Le sacrifice de la messe

Si la régénération par le baptême, point de départ des croyances romaines, et la justification par les oeuvres, sont toutes les deux d'origine chaldéenne, le principe contenu dans le sacrifice non sanglant de la messe ne l'est pas moins. Tacite (1) nous apprend qu'il n'était pas permis d'offrir du sang sur les autels de la Vénus de Paphos. On immolait des victimes pour les consultations de l'Aruspice, afin de tirer des présages pour l'avenir, d'après l'inspection des entrailles de ces victimes ; mais les autels de la déesse de Paphos devaient être gardés purs de tout sang. Tacite montre que l'Aruspice du temple de la Vénus de Paphos fut amené de Cilicie parce qu'il connaissait les cérémonies de cette déesse ; c'était le moyen de les faire accomplir convenablement suivant la volonté supposée de Vénus, car les Ciliciens avaient une connaissance particulière de ces cérémonies. "Tarse", capitale de la Cilicie, fut bâtie par Sennachérib, roi d'Assyrie, sur le modèle de Babylone (2). Les religions des deux villes correspondent naturellement, et lorsque nous trouvons à Chypre (dont le prêtre venait de Cilicie) des sacrifices non sanglants, c'est, dans ces circonstances, une forte présomption que le sacrifice non sanglant y parvint par la Cilicie depuis Babylone. Cette présomption est grandement confirmée quand nous lisons dans Hérodote que cette coutume extraordinaire et abominable de Babylone, la prostitution des vierges en l'honneur de Mylitta, était observée aussi à Chypre, en l'honneur de Vénus (3). Mais le témoignage de Pausanias change cette présomption en certitude. "Tout près de là, dit cet historien, parlant du temple de Vénus à Athènes, se montre le temple de la Vénus céleste, qui fut d'abord adorée par les Assyriens, puis par les Paphiens de Chypre, et enfin par les Phéniciens qui habitaient Ascalon en Palestine. Mais les Cythéréens vénéraient cette déesse parce qu'ils avaient appris les rites sacrés par le moyen des Phéniciens (4)." Ainsi la Vénus d'Assyrie c'est-à-dire la grande déesse de Babylone et la Vénus de Chypre, étaient une seule et même déesse, et les autels non sanglants de la déesse de Paphos montrent le caractère du culte particulier à la déesse de Babylone dont elle était dérivée.

À cet égard, la reine déesse de Chaldée différait de son fils qu'on adorait dans ses bras. Il était, nous l'avons vu, représenté comme heureux de voir le sang répandu. Mais elle, comme mère de la grâce et de la miséricorde, comme céleste colombe, comme espoir du monde (5), était opposée au sang et était représentée avec un caractère doux et pacifique. Aussi à Babylone elle portait le nom de Mylitta (6), la Médiatrice (7). Celui qui lit la Bible, et sait qu'elle déclare expressément que de même qu'il y a un seul Dieu, il y a aussi un seul médiateur entre Dieu et l'homme (I Timothée II, 5), doit se demander comment il pût jamais venir à l'esprit d'un homme de décerner à Marie, comme le fait l'église romaine, le caractère de médiatrice. Mais le caractère de Mylitta donné à la déesse babylonienne l'explique facilement. Pour justifier ce caractère de médiatrice, elle fut appelée Aphrodite, c'est-à-dire celle qui dompte la colère (8), celle qui par ses charmes pouvait calmer la colère de Jupiter, et apaiser les esprits les plus furieux des dieux ou des mortels. À Athènes on l'appelait Amarusia (9), c'est-à-dire la mère qui reçoit avec faveur (10). À Rome on l'appelait la bonne déesse, bona dea ; les mystères de cette déesse étaient célébrés par des femmes, avec un secret particulier. Dans l'Inde la déesse Lakshmi, la mère de l'univers, la compagne de Vichnou est aussi représentée comme ayant le caractère le plus gracieux et le plus propice et ce caractère est désigné de la même manière que pour la déesse de Babylone. Dans les fêtes de Lakshmi, dit Coleman, on n'offre aucun sacrifice sanguinaire (11). En Chine, les grands dieux dont dépendent les destinées finales de l'humanité sont pour les esprits du peuple comme des objets de terreur ; mais la déesse Kuanyin, la déesse de miséricorde (12), qui d'après les Chinois de Canton offre de l'analogie avec la vierge de Rome, est décrite comme regardant les coupables avec un oeil compatissant et s'interposant pour sauver même les âmes des malheureux, des tourments auxquels ils ont été condamnés dans le

monde des esprits (13). Aussi les Chinois l'entourent-ils d'une faveur particulière. Ce caractère de la déesse mère a évidemment rayonné de Chaldée dans toutes les directions.

Or, nous voyons maintenant comment il se fait que Rome représente Christ, l'agneau de Dieu, doux et humble de coeur, qui ne brisait jamais le roseau froissé, qui n'éteignait point le lumignon encore fumant, qui avait pour chaque pénitent des paroles du plus doux encouragement, qui pleurait sur Jérusalem, qui priait pour ses bourreaux, comme un juge dur et inexorable, devant qui le pécheur pourrait ramper dans la poussière sans jamais être sûr que ses prières soient entendues (14), tandis que Marie nous est présentée avec l'éclat le plus irrésistible et le plus séduisant, comme l'espoir du coupable, comme le grand refuge des pécheurs. C'est ainsi que le premier, dit-on, s'est réservé pour lui-même la justice et le jugement, tandis qu'il a remis à sa mère l'exercice de toute miséricorde (15). Les ouvrages religieux de Rome les plus en vue sont envahis par ce même principe, exaltant la compassion et la douceur de la mère aux dépens du caractère aimant de son fils. Ainsi saint Alphonse de Liguori dit à ses lecteurs que le pécheur qui s'aventure à venir directement à Christ doit craindre son courroux ; mais s'il emploie seulement la médiation de la Vierge avec son Fils, elle n'a qu'à montrer à son Fils les mamelles qui l'ont allaité (16), et sa colère sera immédiatement apaisée. Mais où a-t-on pu trouver dans la Parole de Dieu une semblable idée ? Certainement ce n'est pas dans la réponse de Jésus à cette femme qui s'écria : - "Heureux le sein qui l'a porté et les mamelles qui l'ont allaité." - Jésus répondit et lui dit : "Bienheureux plutôt sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique !" (Luc XI, 27-28). Il n'y a pas à en douter, cette réponse fut inspirée par la prévoyance du Sauveur, pour réprimer dans sa formation toute idée semblable à celle qu'exprimé Liguori ! Et cependant cette idée qu'on ne trouve pas dans l'Écriture, que l'Écriture répudie expressément, était largement répandue chez les nations païennes. Ainsi, nous trouvons une représentation exactement parallèle dans la mythologie Hindoue au sujet du dieu Siva et de sa femme Kali, lorsque Dieu apparut comme un petit enfant. Siva, dit le Lingua Puran, apparut comme un enfant dans un cimetière entouré d'esprits, et en le voyant, Kali sa femme le prit dans ses bras, et le caressant lui donna le sein. Il suça le liquide doux comme le nectar ; mais comme il se mettait en colère, Kali, pour le distraire et l'apaiser, le serrant sur sa poitrine, se mit à danser avec ses spectres et ses démons au milieu des morts jusqu'à ce qu'il fût joyeux et ravi, tandis que Vichnou, Brahma, Indra, et tous les dieux prosternés louaient par leurs chants élogieux le dieu des dieux Kal et Parvati (17). Kali, dans l'Inde, est la déesse de la destruction ; mais le pouvoir de la déesse mère a trouvé son introduction dans le mythe même qui concerne cette déesse de destruction, capable d'apaiser un dieu offensé par des moyens qu'on emploie d'ordinaire pour calmer un entant capricieux. Si l'histoire Hindoue montre son dieu des dieux sous un jour si dégradant, l'histoire papale honore-t-elle mieux le Fils du Dieu béni, lorsqu'elle nous le représente comme ayant besoin d'être apaisé par sa mère qui lui présente le sein qu'il a sucé ? Tout cela est fait uniquement pour exalter la mère, comme étant plus gracieuse et plus miséricordieuse que son glorieux Fils.

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