Les lampes et les cierges

Un autre trait caractéristique du culte romain, c'est l'emploi des lampes et des cierges. Si la Madone et l'enfant sont mis dans une niche, il leur faut une lampe qui brûle devant eux ; pour célébrer une messe, même en plein jour, il faut allumer des cierges sur l'autel ; de même une grande procession est incomplète s'il n'y a pas de cierges allumés pour en embellir le pompeux spectacle. L'usage de ces lampes et de ces cierges vient de la même origine que tout le reste de la superstition papale. La même raison qui fit représenter le coeur par du feu lorsqu'il devint un emblème du Fils incarné, fit naître l'usage des lampes et des cierges allumés dans le culte de ce Fils ; car suivant les rites établis par Zoroastre, c'est ainsi qu'on adorait le dieu Soleil. Quand chaque Égyptien, à un jour fixé, était tenu d'allumer une lampe en plein air sur sa porte, c'était un hommage rendu au soleil qui avait caché sa gloire en revêtant une forme humaine (1). Quand aujourd'hui les Yezidis du Kourdistan célèbrent chaque année leur fête des lampes allumées, c'est aussi en l'honneur du Sheik Shems, ou du soleil (2). Or, ce qui se faisait sur une grande échelle dans des occasions importantes, se faisait également dans le culte individuel : chacun allumait des lampes et des cierges devant son dieu favori. À Babylone, cette coutume était fort répandue, si l'on en croit le livre de Baruch. "Les Babyloniens, dit-il, allument devant leurs dieux des lampes innombrables, bien plus qu'ils ne le font pour eux-mêmes, quoique les dieux ne puissent en voir une seule, et qu'ils soient aussi insensibles que les poutres de leur maison (3)."

Dans la Rome païenne on pratiquait la même coutume. Licinius, empereur romain, avant de se battre avec Constantin, son rival, convoque une réunion de ses amis dans un bois épais, offre des sacrifices à ses dieux et leur allume des cierges ; en même temps dans son discours il leur déclare que s'ils ne lui font pas remporter la victoire sur Constantin son ennemi et le leur, il se verra forcé d'abandonner leur culte et de ne plus allumer de cierges en leur honneur (4). Dans les processions païennes à Rome, les cierges figuraient partout. Dans ces solennités, (dit le Dr. Middleton invoquant l'autorité d'Apulée), dans ces solennités le magistrat en chef siégeait souvent en robe de cérémonie, assisté des prêtres en surplis avec des cierges à la main, portant sur un trophée ou "thensa", les statues de leurs dieux revêtues de leurs plus beaux vêtements. Ils étaient ordinairement suivis de l'élite de la jeunesse en vêtements de toile blanche ou en surplis, chantant des hymnes en l'honneur des dieux dont ils célébraient la fête, accompagnés de personnes de toute sorte qui étaient initiées à la même religion ; tous avaient à la main des flambeaux ou des cierges (5). Or, cette coutume d'allumer des lampes et des cierges en plein jour est si entièrement et si exclusivement païenne que nous trouvons des écrivains chrétiens comme Lactance au IVe siècle, qui montrent l'absurdité de cette pratique, et se moquent des Romains "qui allument des cierges pour Dieu comme s'il vivait dans l'obscurité (6)". Si cette coutume avait déjà tant soit peu pénétré chez les chrétiens, Lactance ne l'aurait jamais tournée en ridicule comme une coutume particulière au paganisme. Mais ce qui lui était inconnu à l'Église chrétienne au commencement du IVe siècle commença bientôt après à s'y introduire, et forme aujourd'hui l'une des particularités les plus frappantes de cette communion qui se vante d'être la mère et la maîtresse de toutes les Églises.

Si Rome emploie à la fois les lampes et les cierges dans les cérémonies sacrées, il est certain cependant qu'elle attribue à ces derniers, bien plus encore qu'à tout autre objet, une vertu extraordinaire. Jusqu'à l'époque du Concile de Trente, voici comment elle priait la veille de Pâques, à la bénédiction des cierges : "Nous t'invoquons dans tes oeuvres, sainte veille de Pâques, et nous offrons très humblement ce sacrifice à ta Majesté : voici un flamme qui n'a point été souillée par la graisse ou la chair, qui n'a pas été profanée par une huile impure : nous t'offrons avec des coeurs soumis, pleins d'un entier dévouement, une flamme produite par une mèche entourée de cire, allumée pour brûler en l'honneur de ton nom Ce mystère si grand et le merveilleux sacrement de cette sainte veille, doivent être exaltés avec les louanges qui leur sont dues (7)." Si on remarque avec quel accord unanime les nations les plus éloignées ont fait usage des cierges dans leurs rites sacrés, on verra bien qu'il y avait quelque mystère caché sous ces cierges et provenant du système original de l'idolâtrie auquel Rome a emprunté son rituel. Chez les Tongouses près du lac Baïkal en Sibérie, on place des cierges devant les Burchans, dieux ou idoles de ce pays (8). Dans les îles Moluques, on se sert de cierges dans le culte de Nito, ou le diable, qu'adorent ces insulaires. "Vingt ou trente personnes s'étant réunies, dit Hurd, on invoque le Nito, en frappant sur un petit tambour consacré, pendant que deux ou plusieurs personnes de la compagnie allument des cierges, et prononcent quelques paroles mystérieuses, qui ont, parait-il, le pouvoir de le conjurer (9)." Dans le culte de Geylan les cierges sont absolument nécessaires. "À Ceylan, dit le même auteur, quelques dévots, qui ne sont pas prêtres élèvent des chapelles dans leur maison, mais dans chacune ils sont obligés d'avoir une statue de Bouddha, d'allumer des cierges ou des bougies au-devant de cette statue et de l'orner de fleurs (10)." Une pratique si générale remonte certainement à une ancienne origine, et doit avoir eu tout d'abord quelque raison mystique. En réalité, le cierge était un emblème, comme tant d'autres objets que nous avons déjà vus : il représentait le dieu Babylonien sous l'un de ses caractères essentiels de grand Médiateur. Le lecteur au courant des classiques peut se rappeler que l'un des dieux de l'antiquité s'appelait Ouranos (11), c'est-à-dire, "celui qui éclaire". Or, c'est sous ce caractère qu'on adora Nemrod lorsqu'il fut déifié. Il était le dieu-soleil, et à ce titre il était regardé, non seulement comme illuminant le monde matériel, mais comme éclairant les âmes des hommes ; on voyait en lui, en effet, le révélateur de "la bonté et de la vérité (12)". Il est évident, d'après l'Ancien Testament, aussi bien que d'après le Nouveau, que le nom propre et personnel de Notre-Seigneur Jésus-Christ est le "Verbe de Dieu" (Jean I, 1), car c'est lui qui révèle l'amour et les desseins de la Divinité. Or, pour identifier le dieu-soleil avec le grand Révélateur de la Divinité, tout en lui laissant le nom de Mithra, on le représentait dans les sculptures sous la forme d'un lion ; ce lion avait une abeille à la gueule (13) (fig. 42).

L'abeille dans la gueule du dieu-soleil est destinée à le représenter comme le Verbe ; car Dabar, mot qui en chaldéen veut dire l'abeille, signifie aussi une parole ; et la position de l'abeille dans la gueule du lion ne laisse aucun doute sur l'idée qu'on veut exprimer. Elle veut dire que Mithra, qui d'après Plutarque était adoré comme Mésitès, le Médiateur (14), dans son caractère d'Ouranos celui qui éclaire, n'était autre que cette glorieuse personne dont parle l'évangéliste Jean : "Au commencement était la Parole, et cette Parole était avec Dieu, et cette Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu." (Jean I, 1, 2). "En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes." (Jean I, 4).

Fig. 42


Le Seigneur Jésus-Christ a toujours été le Révélateur de la Divinité et doit avoir été connu comme tel par les patriarches ; car le même évangéliste dit : "Aucun homme n'a jamais vu Dieu ; seul, le fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui nous l'a fait connaître" (Jean I, 18), c'est-à-dire qu'il l'a révélé. Avant la venue du Sauveur, les anciens juifs parlaient du Messie ou Fils de Dieu sous le nom de Dabar, ou la Parole. C'est ce qui ressort d'une déclaration du 3e chapitre du livre 1er de Samuel. Dans le 1er verset de ce chapitre, il est dit : "La Parole de Dieu était rare en ces jours-là ; les visions n'étaient pas fréquentes" (I Samuel III, 1) ; c'est-à-dire que par suite du péché d'Élie, le Seigneur ne s'était pas depuis longtemps révélé à lui par vision, comme aux prophètes. Quand le Seigneur eut appelé Samuel, cette vision du Dieu d'Israël fut rétablie (non pas cependant pour Élie), car il est dit au dernier verset : "Et le Seigneur apparut de nouveau à Scilo ; car le Seigneur se révélait à Samuel, à Scilo, par sa parole." (I Samuel III, 21). Quoique le Seigneur parlât à Samuel, son langage implique plus qu'une vision, car il est dit : "le Seigneur apparut", c'est-à-dire se fit voir. Quand le Seigneur se révélait, ou se faisait voir à Samuel, il est dit que c'était par "Dabar", la parole de l'Éternel. Pour avoir été visible, il faut que la Parole de Dieu ait été le verbe personnel de Dieu, c'est-à-dire Christ (15). C'est évidemment le nom primitif sous lequel il était connu, aussi n'est-il pas étonnant que Platon parle de la seconde personne de la Trinité sous le nom de Logos, qui est exactement la traduction de Dabar, ou la Parole. Or, la lumière de la bougie, comme la lumière de Dabar, l'abeille, était représentée comme remplaçant la lumière de Dabar, la parole (16). Ainsi les apostats se sont détournés de la "vraie lumière" et ont mis une ombre à la place. Il est évident qu'il en était ainsi ; car, nous dit Crabb en parlant de Saturne, on plaçait sur les autels de ce dieu des cierges allumés, parce que, grâce à Saturne, les hommes avaient été ramenés des ténèbres de l'erreur à la lumière de la vérité (17). Dans la Grèce Asiatique, le dieu Babylonien était évidemment connu comme étant "la Parole" qui donne la lumière ; car nous y voyons l'abeille occuper une place qui prouve qu'elle était bien le symbole du grand Révélateur.

Voici comment Muller parle des symboles du culte de Diane à Éphèse : "Son symbole constant est l'abeille qui n'a aucun rapport avec cette déesse. Le grand-prêtre était lui-même appelé Essen, ou le roi-abeille (18)." Son caractère montre celui du dieu qu'il représentait. La divinité associée à Diane, la déesse portant une tour, était naturellement la même divinité qui accompagnait invariablement la déesse Babylonienne, et le titre du prêtre montre que l'abeille qu'on voit sur ses médailles était un autre symbole de son fils, la semence de la femme, sous son caractère de Dabar, la parole qui éclaire les âmes des hommes. Les formulaires mêmes de la papauté nous montrent avec une remarquable évidence que c'est là précisément le mystère caché sous les cierges brûlant sur l'autel, car dans le même endroit où elle parle du mystère du cierge, Rome parle ainsi de l'abeille qui produit la cire : "Si nous admirons l'origine de cette substance, savoir, les cierges, nous devons exalter hautement les abeilles, car elles ramassent les fleurs avec leurs pattes et cependant elles ne leur font aucun mal ; elles ne donnent point le jour à des petits, mais elles produisent leurs jeunes essaims par la bouche, comme Christ, (pour prendre un exemple admirable), est sort de la bouche du Père (19)."

Il est bien évident qu'ici on veut parler de Christ comme du "Verbe de Dieu" (Jean I, 1, 2), comment l'imagination a-t-elle pu jamais concevoir une

ressemblance pareille à celle qui setrouve dans ce passage, si ce n'est au moyen de l'équivoque qui existe entre Dabar l'abeille, et Dabar la Parole ? Dans un ouvrage papal déjà cité, le Pancarpium Marianum, je vois le Seigneur Jésus désigné clairement sous le nom de l'Abeille. Parlant de Marie, sous le titre de "paradis de Délices", l'auteur dit : "Dans ce paradis vivait cette céleste abeille, c'est-à-dire cette sagesse incarnée. Elle trouva ce rayon de miel qui découlait goutte à goutte et par lequel l'amertume du monde fut changée en douceur (20)."

Ces paroles blasphématoires représentent le Seigneur Jésus comme ayant tiré de sa mère tout ce dont il avait besoin pour bénir le monde. Une pareille idée a-t-elle pu venir de la Bible ? Non. Elle ne peut venir que de la source où l'écrivain a appris à donner le nom d'Abeille à la sagesse incarnée. Or, comme l'équivoque qui a pu faire donner ce nom au Seigneur Jésus est uniquement fondée sur une expression de la langue Babylonienne, on voit d'où vient cette théologie : on voit aussi que toute cette prière sur la bénédiction des cierges doit venir d'un livre de prières Babylonien. C'est ainsi qu'à chaque pas le lecteur voit de mieux en mieux à quel point était juste le nom donné par Dieu à la femme assise sur les sept montagnes : "Mystère, Babylone la Grande." (Apocalypse XVII, 5).

Chapitre 5

Rites et cérémonies

Article 6

281