La Déesse mère comparée à une habitation.

Comment l'humanité a-t-elle jamais pu songer à appeler la grande déesse mère, ou la mère des dieux et des hommes, une maison ou une habitation ? La réponse se trouve évidemment dans la Genèse (Genèse II, 21), à propos de la création de la mère de l'humanité "Et le Seigneur fit tomber sur Adam un profond sommeil ; pendant qu'il dormait, le Seigneur prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Et l'Éternel Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise à Adam." Cette histoire de la côte était bien connue des Babyloniens ; c'est ce qui ressort clairement de l'un des noms donnés à leur ancienne déesse, ainsi qu'on le voit dans Berose (liv. I, p. 50). Ce nom, c'est Thalatth. Mais, Thalatth n'est pas autre chose que le chaldéen du mot hébreu Tzalaa au féminin, le mot même employé dans la Genèse pour la côte dont Ève fut formée ; et l'autre nom que Berose joint à Thalatth confirme fortement mon langage ; ce nom, Omorka (1), signifie précisément la mère du monde. Quand nous avons ainsi décrit le sens du nom de Thalatth appliqué à la mère du monde, on comprendra aisément le nom de Thalasius, donné par les Romains au dieu du mariage dont on a jusqu'ici cherché en vain l'origine. Thalatthi signifie qui appartient à la côte, et avec la terminaison romaine, il devient Thalatthius ou Thalasius (2), l'homme de la côte. Et quel nom pouvait mieux s'appliquer à Adam, envisagé comme le dieu du mariage, qui lorsque la côte lui fut apportée dit : "C'est maintenant l'os de mes os, et la chair de ma chair, elle sera appelée femme, car elle a été prise de l'homme." Tout d'abord quand Thalatth, la côte, fut transformée en femme, cette femme était dans un sens très important, l'habitation ou le temple de Dieu ; et si la chute n'avait pas eu lieu, tous ses enfants par suite d'un enfantement purement naturel auraient été les enfants de Dieu. L'entrée du péché dans le monde bouleversa la constitution originelle des choses. Cependant, quand la promesse d'un Sauveur fut faite à l'humanité, l'habitation intérieure du Saint-Esprit fut aussi accordée, 434

non pas afin que la femme eût par là aucun pouvoir par elle-même de créer les enfants de Dieu, mais seulement afin qu'elle pût remplir entièrement le rôle d'une mère envers une race spirituellement vivante, envers ceux que Dieu réveillerait par sa grâce, et qu'il ferait passer de la mort à la vie.

Or, le paganisme méprisa ouvertement tout ceci ; il enseigna, dès que ses sectateurs furent préparés à l'entendre, que cette habitation nouvelle de l'Esprit de Dieu dans la femme, était une identification, et ainsi il la déifia. Dès lors Rhéa, celle qui contemple, la mère de l'humanité, fut identifiée avec Cybèle, celle qui lie avec des cordes, ou Junon la colombe, c'est-à-dire l'Esprit-Saint. Alors, dans un sens païen et impie, elle devint Athor, l'habitation de Dieu, ou Sacca, ou Sacta, le Tabernacle, ou le temple, dans lequel habitait corporellement toute la plénitude de la Divinité. Ainsi elle devint Heva, la vivante, non dans le sens qu'Adam donna à sa femme après la chute, alors que l'espoir de la vie au milieu de la mort leur fut offert à tous les deux d'une manière si inattendue ; mais dans le sens de celle qui communique aux hommes la vie spirituelle et éternelle, car Rhéa était appelée la fontaine des bienheureux (3). L'action de cette femme déifiée était, disait-on, indispensable pour l'enfantement des enfants spirituels de Dieu, dans ce monde considéré comme perdu. On comprend bien vite alors le sens du nom donné à la déesse Babylonienne dans le livre des Rois (II Rois XVII, 30). Le nom de Succoth-benoth a été souvent regardé comme un nom pluriel, et l'on a cru qu'il se rapportait à des tentes ou des tabernacles employés à Babylone pour des desseins infâmes. Mais comme le remarque Clericus (liv. I, De Chaldoeis, ch. 37, art. 2) qui s'appuie sur l'opinion des rabbins, le contexte montre clairement que ce nom doit être celui d'une idole (v. 29-30) : "Mais les nations firent chacune leurs dieux dans les villes qu'elles habitaient : les gens de Babylone firent Succoth-benoth." Il s'agit évidemment d'une idole et comme le nom est féminin, cette idole doit avoir été celle d'une déesse. Si on la prend dans ce sens et à la lumière du système chaldéen, le sens de Succoth-benoth appliqué à la déesse babylonienne, est "le Tabernacle de celle qui porte l'enfant (4)". Quand le système Babylonien se fut développé, Ève fut représentée comme la première qui occupait cette place, et le nom même de Benoth qui signifie portant l'enfant, explique aussi comment il se fait que la femme qui comme Hestia ou Vesta était appelée l'habitation, fut réputée comme ayant inventé l'art de bâtir des maisons (SMITH, sub voce Hestia). Benah, le verbe d'où vient Benoth, signifie en même temps mettre des enfants au monde et bâtir des maisons, ce qui est métaphoriquement la même chose.

Tandis que le système païen, pour ce qui concerne la Mère déesse, était fondé sur l'identité des mères célestes et terrestres des immortels bienheureux, chacune de ces deux divinités était encore célébrée comme ayant une divinité distincte ; aussi toutes les différentes incarnations de la semence du Sauveur étaient représentées comme nées de deux mères différentes. On sait fort bien que Bimater, né de deux mères, était une des épithètes de Bacchus. Ovide explique l'origine de cette épithète : lorsqu'il était encore en embryon, il fut sauvé des flammes qui dévorèrent sa mère, enfermé dans la cuisse de Jupiter et mis au monde au moment voulu. Sans chercher le sens caché de ce mythe, je constaterai seulement que Bacchus avait deux déesses pour mère ; non seulement il fut conçu par Sémélé, mais il fut mis au monde par la déesse Ippa (PROCLUS, Timoeum, liv. II, art. 124, p. 292-293). C'est au même fait sans doute qu'il est fait allusion lorsqu'il est dit qu'après la mort de sa mère Sémélé, sa tante Ino remplit les fonctions de nourrice et lui donna son lait. La même chose se voit dans la mythologie de l'Égypte ; nous lisons qu'Osiris sous la forme d'Anubis, ayant été enfanté par Nephthys, fut adopté et élevé par la déesse Isis comme son propre fils. Aussi la Triade favorite fut partout composée des deux mères et du fils. Dans Wilkinson (vol. VI, fig. 35) le lecteur verra une divine Triade composée d'Isis, de Nephthys et de l'enfant Horus au milieu d'eux. À Babylone, d'après Diodore (liv. II, p. 69), la Triade se composait pendant un temps de deux déesses et d'un fils, Hera, Rhéa et Zeus ; à Rome au Capitale, il en était de même, la Triade se composait de Junon, Minerve, Jupiter ; tandis que Jupiter, lorsque les matrones romaines l'adoraient comme Jupiter puer ou Jupiter l'enfant était en compagnie de Junon et de la déesse de la fortune (CICÉRON, De Divinatione, liv. II, vol. III, ch. 41, p. 77). Cette espèce de Triade divine semble remonter à des temps très anciens chez les Romains, car il est établi à la fois par Denys d'Halicarnasse et par Tite-Live, que bientôt après l'expulsion des Tarquins, il y avait à Rome un temple où l'on adorait Gérés, Liber et Libéra. (Dion. HALICARN., vol. I, p. 25-26, et TITE-LIVE, vol. I, p. 233).

Appendice

Note J, p. 165

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