CHAPITRE VII

LA SOUFFRANCE COMME MODE DE MANIFESTATION DES MOURANTS AVEC LE CHRIST

En conséquence de sa doctrine mystique, Paul se trouve dans la position d'affirmer l'existence de la mort et de la résurrection, même là où rien de tel n'est visible. Il peut cependant en donner des indications. La mort que le croyant éprouve avec le Christ se manifeste par des souffrances qui détruisent ou tendent à détruire sa vie. L'état de résurrection qui est en voie de formation se manifeste par la présence de l'Esprit comme principe de vie surnaturel. La diminution de la vie naturelle et l'expression de la vie surnaturelle dans le naturel sont, pour la connaissance qui peut regarder dans les profondeurs des choses, des indices du déplacement de l'état naturel par le surnaturel qui se développe chez le croyant.

En accord avec cette conception, Paul considère toute souffrance comme une mort et la caractérise par ce terme. Cela explique pourquoi l’idée de souffrance se transforme en celle de mourir avec Lui ou, comme c’est plus courant, est simplement remplacée par elle. Cela établit un point de distinction évident entre la théologie paulinienne et non paulinienne. Dans la première épître de Pierre, quelle que soit sa plume et quelle que soit l’époque à laquelle elle a été rédigée, on trouve plus de détails sur la souffrance et la souffrance avec le Christ que dans toutes les épîtres pauliniennes réunies. En revanche, l’idée de mourir avec le Christ n’y apparaît pas.

1 Pierre i. 6-7 : « … quoique vous soyez maintenant affligés pour un peu de temps par diverses tentations, vu que cela est convenable; afin que l'épreuve de votre foi, beaucoup plus précieuse que l'or qui périt, » — 1 Pierre i. 11 : « les souffrances qui devaient arriver à Christeis Christon, grec ), et la gloire qui les devait suivre » — 1 Pierre ii. 20-21 : « et que vous le souffriez patiemment, voilà où Dieu prend plaisir. Car aussi vous êtes appelés à cela; vu même que Christ a souffert pour nous, nous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses traces; » — 1 Pierre iii. 14 : « Que si toutefois vous souffrez quelque chose pour la justice, vous êtes bienheureux; » — 1 Pierre iv. 1 : « PUIS donc que Christ a souffert pour nous en la chair, vous aussi soyez armés de cette même pensée, que celui qui a souffert en la chair, a désisté du péché; » — 1 Pierre iv. 13 : « Mais en ce que vous participez aux souffrances de Christ, réjouissez vous; afin qu'aussi, à la révélation de sa gloire, vous vous réjouissiez avec allégresse. » — 1 Pierre iv. 16 : « Mais si quelqu'un souffre comme chrétien, qu'il n'en ait point de honte; mais qu'il glorifie Dieu en cela. » — 1 Pierre iv. 19 : « Que ceux-là donc aussi qui souffrent par la volonté de Dieu, » — 1 Pierre v. 9 : « sachant que les mêmes souffrances s'accomplissent en la compagnie de vos frères, qui sont dans le monde. » — 1 Pierre v. 10 : « Or, le Dieu de toute grâce, après que vous aurez souffert un peu de temps, vous rende accomplis »

Il n’y a que quelques passages dans lesquels Paul parle de souffrir avec le Christ.

2 Cor. i. 5 : « Car comme les souffrances de Christ abondent en nous, de même notre consolation abonde aussi par Christ. »

Romains 8. 17 : « cohéritiers de Christ; si nous souffrons avec lui, afin que nous soyons aussi glorifiés avec lui. »

Romains viii. 18 : « j'estime que les souffrances du temps présent ne sont point comparables à la gloire à venir qui doit être révélée en nous. »

Paul, comme s’il suivait une nécessité intérieure, laisse généralement la pensée de la souffrance se fondre dans celle de la mort. Dans Philippiens 3. 10-11, il parle de la communion avec les souffrances du Christ, mais ajoute immédiatement qu’en cela il est rendu conforme à la mort du Christ. Dans Romains 8. 35-36, il conclut la liste des souffrances par la citation : « Mais nous sommes tous les jours mis à mort pour l'amour de toi » (Psaume 44. 23). Dans 2 Corinthiens 1. 8-10, Paul décrit une délivrance d’une affliction grave en Asie comme une délivrance de la mort par Dieu « qui ressuscite les morts ». Dans 2 Corinthiens 4. 8-12, il interprète ses ennuis comme le fait de porter dans son corps la mort de Jésus. 2 Corinthiens xi est particulièrement instructif. 23. Il va ici clore la liste des détresses et des dangers dans lesquels on l'a préservé par la mention des périls mortels, mais il emploie à la place le mot de mort, dont il lui faut former à cet effet le pluriel illogique ( en thanatois , grec) !

En général, il s'épargne cependant le détour par l'idée de la souffrance et parle simplement de la mort là où il serait plus logique de ne parler que de souffrance. Pour rendre le paradoxe complet, il peut exprimer le mourant comme un être crucifié et enseveli avec le Christ.

« je meurs de jour en jour » 1 (1 Cor. xv. 31). — « Nous sommes donc ensevelis avec lui en sa mort par le Baptême » (Rom. vi. 4). — « si nous sommes morts avec Christ » (Rom. vi. 8). — « faites votre compte que vous êtes morts » (Rom. vi. 11). — «  Car nous qui sommes morts au péché » (Rom. vi. 2). — « Ainsi, mes frères, vous êtes aussi morts à la loi par le corps de Christ » (Rom. vii. 4). — « Et si Christ est en vous, le corps est bien mort » (Rom. viii. 10). — « portant toujours partout en notre corps la mort du Seigneur Jésus » (2 Cor. iv. 10). — « Car nous qui vivons, nous sommes toujours livrés à la mort pour l'amour de Jésus » (2 Cor. iv. 11). — « Mais pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel le monde m'est crucifié, et moi au monde. » (Gal. VI, 14). — « Je suis crucifié avec Christ » (Gal. II, 20). — « Au reste, que personne ne me donne du chagrin : car je porte en mon corps les flétrissures (stigmates, στίγματα) du Seigneur Jésus. » (Gal. VI, 17).

1 Karl von Weizsäcker, dans sa célèbre traduction du Nouveau Testament, n'ose pas donner toute la force de cette pensée : « La mort est chaque jour devant moi. »

Les stigmates désignent avant tout les marques qui permettent de reconnaître un esclave ou un animal comme appartenant à son maître. Le signe de l'appartenance au Christ est la souffrance. Gal. 6. 17 signifie donc, comme 2 Cor. 4. 10, que Paul porte avec lui la mort du Christ. Il est possible que par les stigmates il entende aussi les cicatrices qui ont dû rester de ses diverses flagellations. Il est possible qu'il veuille affirmer qu'il est de telle manière crucifié avec Jésus, qu'il doit être considéré comme quelqu'un qui porte les marques de la crucifixion. En tant que crucifié pour le Christ, il exige que personne ne lui fasse désormais de peine, comme s'il était encore un simple homme naturel.

Cette affirmation de Paul, comme on le sait, est le point de départ d'un phénomène qui s'est produit chez une série de personnes anormalement suggestives, à savoir l'apparition visible de blessures saignantes sur les mains et les pieds. Ce qui se passe, c'est que, par l'imagination intense des marques de blessures telles qu'elles sont connues à partir d'images, et par le désir conscient ou inconscient de partager l'expérience de stigmatisation attribuée à Paul, de telles marques de blessures apparaissent effectivement en conséquence de l'excitation vasomotrice qui les accompagne. Ce que Paul entendait métaphoriquement devient ici littéral.

• · · · · ·

En énonçant la conception dynamique de l'union avec le Christ dans sa mort, Paul donne simplement à une idée dérivée de l'eschatologie, prêchée par Jésus et tenue dans le christianisme primitif, la forme d'expression qu'elle doit logiquement prendre en conséquence de la mort et de la résurrection de Jésus.

Jusqu'à l'envoi des Douze , Jésus enseigna que ses disciples devaient souffrir avec lui et endurer jusqu'à la mort pour être reconnus par le Fils de l'homme comme appartenant au Royaume messianique.1 Le genre de persécution qu'il attend pour lui-même et pour les croyants du Royaume est celui qu'implique la conception générale de la tribulation pré-messianique. Plus tard, à cause du retard de cette tribulation, il en vint à la conviction que la mort qu'il s'attirerait volontairement serait acceptée par Dieu comme une expiation pour les élus, et que ceux-ci seraient par conséquent épargnés de la tribulation.2 Comme il gardait cette pensée secrète pour lui -même, n'y faisant que des allusions voilées, le christianisme primitif ne comprenait, en ce qui concerne sa mort, que le fait qu'il avait ainsi fait une expiation, en conséquence de laquelle la venue du Royaume devient possible et que les élus reçoivent par le baptême la rémission des péchés, comme cela sera manifesté au jugement à venir. En outre, la persécution et la tribulation continuent, et c'est maintenant qu'elles commencent réellement. Par conséquent, l'idée primitive selon laquelle Jésus était allé à la mort, si elle avait jamais été comprise, était désormais écartée par la réalité. L'idée de la tribulation pré-messianique subsistait toujours. Les croyants comprenaient la persécution qu'ils subissaient comme une partie de celle-ci. Ils mettaient donc naturellement ces souffrances en rapport avec celles de Jésus, car elles faisaient aussi partie de la tribulation pré-messianique. Leurs souffrances sont liées aux siennes et les prolongent. Si purement croyantes et pleines d'attente que fussent les attitudes des premiers chrétiens, il y avait néanmoins déjà dans leur conception de la souffrance un élément de la doctrine mystique de l'union avec le Christ, dans la mesure où, en vertu de la notion de la tribulation pré-messianique, ils sont ses compagnons de souffrance.

1

Voir sup. pp. 57-61.

2

Sur la vision de Jésus sur sa propre souffrance et sa mort, voir pp. 57-61, sup.

Dans le christianisme primitif, l’idée de suivre le Christ sur le chemin de la souffrance n’est guère séparée de celle de la communion avec le Christ dans la souffrance. Le croyant pense que sa souffrance fait partie de la grande tribulation qui, selon le décret divin, est infligée par les puissances opposées à Dieu à ceux qui appartiennent au futur Royaume messianique, Messie et élus, afin qu’ils soient purifiés, prouvent leur fidélité à Dieu et puissent prétendre à la gloire future. 3 Que ces souffrances appartiennent réellement au même ensemble que celles de Jésus-Christ n’est pas invalidé par leur séparation temporelle. Bien plus, les humiliations subies avant la venue du Christ appartiennent au même ensemble que la sienne. Dans l’épître aux Hébreux, le refus de Moïse d’être appelé le fils de la fille de Pharaon est loué parce que, avec une foi tournée vers l’avenir, il « considérait cette humiliation du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte » (Hébreux 11, 24-26).

3

Sur la Tribulation Finale, voir pp. 7982־, sup.

Seulement dans quelques passages du Nouveau Testament est exprimée l'idée de suivre l'exemple du Christ dans ses souffrances.

1 Pierre ii. 21 : « Car aussi vous êtes appelés à cela; (à savoir à souffrir) vu même que Christ a souffert pour nous, nous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses traces; »

1 Pierre iv. 1 : « PUIS donc que Christ a souffert pour nous en la chair, vous aussi soyez armés de cette même pensée »

Hébreux xiii. 12-13 : « C'est pourquoi aussi Jésus, afin qu'il sanctifiât le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte. Sortons donc vers lui hors du camp, en portant son opprobre. »

Dans la première épître de Pierre, l'idée d'imiter le Christ dans ses souffrances est associée à celle de participer à ses souffrances. Dans les écrits de Paul, elle n'apparaît pas du tout.

La première épître de Pierre est fondée sur l'idée de la relation entre la souffrance du croyant et celle du Christ ; cette idée est à la base d'innombrables passages des épîtres catholiques, de l'Apocalypse et des Pères apostoliques. Elle est le corrélatif originel de la notion de la mort expiatoire de Jésus. La théorie dogmatique ultérieure dans son ensemble ne peut donner aucune réponse logique et satisfaisante à la question de savoir comment ce que Jésus a gagné dans ses souffrances peut être communiqué aux autres. Elle n'est pas en mesure d'expliquer de manière satisfaisante la solidarité nécessaire à une telle communication, car elle ne dispose que de la notion de foi et d'une notion de l'Église qui a perdu sa vitalité originelle. Le christianisme primitif, au contraire, connaissait une relation vivante entre la souffrance du Christ et celle du croyant, qui se manifestait de manière visible. Ce que le Christ a gagné dans ses souffrances est transmis à ceux qui participent avec lui à la souffrance. Dans cette conception de la communion avec le Christ dans la souffrance, fondée sur l'idée de la tribulation pré-messianique et de l'Église préexistante, et maintenue vivante par le fait de la persécution constante, réside l'immédiateté de la croyance chrétienne primitive dans le pardon des péchés. C'est dans cet esprit que l'auteur de 10

1 Pierre enseigne que celui qui a souffert dans la chair est libéré du péché (1 Pierre iv. 1). Cela correspond à la pensée fondamentale de Paul qui sous-tend les déclarations sur la justification par la foi, selon lesquelles celui qui est mort avec Christ est libéré du péché.

1 Pierre iv. 1-2 : « celui qui a souffert en la chair, a désisté du péché; afin que durant le temps qui reste en la chair, vous ne viviez plus selon les convoitises des hommes, mais selon la volonté de Dieu. »

Le sens du passage n’est pas que par la souffrance sa chair a été rendue morte, de sorte qu’il n’a plus aucune impulsion à pécher ; par se libérer du péché, on entend le pardon sur la base du pouvoir expiatoire de la souffrance.

Selon les Psaumes de Salomon, la souffrance a également ce pouvoir d’annuler le péché.

Ps. Sol. xiii. 10 : « Car l’Éternel épargne ses justes, et il annule leurs transgressions en les châtiant. »

Ps. Sol. 18.4-5 : « Ta correction s’exerce sur nous comme sur un fils unique premier-né, afin que tu détournes les âmes obéissantes de leurs erreurs inconscientes. Que Dieu purifie Israël pour le jour de sa miséricorde guérissante, pour le jour du choix, où son oint viendra régner. »

Le fait que la souffrance annule le péché est également exprimé dans la conception du serviteur souffrant (Isaïe 53). Il souffre pour que les autres n'aient pas à supporter la peine de leurs méfaits.

Puisque Paul met la mort à la place de la souffrance, nous obtenons la déclaration (Rom. vi. 7) : « Car celui qui est mort est justifié ( δεδικαίωται ) du péché. » Il veut dire, comme le montre le contexte (Rom. vi. 4-11), la mort avec Christ.

Il y a un passage dans l'épître d'Ignace qui ne semble pas reconnaître la signification expiatoire de la souffrance. Dans son épître aux Romains (Ad Rom. v. 1), il dit, à propos des souffrances qu'il doit endurer de la part de ses gardes : « Sous leurs mauvais traitements, je suis mieux instruit, mais je n'en suis pas pour autant justifié. » Mais c'est là la modestie du martyr. Il veut dire que, comparé aux bêtes sauvages de Rome, il ne considère pas ses souffrances actuelles comme appartenant aux souffrances qui ont un pouvoir expiatoire ; de la même manière, il dit qu'il commence seulement à être un disciple (Ad Rom. v. 3).

De plus, son expression « mais pour cela je ne suis pas justifié » est suggérée par une réminiscence de 1 Cor. iv. 4 : « Car je ne me sens coupable de rien; mais pour cela je ne suis pas justifié ».

La communion avec le Christ dans la souffrance et la mort est la solution du problème du péché post-baptismal. Selon la conception de Paul, comme dans celle du christianisme primitif en général, la mort expiatoire du Christ n’apporte pas le pardon permanent des péchés, mais seulement la délivrance obtenue par le baptême des péchés commis antérieurement. Pour les transgressions ultérieures, la rédemption est assurée par la souffrance avec le Christ. Mais cette conception n’est défendable qu’aussi longtemps que l’attente eschatologique et la vision qui l’accompagne de la tribulation pré-messianique existent. A partir du moment où les croyants n’ont plus la conviction qu’ils se trouvent réellement dans la tribulation pré-messianique et qu’ils souffrent donc avec le Christ, le problème du pardon du péché post-baptismal se pose immédiatement sous la forme de la question d’une seconde repentance – et n’a jamais trouvé de solution satisfaisante.

La pensée de participer à l'expiation obtenue par le Christ n'est donc intelligible qu'en liaison avec la notion, qui lui était intimement liée à l'origine, de la participation aux souffrances du Christ. Avec la disparition de cette dernière, la doctrine de la rémission des péchés passe par un stade d'obscurité, pour devenir finalement, dans le catholicisme comme dans le protestantisme, quelque chose de tout à fait différent de ce qu'elle était dans le christianisme primitif.

La notion de la communion de souffrance avec le Christ n'est donc pas née chez Paul, comme on le suppose souvent, mais elle découle immédiatement de la notion de la tribulation pré-messianique. Paul la partage avec Jésus et avec le christianisme primitif, mais, conformément à sa doctrine mystique, il doit nécessairement l'intensifier jusqu'à la mort avec le Christ. Après la mort et la résurrection de Jésus, il ne peut y avoir, selon lui, aucune autre tribulation pré-messianique, car le temps messianique est déjà présent. La seule voie possible est de considérer la souffrance comme une mort avec le Christ.

Si audacieux qu'il soit de considérer la souffrance comme l'équivalent de la mort, Paul est néanmoins en droit d'espérer que ceux qui sont déjà familiers avec la pensée de souffrir avec le Christ la reconnaîtront et la comprendront sous la forme intensifiée, qu'il est devenu nécessaire de lui donner, de la communion dans la mort du Christ.

La logique de sa doctrine mystique oblige Paul, comme nous l'avons vu, à considérer la souffrance comme une forme de manifestation de la mort avec le Christ. Les souffrances excessives qui furent son lot dès le début de sa prédication du Christ l'ont aidé à arriver à cette conception.

On a souvent avancé que l'enseignement de Paul s'explique par le caractère unique de son expérience de conversion. Sa mystique, selon la théorie, n'est que cette expérience exprimée en termes d'application universelle. Mais si l'on peut réellement reconnaître quelque chose de son expérience personnelle particulière dans sa doctrine, ce n'est pas tant la vision du Christ sur la route de Damas que le fait que sa vie consacrée au Christ pouvait réellement lui apparaître comme celle d'un être livré à la mort. Il ne fait guère allusion au caractère particulier de sa conversion dans ses lettres. Pourtant, à maintes reprises, il parle de ses souffrances si nombreuses et si lourdes. C'est donc là, si nous devons accepter son propre témoignage, que réside l'expérience qu'il a généralisée dans son enseignement.

Les Actes des Apôtres ne nous racontent qu'une partie des lourdes épreuves qui lui furent infligées. Et pourtant, combien ! A Damas, immédiatement après sa conversion, le seul moyen par lequel il put échapper aux Juifs et à l'ethnarque du roi Arétas, qui cherchaient à le supprimer, fut de passer de nuit dans une corbeille par-dessus les murs de la ville (Actes IX, 23-25 ​​; 2 Cor. XI, 32-33). A Jérusalem, les Juifs hellénistes en veulent à sa vie, c'est pourquoi il est amené par les frères à Césarée, d'où il part pour Tarse (Actes IX, 29-30).

Au cours de son premier voyage missionnaire, il fut chassé d'Antioche de Pisidie ​​à la suite d'une émeute provoquée par les Juifs (Actes xiii, 50-51). A Iconium, il dut fuir pour échapper à une tentative de lapidation (Actes xiv, 5-6). A Lystres, il fut lapidé, traîné hors de la ville et laissé pour mort par la populace (Actes xiv, 19-20).

Au cours de son second voyage missionnaire, il fut d'abord flagellé puis jeté en prison par les autorités romaines (Ac 16, 22-24). De Thessalonique, il dut fuir la populace, soulevée contre lui par les Juifs (Ac 17, 5-9). Il subit plus tard le même sort à Bérée (Ac 17, 13-14). A Corinthe, il fut traîné devant le proconsul Gallion, frère du philosophe Sénèque, qui refusa cependant de s'immiscer dans les controverses religieuses des Juifs entre eux (Ac 18, 12-17).

Au cours de son troisième voyage missionnaire, une révolte éclate contre lui à Éphèse (Actes 19, 23-20, 1). À Corinthe, il ne peut réaliser son projet de se rendre en Syrie par mer, car les Juifs projettent de l'attaquer (ce qu'ils ont apparemment l'intention de faire soit pendant qu'il est à bord, soit en mer), et il est obligé de prendre la route terrestre à travers la Macédoine, guidé et gardé par des frères qui voyagent avec lui (Actes 20, 3). Puis à Jérusalem, la multitude, soulevée contre lui par les Juifs d'Asie, cherche à le tuer hors du Temple. Il est sauvé de ce sort par le capitaine de la garde romaine. Mais ce sauvetage est le début de la captivité qui doit conduire à sa mort (Actes 21, 27-35).

Ce n'est que dans les épîtres que nous entendons le récit complet de toutes les misères de son existence. À Éphèse, il avait combattu les hommes comme les bêtes sauvages.

1 Cor. XV, 32 : « Si j'ai combattu contre les bêtes à Ephèse, (par des vues humaines), quel profit en ai-je si les morts ne ressuscitent point? » Il ne s’agit pas d’un combat réel avec des bêtes sauvages . Si Paul avait été condamné comme perturbateur de la paix à combattre avec des bêtes sauvages, il aurait perdu par là même sa citoyenneté romaine. Mais lors de son arrestation à Jérusalem, il la possède encore. Il veut donc probablement dire qu’à Éphèse, les hommes s’étaient déchaînés contre lui comme des bêtes sauvages. Cela veut-il dire qu’il y eut un autre tumulte que celui provoqué par Démétrius ? (Actes XIX, 23-XX, 1) – car dans ce dernier, selon les Actes, il n’a pas été réellement exposé à la violence de la populace ?

C'est sans doute en faisant allusion aux paroles de Paul qu'Ignace parle des combats avec les bêtes qu'il a dû subir au cours de son voyage comme prisonnier. Ad Rom. v. 1 : « De Syrie à Rome, je combats avec les bêtes sur terre et sur mer, de jour et de nuit, enchaîné à dix léopards, c'est-à-dire à un détachement de soldats. Ceux-ci deviennent d'autant plus mauvais qu'ils sont mieux traités. »

Il faut remarquer aussi que les paroles de Paul peuvent être interprétées comme se rapportant à un cas imaginaire. « Si j’avais dû, à la manière des hommes, combattre contre des bêtes à Éphèse, à quoi cela m’aurait-il servi ? » Dans ce cas, il ferait allusion au fait, connu de ses lecteurs, qu’à Éphèse il avait failli être condamné à combattre contre des bêtes dans l’arène. Mais dans ce cas, les mots κατά άνθρωπον (à la manière des hommes) auraient-ils un sens propre ? En tout cas, Ignace pense que ce combat contre des bêtes est une métaphore.

Paul fut cinq fois flagellé par les Juifs; trois fois battu de verges; plusieurs fois mis en prison; trois fois naufragé, passant un jour et une nuit sur la mer; souffrant de la faim, de la soif, de la nudité; exposé aux périls dans les déserts et aux brigands.

1 Cor. iv. 9-13 : « Car je pense que Dieu nous a présentés, nous les apôtres, comme les derniers, comme des hommes condamnés à mort. Car nous sommes devenus un spectacle pour le monde, tant pour les anges que pour les hommes. 1 Nous sommes fous à cause de Christ, vous êtes sages en Christ ; nous sommes faibles, vous êtes forts ; vous êtes honorés, nous sommes méprisés. Car jusqu’à cette heure, nous avons faim et soif, nous sommes nus, maltraités, nous n’avons pas de demeure fixe, et nous nous débrouillons pour subvenir à nos besoins par le travail de nos mains. Injuriés, nous bénissons ; persécutés, nous supportons ; outragés, nous répondons avec bonté. Nous sommes devenus comme les ordures du monde, le rebut de tous jusqu’à ce jour. »

1 Cette figure tirée de l'arène se retrouve déjà chez Enoch (lxii, 9-12). Ici, au moment du jugement, les rois et les puissants de la terre supplient le Fils de l'homme de demander à Dieu sa miséricorde. Mais il les livre aux anges du châtiment, qui les prennent et se vengent d'eux pour avoir maltraité ses enfants et ses élus. Ils seront un spectacle pour les justes et ses élus ; ceux-ci se réjouiront à leur sujet, car la colère du Seigneur de l'Esprit s'abattra sur eux. Dans la rhétorique stoïcienne, les mages luttant contre le destin sont également considérés comme un spectacle pour les dieux et les hommes.

2 Cor. vi. 4-5 : « mais nous rendant recommandables, en toutes choses, comme ministres de Dieu, en grande patience, en afflictions, en nécessités, en angoisses, en blessures, en prisons, en troubles, en travaux, ... »

2 Cor. xi. 25-30 : « Sont-ils ministres de Christ? (je parle comme un imprudent) je le suis plus qu'eux : en travaux davantage, en blessures plus qu'eux, en prison davantage, en danger de mort plusieurs fois. J'ai reçu des Juifs par cinq fois quarante coups, moins un. J'ai été battu de verges trois fois; j'ai été lapidé une fois; j'ai fait naufrage trois fois; j'ai passé un jour et une nuit en la profonde mer; en voyages souvent, en périls des fleuves, en périls des brigands, en périls de ma nation, en périls des gentils, en périls dans les villes, en périls dans les déserts, en périls en mer, en périls parmi de faux frères; en peine et en travail, en veilles souvent, en faim et en soif, en jeûnes souvent, dans le froid et dans la nudité. Outre les choses de dehors, ce qui me tient assiégé tous les jours, c'est le soin que j'ai de toutes les Eglises. Qui est-ce qui est affaibli, que je ne sois aussi affaibli? Qui est-ce qui est scandalisé, que je n'en sois aussi comme brûlé? S'il faut se glorifier, je me glorifierai des choses qui sont de mon infirmité. »

·····

Les autorités juives punissaient les gens avec un fouet, les Romains avec des verges, c’est-à-dire avec des coups de bâton. Dans le châtiment infligé par les autorités de la synagogue, il ne s’agissait pas de flagellation à proprement parler, mais de coups avec une tresse de cuir de veau à quatre lanières, ce que nous pourrions appeler un fouet de cheval. Ce terrible procédé est décrit, en référence à Deutéronome xxv, 2-3, où les coups sont ordonnés, dans le traité de la Mishna « Makkot » (« Coups »). Il s’agissait à l’origine de la deuxième partie du célèbre traité de la Mishna « Sanhédrin » (Synedrium), qui traitait du droit pénal juif. Les parties les plus anciennes de ces deux traités proviennent probablement d’un recueil, établi au deuxième siècle après J.-C., de l’ancienne loi pénale juive traditionnelle. Les instructions qui y sont données correspondent donc sans aucun doute à la pratique juridique du temps de Jésus et des Apôtres. 4

4

Gustav Holscher, Die Mischnatraktate Sanhedrin und Makkot ins Deutsche fibre setzt (Tübingen, 1910 : 143 pages).

Deut. xxv. 2-3 : « Si le méchant a mérité d’être battu, le juge le fera jeter par terre et battre devant soi, par un certain nombre de coups, selon l’exigence de son crime. Il le fera donc battre de quarante coups, et non de davantage; de peur que, s’il continue à le battre au delà de ces coups, la plaie ne soit excessive, et que ton frère ne soit traité trop indignement devant tes yeux. »

Traité Makkot iii. 10 : « Combien de coups lui sera-t-il donné ? Quarante, moins un ; car il est écrit (Deut. xxv. 2-3) « jusqu’à quarante coups », (donc) un nombre proche de quarante. » 5 L’usage de donner un peu moins de quarante coups est également attesté chez Josèphe (Antiq.iv. 8, 21) : « Celui qui transgresse ces commandements recevra publiquement trente-neuf coups. » De même dans iv. 8, 23.

5

De peur que, par suite d’une erreur de comptage, le criminel ne reçoive plus de quarante coups, il est prescrit que le criminel en reçoive moins de quarante. « Rabbi Juda (d’autre part) dit : « Il reçoit quarante coups. Où reçoit-il le quarantième en trop ? Entre les épaules. » Tract. Makkot iii. 10.

Tract. Makkot iii. 12-14 : « (L'homme) attache ses mains au pilier de ce côté et de l'autre, et le serviteur le saisit par ses vêtements - s'ils se déchirent, ils se déchirent, et s'ils se déchirent, ils se déchirent - jusqu'à ce qu'il ait mis à nu son cœur. Et la pierre est placée derrière lui, et le serviteur de la communauté se tient dessus et (tient) une lanière de cuir de veau dans sa main, tressée une à deux et deux à quatre, deux lanières passant par-dessus et deux en dessous. (Il s'agit sans doute des deux lanières qui tressent les autres ensemble.) La prise de celle-ci (mesure en longueur) une largeur de main, et sa largeur (est également) une largeur de main (et elle doit être d'une longueur telle qu'elle) atteint son nombril. Et (le serviteur) lui donne un tiers (des coups) devant et deux tiers derrière. Et tandis qu'il le frappe, le criminel ne se tient ni debout ni assis, mais se tient en position inclinée... et celui qui frappe, frappe de toute sa force, d'une seule main.

« Le lecteur lit : « Si tu ne prends garde de faire toutes les paroles de cette loi, qui sont écrites dans ce livre, en craignant le nom glorieux et terrible », etc. (Deut. xxviii. 58-59). . . . et il recommence.

« Et si le (criminel) meurt sous sa main (celle du serviteur), alors il (ce dernier) est exempt de punition ; (mais) s'il lui en donne un (coup avec la) lanière de trop et il meurt, alors il sera banni pour cela.

« Si le criminel, au moment où il inflige les coups, se souille soit par évacuation, soit par urine, il est exempté (de peine). »

Tract. Makkot iii. 11 : « S’il a été condamné à recevoir quarante coups, (et) qu’il en a reçu une partie, (et) qu’on dit qu’il ne peut pas supporter les quarante coups, alors il est libre. »

Paul subit cinq fois ce supplice cruel, pratiqué au milieu de la lecture des Ecritures. Chaque fois, il reçut, comme il le rapporte expressément, le nombre de coups permis, bien que, comme nous le savons par ses lettres, il fût fragile et maladif. Bien qu'il fût citoyen romain, il se soumettait, en tant que Juif, à la juridiction des autorités de la synagogue de la ville où il se trouvait.

Les coups de verges qu'il subit de la part des autorités romaines auraient dû, à proprement parler, l'en protéger. Sans doute, dans ces trois cas, il n'a pas eu le temps d'en faire effectivement appel. L'arrestation de Paul à Jérusalem montre combien les autorités romaines étaient promptes à lui infliger des châtiments corporels. A peine l'officier de la garde qui l'a délivré des mains des Juifs l'a-t-il amené dans le château qu'il propose de « l'examiner par le fouet » afin de tirer la vérité sur les accusations des Juifs portées contre lui (Actes 22, 24).

Ainsi Paul, Juif de race et citoyen romain, subit de la part des autorités juives et romaines des mauvais traitements dont nous n'aurions pas eu idée de l'étendue s'il n'avait pas été contraint, dans ses rapports avec les Corinthiens, de faire un catalogue de ses souffrances afin de prouver sa prétention à l'apostolat en montrant ce qu'il avait enduré pour l'amour du Christ.

Or, cet homme qui, outre les peines et les dangers des voyages continuels, a subi la prison, les lapidations, les flagellations et les coups, était un malade. On ne peut pas déterminer avec précision, d'après les déclarations qu'il a faites à ce sujet, quelle forme ont pris ses souffrances corporelles. Qu'il ait souffert de quelque sorte d'attaques destinées à l'humilier aux yeux des hommes, nous l'apprenons de l'épître aux Galates. Il remercie les Galates de ne pas l'avoir repoussé ou méprisé à cause de ses souffrances.

Gal. iv. 13-14 : « Et vous savez comment je vous ai ci-devant évangélisé dans l'infirmité de la chair; et vous n'avez point méprisé, ni rejeté mon épreuve, telle qu'elle était en ma chair; mais vous m'avez reçu comme un ange de Dieu, et comme Jésus-Christ même. »

Il était d'usage de cracher en présence d'hommes atteints de maladies mystérieuses, afin de se protéger contre le démon à qui on attribuait la maladie en question. Ce moyen d'arrêter le mal était surtout utilisé dans le cas des épileptiques et des malades mentaux.

L'hypothèse la plus naturelle est donc que Paul souffrit de crises d'épilepsie, ce qui ne signifie nullement qu'il fut réellement épileptique. Il serait concevable que Paul entende des voix pendant une crise sur la route de Damas et souffre ensuite d'une affection temporaire de la vue, si ce qu'il a éprouvé lors de sa conversion s'est réellement produit pendant une telle crise (Actes 9, 3-9). Paul considère comme une grâce spéciale qui lui a été accordée un enlèvement au troisième ciel et au paradis, au cours duquel il entendit des paroles ineffables (2 Cor. 12, 1-4).

2 Cor. xii. 1-4 : « CERTES il ne m'est pas convenable de me glorifier : car je viendrai jusqu'aux visions et aux révélations du Seigneur. Je connais un homme en Christ il y a quatorze ans passés (si ce fut en corps, je ne sais; si ce fut hors du corps, je ne sais; Dieu le sait), qui a été ravi jusques au troisième ciel. Et je sais qu'un tel homme (si ce fut en corps, ou si ce fut hors du corps, je ne sais; Dieu le sait,) a été ravi dans le paradis, et a ouï des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à l'homme de rapporter. »

Il est possible que l'enlèvement au troisième ciel et celui au Paradis soient une seule et même expérience, que Paul, dans le style du parallélisme juif, décrit deux fois.

D'après l'Énoch slave et la « Vie d'Adam et Ève », le paradis est situé dans le troisième ciel. Slav. Enoch, rec. A, chap. viii. (éd. Bonwetsch, p. 7) : « Et ils m'ont amené au troisième ciel et m'ont placé au milieu du paradis. » D'après la « Vie d'Adam et Ève » (chap. xxxvii), Adam, après sa mort, est amené par l'archange Michel au paradis et dans le troisième ciel. Le nombre de sept cieux qui est accepté dans l'Énoch slave, l'Apocalypse grecque de Baruch1, le Testament de Lévi (chap. iii ) et d'autres écrits postérieurs au premier siècle de notre ère, n'est sans doute pas encore tenu pour acquis dans les écrits de Paul. Avant le deuxième siècle de notre ère, il était courant dans le judaïsme de dénombrer trois cieux. Ce nombre a été déterminé par les scribes sur la base d'un passage du Livre des Rois. Dans I Rois viii. 27 Salomon dit de Dieu : « Voici que le ciel et le ciel des cieux ne peuvent pas Le contenir. » Cela fait, selon l’exégèse rabbinique, trois cieux. Midrash sur Ps. cxiv. § 2 : « Les rabbins ont dit : Il y a deux firmaments (cieux), car il est écrit : « celui qui est monté dans les cieux des cieux » (Ps. lxviii. 34). Nos Maîtres ont dit (Il y a) trois (cieux), car il est écrit : « les cieux, même les cieux des cieux » » (1 Rois viii. 27). Voir L. Strack et P. Billerbeck, Die Briefe des Neuen Testaments und die Offenbarung Johannis erlautert aus Talmud'Und Midrasch (Les Épîtres du Nouveau Testament et l'Apocalypse de saint Jean illustrées du Talmud et du Midrash), Munich, 1926, p. 531.

1 Cet ouvrage, en dix-sept chapitres, a été édité par MR James, Apocrypha Anecdota, ii. pp. 84-94.

Selon l'Apocalypse d'Enoch, qui ne connaît qu'un seul ciel, le Paradis, qu'il décrit comme le jardin des élus et des justes (Enoch 6.23, Ixi.12), se trouve à l'extrémité du ciel. Il sert de demeure à ceux qui sont en communion avec le Fils de l'homme. C'est dans ce paradis qu'Enoch est transporté à la fin de sa vie ( Hen. 6.8, Ixx.3). Nous ne savons pas si Paul, qui ne comptait que trois cieux, pense que le Paradis se trouve dans le troisième ciel (comme le font les auteurs ultérieurs qui soutiennent qu'il y a sept cieux). Si le Paradis ne fait pas partie du troisième ciel, alors il est fait référence dans 2 Cor. 12.1-4 non pas à une seule, mais à deux expériences extatiques.

Paul, par les souffrances qu'il doit endurer, se rend compte qu'il est malade. Il explique cela par la permission d'un ange de Satan de le souffleter, afin qu'il ne soit pas exalté outre mesure par le privilège d'avoir été enlevé au troisième ciel et au paradis.

2 Cor. xii. 6-9 : « Or, quand je voudrais me glorifier, je ne serais point imprudent, car je dirais la vérité; mais je m'en abstiens, afin que personne ne m'estime au-dessus de ce qu'il me voit être, ou de ce qu'il entend dire de moi. Mais de peur que je ne m'élevasse à cause de l'excellence des révélations, il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan pour me souffleter, afin que je ne m'élevasse point. C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur, de faire que cet ange de Satan se retirât de moi. Mais le Seigneur m'a dit : Ma grâce te suffit : car ma vertu manifeste sa force dans l'infirmité.  »

On ne sait pas exactement quelle était la nature de ses douleurs et comment elles étaient liées aux crises. Mais combien Paul a dû souffrir pour pouvoir en parler ainsi !

······

Et ce malade si souvent maltraité ne fut pas à l’abri un seul instant de sa vie. Que de périls derrière ces mots : « en périls de ma nation » (2 Cor. xi, 26). Les Juifs hellénistiques, dont il avait été l’un des chefs lors de la lapidation d’Etienne, avaient juré sa mort.6 Dès son retour à Jérusalem, converti (Actes 9, 29), les Juifs complotèrent sans cesse contre lui, non seulement parce qu'il était devenu croyant en Christ, mais aussi et surtout parce qu'il déclarait que la circoncision et la Loi n'étaient plus valables. Quelle lumière est jetée sur sa vie précaire par le bref récit selon lequel, en revenant de Corinthe à Jérusalem, au lieu de traverser par bateau l'Asie Mineure comme il l'avait prévu, il fut obligé de passer par la Macédoine pour échapper à une attaque préparée par les Juifs (Actes 20, 3) ! Après son arrestation à Jérusalem, quarante Juifs jurèrent de ne rien manger ni boire jusqu'à ce qu'ils l'aient tué ; de sorte que le chef des gardes, informé du complot par le neveu de Paul, décida de l'envoyer de nuit en toute hâte et en secret avec une forte escorte militaire - 400 fantassins et 70 cavaliers - pour le conduire en sécurité à Césarée (Actes 23, 12-24).

6

Les Juifs d’origine cilicienne et asiatique de Jérusalem, ainsi que d’autres Juifs hellénistiques, avaient disputé avec Étienne et l’avaient accusé devant le Concile (Act. VI, 8-14). Lors de la lapidation, au cours de laquelle les témoins devaient jeter les premières pierres (Deut. XVII, 7), ceux-ci, pour se libérer les mains, déposèrent leurs vêtements aux pieds de Saul de Tarse en Cilicie, qui est ainsi montré comme ayant été le chef de l’action (Act. VII, 58). La mention des témoins et du rôle qu’ils ont joué dans la lapidation montre clairement que la lapidation d’Étienne n’était pas l’acte d’une foule excitée, mais une véritable exécution, telle que décrite dans le traité de la Mishna « Sanhédrin » (traduction allemande de Gustav Holscher, Tübingen, 1910 : 143 pp. ; pp. 75-78).

Les zélotes du judaïsme chrétien ne furent pas moins persécutés, bien que leur hostilité ne fût pas dirigée contre sa vie, mais contre son enseignement et son œuvre. Derrière eux se trouvaient les apôtres à Jérusalem. Son enseignement, selon lequel les convertis du paganisme n'avaient pas besoin de prendre sur eux le fardeau de la circoncision et de la Loi, était incompréhensible et intolérable pour les croyants de Jérusalem.

La tentative de conclure un accord sur la base que Paul se consacrerait aux Gentils, tandis que les Apôtres à Jérusalem se réserveraient la Mission auprès de tous les Juifs, s'est avérée impossible en pratique, si jamais elle a été sérieusement envisagée.7 Une division locale était également impossible, étant donné la situation actuelle. Dans la lutte qui s'ensuivit, ce fut Paul qui fut vaincu. Les chefs de Jérusalem n'eurent aucune difficulté, par l'intermédiaire de leurs émissaires, à lui éloigner ses Églises.

7

Quelle diversité entre Actes XV et Gal. II, même dans l’interprétation de l’accord tenté !

De son côté, il n'avait que la vérité ; eux avaient de leur côté la tradition et le bon sens, qui affirmaient clairement que quiconque voulait participer aux espérances du peuple d'Israël devait s'y attacher par la circoncision et l'observance de la Loi. Paul n'avait pour seul recours que l'autorité de sa propre personne, tandis qu'eux avaient derrière eux celle de l'Église. Qu'il y ait déjà quelque chose dans la nature d'une Église, et que la communauté de Jérusalem s'incorporât à cette Église, on le nie généralement. C'était pourtant le fait. Pour les chrétiens des Églises d'Asie Mineure et de Grèce, l'Église de Jérusalem était une autorité, au même sens et dans la même mesure que le Sanhédrin l'était pour les synagogues de la Diaspora. La collecte qu'ils faisaient pour elle était moins un don envoyé aux pauvres qu'un prélèvement comparable à l'impôt du Temple des prosélytes juifs, qu'ils lui payaient. Et avec quelle peine Paul, comme nous le voyons par l'épître aux Corinthiens, s'assure que, par ses efforts, le tribut sera élevé ! A son arrivée, les apôtres lui demandent de faire un vœu avec quatre hommes désignés, afin de montrer au monde qu'il marche selon la Loi. Il accepte humblement, mais le vœu qu'ils lui imposent lui devient fatal. Alors qu'il accomplit ce vœu, la tête rasée, dans le Temple, les Juifs d'Asie Mineure le reconnaissent et soulèvent contre lui un tumulte qui conduit à son arrestation (Actes XXI, 20-36).

1 Karl Holl montre une compréhension claire de la question dans son étude complète et fiable Der Kirchenbegriff des Paulus in seinem Verhaltnis zu dem Urgemeinde. Voir aussi p. 31, sup.

L'autorité personnelle que l'apôtre des Gentils pouvait opposer à celle de l'Église de Jérusalem n'était pas grande. Parfois violent, puis extrêmement soumis, il n'a pu organiser aucune résistance réfléchie. Il n'est qu'un penseur, non un tacticien. Sa violence, non moins que sa soumission, le met dans des positions désavantageuses. Les réflexions, ouvertes ou indirectes, qu'il fait sur les premiers apôtres vont si loin qu'elles le mettent en tort et leur donnent une arme qui peut être retournée contre lui. Il ironise sur le respect qu'on leur rend; accuse l'un d'eux, Pierre, d'hypocrisie devant tous les fidèles d'Antioche; revendique une place plus élevée qu'eux, parce qu'il a fait et souffert davantage; laisse entendre qu'ils sont en faveur de la circoncision pour éviter les persécutions que la vraie doctrine de la Croix du Christ a attirées sur ceux qui la prêchaient; et affirme enfin, dans la terrible excitation avec laquelle il a rejeté la deuxième épître aux Corinthiens, rien de plus ni de moins que, dans leur aveuglement et trompés par Satan, ils servent en réalité la cause de Satan contre l'Église.

2 Gal. ii. 11-14. Pierre s'était d'abord mis à table avec les chrétiens païens, mais il cessa de le faire lorsque des personnes du cercle de Jacques le Juste arrivèrent.

Gal. ii. 6 : « Et je ne suis en rien différent de ceux qui semblent être quelque chose, quels qu'ils aient été autrefois (Dieu n'ayant point d'égard à l'apparence extérieure de l'homme); » — 2 Cor. xi. 5 : « Mais j'estime que je n'ai été en rien moindre que les plus excellents apôtres. » (των υπερλίαν αποστόλων). De même en 2 Cor. xii. 11. — 1 Cor. xv. 10 : « mais j'ai travaillé beaucoup plus qu'eux tous » — Gal. v. 10 : « mais celui qui vous trouble, en portera la condamnation, quel qu'il soit. » — Gal. v. 12 : « Plût à Dieu que ceux qui vous troublent, fussent retranchés! » — Gal. vi. 12 : « Tous ceux qui cherchent à se rendre agréables dans ce qui regarde la chair, sont ceux qui vous contraignent d'être circoncis; afin seulement qu'ils ne souffrent point de persécution pour la croix de Christ. » — 2 Cor. xi. 13-15 : « Car tels faux apôtres sont des ouvriers trompeurs, qui se déguisent en apôtres de Christ. Et cela n'est pas étonnant : car Satan lui-même se déguise en ange de lumière. Ce n'est donc pas un grand sujet d'étonnement si ses ministres aussi se déguisent en ministres de justice; mais leur fin sera conforme à leurs œuvres. »

Dans ce dernier passage, Paul ne nomme pas directement les apôtres de Jérusalem. Mais il ne peut guère avoir voulu dire d’autres personnes par « ceux qui sont des super-apôtres » (2 Cor. xi. 5). C’est à eux qu’il pense dans ces derniers chapitres de 2 Corinthiens.

Que Paul ait parfois été de nouveau inconcevablement complaisant, c'est ce qui ressort du fait que ses adversaires pouvaient affirmer (Gal. v. 11) qu'il prêchait toujours la circoncision. D'après Actes 16. 2, il a circoncis Timothée, et d'après l'argumentation compliquée et inachevée de Gal. 2. 3-5, il n'est pas tout à fait certain qu'il n'ait pas consenti également à la circoncision de Tite.

Paul lui-même, au début de l’épître aux Galates, fait allusion à l’opinion répandue à son sujet, selon laquelle il utilisait un langage conciliant et cherchait à plaire aux hommes.

Gal. i. 10 : « Car maintenant prêché-je les hommes, ou Dieu? Ou cherché-je à complaire aux hommes? Certes, si je complaisais encore aux hommes, je ne serais pas le serviteur de Christ. »

······

Mais même si sa tactique avait été meilleure, sa cause aurait été sans espoir. Sa prétention à être un apôtre du Christ, au même titre que les premiers apôtres et Jacques, ne pouvait être prouvée. Les autres avaient leur autorité en vertu du fait qu’ils avaient été appelés par le Christ quand il était sur terre, ou qu’ils étaient proches de lui. Et Paul revendique la même autorité, mais seulement pour s’opposer à leurs vues sur la Loi et la circoncision. Sa connaissance plus profonde de la portée et de la signification de la mort et de la résurrection de Jésus l’oblige à agir ainsi. L’apôtre des Gentils est le premier à s’opposer à l’autorité de l’Église ; le premier aussi à en ressentir le poids.

Au terme de son séjour de trois ans à Éphèse, qui dura de 54 à 57 environ, sa défaite devait lui être évidente. Les Églises de Galatie s'étaient éloignées de lui. À Corinthe, son autorité avait été minée. Ses adversaires le méprisent ici, alléguant qu'il n'ose pas prétendre être soutenu par les Églises, parce qu'il sait qu'il n'est pas un apôtre (2 Cor. xi. 7-9). Ils disent que dans ses lettres il parle fort contre elles, mais quand il s'agit de la parole, il est faible et impute ses retards répétés à sa crainte d'elles (2 Cor. x. 1-2, x. 10, i. 23). De plus, on ne peut pas se fier à sa parole (2 Cor. i. 17). Il écrit quelque chose de différent de ce qu'il veut dire (2 Cor. i. 13) ; il use de ruse (2 Cor. xii. 16-17) ; aime se vanter (2 Cor. iii. 1) ; il est devenu fou dans son exaltation (2 Cor. xi. 1, xi. 16, xii. 11).

Même si, par la grandeur de sa personnalité, il peut vaincre à maintes reprises de tels adversaires, et même si des églises comme celle de Philippiens lui témoignent leur amour, il ne peut à la longue faire de progrès contre l'autorité de Jérusalem. Il ne peut même pas espérer se débarrasser de l'inimitié qui y prend naissance contre lui.

A l'époque où il écrivit à Corinthe son épître aux Romains, afin de se frayer un chemin en Occident, il devait être évident que l'hostilité des Juifs et l'opposition des apôtres à Jérusalem l'empêchaient pour le moment de poursuivre son œuvre dans les régions où il avait exercé son activité antérieure. Mais cela ne fit que le renforcer dans sa conviction qu'il lui était destiné de porter la connaissance de l'Evangile dans des régions où il n'avait pas été prêché.

Cet homme, maltraité, malade, en danger permanent de mort, avait donc à supporter en plus un fardeau excessif de peines morales et spirituelles. Mais il comprenait le sens de ces souffrances. C’est parce qu’il ose seul dire toute la vérité sur la signification de la Croix qu’il doit subir la plus grande persécution. En cela se manifeste qu’il est le seul véritable apôtre de Jésus-Christ, même si son droit à porter ce nom lui est nié. Derrière toutes les peines qu’il rencontre se trouvent les puissances angéliques qui ont dirigé leur inimitié contre lui parce qu’il s’efforce d’empêcher les hommes de retomber sous leur domination à cause de fausses idées sur la Loi et la circoncision. Bien que, comme un condamné à mort dans l’arène, il soit devenu « le spectacle du monde, des anges et des hommes. » (1 Cor. iv, 9), il sait que cela ne fait que montrer à quel point il a déjà avancé dans la mort avec le Christ et, par conséquent, avec quelle vigueur la vie du Christ se déploie en lui. Ainsi, à la fin, ses souffrances en viennent à signifier pour lui plus que son enlèvement au troisième ciel et au paradis. Il termine le récit de son extase et de ses souffrances corporelles par ces mots enthousiastes : « Je me glorifierai donc très volontiers plutôt dans mes infirmités; afin que la vertu de Christ habite en moi. Et à cause de cela je prends plaisir dans les infirmités, dans les injures, dans les nécessités, dans les persécutions, et dans les angoisses pour Christ : car quand je suis faible, c'est alors que je suis fort. » (2 Cor. xii. 9-10).

CHAPITRE VIII

LA POSSESSION DE L'ESPRIT COMME MODE DE MANIFESTATION DE L'ÊTRE RESSUSCITÉ AVEC LE CHRIST

En considérant la possession de l'Esprit comme un signe de la résurrection qui est déjà en train de se réaliser dans le croyant, Paul affirme quelque chose qui, du point de vue d'une eschatologie qui a derrière elle la mort et la résurrection du Christ, va de soi, mais qui n'était pas prévu dans la pensée de l'eschatologie traditionnelle, dans l'enseignement de Jésus ou dans la croyance de la communauté chrétienne primitive.

Selon l'eschatologie prophétique, le Messie de la lignée de David est doté de l'Esprit de Dieu et devient ainsi capable d'introduire le Royaume de paix. Dans Ezéchiel, cette conception s'élargit jusqu'à considérer que tout le peuple messianique devient porteur de l'Esprit. C'est aussi ce que Jérémie veut dire lorsqu'il fait consister la Nouvelle Alliance dans l'écriture de la Loi par Dieu dans tous les cœurs et dans tous les esprits. Le Deutéro-Isaïe s'attend également à ce que l'Esprit vienne sur tous. Selon cette conception prophétique, le Royaume messianique consiste donc dans le fait que le Messie et tous ses sujets sont guidés dans toutes leurs pensées et dans toutes leurs actions par l'Esprit de Dieu.

Esaïe xi. 1-2 : « MAIS il sortira un rejeton du tronc d’Isaï, et un surgeon croîtra de ses racines. Et l’Esprit de l’Eternel reposera sur lui, l’Esprit de sapience et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de science et de crainte de l’Eternel. »

Ézéchiel XXXVI, 26-27 : « Je vous donnerai un nouveau cœur, je mettrai au dedans de vous un esprit nouveau : j’ôterai de votre chair le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair ; et je mettrai mon esprit au dedans de vous ; je ferai que vous marcherez dans mes statuts, et que vous garderez mes ordonnances, et les ferez. »

Jérémie xxxi. 33 : « Car c’est ici l’alliance que je traiterai avec la maison d’Israël après ces jours-là, dit l’Eternel : Je mettrai ma loi au dedans d’eux, je l’écrirai dans leur cœur; et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. »

Ésaïe xliv. 2 : « je répandrai mon Esprit sur ta postérité (celle de Jacob). »

Esaïe lix. 21 : « Et, quant à moi, c’est ici mon alliance que je ferai avec eux, a dit l’Eternel : Mon Esprit qui est sur toi, et mes paroles que j’ai mises en ta bouche, ne bougeront point de ta bouche, ni de la bouche de la postérité, ni de la bouche de la postérité de ta postérité, a dit l’Eternel, dès maintenant et à jamais. »

Le Serviteur du Seigneur est également décrit comme un porteur de l’Esprit (Esaïe XLII. 1).

Dans l'eschatologie ultérieure, on abandonne l'idée que l'Esprit était le principe de vie des participants au Royaume messianique. La venue de l'Esprit devient l'un des événements miraculeux qui, avec d'autres du même genre, annoncent la proximité du jugement de Dieu. Cette transformation apparaît dans le célèbre passage du Livre de Joël, qui remonte sans doute au IIe ou IIIe siècle av. J.-C.

Joël iii. 1-4 (A.V. ii. 28-31) : « Et il arrivera après ces choses, que je répandrai mon Esprit sur toute chair; et vos fils et vos filles prophétiseront ; vos vieillards songeront des songes, et vos jeunes gens verront des visions. Et même en ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur les serviteurs et sur les servantes. Et je ferai des prodiges dans les cieux et sur la terre, du sang et du feu, et des colonnes de fumée. Le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang, avant que le jour grand et terrible de l’Eternel vienne. »

Cette nouvelle conception de la venue de l'Esprit s'explique par le fait que le Royaume messianique a été remplacé par le Royaume de Dieu. Si le Royaume n'est plus sous la direction du chef oint de la race de David, alors la conception qui y est associée, selon laquelle les participants au Royaume seront porteurs de l'Esprit, disparaît naturellement aussi. C'est donc le caractère transcendantal de l'attente de l'avenir qui a remplacé la conception prophétique de la venue de l'Esprit.

Dans l’eschatologie du Livre de Daniel et de l’Apocalypse d’Enoch, l’effusion de l’Esprit ne joue même plus le rôle d’un signe de la fin.

Les Psaumes de Salomon reviennent à l’attente prophétique, en attendant comme souverain des derniers temps un Fils de David « que Dieu a fortifié dans l’Esprit Saint » (Ps. Sol. xvii. 37 (42)). Il n’est cependant pas dit que les participants au Royaume seront aussi porteurs de l’Esprit.

Jean-Baptiste combine l'effusion générale de l'Esprit, prophétisée par Joël, avec la venue d'Élie, qui dans Malachie est considérée de la même manière comme appartenant aux Derniers Jours.

Mal. iii. 23-24 (A.V. iv. 5-6) : « Voici, je m’en vais vous envoyer Elie le prophète, avant que le jour grand et terrible de l’Eternel vienne. II convertira le cœur des pères envers les enfants, et le cœur des enfants envers leurs pères ; de peur que je ne vienne, et que je ne frappe la terre à la façon de l'interdit. » 1

1 Selon les rabbins, Élie tranchera toutes les controverses qui n’ont pas été tranchées depuis l’époque précédant la venue du Messie. Voir K. Heinrich Rengstorf, Jebamot (Concernant le mariage des beaux-frères), Giessen, 1929, p. 150.

Dans l'Apocalypse d'Esdras (4 Esdras VI, 23-26), apparaissent les hommes « qui dans les temps passés ont été enlevés au ciel et n'ont pas goûté la mort dès leur naissance » (c'est-à-dire Enoch, Élie et Esdras) à la fin de la Tribulation Finale, après quoi « les cœurs des habitants de la terre sont altérés et transformés en un nouvel esprit ». Ici, l'apparition d'Élie et l'effusion de l'esprit sont associées ensemble, comme elles le sont chez Jean-Baptiste.

Le Baptiste s’attend donc à ce que « Celui qui doit venir » « baptise les hommes dans l’Esprit Saint ». Il considère comme sa mission d’être le précurseur de celui « qui doit venir » et d’appeler les hommes à la repentance, afin qu’ils soient capables de recevoir l’Esprit qui sera répandu à sa venue. Celui qui est maintenant baptisé dans l’eau pour la repentance reçoit une initiation, par laquelle il deviendra alors porteur de l’Esprit, et en même temps un signe par lequel il sera reconnu comme celui qui sera délivré du jugement.

Que l’idée selon laquelle Jean-Baptiste entendait le Messie par la désignation de « Celui qui doit venir » ait pu se maintenir dans l’interprétation critique du Nouveau Testament jusqu’à l’époque la plus récente, montre combien il est difficile, même pour une étude scientifique, de remplacer la vision traditionnelle en faveur de la bonne.

Celui qui doit venir, c’est Élie qui doit descendre du ciel. Aucun homme naturel ne pourrait prétendre être cet Élie, précurseur du Messie. D’autre part, l’attente ne porte pas sur la venue du Messie, mais, en premier lieu, sur l’apparition de « Celui qui doit venir », c’est-à-dire Élie. Tant qu’il n’est pas venu, le Messie ne peut pas apparaître.

Comment a-t-on pu si longtemps méconnaître le langage clair du passage où est racontée la question de Jean-Baptiste à Jésus ? Les disciples du Baptiste posèrent à Jésus, de sa part, la question de savoir s'il était « Celui qui doit venir » (ό ερχόμενος, Mt xi, 3). Après qu'ils furent envoyés avec un message obscur — car il ne peut pas encore révéler le secret de sa future messianité — Jésus révèle à la multitude qui l'entoure que Jean-Baptiste lui-même est l'Élie qui devait venir ( 'Hλείας ό μελλων ερχεσθαι, Mt xi, 14). Et d'après cette parole, il est clairement évident que Jean-Baptiste dans sa question — et bien sûr aussi dans sa prédication — par son « Celui qui doit venir » entendait Élie.

La révélation que Jean-Baptiste est lui-même l’Élie qui devait venir est communiquée par Jésus à ses auditeurs comme quelque chose de difficile à comprendre. Mt 11, 14-15 : « Et si vous voulez recevoir mes paroles, c'est l'Elie qui devait venir. Qui a des oreilles pour ouïr, qu'il entende. »

En fait, Jésus fait violence à la réalité par cette identification. Ni l’image d’Élie donnée par les Écritures, ni celle dessinée par Jean ne s’appliquent à Jean-Baptiste, qui n’est et ne désire être rien d’autre que le prédicateur de la venue d’Élie. C’est la conscience que Jésus a de sa propre personne et de sa mission qui le pousse à faire du Baptiste un Élie. S’il est lui-même le futur Messie, alors Élie doit déjà être venu. Le Baptiste est donc Élie. »

1 Sur ce problème, voir Albert Schweitzer, Das Messianitats- und Leidensgeheimnis, Tübingen, 1901, pp. 442) 48ème, édition inchangée, 1929), et Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tübingen, 1906, 2ème édition (1913 ) et éditions suivantes, pp. 418-420.

Le Baptiste va plus loin que Joël en soutenant que l'effusion de l'Esprit n'est pas simplement un miracle annonçant la venue des Temps de la Fin, qui pourrait se manifester chez n'importe quelle personne, mais qu'il n'arrive qu'à ceux qui sont destinés à avoir une part dans le Royaume à venir, et qui se repentent en prévision de celui-ci.

Jésus se voit porteur de l'Esprit et explique les miracles qu'il accomplit comme étant accomplis par l'Esprit. L'affirmation selon laquelle ils ne sont pas accomplis par la puissance de l'Esprit Saint mais par celle du chef des démons est qualifiée par lui de péché contre l'Esprit Saint, qui ne peut jamais être pardonné, même si tous les autres péchés, même le blasphème contre le Fils de l'homme, peuvent être pardonnés (Mt 12, 22-32).

En envoyant les disciples en mission, il leur fait entrevoir que, dans la tribulation qui est sur le point d'éclater, lorsqu'ils seront amenés devant les dirigeants à cause de lui, ils découvriront que l'Esprit de Dieu parle par leur bouche. Il partage donc avec Jean-Baptiste la vision du livre de Joël, selon laquelle l'effusion de l'Esprit est un événement qui indique l'imminence immédiate de la fin. La fin signifie pour lui la venue du Fils de l'homme.

Matthieu 10, 17-23 : « Et donnez-vous garde des hommes : car ils vous livreront aux Consistoires, et vous fouetteront dans leurs synagogues. Et vous serez menés devant les gouverneurs, et même devant les rois, à cause de moi, pour leur rendre témoignage de moi, de même qu'aux nations. Mais quand ils vous livreront, ne soyez point en peine de ce que vous aurez à dire, ni comment vous parlerez; parce qu'il vous sera donné dans ce moment-là ce que vous aurez à dire. Car ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père qui parle par vous. Or le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant; et les enfants s'élèveront contre leurs pères et leurs mères, et les feront mourir. Et vous serez haïs de tous, à cause de mon nom; mais quiconque persévérera jusques à la fin, sera sauvé. Or, quand ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre : car en vérité, je vous dis, que vous n'aurez pas achevé de parcourir toutes les villes d'Israël, que le Fils de l'homme ne soit venu. »

Il faut remarquer que Jésus ne représente jamais l’être-dans-le-Royaume-de-Dieu comme l’être en possession de l’Esprit. Il suppose que les participants au Royaume de Dieu sont déjà en possession de l’état d’existence de la résurrection. En tant que ceux qui ont traversé la résurrection, ils n’ont pas besoin de l’Esprit. Ce n’est que lorsque les participants au Royaume sont considérés comme des hommes naturels qu’il est utile de les représenter comme dotés de l’Esprit. Paul fut le premier à arriver à la conception des hommes ressuscités qui sont aussi des véhicules de l’Esprit. Jésus combine de manière simple la vision des anciens prophètes avec celle de Joël en soutenant avec les prophètes que Lui-même, en tant qu’appelé à être le Messie, est le véhicule de l’Esprit, et en attendant avec Joël l’effusion de l’Esprit comme signe du commencement de la fin.

Les phénomènes extatiques qui se produisirent chez les apôtres à la Pentecôte, et plus tard chez les croyants en général, furent considérés par la communauté chrétienne primitive comme l'accomplissement de la prophétie de Joël. Le discours de Pierre fait expressément référence au passage de Joël (Actes II, 16-21). Dans les phénomènes de parole extatique et dans le don de prophétie qui se manifestèrent en divers endroits, l'espérance des croyants, fondée sur la mort et la résurrection du Christ, de la proximité immédiate du Royaume messianique, était appréhendée par les sens dans un fait qui revenait constamment. Dans son appréciation de ces faits dans lesquels la foi semblait le plus clairement saisir son objet, Paul était d'accord avec le christianisme primitif en général. Mais il ne peut pas, comme d'autres, se contenter de considérer l'action de l'Esprit comme un miracle en soi ; en tant que penseur, il se trouve obligé de la mettre en rapport avec le fait de la mort et de la résurrection du Christ et avec sa conception de la manière d'être dans le Royaume messianique. Conformément à cela, il l'explique comme une manifestation de la mort et de la résurrection avec le Christ.

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Pour les esprits naïfs, l’Esprit de Dieu se manifeste dans l’homme naturel dans le monde naturel par un miracle promis d’avance par Dieu. Pour une connaissance plus profonde, la question prend un autre aspect. Si l’Esprit de Dieu est répandu après la résurrection du Christ, cela signifie qu’il est répandu à la suite de cette résurrection. L’Esprit de Dieu n’est dans les hommes que parce que les hommes sont « en Jésus-Christ » et qu’en union avec sa corporéité ils ont aussi part à l’Esprit de Dieu qui anime celui-ci. Le Saint-Esprit vient donc au croyant de Christ et comme Esprit du Christ. C’est par le fait d’être en Christ qu’ils y ont part. Ce n’est pas en tant qu’hommes naturels, mais en tant que ceux qui meurent et ressuscitent réellement avec Christ, qu’ils sont les véhicules de l’Esprit. La conception des premiers prophètes, selon laquelle le Messie et les participants du Royaume messianique possèdent tous l’Esprit, est transformée par Paul en la forme selon laquelle l’Esprit du Messie passe aux participants du Royaume.

Selon les idées reçues, l'Esprit qui se manifeste dans les croyants est l'Esprit de révélation, qui était présent dans les prophètes et dans le Christ. C'est ainsi que la première épître de Pierre attribue l'Esprit du Christ aux prophètes.

1 Pierre i. 10-11 : « Duquel salut les prophètes, qui ont prophétisé de la grâce qui était réservée pour vous, se sont enquis, et l'ont diligemment recherché; recherchant soigneusement quand, et en quel temps, l'Esprit prophétique de Christ, qui était en eux, rendant par avance témoignage, déclarait les souffrances qui devaient arriver à Christ, et la gloire qui les devait suivre. »

Mais pour Paul, l'Esprit du Christ auquel les croyants ont part est beaucoup plus universel que l'esprit prophétique précédent. Il est le principe de vie de sa personnalité messianique et de l'état d'existence caractéristique du Royaume messianique. En tant que tel, il est quelque chose d'unique, inconnu jusqu'alors. En tant que participants prédestinés à la gloire du Messie, les croyants ont part à son Esprit.

Paul tire ainsi toute la conclusion que l'Esprit qui a été accordé aux croyants est l'Esprit du Christ, et que l'effusion de l'Esprit suit dans le temps la résurrection du Christ. Ce que les croyances ordinaires considéraient comme un miracle des temps pré-messianiques devient pour lui un événement essentiel du temps messianique. Sa conviction qu'avec la résurrection de Jésus a commencé la période surnaturelle du monde se fait sentir dans sa pensée dans toutes les directions et détermine aussi sa conception de l'Esprit. Paul en vient donc inévitablement à voir dans la manifestation de l'Esprit une floraison de la gloire messianique dans le monde naturel.

En mettant en rapport le miracle de la présence de l'Esprit avec la Personne du Christ comme Messie à venir et avec l'état surnaturel attendu des croyants dans le Royaume messianique, Paul, passant outre Joël, revient à la conception prophétique originelle de l'Esprit comme principe de vie commun au Messie et aux membres de son Royaume. Il l'adapte à l'attente de l'avenir, devenue transcendante, en concevant l'Esprit non seulement comme principe spirituel et éthique, comme les représentants de l'attente messianique prophétique, ni comme phénomène de révélation, comme Joël, mais, en outre, comme la puissance qui communique le mode d'existence de la résurrection.

Du point de vue d’une compréhension plus profonde, la force dominante de la situation est donc que l’Esprit est la forme de manifestation des pouvoirs de la résurrection. Par leur possession de l’Esprit, les croyants ont l’assurance de participer à la même résurrection que Christ. L’Esprit est le gage, donné pour être une possession de leur cœur, de la gloire à venir. En tant que véhicule de l’Esprit de résurrection qui est accordé aux élus, Christ devient l’ancêtre d’une race humaine immortelle. Il est l’Adam céleste, qui prend la place de l’Adam terrestre.

Romains viii. 11 : « Or, si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus des morts habite en vous, celui qui a ressuscité Christ des morts vivifiera aussi vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous. »

2 Cor. i. 22 : «  qui aussi nous a scellés, et nous a donné les arrhes de l'Esprit en nos cœurs. »

1 Cor. xv. 45-49 : « Le premier homme Adam a été fait en âme vivante; et le dernier Adam en esprit vivifiant.. . . . Le premier homme étant de la terre, est tiré de la poussière; mais le second homme, savoir, le Seigneur, est du Ciel.. ... Et comme nous avons porté l'image de celui qui est tiré de la poussière, nous porterons aussi l'image du céleste. »

La doctrine paulinienne du Christ comme second Adam s’explique si naturellement par la doctrine mystique de la mort et de la résurrection avec le Christ, et par la participation des croyants à l’Esprit du Christ, qu’il n’y a aucune raison de la relier au mythe persan de l’homme primitif Gayomart, à l’homme primitif indien Purusha, ou à la doctrine de l’homme primitif du traité hellénistique Poimandres. L’homme primitif incorporel, qui (selon Philon) existait avant Adam et Eve, n’a rien à voir avec ces spéculations. Philon déduit son existence de considérations exégétiques concernant la présence de deux récits de la création de l’homme (Genèse i. 26-27, ii. 15-25).

En tant qu'être préexistant, le Christ devrait en réalité être désigné dans l'argumentation de Paul comme le premier Adam. Mais c'est par sa venue dans la chair, sa mort et sa résurrection qu'il devient d'abord homme, duquel une nouvelle humanité peut sortir. Puisque l'humanité destinée à la gloire messianique, qui prend naissance en lui, suit comme seconde humanité l'humanité qui procède d'Adam, Paul parle de lui comme du second Adam. Cette désignation devrait suffire à elle seule à faire comprendre qu'il n'a rien à voir avec l'homme primitif des mythes indiens, perses ou hellénistiques. Car il n'est donc pas un homme primitif, mais un second Adam, et cela en conséquence de sa résurrection, par laquelle il devient l'ancêtre de ceux qui sont destinés à la résurrection. Le second Adam est, chez Paul, une conception eschatologique et non mythique.

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La possession de l’Esprit prouve aux croyants qu’ils sont déjà sortis de l’état naturel d’existence et transférés dans le surnaturel. Ils sont « dans l’Esprit », ce qui signifie qu’ils ne sont plus dans la chair. Car être dans l’Esprit n’est qu’une forme de manifestation de l’être-en-Christ. Les deux sont des descriptions d’un seul et même état.

En étant dans l'Esprit, les croyants sont élevés au-dessus de toutes les limitations de l'être dans la chair. Par l'Esprit, la véritable circoncision, celle du cœur, s'accomplit en eux. Dans l'Esprit, la Nouvelle Alliance naît. L'Esprit est la Nouvelle Loi qui donne la vie, tandis que l'Ancienne Loi, celle de la lettre, ne faisait que manifester le péché et livrait ainsi l'homme à la mort. L'Esprit donne aux croyants l'assurance qu'ils sont enfants de Dieu et justifiés devant Lui. Par l'Esprit, ils ressentent dans leur cœur l'amour avec lequel ils sont aimés de Dieu.

Romains 8. 1-2 : « IL n'y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, lesquels ne marchent point selon la chair, mais selon l'Esprit : parce que la loi de l'Esprit de vie, qui est en Jésus-Christ, m'a affranchi de la loi du péché et de la mort; »

Romains ii. 28-29 : « Car celui-là n'est point Juif, qui ne l'est qu'au-dehors; et celle-là n'est point la véritable circoncision, qui est faite par dehors en la chair. Mais celui-là est Juif, qui l'est au-dedans; et la véritable circoncision est celle qui est du cœur en esprit, et non pas dans la lettre; » — Phil. iii. 3 : « car c'est nous qui sommes la circoncision, nous qui servons Dieu en esprit, et qui nous glorifions en Jésus-Christ, et qui n'avons point de confiance en la chair. »

2 Cor. iii. 6 : « qui nous a aussi rendus capables d'être les ministres du nouveau testament, non de la lettre, mais de l'esprit : car la lettre tue, mais l'Esprit vivifie. »

Gal. v. 18 : « Or, si vous êtes conduits par l'Esprit, vous n'êtes point sous la loi. » — Rom. vii. 6 : « Mais maintenant nous sommes délivrés de la loi, étant mortes à celle sous laquelle nous étions retenus; afin que nous servions Dieu en nouveauté d'esprit, et non point en vieillesse de Lettre. »

Gal. iv. 6 : «  Et parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos cœurs, criant : Abba, c'est-à-dire, Père. » — Rom. viii. 14-16 : « Or tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. Car vous n'avez point reçu un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte; mais vous avez reçu l'Esprit d'adoption, par lequel nous crions Abba, c'est-à-dire, Père. C'est ce même Esprit qui rend témoignage avec notre esprit, que nous sommes enfants de Dieu. »

Gal. v. 5 : « Mais pour nous, nous espérons par l'esprit d'être (déclarés) justifiés par (l’accomplissement de) la foi.» — Rom. viii. 4 : « afin que la justice de la loi fût accomplie en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l'Esprit. » — Rom. viii. 10 : « Et si Christ est en vous, le corps est bien mort à cause du péché; mais l'esprit est vie à cause de la justice. » — 1 Cor. vi. 11 : « mais vous avez été justifiés, au nom du Seigneur Jésus, et par l'Esprit de notre Dieu. »

Romains v. 5 : « ... parce que l'amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. »

Étant dans l'Esprit, il appartient au croyant de décider s'il veut s'y consacrer sérieusement et vivre consciencieusement dans l'Esprit. Il doit se résoudre à laisser l'Esprit gouverner complètement toutes ses pensées, ses paroles et ses actions. Il ne doit pas supposer qu'il peut être dans l'Esprit et en même temps vivre dans la chair. Pour ceux qui sont en Christ et dans l'Esprit, leur être dans la chair n'est qu'une question d'apparence extérieure, non un état d'existence réel. L'homme élu doit préserver cette relation en se libérant des pensées et des désirs de son moi naturel et en se soumettant en toutes choses à la direction éthique de l'Esprit. Si par sa conduite il permet à l'être dans la chair de redevenir une réalité, il renonce à l'être dans l'Esprit et à l'état d'existence de résurrection dont c'est le gage.

Gal. v. 16-17 : « Je vous dis donc : Marchez selon l'Esprit; et vous n'accomplirez point les convoitises de la chair. Car la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair; et ces choses sont opposées l'une à l'autre; tellement que vous ne faites point les choses que vous voudriez. » — Gal. v. 25 : « Si nous vivons par l'Esprit, conduisons-nous aussi par l'Esprit. » — Gal. vi. 7-8 : « car ce que l'homme aura semé, il le moissonnera aussi. C'est pourquoi celui qui sème pour sa chair, moissonnera aussi de la chair la corruption; mais celui qui sème pour l'Esprit, moissonnera de l'Esprit la vie éternelle. » — 1 Cor. iii. 16-17 : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous? Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira : car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple. » — Rom. viii. 5-6: « Car ceux qui sont selon la chair, sont affectionnés aux choses de la chair; mais ceux qui sont selon l'Esprit, sont affectionnés aux choses de l'Esprit. Or l'affection de la chair est la mort; mais l'affection de l'Esprit est la vie et la paix : » — Rom. viii. 13: « car si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si par l'Esprit vous mortifiez les actions du corps, vous vivrez. »

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En ce qui concerne sa personne, Paul sait que l'Esprit agit par lui. Si sa prédication est efficace, c'est parce qu'elle se fait dans la puissance de l'Esprit ; si des signes et des prodiges viennent de lui, ils sont opérés par l'Esprit. De même, tous les dons qui se manifestent chez les croyants, si divers soient-ils, sont dus à l'Esprit. Tout ce qui est vraiment spirituel et tous les exercices de puissance manifestés par des miracles procèdent du principe surnaturel qui est déjà à l'œuvre dans le monde.

1 Thes. i. 5 : « Car la prédication que nous avons faite de l'Evangile au milieu de vous, n'a pas été en parole seulement, mais aussi en vertu, et en Saint-Esprit » — 1 Cor. ii. 3-4 : « Et j'ai même été parmi vous dans la faiblesse, dans la crainte, et dans un grand tremblement. Et ma parole et ma prédication n'a point été en paroles persuasives de la sagesse humaine, mais en évidence d'Esprit et de puissance; » — Rom. xv. 19 : « avec la vertu des prodiges et des miracles, par la puissance de l'Esprit de Dieu : tellement que depuis Jérusalem, et les lieux d'alentour, jusque dans l'Illyrie, j'ai tout rempli de l'Evangile de Christ. »

Gal. iii. 5 : « Celui donc qui vous donne l'Esprit, et qui produit en vous les dons miraculeux »

1 Cor. xii. 4-11 : « Or il y a diversité de dons, mais il n'y a qu'un même Esprit. Il y a aussi diversité de ministères, mais il n'y a qu'un même Seigneur. Il y a aussi diversité d'opérations; mais il n'y a qu'un même Dieu, qui opère toutes choses en tous. Or, à chacun est donnée la lumière de l'Esprit pour procurer l'utilité commune. Car à l'un est donnée par l'Esprit, la parole de sagesse; et à l'autre par le même Esprit, la parole de connaissance; et à un autre, la foi par ce même Esprit; à un autre, les dons de guérison par ce même Esprit; et à un autre, les opérations des miracles; à un autre, la prophétie; à un autre, le don de discerner les esprits; à un autre, la diversité de langues; et à un autre, le don d'interpréter les langues. Mais un seul et même Esprit fait toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons comme il le trouve à propos. »

L'Esprit Saint a déterminé à quel point les actions de Paul étaient déterminées, comme le montre l'épître aux Galates où il nous dit que c'est à la suite d'une révélation qu'il monta vers les apôtres à Jérusalem à la fin de son premier voyage missionnaire (Gal. ii, 2). Dans les Actes des Apôtres, l'Esprit prescrit à Paul et à ses compagnons la route à suivre au début du premier voyage missionnaire. L'Esprit ne leur permet pas de prêcher dans la province d'Asie, ni d'aller en Bithynie (Ac. XVI, 6-7).

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Parmi les manifestations de l’Esprit, le jugement commun attribuait la plus haute place au « parler en langues » (glossolalia) extatique, qui se produisait au cours du service divin, car c’était la plus évidente pour les sens. Paul, cependant, apprécie le plus l’œuvre de l’Esprit dans l’édification et dans le progrès de la vie spirituelle qui en résulte. Il s’oppose donc à l’appréciation excessive de la glossolalie, bien que, grâce à Dieu, elle lui soit accordée dans une plus large mesure qu’à d’autres (1 Cor. XIV. 18). Il désire qu’elle n’occupe pas une place trop grande dans le culte public, comme cela se passait à Corinthe. Parler en langues, déclare-t-il, c’est parler avec Dieu, ce que les autres ne comprennent pas. C’est pourquoi il préfère dire cinq paroles avec intelligence et pour l’édification des autres, plutôt que dix mille dans un discours extatique (1 Cor. XIV. 19). Le discours extatique est pour lui une prière adressée à Dieu, dans laquelle l’Esprit de Dieu, demeurant dans l’homme, fait entendre à Dieu, par des soupirs inexprimables, ces désirs de délivrance de la mortalité, qui sont intenses au-delà de toute pensée et de toute parole (Rom. 8, 26). A côté de cette prière de l’Esprit de Dieu, « prier avec l’intelligence » doit aussi avoir ses droits (1 Cor. 14, 14-17). C’est pourquoi, au chapitre 14 de la première épître aux Corinthiens, où il traite des questions liées au service divin, il ordonne que dans chaque cas particulier, seuls deux ou trois orateurs extatiques se présentent, et cela seulement s’il y en a un qui possède le don de pouvoir interpréter ce discours extatique. S’il n’y a pas d’interprètes présents, l’orateur extatique ne prendra pas part au service divin du tout, mais qu’il converse plutôt avec Dieu chez lui (1 Cor. 14, 28).

Les prophètes, bien que leurs prophéties soient intelligibles à tous et servent à l'édification, ne devaient en parler que deux ou trois, l'un après l'autre. Si quelqu'un fait savoir, pendant qu'un prophète parle, qu'il a reçu une révélation, le prophète doit se taire et lui céder la parole (1 Cor. XIV, 24-33).

Les orateurs extatiques et les prophètes se livraient à leurs activités dans l’action de grâces de la Sainte Cène. C’était le trait principal du service. Au cours de cette célébration, selon le récit qui nous est parvenu dans la Didachè (l’« Enseignement des douze apôtres », chap. ix-x), il y avait trois actions de grâces : une à la coupe, une à la fraction du pain et la dernière à la fin du festin. Nous ne savons pas dans quelle mesure cela correspond à la célébration chrétienne primitive. Le point important est que nous apprenons de la Didachè le caractère de l’action de grâces. Elle se rapporte non seulement à la fête, mais aussi au Royaume et à la gloire attendus. Et elle ne se limite pas à l’action de grâces, mais comprend une ardente supplication pour les bénédictions futures. Il est donc facile de comprendre pourquoi l’action de grâces était confiée à ceux qui possédaient le don de la parole extatique et aux prophètes.

1 La Didachè était censée être perdue jusqu'à ce que le métropolite de Nicomédie, Philothée Bryennios, découvre en 1874 un manuscrit (daté de 1056 après J.-C.) qui la contenait dans son intégralité. Le manuscrit se trouvait alors à Constantinople, mais se trouve aujourd'hui au n° 54 de la Bibliothèque patriarcale de Jérusalem. Le texte a été publié pour la première fois par Bryennios en 1883.

Dans la Didachè, où une forme de prière d'action de grâce est déjà prévue, il est expressément remarqué qu'en plus de cela, les prophètes doivent être autorisés à rendre grâce autant qu'ils le souhaitent.

Que Paul, bien que partageant avec ses contemporains la haute estime des manifestations sensibles du spirituel, maintienne avec une telle décision le droit supérieur des manifestations rationnelles du spirituel, est un fait d'une importance considérable.

Là encore, il se révèle être un penseur qui va au fond des choses. Les hommes d'aujourd'hui, qui ont appris à reconnaître dans le langage extatique un phénomène purement psychophysique, ont pu se rendre compte à quel point il était guidé par un instinct sûr.

Et quel courage il fallait à cette époque, et surtout devant les Corinthiens, si fiers des éclatantes paroles de l'Esprit dans cette assemblée, pour maintenir le droit supérieur des manifestations spirituelles qui étaient conformes à la raison ! Il n'y a guère d'autre endroit où Paul se montre aussi nettement comme possédant la grandeur qui non seulement appartient à son époque, mais qui la dépasse même, que dans ce chapitre quatorzième de la première épître aux Corinthiens.

L’intelligence dans l’Esprit, que Paul place au-dessus de la parole dans l’Esprit, consiste à pouvoir sonder les profondeurs de Dieu et à comprendre dans son intégralité « la Parole de la Croix » (1 Cor. i, 18), qui est folie pour la sagesse terrestre. Ce que l’homme naturel ne peut pas comprendre (1 Cor. ii, 14), et qui était même resté caché aux anges (1 Cor. ii, 8), Dieu le fait connaître aux élus par son Esprit. Le contenu de cette révélation intérieure est la connaissance de tout le mystère de la mort et de la résurrection avec le Christ.

1 Cor. ii. 10-13 : « Mais Dieu nous les a révélées par son Esprit : Car l'Esprit sonde toutes choses, même les choses profondes de Dieu. Car qui est-ce des hommes qui sache les choses de l'homme, sinon l’esprit de l'homme qui est en lui? De même aussi, nul n'a connu les choses de Dieu, sinon l'Esprit de Dieu. Or nous avons reçu, non point l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu : afin que nous connaissions les choses qui nous ont été données de Dieu; lesquelles aussi nous proposons, non point avec les paroles que la sagesse humaine enseigne, mais avec celles qu'enseigne le Saint-Esprit, appropriant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels. »

C'est sur la base des révélations qui lui sont venues de l'Esprit que Paul rend ses décisions sur les questions de croyance et de conduite. C'est comme un « mystère », c'est-à-dire comme une connaissance donnée par l'Esprit, qu'il communique aux Corinthiens qu'à la venue du Christ, tant ceux qui sont encore vivants que les morts (c'est-à-dire les morts en Christ) recevront immédiatement l'immortalité (« incorruptibilité », 1 Cor. XV, 51-52). Et il fait la même communication aux Thessaloniciens (IV, 15-18) comme « une Parole du Seigneur ». Il traite comme une parole reçue du Christ ce qui lui est révélé par l'Esprit du Christ.

C'est précisément parce qu'il reçoit des communications directes du Christ par l'Esprit qu'il peut laisser de côté l'enseignement de Jésus de Nazareth tel que le rapporte la tradition. Le changement des conditions du monde dû à la mort et à la résurrection de Jésus est si grand que l'enseignement de Jésus, antérieur à celui-ci, ne peut plus lui être appliqué sans plus de difficulté, et oblige Paul à adopter une attitude créatrice aux côtés de Jésus, et à donner à l'Évangile la forme nécessaire pour l'adapter aux conditions modifiées. La certitude qu'il acquiert de la révélation que lui donne l'Esprit du Christ lui permet d'accomplir cette tâche nécessaire.

Dans la mesure du possible, Paul évite de citer quoi que ce soit de la prédication de Jésus, ou même de la mentionner du tout. Si nous avions dépendu de lui pour notre connaissance, nous n’aurions pas su que Jésus parlait en paraboles, prêchait le Sermon sur la montagne ou enseignait à ses disciples le Notre Père. Paul omet même de mentionner les paroles de Jésus dans des contextes où elles lui sont directement liées. Par exemple, il cite le commandement « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » comme le résumé de toute la Loi, sans faire aucune référence au fait que Jésus lui-même avait parlé à cet effet (Gal. v. 14 ; Rom. xiii. 8-10). Aux Corinthiens, lorsqu’il se justifie de ne pas avoir accompli le but qu’il avait annoncé en venant chez eux, il fait une déclaration détaillée sur le fait de dire oui, oui et non, non (2 Cor. i. 17-19). Il faut bien que, sous une forme ou une autre, les Corinthiens aient cité cette parole de Jésus : « Mais que votre parole soit : Oui, oui; Non, non : car ce qui est de plus, est mauvais. » (Mt 5, 37). Mais Paul n’en fait aucune mention. De même, il ne cherche pas à établir que son exhortation : « Bénissez ceux qui vous persécutent » (Rom 12, 14) reproduit une parole de Jésus.

En effet, dans l’Épître aux Galates, il affirme de la façon la plus directe que l’Évangile qu’il prêche ne dépend en aucune façon de la tradition relative au Christ et à son enseignement reçu par les hommes.

Gal. i. 11-12 : « Or, mes frères, je vous déclare que l'Evangile que j'ai annoncé, n'est point selon l'homme; parce que je ne l'ai point reçu ni appris d'aucun homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. »

Paul n'est évidemment pas en mesure de mettre en pratique de manière tout à fait cohérente la théorie de son indépendance par rapport à la tradition. Dans son récit de la Sainte Cène, il est obligé de faire appel, lorsqu'il écrit aux Corinthiens, à la tradition des paroles de Jésus lors de la dernière Cène avec les disciples (1 Cor. xi. 23-25). Pour soutenir sa conception selon laquelle « ceux qui annoncent l'Évangile doivent vivre de l'Évangile », il fait appel à une ordonnance du Seigneur qui est censée être bien connue (1 Cor. ix. 14). Selon 1 Cor. xv. 2, il avait lui-même reçu de la tradition l'enseignement selon lequel Jésus, selon les Écritures, est mort pour les péchés de son peuple. Il se réfère probablement aussi à la parole historique de Jésus sur le divorce (Mt. v. 31-32), lorsque dans 1 Cor. vii. 10, comme commandement du Christ, il interdit aux croyants mariés de se séparer (paraggello ouk ego alla o kurios, grec).

Outre ces concessions inévitables à la tradition, Paul s’en tient au principe selon lequel la vérité sur le Christ et la rédemption ne provient pas de récits et de doctrines traditionnels, mais de révélations données par l’Esprit de Jésus-Christ. Il ne peut renoncer à ce principe, car sa propre interprétation de la mort et de la résurrection de Jésus va au-delà de la doctrine que lui applique la tradition, tandis que sa vision de la libération de la Loi est en contradiction avec celle-ci.

En 1 Thess. iv. 15, Paul ne peut pas entendre par l’expression « par une parole du Seigneur » (en logo kurion, en grec) une déclaration du Jésus historique, mais seulement une révélation du Christ qui lui a été faite par l’Esprit. Comment aurait-il pu posséder une parole de Jésus selon laquelle les croyants qui étaient morts depuis la mort de Jésus reçoivent néanmoins, avec ceux qui restent en vie à Son Retour, l’état d’existence de la résurrection ? De plus, il informe les Corinthiens (1 Cor. xv. 51) que l’entrée simultanée des morts et des survivants dans la vie de résurrection était « un mystère » ( musterion, en grec ), ce qui ne peut signifier qu’une révélation qui lui a été faite, et non quelque chose de connu par une parole traditionnelle du Seigneur.

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Paul ne s'occupe pas de la question de savoir si tout ce qui se dit être dit par l'Esprit de Dieu vient réellement de l'Esprit. Il envisage sans doute la possibilité que Satan se déguise en ange de lumière (2 Cor. 11.14). Mais il semble curieusement qu'un esprit démoniaque puisse parler avec la voix de l'Esprit de Dieu. Quand quelqu'un, parlant par l'Esprit, reconnaît le Christ comme Seigneur, il prend cela comme une preuve que l'Esprit de Dieu parle de sa part. Un esprit ne peut, selon Paul, exprimer que ce qui est conforme à sa nature.

1 Cor. xii. 3: « C'est pourquoi je vous fais savoir que nul homme parlant par l'Esprit de Dieu, ne dit que Jésus doit être rejeté; et que nul ne peut dire que par le Saint-Esprit, que Jésus est le Seigneur. »

Dans 1 Cor. xii. 10, il est mentionné comme don de l’esprit le « discernement des esprits » ( diakrisis pneumaton, grec ). Ce que Paul entend par là, nous ne le savons pas. En tout cas, il ne peut s’agir du don de distinguer si ce sont des esprits divins ou démoniaques qui parlent. Car, comme nous l’avons vu dans 1 Cor. xii. 3, tout esprit qui confesse le Christ doit être reconnu comme ayant un caractère divin.

Cette grande simplicité dans le traitement des paroles de l'Esprit n'était possible que dans le christianisme primitif. Si ceux qui cherchent à démontrer que les épîtres de Paul datent du deuxième siècle et remontent au christianisme primitif étaient capables de se débarrasser de tous les autres passages qui les contredisent, ils ne pourraient jamais traiter ces derniers de manière satisfaisante. Comment un écrivain ultérieur, qui s'est donné pour mission de produire des épîtres chrétiennes primitives sous le nom de Paul, aurait-il pu lui attribuer une telle confiance dans la capacité de reconnaître comme authentique tout esprit qui confessait le nom du Christ ?

Avec l'essor du gnosticisme, qui faisait aussi appel à l'Esprit, une attitude aussi simple que celle de Paul devint intenable. Il devint nécessaire de mettre les esprits à l'épreuve. Cette épreuve est d'ailleurs prescrite dans la première épître de Jean (1 Jean iv. 1-3). Si un esprit confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair (Iesoun Christon en sarki eleluthota, grec) — c'est-à-dire que le Logos était uni à Jésus de Nazareth dès sa naissance, et non seulement à partir de son baptême — il est de Dieu. Si ses paroles sont contraires à cela, il n'est pas de Dieu.

Il ne suffit plus ici que l'esprit reconnaisse le Christ en général, il faut aussi qu'il ait une juste opinion sur sa personne. Si elle représente un christianisme gnostique ou judaïsant, elle ne doit pas être acceptée comme venant de Dieu.

A la fin du premier siècle, la Didachè a tenté de donner des indications permettant de distinguer les faux prophètes des vrais. Elle ne permet pas de vérifier le contenu de leurs prophéties, ce qu'elle considère comme interdit par la parole de Jésus sur le péché contre le Saint-Esprit. Mais ceux qui parlent par l'Esprit doivent être jugés sur la base de leur conduite. Cette explication quelque peu hésitante montre qu'à cette époque, la vérification des esprits était déjà dans une certaine mesure considérée comme souhaitable, mais qu'elle n'était pas encore osée. La nécessité, créée par le gnosticisme, de tenir compte de la position dogmatique de l'Esprit en question ne s'était pas encore fait sentir à l'époque de la Didachè.

Did. xi. 7-12 : « Et tout prophète qui parle par l'Esprit, tu ne l'éprouveras pas et tu ne le jugeras pas ; car tout péché sera pardonné, mais ce péché-là sera pardonné.

« Il ne sera pas pardonné. Mais quiconque parle par l’Esprit n’est pas prophète, mais seulement s’il a la conduite du Seigneur. C’est à leur conduite que vous pouvez reconnaître le faux prophète et le vrai. Et aucun prophète qui, par l’Esprit, ordonne qu’on prépare un festin, n’en mange, à moins qu’il ne soit un faux prophète. Et tout prophète, même s’il enseigne ce qui est juste, est un faux prophète s’il ne fait pas ce qu’il enseigne. ... Si quelqu’un dit par l’Esprit : « Donne-moi de l’argent ! » ou quelque chose de semblable, ne l’écoutez pas. Mais s’il demande des dons pour les nécessiteux, personne ne le jugera. »

Vers 150 après J.-C., l'auteur du Pasteur d'Hermas, qui était lui-même prophète, aborde lui aussi ce problème épineux, toujours sans y appliquer une critique dogmatique. Il l'aborde de manière plus pratique que la Didachè.

Hermas, Mand. xi. 8 : « En premier lieu, l’homme qui possède l’esprit d’en haut est doux, calme, humble, exempt de toute méchanceté et de tout mauvais désir pour ce monde. Il se fait moins important que tous les autres hommes. Jamais l’Esprit divin ne donne à personne des informations en réponse à des questions, ni ne parle en secret pour lui-même, ou quand quelqu’un veut qu’il parle. Au contraire, l’Esprit divin ne parle que lorsque Dieu veut qu’il parle. » — Mand. xi. 12-14 : « Un Esprit divin peut-il recevoir un salaire et prophétiser pour un salaire ? Cela ne convient pas à un prophète de Dieu ; au contraire, l’esprit d’un tel prophète est de la terre. De plus, il n’entre pas du tout dans l’assemblée des justes, mais les évite. Au contraire, il s’associe aux douteurs et aux hommes vides, leur prophétise dans les coins et les trompe, en disant des bêtises vaines selon leurs désirs. . . . Mais s’il entre dans une assemblée d’hommes tout à fait justes, qui ont l’Esprit divin, et qu’ils prient, il se tient là les mains vides, l’esprit terrestre le fuit de peur, et il devient muet et tout effrayé, de sorte qu’il ne peut rien dire.

Un critère suggéré ici est donc que celui qui est véritablement doué de l’Esprit parle seulement lors du service divin, tandis que le faux prétendant parle ailleurs.

Au milieu de ces scrupules sur l’authenticité de l’Esprit, la voix de Paul, encore tout rempli d’ardeur spirituelle, résonne comme d’un autre monde lorsqu’il exhorte les Thessaloniciens (1 Thess. v. 19-20) : « N'éteignez point l'Esprit. Ne méprisez point les prophéties. »