La chaire (siège) de Saint-Pierre

Si nous avons maintenant restitué les clefs de Saint-Pierre à leur légitime possesseur, la chaire de Saint-Pierre doit suivre la même destinée. Cette chaire si renommée vient de la même origine que les clefs en croix. La même raison qui poussa le pape à prendre les clefs chaldéennes le poussa naturellement aussi à prendre possession de la chaire vacante du souverain pontife païen. Comme le pontife, par la vertu de ses fonctions, avait été le Hiérophante ou interprète des mystères, sa chaire avait le même droit à être appelée chaire de Pierre que les clefs païennes à être appelée clef de Pierre. Ce fut précisément ce qui arriva.

Le fait suivant montrera l'origine réelle du fameux siège de Pierre : les Romains, dit Bower, croyaient jusqu'en 1662 avoir la preuve incontestable, non seulement que Pierre avait élevé leur siège, mais encore qu'il s'y était assis ; car jusqu'à cette année-là, le siège même où ils croyaient qu'il s'était assis ou qu'ils voulaient donner comme tel, était montré et proposé à l'adoration publique le 18 janvier, qui était la fête de cette même chaire. Mais pendant qu'on la nettoyait pour la placer ensuite dans un endroit bien en vue du Vatican, les douze travaux d'Hercule y apparurent gravés (26), aussi la laissa-t-on de côté. Les partisans de la papauté ne furent pas peu déconcertés par cette découverte ; mais ils tâchèrent d'expliquer la chose du mieux qu'ils le purent. "Notre culte, dit Giacomo Bartolini, dans ses Antiquités sacrées de Rome, racontant les circonstances relatives à cette découverte, notre culte n'était cependant pas déplacé, puisque nous le rendions non au bois, mais au prince des apôtres, Saint-Pierre, qui dit-on, s'y était assis (27)." Que le lecteur pense ce qu'il voudra de cette justification d'un pareil culte rendu à une chaire, il remarquera certainement, s'il se rappelle ce que nous avons déjà dit, que la vieille fable du siège de Pierre est bel et bien renversée.

Dans les temps modernes, Rome semble avoir joué de malheur avec son siège de Pierre ; car même après qu'on eut condamné et mis de côté celui qui portait les douze travaux d'Hercule, comme s'il n'avait pu résister à la lumière que la Réformation avait jetée sur les ténèbres du Saint-Siège, celui que l'on choisit pour le remplacer fut destiné à révéler avec plus de ridicule les impostures effrontées de la papauté. Le premier siège était emprunté aux païens ; le second paraît avoir été volé aux Musulmans ; lorsque les soldats français, sous les ordres du général Bonaparte, s'emparèrent de Rome en 1795, ils trouvèrent sur le dos de ce siège, écrite en arabe, cette sentence bien connue du Coran : "la-illah el-allah, Mohamed rasoul allah (28)." Le pape n'a pas seulement un siège pour s'y asseoir, il a aussi un siège pour se faire porter en grande pompe et avec éclat sur les épaules de ses fidèles quand il va faire une visite à Saint-Pierre ou à quelque autre église de Rome. Voici comment un témoin oculaire décrit le spectacle du jour du Seigneur, dans le quartier général de l'idolâtrie papale : "On entendait dehors les roulements du tambour. Les fusils des soldats résonnaient sur le pavé de la maison de Dieu, tandis que sur l'ordre des officiers, ils les déposaient à terre, épaulaient, et présentaient armes. Quelle différence avec le vrai sabbat ! Quelle différence avec le vrai christianisme ! Quelle différence avec les dispositions nécessaires pour recevoir un ministre du doux et humble Jésus ! Bientôt, s'avançant lentement entre deux rangs de soldats armés, apparut une longue procession d'ecclésiastiques, d'évêques, de chanoines, de cardinaux précédant le pontife romain assis sur un siège doré, et couvert de vêtements resplendissants comme le soleil. Douze hommes le portaient vêtus de cramoisi précédés immédiatement de plusieurs personnes chargées d'une croix, de sa mitre, de sa triple couronne, et des autres insignes de ses fonctions. Il s'approchait, sur les épaules des fidèles, au milieu de la foule en extase, la tête ombragée ou recouverte de deux immenses éventails faits de plumes de paon et portés par deux serviteurs (29)." Voilà ce qui se pratique encore à Rome aujourd'hui, avec cette différence cependant que souvent, outre l'éventail qui l'abrite et qui est exactement le van mystique de Bacchus, son siège d'apparat est aussi recouvert d'un dais. Or, reportez-vous à 3000 ans en arrière, et lisez la visite du souverain pontife égyptien au temple de son dieu : "Quand on atteignit les limites du temple, dit Wilkinson, les gardes et les serviteurs royaux choisis pour 300

représenter toute l'armée entrèrent dans les cours. Des compagnies de soldats jouèrent les airs favoris de la nation, et les nombreux étendards des différents régiments, dont les bannières flottaient au vent, l'éclat brillant des armes, l'immense concours de la foule et l'imposante majesté des hautes tours du propylée, ornées de drapeaux colorés flottant au-dessus des corniches, tout cela offrait un spectacle dont l'éclat, nous pouvons le dire, a été rarement égalé dans quelque pays que ce soit. Le trait le plus frappant de cette pompeuse cérémonie c'était le cortège brillant du monarque, qui était porté sur son siège d'apparat par les principaux officiers de l'État sous un riche dais ou marchait à pied, à l'ombre d'un riche éventail de plumes flottantes (30)." Nous donnons en gravure (fig. 47), d'après Wilkinson, la portion centrale d'un des tableaux qu'il consacre à cette procession égyptienne, afin que le lecteur puisse voir de ses propres yeux à quel point la cérémonie païenne s'accorde avec la cérémonie papale. Voilà pour l'origine du siège et des clefs de saint Pierre.

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