Rien ne caractérise Rome comme le culte des reliques. Partout où l'on ouvre une chapelle, partout où l'on consacre une église, il manque quelque chose s'il n'y a pas la relique d'un saint ou d'une sainte pour sanctifier ce lieu. Les reliques des saints et les os pourris des martyrs forment une grande partie de la richesse de l'Église. C'est à cause de ces reliques qu'on a pratiqué les plus grossières impostures ; les histoires les plus absurdes ont été racontées sur leur pouvoir merveilleux, et cela par des Pères qui ont un nom fameux dans les annales de la chrétienté. Augustin lui-même, avec sa perspicacité philosophique, avec son zèle contre certaines formes de la fausse doctrine, était profondément imbu de cet esprit mesquin qui conduisit au culte des reliques. Qu'on lise les balivernes qui terminent la fameuse Cité de Dieu et l'on ne sera plus étonné que l'Église Romaine ait fait de lui un saint et l'ait proposé au culte de ses dévots. Prenez seulement un spécimen ou deux des histoires par lesquelles il soutient les absurdités qui étaient en faveur de son temps : "Quand l'évêque Projectius apporta les reliques de Saint-Étienne dans la ville appelée Aquaes Tibultinoe, la foule vint en grand nombre pour les honorer. Il se trouvait là une femme aveugle qui supplia la foule de l'amener à l'évêque, possesseur des saintes reliques. On le fit, et l'évêque lui donna des fleurs qu'il tenait à la main. Elle les prit, les porta à ses yeux, et aussitôt elle recouvra la vue, si bien qu'elle passa rapidement devant tous, n'ayant plus besoin d'être conduite (1)." À l'époque d'Augustin, le culte formel des reliques n'était pas encore établi, mais on invoquait déjà, par des prières et des supplications, les martyrs auxquels ils étaient censés avoir appartenu, et cela avec la haute approbation de l'évêque d'Hippone, ainsi que le prouve surabondamment l'histoire suivante : "Ici, à Hippone, dit-il, il y avait un vieillard pauvre et saint, nommé Florentius, qui par son métier de tailleur se suffisait à peine. Un jour il perdit son manteau, et ne pouvant en acheter un autre pour le remplacer, il se rendit à la chapelle des Vingt martyrs, qui était dans la ville, et se mit à les prier, les conjurant de lui fournir les moyens de se vêtir. Une bande de mauvais sujets qui l'entendit, le suivit à son départ, se moquant de lui et lui disant : « Avez-vous demandé aux martyrs de l'argent pour vous acheter un manteau ? » Le pauvre homme se rendit tranquillement chez lui et comme il passait près de la mer, il vit un gros poisson que la mer venait de jeter sur le sable, et qui respirai : encore. Les personnes présentes lui permirent de prendre ce poisson, qu'il apporta à un certain Catosus, cuisinier, bon chrétien, qui le lui acheta pour 300 deniers. Avec cette somme, il pensait acheter de la laine que sa femme pourrait filer, afin de lui faire un vêtement. Quand le cuisinier découpa le poisson, il trouva dans son ventre un anneau d'or, qu'il crut devoir donner au pauvre homme qui lui avait vendu le poisson. C'est ce qu'il fit, en lui disant : « Voilà comment les vingt martyrs t'ont revêtu (2) ! »" C'est ainsi que le grand Augustin inculquait le culte des morts et l'adoration de leurs reliques capables d'après lui, d'opérer des prodiges ! Les petits drôles qui s'étaient moqués de la prière du tailleur semblent avoir eu plus de sens que le "saint vieillard" et que l'évêque.
Or, si des hommes qui professaient le christianisme préparaient ainsi, au Ve siècle, la voie au culte de toute espèce de haillons et d'ossements corrompus, le même culte avait fleuri dans les contrées païennes longtemps avant que les saints ou les martyrs chrétiens ne fussent apparus sur la terre. En Grèce, les croyances superstitieuses aux reliques, et surtout aux ossements des héros déifiés, formaient une partie importante de l'idolâtrie populaire. Les oeuvres de Pausanias, le savant antiquaire grec, sont pleines d'allusions à cette superstition. Ainsi, nous apprenons que l'omoplate de Pélops, après avoir traversé plusieurs péripéties, fut désignée par l'oracle de Delphes comme ayant seule la puissance de délivrer les Eléens d'une peste qui les décimait. Cet os fut confié, comme une relique sacrée, à la garde de l'homme qui l'avait retiré de la mer et à sa postérité après lui. Les os du Troyen Hector étaient conservés à Thèbes comme un dépôt sacré. Les
Thébains, dit Pausanias, racontent que les ossements d'Hector furent apportés de Troie, à cause de l'oracle suivant : "Thébains, vous qui habitez la cité de Cadmos, si vous voulez habiter dans votre pays et être bénis par la possession d'une fortune irréprochable, apportez dans votre royaume les ossements d'Hector, fils de Priam, et honorez ce héros suivant l'ordre de Jupiter (3)." Nous pourrions donner beaucoup d'autres exemples analogues. Les ossements gardés ainsi avec soin et entourés de respect étaient censés pouvoir opérer des miracles. Depuis l'époque la plus reculée, le système Bouddhique s'est appuyé sur des reliques qui ont accompli des miracles au moins aussi authentiques que ceux qu'opéraient les reliques de Saint-Étienne ou des vingt martyrs. Dans le Mahawanso, l'un des grands étendards de la foi Bouddhique, voici comment on parle de l'enchâssement des reliques de Bouddha : "Le vainqueur des ennemis ayant terminé les travaux qu'il avait à accomplir dans l'enceinte aux reliques, réunit les prêtres et leur parla ainsi : les travaux que j'avais à faire dans l'enceinte aux reliques sont terminés. Demain, j'enchâsserai les reliques. Seigneurs, souvenez-vous des reliques ! (4)"
Qui n'a entendu parler du saint vêtement de Trêves et de son exhibition au peuple ? Le lecteur verra par ce qui suit qu'il y avait une exhibition tout à fait semblable du saint vêtement de Bouddha : "Là-dessus (le neveu du Naga Rajah) par son pouvoir surnaturel s'élevant dans les airs à la hauteur de sept palmiers, et étendant les bras, apporta à l'endroit où il se trouvait en équilibre le Dupathupo (ou châsse) où était enchâssé le vêtement que portait Buddho, ou le prince Siddhatto, à son entrée dans le sacerdoce, et le montra au peuple (5)." Ce saint vêtement de Bouddha était certainement aussi authentique et aussi digne d'adoration que le saint vêtement de Trêves.
Mais la ressemblance est plus grande encore. Il y a seulement un ou deux ans, le pape a présenté à son fils bien-aimé, François-Joseph d'Autriche, une dent de Saint-Pierre, comme marque de sa faveur et de son estime particulière (6). Les dents de Bouddha sont estimées au même degré parmi ses adorateurs. "Roi de Devas, dit un missionnaire Bouddhiste qui avait été envoyé à l'une des principales cours de Ceylan pour demander au Rajah une ou deux reliques, roi de Devas, tu possèdes la dent canine de la mâchoire droite (de Bouddha), et l'os droit du cou du divin docteur. Seigneur de Devas, n'hésite pas sur des questions qui doivent décider du salut du pays de Lanka (7) !" Voici maintenant un passage qui nous montre l'effet merveilleux des reliques : "Le sauveur du monde Bouddha, même après avoir atteint à Parinibanan ou l'émancipation finale (c'est-à-dire après sa mort), accomplit au moyen d'une relique de son corps des actes infinis d'une perfection extrême, pour le bien-être spirituel et la prospérité matérielle de l'humanité. Que n'a pas fait le Vainqueur (Jeyus) pendant sa vie (8) !"
Or, dans les "Recherches Asiatiques", nous trouvons une déclaration concernant les reliques de Bouddha qui nous explique merveilleusement la véritable origine du culte de ses reliques. La voici : "Les ossements ou les membres de Bouddha furent répandus dans le monde entier, comme ceux d'Osiris et de Jupiter Zagreus. Le premier devoir de ses descendants et de ses sectateurs fut de ramasser ces débris et de les ensevelir. Par piété filiale on rappelait chaque année, dans une recherche simulée, le souvenir le cette triste recherche, avec toutes les marques possibles de douleur et de tristesse, jusqu'à ce que le prêtre annonçât enfin qu'on avait trouvé les reliques sacrées. C'est ce qui se fait encore aujourd'hui chez plusieurs tribus tartares de la religion Bouddhique, et l'expression d'Ossements du Fils de l'Esprit du Ciel est particulière aux Chinois et à quelques tribus de la Tartarie (9)." Il est donc évident qu'ici le culte des reliques est précisément une partie de ces cérémonies instituées pour rappeler la mort tragique d'Osiris ou de Nemrod, qui, le lecteur s'en souvient, fut partagé en 14 morceaux, qu'on envoya en autant de pays infectés de son apostasie et de son faux culte, afin de frapper d'épouvanté tous ceux qui seraient tentés de l'imiter. Quand les apostats revinrent au pouvoir, leur premier acte fut de rechercher ces restes épars du grand chef de l'idolâtrie, et de les ensevelir avec les plus grandes marques de dévotion. Voici comment Plutarque s'exprime à ce sujet : "Informée de l'événement (c'est-à-dire du démembrement d'Osiris) Isis se mit tout de suite à la recherche des membres du corps de son mari, et prit une barque de jonc de papyrus pour traverser plus facilement les endroits bas et marécageux... Ce qui explique le nombre des sépulcres d'Osiris en Égypte, c'est que partout où elle trouvait un des membres de son mari, elle l'ensevelissait sur le lieu même ; d'autres cependant supposent que cela s'explique par suite d'un artifice de la reine, qui offrit à chacune de ces villes une image de son mari, afin que si Typhon venait à vaincre Horus dans le prochain combat, il ne pût trouver le véritable tombeau. Isis réussit à retrouver tout ces membres différents, à l'exception d'un seul qui avait été dévoré par les Lépidotes, les Phagres et les Oxyrinques ; c'est pour cela que ces poissons sont en horreur chez les Égyptiens. Pour se dédommager, elle consacra le Phallus, et institua une fête en son honneur (10)." Cela ne montre pas seulement la vraie origine du culte des reliques ; cela montre aussi que la multiplication des reliques peut prétendre à la plus vénérable antiquité. Si donc Rome peut se vanter d'avoir seize ou vingt vêtements sacrés, sept ou huit bras de saint Matthieu, deux ou trois têtes de saint Pierre, ce n'est pas plus que l'Égypte ne pouvait faire pour les reliques d'Osiris. L'Égypte était couverte de tombeaux du dieu martyr ; et plus d'une jambe, plus d'un bras, plus d'un crâne déclarés authentiques, étaient exposés dans les cimetières rivaux à l'adoration des fidèles.
C'est ce que nous apprend Wilkinson, d'après un passage de Plutarque (11). "Le temple de ce dieu à Abydos, dit-il, était aussi particulièrement honoré, et ce lieu était si sacré pour les Égyptiens, que des personnes demeurant à quelque distance demandèrent et obtinrent, non sans peine, la permission de posséder un sépulcre en dedans de la Nécropole, afin qu'après leur mort elles pussent reposer dans une terre sanctifiée par la tombe de la grande et mystérieuse divinité (12)." Si les endroits où on avait enseveli les reliques d'Osiris étaient réputés particulièrement saints, il est facile de voir combien cela provoquait naturellement des pèlerinages qui étaient si fréquents parmi les païens. Le lecteur sait quel mérite Rome attache à ces pèlerinages aux tombeaux des saints et comment, au Moyen Âge, l'une des manières préférées de se purifier du péché était d'entreprendre un pèlerinage à la chapelle de Saint-Jacques de Compostelle en Espagne, ou au Saint-Sépulcre à Jérusalem (13). Or, il n'y a pas dans l'Écriture la moindre trace de quoi que ce soit qui ressemble à un pèlerinage à la tombe d'un saint, d'un martyr, d'un prophète ou d'un apôtre. La manière même dont le
Seigneur jugea bon de disposer du corps de Moïse en l'ensevelissant dans les plaines de Moab, afin que personne ne sût jamais où était son sépulcre, avait évidemment pour but de décourager les sentiments du genre de ceux qui donnent naissance aux pèlerinages. En considérant le pays d'où venait Israël, les idées égyptiennes dont il était infecté, comme on le voit par le veau d'or, et la grande vénération que ce peuple avait pour Moïse, on comprend aisément la sagesse du Dieu qui disposait ainsi de son corps. Il y avait, dans le pays où Israël séjourna si longtemps, des pèlerinages pompeux qui s'accomplissaient à certaines époques de l'année, et entraînaient souvent de lourdes dépenses. Hérodote nous dit que de son temps la foule qui venait annuellement en pèlerinage à Bubastis, s'élevait à 700 000 personnes, et qu'alors on buvait plus de vin qu'à aucune autre époque de l'année (14).
Wilkinson parle d'un autre pèlerinage semblable qui se faisait à Philae : "Outre la célébration des grands mystères de Philae, il y avait à une certaine époque une grande cérémonie : les prêtres, dans une procession solennelle, visitaient sa tombe et la couronnaient de fleurs (15). Plutarque prétend même qu'à toute autre époque l'entrée de l'île était interdite, et qu'aucun oiseau ne volait au-dessus, aucun poisson ne s'approchait de la terre sacrée (16)." Il ne paraît pas que ce fut là une simple procession de prêtres dans le voisinage immédiat de la tombe, mais un véritable pèlerinage national ; car, nous dit Diodore, tous les prêtres d'Égypte révèrent le tombeau d'Osiris à Philae (17).
Nous n'avons pas les mêmes renseignements précis sur le culte des reliques en Assyrie ou à Babylone, mais nous en savons assez pour montrer que si le dieu Babylonien était adoré en Égypte sous le nom d'Osiris, de même dans son propre pays on avait pour ses reliques la même vénération superstitieuse.
Nous avons déjà vu qu'à la mort du Zoroastre des Babyloniens on disait qu'il avait donné sa vie en sacrifice volontaire, et qu'il avait chargé ses concitoyens de conserver ses restes, leur assurant que l'observation ou l'oubli de cet ordre d'un mourant déciderait de la destinée de l'empire (18). Aussi lisons-nous dans Ovide 257
que Busta Nini ou la tombe de Ninus, fut longtemps un des monuments de Babylone (19).
Or, si l'on compare la mort et la prétendue résurrection du faux Messie avec la mort et la résurrection du véritable, on verra qu'il y a entre les deux un contraste frappant.
Quand le faux Messie mourut, ses membres furent séparés l'un de l'autre et ses ossements dispersés dans le pays. Quand le véritable Messie mourut au contraire, la Providence s'y prit de telle manière que le corps fut conservé tout entier, et que la parole prophétique s'accomplit fidèlement : "Aucun de ses os ne sera rompu" (Psaumes XXXIV, 20 ; Jean XIX, 36). De plus, lorsque le faux Messie ressuscita, dit-on, ce fut avec un corps nouveau, tandis que l'ancien corps avec tous ses membres fut abandonné, ce qui indique bien que la résurrection n'était qu'un prétexte et une imposture. Quand cependant le vrai Messie fut "déclaré Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d'entre les morts" (Romains I, 4), sa tombe, quoique gardée avec un soin jaloux par les incrédules soldats de Rome, fut trouvée entièrement vide (Matthieu XXVIII, 6 ; Marc XVI, 6 ; Luc XXIV, 3), et on ne trouva jamais, jamais on ne prétendit avoir trouvé le corps du Seigneur.
La résurrection du Christ repose donc sur un fondement bien différent de celle d'Osiris. Il ne pouvait y avoir par conséquent aucune relique du corps de Jésus. Rome cependant, pour développer le système babylonien, a suppléé à cette lacune au moyen des reliques des saints ; et aujourd'hui les reliques de Saint-Paul et de Saint-Pierre, ou de Saint-Thomas Beckett et Saint-Laurent O'Toole, occupent dans le culte de la papauté la même place que les reliques d'Osiris en Égypte ou de Zoroastre à Babylone.
1. De CivitateDei, liv. XXII, vol. IX, ch. 8, p. 875. B. C.
2. De Civitate Dei, liv. XXII, vol. IX, ch. 8, p. 874-875. Cette histoire du poisson et de l'anneau est une vieille histoire Égyptienne (WILKINSON, vol. I, p. 186-187) Catosus, le bon chrétien, était évidemment un suppôt des prêtres, qui pouvaient se permettre de lui donner un anneau pour le mettre dans le ventre du poisson. Le miracle devait amener des adorateurs à la chapelle des Vingt Martyrs, et ainsi procurer de la mouture à leur moulin, et les dédommager largement.
3. PAUSANIAS, liv. IX, Boetica, ch. XVIII, p. 746.
4. POCOCKE, L'Inde en Grèce, p. 307.
5. POCOCKE, p. 307-308.
6. Interprétation originale de l'Apocalypse, p. 72.
7. POCOCKE, p. 321.
8. ibid. note.
9. Recherches Asiatiques, vol. X, p. 128-129.
10. PLUTARQUE, vol. II, p. 358. A.
11. ibid. p. 359, A.
12. WILKINSON, vol. IV, p. 346.
13. Christianisme Évangélique, année 1855, vol. IX, p. 201.
14. HÉRODOTE, Histoires, liv. II, ch. 60, p. 126-127.
15. PLUTARQUE, vol. II, p. 359. B.
16. WILKINSON, Les Égyptiens, vol. IV, p. 346.
17. DIODORE, liv. I, p. 13.
18. SUIDAS, dans Zoroastre, vol. I, p. 1133-1134. Pour obtenir plus de renseignements sur ce sujet, voir plus loin au ch. 7, l'article 1, qui jette la lumière sur l'histoire de Phaëton.
19. Métamorphoses, liv. IV, vol. II, v. 88, p. 278.
Chapitre 5
Rites et cérémonies
Article 3
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