L'image de la bête

La bête qui monte de la terre ne conduit pas seulement le monde à adorer la première bête, mais "elle domine sur les habitants de la terre, pour les entraîner à faire une image de la bête qui, après avoir reçu un coup mortel de l'épée, vivait encore cependant" (Apocalypse XIII, 14). Je me suis demandé pendant bien des années ce que peut signifier l'image de la bête, mais je n'ai pu trouver la moindre satisfaction dans aucune des solutions qui aient été proposées, jusqu'au jour où je tombai sur un ouvrage modeste mais remarquable, dont j'ai déjà parlé. Cet ouvrage est intitulé "Interprétation originale de l'Apocalypse". C'est un livre écrit évidemment par un auteur qui est parfaitement au courant de l'histoire de la papauté : il me fournit aussitôt la solution de la difficulté. L'image de la bête n'est autre pour l'auteur que la Vierge Mère ou la Madone (1). À première vue on peut trouver la solution invraisemblable, mais si on la rapproche de l'histoire religieuse de la Chaldée, l'invraisemblance disparaît entièrement. Il y avait, dans l'ancien paganisme babylonien, une statue de la Bête qui monte de la mer ; quand on saura ce qu'était cette statue, la question, je le crois, sera bien résolue. Lorsque Dagon fut pour la première fois exposé à l'adoration, il fut représenté de bien des manières différentes et sous différents caractères, mais on l'adorait de préférence, le lecteur l'a vu déjà, sous forme d'un enfant dans les bras de sa mère. Dans le cours naturel des événements, la mère finit par être adorée en même temps que l'enfant, et même elle devint l'obiet favori de ce culte. Pour le justifier, comme nous l'avons déjà remarqué, la mère doit certainement avoir été divinisée, et on a dû lui attribuer des pouvoirs et des prérogatives divines. Cependant quelle que soit là dignité que le fils fût censé posséder, on attribua à la mère une dignité semblable. Quel que fût le nom dont on honorait le fils, on donna à la mère un nom équivalent. Le fils s'appelait Belus, le seigneur, elle fut appelée Beltis, la dame (2). Il s'appelait Dagon (3), le poisson de mer, elle s'appela Derketo, la sirène (4) ; comme maître du monde, il portait des cornes de taureau (5) ; elle, comme nous l'avons vu, sur l'autorité de Sanchoniathon, portait sur la tête, une tête de taureau, comme emblème de sa royauté (6). Comme dieu soleil, il s'appelait Beël-Samen (7), le seigneur du ciel, elle, comme déesse de la lune, Melkat-ashemin, la reine du ciel (8). Il était adoré en Égypte comme le révélateur de la bonté et de la vérité (9) ; elle était adorée à Babylone sous le symbole de la colombe, comme la déesse de la douceur et de la miséricorde (10), la mère au gracieux accueil (11), miséricordieuse et compatissante envers les hommes (12). Sous le nom de Mithra, il était adoré comme Mésitès (13) ou le Médiateur ; elle comme Aphrodite, ou celle qui apaise la colère, était appelée Mylitta, la Médiatrice (14). Il était représenté comme écrasant le grand serpent sous son talon (15), elle, comme écrasant la tête du serpent dans sa main (16). Sous le nom de Janus, il portait une clef ; c'était le dieu qui ouvre et qui ferme les portes du monde invisible, elle, sous le nom de Cybèle, avait une clef semblable comme emblème du même pouvoir (17). Comme étant le purificateur du péché, il était appelé le dieu sans souillures (18) ; elle aussi avait le pouvoir de purifier du péché, et bien qu'elle fût la mère de la race humaine, on l'appelait la vierge pure et immaculée (19). Il était représenté comme le juge des morts, elle, comme se tenant près de lui sur le siège du jugement dans le monde invisible (20). Après avoir été tué par l'épée, il se leva, dit-on, du tombeau (21), et remonta au ciel (22). Elle aussi, bien que l'histoire la fasse périr par l'épée sous la main d'un de ses enfants (23), fut néanmoins d'après le mythe, emportée corporellement dans le ciel par son fils (24), et devint Pambasileia, la reine de l'univers (25). Enfin pour conclure, on la connaissait alors sous le nom de Sémélé, mot qui, dans le langage Babylonien, signifie statue (26). Ainsi, à tous les points de vue, à un iota près, elle est devenue l'image expresse de cette bête Babylonienne "qui avait été frappée de l'épée, et qui cependant vivait encore" (Apocalypse XIII, 14).

Après tout ce que le lecteur a déjà vu dans ce livre, il est à peine nécessaire d'ajouter que c'est cette même déesse qu'on adore aujourd'hui dans l'église romaine sous le nom de Marie. Bien qu'elle ait le nom de la mère de notre Seigneur, tous les attributs qu'on lui décerne dérivent simplement de la Madone Babylonienne (Fig. 57), et nullement de la Vierge mère du Christ (Fig. 58).

Il n'y a pas une seule ligne ou seule lettre dans toute la Bible qu'on puisse invoquer à l'appui de cette idée que Marie doit être adorée, qu'elle est le refuge des pécheurs, qu'elle est immaculée, qu'elle a offert une expiation pour le péché quand elle se tenait près de la croix et que suivant Siméon, "une épée lui transperça l'âme", ou qu'après sa mort elle soit ressuscitée pour être élevée dans la gloire céleste. Mais tout cela se trouvait déjà dans l'ancien système Babylonien, et maintenant toutes ces doctrines sont incorporées dans le système de Rome.

Fig. 57


Fig. 58


Fig. 57 et Fig. 58 — La manière même dont la madone papale est représentée est empruntée à l'image idolâtre de la déesse païenne. Le grand dieu était représenté d'ordinaire assis ou debout dans la coupe d'une fleur de lotus. En Inde, Brahma est souvent assis sur une feuille de lotus qui, dit-on, sortit du nombril de Vichnou. La grande déesse a une couche semblable ; aussi Lakshmi, la mère de l'Univers, est assise sur un lotus porté par une tortue (à gauche).

Or, même là, la papauté a copié le modèle païen : dans le Pancarpiurn Marianum, la Vierge et l'enfant sont assis sur une tulipe (à droite).

On nous montre le sacré coeur de Marie percé d'une épée, parce que, dit l'église apostate, son angoisse, au moment de la crucifixion, a été une expiation aussi vraie que la mort de son fils. Nous lisons, en effet, ces paroles blasphématoires dans l'office de dévotion adopté par la confrérie du Sacré-coeur : "Va donc, dévot adorateur, va au coeur de Jésus, mais que ton chemin passe par le coeur de Marie ; l'épée de douleur, qui lui perça l'âme, t'ouvre un passage ; entre par la blessure que l'amour a faite (27)."

Nous entendons aussi un défenseur de la foi nouvelle comme M. Genoude en France, dire que Marie a réparé la faute d'Ève comme notre Seigneur a réparé la faute d'Adam (28), et un autre, le professeur Oswald de Paderborn affirme que Marie n'était qu'une créature humaine comme nous, qu'elle est la Femme, comme Christ est l'Homme, que Marie est présente avec lui dans l'Eucharistie, et qu'il est incontestable, que suivant la doctrine de l'Église sur l'Eucharistie, cette présence de Marie dans l'Eucharistie est véritable et réelle, et non seulement idéale et figurative (29) ; de plus, nous lisons dans le décret papal de l'Immaculée Conception, que la même Madone, blessée par l'épée, se releva d'entre les morts, fut en haut et devint la reine du ciel. S'il en est vraiment ainsi, qui peut se refuser à voir dans cette communion apostate ce qui correspond exactement à la confection et à l'élévation au milieu de la chrétienté, d'une "image de la bête qui avait été blessée par une épée et qui cependant vivait encore" ? (Apocalypse XIII, 14).

En consultant la parole inspirée, on verra que cela a dû se faire par quelque acte public et général de la chrétienté apostate : "Disant à ceux qui habitent sur la terre, qu'ils devraient se faire une image de la bête, et ils la firent." (Apocalypse XIII, 14). Or, il y a un fait important à observer, c'est que cela ne s'est jamais fait, et que cela n'a pu se faire qu'en 1854 ; et la raison évidente, c'est que jusque-là jamais la Madone de Rome n'a été reconnue comme combinant tous les caractères qui appartenaient à l'image babylonienne de la bête.

Jusqu'alors, on n'admettait pas, même à Rome, bien que ce mauvais levain eût longtemps et puissamment fermenté, que Marie fût vraiment immaculée ; aussi ne pouvait-elle être encore la contrepartie exacte de l'image Babylonienne. Cependant ce qui ne s'était fait jusque-là se fit en décembre 1854. À cette époque, des évêques de tous les points de la chrétienté et des représentants de tous les bouts de la terre se rencontrèrent à Rome, et ce fut seulement avec quatre voix d'opposition qu'il fut décrété que Marie, la mère de Dieu, qui était morte, était ressuscitée et montée au ciel, et devait être désormais adorée comme "la Vierge Immaculée conçue et enfantée sans péché". Ce fut là l'élévation formelle de la statue de la Bête, et cela du consentement général "des habitants de la terre". La Bête fut donc glorifiée. Mais il est dit que la Bête de la terre donne la vie et la voix à l'image (Apocalypse XIII, 15) ; cela veut dire d'abord, qu'elle n'a elle-même ni la vie ni la parole ; mais que, néanmoins grâce à la bête qui monte de la terre, elle a à la fois la vie et la parole, et elle peut être un agent actif du clergé papal qui la fera parler exactement comme il lui plaît. Depuis que cette image a été élevée, sa voix s'est fait entendre par toute la papauté. Autrefois les décrets étaient lancés, plus ou moins, au nom du Christ. Aujourd'hui tout est fait de préférence au nom de la Vierge immaculée. Sa voix est partout écoutée, sa voix est souveraine. Mais il faut le remarquer, lorsqu'elle se fait entendre, ce n'est pas la voix de la grâce et de l'amour, c'est la voix de la cruauté et de la terreur. Les décrets qui sont lancés au nom de l'Image ont pour but : "de défendre à tout homme d'acheter ou de vendre, sauf à celui qui a la marque ou le nom de la bête, ou le nombre de son nom" (Apocalypse XIII, 17). À peine l'image est-elle exposée, que nous voyons cette défense formulée. En Autriche, par exemple, le Concordat qui suivit de près ce décret, ne fut pas autre chose que cette défense elle-même. Il n'a pas encore été appliqué, par la force d'événements imprévus, mais s'il l'était, les résultats seraient exactement ce qui a été prédit. C'est-à-dire que dans les possessions Autrichiennes, nul homme ne pourrait vendre ou acheter, sauf celui qui a la marque d'une manière ou de l'autre. Et si un concordat aussi tyrannique vient immédiatement après le décret de l'Immaculée Conception, cela montre qu'il en est le fruit nature (30).

Les événements qui survinrent bientôt après en Espagne montrèrent là aussi le puissant travail de ce même esprit de persécution. Pendant ces dernières années, le flot du despotisme spirituel a pu sembler s'arrêter, et beaucoup sans doute se sont laissés aller à croire que, boiteuse comme est la puissance temporelle, et chancelante comme elle paraît être, cette puissance ou ses subordonnés ne pourraient jamais plus se faire persécuteurs. Mais le mystère d'iniquité possède une merveilleuse vitalité, et personne ne peut prédire quelles impossibilités apparentes il peut réaliser pour arrêter le progrès de la vérité et de la liberté, en dépit des meilleures promesses que le cours des événements semble faire. Quel que soit désormais le sort du pouvoir temporel de Rome, il n'est pas si évident aujourd'hui, qu'il le paraissait naguère à beaucoup de personnes, que la chute du pouvoir spirituel de la papauté soit imminente, et que son pouvoir de persécuter se soit définitivement évanoui. Je crois que bien des âmes entraînées par l'amour et la miséricorde divines, obéiront encore à la voix céleste et s'enfuiront de cette communion maudite avant que les coupes de la colère divine ne soient versées sur elle. Mais si j'ai bien interprété ce passage, il s'ensuit qu'elle doit devenir encore plus persécutrice qu'elle ne l'a jamais été, et que cette intolérance qui, immédiatement après l'élévation de l'Image, se déploya en Autriche et en Espagne, se répandra encore dans toute l'Europe, car il n'est pas dit seulement que l'Image de la Bête décréterait, mais qu'elle causerait la mort de tous ceux qui ne voudraient pas adorer l'image de la Bête (Apocalypse XIII, 15). Quand ce moment viendra, ce sera évidemment le moment de l'accomplissement des paroles du verset 8 : "Et tous ceux qui habitent sur la terre adoreront la bête, ceux dont le nom n'a pas été écrit dans le livre de vie de l'Agneau égorgé depuis la fondation du monde." (Apocalypse XIII, 8). Il est impossible d'échapper à cette prophétie en disant : elle se rapporte au Moyen Âge, elle a été accomplie avant la venue de Luther. Je le demande, les habitants de la terre avaient-ils élevé la statue de la bête avant les jours de Luther ? Certainement non. Le décret de l'Immaculée Conception est l'oeuvre d'hier. La prophétie se rapporte donc à nos 399 propres jours, à la période dans laquelle l'Église entre actuellement. En d'autres termes le martyre des témoins, la grande épreuve des saints, est encore à venir (31).

Chapitre 7

Les deux développements considérés au point de vue historique et prophétique.

Article 5

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