Shing-Moo et Ma-Tsoopo

Si nous comparons le nom de Shing-Moo, la sainte Mère des Chinois, à un autre nom de cette déesse dans une autre province de Chine, nous pourrons conclure que Shing-Moo est précisément un synonyme de l'un des noms bien connus de la déesse-mère de Babylone. Gillespie (Pays de Sinim, p. 64) déclare que la déesse-mère des Chinois, ou la reine des cieux, dans la province de Fuh-Kien, est adorée par les marins sous le nom de Ma-Tsoopo. Or, Ama-Tzupah veut dire la mère qui contemple, et il y a de fortes raisons de croire que Shing-Moo veut dire la même chose ; en effet, Mû est l'une des formes sous lesquelles Mut ou Maut, la Grande Mère, apparaissait en Égypte (BUNSEN, Vocabulaire, vol. I, p. 471) et Shugh, en chaldéen, veut dire regarder ou contempler. L'Égyptien Mû ou Maut était symbolisé par le vautour, ou par un oeil entouré d'ailes de vautour (WILKINSON, vol. V, p. 203). Le sens symbolique du vautour peut être fourni par une expression scripturaire : "Il y a un chemin que nul oiseau de proie ne connaît, et que l'oeil du vautour n'a point vu." (Job XXVIII, 7). Le vautour était renommé pour son oeil perçant, et de là, l'oeil entouré d'ailes de vautour montrait que pour une raison ou pour une autre, la grande mère des dieux, en Égypte, avait été appelée "celle qui voit". Mais l'idée contenue dans le symbole Égyptien avait été évidemment empruntée à la Chaldée ; car Rhéa, un des noms les plus connus de la mère Babylonienne des dieux, est exactement la forme chaldéenne de l'hébreu Rhaah, qui veut dire à la fois une femme qui contemple et un vautour. L'hébreu Rhaah lui-même peut aussi se prononcer Rheah, suivant une variation de dialecte, de là le nom de la grande déesse-mère d'Assyrie était quelquefois Rhéa, et quelquefois Rheia. En Grèce, la même idée était attachée à Athéné ou Minerve qui était appelée parfois "la mère des enfants du Soleil" (note 6, p. 36). Un de ses titres était Ophthalmitis (SMITH, Dict. class., Athena, p. 102). On la désignait par là comme la déesse de l'oeil. C'était évidemment pour indiquer le 413

même fait, que, comme l'Égyptienne Maut portait un vautour sur la tête, ainsi la Minerve d'Athènes était représentée comme portant un casque avec deux yeux, ou des trous pour les yeux dans le front du casque (VAUX, Antiquités, p. 186).

Maintenant que nous avons dépeint, dans tous les pays, la mère qui contemple, nous demandera-t-on : d'où vient qu'on a donné un nom pareil à la mère des dieux ? Un fragment de Sanchoniathon, sur la mythologie Phénicienne, nous fournit une réponse satisfaisante. Il nous dit que Rhéia conçut de Kronos, son propre frère, qui cependant était connu comme le père des dieux : elle mit au monde un fils qui fut appelé Muth, c'est-à-dire, comme Philo-Byblius interprète justement ce nom, Mort. Comme Sanchoniathon distingue expressément le père des dieux d'avec Hypsistos, le Très-Haut (1), nous nous rappelons naturellement ce qu'Hésiode dit à propos de Kronos, le père des dieux qui, pour une certaine action coupable, fut appelé Titan, et précipité au fond de l'enfer (Theogonia, 1. 207, p. 18).

Le Kronos auquel Hésiode fait allusion est évidemment au fond un Kronos différent du père humain des dieux ou Nemrod, dont l'histoire occupe dans cet ouvrage une si grande place. Il est évident qu'il n'est autre que Satan lui-même, le nom de Titan ou Teitan, n'était autre chose (p. 409) que la forme chaldéenne de Sheitan, nom ordinaire du grand adversaire chez les Arabes, dans le pays même où les mystères chaldéens furent primitivement élaborés, - cet adversaire qui fut plus tard le vrai père de tous les dieux païens, - et qui (pour lui approprier aussi le titre de Kronos, le cornu) fut symbolisé par le Kerastes ou serpent à cornes. Tous les frères de ce père des dieux impliqués dans sa rébellion contre son propre père, le Dieu du ciel, étaient également flétris du nom de Titans ; mais comme chef de la rébellion, il était naturellement Titan par prééminence. Dans cette rébellion de Titan, la déesse de la terre fut compromise, et de là (en écartant la figure sous laquelle Hésiode a déguisé le fait) cette impossibilité que le Dieu du ciel eut des enfants sur la terre (allusion à la chute). Or, si nous tenons pour avéré que c'est là le père des dieux, dont Rhéa (ordinairement appelée la mère des dieux, et identifiée à Gé ou la déesse de la terre) eut l'enfant appelé Muth ou la Mort, qui pourrait être cette mère des dieux, sinon notre mère Ève ? Et le nom de Rhéa, celle qui contemple, qui lui était donné, était très significatif. C'était comme "contemplatrice" que la mère de l'humanité conçut par le moyen de Satan et fut la cause de cette mort, dont la race humaine a toujours gémi.

Ce fut par ses yeux que la première relation s'établit entre elle et le grand adversaire sous la forme d'un serpent dont le nom Nahash ou Nachash, comme on le trouve dans l'hébreu de l'Ancien Testament, signifie aussi regarder attentivement ou contempler (Genèse III, 6) : "Et quand la femme vit que l'arbre était bon à manger et agréable à la vue, elle prit du fruit et en mangea, elle en donna aussi à son mari qui était auprès d'elle, et il en mangea." Nous avons donc ici la généalogie du péché et de la mort : "La convoitise quand elle a conçu, enfante le péché, et le péché étant consommé, produit la mort." (Jacques I, 15). Quoique Muth ou la Mort fût l'enfant de Rhéa, cette progéniture fut regardée non comme la mort abstraite, mais comme le dieu de la Mort ; aussi, dit Philo-Byblius, Mûth signifiait non seulement la Mort, mais aussi Pluton (SANCHONIATON, p. 24). Dans la Mythologie romaine, Pluton était honoré à l'égal de Jupiter (OVIDE, Fastes, liv. VII, 518) ; et en Égypte nous en avons la preuve, Osiris, la semence de la femme, était le seigneur du ciel et le roi de l'enfer ou Pluton (WILKINSON, vol. IV, p. 63, BUNSEN, vol. I, p. 431-432) et l'on peut conclure de bien des détails (le lecteur en a déjà vu des preuves suffisantes) qu'il n'était autre que le Diable lui-même, qui, dit-on, s'était incarné ; c'est lui qui, par la première transgression et ses relations avec la femme, avait introduit dans le monde le péché et la mort, et qui, néanmoins, avait procuré à l'humanité des bienfaits innombrables. Comme le nom de Pluton a le même sens que celui de Saturne (le caché), ainsi, quels que fussent les autres caractères de ce nom, c'est à Satan, le seigneur caché de l'enfer, que tout fut plus tard attribué ; car si l'on examine soigneusement les différents mythes de Saturne, on voit qu'il était en même temps le Diable, qui se déguisa en serpent, Adam, qui se cacha sous les arbres du jardin, Noé, qui pendant toute une année se cacha dans l'arche, et Nemrod, caché dans les secrets des mystères Babyloniens. C'était pour glorifier Nemrod que se forma tout le système chaldéen d'iniquité, connu comme Nin, le fils, et sa femme comme Rhéa qu'on appelait Ammas, la mère. Rhéa, appliqué à Sémiramis, avait un sens autre qu'appliqué à la déese antique, la mère des dieux et des hommes. Mais pour faire ressortir toute la majesté de son caractère, il était nécessaire qu'elle lui fût identifiée ; aussi, bien que son fils fût né pour détruire la mort, elle était souvent représentée avec les symboles de celle qui avait apporté la mort dans le monde. Il en était ainsi partout où se répandit le système Babylonien.

1. Quand on lit cet auteur, il faut se rappeler ce que Philo-Byblius, qui 1'a traduit affirme à la fin de son Histoire de la Phénicie, savoir, que l'histoire et la mythologie sont mêlés dans cet ouvrage.

Appendice

Note D, p. 51

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