ANNEXE C

Les implications des probabilités statistiques pour l’histoire du texte1

1 Cet appendice est un résumé édité de « A Defense of the Majority-Text » par Zane C. Hodges et David M. Hodges (notes de cours non publiées, Dallas Theological Seminary, 1975) utilisé avec la permission des auteurs.

Aujourd’hui, toute la question de la dérivation des « types de textes » à travers des recensions historiques définies est ouverte au débat. En effet, E.C. Colwell, l’un des principaux critiques contemporains [1975], affirme dogmatiquement que la recension dite « syrienne » (telle que Hort l’aurait conçue) n’a jamais eu lieu.2 Au lieu de cela, il insiste sur le fait que tous les types de texte sont le résultat d’un « processus » plutôt que d’une activité éditoriale définitive.3 Tous les érudits ne seraient peut-être pas d’accord avec cette position, mais il est probablement juste de dire que peu d’entre eux seraient prêts à la nier catégoriquement. Au moins, la position de Colwell, dans la mesure où elle va, aurait beaucoup plu au grand antagoniste de Hort, Dean Burgon. Burgon, qui défendait le Textus Receptus avec un peu plus de véhémence que les érudits ne le souhaitent généralement, avait méprisé l’idée de la révision « syrienne », qui était la clé de voûte de la théorie de Westcott et Hort. D’ailleurs, l’idée a également été critiquée par d’autres, et un spécialiste des textes aussi connu que Sir Frederic Kenyon l’a officiellement abandonnée. 4 Mais la dissidence tendait à s’éteindre, et la forme sous laquelle elle existe aujourd’hui est tout à fait indépendante de la question de la valeur de la TR. En un mot, le scepticisme moderne à l’égard du concept classique de recensions prospère dans un nouveau contexte (en grande partie créé par les papyrus). Mais ce contexte n’est nullement décourageant pour ceux qui estiment que le Textus Receptus a été abandonné trop précipitamment.

2 Sa déclaration est la suivante : « La Vulgate grecque – le type de texte byzantin ou alpha – n’a pas eu son origine dans un foyer aussi unique que le latin l’avait chez Jérôme » (italique dans l’original). E.C.Colwell, « L’origine des types de texte des manuscrits du Nouveau Testament », Early Christian Origins, p.137.

3 Ibid., p. 136. Cf. notre discussion de ce point de vue sous la rubrique « Objections ».

4 Cf. F.G. Kenyon, Manuel de la critique textuelle du Nouveau Testament, pp. 324 et suiv.

L’existence même de la discussion moderne sur l’origine des types de texte sert à mettre en relief ce que les défenseurs du texte reçu ont toujours soutenu. Leur argument était le suivant : Westcott et Hort n’ont pas réussi, par leur théorie des recensions, à expliquer adéquatement l’état réel de la tradition manuscrite grecque ; et en particulier, ils n’ont pas réussi à expliquer l’uniformité relative de cette tradition. Cette affirmation trouve aujourd’hui un appui en raison des questions que l’étude moderne a été forcée de soulever. Le soupçon est bien avancé que le texte majoritaire (comme Aland désigne la soi-disant famille byzantine 5) ne peut pas être retracé avec succès jusqu’à un seul, même dans l’histoire textuelle. Mais, si ce n’est pas le cas, comment l’expliquer ?

5 Kurt Aland, « L’importance des papyrus pour le progrès de la recherche sur le Nouveau Testament », La Bible dans l’érudition moderne, p. 342. Il s’agit du nom le plus irréprochable scientifiquement donné à ce jour à cette forme de texte.

C’est là que réside la question cruciale sur laquelle toute théorie textuelle s’articule logiquement. Des études menées à l’Institut für neutestamentliche Textforschung de Münster (où des photos ou des microfilms de plus de 4 500 manuscrits ont déjà été collectés) tendent à soutenir l’opinion générale selon laquelle 90 [95] % des manuscrits cursifs grecs (minuscules) existants présentent sensiblement la même forme de texte. 7 Si l’on considère les manuscrits sur papyrus et les manuscrits onciaux (majuscule) avec les cursives, le pourcentage de textes existants reflétant la forme majoritaire ne peut guère être inférieur à 80 [90] pour cent. Mais il s’agit d’un chiffre fantastiquement élevé et il faut absolument l’expliquer. En fait, en dehors d’une explication rationnelle d’une forme textuelle qui imprègne tout sauf 20 [10] pour cent de la tradition, personne ne devrait sérieusement prétendre savoir comment gérer nos matériaux textuels. Si l’on prétend qu’un grand progrès vers l’original est possible, alors que l’origine de 80 % des preuves grecques est enveloppée dans l’obscurité, une telle affirmation doit être considérée comme monstrueusement non scientifique, voire dangereusement obscurantiste. Aucun appel à des préférences subjectives pour telle ou telle lecture, tel texte ou tel texte, ne peut dissimuler ce fait. Le texte de la majorité doit être expliqué dans son ensemble, avant que ses affirmations dans leur ensemble puissent être rejetées scientifiquement.

7 Ibid., p. 344.

C’est la caractéristique particulière de la critique textuelle du Nouveau Testament que, parallèlement à une connaissance constamment accumulée de nos ressources manuscrites, il y a eu une diminution correspondante de la confiance avec laquelle l’histoire de ces sources est décrite. Le plan soigneusement élaboré de Westcott et Hort est maintenant considéré par tous les érudits réputés comme tout à fait inadéquat. L’affirmation confiante de Hort selon laquelle « il serait illusoire d’anticiper des changements importants de texte à partir de toute acquisition de nouvelles preuves » est considérée à juste titre aujourd’hui comme extrêmement naïve. 8

8 Ibid., p. 330 et suiv.

La création de l’Institut für neutestamentliche Textforschung est pratiquement un effort pour tout recommencer à zéro en faisant ce qui aurait dû être fait en premier lieu, c’est-à-dire recueillir les preuves ! C’est dans ce contexte de réévaluation qu’il est tout à fait possible que la question fondamentale de l’origine du texte majoritaire s’impose d’elle-même. En effet, on peut s’attendre à ce que si la critique moderne poursuit sa tendance vers des procédures plus authentiquement scientifiques, cette question redeviendra une considération centrale. Car elle reste la question la plus déterminante, logiquement, dans tout le domaine.

Les partisans du Textus Receptus ont-ils une explication à donner au texte majoritaire ? La réponse est oui. De plus, la position qu’ils maintiennent est si simple qu’elle est exempte des difficultés rencontrées par des hypothèses plus complexes. Il y a longtemps, alors qu’il attaquait l’autorité des nombres dans la critique textuelle, Hort a été contraint d’avouer : « Une présomption théorique subsiste en effet qu’une majorité de documents existants est plus susceptible de représenter une majorité de documents ancestraux à chaque étape de la transmission que l’inverse . » 9 En admettant cela, il ne faisait qu’affirmer un truisme de la transmission manuscrite. C’était le suivant : dans des circonstances normales, plus un texte est ancien par rapport à ses rivaux, plus grandes sont ses chances de survivre dans une pluralité ou une majorité des textes existants à une période ultérieure. Mais le texte le plus ancien de tous est l’autographe. Il faut donc tenir pour acquis qu’à moins d’une dislocation radicale dans l’histoire de la transmission, une majorité de textes aura beaucoup plus de chances de représenter correctement le caractère de l’original qu’une petite minorité de textes. Cela est particulièrement vrai lorsque le ratio est écrasant de 8 :2 [9 :1], Dans des conditions de transmission raisonnablement normales, il serait pratiquement impossible pour une forme de texte ultérieure d’assurer une prépondérance aussi unilatérale de témoins existants. Même si nous remontons l’origine du texte dit byzantin à une date contemporaine de P75 et P66 (vers 200) – une époque où il devait déjà y avoir des centaines de manuscrits – les proportions mathématiques telles que la tradition survivante révèle ne pourraient pas être expliquées en dehors de quelque bouleversement prodigieux dans l’histoire textuelle.

 9 B. F. Westcott et F.J.A. Hort, Le Nouveau Testament dans l’original grecII, 45.