage fait de main d'homme et qu'on le compare aux autres travaux de ce genre; mais il faut vous dire ce que j'en ai entendu raconter. On l'avait creusé à 1 arpent de profondeur sur 184 mèt. de largeur, et, comme on l'avait conduit autour de toute la plaine, sa longueur était de 184 myr. Il recevait les eaux qui descendaient des montagnes, et faisait le tour de la plaine; après s'être rapproché de la ville par ses deux extrémités il allait ensuite se décharger dans la mer. D'en haut partaient des canaux de 33 mètres de largeur, qui coupaient la plaine en ligne droite et se jetaient de nouveau dans le fossé voisin de la mer : ils étaient éloignés l'un de l'autre de 18 kil. C'est par cette voie que l'on conduisait à la ville les bois des montagnes, et qu'on y transportait sur des bateaux toutes les autres productions, après avoir coupé ces canaux transversalement par des fossés qui les faisaient communiquer les uns aux autres et se dirigeaient vers la ville. On faisait deux récoltes par an, parce qu'en hiver les productions de la terre étaient arrosées par les pluies (1) qu'envoyait Jupiter et, en été, par les eaux qu'on tirait des canaux.

(2) La plaine d'Ida de lu mythologie Scandinave , comme nous le verrons après.

(1) On voit par là que le climat était à peu près celui des régions subappennines. Tel aussi aura du être celui de l'Europe du nord et du nord -ouest avant le dernier déplace- ment de l'axe du globe . Cette conformité remarquable des rapports naturels semble con- firmer encore davantage que toute cette description repose sur quelque chose de vrai.

Quant au contingent militaire, on avait réglé qu'un chef serait fourni par chaque division des habitants de la plaine en état de porter les armes : ces divisions avaient chacune 18 kil., et l'on en comptait en tout soixante mille. On dit que le nombre des habitants des montagnes et du reste du pays était immense; et tous,, suivant la situation des lieux et des villages, étaient rangés sous des chefs dans des divisions particulières. Chaque chef devait fournir la sixième partie d'un chariot de guerre, afin que le nombre en fût de dix mille; en outre, deux chevaux avec leurs cavaliers, un attelage de deux chevaux sans le char, un combattant a char armé d'un petit bouclier, un cocher pour conduire les chevaux, deux fantassins pesamment armés, deux archers, deux frondeurs, des soldats armés à la légère pour lancer des pierres et des javelots, trois de chaque espèce, et quatre matelots pour une flotte de douze cents vaisseaux : telles étaient les forces militaires de la capitale (1). Quant aux neuf autres principautés, elles avaient une autre organisation, qu'il serait trop long de vous expliquer, et voici maintenant comment, dès le principe, avaient été instituées les autorités et les magistratures.

(1)Supposé même que toute cette description de l'Atlantide soit une pure fiction , et qu'on ne puisse prouver que l'Angleterre actuelle a formé une partie de l'Atlantide , quoique j'en aie montré auparavant la probabilité, on ne peut cependant s'empêcher, en lisant cette description , de comparer le désir des Anglais d'aujourd'hui de conquérir tout le monde, leurs courses de chevaux, la division de leur pays par Guillaume- le-Conquérant en à peu près soixante mille lots , leurs flottes actuelles très- nombreuses et leur commerce maritime , que Platon n'a pu prévoir , à l'état de toutes ces choses chez les Atlantes. Tous ces rapports deviendront encore plus remarquables lorsque , dans la suite du pré- sent ouvrage , j'aurai fait voir que les détails de cette description contiennent beaucoup plus de vérité qu'aujourd'hui on n'est disposé à le croire , si l'on s'en tient aux opinions généralement adoptées sur l'histoire de l'Atlantide , qui jusqu'ici a été vue sous un jour entièrement faux. C'est pourquoi je me bornerai à faire observer que , si l'histoire de l'Atlantide a été inventée par Platon ou quelque autre Grec , supposition dont on verra plus tard l'impossibilité , on ne peut s'empêcher de trouver singulier que celui qui aurait imaginé cette fable n'ait pas attribué à l'ancienne Athènes toute cette puissance et toute cette pompe. Si le conte est dû à la fiction des prêtres égyptiens , on trouvera encore plus étrange que ceux-ci , qui d'ailleurs n'oubliaient jamais de célébrer l'ancienneté et la grandeur de leur pays , n'en aient pas placé le théâtre en Égypte.

Chacun des dix rois avait, dans son gouvernement, un pouvoir absolu sur les hommes et sur la plupart des lois, pouvant punir et mettre à mort qui bon lui semblait. Pour l'autorité et les relations qu'ils exerçaient entre eux, ils se conformaient aux prescriptions de Neptune, telles qu'elles étaient renfermées dans la loi et qu'elles avaient été gravées par les premiers rois sur une colonne d'orichalque; celle-ci se trouvait au milieu de l'île, dans le temple de Neptune, où ils se rassemblaient tous les cinq et tous les six ans, pour avoir tour à tour un nombre pair et un nombre impair : dans ces assemblées ils délibéraient sur les intérêts généraux, recherchaient si l'un d'eux avait violé la loi, et le jugeaient. Lorsqu'ils devaient prononcer un jugement, voici les garanties qu'ils commençaient par se donner les uns aux autres. On lâchait les taureaux dans le temple de Neptune; puis les dix rois, demeurés seuls, priaient le dieu de choisir la victime qui lui était agréable, et allaient à la chasse sans autre arme que des bâtons et des cordes : après avoir pris un des taureaux, ils l'amenaient à la colonne, le plaçaient sur son sommet, et l'égorgeaient suivant les règles prescrites. Or, la colonne, outre ces règlements, portait encore un serment accompagné d'imprécations terribles contre ceux qui le violeraient. Après avoir achevé les sacrifices selon les rites, ils consacraient tous les membres de la victime, mélangeaient dans une coupe les gouttes de sang qu'ils avaient chacun versées, ensuite ils purifiaient la colonne et jetaient le reste dans le feu. Après ces cérémonies, ils puisaient du sang dans la coupe avec des fioles d'or, et, en répandant une partie sur le feu, ils faisaient serment de juger selon les lois gravées sur la colonne et de punir celui qui les aurait violées, puis de ne jamais s'écarter volontairement des règlements, de ne commander qu'en se réglant sur les lois de leur père, et de n'obéir qu'à celui qui s'y conformerait. Après avoir fait ce vœu pour eux-mêmes et pour leurs descendants, ils buvaient ce que contenaient les fioles et les déposaient dans le temple. Au repas, ils faisaient aussi les cérémonies nécessaires, et, vers le soir, lorsque le feu du sacrifice était éteint, ils se revêtaient tous d'une belle robe bleue, s'asseyaient à terre près des restes consumés du sacrifice, éteignaient partout le feu dans le temple, et pendant la nuit ils se jugeaient et se condamnaient si l'un d'eux était accusé d'avoir violé les lois. Après avoir prononcé la sentence, au retour de la lumière ils l'écrivaient sur une tablette d'or et la suspendaient avec leurs robes dans le temple pour servir de monument. Il y avait beaucoup d'autres lois particulières sur les prérogatives des rois. Les principales étaient: qu'ils ne pourraient porter les armes les uns contre les autres, et qu'ils seraient tous obligés de combattre celui qui entreprendrait de renverser une dynastie dans quelque ville; qu'ils se réuniraient comme leurs ancêtres pour délibérer en commun sur la guerre et sur les autres affaires, en laissant toutefois la prééminence à la race d'Atlas; enfin, que le chef suprême nc pourrait condamner à mort aucun de ses parents sans avoir plus de la moitié des suffrages. Telles étaient la forme et la grandeur de la puissance qui s'était élevée dans cette île, et que le dieu dirigea contre notre pays par la raison que je vais vous dire.

Pendant plusieurs générations, tant que les habitants de cette île conservèrent quelque chose de la nature divine, ils se montrèrent obéissants aux lois et pleins de bienveillance les uns envers les autres à cause de leur parenté commune avec le dieu : car ils étaient animés de sentiments vrais et élevés, faisant éclater leur douceur et leur prudence dans toutes les circonstances et dans leurs relations mutuelles. C'est pourquoi, n'estimant que la vertu, ils attachaient peu de prix aux biens qu'ils possédaient, et supportaient facilement l'or et les autres richesses, parce qu'ils les considéraient comme un fardeau; ils n'étaient point aveuglés en se laissant maîtriser par la fortune et en s'enivrant de plaisirs; mais ils voyaient clairement que tous les autres biens naissent de la concorde et s'accroissent avec la vertu, et qu'en les recherchant avec trop d'ardeur on les perd eux-mêmes et la vertu avec eux. Tant qu'ils suivirent ces principes et conservèrent la nature divine ils réussirent dans tout ce qu'ils entreprenaient, comme je l'ai raconté; mais, lorsque la partie divine s'affaiblit à force de s'allier à la partie mortelle, et que les tendances humaines prirent le dessus, ils ne purent plus supporter leur fortune présente, et leur beauté commença à s'altérer : pour celui qui savait observer, leur laideur était sensible puisqu'ils perdaient les plus belles choses avec les plus précieuses; mais ceux qui ne peuvent voir la véritable vie qu'il faut pour être heureux, les crurent au faite du bonheur et de la beauté parce qu'ils étaient pleins d'une ambition et d'une puissance injustes. Alors le dieu des dieux, Jupiter, qui gouverne selon les lois et sait faire de pareilles distinctions, voyant la corruption déplorable de cette race autrefois vertueuse, résolut de la punir pour la rendre plus sage et plus modérée. Dans ce dessein, il rassembla tous les dieux dans la demeure la plus auguste, qui, placée au centre du monde, domine tout ce qui est sujet à la naissance; et lorsqu'ils furent réunis, il dit ...

Ici finit le récit remarquable de Platon ; mais ne se pourrait-il pas qu'il trouvât sa continuation dans le chapitre VI de la Genèse, qui, de même, parle d'une race de dieux mêlée avec celle des hommes et de la perversité de cette race. Le lecteur pourra encore mieux en juger en se rappelant que le texte hébreu de la Genèse se sert, comme je l'ai déjà montré, des mêmes dénominations que la tradition de l'Atlantide, c'est-à-dire, le dieu des dieux (Jéhova, Élohim, Jova, Jupiter), et les fils des dieux (Bené Élohim).

Chapitre VI. — 1 Or il arriva, quand les hommes eurent commencé à se multiplier sur la terre et qu'ils eurent engendré des filles :

2. Les fils de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, en prirent pour leurs femmes, de toutes celles qu'ils choisirent.

3. Et l'Eternel dit : Mon esprit ne contestera point à toujours avec les hommes; car aussi ne sont-ils que chair : leurs jours donc seront de six vingts ans.

A. En ce temps-là il y avait des géants sur la terre, et cela après que les fils des dieux se furent joints avec les filles des hommes, et qu'elles leur eurent donné des enfants : ce sont ces puissants hommes qui de tout temps ont été des gens de renom.

5. Et l'Eternel voyant que la malice des hommes était très-grande sur la terre, et que tonte l'imagination des pensées de leur cœur n était que mal en tout temps,

6. Se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre, et il en eut un grand déplaisir dans son cœur.

7. Et l'Eternel dit : J'exterminerai de dessus la terre les hommes que j'ai créés, depuis les hommes jusqu'au bétail, jusqu'à tout ce qui se meut, même jusqu'aux oiseaux des cieux,-car je me repens de les avoir faits.

8. Mais Noé trouva grâce devant l'Eternel.

9. Ce sont ici les générations de Noé : Noé fut un homme juste et plein d'intégrité en son temps, marchant avec Dieu.

10. Et Noé eut trois fils: Sem, Cham et Japhet (1).

(1) Voyez la suite, page 206.

 

CHAPITRE X.

CONTINUATION.

 

\on-seulement la conformité interne, mais encore plusieurs raisons historiques externes, nous autorisent à considérer le récit que nous a conservé. Moïse de la catastrophe qui a bouleversé la surface du globe, récit qui s'est borné aux effets diluviens de cette catastrophe, comme une continuation de la tradition de l'Atlantide chez Platon, et à regarder ces deux récits comme se suppléant l'un l'autre. Tous les deux traitent du grand bouleversement du monde qui est survenu depuis la création de l'homme, et Moïse ainsi que Platon ont puisé leur connaissance de cette catastrophe à la même source, savoir, dans les relations égyptiennes. La justesse de cette hypothèse est confirmée encore par les rapports que présente la plus ancienne histoire de l'humanité, suivant qu'on la cherche dans la Bible ou dans les principaux mythes grecs, dont on peut avec certitude montrer l'origine égyptienne. Aussi voyons-nous que nombre des plus anciens auteurs chrétiens qui vivaient dans les premiers siècles après la naissance de Jésus-Christ, par exemple, Arnobe, Tertullien, Cosmas Indicopleustès, et dont, par conséquent, l'autorité est d'un grand poids, ont prétendu que la tradition de l'Atlantide concernait les mêmes événements que le récit de Moïse sur les Adamites et le déluge ; ce n'est que plus tard, surtout au moyen âge, que les historiens et les théologiens se sont formé une idée entièrement fausse du déluge, et qu'ils ont négligé de faire attention aux nombreux passages de l'ancien et du nouveau Testament qui nous racontent, ou qui supposent, que les phénomènes volcaniques les plus terribles ont été liés avec cette catastrophe. Si l'on ajoute enfin, comme on le verra plus en détail dans la suite, que Jésus-Christ et ses contemporains ont considéré le déluge de la même manière que Platon et les prêtres égyptiens, on ne saura nier que les traditions de l'Atlantide ne servent à suppléer d'une manière intéressante l'histoire antédiluvienne de la Bible. Cette raison nous engage à rapporter encore ici les traditions de l'Atlantide que nous a conservées Diodore de Sicile, livre III (1) :

(1) On a dit que le désir de trouver une explication naturelle à toutes choses a porté Diodore et plusieurs auteurs grecs modernes à considérer les dieux comme des hommes réels ; mais on leur a fait tort ; car déjà les Égyptiens , dont les Grecs ont surtout adopté le système religieux , ont regardé les dieux comme des êtres tout à fait humains. Si les plus anciens Grecs n'avaient pas partagé les mêmes idées , les héros et les princes grecs ne se seraient pas si fréquemment avisés de se faire descendre en ligne droite des dieux. Ce sont les plus anciens poètes grecs ( les Homérides , Hésiode , etc. ) , ainsi que le besoin irrésistible des hommes de reconnaître quelque chose de plus élevé qu'eux- mêmes et le manque de renseignements historiques certains , qui ont transformé de vrais personnages historiques en dieux imaginaires. Ceci n'empêche cependant pas de reconnaître que beau- coup de divinités , surtout les divinités les moins anciennes des Grecs et des Scandinaves, n'ont été que de pures fictions poétiques et philosophiques ; de même , sans contredit , beaucoup d'actions que la mythologie attribue à des personnages historiques élevés au rang des dieux ne sont que des fables. Ceux qui considèrent les dieux comme des personnages entièrement historiques , ceux aussi qui les considèrent uniquement comme des fictions poétiques et philosophiques , se rendent coupables d'une erreur également grande , car dans la mythologie grecque et scandinave , l'histoire et la fiction sont étroitement liées , et on ne peut guère les séparer sans détruire tout l'édifice mythologique. Aussi l'historien doit-il bien se garder de croire , lorsqu'il a dépouillé la mythologie de ses images poétiques et philosophiques , que le squelette nu et sec qui reste après cette opération soit toujours quelque chose de réel ou de vrai . Tout ce qu'on peut obtenir, c'est d'être moralement persuadé qu'une vérité historique réelle se cache derrière ces images . Cela posé , le récit de Diodore est d'un grand intérêt , lors même qu'il n'aurait pas eu occasion de puiser dans des sources plus anciennes et plus certaines que celles qui nous sont connues.

 

DIODORE DE SICILE.

 

Chapitre 56. — Les Atlantes habitent une contrée maritime et très-fertile. Ils diffèrent de tous leurs voisins par leur piété envers les dieux et par leur hospitalité. Ils prétendent que c'est chez eux que les dieux ont pris naissance ; le plus fameux de tous les poètes de la Grèce paraît être de cet avis lorsqu'il fait dire à Junon :

Je vais voir sur les bords du terrestre séjour

L'Océan et Thétis, dont nous tenons le jour.

Ils disent que leur premier roi fut Uranus. Ce prince rassembla dans les villes les hommes qui, avant lui, étaient répandus dans les campagnes. Il les retira de la vie brutale et désordonnée qu'ils menaient; il leur enseigna l'usage des fruits et la manière de les garder, et leur communiqua plusieurs autres inventions utiles. Son empire s'étendait presque par toute la terre, mais surtout du côté de l'Occident et du Septentrion. Comme il était soigneux observateur des astres, il détermina plusieurs circonstances de leurs révolutions. Il mesura l'année par le cours du soleil et les mois par celui de la lune; et il désigna le commencement et la fin des saisons (1). Les peuples, qui ne savaient pas encore combien le mouvement des astres est égal et constant, étonnés de la justesse de ses prédictions, crurent qu'il était d'une nature plus qu'humaine, et après sa mort ils lui décernèrent les honneurs divins, à cause de son habileté dans l'astronomie et des bienfaits qu'ils avaient reçus de lui. Ils donnèrent son nom à la partie supérieure de l'univers, tant parce qu'ils jugèrent qu'il connaissait particulièrement tout ce qui arrive dans le ciel que pour marquer la grandeur de leur vénération par cet honneur extraordinaire qu'ils lui rendaient : ils l'appelèrent enfin roi éternel de toutes choses.

(1) Le célèbre astronome français Bailly , qui s'était acquis une grande réputation par plusieurs écrits ( Lettres sur l'Atlantide de Platon , Histoire de l'Astronomie ancienne , Lettres sur l'origine des Sciences) , a cherché avec beaucoup d'autres à prouver l'existence réelle de l'Atlantide , qu'il a placée dans l'Asie du Nord. Il a prétendu de même que l'année solaire a été connue avant le déluge. Quoiqu'on ne puisse absolu- ment rejeter la possibilité de cette assertion , les raisons qu'il allègue ne supportent pas un examen approfondi.

Chapitre 57. — On dit qu'Uranus eut quarante-cinq enfants de plusieurs femmes, mais qu'il en eut entre autres dix-huit de Titœa. Ceux-ci, outre leur nom particulier, furent appelés Titans, du nom de leur mère. Homme Titœa était fort prudente et qu'elle surpassait les autres femmes en toutes sortes de vertus, elle fut mise nu rang des dieux par ceux qu'elle avait comblés de bien pendant sa vie, et elle fut appelée la Terre. Uranus eut aussi plusieurs filles, dont les deux aînées ont été les plus célèbres. L'une était Basilée, qui signifie reine, et l'autre Rhéa, que quelques-uns nomment aussi Pandore. Basilée, qui était la première, était aussi la plus sage et la plus habile. Elle éleva tous ses frères et elle avait pour eux une amitié de mère. Quand son père passa au rang des dieux, les peuples, et surtout ses frères , l'obligèrent de monter sur le trône. Elle était encore vierge, et, par un excès de pudeur, elle ne voulait pas se marier. Mais enfin, pour avoir des enfants qui pussent succéder à sa couronne, elle épousa Hypérion, celui de ses frères qu'elle aimait le plus. Elle en eut un fils et une fille, Hélius et Selené, tous deux admirables par leur beauté et par leur vertu. Cependant, ces avantages attirèrent sur Basilée l'envie de ses frères, qui, craignant d'ailleurs qu'Hypérion ne voulût se rendre maître du royaume, conçurent un dessein exécrable. Ils conjurèrent entre eux d'égorger Hypérion et de noyer dans l'Éridan son fils Hélius qui n'était encore qu'un enfant. Quand Selené apprit ce malheur, comme elle aimait son frère uniquement, elle se jeta du haut du palais en bas. Pendant que Basilée cherchait le long du fleuve le corps de son fils Hélius, elle s'endormit de lassitude. Elle crut voir son fils, qui l'appela et lui recommanda de ne point s'affliger de la mort de ses enfants. Il ajouta que les Titans recevraient le châtiment qu'ils méritaient; que sa sœur et lui allaient être admis au nombre des dieux par l'ordre du Destin ; que ce qui s'appelait autrefois dans le ciel le feu sacré s'appellerait Hélius ou le Soleil, et qu'on donnerai! à l'astre appelé Mené, le nom de Selené ou de Lune. S'étant réveillée, elle raconta son songe à ceux qui la suivaient ct leur défendit de la toucher. Aussitôt elle tomba dans une espèce de fureur. Prenant en main les jouets de sa fille qui pouvaient faire du bruit, elle errait par tout le pays; et, se mettant à courir et à danser, les cheveux épars, comme elle aurait fait au son des tambours et des timbales, elle excitait la compassion de tous ceux qui la voyaient. Tout le monde en ayant pitié, quelques-uns voulurent l'arrêter ; mais aussitôt il tomba une grande pluie accompagnée d'horribles éclats de tonnerre. Sur ces entrefaites, Basilée disparut. Le peuple, changeant alors sa douleur en vénération, plaça Hélius et Selené entre les astres (1). On éleva des autels en l'honneur de leur mère, et on lui offrit des sacrifices au bruit des tambours et des timbales, à l'imitation de ce qu'on lui avait vu faire.

(1) Cette tradition, qui se retrouve dans la mythologie scandinave, bien que sous une autre forme, est un des nombreux et remarquables [rails qui semblent montrer la haute antiquité de cette mythologie- On peut du moins en conclure que le nom de Mené (Mani, la lune des Scandinaves) est plus ancien que celui de Selené . qu'on trouve déjà dans la mythologie grecque à une époque très-reculée, taudis qu'on n'y trouve nulle part la dénomination Mené.

Chapitre 60. — Après la mort d'Hypérion, les enfants d'Uranus partagèrent le royaume entre eux. Les deux plus célèbres furent Atlas et Saturne. Les lieux maritimes étant échus par le sort à Atlas, ce prince donna son nom aux Atlantes ses sujets et à la plus haute montagne de son pays. On dit qu'il excellait dans l'astrologie et que ce fut lui qui représenta le" monde par une sphère. C'est pour cette raison qu'on a prétendu qu'Atlas portait le monde sur ses épaules, cette fable faisant une allusion sensible à son invention. Il eut plusieurs enfants -, mais Hcspérus se rendit le plus remarquable de tous par sa piété, par sa justice et par sa bonté. Celui-ci étant monté au plus haut du mont Atlas pour observer les astres, fut subitement emporté par un vent impétueux, et on ne l'a pas vu depuis. Le peuple, touché de son sort et se ressouvenant de ses vertus, lui décerna des honneurs divins, et consacra son nom en le donnant à la plus brillante des planètes. Atlas fut aussi père de sept filles qui furent toutes appelées Atlantides, mais dont les noms propres furent Maïa, Électre, Taygète, Astérope, Mérope, Alcyone et Celœno. Elles furent aimées des plus célèbres d'entre les dieux et les héros, et elles en eurent des enfants qui devinrent dans la suite aussi fameux que leurs pères et qui furent les chefs de bien des peuples. Maïa, l'aînée de toutes, eut de Jupiter un fils appelé Mercure qui fut l'inventeur de plusieurs arts. Les autres Atlantides eurent aussi des enfants illustres. Car les uns donnèrent naissance à plusieurs nations, et les autres bâtirent des villes. C'est pourquoi non-seulement quelques barbares, mais même plusieurs Grecs font descendre leurs anciens héros des Atlantides. On dit qu'elles furent très-intelligentes et que c'est pour cette raison que les hommes les regardèrent comme déesses après leur mort et les placèrent dans le ciel sous le nom de Pléiades. Les Atlantides furent aussi nommées nymphes, parce que dans leur pays on appelait ainsi toutes les femmes.

Chapitre 61. — On raconte de Saturne, frère d'Atlas, que son impiété et son avarice le rendirent bien différent de son frère. Il épousa sa sœur Rhéa et il en eut Jupiter, surnommé depuis Olympien. Il y a eu un autre Jupiter, frère d'Uranus et roi de Crète, mais dont la gloire fut bien inférieure à celle d'un de ses successeurs de même nom. Car celui-ci fut maître de tout le monde, au lieu que le premier n'avait été roi que de son île. Jupiter, frère d'Uranus, eut dix enfants appelés Curètes, et il appela l'île de Crète, Idœa, du nom de sa femme ; on dit qu'il y fut enterré, et on montre encore aujourd'hui son tombeau (1). Les Crétois ne conviennent pas de ce fait et font une histoire toute différente que nous rapporterons dans l'article de ces peuples. Ou raconte que Saturne fut roi de Sicile, d'Afrique et même d'Italie. Il établit le siège de son empire dans l'Occident. Il fit bâtir dans tous les lieux hauts des citadelles et des forteresses pour affermir son autorité : de là vient que, dans la Sicile et dans les pays occidentaux, on appelle encore aujourd'hui saturniens les lieux élevés. Jupiter, (ils de Saturne, n'eut point les vices de son père et il se montra doux et affable à tout le monde. C'est pourquoi ces peuples lui donnèrent le nom de père. Il devint maître du royaume, soit que Saturne le lui eût cédé volontairement, ou qu'il y eût été contraint par ses sujets, dont il s'était fait haïr. Jupiter, ayant vaincu en bataille rangée son père, qui l'était venu attaquer avec les Titans, demeura paisible possesseur du trône (1). Il parcourut ensuite toute la terre dans la vue de répandre ses bienfaits sur tous les hommes. Comme il était très-courageux et qu'il possédait les autres vertus dans un haut degré, il devint bientôt maître du monde entier. Il s'étudiait à rendre ses sujets heureux; mais il punissait sévèrement les méchants et les impies. Après qu'il fut mort, les peuples lui donnèrent le surnom de Zeus, c'est-à-dire vivant, parce qu'il avait enseigné aux hommes à bien vivre. Ils le placèrent dans le ciel par une distinction qui partait de leur reconnaissance, et lui déférèrent le titre de dieu et de seigneur éternel de tout l'univers. Voilà en abrégé ce que les Atlantes racontent de leurs dieux.

(1) Comme Diodore lui-même fait la remarque que ce récit est contraire aux traditions des Crétois , la circonstance qu'il est question ici de dix fils semble indiquer que la scène de cette tradition a été transférée en Crète de l'ile d'Atlantide , laquelle fut divisée , comme il a déjà été dit , entre les dix fils de Neptune ou Poseidon. Cela posé , on voit que l'Atlantide, ou peut-être plus correctement la plaine qui s'y trouvait, portait aussi le nom d'Idara ; nous retrouvons ainsi dans l'Atlantide , non-seulement les châteaux superbes des dieux de la mythologie scandinave , mais aussi la plaine d'Ida , où les dieux tenaient conseil. Comme l'existence réelle de l'Atlantide ne souffre aucun doute , cette double conformité donne nécessairement matière aux conjectures les plus intéressantes.

(1) II semble qu'il soit question ici de la guerre dépeinte par Hésiode dans le fragment que nous avons cité de la Théogonie. Le poète y fait usage dos couleur les plus vives , tirées sans doute de quelque description inconnue de cette révolution de la nature ù laquelle nous sommes si souvent ramenés dans le cours de ce travail.

 

CHAPITRE XI.

HYPOTHÈSE QUE BABEL OU BABYLONE, MENTIONNÉE DANS LA BIBLE, A EXISTE AVANT LE DÉLUGE , ET QUE LES IMAGES DE L'APOCALYPSE ONT ÉTÉ TIRÉES DE LA CATASTROPHE DU DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE, SURTOUT DE LA RUINE DE CETTE VILLE, QUI FUT DÉTRUITE LORS DE CETTE CATASTROPHE.

 

Rappelons-nous d'abord ce qui a été précédemment démontré : savoir, que déjà avant le déluge la civilisation a dû être assez avancée, et qu'elle a en partie été anéantie lorsque, suivant mon hypothèse, notre globe s'est tourné pour qu'un nouvel ordre de choses plus élevé s'y développât. Maintenant, et ceci rappelé, quoiqu'il faille sans doute faire une ample part a la fable dans les anciens récits de l'Atlantide, dont je viens de citer les plus importants, nous serons forcés de reconnaître qu'ils sont cependant conformes à la vérité en ce qu'ils contiennent d'essentiel. C'est ce qui est confirmé non-seulement par les données que renferme déjà cet ouvrage, mais encore par d'autres qui ne sont pas moins remarquables. Nous avons vu que Bérosos met Babylone au nombre des villes antédiluviennes, puisqu'il raconte qu'elle fut rebâtie après cette catastrophe : ce trait m'a fait supposer que l'Apocalypse de saint Jean, qui rapporte le renversement de Babylone par une terrible catastrophe, est basée sur un événement historique, et des recherches plus approfondies ont confirmé cette hypothèse d'une manière étonnante. Sans aborder les questions tant débattues par les théologiens sur l'auteur de l'Apocalypse, sur son but, sur le sens qu'il faut donner à ses descriptions, il suffira de remarquer ici que plusieurs raisons me font révoquer en doute le point important : l'auteur de ce livre, tout en révélant sa propre personnalité d'une manière extraordinaire (1), a un esprit sectaire et des opinions chiliastiques ou millénaires qui s'opposent à la doctrine tolérante et sublime de Jésus-Christ ; il ne me parait donc pas pouvoir être le même que le disciple favori de ce dernier, le modeste, le pieux et aimable saint Jean. Il m'est, au reste, d'autant mieux permis d'omettre ces questions que, dans ma conviction intime, une vérité plus sublime se cache derrière les figures étranges et fantastiques des prophéties de l'Apocalypse. Cette vérité, nous la retrouvons ailleurs dans le nouveau, et en partie dans l'ancien Testament, sous une forme beaucoup plus simple et plus pure : cette vérité qui s'accomplira un jour, quand l'heure sera venue, c'est-à-dire quand la création, dans la suite des siècles, aura atteint son dernier développement. Je me bornerai ici à faire observer, que l'Apocalypse de saint Jean a été écrite après la naissance de Jésus-Christ; que, par conséquent, les traditions mythologiques et les opinions philosophiques dont l'origine est de beaucoup antérieure à la naissance de ce dernier, mais qui ressemblent à celles de l'Apocalypse, ne peuvent pas avoir été tirées de celle-ci; qu'il semblerait donc plutôt que ce soit l'auteur de l'Apocalypse qui ait puisé dans ces anciennes sources. En retranchant de ce livre tout ce qui s'y trouve d'incompréhensible pour la raison, et qu'il faut laisser aux rêveries d'une imagination malade, il nous reste, sans aucune

(1) Chap. 1,9, Mot, jean , qui suis votre frère et qui ai part avec voue à l'affliction et au règne et à la patience de Jésus-Christ, j'étais dans l'île appelée Patmos , pour la parole de Dieu et pour le témoignage de Jésus-Christ.

transposition arbitraire du texte, une description toute naturelle du renversement de Babylone par le déplacement d'axe que j'ai tâché de prouver. Il n'est pas difficile de croire qu'une telle révolution ait été accompagnée de tremblements de terre redoublés, d'éruptions volcaniques, d'orages, de la plus violente lutte des éléments et de toutes les autres calamités mentionnées dans cette prophétie. Mais nous retrouvons la description de cette même catastrophe , avec les mêmes couleurs fortes, dans la mythologie et les traditions des plus anciens peuples; et les traits principaux que nous en a conservés l'Apocalypse, ont un rapport si frappant avec ces mythes et ces traditions, qu'on ne peut guère douter de la justesse de l'hypothèse, savoir, que l'auteur inspiré de l'Apocalypse s'est servi, pour les images de ses prophéties, d'un ancien document apparemment persan ou chaldéen, peut-être du livre, mentionné par lui-même d'une manière allégorique, où le renversement de Babylone était décrit et d'où des passages entiers semblent avoir été tirés. Cette hypothèse devient encore plus vraisemblable si l'on considère la manière dont les plus importants peuples de l'antiquité, c'est-à-dire les Égyptiens, les Indiens et les plus anciens Scandinaves, s'imaginaient que le monde devait périr et se renouveler. La description du bouleversement du monde que la prophétesse scandinave Vala a sans doute tirée d'une catastrophe réelle, ressemble non-seulement à la tradition du bouleversement de l'Atlantide, mais aussi aux figures de la révélation du bouleversement du monde. Dans les descriptions que plusieurs des philosophes égyptiens, indiens et grecs, nous ont laissées de cette même catastrophe, nous retrouvons également l'idée, développée surtout dans la prophétie de la Vala et dans l'Apocalypse, savoir, que le monde périra et se renouvellera un jour de la même manière qu'il a déjà péri et s'est renouvelé; c'est-à-dire qu'un petit nombre d'hommes vertueux, qui auront été sauvés de la destruction presque commune, vivront dans des rapports plus favorables sur une nouvelle terre (en d'autres termes, sur une nouvelle surface du globe), et sous un nouveau ciel (en d'autres termes, sous une nouvelle partie du firmament). Une interprétation correcte du onzième chapitre de la Genèse nous apprend de même que Babylone ou Babel, comme dit la Bible, a été fondée déjà avant le déluge. Il est assez connu que la Genèse se compose de plusieurs fragments réunis dans un ordre qui n'est pas le meilleur. Il ne faut donc pas s'étonner si, par une méprise, le récit de la fondation et de la destruction de la ville de Babylone se trouve placé après celui du déluge, quoique, en suivant l'autorité de Bérosos, il eût dû précéder. L'hypothèse que Babylone était antérieure au déluge gagne en vraisemblance, si l'on considère que dans le onzième chapitre, après avoir mentionné Babylone, l'auteur parle de Seul et dit qu'il engendra Arpacsçad deux ans après le déluge. Or, comme Sem vivait du temps du déluge, il semble qu'il faille rapporter toute la première partie du même chapitre à un temps qui précédait le déluge. Une telle interprétation se justifie aussi par cette circonstance que, suivant le même chapitre, les hommes (c'est-à-dire la race caucasienne) qui, avant la destruction de Babylone, parlaient une même langue, parlèrent des langues diverses après cette catastrophe, ce qui ne fut qu'une suite naturelle de leur dispersion sur toute la terre. En admettant que la destruction de Babylone, mentionnée dans le même chapitre, est arrivée après le déluge, nous tombons dans plusieurs contradictions: d'abord, comme l'a clairement prouvé Rask, sous un point de vue linguistique, parce que les noms de Sem et d'Arpacsçad, qui sont d'une dérivation toute différente, supposent deux langues toutes différentes; ensuite, parce que la Genèse (X, 5) mentionne le partage des iles des nations chacune selon sa langue , déjà pendant la deuxième et la troisième génération après le déluge. Ajoutez encore que, selon des relations arabes, Babylone a été bouleversée et rebâtie »ne fois auparavant, ce qui s'accorde avec le rapport de Bérosos que Babylone, renversée du temps du déluge, fut rebâtie après. Si enfin l'assertion qui se trouve dans le Westminster-Review d'avril 1842 est fondée; savoir que les figures de la révélation de saint Jean sont tirées uniquement de temples et de monuments égyptiens, on en peut recueillir un nouveau témoignage de l'existence antédiluvienne de Babylone. Il est donc permis d'admettre que la Babylone mentionnée dans l'Apocalypse a été anéantie par la catastrophe du déplacement d'axe, et cette hypothèse est confirmée d'une manière frappante par le rapport intime des images du nouveau et de l'ancien Testament avec les mythes et les traditions des anciens. Ceci est d'autant plus intéressant que vraisemblablement cette Babylone fut la ville la plus importante de l'État moderne des dieux (celui des Élohim ou des Élymées), qui semble avoir été, après celui des Atlantides, le plus puissant des États avant le déluge. Que le lecteur en juge lui-même!

 

RÉVÉLATION DE SAINT-JEAN.

 

Chapitre 6. — 12. Et je regardai, lorsque l'Agneau eut ouvert le sixième sceau; et il se fit un grand tremblement de terre; et le soleil devint noir comme un sac fait de poil, et la lune devint comme du sang.

(Voir la prophétie de la Vala, XII, 36, et XIV, 51, où il est dit que le soleil s'obscurcit et qu'un fils de Fenris ou des ténèbres engloutit la lune.)

14. Et le ciel se retira comme un livre que l'on roule ; et tontes les montagnes et tontes les îles furent ébranlées de leur place.

(Rappelons-nous ici le mouvement apparent du ciel ou du firmament, les violents phénomènes d'élévation et d'affaissement qui nécessairement ont dû avoir lieu pendant cette catastrophe, lesquels sont aussi mentionnés dans le mythe du combat des dieux et des Titans, dans la tradition de Platon sur l'Atlantide et dans la prophétie de la Vala, etc.)

15. Et les rois de la terre, les grands du monde, les riches, les capitaines et les puissants, tous les esclaves, et toutes les personnes libres se cachèrent dans les cavernes et dans les rochers des montagnes.

(Nous voyons dans ce verset que les hommes, chassés de leurs demeures par les tremblements de terre, ont été obligés, surtout par l'inondation, de se réfugier dans les montagnes, ce qui est confirmé non-seulement par la tradition de Platon sur l'Atlantide, mais aussi par l'intéressante relation de Josèphe (I, 3-6) tirée de Nicolas de Damasque, selon laquelle beaucoup d'hommes se retirèrent sur une grande montagne, Baris, dans l'Arménie, où ils furent sauvés. (Voir la prophétie de la Vala, XIV, 50 : a Alors tous les hommes quitteront leur demeure. » )

Chapitre 8. — 1. Il se fit un silence dans le ciel.

(Voir le mythe du combat des dieux et des Titans : « Tout d'un coup le combat cessa. »)

7. Il y eut une grêle et du feu mêlés de sang, qui tombèrent sur la terre; et la troisième partie des arbres fut brûlée, et tout ce qu'il y avait d'herbe verte.

(Le nombre trois qui joue, comme on sait, un très-grand rôle chez plusieurs peuples de l'antiquité, est sans doute employé ici pour un nombre indéterminé. D'ailleurs, il est question de cet incendie de forêts non-seulement dans le mythe du combat des dieux et des Titans, et dans celui de Phaéton , contenant, comme je l'ai déjà montré, une description poétique du bouleversement de l'Atlantide, mais aussi dans les traditions celtiques et dans la prophétie de la Vala.)

8. On vit comme une grande montagne tonte en feu, qui fut jetée dans la mer.

(Ceci fait penser aux énormes rochers lances par les géants selon la mythologie grecque.)

9. Et la troisième partie des créatures qui étaient dans la mer, et qui avaient vie, mourut; et la troisième partie des navires périt.

10. Et il tomba du ciel une grande étoile, ardente comme un flambeau ; et elle tomba sur la troisième partie des fleuves et sur les sources d'eau.

(Cette image d'une étoile tombée du firmament ainsi que l'image d'autres étoiles tombant aussi du firmament, et mentionnées dans l'Apocalypse, semble avoir été tirée de la mythologie persane qui attribue le déluge à la chute d'une étoile. Voyez aussi la prophétie de la Vala, XIV, 51, où il est dit que les étoiles resplendissantes disparurent du ciel. Ces passages, qui parlent à plusieurs reprises d'étoiles tombant du firmament, sont très-caractéristiques; car il est clair que le déplacement d'axe ayant fait disparaître du ciel une partie des constellations jusque-là connues, les hommes d'alors, dont les lumières étaient très-bornées, et qui regardaient la terre comme immobile, durent nécessairement croire que les étoiles étaient tombées, ou, pour me servir de l'expression du mythe du combat des dieux et des Titans, que la voûte du ciel, c'est-à-dire le firmament, s'était abaissée, s'était écroulée; ou, pour me servir des expressions de l'Apocalypse même, que le ciel s'était retiré comme un livre que l'on roule.)

11. Et le nom de cette étoile était Absinthe, et la troisième partie des eaux fut changée en absinthe, et elles firent mourir un grand nombre d'hommes parce qu'elles étaient devenues amères.

(Il est tout naturel que l'eau fût corrompue en plusieurs endroits par les terribles tremblements de terre qui devaient accompagner le déplacement d'axe. Vous en avons aussi

une preuve en miniature, mais très-intéressante, dans le tremblement de terre du 3 avril 1841, qui a déterminé la corruption des eaux d'un puits dans le duché de Schleswig. Le bouleversement de Sodome et de Gomorrhe et la formation du lac Asphaltite confirment encore cette opinion.)

12. Et la troisième partie du soleil fut frappée, aussi bien que la troisième partie de la lune, et la troisième partie des étoiles; de sorte que cette troisième partie étant obscurcie, le jour aussi bien que la nuit perdit le tiers de sa lumière.

(La mythologie des Scandinaves a aussi son Ragnoro-kur crépuscule, et les traditions égyptiennes et chinoises racontent que, pendant le déluge, régnait un chaos où les jours et les nuits se confondaient.)

Chapitre 9. — 2. Et il ouvrit le puits de l'abîme; et il monta du puits une fumée, comme la fumée d'une grande fournaise; et le soleil et l'air furent obscurcis de la fumée du puits.

11. Et elles avaient pour roi l'ange de l'abîme, appelé en hébreu, Abbaddon, et en grec, Apollyon.

(Quoique les images de guerre et de peste soient tellement entremêlées au chap. IX de l'Apocalypse qu'on ne puisse les distinguer les unes des autres, le verset 8 du chap. VI nous prouve néanmoins que l'auteur de l'Apocalypse considère la guerre et la peste comme appartenant nu dernier jour. Il est très-probable que les peuples se soient fait la guerre pendant la terrible catastrophe du déluge qui dura à peu près une année, et cette hypothèse se trouve confirmée par la prophétie de la Vala et la mythologie des Celtes. Qu'aussi la peste ait régné à cette même époque, c'est une chose très-vraisemblable. Ainsi les Grecs ont attribué ce fléau à Apollon, le soleil personnifié, ce qu'on peut voir chez Homère au commencement de l'Iliade, où le prêtre Calchas attribue nu courroux d'Apollon la peste qui régnait nu camp des Grecs devant Troie; et Pausanias raconte ( lib. I, cap. 38; conf., lib. IX, cap. 5), que les anciens habitants de Thèbes, les Hectèncs, ainsi que leur roi Ogyges, qui, selon la relation de larron (de Re rustica, lib. III, cap. 1.), vivait du temps de la grande inondation, périrent par une maladie pestilentielle. Il semble donc que les anciens aient attribué au soleil la cause de la peste et des autres calamités du déluge, parce qu'ils voyaient qu'il avait changé de place dans le firmament. Cette idée est aussi cachée dans le mythe de Phaéton.)

15. Aussitôt furent déliés les quatre anges (sur le grand fleuve d'Euphrate) qui étaient prêts pour l'heure, le jour, le mois et l'année, afin de tuer la troisième partie des hommes.

(On voit que les quatre éléments sont personnifiés ici comme des anges. Ce passage est d'autant plus important, qu'il nous fait connaître que le combat des éléments dura à peu près aussi longtemps que le déluge selon la relation mosaïque, c'est-à-dire a peu près une année.)

18. La troisième partie des hommes fut tuée par ces trois choses; savoir, par le feu, par la fumée et par le soufre.

20. Et le reste des hommes qui ne furent pas tués pinces plaies ne se repentit pourtant pas des œuvres de leurs mains, pour cesser d'adorer les démons et les idoles d'or, d'argent, d'airain, de pierre et de bois, qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher.

(Il semble qu'on retrouve ici, sous une forme chrétienne, les dii, les dives, les devs ou les démons du Zendavesta.)

21. Ils ne se repentirent pas non plus de leurs meurtres, ni de leurs empoisonnements, ni de leurs impudicités, ni de leurs voleries.

(On reconnaît ici la dépravation générale qui régnait du temps du déluge. Voyez la relation mosaïque, la tradition de l'Atlantide, ainsi que la mythologie Scandinave et celtique.)

Chapitre 11. — 13. A cette mi1 me heure il se fit un grand tremblement de terre; et la dixième partie de la ville tomba, et sept mille hommes furent tués dans ce tremblement de terre; et les autres furent effrayés.

( On voit ici le nombre des hommes qui périrent par un des tremblements de terre réitérés, et, quoiqu'on ne puisse se fier au nombre, l'indication définie n'en est pas moins remarquable. Que des tremblements de terre aient eut lieu à plusieurs reprises pendant cette catastrophe, c'est ce qui est dit expressément dans la tradition de l'Atlantide.)

19. Et il se fit des éclairs, et des voix, et des tonnerres, et un grand tremblement de terre, et il y eut une grosse grêle.

Chapitre 12. — 18. Et je me tins sur le sable de la mer.

(Ce passage semble faire allusion au niveau changé des terres.)

Chapitre 14. — 5. Car ils sont sans tache devant le trône de Dieu.

(Ici l'Apocalypse parle des vertueux, qui seront sauvés. C'étaient aussi les vertueux, qui furent sauvés du déluge. Voyez, par exemple, Genèse, VI, 9 : « Noé fut un homme juste et plein d'intégrité en son temps, marchant avec Dieu. » La même idée, que ce ne sont que les pieux qui seront sauvés, est exprimée non-seulement dans la mythologie Scandinave et celtique, mais aussi dans la doctrine de Zoroastre, qui dit que le torrent de feu sera pour eux comme du lait tiède sans leur faire de mal.)

8. Elle est tombée, elle est tombée, Babylone, cette grande ville.

Chapitre 16. — 2. Et les hommes qui avaient la marque de la bête, et ceux qui adoraient son image, lurent frappés d'un ulcère malin et dangereux.

(Il faut sans doute entendre par la bête, Jupiter, Bélos ou Baal, dont le culte, avant la conquête de Babylone par les Perses (538 ans avant Jésus-Christ), était célébré avec beaucoup de pompe.)

8. Et il lui fut donné (au soleil) de tourmenter les hommes par le feu.

(Ce passage, aussi bien que le mythe de Phaéton, attribue directement au soleil les phénomènes volcaniques que la tradition de l'Atlantide explique par la déclinaison du soleil de son écliptique.)

9. Et les hommes furent brûlés par une chaleur excessive, et ils blasphémèrent le nom de Dieu.

12. Le sixième ange versa sa coupe sur le grand fleuve de l'Euphrate, et l'eau de ce fleuve tarit, pour préparer le chemin des rois qui devaient venir d'Orient.

(Ce passage semble s'appliquer aux conquérants perses, Cyrus et ses successeurs.)

18. Et il se fit des bruits, des tonnerres, des éclairs et un tremblement de terre, un si grand tremblement qu'il n'y en eut jamais de pareil, depuis qu'il y a des hommes sur la terre.

19. Et la grande ville (Babylone) fut divisée en trois parties ; les villes des nations furent renversées.

(Parmi les villes détruites par le déluge étaient Hénoch (selon la Genèse), Babylone, Pantibla, Sippara, Larangcha (selon Bérosos), Thèbes et Athènes (selon les traditions égyptiennes et grecques), et Is (selon les traditions celtiques.)

20. Et toutes les îles s'enfuirent, et les montagnes ne furent plus trouvées.

(Qu'on se rappelle les îles Fortunées, qui ont disparu, et l'Atlantide, qui a été submergée,)

21. Et il tomba du ciel, sur les hommes, une grosse ; grêle du poids d'un talent; et les hommes blasphémèrent Dieu, à cause du 1léau de la grêle, parce que la plaie qu'elle causa fut fort grande.

(Se rappeler les hivers de la mythologie scandinave.)

Chapitre 17. — II. Et la bête, qui était et qui n'est plus, elle vient des sept.

(Selon les opinions des Égyptiens et des Babyloniens, Jupiter, Baal ou la bête était une des sept grandes divinités. En disant que la bête était, mais qu'elle n'est plus, l'Écriture prouve que cette image est tirée d'une catastrophe passée.)

12. Et les dix cornes que tu as vues, sont dix rois.

(Il y a eu, selon Bérosos, dix rois à Babylone, d'Oros jusqu'à Xisuthros, sous le règne duquel cette catastrophe - a eu lieu. Or, selon la Bible, le nombre des Adamites, c'est-à-dire d'Adam jusqu'a Noé, fut aussi de dix, remarquable conformité do nombre qui prouve que l'Apocalypse s'est servie des images tirées du déluge.)

Chapitre 18. — 2. Elle est tombée, elle est tombée, la grande Babylone, et elle est devenue la demeure des démons , et le repaire de tout esprit immonde, et de tout oiseau immonde et duquel on a horreur.

(Ce passage nous rappelle non-seulement les doctrines persanes à l'égard des oiseaux mondes et immondes, mais aussi la doctrine triomphante de Zoroastre, qui regardait les anciennes divinités babyloniennes, les Dii ou les Dives, les Élohim, comme des démons et des esprits immondes.)

8. C'est pourquoi ces plaies, la mortalité, le deuil et la famine viendront en un même jour, et elle sera consumée par le feu.

(Il est clair que ce passage mentionne ce même détail d'un jour, qu'on retrouve dans la tradition de l'Atlantide dans les mythes de Phaéton et du combat des dieux et des Titans. Mais, comme plusieurs tremblements de terre et autres phénomènes de la nature ont causé le bouleverse

mont de Babylone et de l'Atlantide, il semble que le jour et l'heure nommés peu après indiquent la catastrophe principale. L'embrasement par le feu n'est pas moins à noter.)

9. Et les rois de la terre, qui se sont souillés, et qui ont vécu dans les délices avec elle, pleureront et se frapperont la poitrine, lorsqu'ils verront la fumée de son embrasement.

(La tradition de l'Atlantide parle aussi des divers rois qui étaient alliés et amis de l'État principal détruit.)

10. Ils se tiendront loin, dans la crainte de son supplice, et ils diront : Hélas! hélas ! Babylone, la grande ville, ville puissante, comment ta condamnation est-elle venue en une heure?

11. Les marchands de la terre pleureront aussi et se lamenteront à son sujet, parce que personne n'achètera plus leurs marchandises.

12. Leur marchandise d'or et d'argent, de pierres précieuses, de perles, de fin lin, de pourpre, de soie, d'écarlate, toute sorte de bois odoriférant, toute sorte de meubles d'ivoire et de bois très-précieux, d'airain, de fer et de marbre.

13. Du cinnamome, des parfums, des essences, de l'encens, du vin, de l'huile, de la fleur de farine, du blé, des bêtes de charge, des brebis, des chevaux, des esclaves et des Âmes d'hommes.

15. Des marchands de toutes ces choses, qui se sont enrichis avec elle, se tiendront loin d'elle, dans la crainte de son supplice, pleurant et menant deuil.

16. Hélas, hélas! diront-ils, cette grande ville, qui était vêtue de fin lin, de pourpre et d'écarlate, et qui était toute brillante d'or, de pierreries et de perles. Comment tant de richesses ont-elles été détruites en une heure?

17. Tous les pilotes aussi, tous ceux qui sont sur les vaisseaux, les matelots et tous ceux qui trafiquent sur la mer, se tiendront loin d'elle.

(Ici, de même qu'en plusieurs autres endroits, le texte grec porte l'imparfait, ce qui rend encore plus probable que les images ont été tirées d'une catastrophe passée, savoir, du déluge.)

18. Et voyant la fumée de son embrasement, ils s'écrièrent, en disant : Quelle ville était semblable à cette grande ville?

19. Ils mettront de la poussière sur leurs têtes, et crieront en pleurant et en se lamentant, et diront : Hélas! hélas ! cette grande ville, dans laquelle tous ceux qui avaient des vaisseaux sur mer s'étaient enrichis de son opulence, comment a-t-elle été réduite en désert en une heure?

(Cette description de ces produits précieux du luxe, de la navigation et du commerce de la ville de Babylone, est la même que celle qui est faite des villes atlantiques détruites.)

Chapitre 19. — 20. Ils furent tous deux jetés vifs dans l'étang ardent de feu et de soufre.

(On retrouve ici le torrent de feu de la doctrine des Perses.)

Chapitre 20. — 3. Et il le jeta dans l'abime; il l'y enferma, et le scella sur lui; afin qu'il ne séduisît plus les nations, jusqu'à ce que les mille ans fussent accomplis; après quoi il faut qu'il soit délié pour un peu de temps.

(La doctrine des mille ans dont s'occupe le chapitre vingtième est empruntée tout entière aux croyances religieuses des Perses, dans lesquelles il est question de l'heureux règne millénaire attendu d'Ormudz, mais elle est tout à fait étrangère à la pure doctrine de Jésus-Christ.)

13. Et la mer rendit les morts qui étaient en elle; la mort et le sépulcre (l'enfer) rendirent aussi les morts qui y étaient.

(D'après ce que j'ai montré auparavant, on ne peut guerre douter que l'Apocalypse ne parle ici des hommes noyés dans le déluge, et que le sépulcre, l'enfer, ne soient ici une périphrase pour désigner les lieux bouleversés par les phénomènes volcaniques.)

Chapitre 21. — 1. Je vis ensuite un ciel nouveau et une terre nouvelle; car le premier ciel et la première terre étaient passés, et la mer n'était plus.

(Ce passage fait allusion : aux nouvelles constellations qui se montrèrent dans le firmament par suite du déplacement de l'axe du globe ; à la nouvelle surface du globe bouleversé par les différentes révolutions; et à la mer qui s'était retirée de son ancien lit.)

10. Et il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me montra la grande cité, la sainte Jérusalem.

12. Elle avait une grande et haute muraille.

16. La ville était bâtie en carré, et sa longueur était égale à sa largeur.

Chapitre 22. — 1. Après cela l'Ange me fit voir un fleuve d'eau vive, claire comme du cristal.

2. Et au milieu de la grande place de la ville et sur les deux bords du fleuve était l'arbre de vie.

(Ce passage nous apprend qu'un fleuve parcourait la ville, et en comparant cette description de la Jérusalem nouvelle avec Babylone, décrite chez Diodore de Sicile, II, 7, sqq., et chez Hérodote, I, 178, sq., on aperçoit une ressemblance remarquable entre ces deux villes. Toutes deux étaient bâties en carré, de sorte que la longueur était égale à la largeur; toutes deux étaient environnées d'une haute muraille et divisées par un fleuve. L'image de la nouvelle Jérusalem semble donc avoir été tirée de l'ancienne Babylone historiquement connue, c'est-à-dire de Babylone rebâtie après le déluge.)

En comparant les traditions et les mythes déjà cités, les prophéties du bouleversement et du renouvellement du monde que contiennent les mythologies celtique et scandinave, avec les images de la révélation, le lecteur non préoccupé comprendra facilement que le déluge, quelle qu'en ait été la cause, a été accompagné des plus violents phénomènes volcaniques, mais que jusqu'à présent on a eu des idées tout à fait vagues sur cette catastrophe, parce qu'on a expliqué d'une manière toute fausse l'Écriture et surtout la relation mosaïque, qui ne s'occupe que des phénomènes diluviens de cette catastrophe. Il y a encore une autre circonstance qui sans doute a beaucoup contribué à faire persister les savants dans cette fausse opinion et à leur faire négliger l'idée que l'auteur de la révélation ait emprunté ses images à lu catastrophe du déluge. En jetant seulement un coup d'œil fugitif sur les figures de l'Apocalypse, on est tenté de croire que celle-ci ne parle point des inondations de la mer, mais seulement des phénomènes volcaniques, ou, pour me servir des paroles de l'Écriture même, qu'elle mentionne seulement la destruction du monde par le feu. Cependant il n'y a aucun doute que les anciens n'aient cru que les plus terribles inondations accompagneront cet embrasement du monde. C'est ainsi que la prophétie de la Vala, dont la conformité avec l'Apocalypse est évidente, dit que la terre s'engloutira dans le sein de lu mer et en ressortira ensuite, et plusieurs images de l'Apocalypse, le témoignage de Jésus-Christ confirment cette opinion. Plusieurs figures de la révélation, surtout le verset 13 du chapitre XII, et le premier verset du chapitre XXI, semblent indiquer que la mer, après avoir quitté son ancien lit, s'en est creusé un nouveau ; le verset 13 du chapitre XX semble même parler des hommes noyés dans le déluge. Non-seulement Jésus-Christ assure (Matth,.,XXIV, 37-41; Luc, XVII,26-27) que, lors de l'avénement du fils de l'homme, il y mira les mêmes phénomènes qu'aux jours de Noé; mais il renvoie aussi (Marc, XIII, 14; Matthieu, XXIV, 15) au prophète Daniel, qui (IX, 26) dit expressément que, lors du bouleversement du monde, une inondation aura lieu. En outre, plusieurs expressions de Jésus-Christ lui-même prouvent clairement que celui-ci a pensé à l'inondation, qui, considérée sous le point de vue géologique, ne peut être séparée de cette catastrophe. Ainsi il conseille (Marc, XIII, 14-15; Luc, XVII, 31) aux hommes de s'enfuir sur les montagnes et de ne point descendre de leurs maisons, conseil qui n'est applicable qu'en cas d'inondation. Nous trouvons encore un passage caractéristique chez Luc, XXI, 25, où il est dit : qu'on verra des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles, et que les peuples seront dans la consternation sans savoir ce qu'ils deviendront, la mer et les flots faisant un grand bruit.

D'après tous les témoignages déjà cités, il n'y a, a mon avis, aucun doute que, pour faire mieux comprendre ses vérités à tout le monde, la Bible n'ait tiré du déluge les images dont elle se sert dans l'Apocalypse, ainsi qu'en plusieurs autres parties de l'ancien et du nouveau Testament, pour dépeindre l'avènement de Jésus-Christ, le jour du Seigneur, le dernier jour de l'enfer (1); Matthieu, XXIV, 37, et Luc, XVII, 26, semblent le confirmer clairement (2).

(1) Voir Matth. , chap. XXIV ; Marc , chap . XIII ; Luc , chap . XXI , 25 , sq.; Ile épître de saint Pierre , III , 10 ; Abdias , v. 15 ; Isaïe , II , 10.

(2) Mais comme il en était dans les jours de Noé , il en sera de même à l'avènement du fils de l'homme. Et ce qui arriva du temps de Noé, arrivera de même quand viendra le fils de l'homme.

On ne peut douter non plus que les hommes qui vivaient au temps de Jésus-Christ, surtout les Juifs dont les ancêtres avaient vécu dans l'exil à Babylone, n'aient entendu parler de cette catastrophe ; mais la connaissance des détails s'est perdue plus tard, de même que celle de beaucoup d'autres événements qui ont joué un rôle important dans l'histoire du développement universel. Cette vérité sera d'autant plus évidente, si l'on considère qu'il n'est nulle part question d'une destruction totale du monde, mais seulement de son renouvellement, ou d'un nouveau ciel, c'est-à-dire de l'apparition d'une nouvelle partie du firmament et d'une nouvelle terre, d'un globe dont la surface aura été modifiée, et où les justes, échappés à la mort, mèneraient une vie plus heureuse (1). Considérées sous un point de vue historico-géologique, ces images sont d'un grand intérêt, parce que non-seulement nous sommes obligés de reconnaître que, dans le cours des temps, le développement progressif du globe doit nécessairement amener son bouleversement, prédit dans l'Écriture, mais aussi parce qu'elles nous permettent de jeter un regard sur l'antiquité la plus reculée et de saisir la lumière de la vérité en dispersant des ténèbres jusque-là impénétrables. Plus cette lumière éclate, plus elle nous montre la toute-puissance, la sagesse et la bonté de Dieu, qui arrache à l'homme orgueilleux l'aveu sincère, que dans sa faiblesse il ne lui reste qu'à recourir à la miséricorde infinie, à l'amour sans bornes de l'Être suprême, qui lui a donné la sainte doctrine de Jésus-Christ pour le guider dans la route du perfectionnement.

(1) Et si le Seigneur n'avait abrégé ces jours-là , personne n'échapperait ; mais il a abrégé ces jours , à cause des élus qu'il a choisis.

Les images dont se sert l'auteur de l'Apocalypse confirment donc que Babylone fut détruite par le déluge. Il y a une autre circonstance qui les rend encore plus intéressantes : c'est qu'elles servent à confirmer l'hypothèse établie et bien fondée, qu'un assez haut degré de civilisation a régné déjà avant le déluge, mais qu'à cette époque le genre humain était, comme nous l'enseignent la Bible et les traditions profanes, si dépravé, que le Souverain de l'univers le fit en très-grande partie périr par une catastrophe ; celle-ci avait été préparée graduellement ; elle était nécessaire pour que l'homme purifié et corrigé fût susceptible d'un développement nouveau et plus élevé. Tout en reconnaissant dans cette catastrophe, que l'auteur de l'Apocalypse nous peint avec des couleurs aussi terribles que vraies, un de ces grands moments où le Créateur est intervenu d'une manière plus directe et inconcevable dans les événements de ce genre, je crois encore devoir appeler l'attention du lecteur sur une image remarquable de la révélation attribuée à saint Jean.

Dans le verset 15 du chapitre IX, il est dit : que les quatre anges (les quatre éléments) furent déliés, lesquels étaient prêts pour l'heure, le jour, le mois et l'année, afin de tuer la troisième partie des hommes. Ceci semble indiquer, comme je l'ai déjà fait observer, que la catastrophe a duré à peu près une année. Or, rappelons-nous : 1° que la narration mosaïque fixe justement à une année la durée du déluge; 2° que le combat des dieux et des Titans a duré au moins pendant dix mois; 3° que la doctrine de l'Edda et la mythologie celtique font précéder le bouleversement du monde par trois hivers consécutifs, qui représenteront à peu près l'espace d'une année, en supposant que nos ancêtres aient vécu sous un climat beaucoup plus doux que celui qui règne actuellement dans la Scandinavie et en France; 4° que les allusions à cette catastrophe chez le prophète Daniel, comparées avec les passages de saint Marc, XIII, 14, et de saint Matthieu, XXIV, 25, fixent la durée de la catastrophe à soixante-deux semaines ; 5° et enfin, que les plus célèbres philosophes, comme Platon, Aristote, Bérosos, fixent également sa durée à une année (un été et un hiver). Nous avons ainsi, sous les formes les plus variées, six témoignages au moins de la circonstance souvent mentionnée, que les phénomènes de la nature causés par le déplacement d'axe ont continué pendant à peu près une année. Ces données confirment par là l'hypothèse, que la catastrophe du déplacement d'axe s'est opérée, relativement parlant, avec beaucoup de lenteur, ce qui dut être nécessaire pour qu'une partie des hommes pût trouver l'occasion d'échapper à ce danger imminent.

 

CHAPITRE XII.

LES SYSTÈMES ASTRONOMIQUES, PHILOSOPHIQUES ET RELIGIEUX DES ANCIENS SONT BASES SUR L'IDÉE D'UNE NOUVELLE TERRE ET D'UN NOUVEAU CIEL (FIRMAMENT), OU, EN D'AITRES TERMES, SUR LA CATASTROPHE D'UN DÉPLACEMENT DE L'AXE DU GLOBE.

 

Ce qui caractérise les mythes rapportés ci-dessus et les figures dont se sert le nouveau Testament, c'est d'abord, sans contredit, leur conformité intérieure, puis la coïncidence remarquable des grands phénomènes volcaniques et diluviens qu'ils décrivent, ensuite l'allusion qu'ils font tous à un changement de position des corps célestes, ou, pour me servir de l'expression employée surtout dans l'Écriture, à un nouveau ciel.

C'est ainsi que le mythe de Phaéton désigne l'aberration du soleil de son écliptique. Le mythe du combat des dieux et des Titans nous montre le firmament profondément précipité ou abaissé après le déplacement d'axe. L'Edda nous rapporte que le soleil s'est levé jadis dans une autre région, et qu'après la destruction du monde apparaîtra un nouveau soleil, c'est-à-dire que le soleil se lèvera d'un autre côté. Plusieurs traditions, entre autres celles des Indiens, font, de même que l'Edda, mention d'un nouveau ciel, c'est-à-dire d'une autre partie du firmament. La tradition de L'Atlantide indique qu'une aberration des corps célestes de leur cours ordinaire a été étroitement liée aux terribles tremblements de terre et aux inondations. Mais c'est surtout l'Apocalypse qui, dépouillée des exagérations d'une imagination exaltée et d'erreurs manifestes provenant de l'impossibilité de se former une idée juste de cette catastrophe, c'est surtout l'Apocalypse, disons-nous, qui nous offre la description la plus naturelle des phénomènes causés par un déplacement d'axe. Elle nous enseigne comment le soleil et la lune se sont obscurcis, comment plusieurs étoiles connues ont disparu l'une après l'autre, comment les plus terribles tremblements de terre se sont succédé, comment des montagnes entières se sont élevées pendant que des îles ont disparu , comment la mer s'est changée en terre, comment, enfui, après que l'inondation eut reculé et que les éléments se furent apaisés, ont apparu un nouveau ciel, c'est-à-dire une autre partie du firmament avec de nouvelles constellations, et une nouvelle terre, c'est-à-dire une terre dont la surface avait été altérée et dont les rapports climatériques étaient changés.

Voilà ce que nous font connaître les allusions très-remarquables et nullement inintelligibles contenues dans les. traditions et les mythes les plus intéressants et les plus instructifs de l'antiquité ainsi que les images de l'Apocalypse, quant au bouleversement et au renouvellement du monde. Ce que nous apprenons de la sorte est continué par le peu de fragments qui nous restent des plus anciens systèmes astronomiques, religieux, philosophiques sur ce grand événement. J'ai déjà fait observer que l'ingénieux Platon a admis que cette révolution fut causée par une aberration des corps célestes de leur cours ordinaire, et que plusieurs des plus célèbres philosophes de la Grèce partageaient cette opinion. Aristote, par exemple, dit: « Vers la fin de la grande année, le soleil, la lune et les cinq autres planètes se rencontreront dans leur cours céleste. Alors l'hiver se transformera en une grande inondation, et l'été en un embrasement commun (1). Plusieurs raisons géologiques nous forcent à admettre qu'un obscurcissement fut lié à cette catastrophe, et nous trouvons eu effet que la doctrine de l'Edda et l'Apocalypse parlent toutes deux d'une éclipse de soleil. Mais comme, après cette éclipse, les hommes auront vu que le soleil et toutes les autres étoiles avaient changé de position dans le ciel, nous comprendrons ainsi ce que veut dire Xénophane quand il nous apprend qu'après plusieurs révolutions de la nature le soleil se tournera vers une contrée inhabitée de la terre, et, en la parcourant, se fera éclipser. Préoccupé des théories dominantes de nos jours, on a négligé jusqu'ici, avec une indifférence frappante, ces mots remarquables des philosophes grecs d'ailleurs si célèbres; et, sans connaître suffisamment l'histoire ancienne et la manière dont l'antiquité a saisi et expliqué de pareils phénomènes de la nature, on a été assez inconséquent pour accuser ces philosophes, dont on ne peut d'ailleurs assez louer l'érudition , des plus grosses absurdités, sans daigner examiner scrupuleusement si leurs assertions ne seraient point basées sur quelque vérité. Cette injustice est d'autant plus étonnante que nous retrouvons les mêmes opinions, quoique sous des formes différentes, chez les plus célèbres nations de l'antiquité.

(1) Voir Censorinus , De die natali. c. 18.

La tradition de l'Atlantide prouve que l'idée de Platon appartient originairement aux Égyptiens. Or, si nous rappelons que la doctrine des quatre âges, d'or, d'argent, de cuivre et de fer, séparés par de grandes révolutions de la nature et par une aberration du soleil et des étoiles (un nouveau ciel, un nouveau firmament), a sans doute été commune aux Indiens et aux Égyptiens, de qui elle est venue aux Grecs, nous comprendrons le sens des paroles des prêtres égyptiens quand ils prétendaient, selon le témoignage d'Hérodote, que, depuis que l'Égypte était dominée par des rois de race humaine, le soleil avait quatre fois changé de place dans le ciel: de sorte qu'il s'était levé deux fois où il se couche maintenant, et vice versa. Certainement cette assertion, qui n'est basée que sur quelques mythes et sur des idées astronomiques de ce temps, est à plusieurs égards fausse ; cependant elle est trop remarquable pour n'être pas fondée sur quelque événement réel. Cet événement a, selon moi, été la révolution mentionnée dans le présent ouvrage, car, après celle-ci, le soleil, qui jusqu'ici s'était levé du côté du nord ou du nord-ouest, a commencé à se lever à l'orient. Une autre tradition intéressante chez les Égyptiens, savoir, la tradition selon laquelle l'écliptique a jadis coupé l'équateur rectangulairement, semble tout à fait s'accorder avec ma théorie (1). Bailly tâche d'expliquer cette tradition en supposant que les Égyptiens ont connu le déplacement d'axe, à peu près imperceptible, qui s'opère encore maintenant, mais qu'ils n'ont pas connu la périodicité. Mais comment se représenter que les Égyptiens aient été en possession d'instruments astronomiques assez exacts pour observer cette petite aberration du soleil de son écliptique, dont nous venons de voir qu'il faut chercher la cause dans la nutation continuelle et périodique de l'axe du globe? Il est donc nécessaire d'admettre que la tradition selon laquelle l'écliptique a coupé l'équateur sous un angle droit repose sur un événement réel; et, à mon avis, cet événement ne peut être que le déplacement assez subit de l'axe du globe, ou, pour me servir de l'expression de Xénophane, la circonstance « que le soleil se tourna vers un autre pays, » événement qui n'a pu échapper à l'attention. La durée de

 

 

la catastrophe du déplacement d'axe a d'ailleurs été indiquée par les Égyptiens avec une exactitude à peu près astronomique. Cela est prouvé non-seulement par l'exactitude chronologique assez grande de la narration mosaïque du déluge, narration qui cependant ne contient, comme nous l'avons déjà vu, que la description du côté diluvien de la catastrophe, mais aussi par l'assertion de Ptosiris et Necepsos, deux astronomes égyptiens, qui nous apprennent qu'au quarante-cinquieme jour après le solstice le monde renaquit de sa cendre (1). De même que la mention de tremblements de terre dans la tradition de l'Atlantide et dans le mythe de Phaéton, cette assertion prouve du reste qu'originairement les Égyptiens ont aussi connu le côté volcanique de la catastrophe. Cette opinion est confirmée encore par le mythe égyptien de l'oiseau phénix, qui renaît toujours de sa cendre. Fréret a déjà fait observer que ce mythe n'est qu'une représentation allégorique 'de la destruction et du renouvellement périodique du monde, qui, suivant les idées des anciens, a lieu à de longs intervalles. Sans doute, une explication exacte des restes d'hiéroglyphes du temple de Denderah , sur lequel je reviendrai plus tard, prouvera une fois que les Égyptiens ont connu cette catastrophe diluvienne et volcanique beaucoup plus exactement qu'on ne le croit aujourd'hui, et que l'oubli du côté volcanique de l'événement est dû à une interprétation évidemment fausse des idées primitives.

(1) Je n'ai pu découvrir la source primitive de cette assertion , que Bailly répète plusieurs fois dans son Histoire de l'Astronomie des anciens (1, 203 , et II, 216), et qu'il dit avoir trouvée chez Hérodote. Je suppose que le passage se trouve chez quelque auteur classique , qui aura copié des manuscrits d'Hérodote qui n'existent plus.

(1) Julius Firmicus , III , 1 ; Fréret , Défense de la Chronologie , page 392.

Les doctrines des Indiens, dont la civilisation a tant de rapport avec celle des Égyptiens, prouvent encore plus clairement que les idées astronomiques de ceux-ci se rapportent à la ruine et au renouvellement du monde. Les Indiens supposent, d'après leurs livres sacrés, quatre âges du monde, dont la durée totale monte à 4,320,000 années. La première période, nommée l'âge d'or, ou celui de l'innocence, en contient 1,728,000; la seconde ou celui d'argent, 1,296,000 ; la troisième ou celui d'airain, 864,000, et la quatrième ou celui de fer (aussi nommé l'âge malheureux, caliyougan), 432,000. En adoptant l'hypothèse du professeur Rask, qu'aux temps les plus reculés on a donné le nom d'années aux jours, et que plus tard on a gardé cet usage dans les calculs astronomiques, ces chiffres prodigieux se laissent réduire à 120,000 années, ou pour chacun des différents âges du monde respectif à 48,000, à 36,000, à 24,000 et à 12,000 années, si on les divise par 360 ou le nombre de jours que contient une année composée de 12 mois lunaires. Or, Legentil (1) a déjà prouvé que ces chiffres et leur distribution, selon les quatre âges du monde, reposent sur un calcul astronomique, conformément au progrès des nœuds équinoxiaux. Selon lui, les Brahmanes supposent encore que le progrès des nœuds est annuellement de 54" ; mais cet espace de temps étant trop grand, ils ne fixent la durée de toute la période du soleil qu'à 24,000 ans. Voilà pourquoi ces quatre âges se laissent diviser par la moitié de la période ou 12,000 ans, dans la proportion de quatre, de trois, de deux et d'un. Par ces chiffres la philosophie indienne voulait, selon l'observation ingénieuse de Rhode (2), dans son essai sur l'âge du zodiaque, indiquer la décadence progressive du principe conservateur. Les Indiens regardaient la durée du monde, ou plutôt du globe, comme un combat entre le principe conservateur et le principe destructeur, et nous retrouvons la même idée chez Aristote, qui attribue à la terre différents âges : celui de la jeunesse, celui de la maturité, celui de la vieillesse ; idée entièrement en harmonie avec l'histoire du globe, qui, avant le déluge, semble avoir atteint le plus grand développement physique, mais qui, a partir de cette époque, semble vieillir et rétrograder, tandis que le genre humain marche sans discontinuer vers un plus grand développement intellectuel. On pourra donc comprendre pourquoi les philosophes indiens réglaient, dans la proportion progressive indiquée ci-dessus, la durée de ces quatre âges, de la réalité desquels les vedas sacrés ne leur permettaient pas de douter. Il ne reste donc que cette question : Pourquoi la durée de ces âges est-elle fixée dans une certaine proportion à la révolution du soleil? Ici, heureusement, le Chaldéen Bérose nous peut servir de guide : il affirme que les grandes destructions du monde par le feu et l'eau et les changements dans les constellations qui les provoquèrent ont rapport aux deux astérismes du Cancer et du Capricorne (1). Suivant l'opinion mentionnée ci-dessus, que le soleil emploie pour faire sa période 24,000 ans, il s'écoule précisément 12,000 ans à partir de l'époque où il est dans la constellation du Cancer jusqu'à l'époque où il entre dans celle du Capricorne. Voilà pourquoi l'époque la plus courte, l'âge actuel du monde, que les Indiens nomment Caliyougan, a eu une durée de 12,000 ans, et les autres époques sont dans une proportion progressive avec celle-ci.

(1) Legentil de la Galaisière ( Acad, des sciences , 1772 , II , 192) , né en 1725 , mort en 1792. On lui doit surtout une connaissance plus exacte de l'astronomie des Bramins et du zodiaque des Indiens ,

(2) J.-H. Rhode , Versuch uber das Alter des Thierkreises , Breslau , 109 , p. 105.

(1) Voir le passage de Sénèque ( Naturales quæstiones , III , 29 ) : « Quidam existi- mant , terram quoque concuti , et dirupto solo nova fluminum capita detegere , quæ amplius ut e pleno profundant. Berosus , qui Belam interprÉtatus est , ait cursu ista siderum fieri , et adeo quidem id affirmat , ut conflagratione atque diluvio tempus as- signet. Assura enim terrena contendit , quando omnia sidera , quæ nunc diversos agunt cursus, in Cancrum convenerint , sic sub eodem posita vestigio , ut recta linea exire per orbes omnium possit ; inundationem futuram , quum eadem siderum turha in Capricor- num convenerit. Illic solstitium , hic bruma conficitur ; magnæpotentiæ signa , quando in ipsa mutatione anni momenta sunt.

Le passage de l'Edda que j'ai déjà cité : « Alors la lueur du soleil s'obscurcit pendant l'été, tous les temps deviennent mauvais temps, etc., » nous autorise de même à supposer que c'est au sein de l'été, ou pendant que le soleil était au signe du Cancer, que l'Asie, d'où nous sont parvenues toutes nos connaissances sur la grande catastrophe du monde, a été visitée par les phénomènes volcaniques de la catastrophe diluvienne. Mais, pour les philosophes indiens, qui vivaient peut-être quelques mille ans après le déluge, et qui d'ailleurs supposaient toujours que la terre était sans mouvement dans l'univers, il leur était difficile, pour ne pas dire impossible, de se former une idée juste de cette catastrophe. Voyant tous les ans le soleil passer par les signes du Cancer et du Capricorne sans qu'une révolution du monde eût lieu, leurs notions de cet événement durent se rattacher au progrès réel du soleil dans les signes de l'écliptique. De cette manière naquit tout naturellement l'idée de la grande année, nommée l'année platonique (1). Les Indiens et surtout les Égyptiens, habitaient des pays assez bas, où les phénomènes diluviens de la catastrophe ont surtout dû laisser des traces, où, pour ainsi parler, on ne peut faire un pas sans que l'œil ne soit frappé des bouleversements prodigieux causés jadis par l'invasion puissante de la mer; les traces des phénomènes volcaniques de la catastrophe y sont au contraire proportionnément peu sensibles et rares : de là vient que les philosophes qui vivaient longtemps après ce grand cataclysme en ont séparé les phénomènes diluviens des phénomènes volcaniques ; cependant, nous l'avons vu, le mythe du combat des dieux et des Titans, la tradition de l'Atlantide et celle du peuple Zend, la doctrine de l'Edda, les images du nouveau Testament bien entendues, en partie aussi celles de l'ancien, celles surtout employées par le prophète Daniel, et avant tout des raisons géologiques ne permettent point une telle séparation.

(1) Lorsque toutes les étoiles fixes auront achevé leur période apparente autour des pôles de l'écliptique et qu'elles auront repris leur première position relativement aux cercles du globe céleste , 25,848 ans se seront écoulés . Un tel espace de temps s'ap peile dans l'astronomie une année platonique.

Mais le passage de Bérose mentionné ci-dessus est aussi remarquable sous un autre point de vue; car il parait contenir une indication astronomique du mouvement des étoiles qui dut s'opérer pendant le bouleversement du monde. Quoique en partie fausse, cette indication est pourtant très-juste sous un certain rapport ; durant le déplacement d'axe, il devait sembler effectivement que le soleil, la lune et les étoiles {omnia sidera), tout en décrivant chacun son orbite (quœ diversos agunt cursus), eussent en même temps un mouvement vers la même région du ciel. Platon et plusieurs néoplatoniciens en parlent aussi ; ils admettent trois mouvements principaux des corps célestes, savoir: 1° le mouvement du cercle extérieur ou de l'équateur, suivant lequel s'opère le mouvement diurne du ciel autour de son axe; 2° le mouvement du cercle intérieur ou de l'écliptique, suivant lequel s'opèrent les mouvements particuliers du soleil, de la lune et des autres planètes dans le ciel; enfin, 3° le mouvement qui est commun au ciel entier et qui, dans sa révolution, emporte tous les cercles intérieurs qui n'en conservent pas moins leurs mouvements particuliers (1).

(1) On a nié que Platon admît ce troisième mouvement ; mais le passage remarquable, dans la tradition de l'Atlantide, que le mythe de Phaéton signifie l'aberration de tons les corps qui se meuvent autour de la terre et dans le ciel avec une destruction qui arrive par intervalles de tout ce qui est sur la terre par un grand feu , ne permet pas d'en douter Voir la tradition de l'Atlantide, pace 245.

Bérose, Platon, Aristote, etc., n'étaient probablement pas les seuls qui eussent essayé de donner l'explication astronomique de ces mouvements des étoiles que l'on désigne ordinairement, mais à tort, comme une conjonction du soleil, de la lune et des planètes connues alors. Diverses inscriptions dans les temples égyptiens et des hiéroglyphes, surtout le plus petit planisphère du temple célèbre de Denderah, sur lequel les constellations sont placées remarquablement dans une espèce de spirale, dont l'astérisme du Cancer forme le signe final intérieur, me paraissent aussi être des essais de représenter distinctement la catastrophe du déluge et le changement qui alors s'est opéré dans l'ancien ciel. Cette opinion n'est cependant qu'une hypothèse, et je regrette qu'on n'ait pas encore abordé la question sous ce point de vue dans les disputes savantes sur cette matière, jusqu'ici demeurées sans résultat positif. Ce serait sans doute une chose très-intéressante si quelque savant antiquaire pouvait montrer les rapports qu'il y a entre la catastrophe diluvienne et les inscriptions des monuments égyptiens qui nous sont restés, car il parait certain que plusieurs d'entre elles y font allusion.

Il est de même vraisemblable que les Chaldéens ont eu l'idée d'une destruction et d'un renouvellement du monde, c'est-à-dire de la surface de notre globe et, conjointement avec cette destruction, d'un déplacement des corps célestes du firmament. Le philosophe Bérose, déjà nommé plusieurs fois, le dit expressément, et le nouveau Testament (1) cite, à l'occasion de cette catastrophe, le prophète Daniel, lequel, sur les ordres de Nabuchodonosor, prince de Babylone, fut instruit dans la langue et la science des Chaldéens (2). J'ai déjà prouvé ci-dessus quel rapport il y a entre les images employées dans le nouveau Testament pour dépeindre la destruction du monde et les idées que professe la religion zend. Or, en considérant cette ressemblance, on ne peut presque pas douter que les Juifs, comme je l'ai déjà fait observer, n'aient apporté chez eux, de la captivité de Babylone, leurs notions des phénomènes volcaniques de la destruction du monde, tandis que leurs notions des phénomènes diluviens de cette catastrophe leur sont venues de l'Égypte. Les Chaldéens, qui habitaient originairement un pays élevé, ont dû conserver avant tout, à côté de quelques traits diluviens, le souvenir des phénomènes volcaniques, tandis que les Égyptiens, dont le pays leur rappelait tous les jours l'influence des eaux, ont du surtout se souvenir de l'inondation. Voilà pourquoi les Juifs ont séparé ces deux phénomènes, quoique ni la géologie ni l'histoire ne permettent de le faire. Non-seulement il est question d'étoiles qui ont disparu ou, comme dit la sainte Écriture, qui sont tombées du firmament lors du déplacement de l'axe du globe, et d'un nouveau ciel qui s'est forme après cette catastrophe, mais il y a aussi, dans le nouveau Testament, des traces non équivoques d'idées astronomiques sur l'aberration des corps célestes de leur cours ordinaire, comme nous en trouvons chez les Grecs, les Égyptiens, les Indiens et les Chaldéens. Je citerai à ce sujet le passage célèbre de saint Luc, XXI, 25: « Et il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles, » passage qui semble être basé sur la même idée que nous retrouvons chez Aristote, Platon et autres savants, selon laquelle, à la fin de la grande année, le soleil, la lune et les étoiles abandonneront leur cours céleste (1). Comme, du reste, les anciens croyaient à des révolutions du monde répétées à plusieurs reprises et suivies toujours de changement dans le firmament, on comprendra facilement ce qu'ils nous apprennent de nouveaux cieux (2), puisque effectivement, a chaque nouvelle révolution du globe, une autre partie du firmament apparaîtra. Peut-être aussi ce détail de certains systèmes religieux-philosophiques d'un temps plus récent (par exemple, celui de Mahomet) qui admettent plusieurs cieux, placés ridiculement et contre nature l'un sur l'autre, n'est-il qu'une méprise sur les idées primitives.

(1) Saint Matthieu , XXIV, 15 ; saint Marc , XIII , 14 . 2

(2) Daniel ,1,4,

(1) Voir aussi le passage chez Bérose, Magna potentiœ signa , etc.

(2) L'Edda scandinave, par exemple, en a neuf.

Enfin, si nous jetons un regard sur l'histoire générale de la civilisation des plus anciens peuples, nous y rencontrons aussi beaucoup de phénomènes remarquables qui tous ont rapport aux idées religieuses, philosophiques et astronomiques ci-dessus mentionnées; ces idées ne peuvent s'expliquer d'une manière satisfaisante si l'on ne suppose pas cette catastrophe à la fois diluvienne et volcanique. De ce nombre est la crainte extrême d'un bouleversement du monde, crainte à laquelle le genre humain a été en proie non-seulement pendant qu'il se rappelait encore vivement la dernière catastrophe, mais encore beaucoup plus tard, au moyen âge. C'est chose connue que cette crainte excessive paralysa une fois les bras des Lydiens et des Perses, déjà rangés en bataille. C'est encore au nombre de ces phénomènes que je range les doctrines religieuses du peuple zend touchant l'adoration du feu et la purification du genre humain par le feu et l'eau, les hydrophories ou les fêtes de l'eau portée, en usage presque chez tous les peuples de l'antiquité. Originairement, on voulait sans douter désigner par là comment l'eau avait éteint les phénomènes volcaniques (1). Nous retrouvons chez les Grecs et les Romains le même ancien usage religieux sous la forme de libations, qui, dans leur forme particulière, semblent indiquer aussi bien le côté volcanique de la catastrophe (désigné par les holocaustes) que le côté diluvien (désigné par l'eau, le vin ou le sang versé). On sait aussi la vénération des Indiens, des Chinois et de plusieurs peuples tartares pour de hautes montagnes qu'ils adorent et auxquelles ils font des pèlerinages, parce que, selon la tradition, le genre humain a été sauvé sur les montagnes. Mais il faut surtout faire attention, dans ce point de vue, au grand rôle qu'a joué l'astrologie non-seulement dans l'antiquité et au moyen âge, mais même dans les temps modernes, rôle qui a eu une influence marquée sur la civilisation. Comment les hommes ont-ils pu jamais concevoir et pendant quelques milliers d'années garder l'idée que la durée de leur vie, leur sort et certains événements dépendaient du cours des étoiles, de la conjonction des planètes, etc., qu'ils ont par conséquent étudiés dans le but de connaître l'avenir? On n'a vu là-dedans, jusqu'ici, qu'une énigme historique. Si, cependant, nous admettons que le déluge ou la ruine du monde, dans laquelle périt la plus grande partie du genre humain et de tout ce qu'il y avait alors d'êtres vivants sur la terre, a été causé par un déplacement d'axe qui, en apparence, fit quitter au soleil, à la lune et aux étoiles leur cours ordinaire ; si l'on admet de même que, plus tard, on a regardé ce phénomène comme une conjonction des corps célestes, puisqu'en supposant que la terre n'avait pas de mouvement, on ne pouvait pas se former une idée juste de cette catastrophe; alors on verra clairement que l'astrologie n'a point du tout été, comme on a voulu le prétendre, une vaine chimère qui n'était fondée sur rien. Autrement, comment aurait-elle pu jouir de tant d'estime pendant des milliers d'années, jusqu'aux temps modernes? Il faut, certes, qu'elle ait été le résultat d'une vérité mal entendue, le résultat d'idées fausses sur un événement qui, effectivement, avait eu lieu et qui avait laissé dans l'âme des hommes des traces profondes et ineffaçables, mais que leur peu d'instruction leur a empêché de comprendre. Or, cette catastrophe amenant une liaison apparente entre le sort de tout le genre humain et le changement des constellations, on comprendra comment il aura pu venir à l'esprit des hommes de s'imaginer que le sort des individus et des événements isolés était de même lié au cours des étoiles, à la conjonction des planètes, etc. Voilà donc comment l'astrologie, funeste à certains égards, a pu acquérir une influence si extraordinaire, que même les despotes orientaux, méprisant d'ailleurs tout ce qui avait rapport aux sciences, ont payé et honoré des astrologues qui, d'après le cours des corps célestes et leur conjonction, devaient prédire si le bonheur ou le malheur suivraient le gouvernement et les entreprises de leurs maîtres, quels événements importants auraient lieu, quels accidents étaient à craindre, mais avant tout si la fin du monde approchait cl quand elle arriverait.

(1) Daniel , IX , 26 : et la fin en sera avec débordement.

 

CHAPITRE XIII.

HYPOTHÈSE OU OUTRE NOK ET SA FAMILLE NOMBRE D'HOMMES SE SONT SAUVÉS DU DÉLUGE, ET QUE L'ATLANTIDE, DÉTRUITE LORS DE CETTE CATASTROPHE, A ÉTÉ L'ÉTAT CIVILISÉ LE PLUS ANCIEN.

 

Non-seulement Noé et sa famille, que la Bible nomme de préférence les hommes, mais une grande partie aussi des autres hommes, probablement même des nations entières, auront échappé à la mort dont les menaçaient la grande inondation , les éruptions volcaniques et les autres phénomènes de la nature qui ont accompagné le déplacement d'axe. Cette hypothèse est évidente par la tradition de la migration du peuple zend, par le récit chaldéen du déluge, par la tradition de l'Atlantide chez Platon, par la manière différente dont fut envisagée cette catastrophe et dont elle passa dans les systèmes religieux des différents peuples, par les images employées dans l'Apocalypse, et par la tradition intéressante recueillie par Josèphe (I, 3, 6), d'après Nicolas de Damas, selon laquelle beaucoup d'hommes se sont sauvés sur une grande montagne de l'Arménie, nommée Baris. Avant tout, cependant, cette hypothèse est confirmée par le fait historique, mentionné ci-dessus, que déjà 4 à 500 ans après le déluge, si ce n'est même avant cette époque, il y a eu des États florissants en Égypte, en Assyrie, à Babylone, en Médie, dans la Bactriane, aux Indes et peut-être en Chine. Cela aurait été tout à fait impossible si la destruction du genre humain avait été aussi générale qu'il le semble d'après le récit de la Bible (1). Il est donc raisonnable de supposer que des peuplades entières ont pu se soustraire à la mort lors de cette révolution de la nature; mais, d'un autre côté, les traditions citées, puis les ossements fossiles humains dont je parlerai plus tard et qui se sont trouvés dans des lieux très éloignés de l'Orient, nous forcent à admettre que les habitants de presque une partie entière du monde (l'Europe ou l'Atlantide), ou qu'au moins tout un peuple puissant a disparu de la scène agitée de la vie, sans laisser à la postérité que quelques noms altérés et quelques traits confus.

(1) La Bible (Genèse, chap . 10) cite déjà , dans la troisième génération après le déluge, les cités de Babylone , de Ninive et autres grandes villes de l'Assyrie , les tribus cananites, les Égyptiens , etc .; elle paraît ainsi elle - même contredire l'opinion que l'Asie- Mineure a été dépeuplée par le déluge . Heureusement le célèbre Rask a fait observer qu'il doit y avoir une lacune dans la généalogie des Hébreux depuis le déluge ( 2458 ans avant la naissance de Jésus-Christ ) jusqu'à l'arrivée d'Abraham en Égypte , puisque la chronologie égyptienne d'Oros jusqu'à Neferkeres , dont le règne commença lors du séjour d'Abraham en Égypte, comprend un espace de 867 années solaires , tandis que la chronologie des Hébreux depuis Adam ( Oros) jusqu'à l'arrivée d'Abraham en Égypte ne comprend que 483 années solaires . C'est , à mon avis , entre la seconde et la troisième génération que quelques générations auront été oubliées dans la chronologie des Hébreux, et cette hypothèse, que Rask lui- même admet en partie, explique facilement comment la Bible , sans se contredire elle- même , ait pu , sitôt après le déluge , mentionner de grandes villes et des pays peuplés. Le nom de Sem étant d'origine sémitique , et celui d'Arpacscad ( Arbaces ) ayant sa racine dans les langues d'Iran , Rask suppose que déjà immédiatement après le déluge il y avait au moins deux langues différentes. Que les hommes , après cette catastrophe , aient multiplié avec plus de vitesse qu'à l'ordinaire , c'est une vraisemblance qui s'approche de la certitude , car il en a toujours été ainsi lorsque de grands malheurs , tels que la guerre ou la peste , ont diminué la population ; mais on comprendra aisément qu'il est tout à fait impossible que les différentes races et nationalités dont l'histoire prouve l'existence aient pu se développer dans un espace seulement de quatre ou cinq siècles . Les anciens auteurs qui ont tâché de calculer dans quelle progression les hommes multiplièrent après le déluge auraient donc pu s'épargner cette peine.

Ces traits ne sont cependant pas tout à fait insignifiants, et il est bien remarquable qu'à côté des Titans fiers et puissants : Cœos, Crios, Hypérion, Japet, Atlas, Menœtios, Prométhée, etc., la mythologie et les traditions placent les Titanes et les citent avec distinction comme des déesses douées d'un esprit fort, entreprenant, ambitieux et sage. J'ai déjà mentionné la peinture idéale que nous a laissée Platon de la république d'Athènes : il y raconte aussi que les femmes prenaient part à tout ce qui concernait l'État, même à la guerre. Quoique ce grand philosophe se soit beaucoup élevé au-dessus des idées étroites de son tige, son tableau, comme je l'ai déjà fait observer, est sans doute fondé sur un fait embelli. Ce qu'il nous raconte sur la condition des Titanes est donc d'une grande importance par l'opposition qui existe entre cette condition des femmes et les mœurs en Grèce, où certainement les femmes furent traitées avec estime, mais où cependant elles étaient sans influence politique; telle fut surtout leur condition en Orient où, à quelques exceptions près, elles étaient, en remontant jusqu'aux premières pages de l'histoire, à peu près des esclaves. Or, en comparant cette condition des femmes de l'Orient avec celle des femmes du Nord, dont les habitants différaient entièrement des Orientaux par les yeux, les cheveux, la conformation du corps et partout l'extérieur, on trouvera dans la vie civile et politique une différence fondamentale. Car anciennement les femmes étaient très-honorées dans les pays du Nord ; elles étaient les conseillères et les conductrices de leurs maris; elles prenaient même, comme dans l'Atlantide et dans l'ancienne Athènes, une part active aux affaires civiles et politiques.

La ressemblance des anciens habitants du Nord avec les Atlantes est ainsi très-remarquable, et cette ressemblance devient encore plus frappante quand on la retrouve de même, et non sans intérêt, entre leurs palais divins et leurs temples, dont celui de Sigtune paraît avoir été une faible imitation des temples des Atlantes, entre leurs plus anciennes traditions et mythes, entre leurs cérémonies de sacrifice, etc. Ajoutez que la mythologie du Nord porte aussi des traces distinctes d'une origine diverse entre ses plus anciennes divinités, qui semblent avoir appartenu aux premiers habitants du Nord , et celles d'un culte plus récent introduites par la doctrine des Ases : on ne saurait, ce nous semble, facilement expliquer comment, entre les habitants du Nord, auxquels l'histoire attribue une origine orientale relativement moderne, et les peuples de l'Orient, il a pu se développer de si bonne heure une différence fondamentale. Certainement, plus tard, des peuplades de l'Orient ont apporté dans le Nord leurs idées; mais la différence tant physique qu'intellectuelle des races n'eu a pas moins continué de se faire sentir jusqu'à nos jours : c'est le mélange des habitants du Nord avec ceux de l'Europe méridionale, conjointement avec les relations physiques des différents pays et la civilisation, qui sans doute exerce une grande influence, mais ne saurait effacer entièrement les différences fondamentales, c'est là, disons nous, ce qui a contribué à donner à l'Europe entière son caractère particulier, si prononcé, mais néanmoins très varié d'une contrée à l'autre. L'origine des plus anciens habitants du Nord reste donc une énigme : je ne puis cependant m'empêcher de faire observer qu'il me parait vraisemblable que quelques faibles restes des dieux (Élohim, Guderne) et des Atlantes (des anciens dieux ou des géants des Grecs), auront échappé au déluge, se seront réfugiés sur les plus hautes montagnes de l'Europe, ou plutôt sur les hautes montagnes de l'Asie centrale. Placés, par suite du déplacement d'axe, sous un ciel défavorable; privés, par l'effet du bouleversement général, de leur ancienne abondance et de leurs nombreuses ressources, ces hommes, comme nous l'apprennent la tradition de l'Atlantide et les traditions celtiques, auront commencé un nouveau développement énergique, mais à la vérité très-pénible (1). Ce serait donc eux que nous retrouvons dans le Nord sous les noms de Gothes (dieux), de Jettes (géants, Titans, Atlantes), et qui ont gardé d'obscurs souvenirs des exploits et de la magnificence de leurs ancêtres (1). Ces souvenirs, nous les trouvons chez les Gothes dans leur mythologie et dans leur civilisation : leur constitution politique a aussi une si grande ressemblance, dans ses points fondamentaux, avec celle des anciens Atlantes, qu'elle a déjà frappé le savant Ole Rudbek ; dans un ouvrage diffus, intitulé Atland ou le Manheim, il tâche de prouver l'identité de la Suède et de l'Atlantide (2). La géologie nous montre que, malgré les révolutions nombreuses et violentes de la nature auxquelles le globe a été exposé, aucune famille de plantes ou d'animaux ayant une fois reçu l'existence, n'a disparu entièrement; toutes ont été conservées, quoiqu'en partie sous des formes altérées.

(1) Voir la tradition de l'Atlantide chez Platon : « Mais chez vous ( les Athéniens ) et les autres peuples , l'usage de lettres et de tout ce qui est nécessaire à un état policé ne date jamais que d'une époque récente , et bientôt , à certains intervalles, viennent fondre sur vous comme une peste meurtrière des torrents qui se précipitent du ciel et ne laissent subsister que des hommes étrangers aux lettres et aux muses, de sorte que vous recommencez , pour ainsi dire , votre enfance, etc. » La tradition celtique, après avoir raconté que des villes florissantes ont été anéanties par le déluge , dit : « Les montagnes furent le lieu primitif où errait le petit nombre d'hommes et d'animaux échappés au déluge , etc. »

(1) Voir la tradition de l'Atlantide. La race qui survivait toujours, comme je l'ai dit précédemment , c'étaient les habitants des montagnes, hommes illettrés , qui avaient seulement appris les noms des chefs de pays , et ne savaient que peu de chose de leurs actions , etc.

(2) On comprend aisément que l'opinion de Rudbek et la mienne sont tout à fait différentes , car il veut que l'Atlantide soit un pays entièrement historique, tandis que moi je le suppose détruit dans la catastrophe diluvienne. Par cette raison déjà je ne peux partager beaucoup d'idées bizarres qu'il met en avant , mais je reconnais que , grâce aux connaissances extraordinaires de ce savant auteur, son ouvrage contient , à côté d'une masse de recherches inutiles, une foule de grains d'or qui , à l'aide d'une critique judiciense , fournissent des renseignements aussi intéressants qu'importants pour établir une comparaison entre les anciens Atlantes et les plus anciens Scandinaves que l'histoire connaisse. Il me paraît cependant certain que « les hommes » (menn) dont parle la plus ancienne mythologie du Nord , et que Rudbek confond avec les Gothes et les Atlantes, mais qui sans doute doivent être opposés aussi bien aux Gothes ( dieux ) qu'aux Joetuns ou Jettes ( géants ) , sont les mêmes que « les hommes » de la Bible , que ceux des mythologies des Grecs , des Égyptiens , des Perses et des Indiens, et que ce nom ne peut désigner que la race caucasienne.

 

Si, à l'aide de l'histoire et de la connaissance des antiquités, la géologie pouvait de même réussir à démontrer l'application de cette règle aux différentes races humaines, elle confirmerait alors mon hypothèse d'une manière bien curieuse en démontrant, jusqu'à l'évidence, que l'ancien État de l'Atlantide, dont l'existence avant le déluge ne peut être révoquée en doute, est ressuscité sous une forme nouvelle et beaucoup plus complète dans plusieurs des États actuels de l'Europe. Je ne fais de cela qu'une conjecture vraisemblable ; mais il est pourtant digne de remarque que l'ancienne doctrine de l'Edda a une tradition du déluge indépendante et tout à fait différente de la narration mosaïque. Elle raconte qu'un genre humain plus ancien a péri dans une inondation, que Bergelmer et sa femme furent seuls sauvés de cette catastrophe, qui fut la conséquence du meurtre du géant Ymer par les fils de Bor, dénomination qui, sans doute, indique les hommes de la race caucasienne (1). Comme, selon M. le professeur Finn Magnussen, le nom de Ymer a été donné aux montagnes de l'Imaüs en Asie, ce nom sert peut-être ici à désigner toute l'Asie. En supposant donc que les habitants du Nord tirent leur origine des Atlantes, il semble, d'après cette tradition, que ceux-ci auront cru que l'Asie avait disparu par suite d'une inondation, de même que les habitants de l'Asie croyaient que l'Atlantide ou, comme je l'entends, l'Europe actuelle, avait eu un sort pareil.

(1) Dans la langue ancienne du Nord , le mont Caucase est appelé Borz ou Burs , et jusqu'à ce jour encore un de ses pics les plus élevés se nomme Burs ou Al’burs.

Quelle que soit la solution de cette question, je suis porté à regarder comme très-plausible l'hypothèse dont je résume ainsi les principaux points : grâce à l'existence d'un grand continent formé alors par les parties actuelles du monde, déjà avant la catastrophe diluvienne, un assez haut degré de civilisation s'était développé chez les Atlantes et les Élohs (les Titans et les dieux soi-disant tels) ; mais, plus tard, cette civilisation, soit par suite du bouleversement de cet immense continent, soit par les changements qui en seront résultés dans les relations naturelles des différentes contrées, aura, en continuant son développement, suivi différentes voies et donné naissance à la civilisation babylonienne, indienne, chinoise, phénicienne, égyptienne, grecque, romaine, etc. (1). Cette hypothèse expliquera d'une manière aussi simple que naturelle beaucoup d'énigmes que présentent les traces d'une ancienne civilisation, non-seulement dans plusieurs contrées au nord de l'Asie et en Europe, mais aussi en Amérique. Jusqu'ici les savants ont été obligés de supposer, quant à l'Amérique, qu'avant sa découverte au quinzième siècle, elle a reçu des colons de toutes les parties du monde, non-seulement de l'Europe, nommément de l'Islande, ce qui d'ailleurs est suffisamment prouvé par l'histoire, mais encore de beaucoup de contrées de l'Asie, de l'Afrique, de la Polynésie, de Carthage, et même de l'ancienne Rome, qui pourtant n'était pas très-avancée dans l'art de naviguer. Il ne me parait pas vraisemblable, comme le prétendent quelques auteurs, que l'Amérique soit identique avec l'Atlantide (2); je crois plutôt qu'avant le déluge, lorsque l'Amérique sans doute adhérait à l'Europe et à l'Asie, des migrations ont eu lieu de l'Atlantide en Amérique; c'est ce que semblent nous indiquer les traditions orales et les hiéroglyphes (3); plus tard le déluge aura mis obstacle à ces migrations, sans cependant les avoir entièrement interrompues (1). Mais s'il est clair d'un côté, qu'avant Christophe Colomb des rapports étroits doivent avoir existé entre l'Amérique et les autres parties du monde, il est de l'autre très-difficile d'indiquer de quelle manière a eu lieu cette communication; cette question attend encore une solution satisfaisante, malgré tout ce qui a été écrit à cet égard.

(1) Comme j'ai déjà prouvé ( chap. XI ) que la destruction de Babel ou de Babylone , destruction mentionnée dans les premiers versets du chapitre XI de la Genèse , et dont l'Apocalypse a tiré ses images , est arrivée au temps du déluge, l'hypothèse que c'est de- puis le déluge que la civilisation a suivi différentes voies est entièrement en harmonie avec les paroles de la Genèse , nommément avec les versets 8 et 9 du chapitre cité.

(2) Voir par exemple : Essai sur cette question : Quand et comment l'Amérique a- t-elle été peuplée ? par E. B. d'E . Amsterdam, 1767.

(3) Voir le plus récent ouvrage de l'Amérique par Malte - Brun , traduit par Greipel ( Leipzick, 1819 , p. 35 ) , suivant lequel des migrations doivent avoir eu lieu de l'Atzlan (l'Atlantide ) dans l'Amérique.

(1) Voir l'Amérique surtout aux temps modernes (Copenh. , 1837-38 , p. 80-86 ) . Dans ce travail , et d'après le magnifique ouvrage français Antiquités mexicaines , j'ai donné ( p. 254-67 ) une esquisse des monuments mexicains qui , conjointement avec la langue et l'état politique et religieux des Mexicains et des Persans, etc. , ne permet plus aucun doute quant à la question « s'il y a eu jadis une liaison étroite entre l'Amérique et l'Asie. "

Nous l'avons vu : la mythologie grecque et différentes traditions attribuent clairement la civilisation la plus ancienne aux Titans; d'après ce que fait entendre un passage de Bérose, Babylone même, qu'on peut supposer avoir été un État civilisé avant le déluge, aurait reçu sa civilisation de l'Occident, c'est-à-dire sans doute de l'Atlantide : ainsi, c'est une hypothèse fondée, semble-t-il, que celle de voir dans l'État atlantique ou titan le plus ancien État civilisé. La civilisation s'est donc répandue d'ici à l'État des Élohs, l'État plus nouveau, soi-disant des dieux en Élymées ; de celui-ci à Babylone, et de Babylone probablement, soit en Égypte, en Phénicie, et en d'autres États de l'Asie occidentale, soit, comme le prétend le célèbre Rask, qui avait de si profondes connaissances de la littérature orientale, en Médie, en Perse, aux Indes et en Chine. De l'Asie-Mineure et de l'Égypte, la civilisation s'est répandue du côté de l'Occident, c'est-à-dire en Europe; et de l'Europe elle a continué sa route du côté de l'Occident encore, en passant dans l'Amérique, qui semble être destinée à jouer le plus grand rôle dans l'histoire du monde. Voici donc une chose digne d'attention : de même qu'on peut démontrer que, dans notre ère, la civilisation a suivi la marche du soleil de l'orient à l'occident, de même elle l'a suivie avant le déplacement d'axe, puisqu'elle a passé de l'Europe dans l'Asie occidentale, située alors à peu près à l'occident de l'Europe, et qu'elle parait s'être arrêtée à peu près aux Indes et dans la Chine, où le soleil, pour ainsi dire, s'est arrêté et a changé de direction. En réfléchissant sur cette marche de la civilisation, on voit donc comment le plus ancien État, anéanti par une violente révolution de la nature, a disparu, presque sans traces, de la surface du globe ; comment, pendant des milliers d'années, des guerres sanglantes ont détruit non seulement tous les États de l'Asie occidentale, jadis si florissants, mais aussi presque toute leur littérature ; comment la culture, pendant des milliers d'années, s'est arrêtée aux Indes, et surtout en Chine, tandis que l'Amérique, qui se développe avec une force gigantesque, passe devant l'Europe qui, en général, ne fa.it que de lents progrès. Spectacle affligeant, si l'histoire et la géologie ne nous apprenaient pas que le germe d'un nouvel et meilleur ordre de choses est caché dans ces fluctuations et dans cette décadence apparente et qu'il y a une vérité incontestable, c'est que le genre humain avance toujours, quoiqu'à pas lents, vers son but élevé : la liberté et la civilisation générale.

 

CHAPITRE XIV.

SUR LES OSSEMENTS HUMAINS TROUVÉS DANS PLUSIEURS CAVERNES DILUVIENNES.

 

Avant de mentionner brièvement les ossements humains à l'état fossile trouvés dans plusieurs cavernes, ossements sur lesquels je n'exposerai aucun avis définitif, je crois devoir faire observer que le plus grand nombre des géologues, même les plus distingués, se laissent aller à deux erreurs fondamentales dans la détermination de l'âge relatif de ces ossements. La première, c'est qu'ils exigent souvent que la masse des ossements humains de la catastrophe diluvienne soit plus grande qu'on ne peut raisonnablement le supposer, si l'on tient compte des considérations suivantes : 1° la durée de la période pendant laquelle il est a présumer que les différentes races d'hommes ont existé sur la terre avant le déluge fut relativement courte, tandis qu'on peut démontrer que le règne animal avec ses nombreuses espèces, comprenant chacune une foule d'individus, a existé sur la terre pendant beaucoup de périodes dont chacune a eu une durée de plusieurs milliers d'années ; 2° les ossements des hommes qui ont péri par le déluge ne peuvent, en général, être trouvés que dans les couches diluviennes les plus récentes (les dépôts sablonneux du terrain erratique, les sables à blocs erratiques); or, ces couches sont d'ordinaire près de la surface de la terre, où, en général, la pétrification ne s'opère que très-difficilement; 3° pendant les grandes révolutions de la nature, les animaux cherchent presque toujours un abri, tandis que les hommes quittent leurs demeures de peur qu'elles ne s'écroulent, et se réfugient, quand des inondations les menacent, sur les hauteurs les plus élevées ; 4° lors du déplacement de l'axe du globe, les émanations gazeuses et le mouvement violent du déluge, mouvement qui a duré sans doute plus d'une année, ont décomposé les plus solides masses de pierres et, par conséquent, aussi toutes les masses molles; enfin, 5° il faut nécessairement admettre que, durant les quatre ou cinq mille ans qui se sont écoulés depuis le déluge, les terrains diluviens qui se trouvent ordinairement à la surface du globe ont subi des changements essentiels ; ces changements doivent souvent avoir fait disparaître les restes fossiles d'ossements humains : de sorte que leur apparition doit être moins fréquente que jadis. Tout cela considéré, il me semble qu'on devrait être satisfait si parfois le bonheur ou le hasard fait découvrir de ces fossiles intéressants. Il ne faut pas non plus, comme le font beaucoup de géologues distingués, s'abandonner A une autre erreur fondamentale, nier absolument que ces ossements humains soient du temps du déluge, et cela par la seule raison qu'ils ont été découverts en des lieux où la Bible ne dit pas expressément qu'il y ait eu des hommes, ou parce qu'on a trouvé ces restes accompagnant des productions d'art qui ont quelque faible ressemblance avec les antiquités romaines et grecques, ou même seulement parce qu'on a trouvé près de ces ossements quelques simples productions d'art, telles que des armes de pierre, des restes de vases d'argile, des bateaux, etc. Comme ils admettent la supposition historique entièrement fausse, discutée ci-dessus, qu'aucune civilisation n'a régné sur la terre avant le temps de Noé, les géologues prétendent que ces restes n'appartiennent pas au temps du déluge. Ils se divisent à l'ordinaire, comme plusieurs des historiens modernes, en deux partis principaux qui ont également tort. Les uns rejettent absolument la Sainte-Écriture dont personne ne peut ébranler la vérité; ils croient, dans leur présomption, qu'elle ne contient pas un mot de vrai. Les autres adhèrent si aveuglément aux doctrines dont ils sont imbus dès l'enfance, qu'ils s'engagent dans les contradictions les plus évidentes. Forcés par le témoignage irrécusable de l'histoire à reconnaître que le genre humain compte au moins 6,000 ans, ou qu'il existait environ 2,000 ans avant le déluge, ils croient cependant que les hommes, à l'époque du déluge, ont vécu dans une ignorance presque complète, sinon dans un état approchant de celui de la brute. D'un côté ils supposent souvent que, déjà avant le déluge, les hommes pouvaient, comme le dit expressément la Bible, bâtir des villes et construire des vaisseaux ; mais de l'autre ils nient que ces hommes aient pu aiguiser quelques armes imparfaites en pierre, fabriquer quelques simples vases d'argile et former un bateau en creusant quelque tronc d'arbre. C'est ainsi qu'en admettant des inconséquences contraires à l'histoire, à la géologie et à une saine explication de la Bible, dont les vérités fondamentales ne sont pas ébranlées, mais plutôt confirmées par l'histoire et la géologie; c'est ainsi, disons-nous, que nombre de géologues et d'historiens, d'ailleurs très-distingués, nombre aussi de théologiens se persuadent à eux-mêmes et à d'autres qu'ils ont entièrement raison. Et la foule, qui suit naturellement leurs traces, en confondant les relations historiques de Moïse avec les dogmes du christianisme, leur applaudit. Telle est la puissance de l'habitude.

Ne supposant pas que la civilisation ait été assez développée au temps du déluge de Noé, ayant d'ailleurs l'idée fausse, selon moi, que l'Europe est la partie du monde qui s'est élevée le plus tard du sein de la mer, ces géologues, on le comprend, ne veulent pas reconnaître comme appartenant au déluge les débris de fossiles humains accompagnés de productions d'art qui ont quelque ressemblance avec les antiquités romaines et grecques. Qu'on se rappelle cependant que les Romains, et surtout les Grecs, ont reçu leurs premières connaissances des Égyptiens et des Phéniciens, et que, suivant toute apparence, ceux-ci sont redevables de leur civilisation aux Babyloniens et aux Élohs (dives, dieux), probablement les descendants des premiers habitants de l'Europe, des Titans ou des Atlantes ! .le l'ai déjà prouvé : il faut admettre que le genre humain a existé plusieurs milliers d'années avant le déluge, et que cette catastrophe a eu lieu environ 2,458 ans avant Jésus-Christ; mais, si on admet seulement l'opinion générale que le genre humain a existé pendant 6,000 ans, les Atlantes ont eu un espace de temps de 1,700 ans pour développer leur civilisation, espace aussi long que celui qu'ont en les Grecs pour produire leurs chefs-d'œuvre tant admirés par la postérité; espace dont la moitié, tout au plus, a suffi à Rome pour s'élever de ville misérable qu'elle était jusqu'à gouverner le monde. Considérons combien était grande la civilisation des Babyloniens, déjà sous Sémiramis, lorsqu'il n'était pas encore question de l'existence des États de la Grèce, et nous verrons que nous sommes autorisés à supposer, que la civilisation des Atlantes a été assez développée, ce qui d'ailleurs est confirmé par toutes les traditions citées ; qu'elle a eu une influence indirecte sur celle des Grecs et des Romains; que, par conséquent, les ouvrages d'art de l'époque du déluge trouvés en Europe présentent par cette raison quelque ressemblance avec les antiquités grecques et romaines, ressemblance qui n'empêche pas de reconnaître que, d'un autre côté, il se peut bien qu'on puisse très-souvent avoir commis la faute de regarder des antiquités grecques et romaines comme des restes diluviens.

Après ces remarques préliminaires, je donnerai une description succincte de quelques-uns des fossiles humains les plus remarquables, trouvés dans différentes cavernes de l'Europe. Mais afin d'être impartial, je copierai les paroles de M. Leonhard, qui regarde comme vraisemblable que le genre humain ait survécu à la dernière catastrophe, mais qui nie que les ossements fossiles décrits par lui datent de cette catastrophe. J'ajouterai à cette description un extrait des recherches faites au Brésil par M. Lund avec leurs résultats les plus importants.

I. Leonhard. — « Les recherches assidues de Marcel de « Serres, de Jules de Christol, de Tournai et d'autres naturalistes français, ainsi que celles du savant belge » Schmerling, nous ont fait connaître que dans les cavernes de plusieurs contrées de la France et de la province de Liège on trouve des ossements humains, associés à des ossements et des restes d'animaux appartenant à des espèces qui ne vivent plus maintenant. Les ossements humains se montrent, de la même manière que ceux des animaux, enfouis dans le limon des cavernes et mêlés « avec des éclats de rocs et des pierres erratiques ; il n'est pas rare de trouver auprès de ces restes d'hommes et d'animaux des ouvrages d'art de différentes espèces, des " fragments d'anciennes armes et de vases d'argile, des " fragments d'anciennes urnes funéraires, des bracelets de cuivre coulé qui ensuite a été ciselé, des dents percées de chiens et de renards, sans doute employées comme amulettes, et beaucoup d'autres objets. Des restes humains, qui, évidemment, ont appartenu à des individus d'un âge » différent, des crânes, des dents et beaucoup d'espèces d'ossements d'hommes et d'enfants se trouvent confondus. Dans » les cavernes de la Belgique on a trouvé, selon le témoignage » de Tidemann, des ossements humains mêlés avec des » restes d'ours et d'éléphants, avec des ossements d'hyènes, » de chevaux, de cochons et de ruminants. Ces ossements « humains sont en général égaux quant aux changements » qu'ils ont subis, quant à la couleur et au degré de décomposition, aux ossements d'animaux qui s'y trouvent mêlés. Ils sont quelquefois usés par le frottement et u quelques-uns sont brisés; jamais on n'y trouve des empreintes de dents, ni des endroits rongés. Dans les ca» vernes de la France, comme dans celles de la Belgique, » ou a trouvé, le plus souvent dans les passages les plus « profonds et les plus étroits, dans les parties les plus reculées, dans les lieux les plus enfoncés, des ossements » humains enfouis dans le limon des cavernes; il y en a » aussi qui sont cimentés aux parois. De tous côtés on voit » des crânes entourés d'argile et accompagnés quelquefois n de dents d'ours et d'hyènes. Dans les brèches renfermant » des ossements nombreux de petits rongeurs, des dents de « chevaux et de rhinocéros, on reconnaît aussi des ossements humains. »

n Dans les cavernes de la province de Liége, nommé, ment dans la caverne de Gaffontaine, le désordre dans lequel les restes humains sont déposés, la différence de leur conservation, la situation toujours horizontale des , longs ossements, les fragments de diverses roches des environs des cavernes qui y sont mêlés, les pierres arrondies, fort ressemblantes aux cailloux roulés des ruisseaux des environs, la conformité du terrain qui enferme les ossements et de celui qui couvre les montagnes voisines : toutes ces circonstances nous forcent à supposer que ce sont des inondations qui ont charrié dans les cavernes , les masses qui les remplissent. « Dans les cavernes de l'Allemagne aussi on a trouvé des restes humains; la grotte découverte en 1834 dans les Alpes de la Souabe est surtout remarquable. Elle est située près du village d'Erpfingen, à 810 mètres au-dessus du niveau de la mer et à 487 mètres au-dessus de celui du Necker. Une ouverture à la surface donna par hasard occasion à la découverte de cette caverne. Après avoir enlevé trois grandes pierres, liées ensemble en forme de coin, on découvrit la partie supérieure de la caverne, qui ressemble au puits d'une mine. La caverne de Charles, c'est ainsi que fut nommé ce souterrain que jusqu'alors personne dans la contrée n'avait connu, a 184 mètres de long et s'étend du sud-ouest au nord-est. La hauteur et la largeur n'en sont pas très-considérables : aussi n'y trouve-t-on pas des halles si grandes que dans d'autres cavernes des Alpes de la Souabe ; de belles formations stalactitiques s'y trouvaient en abondance. Qu'on se figure l'étonnement dont furent frappés ceux qui visitèrent les premiers cette caverne lorsqu'ils y trouvèrent des restes d'hommes et d'animaux avec des vases et autres traces de l'industrie humaine. A 3 mètres sous la surface du sol ils trouvèrent un tas de 3 mètres de hauteur, et dans celui-ci » des ossements d'hommes de tout âge et sexe, mêlés avec » ceux de chiens, de vaches, de lièvres, de rats, de fouines » et d'autres animaux, et des fragments de vases, d'armes » et de bagues; on trouva même un peigne d'ivoire. L'état » des vases, les ornements et les inscriptions qu'ils portaient, ainsi que les armes, les bagues et les instruments » de bronze et d'or firent supposer que ces objets étaient n les uns d'origine romaine (?), les autres d'origine germanique (?). Celui qui a découvert la caverne prétend » avoir compté à peu près 50 crânes humains. »

II. Lund (1).—«Les cavernes calcaires du Brésil, si riches » en ossements d'animaux, ne nous offrent que fort peu « d'ossements humains. Mes efforts pour en trouver ont été H inutiles pendant plusieurs années, ce qui avait fortifié - de plus en plus en moi l'opinion généralement reçue » concernant l'apparition tardive de l'homme dans cette » partie du monde. Les recherches des dernières années ont amené d'autres résultats. Sur plus de huit cents « cavernes que j'ai examinées successivement, six m'ont » enfin offert des ossements humains, dont la plupart, à « en juger par leur extérieur, appartiennent à une époque très-reculée. Mais les circonstances dans lesquelles « on les trouvait n'offraient d'abord aucun indice propre n à déterminer exactement cette époque; les ossements n humains étaient rarement réunis avec des ossements d'animaux qui pussent fournir des éclaircissements à cet égard. Une seule caverne présenta enfin une exception : on y trouva, à côté d'ossements humains, des os de divers » animaux appartenant à des espèces ou encore existantes ou déjà éteintes. Cependant un indice géologique indispensable à la fixation de l'âge relatif de ces vestiges nous " manque, puisque les objets découverts ne se trouvaient « pas dans leur couche primitive. La caverne en question » est située sur le bord d'un lac appelé Lagoa do Sumidouro.

(1) Extrait d'une lettre adressée de Lagoa- Santa , au Brésil , le 28 mars 1844 , à M. le conseiller d'état Rafn, à Copenhague. Voir aussi Comptes rendus 1845 nº 18

» Voici les espèces d'animaux auxquels appartiennent » les ossements trouvés dans cette caverne :

» A. L'homme. — Les ossements humains qui ont été » trouvés dans le même état de décomposition et sous les » mêmes circonstances que les ossements des animaux de n différentes espèces éteintes, ont appartenu au moins à » trente individus de différents âges, depuis celui des nouveau-nés jusqu'à celui des vieillards décrépits. Ils semblent originairement avoir été déposés dans la caverne, » entourés de leurs parties molles cohérentes, et les puissants blocs écroulés qui, en partie, les couvraient, témoignent suffisamment des grandes révolutions que la caverne a subies depuis que les ossements y avaient été » introduits. Les ossements, dont plusieurs se trouvaient » convertis en brèche osseuse, très-dure, étaient tous ré» duits à l'état fossile. Plusieurs de ces ossements ont été » envoyés à la Société royale des antiquaires du Nord.

» B. Les mammifères. —On ne trouva des ossements que » d'une seule espèce de la famille éteinte des singes nommée » en latin callithrix primævus; mais de nombreux ossements » de la famille des rongeurs se trouvaient pêle-mêle avec » les ossements humains ; des ossements nombreux de carnassiers, surtout de chiens et de chats, plus grands cependant que ceux qu'on trouve actuellement, de même » pêle-mêle avec les ossements humains ; des ossements de » la famille des pachydermes, des ruminants, et surtout un grand nombre d'ossements de la famille des tardigrades ;

» C. Des oiseaux;

» D. De nombreux reptiles;

» E. Enfin, des poissons ;

» Les ossements de ces trois classes d'animaux semblent cependant, vu la qualité du terrain où ils se trouvaient, appartenir à des époques beaucoup plus récentes.

» Tous les rapports géologiques prouvent évidemment » que le terrain dans lequel la grande masse de ces ossements a été trouvée, s'est formé à une époque où le lac » au bord duquel est située la caverne n'existait pas encore, et il n'y a pas de doute que l'existence de tous ces " êtres qui se trouvent enfouis pêle-mêle dans la caverne a coïncidé.

» L'examen auquel j'ai soumis le contenu de la caverne m'a conduit à établir les résultats suivants :

» 1° L'existence de l'espèce humaine dans l'Amérique " méridionale remonte non-seulement au delà de l'époque » de la découverte de cette partie du monde, mais très» loin dans les temps historiques, probablement même « au delà de ceux-ci jusqu'au temps géologique, puisque « plusieurs espèces d'animaux semblent avoir disparu des » rangs actuels de la création depuis l'apparition de l'homme » dans cet hémisphère.

» 2° La race d'hommes qui a vécu dans cette partie du » monde, dans son antiquité la plus reculée, était, quant » à son type général, la même qui l'habitait au temps de » sa découverte par les Européens.

« Il est clair que ces résultats ne sont pas très-propres " à fortifier l'opinion généralement reçue, que le nouveau monde a été peuplé par l'immigration d'habitants venus « de l'ancien ; car plus l'existence de l'homme dans cette n partie du monde remonte dans le temps, plus le type y de la race qui lui est propre se soutient jusqu'aux temps les plus reculés, et moins il y a de raison pour admettre n une pareille origine. On sait qu'au milieu de la grande » diversité d'opinions sur le nombre, la valeur et l'importance des différentes races du genre humain, il y a un » fait prééminent qui forme, pour ainsi dire, un point de » rencontre pour toutes les opinions divergentes : c'est que, relativement à la forme du crâne, il se présente trois types généraux nettement prononcés, auxquels Pritchard a donné les dénominations bien choisies de forme ovale, forme prognathe et forme pyramidale. La dernière de ces formes caractérise la race mongolienne et l'américaine. La grande affinité qui existe entre ces deux races n'a échappé à l'attention de personne : aussi n'y a-t-il nul doute que ce soient seulement les rapports géographiques qui ont empêché les anthropologistes de les considérer comme deux différents degrés de développement de la même race principale; c'est à la race américaine que ses joues plus saillantes, son front plus bas et plus étroit assignent le degré inférieur. Il fallait par conséquent, selon l'opinion régnante de l'origine gérontogéique de ces races, considérer l'américaine comme une variation de la mongolienne qui, par l'immigration dans cet hémisphère, était descendue du degré de développement supérieur qu'elle occupait dans le pays d'où elle tire son origine. Mais à une pareille opinion s'oppose le défaut total de quelque monument d'un ancien développement supérieur parmi les peuples de toute la partie orientale de l'Amérique méridionale. Si l'on considère, au contraire, que la nature procède habituellement de l'imparfait au parfait; que cette partie du monde est, sous le rapport géologique, antérieure au monde vulgairement appelé ancien; enfin, que l'examen de la caverne en question conduit à admettre la présence de l'homme dans cette partie du monde depuis le temps le plus ancien, ainsi que la conservation invariable du type primitif de ses habitants, on conviendra, je pense, qu'il y a de bonnes raisons pour émettre, à côté de conjectures encore moins bien fondées, une opinion qui amènerait le renversement total du rapport chronologique établi jusqu'à présent entre les deux races dont nous parlons. L'opinion que je viens d'émettre se fonde sur des raisons trop insuffisantes pour prétendre à la faire valoir, mais elle me » paraît néanmoins assez importante pour espérer qu'on la trouvera digne d'être prise en considération, »

Outre les restes humains mentionnés ci-dessus, on en a aussi trouvé dans beaucoup d'autres lieux; par exemple, dans plusieurs cavernes de l'Allemagne, comme celle de Zahnloch et de Gailenreuth ; de même, dans différentes cavernes de l'Angleterre, dans le Cornouailles, dans le Sommersetshire, à Glamorgan, dans le Yorkshire. Les naturalistes n'ont jusqu'ici pas pu tomber d'accord pour décider si ces restes humains appartiennent à la catastrophe du déluge ou non. Une dispute non moins vive s'est élevée sur les brèches osseuses de Gibraltar, sur les restes fossiles d'hommes à la Guadeloupe, etc.; mais quoique la plupart de ces restes puissent être rapportés avec certitude à des périodes plus récentes que le déluge, pourtant il s'en faut de beaucoup que la question soit décidée, ni sur les restes humains trouvés dans les cavernes de l'Allemagne, de la Belgique, de la France, ainsi que par M. Lund en Amérique, ni sur un bateau d'une construction très-simple et quelques armes de pierre trouvés enfouis sous les couches sablonneuses du Brandebourg ( près de Kreuzberg); ni enfin sur la caverne dans le Marsch, au pays de Schleswig, caverne décrite par M. Forchhammer. Où les faits sont si extraordinairement douteux, l'histoire a le droit de faire valoir ses prétentions. Elle exige impérieusement, comme je l'ai montré, que le genre humain ait survécu à la dernière grande catastrophe du globe, et que l'Europe ait été habitée avant le déluge. Il serait donc très désirable que les ossements fossiles d'hommes, trouvés en différents lieux de l'Europe, fussent soumis à un examen consciencieux. Mais avant tout il ne faut pas perdre de vue, dans un tel examen, les circonstances importantes, celles-ci particulièrement : -- les ossements fossiles d'hommes se trouvent souvent dans des contrées dont le sol est si élevé au-dessus du niveau de la mer ( par exemple, dans la caverne d'Erpfingen) , qu'il est impossible que des inondations partielles aient pu y arriver ; ces ossements semblent souvent être déposés dans le même terrain que des mammifères dont l'espèce est éteinte ; la civilisation avant le déluge doit avoir présenté plusieurs traits de ressemblance avec celle des premiers habitants historiques de la Grèce, de l'Italie et de la Germanie.

 

CHAPITRE XV.

RÉSUMÉ.

 

Pour résumer en peu de mots le résultat essentiel de tout ce que je viens de développer , je crois pouvoir admettre comme fait certain qu'un déplacement de l'axe du globe a eu lieu depuis l'existence du genre humain , et que cette catastrophe a été signalée par un changement de climat , par des soulèvements , des affaissements et des phénomènes volcaniques très-violents , ainsi que par une inondation générale , le déluge. L'existence de cette catastrophe est confirmée par des raisons géologiques du plus grand poids , basées surtout sur les restes d'animaux et de plantes des tropiques trouvés dans les zones septentrionales , actuellement glaciales ; sur la forme des continents qui se prolongent non de l'ouest à l'est , mais du nord au sud ; sur l'irrégularité de leur niveau à l'égard de l'équateur actuel ; sur la direction des chaînes de montagnes qui s'étendent du nord au sud et de l'ouest à l'est ; sur la distribution des volcans d'après un pareil système ; sur les minéraux et pierres précieuses qu'on trouve de préférence aux endroits de la surface du globe qui doivent avoir souffert le plus par cette catastrophe ; sur la simplicité des lois qui , en adoptant ma théorie , servent à expliquer les phénomènes intimement liés aux affaissements et aux soulèvements ; sur l'histoire du développement du globe d'après les lois de la nature les plus conséquentes ; sur la suite nécessaire de ce développement , savoir une inondation générale ; sur la direction principale des baies et des golfes creusés par cette inondation dans toutes les parties du monde ; sur la forme principale de celles- ci ; enfin, sur le témoignage général de toutes les couches diluviennes déposées par cette inondation et sur une théorie parfaitement satisfaisante à l'égard de leur formation et de leur apparition en certains lieux de la surface du globe. La mythologie, l'histoire et la sainte Écriture portent aussi les témoignages les plus forts de cette catastrophe ; car elles ont conservé des traditions et des récits d'une inondation générale et de terribles phénomènes volcaniques étroitement liés à cette révolution ; d'un changement de climat , occasionné par le déplacement de l'axe du globe, et d'un déplacement apparent du soleil et des autres corps célestes , ainsi que de l'anéantissement d'une civilisation antérieure au déluge ; traditions et récits qui , empreints du caractère d'une vérité sincère et se vérifiant l'un l'autre , ne peuvent être rejetés sans admettre que les historiens les plus estimés de l'antiquité ont été des trompeurs de commun accord ou des dupes. L'hypothèse d'un déplacement d'axe résout donc d'une manière aussi naturelle que satisfaisante les énigmes les plus importantes de la géologie , de la mythologie et de l'histoire de l'antiquité , tandis que ces énigmes sont et seront toujours inexplicables si l'on suppose que le globe ait toujours gardé la même rotation. Mais, si l'axe du globe a été déplacé une fois, ou même à plusieurs reprises , nombre d'assertions considérées jusqu'ici comme incontestables seront par cela seul ébranlées : la théorie développée dans cet écrit doit exercer une influence puissante et universelle non-seulement sur la géologie , dont les différentes théories doivent subir des modifications considérables , mais aussi sur plusieurs autres sciences , notamment sur la mythologie placée dans un jour nouveau ; sur l'histoire qui , appuyée de la géologie , enlève à la mythologie un vaste terrain ; sur l'astronomie, particulièrement sur la théorie exposée par La Place quant aux mouvements des corps célestes , théorie dont les résultats pratiques , certes , sont incontestables , mais qui dans plusieurs points semble être contraire aux lois du développement progressif du globe. Cependant , tant qu'on n'a pas encore reconnu la justesse des idées principales avancées dans ce livre , il serait hors de propos de développer plus exactement ces différents résultats : si je les mentionne ici , c'est uniquement pour indiquer de quelle importance il est qu'on abandonne des préjugés accrédités, et qu'on soumette mes hypothèses à un examen consciencieux.

 

FIN.