Pline
le Jeune (61-112), issu d'une famille influente, et très lié à
Trajan, mena une vie publique fort active ; il trouva cependant le
temps d'échanger avec ses amis une volumineuse correspondance.
Celle-ci constitue un document de grande valeur pour dresser un
tableau de la société romaine au début du second siècle. En 110,
l'empereur chargea Pline en tant que " légat d'Auguste "
de réorganiser la province de Bithynie fort troublée. Le 10e livre
des Lettres est entièrement consacré à la correspondance
officielle entre le proconsul, gouverneur de Bithynie, et
l'empereur. Parmi toutes les lettres de ce livre, deux sont
particulièrement dignes d'intérêt; elles constituent le
témoignage païen le plus ancien sur le Christ et les chrétiens.
En effet, vers 111-112, Pline se trouve pour la première fois en
présence de chrétiens. Ne manquant pas une occasion de se faire
bien voir de l'empereur, Pline écrit à trajan ce qu'il a fait et
lui demande conseil sur la conduite à tenir en pareille
circonstance. La réponse Trajan, fort mesurée, nous est également
parvenue.
ettres
X, 96. Pline à Trajan :
"
Maître, c'est une règle pour moi de te soumettre tous les points
sur lesquels j'ai des doutes : qui pourrait mieux me diriger quand
j'hésite ou m'instruire quand j'ignore ?
Je
n'ai jamais participé à des informations contre les chrétiens ;
je ne sais donc à quels faits et dans quelle mesure s'appliquent
d'ordinaire la peine ou les poursuites (Notes de l'historien :
Les chrétiens avaient à redouter la furie populaire déchaînée
face à leur culte illégal et le pouvoir du gouverneur, bien qu'il
ne semble pas qu'une base juridique spécifique soit à la base de
ces persécutions).
Je
me demande non sans perplexité s'il y a des différences à
observer selon les âges ou si la tendre enfance est sur le même
pied que l'adulte, si l'on pardonne au repentir ou si qui a été
tout à fait chrétien ne gagne rien à se dédire, si l'on punit le
seul nom de chrétien en l'absence de crimes ou les crimes
qu'implique le nom. En attendant voici la règle que j'ai suivie
envers ceux qui m'étaient déférés comme chrétiens (Notes de
l'historien : les motifs de poursuivre les chrétiens ne manquaient
pas : crime de lèse-majesté, association illicite…).
Je
leur ai demandé à eux-mêmes s'ils étaient chrétiens. A ceux qui
avouaient, je l'ai demandé une seconde et une troisième fois, en
les menaçant du supplice ; ceux qui persévéraient, je les ai fait
exécuter : quoi que signifiât leur aveu, j'étais sûr qu'il
fallait punir au moins cet entêtement et cette obstination
inflexibles. D'autres, possédés de la même folie, je les ai en
tant que citoyens romains notés pour être envoyés à Rome
(Notes de l'historien : Pline considère comme normal cette
procédure concernant les citoyens romains. En Actes 25 :12, Paul
réclame ce droit en tant que citoyen romain, statut hérité de son
père).
Bientôt,
comme il arrive en pareil cas, l'accusation s'étendant avec le
progrès de l'enquête, plusieurs cas différents se sont
présentés. On a affiché un libelle sans signature contenant un
grand nombre de noms. Ceux qui niaient être chrétiens ou l'avoir
été, s'ils invoquaient les dieux selon la formule que je leur
dictais et sacrifiaient par l'encens et le vin devant ton image
(Notes de l'historien : c'est le critère pour définir qui est
chrétien : le refus du culte impérial) que j'avais fait
apporter à cette intention avec les statues des divinités, si en
outre ils blasphémaient le Christ - toutes choses qu'il est,
dit-on, impossible d'obtenir de ceux qui sont vraiment chrétiens -
, j'ai pensé qu'il fallait les relâcher. D'autres, dont le nom
avait été donné par un dénonciateur, dirent qu'ils étaient
chrétiens, puis prétendirent qu'ils ne l'étaient pas, qu'ils
l'avaient été à la vérité, mais avaient cessé de l'être, les
uns depuis trois ans, d'autres depuis plus d'années encore,
quelques-uns même depuis vingt ans. Tous ceux-là aussi ont adoré
ton image ainsi que les statues des dieux et ont blasphémé le
Christ.
D'ailleurs
ils affirmaient que toute leur faute, ou leur erreur, s'était
bornée à avoir l'habitude de se réunir à jour fixe avant le
lever du Soleil, de chanter entre eux alternativement un hymne au
Christ comme à un dieu (Notes de l'historien : voir Philippiens
2 :6-11 ; Colossiens 1 :15-20), de s'engager par serment non à
perpétrer quelque crime mais à ne commettre ni vol, ni brigandage,
ni adultère, à ne pas manquer à la parole donnée, à ne pas nier
un dépôt réclamé en justice (Notes de l'historien : voir
Colossiens 3 :5) ; ces rites accomplis, ils avaient coutume de
se séparer et de se réunir encore pour prendre leur nourriture
(Notes de l'historien : voir actes 2 :42) qui, quoi qu'on dise,
est ordinaire et innocente ; même cette pratique, ils y avaient
renoncé après mon édit par lequel j'avais, selon tes
instructions, interdit les hétairies (Notes de l'historien :
associations plus ou moins secrètes).
J'ai
cru d'autant plus nécessaire de soutirer la vérité à deux
esclaves que l'on disait diaconesses (Notes de l'historien : Voir
Romains 16), quitte à les soumettre à la torture. Je n'ai
trouvé qu'une superstition déraisonnable et sans mesure. Aussi
ai-je suspendu l'information pour recourir à ton avis. L'affaire
m'a paru mériter que je prenne ton avis, surtout à cause du nombre
des accusés. Il y a une foule de personnes de tout âge, de toute
condition, des deux sexes aussi, qui sont ou seront mises en péril.
Ce n'est pas seulement à travers les villes, mais aussi à travers
les villages et les campagnes que s'est répandue la contagion de
cette superstition ; je crois pourtant qu'il est possible de
l'enrayer et de la guérir.
Il
n'est certes pas douteux qui les temples qui étaient désormais
presque abandonnés commencent à être fréquentés, que les
cérémonies rituelles longtemps interrompues sont reprises, que
partout on vend la chair des victimes, qui jusqu'à présent ne
trouvait plus que de très rares acheteurs. D'où Il est aisé de
penser quelle foule d'hommes pourrait être guérie si l'on
accueillait le repentir."
éponse
de Trajan à Pline :
"
Mon cher Pline, tu as suivi la conduite que tu devais dans l'examen
des causes de ceux qui t'avaient été dénoncés comme chrétiens.
Car on ne peut instituer une règle générale qui ait pour ainsi
dire une forme fixe. Il n'y a pas à les poursuivre d'office. S'ils
sont dénoncés et convaincus, il faut les condamner, mais avec la
restriction suivante : celui qui aura nié être chrétien et en
aura par les faits eux-mêmes donné la preuve manifeste, je veux
dire en sacrifiant à nos dieux, même s'il a été suspect en ce
qui concerne le passé, obtiendra le pardon comme prix de son
repentir. Quant aux dénonciations anonymes, elles ne doivent jouer
aucun rôle dans quelque accusation que ce soit ; c'est un procédé
d'un détestable exemple et qui n'est plus de notre temps."
Dans
les Annales écrites vers 115, Tacite évoque l'incendie de Rome en
64 et les mesures ordonnées par Néron pour reconstruire la ville.
Il rappelle la persécution des Chrétiens voulue par Néron. Selon
certains commentateurs, nous aurions dans ce texte l'un des plus
anciens témoignages hérités du monde païen sur les Chrétiens.
acite,
Annales XV, 44
"Aucun
moyen humain, ni les largesses du prince, ni les cérémonies pour
apaiser les dieux, ne faisaient céder l'opinion infamante d'après
laquelle l'incendie avait été ordonné. En conséquence, pour
étouffer la rumeur, Néron produisit comme inculpés, et livra aux
tourments les plus raffinés des gens, détestés pour leurs
turpitudes (Notes de l'historien : les mêmes accusations sont
portées contres les juifs), que la foule appelait "
chrétiens ".
Ce
nom leur vient de Christ, que, sous le principat de Tibère, le
procurateur Ponce Pilate avait livré au supplice ; réprimée sur
le moment, cette exécrable superstition faisait de nouveau
irruption, non seulement en Judée, berceau du mal, mais encore à
Rome, où tout ce qu'il y a d'affreux ou de honteux dans le monde
converge et se répand. On commença donc par poursuivre ceux qui
avouaient, puis, sur leur dénonciation, une multitude immense, et
ils furent reconnus coupables, moins du crime d'incendie qu'en
raison de leur haine pour le genre humain. A leur exécution on
ajouta des dérisions, en les couvrant de peaux de bêtes pour
qu'ils périssent sous la morsure des chiens, ou en les attachant à
des croix, pour que, après la chute du jour, utilisés comme des
torches nocturnes, ils fussent consumés. " (Selon certaines
traditions, c'est sous cette persécution que Pierre aurait été
martyrisé).
Suétone
mentionne les mesures de salut public prises après l'incendie de
Rome de 64.
uétone,
Vies, Néron, XVI
"
... Il fut défendu de vendre dans les cabarets aucune denrée
cuite, en dehors des légumes et des herbes potagères, alors qu'on
y servait auparavant toutes sortes de mets ; on livra au supplice
les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle
et dangereuse ; on interdit les ébats des conducteurs de quadriges,
qu'un antique usage autorisait à vagabonder dans toute la ville en
trompant et volant les citoyens pour se divertir ; on relégua à la
fois les pantomimes et leurs factions."... suivant