LA DOCTRINE ESCHATOLOGIQUE DE LA RÉDEMPTION
De sa première lettre à sa dernière, la pensée de Paul est toujours uniformément dominée par l'attente du retour immédiat de Jésus, du Jugement et de la gloire messianique.
Dans la première épître aux Thessaloniciens, on retrouve constamment des paroles qui expriment cette ardente attente.
1 Thes. i. 10 : « et pour attendre des cieux son Fils Jésus, qu'il a ressuscité des morts, et qui nous délivre de la colère à venir. »
1 Thess. ii. 19 : « Car quelle est notre espérance, ou notre joie, ou notre couronne de gloire? N'est-ce pas vous qui l'êtes devant notre Seigneur Jésus-Christ, au jour de son avènement? » (Gr. παρουσία).
1 Thess. iii. 13 : « pour affermir vos cœurs sans reproche en sainteté, devant Dieu qui est notre Père, à la venue de notre Seigneur Jésus-Christ, accompagné de tous ses saints! »
1 Thess. v. 23 : « Or le Dieu de paix vous veuille sanctifier entièrement, et faire que votre esprit entier, et l'âme et le corps soient conservés sans reproche en la venue de notre Seigneur Jésus-Christ! »
Les lettres aux Galates, aux Corinthiens et aux Romains sont, pour l'essentiel, si occupées par des arguments sur la Loi, la justice de la foi, l'appartenance à Jésus-Christ, la prédestination et les affaires particulières des Églises, qu'on peut oublier l'attente qui domine l'âme de l'auteur. Mais soudain, dans une phrase incidente, la foi eschatologique apparaît dans toute sa force comme quelque chose qui sous-tend toujours l'ensemble.
Gal. i. 4 : « qui s'est donné lui-même pour nos péchés, afin que, selon la volonté de Dieu, notre Père, il nous retirât du présent siècle mauvais! »
Gal. vi. 10 : « C'est pourquoi, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous; mais principalement aux domestiques de la foi. »
Dans la première épître aux Corinthiens, les instructions concernant le mariage et le célibat sont dominées par la conviction que le temps est court (1 Cor. VII. 29) et que « la figure de ce monde passe » (1 Cor. VII. 31). On rappelle aux croyants qu’ils sont la génération « qui survivra à la fin des temps » (1 Cor. X. 11), et que dans les temps à venir ils prononceront un jugement sur les anges (1 Cor. VI. 3), qu’ils devront eux-mêmes être présents à un jugement au cours duquel toutes choses seront éprouvées par le feu (1 Cor. III. 13-15), et que la célébration de la Sainte Cène est un souvenir de la mort de Jésus qui annonce son retour (1 Cor. XI. 26). Au début de la Lettre il y a une référence à la révélation de la gloire du Christ (1 Cor. i. 7-8) et elle se termine par la prière exclamative Maranatha (« Notre Seigneur, viens ! », 1 Cor. xvi. 22).
Dans la deuxième épître aux Corinthiens, il est également fait fréquemment référence à l’attente du jour du Seigneur.
2 Cor. i. 14 : « selon que vous avez reconnu en partie, que nous sommes votre gloire, comme vous êtes aussi la nôtre pour le jour du Seigneur Jésus. »
2 Cor. v. 10 : « Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal de Christ, afin que chacun remporte en son corps selon ce qu'il aura fait, soit bien, soit mal. »
2 Cor. xi. 2: « Car je suis jaloux de vous d'une jalousie de Dieu; parce que je vous ai unis à un seul mari, pour vous présenter à Christ comme une vierge chaste. »
On trouve aussi dans l'épître aux Romains des expressions imposantes de cette attente eschatologique. L'apôtre représente la création entière comme aspirant au jour de la révélation des fils de Dieu (1 Romains 8.19). Il soutient que la Rédemption est plus proche maintenant qu'à l'époque où lui et les chrétiens romains ont cru pour la première fois (Romains 13.11), que le matin du jour attendu commence déjà à poindre (Romains 13.12) et que Dieu va bientôt fouler aux pieds Satan (Romains 16.20).
Dans l’épître aux Philippiens, l’attente eschatologique revient sans cesse, comme dans la première épître aux Thessaloniciens.
Phil. i. 6 : « étant assuré de cela même, que celui qui a commencé cette bonne œuvre en vous, l'achèvera jusqu'à la journée de Jésus-Christ : »
Phil. i. 10 : « afin que vous discerniez les choses contraires, pour être purs et sans achoppement jusqu'à la journée de Christ; »
Phil. ii. 10 : « afin qu'au nom de Jésus tout genou se ploie, tant de ceux qui sont aux cieux, que de ceux qui sont en la terre, et au-dessous de la terre; »
Phil. iii. 20-22 : « Mais pour nous, notre bourgeoisie est dans les cieux, d'où aussi nous attendons le Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ; qui transformera notre corps vil, afin qu'il soit rendu conforme à son corps glorieux, selon cette efficace par laquelle il peut même s'assujettir toutes choses. »
Phil. iv. 1-5 : « Réjouissez-vous en Notre-Seigneur : je vous le dis encore, réjouissez-vous. […] Le Seigneur est près. »
Si donc la pensée de Paul a connu une évolution, celle-ci ne consiste certainement pas dans un relâchement de son attente eschatologique au fil du temps.
La conception de la Rédemption qui sous-tend cette attente eschatologique est, pour le dire de manière très générale, que Jésus-Christ a mis fin au monde naturel et introduit le Royaume messianique. Elle est ainsi conçue de manière cosmologique. Par elle, l'homme est transféré du monde périssable au monde impérissable, car le monde entier est transféré d'un état à l'autre, et lui avec lui. La rédemption que le croyant expérimente n'est donc pas une simple transaction conclue entre lui, Dieu et le Christ, mais un événement mondial auquel il participe. Il est impossible de se faire une idée juste de la conception de la rédemption des premiers chrétiens sans tenir compte du fait qu'elle était ainsi conditionnée par le cosmos.
Les écrits qui doivent être considérés comme des documents pour la vision eschatologique juive sont, en plus des prophètes antérieurs et postérieurs, principalement le Livre d'Enoch, les Psaumes de Salomon et les Apocalypses de Baruch et d'Esdras.
Le Livre d'Enoch est constitué d'une série d'Apocalypses (révélations) apparues entre 160 et 70 av. J.-C. : écrit sans doute à l'origine en araméen, il nous est parvenu en langue éthiopienne. 1 Il fut introduit pour la première fois en Europe en 1773, d'Abyssinie, par le voyageur anglais James Bruce. Il poursuit pour l'essentiel l'eschatologie du Livre de Daniel. La partie la plus importante du livre est constituée des Similitudes (Enoch xxxvii-lxxi), dans lesquelles sont décrites les révélations concernant les temps de la Fin qui furent accordées à « Enoch le septième depuis Adam » (c'est-à-dire avant le Déluge) par des anges sous forme d'explications de visions vues par Enoch.
Outre ce Livre d’Hénoch éthiopien, il existe également un « Livre d’Hénoch » slave. Ce livre slave a sans doute son origine dans la diaspora juive, peut-être dès 70 après J.-C. (édition slave, 1880 ; anglaise, 1896 et 1913 [sur sa date et son origine probablement byzantines, Journal of Theol. Stud, xxiii. 49-56]). Il existe également un « Livre d’Hénoch » hébreu qui a sans doute été rédigé au deuxième et au troisième siècle après J.-C. (édition hébreu-anglaise de Hugo Odeberg, Cambridge, 1928).
Les Psaumes de Salomon furent écrits peu après la prise de Jérusalem par Pompée (63 av. J.-C.). L'existence de cet ouvrage était connue depuis longtemps car il était cité dans des listes canoniques datant de l'époque chrétienne ancienne. La traduction grecque du livre, rédigée à l'origine en hébreu, fut redécouverte au début du XVIIe siècle et publiée par le jésuite de la Cerda.
Les Apocalypses de Baruch et d'Esdras furent écrites sous l'impression de la destruction de Jérusalem par Titus ( 70 apr. J.-C.). Elles prétendent être des révélations accordées à Baruch, le scribe de Jérémie, au moment de la destruction de Jérusalem à son époque, et à Esdras au moment de la proclamation de la Loi et du retour à Jérusalem. Dans ces deux Apocalypses, nous avons sans doute les attentes des scribes de l'époque de Paul quant à l'avenir. L'Apocalypse d'Esdras, également connue sous le nom de Quatrième Livre d'Esdras, a toujours été connue, car elle était incluse dans les Apocryphes de la Vulgate. L'Apocalypse de Baruch est conservée dans une traduction syriaque et a été publiée pour la première fois en 1871 par Ceriani. Les deux écrits, qui sont étroitement liés par leur sujet, ont sans doute été écrits à l'origine en hébreu.
Outre ces quatre livres, il faut mentionner le Livre des Jubilés, datant d'environ 120 av. J.-C., paraphrase de la Genèse et de l'Exode jusqu'à la Pâque au Sinaï ; le Testament des douze patriarches, qui nous est parvenu sous une forme portant quelques traces d'une relecture chrétienne, tandis que le document juif sous-jacent, apparenté dans son esprit au Livre des Jubilés, date sans doute aussi d'environ 120 av. J.-C. ; et l'Ascension de Moïse, datant du début du premier siècle apr. J.-C.
Le monde naturel est caractérisé, dans la conception eschatologique, non seulement par son caractère transitoire, mais aussi par le fait que les démons et les anges y exercent un pouvoir : les diverses références ne permettent pas de déterminer clairement dans quelle mesure ils le font. L'eschatologie juive ne reconnaît pas de véritable dualisme, bien qu'elle ait été fortement influencée par le zoroastrisme. Les anges qui, dans Genèse VI, 1-4, se révoltent contre Dieu sont, selon le Livre d'Enoch, immédiatement vaincus et maintenus en attente de leur châtiment final au Jugement. Mais leur progéniture, engendrée des filles des hommes, sont les démons, qui troublent le monde jusqu'à la fin (Enoch XV, 8-XVI, 4). Leur chef porte divers noms et est souvent identifié à Satan (l'Accusateur), qui n'était pas à l'origine un ennemi de Dieu, mais seulement l'Accusateur des hommes, que Dieu permet d'agir en tant que tel.
En général, l'eschatologie juive considère que le mal du monde vient des démons et que des êtres angéliques se sont interposés, avec la permission de Dieu, entre Lui et l'humanité. Dans sa forme la plus simple, la conception de la rédemption est que le Royaume messianique met fin à cette situation.
Jésus et Paul sont d’accord pour supposer que les démons et les anges exercent le pouvoir dans le monde.
Jésus considère que les malades mentaux sont possédés par des démons. Les pharisiens expliquent qu'il les guérit par son alliance avec Béelzébul, le prince des démons, et par le pouvoir qu'il a reçu de lui pour le faire. Jésus, cependant, donne une explication beaucoup plus naturelle : le prince des démons a maintenant perdu son pouvoir et est donc obligé de le laisser faire. Il le compare à un homme fort qui est vaincu et lié par un plus fort et qui ne peut plus que regarder sa maison pillée (Mt 12, 22-29).
Pour Jésus, non seulement la possession, mais aussi la souffrance corporelle sont l'œuvre des démons. En envoyant les disciples, il leur donne le pouvoir de chasser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité (Mt 10, 11), ce qu'ils font avec succès (Mc 6, 13.30).
Le chef des puissances du mal est appelé par Jésus le « Méchant » (πονηρός). Dans la prière du Seigneur, il fait prier les croyants pour que Dieu ne les induise pas en « tentation » ( πειρασμός ), c'est-à-dire dans les afflictions provoquées par les puissances du mal qui précéderont le Royaume messianique, mais qu'il les délivre aussitôt du pouvoir du « Méchant » (Mt 6, 13). Pierre, au moment où il cherche à le détourner de la pensée de la souffrance, devient pour lui un instrument de Satan (Mt 16, 23).
Le mot Diabolos (διάβολος, calomniateur), par lequel Matthieu et Luc rendent une désignation araméenne du Méchant, est identique dans son sens à Satan. Dans la Septante, Satan est traduit par διάβολος. Le mot apparaît également dans la Sagesse de Salomon (ii. 24).
Que ce Méchant soit considéré non seulement comme le seigneur des démons, mais aussi comme une puissance angélique opposée à Dieu, cela ressort clairement de la parole sur le feu éternel qui est préparé pour le diable et ses anges (Mt xxv. 41).
La conception que l'on trouve dans le livre d'Enoch se rapproche le plus de celle de Jésus, et les représentations que l'on trouve dans ce livre des anges qui soutiennent la cause des élus en présence de Dieu contre les accusations de Satan, lui sont familières. 1 Cela est démontré par sa déclaration selon laquelle nous devons nous garder de causer des offenses à « ces petits », car leurs anges dans le ciel voient continuellement la face de Dieu, c'est-à-dire ont constamment accès à sa présence afin d'intercéder pour eux (Mt 18, 10).
1 Enoch xl. 1 - 10 : Les quatre anges de la Présence sont Michel, Raphaël, Gabriel et Phanuel. De Phanuel il est dit : « La quatrième voix que j'entendis s'opposa aux Satans et ne leur permit pas de comparaître devant le Seigneur des esprits pour accuser les habitants de la terre. » Voir aussi Enoch civ. 1 : « Je vous jure, vous les justes, que les anges dans le ciel devant la gloire du Grand se souviennent de vous pour le bien. Vos noms sont inscrits devant la gloire du Grand. Ayez bon espoir. »
Il est intéressant de noter, et cela n’a pas été suffisamment remarqué jusqu’à présent, que, à en juger par les Psaumes de Salomon et les Apocalypses d’Esdras et de Baruch, les scribes semblent avoir peu tenu compte des légendes fantastiques de la domination des anges. Dans les Psaumes de Salomon, aucun rôle n’est attribué aux anges. Les Apocalypses d’Esdras et de Baruch ne mentionnent les anges que comme des serviteurs obéissants de Dieu et jamais comme des adversaires et des oppresseurs des hommes. Seul l’ange de la mort, que Baruch prie Dieu de réprimander (selon l’Apocalypse de Baruch, xxi, 23) afin que cesse la mortalité et que « les chambres des âmes laissent revenir ceux qui y sont enfermés », a une fonction sinistre. Mais lui aussi est considéré comme étant au service de Dieu.
Il est significatif que Dieu, dans l'Apocalypse d'Esdras, assure explicitement à Esdras qu'Il est le seul à avoir créé la terre et qu'Il sera le seul à juger la création à la fin des temps (4 Esdras v. 56-vi. 6). Cela exclut également la conception judéo-hellénistique de la coopération des puissances personnifiées — l'Esprit de Dieu, la Sagesse de Dieu, la Parole de Dieu — dans la création du monde.
Jésus et Paul se sont tous deux rapprochés du monde de la pensée représenté par le Livre d’Enoch, plus que ne l’ont fait les scribes, à en juger par les Apocalypses de Baruch et d’Esdras.
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Les éléments de la doctrine eschatologique de la rédemption se retrouvent donc également dans l’enseignement de Jésus. 1 Il était convaincu que sa présence dans le monde signifiait le début de la chute de la tyrannie des démons.
1 Sur la conception de Jésus de sa souffrance et de sa mort, voir Albert Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, 2e éditions et suivantes, pp. 408-411 et 432-437.
Mais la conception eschatologique est aussi un facteur déterminant dans la conception que Jésus se fait de la signification de sa mort. Sa mort contribue à la destruction du pouvoir du « Malin », car elle a pour conséquence son élévation au rang de Messie. En tant que Roi messianique, il a alors à sa disposition les anges célestes pour renverser définitivement tout ce qui s'oppose à Dieu. Mais même l'idée que sa mort est « une rançon (λύτρον) pour beaucoup » (Mc 10, 45) et que son sang est « le sang de l'Alliance versé pour beaucoup » (Mc 14, 24) est ramenée par lui sous les conceptions eschatologiques de la rédemption. Le Jésus historique ne meurt pas pour l'humanité dans son ensemble, ni pour un pardon universel des péchés, mais pour un nombre déterminé, à savoir ceux qui sont élus au Royaume de Dieu. La pensée qu'il doit souffrir et mourir lui est présente depuis le début, mais elle revêtit dans la première période une forme différente de celle qu'elle revêtit plus tard. Dans la première période, il l'associait à la tribulation pré-messianique. Il s'attendait à ce que lui et ses élus rassemblés autour de lui soient livrés pour un temps par Dieu au pouvoir du « Malin » et qu'ils doivent endurer la « tentation », c'est-à-dire la souffrance et la mort. C'est dans ce but qu'il exhortait les fidèles à renoncer sans crainte à cette vie pour celle qui est à venir, et surtout à ne pas s'offenser en lui en le voyant dans son humiliation. Avec une clarté indubitable, il annonce dans le discours d'envoi des disciples que de grandes épreuves vont commencer, au milieu desquelles ses disciples devront lui rester fidèles jusqu'à la mort.
Marc VIII. 34-38: « Puis ayant appelé les troupes et ses disciples, il leur dit : Quiconque veut venir après moi, qu'il renonce à soi même, et qu'il charge sa croix, et me suive. Car quiconque voudra sauver son âme, la perdra; mais quiconque perdra son âme pour l'amour de moi et de l'Evangile, celui-là la sauvera. Car que profiterait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il fait la perte de son âme? Ou que donnera l'homme en échange de son âme? Car quiconque aura eu honte de moi et de mes paroles parmi cette nation adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aura aussi honte de lui, quand il sera venu environné de la gloire de son Père avec les saints anges. »
Matthieu 10, 34-39 : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je n'y suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Car je suis venu mettre en division le fils contre son père, et la fille contre sa mère, et la belle-fille contre sa belle-mère. Et les propres domestiques d'un homme seront ses ennemis. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi; et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n'est pas digne de moi. Et quiconque ne prend pas sa croix, et ne vient après moi, n'est pas digne de moi. Celui qui aura conservé sa vie, la perdra; mais celui qui aura perdu sa vie pour l'amour de moi, la retrouvera. »
Jésus croit donc qu'en envoyant ses disciples il déclenche la tribulation pré-messianique, au terme de laquelle viendra le Royaume de Dieu. Mais au lieu que le Fils de l'homme apparaisse avant qu'ils aient « parcouru les villes d'Israël » (Mt 10, 23), ils reviennent simplement à lui. C'est pourquoi il se retire avec eux dans la solitude pour chercher le sens de cette chose incompréhensible. Il la trouve dans le prophète Isaïe (Is 53), à savoir que Dieu l'a destiné à mourir seul, et que cette mort doit être une rançon, libérant les élus de la tribulation pré-messianique. Dès le début, Jésus avait considéré comme possible que Dieu dispense de la tribulation finale : c'est ce que montre la demande de lui être épargnée dans la prière pour l'avènement du Royaume. Maintenant, il est convaincu que cette prière a été entendue pour les autres, mais pas pour lui-même. Il monte donc à Jérusalem avec l'intention de contraindre les chefs du peuple à le mettre à mort.
Jésus appliqua donc au Messie les descriptions des souffrances du Serviteur du Seigneur dans Isaïe 13. Il est intéressant de noter que dans les Apocalypses d’Enoch, de Baruch et d’Esdras, nous trouvons déjà des expressions utilisées à propos du Messie et du Fils de l’homme qui remontent aux passages deutéro-isaïens concernant le serviteur du Seigneur. Ainsi, dans Enoch, le Fils de l’homme est appelé, à l’imitation d’Isaïe 13. 11, « le Juste » (Enoch 38. 2, xlvi. 2, xlvii. 1, xlvii. 4), et conformément à Isaïe 4lii. 1 « l’Élu » (Enoch 39. 6, xlv. 3, xlviii. 6, xlix. 2). Dans l’Apocalypse de Baruch (lxx, 9) et d’Esdras (4 Esdras vii, 28), le Messie est désigné par Dieu comme son serviteur ; dans l’Apocalypse d’Esdras (4 Esdras xiii, 32) également « le Fils de l’homme ». 1 Le lien du Messie — Fils de l’homme — avec le Serviteur souffrant du Seigneur, qui fut complété par Jésus, était donc déjà plus ou moins courant dans le langage de l’eschatologie juive postérieure. (Voir Gerhard Kittel, « Der Menschensohn im Neuen Test. », dans Religion in Geschichte und Gegenwart, 2e éd., vol. iii, 1929, pp. 2118-2121.)
1 Sic, mais le texte de 4 Esdras dit « Mon Fils » et non « Fils de l'Homme ». — F. C. B.
Que Jésus, en contemplant sa mission, ait pensé au Deutéro- et au Trito-Isaïe, cela ressort clairement de certaines de ses paroles qui font allusion à des passages de cette partie du livre d’Isaïe (Mt 8, 11, cf. Is 49, 12 ; Mt 11, 5, cf. Is 11, 13 ; Mt 21, 13, cf. Is 4, 7). Même les « nombreux » ( πολλοί ), pour lesquels, selon Mt 20, 28 et 26, 28, sa mort doit être une rançon, sont sans aucun doute tirés d’Isaïe 13, 11-12.
Il est probable aussi que l’impression faite par la mort de Jean-Baptiste a joué un rôle dans la détermination de Jésus à souffrir et à mourir.
Que Jésus, en conséquence de sa mort, attendait sa résurrection et, peu après, son apparition dans les nuées du ciel et la venue immédiate du Royaume messianique, cela ressort clairement de sa parole aux disciples sur le chemin de Gethsémané (Mc 14. 27-28) et de ses paroles au Grand Prêtre lors de son procès (Mc 14. 62).
Le Royaume ne peut pas venir avant que la tribulation pré-messianique n’ait eu lieu. Si Jésus souffre une mort que Dieu peut accepter comme l’équivalent de cette tribulation, Il peut ainsi instaurer le Royaume immédiatement.
Considérant le Royaume comme la Nouvelle Alliance promise par Dieu par l'intermédiaire de Jérémie (Jr 31, 31-34), Jésus peut dire à la dernière Cène que son sang est le sang de la Nouvelle Alliance, versé pour la multitude (Mc 14, 24). Il se sent le sacrifice offert pour la mise en vigueur de cette nouvelle Alliance, parallèlement au sacrifice de la conclusion de l'Alliance au Sinaï, dont Moïse a répandu le sang en partie sur l'autel et en partie sur le peuple (Ex 24, 5-8).
Selon Marc, Jésus a seulement dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, répandu pour plusieurs » ; Matthieu ajoute : « pour la rémission des péchés » (Mt 26, 28). Si cette expression, sous cette forme développée, n’est pas certainement authentique, elle n’en est pas moins vraie en substance. Le sang versé pour plusieurs a quelque chose à voir dans la pensée de Jésus avec la rémission des péchés. Car à la conception de la tribulation pré-messianique est liée d’une manière ou d’une autre l’idée que les élus, dans ces souffrances, ne sont pas simplement livrés au pouvoir du Malin, mais qu’ils font dans leurs souffrances l’expiation de leurs péchés. La mort de Jésus, qui, par la volonté miséricordieuse de Dieu, remplace la tribulation, intervient donc pour la rémission de leurs péchés. Tant que les péchés des élus ne sont pas expiés, Dieu ne peut pas instaurer le Royaume. Jésus souffre ainsi une mort expiatoire, qui a pour conséquence le pardon des péchés des élus par Dieu : ainsi la venue du Royaume, le pardon des péchés et la possibilité qui en résulte pour lui de la venue du Royaume sont pour lui la même chose.
En tant que sacrifice de la Nouvelle Alliance, la mort de Jésus a aussi à ses yeux une signification expiatoire. Il est dit expressément dans Jérémie que le pardon des péchés accompagnera la conclusion de l'Alliance ; Isaïe avait lui aussi dit que dans la Nouvelle Jérusalem il y aurait le pardon des péchés.
Jérémie xxxi. 34 : « parce que je pardonnerai leur iniquité, et que je ne me souviendrai plus de leur péché. »
Esaïe xxxiii. 24 : « Le peuple qui habitera en elle, sera déchargé d’iniquité. »
Puisque Dieu accorde au peuple de la Nouvelle Alliance le pardon de ses péchés, le sacrifice inaugural de la Nouvelle Alliance, que Jésus offre par sa mort, acquiert la signification d’un sacrifice expiatoire.
Il est vrai que le sacrifice qui a lieu lors de la conclusion de l’Alliance au Sinaï — et non un sacrifice expiatoire, puisque dans le rite accompli par Moïse, le sang versé est considéré comme un lien entre les deux parties — est un sacrifice purement solennel de l’Alliance. Mais les pensées de Jésus ne sont pas si strictement déterminées par la religion comparée qu’il doive distinguer aussi scrupuleusement entre les deux types de sacrifices qu’un candidat théologique moderne soumis à l’examen. Pour lui, le sacrifice par lequel il s’offre à Dieu pour les élus est à la fois un sacrifice d’alliance et un sacrifice expiatoire. De même, il ignore la distinction entre la rançon et l’expiation, que l’on a tenté à maintes reprises d’introduire afin d’éviter d’admettre qu’il considérait réellement sa mort comme une mort expiatoire.
C'est seulement du point de vue eschatologique que l'on comprend comment Jésus a pu considérer sa mort à la fois comme une mort expiatoire et comme un acte qui inaugure le Royaume. Sans la lumière que jette l'idée de la tribulation pré-messianique sur ses paroles concernant la signification de sa souffrance et de sa mort, celles-ci resteraient complètement obscures. Dieu reconnaît dans sa souffrance l'équivalent de l'expiation des péchés des élus, que ceux-ci auraient dû commettre par leurs propres souffrances dans la tribulation pré-messianique. Il peut les remettre, mettre fin immédiatement à la puissance du Malin et instaurer immédiatement le Royaume.
La mort de Jésus rend possible l'accomplissement des demandes du Notre Père pour le pardon des péchés, pour l'exemption de la « tentation » et pour la délivrance du Malin.
C'est seulement du point de vue de la doctrine eschatologique de la rédemption que l'on comprend pourquoi Jésus, lorsque Pierre cherche à le dissuader de son projet de mourir, entend dans sa voix la voix de Satan. Car Satan a intérêt à ce qu'il renonce à ce projet. Si Jésus ne meurt pas, la domination du Malin continuera.
Bien qu'étrangère à nos idées, la pensée de la mort expiatoire de Jésus, façonnée par l'idée eschatologique de la rédemption, est néanmoins à la fois simple et profonde. La tribulation expiatoire que l'homme devait subir pour obtenir le pardon des péchés, la future
Le Messie prend sur lui, par la grâce de Dieu, la parole de Dieu. Combien plus vivante et féconde est cette version historiquement vraie de la pensée de Jésus, qui naît naturellement de l'attribution universelle d'une valeur expiatoire à la souffrance, que la multitude d'inventions théologiques ou non théologiques qui lui ont été imposées !
Jésus n’a pas jugé nécessaire d’instruire ses disciples et ses convertis au sujet de sa mort expiatoire. Elle leur est utile objectivement, sans qu’ils aient besoin de la connaître ou d’y croire. Il se contente donc d’indications obscures. Dans le Royaume de Dieu, ils comprendront comment tout cela s’est produit.
L'Église primitive explique la mort de Jésus en se fondant sur la tradition des paroles de Jésus et sur sa propre conception eschatologique de la rédemption, à savoir que par sa mort et sa résurrection, il était devenu le Messie en gloire, qui introduirait bientôt le Royaume, et qu'il avait obtenu pour eux une expiation du péché, qui assurerait aux élus, lors du jugement, le pardon de leurs péchés. L'idée originelle de Jésus selon laquelle sa mort devait remplacer la tribulation pré-messianique, et en mettant ainsi fin à celle-ci, devait amener le Royaume, ne leur était pas connue, et dans le cours réel des événements, elle a perdu son applicabilité. Alors que pour Jésus, le pardon des péchés est identique à la « délivrance de l'épreuve », les premiers chrétiens croient au pardon des péchés à cause de la mort de Jésus, et attendent toujours la tribulation pré-messianique, interprétant les souffrances et les persécutions qu'ils subissent comme un châtiment qui doit précéder l'apparition du Messie. Cela signifie que la pensée de la mort expiatoire et celle de l'instauration du Royaume par la mort de Jésus ne forment plus une unité, mais deviennent des conceptions distinctes. Comme la seconde ne peut avoir d'existence indépendante, elle se perd en tant qu'entité séparée et ne survit que sous la forme que Jésus, qui par sa mort et sa résurrection est devenu le Messie, introduira le Royaume. Cela explique pourquoi la croyance des premiers chrétiens, à partir de la mort de Jésus, s'exprimait dans les deux affirmations parallèles selon lesquelles, par cette mort, il s'était acquis l'élévation au rang de Messie et avait aussi obtenu pour son peuple le pardon de ses péchés. Ces deux idées apparemment dissociées demeurent cependant, conformément à leur origine, liées ensemble par la croyance en la proximité du Royaume.
C'est l'enseignement chrétien primitif sur la mort de Jésus, tel que proclamé par Pierre et Paul dans les Actes, et tel que nous le trouvons dans la première épître de Pierre.
L'enseignement simple des premiers chrétiens sur la mort expiatoire de Jésus est également tenu pour acquis par Paul dans les épîtres. Aux Corinthiens, il en parle comme de la base de son enseignement.
1 Cor. xv. 2: « Car avant toutes choses, je vous ai donné ce que j'avais aussi reçu; savoir : Que Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures; »
Il est intéressant de noter que Paul, qui prétend ailleurs avoir reçu son enseignement directement du Christ, fait ici expressément appel à la tradition.
Il ne donne pas dans les épîtres la preuve scripturale que le Christ doit mourir pour les péchés des fidèles. Une fois (Rom. iv. 25) il fait allusion, dans les mots « qui a été livré pour nos offenses », à des passages qui parlent du serviteur souffrant du Seigneur (Isaïe liii. 5, 12), mais sans les citer directement. Il est possible que la raison pour laquelle il ne donne pas cette preuve scripturale soit que pour lui, et pour le christianisme primitif en général, il était évident que les passages du « Serviteur » dans Isaïe se référaient à Jésus.
Dans Gal. iii. 13, ce qu’il prouve par la citation « Maudit soit quiconque est pendu à la croix » (Deut. xxi. 23) n’est pas la mort expiatoire de Jésus, mais l’annulation de la Loi par sa crucifixion.
Cette doctrine de la mort expiatoire est ensuite développée par Paul dans la doctrine de la justification par la foi seule.
L’autre affirmation traditionnelle selon laquelle Jésus, en vertu de sa mort et de sa résurrection, est le Messie, désormais exalté dans la gloire et qui apparaîtra bientôt comme tel, joue également son rôle dans son enseignement.
Romains i. 4 : « et qui a été pleinement déclaré Fils de Dieu en puissance, selon l'Esprit de sanctification par sa résurrection d'entre les morts; c'est-à-dire, notre Seigneur Jésus-Christ; »
Phil. ii. 8-11 : « et étant trouvé en figure comme un homme, il s'est abaissé lui-même, et a été obéissant jusques à la mort, à la mort même de la croix. C'est pourquoi aussi, Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom : afin qu'au nom de Jésus tout genou se ploie, tant de ceux qui sont aux cieux, que de ceux qui sont en la terre, et au-dessous de la terre; et que toute langue confesse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. »
Par sa mort et sa résurrection, Jésus a donc été élevé au-dessus de tous les êtres angéliques. Mais il n'entrera pleinement dans cette autorité qu'au jour du commencement du Royaume messianique.
Doté d'une telle puissance, il délivrera alors ses disciples de la colère à venir (x Thess. i. 10).
Paul ne se borne pas à dire que Jésus, par le pardon des péchés qu'il a gagné et par son pouvoir messianique sur les anges, amènera bientôt ses disciples dans le royaume messianique ; il affirme que, à cause de la mort de Jésus, ils ne sont plus soumis aux anges dans la même mesure qu'auparavant. Partout apparaît la tendance de l'enseignement paulinien à représenter la Rédemption à venir comme ayant déjà commencé à opérer. Un point dans lequel, selon Paul, la Rédemption est déjà atteinte est que les anges accusateurs, lorsqu'ils se présentent maintenant devant le trône de Dieu contre les élus, n'ont plus affaire aux anges de la présence en tant que représentants des accusés, mais à Dieu et au Christ, et Dieu et le Christ déclarent les accusés innocents .
1 A propos des anges qui accusent les justes et des anges qui les défendent, voir pp. 57-59. Dans le livre de Daniel, il s'agit de nations accusées et défendues par des anges.
Romains 8. 31-39 : « ... Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous. Lui qui n'a point épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il point aussi toutes choses avec lui? Qui intentera accusation contre les élus de Dieu? Dieu est celui qui justifie. Qui sera celui qui condamnera? Christ est celui qui est mort, et qui plus est, qui est ressuscité, qui aussi est à la droite de Dieu, et qui même prie pour nous. Qui est-ce qui nous séparera de l'amour de Christ? sera-ce l'oppression, ou l'angoisse, ou la persécution, ou la famine, ou la nudité, ou le péril, ou l'épée? Ainsi qu'il est écrit : nous sommes livrés à la mort pour l'amour de toi tous les jours, et nous sommes estimés comme des brebis de la boucherie. » (Psaume 45.23).
« Au contraire, en toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les Principautés, ni les Puissances, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature, ne nous pourra séparer de l'amour de Dieu, qu'il nous a montré en Jésus-Christ notre Seigneur. »
Justin Martyr, lui aussi, vers le milieu du deuxième siècle, soutient la doctrine que l'œuvre de Jésus-Christ consistait à en finir avec les anges et les démons, qui par leur tromperie maintenaient les hommes dans leur soumission (1 Apol. 54, 58, 62, 64 ; 2 Apol. 4, 5, 7).
Dialogue avec Tryphon, 49 : « Vous pouvez reconnaître que le Christ crucifié possède la puissance secrète de Dieu ; devant lui, les démons tremblent de terreur, ainsi que toutes les forces et puissances de la terre. »
Il en résulte que les anges n'ont plus le pouvoir d'agir contre les élus. Et une fois que ceux-ci sont sûrs de l'amour de Dieu et de la justification par Dieu, il importe peu que, pendant le court laps de temps où la puissance des anges, condamnée par la mort du Christ, entre dans sa lutte à mort, ils soient tourmentés de diverses manières par elle.
Les persécutions qui assaillent l'Église naissante de Thessalonique, et les circonstances qui rendent impossible à Paul de revenir vers elle pour renforcer sa foi, sont présentées comme l'œuvre de Satan (1 Thess. iii. 3-5, ii. 18).
L’idée selon laquelle les couples mariés devenus chrétiens devraient vivre ensemble comme s’ils n’étaient pas mariés est contrée par Paul avec l’argument selon lequel Satan pourrait profiter de leur continence pour les faire tomber dans le péché sexuel (1 Cor. vii. 1-6).
Dans l'affaire de l'adversaire qui s'éleva contre lui à Corinthe, Paul cède jusqu'à un degré voisin de la faiblesse, car il craint que la continuation de cette querelle ne serve la cause de Satan, qui cherche à troubler l'Église par de telles querelles (2 Cor. ii. 5-11).
C'est à Satan aussi qu'il attribue ses terribles souffrances corporelles. Parce qu'il a été enlevé au ciel et au paradis et qu'il a entendu des choses « qu'il n'est pas permis de dire », il a été livré d'une manière spéciale à « l'ange de Satan », qui a le pouvoir de le souffleter afin qu'il ne soit pas trop enflé (2 Cor. xii. 1-7).
La destruction de la domination des anges sera achevée par le retour de Jésus. Son apparition ne sera pas annoncée par des signes préliminaires (1 Thess. v. 1-4). Il sera là tout à coup. A sa venue, une voix de commandement retentira du ciel ; la voix de l'ange se fera entendre ; la trompette de Dieu retentira. Les croyants qui se sont déjà endormis se réveilleront, et ceux qui sont encore en vie passeront par une transformation dans le mode d'être qui appartient à la résurrection. Tous ensemble seront enlevés dans les nuées du ciel à la rencontre du Seigneur dans les airs, et ils demeureront désormais avec lui pour toujours (1 Thess. iv. 16-17).
L’archange dont la voix prononce le commandement est probablement Michel. Le son de la trompette était à l’origine destiné (Isaïe xxvii. 13) à rassembler les dispersés d’Israël. Pour Paul, il appelle les morts à ressusciter pour prendre part au Royaume messianique. 1 Cor. xv. 52 : « Car la trompette sonnera, et les morts se lèveront incorruptibles, et nous serons transformés. »
Ensuite vient le jugement messianique porté par le Messie. Comme dans l'eschatologie post-exilique et daniélienne, c'est Dieu lui-même qui doit être le juge, et ce n'est qu'à partir du livre d'Enoch que le Messie redevient le juge, comme dans l'ancienne eschatologie prophétique. Le langage de Paul, comme celui de Jésus lui-même, varie selon les époques ; parfois le jugement est appelé le jugement de Dieu, parfois le jugement du Messie.
Le Christ comme juge : « Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal de Christ » (2 Cor. v. 10). Voir aussi 1 Thess. iv. 6 ; 1 Cor. iv. 4-5, v. 5 ; 2 Cor. i. 14 ; Phil. i. 10, ii. 16. — Dieu comme juge : « Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal de Dieu » (Rom. xiv. 10). Voir aussi Rom. i. 18, ii. 2-10, iii. 6. Dieu juge par le Christ (Rom. ii. 16).
Jésus, ou « le Fils de l'homme », comme juge : Mt. vii. 21-23, xiii. 41-43, xix. 28, xxv. 31-46. — Dieu comme juge : Mt. vi. 4, 6, 14, 18, x. 33, xviii. 35.
Paul ne nous donne aucune description du Royaume messianique. Que la notion de la Jérusalem céleste ait une signification pour lui, nous l'apprenons par hasard dans Galates (iv. 26). Il s'attend donc sans doute à ce que cette Jérusalem descende sur la terre avec le Paradis au temps messianique, comme le supposent les Apocalypses d'Esdras (4 Esdras, vii. 26) et de Jean (Apoc. iii. 12, xxi. 2).
Que pour Justin aussi l’attente du Royaume messianique soit associée à celle de la Nouvelle Jérusalem, cela ressort clairement du Dialogue avec Tryphon (lxxx. 1-2).
Comme le suggère la doctrine eschatologique de la Rédemption, Paul s’attend à ce qu’à l’époque messianique, toute la nature passe par une transformation de la mortalité à l’immortalité (Rom. viii. 19-22).
Il conçoit le Royaume, curieusement, non comme une béatitude paisible, mais comme une lutte contre les puissances angéliques. Ces puissances seront vaincues l'une après l'autre par le Christ et son peuple, jusqu'à ce qu'enfin la mort soit elle aussi dépouillée de son pouvoir (1 Cor. XV, 23-28).
Le contexte montre que la Mort est ici considérée comme l’une des puissances angéliques. L’Ange de la Mort est également mentionné dans l’Apocalypse de Baruch (XXI, 22-23). Le passage actuel ne permet pas de savoir si cette Mort est réellement la cause de la mortalité ou si elle est seulement le maître des morts. Mais la première alternative semble la plus probable. En tout cas, il s’agit d’une puissance angélique qui a sa demeure dans le monde souterrain. Dans l’Apocalypse de Jean, la Mort apparaît comme un personnage monté sur un cheval, avec Hadès à sa suite, à qui, lors de la tribulation pré-messianique, le pouvoir est donné d’apporter toute sorte de mort sur un quart de la terre (Apocalypse VI, 8). Dans Apocalypse XX, 13-14, la Mort et Hadès sont contraints, après la fin du Royaume messianique, de rendre leurs morts et sont eux-mêmes jetés dans l’étang de feu pour subir un tourment éternel.
1 Voir p. 57, sup.
Dans le livre des Jubilés, où tous les anges apparaissent le premier jour de la Création, l’ange de la mort n’est pas nommément nommé parmi ces créatures. Il est sans doute inclus parmi les anges des abîmes et des ténèbres (Jubilés ii. 2). Paul semble également supposer que l’ange de la mort a non seulement pouvoir sur les morts, mais aussi cause la mort. Dans 1 Cor. xv. 55, il parle de l’aiguillon de la mort. Il n’est pas possible de déterminer si le « Destructeur » dont, selon 1 Cor. x. 10, les Israélites qui murmuraient dans le désert sont devenus la proie doit être identifié à l’ange de la mort.
La seule chose certaine est que c'est après la victoire sur l'Ange de la Mort que la Résurrection générale devient possible, comme le suggère également l'Apocalypse de Jean (Ap xx. 13).
Avec la victoire sur la mort, le Royaume messianique prend fin. Sa durée n'est pas plus mentionnée par Paul que dans l'Apocalypse de Baruch. Selon l'Apocalypse d'Esdras, elle dure 400 ans (4 Esdras VII, 26-42) ; selon l'Apocalypse de Jean (Apocalypse XX, 1-7), mille ans. Alors que Paul s'attend à ce que Satan soit foulé aux pieds, sans doute au tout début du Royaume messianique (Rom. XVI, 20), l'Apocalypse de Jean (Apocalypse XX, 2-3, 7-10) le représente jeté dans les chaînes pendant la période du Royaume messianique, mais comme étant relâché de nouveau pour provoquer de nouveaux troubles plus tard, et finalement livré au supplice éternel dans l'étang de feu.
Lors de la résurrection générale à la fin du Royaume messianique, tous les hommes qui ont vécu sur la terre ressuscitent, à moins qu'ils n'aient déjà vécu comme participants du Royaume messianique. Vient ensuite le Jugement dernier, au cours duquel sont décidés quels êtres entreront dans la béatitude éternelle et quels êtres seront livrés à la mort éternelle. Cette mort éternelle est appelée dans l'Apocalypse de Jean la Seconde Mort (Apoc. XX, 6, 14, 15), et elle y est représentée comme consistant en un tourment éternel dans l'étang de feu.
La Résurrection générale, et le jugement qui s'ensuit immédiatement sur tous les hommes et sur les anges vaincus, ne sont pas mentionnés dans la série d'événements énumérés par Paul dans 1 Cor. xv.
23-28. Tout cela tombe pour lui sous le concept général de la « Fin » (τέλος, 1 Cor. XV, 24), et est tenu pour acquis comme bien connu. Son but n’est pas de donner une description des temps de la Fin ; il fait simplement allusion en passant à ses événements, au cours de la réfutation de l’opinion qui s’était élevée à Corinthe selon laquelle il n’y avait pas de résurrection des morts. Mais le « jugement » du monde et des anges, qui, selon 1 Cor. VI, 3, 4, est attribué aux croyants qui sont entrés dans la gloire messianique, a sans aucun doute lieu lors de ce Jugement dernier. Les puissances angéliques qui doivent être jugées sont vaincues graduellement au cours du règne messianique. De plus, selon le Livre d'Enoch (XIX, 1, XXI, 10), les anges qui sont tombés aux premiers commencements du monde (Gen. VI, 1-4) sont gardés en prison, pour être jugés au commencement de l'éternité. Il faut donc supposer qu'à ce jour tous les anges désobéissants recevront leur sentence ensemble.
Selon Jésus, le Diable et ses anges seront également jetés à la fin des temps dans le feu éternel avec les damnés de l'humanité (Mt xxv. 41).
Ce qui importe surtout à Paul, c’est de montrer clairement que le Messie, après avoir été soumis aux pouvoirs des anges, remettra son autorité à Dieu, « afin que Dieu soit tout en tous ». À ce moment-là, l’histoire du monde aura atteint sa consommation. Tous les êtres qui, en sortant de Dieu et en retournant à Lui, ont prouvé leur allégeance à Lui, Lui appartiennent désormais sans distinction et sont en Lui. Tous les autres sont livrés à la damnation éternelle.
Paul ne considère pas la béatitude éternelle comme une existence purement spirituelle, mais comme une existence dans la condition qui résulte de la résurrection corporelle. Les élus qui ont participé au Royaume messianique demeurent dans la béatitude éternelle dans le mode d'existence qu'ils possèdent déjà. Lorsque la condition qu'ils recevront au retour de Jésus, soit par la résurrection, soit par la « transformation », est qualifiée de condition d'incorruptibilité, cela signifie qu'elle est considérée comme éternelle. Or, après un règne messianique, tous les morts qui, au jugement, sont jugés destinés à la béatitude, entrent également dans cette condition d'existence corporelle impérissable.
Dans cette conception eschatologique de la domination des anges et de sa fin par le Messie, Paul importe étrangement une opinion qui lui est particulière, à savoir que la Loi a été donnée par des anges qui désiraient ainsi rendre les hommes soumis à eux-mêmes, et que par la mort de Jésus leur pouvoir a déjà été tellement ébranlé que la Loi n'a plus de force.
Cette affirmation est inspirée par son désir de concevoir la rédemption future comme déjà en grande partie présente. Que la Loi prenne fin lorsque commence le règne messianique est pour la pensée juive une évidence. Mais Paul la présente comme déjà invalidée par la mort de Jésus.
Paul n'est pas le seul à soutenir — bien que l'Ecriture n'en dise rien — que lors de la promulgation de la Loi au Sinaï (Exode 19 et 20), Moïse n'a pas reçu la Loi directement de Dieu mais des anges. Dans le judaïsme tardif en général, Dieu est conçu comme un être si transcendant qu'il devient difficile d'imaginer un contact direct avec les hommes. De plus, les Ecritures rapportent également qu'à l'époque patriarcale, Il avait des relations avec les hommes par l'intermédiaire de Ses messagers. Dans les cercles alexandrins, qui poussaient la conception de la transcendance à l'extrême, l'idée s'est développée que chaque fois que l'Ecriture fait référence aux relations de Dieu avec les hommes, il faut comprendre que ces relations ont lieu par l'intermédiaire des anges.
Etienne affirme dans son discours devant le Concile (Actes VII, 38, 53) que Moïse reçut la Loi par l’intermédiaire des anges. On retrouve la même opinion dans Hébreux II, 2 et chez Josèphe, qui était un jeune contemporain de Paul (Ant. XV, 5, 3). Il représente Hérode, dans un discours à ses soldats avant une bataille contre les Arabes, disant que les Juifs avaient reçu leurs ordonnances les plus importantes et une partie très sacrée de leur Loi par l’intermédiaire d’anges envoyés par Dieu. Cette affirmation est faite au cours d’une déclaration sur l’inviolabilité des envoyés. Les envoyés juifs avaient été tués par les Arabes, inviolabilité établie non seulement par les Gentils mais aussi – avec encore plus d’autorité – par la Loi juive.
Dans le Livre des Jubilés (Jub. i. 27-ii. 1,1. 1-2) est également implicite l'idée que la Loi a été communiquée par des anges, puisque Moïse est représenté en compagnie d'un ange sur le mont Sinaï.
Le texte hébreu de Deutéronome 33.2 dit : « Jahwe est venu du Sinaï… à sa droite il y avait une flamme de feu. » C’est pourquoi la Septante a « à sa droite ses anges avec lui. » Ici donc, les anges sont les serviteurs de Dieu lors de la promulgation de la Loi.
Dans la tradition rabbinique, les anges sont également présents au Sinaï lors de la promulgation de la Loi. Dans Pesiqta Rabbati, il est fait référence à une tradition datant de l’époque de l’Exil, selon laquelle « deux myriades d’anges (…) descendirent avec Dieu sur le mont Sinaï pour donner la Loi à Israël ».
Que la Loi ait été donnée par des anges, c'est ce qu'affirme Paul dans Galates en ces termes : « Or, un médiateur ne représente pas un seul, mais Dieu est un » (Galates iii, 19-20). La logique qui utilise les arguments rabbiniques et tourne autour de la conception d'un médiateur ( mesites, grec ) est la suivante : si Dieu, qui est un, voulait donner la Loi au peuple, qui est une pluralité, il n'y aurait pas besoin d'un médiateur, car une seule personne peut traiter directement avec une pluralité. Deux pluralités, en revanche, ne peuvent pas traiter l'une avec l'autre, mais ont besoin d'une seule personne pour servir de médiateur entre elles. Si donc la Loi a été donnée par l'intermédiaire d'un médiateur, cela implique que des deux côtés, il s'agissait de pluralités. Du côté céleste, il ne peut s'agir de Dieu, qui est un ; la seule pluralité qui puisse entrer en jeu ici est celle des anges. Il convient de noter que le mot « médiateur » sur lequel repose l’argument ne figure pas dans le texte du Lévitique (xxvi. 46), auquel Paul fait ici allusion, mais y est interpolé.
Lev. xxvi. 46 : « Ce sont là les ordonnances, les lois et les directives que Jahwe a prescrites aux Israélites sur le mont Sinaï, par la main de Moïse. » Que Paul, au lieu de cela, puisse utiliser l’expression exigée par son argument « par la main d’un médiateur » est dû au fait que dans les écrits rabbiniques, l’opinion de Moïse comme סרסור (sarsôr, négociateur, mesites, grec ) était largement répandue.
Mais de cette théorie, selon laquelle la Loi a été donnée par les anges, Paul tire des conclusions qui sont tout à fait étrangères aux autres représentations de cette théorie. Tandis qu'elles se limitent à dire que la Loi a été révélée de la part de Dieu par les anges, il avance cette affirmation, qui n'est présente que chez lui, que l'obéissance à la Loi n'a pas été rendue à Dieu, mais seulement aux anges. Par le moyen de la Loi, les hommes ont été placés sous la dépendance des éléments du monde ( στοιχεία του κόσμου, Gal. IV, 3, 9), qui les ont maintenus dans la dépendance d'eux-mêmes, jusqu'à ce que Dieu, par le Christ, les ait délivrés de la malédiction de la Loi (Gal. IV, 1-5). Ainsi, lorsque ceux qui avaient été païens se sont soumis comme chrétiens à la Loi, cela ne signifie, selon Paul, rien d'autre que, au lieu de servir uniquement le seul Dieu, ils se soumettent une fois de plus (quoique sous une autre forme) aux éléments du monde, désormais rendus impuissants par le Christ, en observant les « jours, mois, saisons et années » qui appartiennent à leur service (Gal. iv. 8-11).
Philon et, plus tôt encore, environ trois siècles avant J.-C., le Sagesse de Salomon (Sag. XIII, 2), affirment que les païens adorent les éléments — la terre, l'eau, l'air, le feu — aussi bien que les étoiles. Paul donne à cette opinion un sens particulier : ces êtres sont en réalité des anges et se trouvent derrière la loi juive.
En affirmant que la Loi signifie la domination des anges et non celle de Dieu, Paul fait un pas en dehors du monde de la pensée juive et ouvre la voie au gnosticisme. Un penseur en vient à la conception que la Loi n'est valable que jusqu'à la venue du Royaume messianique et qu'elle doit ensuite céder la place à quelque chose de parfait. Il ne peut plus comprendre cela selon la conception habituelle, qui voit l'administration divine dans l'imparfait autant que dans le parfait : il se sent obligé de considérer l'imparfait comme une activité, permise par Dieu, de Puissances qui ne comprennent pas ce qui est parfait. En fait, Paul, dans sa volonté de trouver une conception logique de l'histoire de la rédemption, s'est engagé sur la voie qui conduit à la conception du Démiurge.
Il suit cependant cette voie seulement en ce qui concerne la Loi. Il n’y est pas question de l’idée que c’est Dieu qui maintient le monde. En parlant à ceux qui s’abstenaient de manger de la viande provenant des autels des dieux païens, il utilise l’argument que toutes choses viennent de Dieu (1 Cor. VIII, 6), citant le passage du Psaume (1 Cor. X, 26 = Ps. XXIV, t) : « La terre est au Seigneur et tout ce qu’elle contient. » En discutant avec ceux qui cherchaient à faire une distinction entre les aliments permis et non permis, il établit, dans Rom. XIV, 14, 20, le principe que toutes choses sont en elles-mêmes pures, c’est-à-dire qu’elles viennent de Dieu. Il va même jusqu’à représenter les autorités temporelles comme étant au service de Dieu et non du Malin (Rom. XIII, 1-7).
L'hypothèse gnostique d'une domination angélique exercée par la Loi exige aussi une solution gnostique du problème qu'elle comporte. Et Paul donne en effet une telle solution. Il affirme que la mort de Jésus fut un acte d'ignorance de la part des anges, qui conduisit à la destruction de leur pouvoir. Selon lui, le Sanhédrin et les scribes, qui firent crucifier Jésus, n'étaient que des instruments des puissances angéliques. Ceux-ci, ignorant les plans divins, tuèrent Jésus de Nazareth sans reconnaître en Lui le Seigneur de Gloire sur lequel ils n'avaient aucun pouvoir.
1 Cor. ii. 6-8 : « Or nous proposons une sagesse entre les parfaits, une sagesse, dis-je, qui n'est point de ce monde, ni des princes de ce siècle, qui vont être anéantis. Mais nous proposons la sagesse de Dieu, qui est en mystère, c'est-à-dire, cachée; laquelle Dieu avait, avant les siècles, déterminée à notre gloire; et laquelle aucun des princes de ce siècle n'a connue : car s'ils l'eussent connue, jamais ils n'eussent crucifié le Seigneur de gloire. »
La fin de la domination des anges fut provoquée par la mort de Jésus, car en la réalisant, ils accomplirent ce que Dieu avait prévu d'accomplir au temps de la fin. Ils n'ont pas le pouvoir de retenir cet homme assassiné, comme ils ont retenu d'autres morts, prisonnier dans le tombeau. Il ressuscite à une vie nouvelle, et il vient, précisément en vertu de sa mort et de sa résurrection, comme le Messie en gloire, qui, avec ses armées d'anges fidèles, fondra immédiatement sur eux.
Mais ce n’est pas seulement ainsi qu’ils préparaient la fin de leur domination ; par la mort de Jésus, ils perdirent aussi le pouvoir qu’ils avaient exercé par la Loi.
Il est écrit dans la Loi que quiconque est pendu à la croix est maudit (Deutéronome 21:23). Jésus était pendu au bois, mais ne pouvait être maudit. Il s’est donc produit un cas pour lequel la Loi n’est pas valide. Mais comme elle doit être absolument valide ou absolument invalide, elle est par ce seul cas rendue totalement invalide. Les puissances angéliques aident ainsi Jésus à racheter les élus de la malédiction de la Loi en accomplissant cette malédiction en Lui-même (Galates 3:13-14). S’ils avaient su ce qui était le mieux pour leur pouvoir, ils auraient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher sa mort. Car sans sa mort, il n’y aurait pas eu d’apparition immédiate du Messie, et la validité de la Loi n’aurait pas pu prendre fin.
Gal. iii. 13-14 : « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, quand il a été fait malédiction pour nous (car il est écrit : Maudit est quiconque est pendu au bois); »
Deut. xxi. 22-23 : « Quand un homme aura commis quelque péché digne de mort, et qu’on le fera mourir, et que tu le pendras à un bois; son corps mort ne demeurera point la nuit sur le bois ; mais tu ne manqueras point de l’ensevelir le même jour : car celui qui est pendu est malédiction de Dieu ; c’est pourquoi tu ne souilleras point la terre que l’Eternel, ton Dieu, te donne en héritage. »
Ces dispositions de la Loi que Paul applique à la crucifixion n'ont en réalité rien à voir avec elle. Elles ne peuvent se rapporter à ce mode d'exécution, qui n'était pas pratiqué par les Juifs, mais à l'exposition cérémonielle de malfaiteurs préalablement tués par lapidation ou autrement. Un tel cadavre, étant maudit, souillerait la terre, et ne doit donc pas être laissé pendu, mais enterré le jour même.
Il est probable que la loi ne fait que codifier, par ce progrès, un usage ancien qui n'était plus compris. La conception originelle est sans doute que l'esprit du mort erre jusqu'à ce que le corps soit enterré. Il est donc de notre devoir, à la fois dans l'intérêt de la terre qui pourrait être punie par cet esprit, et dans celui du mort lui-même, dont l'esprit doit pouvoir reposer, que la punition du malfaiteur ne soit pas poussée jusqu'à laisser son cadavre pendu pendant des jours.
Afin de priver autant que possible leur défaite de son effet, ces Puissances angéliques ont produit la doctrine selon laquelle la Loi est nécessaire même à côté de la croyance en Christ, et que les Gentils après leur conversion doivent s'y soumettre et accepter la circoncision.
Paul conçoit si clairement le conflit avec la Loi comme une lutte avec les pouvoirs angéliques qu'il suggère, dans une lettre aux Galates, comme une absurdité qu'un ange céleste puisse être assez fou pour leur prêcher l'Évangile de la Loi. Il déclare d'avance maudit un tel ange, ainsi que tout être qui chercherait à pervertir l'Évangile du Christ (Gal. i. 6-9).
La doctrine de Paul selon laquelle la Loi a été abrogée sur la Croix est particulièrement significative, car elle fait revivre la conception, déjà abandonnée dans le christianisme primitif en général, selon laquelle la mort de Jésus a eu un effet direct sur l'instauration du Royaume. Alors que, dans la croyance générale, Jésus est l'introducteur du Royaume parce que par sa mort et sa résurrection il devient le Messie, Paul considère cette mort comme l'acte par lequel le Fort surmonte le Fort et lui enlève ses biens (Mc 3, 27). Les miracles et les guérisons par lesquels Jésus a combattu de son vivant les puissances qui s'opposaient au Royaume de Dieu sont pour Paul si peu importants, en comparaison du grand coup final qu'il a porté par sa mort, qu'il n'y fait jamais allusion.
Mais si la Loi qui se trouvait entre Dieu et l'homme est abrogée, cela signifie que le Royaume a déjà commencé. Car c'est le trait caractéristique de la période messianique que la Loi n'y soit plus valable. En servant Dieu directement sans l'intervention de la Loi, et en étant justifiés par le fait que la domination des anges ne subsiste plus pour eux, les croyants sont déjà rachetés dans une mesure bien plus complète qu'ils ne le pensent.
Pour pouvoir affirmer que la rédemption est déjà là, Paul a développé la conception eschatologique de la rédemption selon des lignes gnostiques. Tous les éléments du gnosticisme sont déjà présents chez lui. Si l'on peut dire que la gnose hellénistique chrétienne est une chose obscure, une chose est sûre : la gnose hellénistique chrétienne est issue de la gnose eschatologique chrétienne. Dans les deux cas, la structure générale est la même, à ceci près que le matériau dont elle est constituée consiste dans un cas en idées purement eschatologiques, dans l'autre en idées hellénistiques orientales. Si l'on ajoute à la doctrine eschatologique de la rédemption de Paul, pensée selon des lignes gnostiques, la distinction entre le Dieu des Juifs qui créa le monde et le Dieu suprême purement spirituel, ainsi que la conception spiritualiste de la rédemption comme la récupération du spirituel à partir du matériel qui l'a recouvert, on obtient les éléments essentiels de la gnose ultérieure.
Mais Paul ne fait pas toujours appel à la gnose eschatologique pour prouver l'existence présente de la rédemption et de la libération de la Loi. Il ne l'expose que dans l'épître aux Galates et au début de l'épître aux Corinthiens. L'épître aux Romains, au contraire, semble vouloir s'en passer. En réalité, à côté de cette gnose eschatologique, Paul a quelque chose d'autre qui donne les mêmes résultats, mais sous une forme plus complète : la mystique eschatologique. Elle a aussi la force de montrer que la rédemption est déjà présente, et elle est supérieure à la gnose eschatologique en ce qu'elle remplace l'interprétation externe de la mort et de la résurrection de Jésus par une interprétation interne. C'est pourquoi la doctrine eschatologique de la rédemption reste quelque chose d'occasionnel, tandis que la mystique est au centre de la pensée de Paul.
LES PROBLEMES DE L'ESCHATOLOGIE PAULINIENNE
L'étude paulinienne a jusqu'ici considéré comme une chose qui ne demandait aucune explication que Paul apparaisse non seulement comme une foi, mais comme une mystique. Elle ne trouve pas d'inconvénient à ce qu'il ne se contente pas, comme d'autres, d'une attente confiante d'une rédemption future par suite de la mort et de la résurrection de Jésus, mais cherche, par la conception mystique de l'être-en-Christ, à la concevoir comme quelque chose qui se réalise dans le présent. Qu'est-ce qui l'a poussé à cette entreprise, qui le contraint à des affirmations aussi paradoxales, et qui le contraint à maintenir l'abolition de la Loi pour les croyants, ce qui le met en conflit irréconciliable avec l'Église primitive ?
Pour trouver la clé de l'explication du mystère de la mystique paulinienne, il faut donc rechercher les circonstances qui l'ont rendue nécessaire. Puisque la conception de la rédemption de Paul est eschatologique, il est naturel de supposer que ce sont les problèmes eschatologiques qui le contraignent à affirmer une rédemption qui se réalise dans le présent.
On a trop facilement supposé, dans l'étude de ce sujet, que ceux qui vivaient dans un monde de pensée eschatologique le considéraient comme un fouillis confus d'attentes, sans ressentir le besoin de parvenir à une conception précise de ces espérances. Jusqu'à présent, les études sur l'eschatologie juive se sont trop peu préoccupées des problèmes que posait le concours d'attentes de diverses sortes, et de la mesure dans laquelle celles-ci étaient consciemment ressenties et exerçaient ainsi une influence sur la formation du matériel traditionnel.
Car dans cette eschatologie, ce n'est pas seulement l'inspiration qui est à l'œuvre, mais la pensée. Jésus, Paul et les auteurs des Apocalypses de Baruch et d'Esdras ne se contentent pas de reprendre les attentes traditionnelles de l'avenir, mais cherchent aussi à en dégager un ensemble logique et satisfaisant.
Les problèmes de l'eschatologie paulinienne se ramènent tous à ces deux circonstances : d'une part, elle est, comme les Apocalypses de Baruch et d'Esdras, une synthèse de l'eschatologie des Prophètes et de l'eschatologie du « Fils de l'homme » de Daniel ; et, d'autre part, elle doit tenir compte des faits, totalement imprévus pour l'eschatologie juive, à savoir que le Messie est déjà apparu comme homme, est mort et est ressuscité.
Les prophètes préexiliques et exiliques attendent un Messie de la lignée de David, comme Souverain oint de Dieu, doté de sagesse et de pouvoir, pour gouverner le grand Royaume de paix qui devait constituer la consommation de l'histoire du monde. Cet avenir, bien que terrestre, ils le peignent avec des couleurs surnaturelles. Mais ce n'est qu'une transfiguration glorifiée de la réalité. Le Messie est un véritable rejeton de la Maison de David, qui reçoit cependant de Dieu des pouvoirs surnaturels. Les participants du Royaume sont des hommes que Dieu rend capables de survivre aux tribulations dont il crible les nations et à qui il accorde une existence bien au-delà de toute conception et pleine de joie, en leur permettant de vivre au sein d'une « nature » qui comble tous leurs besoins.
Au retour de la captivité, les prophètes Aggée et Zacharie, vers 550 av. J.-C., voient en Zorobabel, chef de la première caravane des exilés de retour et satrape de Judée, qui était un prince de la lignée de David, l'homme qui, au jour prochain de Dieu, sera élevé au rang de souverain de la Ville Sainte et de Seigneur de toutes les Nations. Mais le Jour du Seigneur ne vient pas. Zorobabel disparaît du tableau. Le rôle de la Maison de David est terminé : dans l'histoire, pour toujours ; dans l'eschatologie aussi, pour le temps.
Dans l'attente de l'avenir, qui s'est développée à partir des écrits prophétiques de la période suivante, le Messie n'a plus de rôle à jouer. A la place du Royaume messianique apparaît le Royaume de Dieu, dans lequel Dieu règne directement. Le livre de Malachie, écrit vers 400 av. J.-C., et un écrit prophétique, conservé dans Isaïe xxiv-xxvii, qui date sans doute de 300 av. J.-C. ou plus tard, sont typiques de cette eschatologie sans Messie.
Cette évolution trouve son aboutissement dans le livre de Daniel, écrit dans les années 168-164 av. J.-C. sous l'influence de la profanation du Temple par Antiochus Épiphane. Selon cette conception, Dieu règne dans le Royaume de Dieu par le Fils de l'Homme, c'est-à-dire par un Être angélique qui a l'apparence d'un fils de l'homme.
Le changement que subit l’idée de la tribulation qui doit précéder le Royaume est très significatif. Dans les premiers prophètes, elle était un moyen prévu par Dieu pour séparer son peuple. Dans les passages qui se rapportent au Serviteur souffrant dans le Deutéro-Isaïe (Isaïe 53), elle est prévue par Dieu pour répandre son nom et révéler sa gloire parmi les païens. Dans Daniel, elle consiste en ceci : la puissance mondiale qui s’oppose à Dieu, maintenant engagée dans sa dernière lutte contre Dieu, déchaîne sa rage sur les saints qui sont appelés à son Royaume et leur donne l’occasion de prouver par leur loyauté qu’ils appartiennent à Dieu.
L'eschatologie daniélienne prend un tour particulier en ce qu'elle reprend l'idée de la résurrection. Dans l'attente antérieure, seuls ceux qui appartenaient à la génération alors vivante participaient au Royaume. 1 Mais maintenant, la conception exigée par l'éthique et suggérée par la religion zarathustrienne fait son chemin : à savoir qu'aux temps de la fin les morts ressuscitent soit pour recevoir la sentence du tribunal de Dieu, soit pour entrer dans le Royaume.
1 Il est possible que l’écriture prophétique, Isaïe xxiv-xxvii, contienne déjà cette idée de résurrection. Isaïe xxvi, 19 : « Tes morts revivront, mes cadavres se relèveront, ils se réveilleront et se réjouiront, ceux qui sont couchés dans la poussière. »
Dan. xii. 1-3: « OR, en ce temps-là, Michaël, ce grand chef, qui tient ferme pour les enfants de ton peuple, tiendra ferme; et ce sera un temps de détresse, tel qu’il n’y en a point eu depuis qu’il y a eu des nations, jusques à ce temps-là; et en ce temps-là ton peuple, c’est à savoir, quiconque sera trouvé écrit dans le livre, échappera. Et plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre, se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour les opprobres et pour l’infamie éternelle. Et ceux qui auront été intelligents, luiront comme la splendeur de l’étendue ; et ceux qui en auront amené plusieurs à la justice, luiront comme des étoiles, à toujours et à perpétuité. »
L'espérance de l'avenir est ainsi devenue quelque chose de transcendantal chez Daniel. Le Royaume n'est plus, comme chez les prophètes, le résultat d'une évolution menée à son terme par la toute-puissance de Dieu, mais naît d'une catastrophe cosmique. A cela correspond le fait qu'il a un caractère supraterrestre. Un Prince Ange y règne sur des hommes qui, par la résurrection, sont devenus des êtres surnaturels.
Le Livre d'Enoch reprend cette eschatologie daniélienne et la développe davantage. Il ne connaît rien d'un Messie, pas plus que le Livre de Daniel.2. En accord avec le caractère surnaturel du Royaume de Dieu gouverné par le Fils de l'homme, on a développé l'idée que toutes les bonnes choses qui doivent être révélées dans les derniers temps ont été là depuis le commencement du monde et ont toujours été destinées aux justes et aux saints. La croyance en la résurrection fait partie intégrante de la vision eschatologique du monde du Livre d'Enoch, comme en témoigne une longue polémique contre ceux qui la nient.3
L’occurrence de l’expression « Son Oint » constitue un problème distinct.
Enoch cii.-civ., esp. civ. 6-12.
Il apparaît donc que l'eschatologie messianique des prophètes a été écartée par l'eschatologie daniélienne du Fils de l'Homme. Mais dans les Psaumes de Salomon, qui naquirent sous l'influence de la prise de Jérusalem par Pompée (63 av. J.-C.), il semble que cette eschatologie ait toujours existé et que le Livre de Daniel n'ait jamais été écrit.
Comment expliquer ce renouveau de l'attente messianique des prophètes ? Il est né de l'étude de l'Écriture. En tant qu'étudiant de l'Écriture, l'auteur des Psaumes de Salomon vit dans le monde de pensée d'Isaïe et du Deutéro-Isaïe, et le fait sien.
Une autre influence se fit sentir. Le peuple juif, par l'intermédiaire des Hasmonéens, était redevenu une nation gouvernée par des rois, alors qu'auparavant, depuis l'exil, il n'était qu'un appendice appartenant à un État étranger après l'autre. Depuis qu'il s'était familiarisé avec l'idée du Royaume, ces pieux étudiants de l'Écriture purent de nouveau se croire dans l'attente messianique de l'avenir. Ils interprétèrent le fait que Dieu, par la main de Pompée, avait mis fin au Royaume des Hasmonéens qui lui déplaisait, comme un signe qu'il allait bientôt revêtir de puissance le chef messianique de la lignée de David promis par Isaïe et qu'il introduirait les Temps de la Fin. Le Royaume des Hasmonéens créa les conditions nécessaires à la réintroduction du Messie davidique dans l'Eschatologie.
En réalité, sans doute, le roi Hérode est venu à la place du Messie, mais l'idéal du Royaume messianique, une fois réveillé, s'est maintenu.
Il y a sans doute beaucoup de choses inexplicables dans la renaissance de l'eschatologie prophétique ancienne par les Psaumes de Salomon. Comment se fait-il que l'eschatologie daniélienne du Fils de l'Homme, qui avait été développée plus avant par le Livre d'Enoch, soit devenue comme si elle n'avait jamais existé ? N'avait-elle été que la vision d'un cercle restreint ? Ou bien l'érudition scripturale des scribes a-t-elle pris soin de l'ignorer et de ne reconnaître que l'ancienne vision prophétique ?
Le jugement décrit dans les Psaumes de Salomon ne concerne pas les anges mais les nations. Il est exercé par le descendant de la maison de David en tant que représentant mandaté par Dieu. Dieu le ceint de puissance pour qu’il puisse purger Jérusalem des païens et détruire les impies par le souffle de sa bouche. Les nations sont tenues captives sous son joug pour qu’elles le servent. Aucun étranger n’est autorisé à habiter à Jérusalem à l’époque messianique.
Les Psaumes de Salomon, pas plus que ceux d’Isaïe, n’impliquent une résurrection des morts avant le jugement et le Royaume. L’entrée dans le Royaume est le privilège des élus de la génération au temps de laquelle elle est venue. Les justes des temps passés demeurent morts.
Ps. Sol. xvii. 44-45 : « Bienheureux celui qui vivra en ce jour-là, et à qui il sera permis de contempler le salut d’Israël dans l’union des tribus que Dieu réalisera.
«Que Dieu fasse bientôt venir sa miséricorde sur Israël.»
Partout où il est question de la vie éternelle dans les Psaumes de Salomon, il s'agit de l'existence bénie dans laquelle entreront les justes, qui sont vivants au temps de la fin, au moment du jugement, tandis que les pécheurs seront détruits (Psaumes Sol. III, 12 ; XIII, 11 ; XIV, 3-5). En ce qui concerne la formulation grecque, le verset III, 12 pourrait être compris comme se référant à une résurrection, mais les autres passages annulent cette impression. L'absence de l'original hébreu ne permet pas de trancher clairement. Mais comme l'auteur ne parle jamais d'un jugement prononcé sur ceux qui sont ressuscités, il n'a pas fait de la notion d'une résurrection des morts une partie essentielle de l'attente messianique.
Ainsi, avant l’apparition de Jean-Baptiste et de Jésus, coexistaient deux attentes bien distinctes de l’avenir. 1 On ne peut déterminer laquelle des deux était celle de Jean-Baptiste, car nous savons trop peu de choses de ses enseignements.
1 Sur ce fait, qui a jusqu'à présent reçu trop peu d'attention de la part des spécialistes, voir Joachim Jeremias, Erlöser und Erlö sung im Spdtjudentum und Urchristentum (Deutsche Theol. II., Gottingen, 1929, pp. 106 et suiv.). Quelques remarques sur ce même sujet par August von Gall, Βασιλεία τοΰ θ ε οΰ, Heidelberg, 1926, pp. 491 s.
Mais dans le cas de Jésus, il est clair qu'il vit entièrement dans l'eschatologie du Fils de l'homme du livre de Daniel et d'Enoch. Il annonce la venue du Fils de l'homme, entouré de ses anges, sur les nuées du ciel. Au lieu de parler du Royaume messianique, il parle du Royaume de Dieu. Il pense que cela est entièrement surnaturel. De la parole dans laquelle il promet aux disciples qu'ils siégeront sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël, nous apprenons que le jugement du Fils de l'homme coïncide avec la « Palingenesia » ( Palingenesia, grec ), c'est-à-dire la création nouvelle du ciel et de la terre (Mt 19, 28).
La création du ciel éternel et de la terre éternelle est le dernier de tous les événements eschatologiques : Enoch xci. 16-17 ; Apoc. Bar. xxxii. 6, xliv. 11-12, Ivii. 2 ; 4 Esdras vii. 75 ; Apoc. xxi. 1.
En accord avec cela, Jésus déclare que la Loi demeurera « jusqu’à ce que le ciel et la terre passent » (Mt 5, 18), et il représente le jugement comme ayant lieu aux temps de la fin (Mt 13, 40). Que ce jugement inclue les anges, comme dans le livre d’Enoch, peut être déduit du fait que le Fils de l’homme condamne les réprouvés à la fournaise ardente préparée pour le diable et ses anges (Mt 13, 42, xxv, 41). Les armées d’anges qui l’entourent exécutent la sentence (Mt 13, 41).
Un point décisif pour la conception du Royaume de Dieu par Jésus est qu'il représente les hommes des générations précédentes comme ressuscités et y participant. Ainsi, il pense à Abraham, à Isaac et à Jacob comme à des invités du festin messianique (Mt 8, 11). En fait, tous ceux qui participent au Royaume auront une existence ressuscitée et seront semblables aux anges du ciel, comme le montrent les réponses de Jésus à la question des Sadducéens sur la résurrection (Mc 12, 24-25). Lorsque, faisant allusion à des passages de Daniel et d'Enoch, il promet aux justes qu'ils brilleront comme le soleil dans le Royaume de leur Père (Mt 13, 43), il entend qu'ils seront alors des êtres surnaturels.
Dan. xii. 3: « Et ceux qui auront été intelligents, luiront comme la splendeur de l’étendue ; et ceux qui en auront amené plusieurs à la justice, luiront comme des étoiles, à toujours et à perpétuité. »
Enoch civ. 2 : « Maintenant, vous serez brillants et rayonnants comme les luminaires du ciel. »
Matthieu xiii. 43 : « Alors les justes reluiront comme le soleil dans le royaume de leur Père.»
Il est tellement évident pour Jésus que les participants au Royaume posséderont la forme d’existence de la résurrection qu’il exhorte les fidèles à ne pas se soucier de perdre leur vie dans la persécution actuelle, mais à se préoccuper seulement d’obtenir la vie à venir.
Marc VIII, 35 : « Car quiconque voudra sauver son âme, la perdra; mais quiconque perdra son âme pour l'amour de moi et de l'Evangile, celui-là la sauvera. » Voir aussi Mt 10, 39.
Matthieu 10, 28 : « Et ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent point tuer l'âme; mais plutôt craignez celui qui peut perdre et l'âme et le corps, en les jetant dans la géhenne. »
Le fait que Jésus ait tenu compte de la mort des élus dans la tribulation pré-messianique est une nouveauté, même si cela n'avait jamais été remarqué auparavant. Il met ainsi un terme à une évolution qui avait commencé avec Daniel. Alors que chez les prophètes la tribulation finale procède de Dieu et se déroule de telle manière que les méchants périssent tandis que les justes sont sauvés pour être inclus dans le Royaume, chez Daniel la tribulation est l'œuvre des puissances opposées à Dieu. Cette conception a son origine dans le fait qu'il considère la campagne d'Antiochus Epiphane contre Dieu et ses saints comme le bouleversement au cours duquel viendront la tribulation finale et le Royaume de Dieu. Bien que Daniel ait déjà intégré dans son eschatologie la pensée de la résurrection, il conserve néanmoins, en ce qui concerne la tribulation finale, la vieille conception selon laquelle les élus se manifestent comme ceux sur lesquels cette persécution n'a aucun pouvoir. Il les représente comme étant sous la protection spéciale de l'archange Michel.
Dan. xii. 1: « OR, en ce temps-là, Michaël, ce grand chef, qui tient ferme pour les enfants de ton peuple, tiendra ferme; et ce sera un temps de détresse, tel qu’il n’y en a point eu depuis qu’il y a eu des nations, jusques à ce temps-là; et en ce temps-là ton peuple, c’est à savoir, quiconque sera trouvé écrit dans le livre, échappera. »
Mais Daniel doit aussi tenir compte des faits et reconnaître que certains justes sont devenus victimes de la persécution.
Daniel VII. 25 : « Il proférera des paroles contre le Souverain, et détruira les saints du Souverain, et pensera de pouvoir changer les temps et la loi; et les saints seront livrés en sa main jusques à un temps, et des temps, et une moitié de temps. »
Dan. xi. 33 : « Et les plus intelligents d’entre le peuple donneront instruction à plusieurs; et il y en aura qui tomberont par l’épée et par la flamme, ou qui seront en captivité et en proie durant plusieurs jours. »
Dan. xi. 35 : « Et quelques-uns de ces plus intelligents tomberont, afin qu’il y en ait d’entre eux qui soient rendus éprouvés, qui soient épurés, et qui soient blanchis, jusques au temps déterminé : car cela est encore pour un certain temps. »
L'idée de Daniel est donc que tant que la persécution a encore un caractère naturel, les justes périssent, mais qu'à partir d'un moment déterminé, lorsque la persécution prend une intensité sans précédent, les élus se trouvent sous la protection de Michel. Comme il ne peut distinguer clairement ces persécutions, il ne peut pas mettre en pratique cette idée de manière cohérente. Il a conservé de la représentation prophétique de l'épreuve divine l'idée d'une préservation miraculeuse, bien qu'elle ne corresponde plus à sa nouvelle conception de la tribulation finale et soit désormais superflue. Elle a été créée pour une eschatologie qui ne comptait pas encore sur une résurrection, et c'est seulement en cela qu'elle a de l'importance.
Dans le Livre d'Enoch, l'idée empirique du martyre et l'idée dogmatique de la préservation vont de pair. Cette dernière est cependant la conception dominante, de même que l'idée que la tribulation finale est instituée par Dieu pour la destruction des pécheurs.4 Dans certains passages, l’expression est si vague qu’on ne sait pas clairement s’il s’agit de la Tribulation ou du jugement lui-même.
Hénoc XLV. 5, XLVIII. 7, lvi. 1-8, xci. 5-10, xvi. 1-3, xcix. 3-10, ch. 1-5.
Jésus pousse ainsi jusqu'à sa conclusion logique la conception danielienne de la tribulation finale. Il abandonne l'idée de l'eschatologie prophétique selon laquelle Dieu détruira les méchants et sauvera les élus en vie, et lui substitue la conception qui, du point de vue de l'eschatologie du Fils de l'homme, est la seule logique, à savoir que dans la tribulation finale, les élus sont dans la main de Dieu et sont assurés de participer au Royaume, qu'ils vivent ou qu'ils meurent. C'est ainsi que la conception du martyre est née et a été reprise dans l'eschatologie.
Jésus ne fait la synthèse de l'eschatologie daniélienne et de l'eschatologie prophétique que dans la mesure où il identifie le Fils de l'homme avec le Messie de la lignée de David. Lui-même descendant de David, il s'attend, à la venue du Royaume, à être transformé en Messie Fils de l'homme. Il résout ainsi le problème posé par la transcendantalisation de l'eschatologie : comment le Maître des temps de la fin peut-il avoir une origine humaine et être en même temps un être surnaturel ? Dans le Temple de Jérusalem, il pose cette question aux scribes comme une énigme, leur demandant comment il est possible que David puisse appeler son descendant « Seigneur ».
Marc xii. 35-37 : « Comment disent les scribes que le Christ est le Fils de David? Car David lui-même a dit, par le Saint-Esprit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu'a ce que j'aie mis tes ennemis pour le marchepied de tes pieds. 1 Puis donc que David lui-même l'appelle son Seigneur, comment est-il son fils? »
1 PS. ex. je. Sur l'interprétation de cette question, voir Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, 2e éditions et suivantes, p. 393.
La solution de l'énigme est que le Messie, que les scribes n'ont pas soupçonné, vit d'abord dans la personne de Jésus, humblement parmi les hommes, comme un descendant humain de la lignée de David, mais qu'il sera ensuite transformé en Messie supraterrestre, et qu'en cette qualité, bien que fils de David, il est le Seigneur de David, puisqu'il exerce désormais son autorité sur tous les êtres, les hommes comme les anges. Le fait que les érudits du Nouveau Testament interprètent habituellement jusqu'à nos jours cette question posée aux scribes, qui touche au cœur du problème du Messie, comme si elle avait pour but soit de contester la descendance du Messie de David, soit de la laisser de côté comme dénuée de sens, montre seulement à quel point ils se rendent peu compte que les problèmes qui surgissent inévitablement en rapport avec l'eschatologie ont été appréhendés comme tels par les représentants mêmes de la vision eschatologique du monde.
Bien qu'il rapproche ainsi le Messie et le Fils de l'homme, Jésus n'entreprend pas de synthèse plus complète entre l'eschatologie prophétique et l'eschatologie daniélienne, mais tire son image des événements de la Fin exclusivement du schéma que nous connaissons des livres de Daniel et d'Enoch ; et la question reste ouverte de savoir dans quelle mesure il a été directement influencé par ces livres, et dans quelle mesure il adopte simplement leurs vues comme étant courantes à son époque dans certains cercles.
Son eschatologie est donc simple et cohérente. Il attend un jugement qui, à l’apparition du Messie Fils de l’Homme, inclura les anges aussi bien que toutes les générations d’hommes. Il suppose, comme le fait aussi le Livre de Daniel, qu’avant ce jugement et en préparation de celui-ci, la résurrection générale des morts a lieu. Les survivants de la dernière génération, ainsi que tous ceux des générations précédentes qui sont ressuscités, reçoivent leur sentence, les uns à la damnation, les autres à la vie. Dans le Royaume de Dieu vivent donc, sous la domination du Fils de l’Homme, les élus de toutes les générations, vivant maintenant dans le mode de vie de la résurrection, soit qu’ils l’aient reçue en tant que survivants par une transformation, soit qu’ils soient ressuscités d’entre les morts. Ce Royaume est quelque chose de définitif ; il ne doit pas être remplacé par quelque chose d’autre ; il est la consommation du processus de l’histoire et dure pour toujours.
L'Apocalypse de Baruch et d'Esdras est tout à fait différente de l'eschatologie de Jésus. Ces auteurs tentent de mettre en harmonie l'eschatologie prophétique et l'eschatologie danielienne. Ils y parviennent par la simple méthode de considérer le Royaume messianique des prophètes comme quelque chose de temporaire, qui doit faire place au Royaume éternel de Dieu, qui doit être la consommation de l'histoire. Ils sont ainsi en mesure de se représenter le Royaume messianique exactement de la même manière que les anciens prophètes l'ont décrit.
Les participants à ce Royaume sont, selon les Apocalypses de Baruch et d’Esdras, uniquement les élus de la dernière génération de l’humanité qui sont en vie aux Temps de la Fin. La vision prophétique de la tribulation pré-messianique comme une période de criblage ordonnée par Dieu continue d’être valable. Ceux qui sont destinés au Royaume sont préservés au milieu de cette tribulation par Dieu, de sorte qu’à la venue du Messie ils sont encore en vie.
Apoc. Bar. lxx. 2-lxxi. 1 : « Voici que les jours viennent où il arrivera que, lorsque le temps du monde sera mûr et que la moisson des semailles du mal et du bien sera venue, le Tout-Puissant enverra sur la terre, sur ses habitants et sur ses dirigeants, la confusion d’esprit et une terreur paralysante. Et ils se haïront les uns les autres et se réveilleront pour se faire la guerre les uns aux autres. . . . Et celui qui se sauvera de la guerre mourra par un tremblement de terre, et celui qui se sauvera d’un tremblement de terre sera brûlé par le feu, et celui qui se sauvera du feu périra de faim, et tous ceux qui se sauveront et échapperont aux périls susmentionnés – qu’ils aient vaincu ou qu’ils aient été vaincus – seront livrés entre les mains de mon serviteur le Messie. Car toute la terre dévorera ses habitants. Mais la Terre Sainte aura pitié de ce qui lui appartient et abritera en ce temps-là ses habitants. »
Le jugement que le Messie prononce à la fin de la Tribulation ne s'applique qu'aux vivants, et non aux morts. Il laisse en vie ceux qui appartiennent à des nations étrangères et qui n'ont jamais péché contre Israël, et il les soumet simplement. Mais tous ceux qui ont combattu contre Israël, il les livre à l'épée (Apoc. Bar. lxxii).
Dans le Royaume de paix qui commence maintenant, il n'y aura plus ni douleur ni chagrin, la joie se promènera librement sur toute la terre. Personne ne mourra prématurément. Les bêtes sauvages sortiront de la forêt et se feront les esclaves des hommes. Les femmes porteront des enfants sans douleurs d'accouchement (Apoc. Bar. Ixxiii). Béhémoth et Léviathan serviront de nourriture aux élus. La terre donnera ses fruits dix mille fois plus, une vigne produira mille raisins. 1 Des provisions de manne tomberont à nouveau du ciel. Les compagnons du Seigneur en mangeront pendant ces années-là, puisqu'ils ont survécu jusqu'aux temps de la fin (Apoc. Bar. xxix).
1 Irénée (v. 33, 3) cite du 4e livre de l' Exposition des paroles du Seigneur ( λ ογίων κυριακών έζήγησι ς ) de Papias une prétendue parole de Jésus sur la fécondité du Royaume messianique, selon laquelle chaque vigne aura 10 000 sarments, chaque sarment 10 000 grappes, chaque grappe 10 000 raisins, et chaque raisin donnera 25 mesures de vin, les autres fruits porteront dans la même proportion, et les animaux vivront en paix entre eux et avec les hommes.
Le Royaume messianique ainsi représenté dans les couleurs du troisième Isaïe (Isaïe lxv. 17-25) a une durée limitée dans le temps. Quand il prendra fin, aura lieu la résurrection des morts (Apoc. Bar. xxx. 1-4).
Les Apocalypses de Baruch et d'Esdras diffèrent dans leur manière de décrire la fin du Royaume messianique. L'Apocalypse de Baruch ne fait aucune déclaration sur la durée de cette période, affirmant simplement que le Messie, lorsque le temps de son règne sera terminé, reviendra au ciel, après quoi aura lieu la résurrection des morts.
Apoc. Bar. xxx. 1-4 : « Et après cela, lorsque le temps de la venue du Messie sera terminé, il retournera dans la gloire (au ciel). Alors tous ceux qui se sont endormis dans l’espérance de lui se lèveront. Et il arrivera qu’en ce temps-là, les greniers dans lesquels le nombre des âmes des justes a été conservé seront ouverts, et ils sortiront ; et le nombre des âmes apparaîtra tous ensemble comme une troupe ayant un même esprit. Et les premiers se réjouiront et les derniers ne seront pas affligés. Car tous sauront que le temps est venu, qui est appelé le temps de la fin. Mais les âmes des impies, quand elles verront tout cela, périront entièrement (de terreur), car elles savent que leurs douleurs sont venues sur elles et que leur destruction est proche. »
Selon l'Apocalypse d'Esdras, le Royaume messianique dure 400 ans et prend fin par le Messie, et avec lui tout ce qui a le souffle de l'homme, subissant la mort ; et après cela suit la résurrection de tous ceux qui ont jamais vécu.
4 Esdras vii. 26-33 : « Car voici que les jours viennent où les signes dont j’ai parlé auparavant s’accompliront, et alors la cité invisible apparaîtra et la cité cachée (et se montrera ; et quiconque sera sauvé des fléaux dont je vous ai parlé, verra mes prodiges, car mon serviteur 1 le Messie se révélera alors avec tous ceux qui sont avec lui, et donnera à ceux qui resteront en vie la joie pendant 400 ans. Après ces années, mon Fils le Messie mourra, ainsi que tous ceux qui ont le souffle de l’homme. Alors la terre sera ramenée au silence du temps primitif, pendant sept jours, comme au commencement, de sorte qu’il n’y aura plus personne en vie. Mais après sept jours, l’Âge (éon) qui dort maintenant se réveillera, et la corruptibilité elle-même sera abolie. La terre livrera ceux qui s’y reposent, et la poussière livrera ceux qui y dorment, et les greniers rendront les âmes qui leur ont été confiées. Le Très-Haut apparaîtra sur le Trône du Jugement. »
1 Dans Kautzsch, Apokryphen und Pseudepigraphen des Alien Testaments, cette phrase est traduite, d’après le texte latin [et syriaque], par « Pour mon Fils le Christ ». Comme le montre le texte éthiopien de ce passage et les deux versions arabes à xiii. 32, l’original était pais (grec) , qui dans la Septante est utilisé pour traduire le Deutéro-Isaïe עבר. (Voir Bruno Violet, Die Ezra-Apokalypse, pt. i., Leipzig, 1910, pp. 140 et suivantes et 384 et suivantes.)
L'Apocalypse de Baruch, qui représente ceux qui participent au Royaume messianique comme ne mourant pas, doit donc supposer qu'au jugement qui s'ensuit, ils atteignent, par une transformation, le mode de vie de la résurrection. Mais elle n'entre pas plus avant dans cette question. La solution de l'Apocalypse d'Esdras, selon laquelle le Messie et ses associés dans le Royaume messianique meurent, puis sont ressuscités avec les morts en général, est plus simple.
Les deux écrits représentent le Royaume messianique comme une rencontre entre le monde naturel et le monde surnaturel. C’est dans ce sens que l’Apocalypse de Baruch caractérise le temps messianique comme « la fin de ce qui est corruptible et le commencement de ce qui est impérissable » (Apoc. Bar. lxxiv. 2). Mais au fond, c’est le caractère du monde naturel qui est dominant, car les participants au Royaume messianique sont toujours des hommes naturels, même s’ils ont une vie anormalement longue et, selon l’Apocalypse de Baruch, ils engendrent même des enfants.
Il semble que les deux Apocalypses aient fait la distinction la plus évidente entre ce royaume temporaire du Messie de la lignée de David et le royaume éternel du Fils de l'homme. Ainsi, le Messie aurait pu, comme dans les premiers prophètes, naître de la lignée de David et être doté de la puissance de Dieu, cédant la place, dans la plénitude des temps, au Fils de l'homme qui apparaît sur les nuées du ciel. Mais pour les deux Apocalypses, cette solution est impossible, car leur Messie est déjà trop surnaturel. Il n'est plus considéré comme né, mais comme apparu. Dans l'Apocalypse de Baruch, il vient du ciel et y retourne. Que le Messie soit un rejeton de la lignée de David, cela n'est pas dit dans l'Apocalypse de Baruch ; mais il n'y est pas non plus désigné comme « Fils de l'homme ».
Dans l'Apocalypse d'Esdras, le Messie est un rejeton de la Maison de David (4 Esdras xii. 32) et en même temps le Fils de l'homme, qui est enlevé des profondeurs de la mer au ciel, et de là apparaît pour apporter le Royaume messianique (4 Esdras xiii. 1-52).
La filiation davidique du « Messie Fils de l'Homme » est donc affirmée, mais non rendue intelligible. Il revient à Jésus de donner la solution du problème de savoir comment le Messie Fils de l'Homme peut être né de la race de David et être en même temps une figure surnaturelle.
Dans le jugement qui frappe ceux qui ressuscitent après le Royaume messianique, il est décidé lesquels d'entre eux entreront dans la béatitude éternelle et lesquels seront livrés aux tourments éternels. Ils ressuscitent tous de la même manière sous leur forme précédente. Mais les fidèles sont alors transformés en êtres dont la gloire est plus grande que celle des anges. Les souffrances qu'ils ont supportées dans le monde pour la justice leur ont valu cette béatitude. Les méchants sont transformés en formes révoltantes et s'en vont dans la torture (Apoc. Bar. 1-12).
Dans le Royaume qui suit la résurrection des morts, ni le Messie ni le Fils de l’homme n’ont de rôle à jouer ; il est considéré comme une pure théocratie.
La participation au Royaume messianique est donc, selon les Apocalypses de Baruch et d’Esdras, le privilège des élus de la dernière génération de l’humanité, qui sont préservés de la tribulation et sont vivants à l’apparition du Messie. Après le Royaume messianique, ils passent à la vie de résurrection et participent ainsi aussi à la béatitude éternelle. Deux béatitudes leur sont ainsi conférées : la béatitude messianique et la béatitude éternelle. Ceux des élus qui ont vécu et sont morts dans les générations précédentes ne peuvent accéder qu’à la béatitude éternelle, qui commence après la résurrection des morts.
Comme les justes de la dernière génération de l’humanité, avant d’entrer dans le Royaume messianique, doivent tous passer par la terrible tribulation pré-messianique, l’Apocalypse d’Esdras soulève la question de savoir s’il est préférable d’être parmi ceux qui sont morts plus tôt et de ne pas connaître la tribulation pré-messianique ni le Royaume messianique, ou si la gloire messianique l’emporte sur les souffrances de la Tribulation. La réponse est que Dieu, qui en ce jour-là amènera la Tribulation, préservera aussi ceux qui y sont soumis, s’ils ont des œuvres et la foi en Lui. « Sache donc que ceux qui vivent pour voir ce temps-là sont de loin plus heureux que ceux qui sont morts » (4 Esdras xiii. 14-24). Car ceux-ci connaissent non seulement la béatitude éternelle mais aussi, avant cela, la béatitude messianique.
Selon les deux apocalypses de Baruch et d'Esdras, le déroulement des événements est le suivant : tribulation pré-messianique, au cours de laquelle ceux qui sont élus pour le Royaume messianique restent en vie ; apparition du Messie ; jugement du Messie sur tous les survivants, au cours duquel ceux qui ne sont pas dignes du Royaume messianique sont condamnés à mort ; Royaume messianique ; fin du Royaume messianique et retour du Messie au ciel ; résurrection des morts de toutes les générations et jugement dernier sur eux par Dieu ; béatitude éternelle dans le Royaume de Dieu ou tourment éternel. Cette eschatologie reconnaît donc deux béatitudes (la béatitude messianique et l'éternelle) ; et deux jugements (le jugement du Messie au début du Royaume messianique sur les survivants de la dernière génération de l'humanité, et le jugement final de Dieu sur toute l'humanité ressuscitée après le Royaume messianique) ; et deux royaumes (la théocratie messianique temporaire et la théocratie éternelle). Jésus n’attend qu’une seule béatitude (la béatitude messianique, qui est aussi éternelle) ; un seul Jugement (le Jugement du Messie Fils de l’Homme et le début du Royaume de Dieu, qui inclut à la fois les survivants de la dernière génération et aussi toute l’humanité ressuscitée) ; et un seul Royaume (le Royaume du Messie Fils de l’Homme, qui est aussi le Royaume éternel de Dieu).
Toute la différence entre les deux conceptions tient au fait que Jésus, comme le livre de Daniel, présente la résurrection comme ayant lieu au début du Royaume messianique, alors que les Apocalypses de Baruch et d'Esdras la placent à la fin. Les Apocalypses de Baruch et d'Esdras représentent l'eschatologie des scribes, qui accepte toutes les attentes exprimées dans les livres des prophètes, y compris Daniel, et cherche à les mettre en harmonie. On ne peut refuser une certaine admiration pour la manière dont ils font sortir l'ordre du chaos. C'est l'œuvre de théologiens qui étaient des penseurs capables.
Une première tentative de description des événements de la fin se trouve dans ce qu'on appelle « l'Apocalypse des dix semaines », l'une des plus anciennes parties du livre d'Hénoch (Hénoch xciiii. 1-9, xci. 12-17). Les événements du commencement à la fin du monde y sont organisés en « semaines mondiales ». Le Royaume messianique commence dans la huitième semaine mondiale, au cours de laquelle les pécheurs sont livrés aux mains des justes et la Maison du Grand Roi s'élève dans la gloire pour durer éternellement. Au cours de la neuvième semaine a lieu le Jugement de justice, à la suite duquel les œuvres des impies disparaissent de la terre et le monde est voué à la destruction. Au cours de la dixième semaine, dans sa septième partie, a lieu le grand Jugement éternel au cours duquel le châtiment des anges est exécuté. Ensuite, le premier Ciel passe pour laisser la place à un nouveau, dont l’avènement marque la fin de toute l’histoire (Enoch, xci, 12-17). Il y a donc ici deux jugements dans la cause d’un Royaume messianique éternellement durable. Le moment où la résurrection des morts aura lieu n’est pas précisé. L’idée semble être qu’au jugement dernier, les morts ressuscités des générations précédentes s’ajoutent aux survivants de la dernière génération, qui doivent logiquement être considérés comme étant dans le mode d’existence de la résurrection. Une opinion similaire est exprimée dans les « Similitudes d’Enoch » (Enoch, xxxvii-lxxi), dans lesquelles l’apparition et le jugement du Messie sont d’abord décrits (Enoch, xlv-l). Vient ensuite une mention de la résurrection des morts (Enoch, li). Mais dans les Similitudes, chaque épisode est joint au dernier par « En ces jours-là », de sorte que nous ne savons pas clairement si les événements sont contemporains ou successifs. Un point décisif est que, selon le Livre d'Enoch, le Royaume du Fils de l'homme est éternel, d'où il résulte nécessairement que ceux qui y participent doivent posséder le mode d'existence de la résurrection. Cependant, les scribes, comme le montrent les Apocalypses de Baruch et d'Esdras, n'adhéraient pas à cette opinion, mais considéraient, comme les premiers prophètes, que la participation au Royaume messianique était le privilège des survivants de la dernière génération de l'humanité.
Comme les Apocalypses de Baruch et d'Esdras n'ont été écrites qu'après la destruction de Jérusalem par Titus, on peut se demander si l'eschatologie qu'elles proposent est réellement celle des scribes d'une époque antérieure. Paul, cependant, est la preuve que c'était bien le cas. L'eschatologie qu'il présuppose est, quant à son plan et aux événements de la fin, la même que celle des Apocalypses de Baruch et d'Esdras. Telle a donc dû être la conception acceptée par les scribes parmi lesquels il a été élevé.
Paul conçoit la succession des événements du temps de la fin selon la double eschatologie des scribes, comme le montre le fait qu'il représente la mort comme étant détruite seulement à la fin du Royaume messianique. Cela signifie que, selon son hypothèse, la résurrection des morts et le jugement des ressuscités de toutes les générations n'ont lieu qu'après la fin du Royaume messianique. 1 Comme les scribes, il considère le Royaume comme le privilège des élus de la dernière génération et le considère comme transitoire.
1 Pour le schéma de Paul des événements de la Résurrection, voir pp. 65-68, sup.
Paul distingue donc deux béatitudes : la béatitude messianique et la béatitude éternelle. Les élus de la dernière génération participent aux deux béatitudes ; ceux qui sont morts avant ne peuvent obtenir que la béatitude éternelle, qui commence après la fin du Royaume messianique. Pendant le Royaume messianique, ils sont encore morts. L'eschatologie de Paul est donc tout à fait différente de celle de Jésus, un fait qui n'a jamais été suffisamment apprécié jusqu'à présent. Au lieu de penser comme Jésus selon la simple eschatologie des livres de Daniel et d'Enoch, il représente la double eschatologie des scribes.
Il est probable que Paul n'utilise jamais l'expression « Fils de l'homme » en raison de la conception eschatologique des milieux dont il est issu. Cette expression est également absente de l'Apocalypse de Baruch. Néanmoins, il pense au Messie comme au Messie Fils de l'homme, car il le représente apparaissant sur les nuées du ciel.
Mais le plus curieux est que Paul ne reprend pas simplement l'eschatologie des scribes dans sa forme actuelle, mais y introduit une conception qui est en contradiction avec toute sa logique. Il affirme en effet que les premiers participants au Royaume messianique transitoire ont déjà le mode d'existence de la résurrection, et que les élus de la dernière génération, même s'ils sont morts avant le début du Royaume, pourront, grâce à la résurrection, en devenir participants. Cette eschatologie contradictoire se situe à mi-chemin entre celle des scribes et celle de Jésus. Paul partage avec les scribes leur conception du cours des événements, et avec Jésus celle du mode d'être que possèdent ceux qui participent au Royaume messianique.
En admettant que les élus du Royaume messianique possèdent le mode d’existence de la résurrection, Paul n’affirme pas quelque chose de plus ou moins évident, mais quelque chose d’extraordinaire, quelque chose qui s’écarte du caractère de son eschatologie. Cela n’a pas été suffisamment compris jusqu’à présent. Jésus suppose une résurrection pour participer au Royaume messianique, et cette hypothèse est également retenue dans l’Apocalypse johannique (Apoc. xx, 4-6) : il aurait donc semblé tout naturel que Paul ait la même opinion. Mais l’eschatologie dont il part ne suppose aucune résurrection ni mode de vie de résurrection pour le Royaume messianique. Si ce Royaume est lui-même transitoire, il est évident que les participants à ce Royaume ne peuvent pas être dans un état d’immortalité. Or, si Paul se trouve obligé d’affirmer cette chose illogique, il ne peut pas la sentir comme allant de soi. Et en effet, la manière dont il informe les Thessaloniciens que les croyants morts ressusciteront pour le Royaume messianique, montre clairement que cela n'est pas immédiatement évident ni pour eux ni pour lui. Il en fait appel pour le confirmer à une « parole du Seigneur », c'est-à-dire à une révélation qu'il a reçue du Christ.
1 Thess. iv. 13-18 : « Or, mes frères, je ne veux point que vous ignoriez ce qui regarde ceux qui dorment, afin que vous ne soyez point attristés comme les autres qui n'ont point d'espérance. Car si nous croyons que Jésus est mort, et qu'il est ressuscité; de même aussi ceux qui dorment en Jésus, Dieu les ramènera avec lui. Car nous vous disons ceci par la parole du Seigneur, que nous qui vivrons et resterons à la venue du Seigneur, ne préviendrons point ceux qui dorment. Car le Seigneur lui-même, avec un cri d'exhortation, et une voix d'archange, et avec la trompette de Dieu, descendra du ciel; et ceux qui sont morts en Christ, ressusciteront premièrement; puis nous qui vivrons et qui resterons, serons enlevés ensemble avec eux dans les nuées, au-devant du Seigneur, en l'air; et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. C'est pourquoi consolez-vous l'un l'autre par ces paroles. »
1 Apoc. xx. 4-6 : « et je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités pour le témoignage de Jésus, et pour la parole de Dieu, qui n'avaient point adoré la bête, ni son image, et qui n'avaient point pris sa marque en leurs fronts ou à leurs mains; lesquels devaient vivre et régner avec Christ mille ans. Mais le reste des morts ne doit point ressusciter jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis : c'est la première résurrection. Bienheureux et saint est celui qui a part à la première résurrection : la mort seconde n'a point de puissance sur eux; »
Pour comprendre comment se pose à Paul le problème du sort de ces croyants morts avant le retour de Jésus, il faut se rendre compte que lui, comme les Apocalypses de Baruch et d'Esdras, n'attend la Résurrection qu'après le Royaume messianique. Il doit donc supposer que tous les morts, y compris ceux qui se sont endormis peu de temps avant le retour de Jésus, n'ont pas part au Royaume messianique mais doivent attendre la Résurrection des morts. Mais le cas de ceux qui sont morts en croyant en Jésus était un cas non prévu dans l'eschatologie traditionnelle, car elle ne recherchait pas la venue du futur Messie avant l'apparition du Royaume.
Mais par leur foi en Jésus, ceux qui s'étaient ainsi endormis avaient mis hors de doute leur fidélité au Messie et leur droit de participer à son Royaume. La question se pose alors de savoir si, par leur mort, ils sont entrés dans la condition de tous les morts précédents et doivent attendre avec eux la résurrection à la fin du Royaume, ou s'ils n'ont pas devant Dieu la position de ceux qui, par leur foi en Jésus, se sont assurés la prérogative de la dernière génération survivante et auront part, en tant que tels, à la gloire messianique. Le problème du sort de ceux qui étaient morts dans la foi en la messianité était donc le premier des problèmes soulevés par le retard du retour du Christ. La décision de Paul était que ces morts n'avaient pas à attendre la résurrection qui a lieu à la fin du Royaume messianique, mais que, par une résurrection spéciale antérieure, ils devenaient participants de la gloire du Royaume messianique au même titre que les autres élus de la dernière génération.
L'idée que le Royaume messianique est l'apanage de la dernière génération est ainsi maintenue, mais en y associant la conception de la résurrection des morts. Seuls ceux qui se sont endormis en croyant en Jésus, et non le reste des morts, participent, selon Paul, au Royaume messianique.
Le fait que Paul explique les cas de décès dans l'Église de Corinthe comme une punition de Dieu pour la célébration indigne de la Sainte Cène (1 Cor. xi. 29-32) montre que la mort des croyants avant le retour du Christ constituait une grave difficulté pour l'Église primitive. Il est concevable que de tels décès avant le retour aient été interprétés dans les temps les plus anciens comme signifiant que ceux qui mouraient ne bénéficiaient pas de la béatitude messianique, malgré leur croyance en Jésus.
En fait, l'idée que seuls les survivants au retour de Jésus auraient part au royaume messianique avait ses représentants dans le christianisme primitif : cela est démontré par l'existence à Corinthe de personnes qui niaient la résurrection (1 Cor. XV, 12-18, 29-33), qui étaient évidemment très gênantes pour Paul, et l'ont été encore plus pour ses interprètes : c'est à ces personnes que nous devons le chapitre 15 de la première épître aux Corinthiens. Qui étaient en effet ces négateurs de la résurrection ? Étaient-ils des sceptiques ? S'il en était ainsi, il est difficile d'expliquer comment ils avaient pu s'égarer dans l'Église chrétienne. Et Paul ne les écarte pas comme tels, mais cherche à montrer, à partir du fait de la résurrection de Jésus, qu'ils ont également admis, qu'ils se trompent. Le point le plus intéressant, qui est généralement négligé, est que ces négateurs de la résurrection n'avaient aucun doute sur la résurrection de Jésus, mais seulement sur ce que les croyants attendaient pour eux-mêmes. Paul les réfute donc en affirmant que, s’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ lui-même ne peut pas être ressuscité.
1 Cor. xv. 13: “Car s'il n'y a point de résurrection des morts, Christ aussi n'est point ressuscité;” — 1 Cor. xv. 16: “Car si les morts ne ressuscitent point, Christ aussi n'est point ressuscité;”
Ces négateurs de la résurrection ne sont donc pas des sceptiques, mais des représentants de la vision eschatologique ultra-conservatrice selon laquelle il n'y a pas eu de résurrection. Selon eux, seuls ceux qui sont vivants au retour de Jésus ont quelque chose à espérer. Ils nient ainsi non seulement la résurrection au Royaume messianique, mais aussi celle de la béatitude éternelle. Leur position est la même que celle des Psaumes de Salomon et de l'eschatologie des Prophètes.
Nous ne savons pas quelles solutions furent données au problème de la mort des croyants parmi les premiers chrétiens en général. Lorsque la mort devint la règle, la foi chrétienne ne pouvait pas simplement laisser ce problème en suspens, mais, pour que l'espérance chrétienne ne défaille pas, elle fut obligée, avec Paul, de trouver la solution suivante : les morts en Christ ressusciteront à son retour. D'où la nécessité de supposer deux résurrections : la première dans laquelle les croyants en Christ auront part au Royaume messianique, et la seconde dans laquelle tous les hommes ayant vécu sur terre, à la fin du Royaume messianique, comparaîtront pour le jugement final devant le trône de Dieu, pour recevoir la vie éternelle ou le tourment éternel.6
Rév. xx. 4-6; cf. pp. 91-92, sup.
En tout cas, le créateur de cette doctrine des deux Résurrections fut Paul.
Paul n'avait pas déjà trouvé la doctrine des deux résurrections. Toute l'eschatologie antérieure à lui ne connaît qu'une seule résurrection, qui, soit, comme dans les livres de Daniel et d'Enoch et dans les paroles de Jésus, est placée avant le Royaume messianique, soit, comme dans les Apocalypses de Baruch et d'Esdras, après lui.
Paul ne peut soutenir que ceux qui se sont endormis en Jésus entrent dans le Royaume messianique en tant qu’hommes ressuscités, à condition de supposer en même temps que ceux qui sont vivants à sa venue y entrent non pas avec un être naturel, même idéalement amélioré, mais comme ceux qui, par une transformation, ont adopté le mode d’existence de la résurrection, qui est considéré comme éternel. C’est ce qu’il fait effectivement. Ce faisant, il est tout à fait conscient d’affirmer quelque chose qui n’est pas évident en soi, mais qui s’écarte en fait de la vision ordinaire. La chose logique serait que, si le Royaume messianique est une entité transitoire, ceux qui y participent posséderont un mode d’existence temporaire et non éternel. C’est pourquoi il communique aux Corinthiens comme un mystère qu’ils n’entreront pas dans le Royaume en tant que chair et sang, mais que, qu’ils soient vivants ou morts à la venue du Royaume, ils échangeront également le mode d’existence mortel contre un mode d’existence immortel.
1 Cor. XV. 50-53 : « Voici donc ce que je dis, mes frères : C'est que la chair et le sang ne peuvent point hériter le royaume de Dieu, et que la corruption n'hérite point l'incorruptibilité. Voici, je vous dis un mystère : Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous transmués; en un moment, et en un clin d'œil, à la dernière trompette : car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous serons transmués. Car il faut que ce corruptible revête l'incorruptibilité, et que ce mortel revête l'immortalité. »
En ce qui concerne la formulation, Paul aurait pu parler de la résurrection des morts en général. Mais il entend, comme dans 1 Thess. iv. 16 et 1 Cor. xv. 23, seulement ceux qui se sont endormis en Jésus. Seuls ceux-là seront ressuscités à la vie au moment de la venue de Jésus et de la transformation des survivants.
Selon l’eschatologie des scribes, telle qu’exposée dans les Apocalypses de Baruch et d’Esdras, les justes héritent du Royaume dans leur chair et leur sang.
Qu’est-ce qui pousse Paul à prendre de telles libertés avec l’eschatologie des scribes, qu’il présente ailleurs comme faisant autorité ?
Est-ce l'influence de l'eschatologie de Jésus ? Mais s'il avait été influencé de quelque façon par celle-ci, il aurait adopté la solution beaucoup plus simple de placer la résurrection générale avant le royaume messianique. Il ne peut pas le faire, car cela aurait signifié abandonner la croyance que le royaume messianique est la prérogative des élus de la dernière génération. Lorsqu'il décide de revêtir le vieux vêtement de la double eschatologie des scribes de la nouvelle pièce du concept de résurrection et de transformation, il le fait sous l'influence non pas de l'enseignement de Jésus, mais du fait de sa mort et de sa résurrection. Cela ressort de la manière dont, dans la première épître aux Thessaloniciens, il déduit de la résurrection de Jésus la résurrection de ceux qui sont morts en Christ.
1 Thess. iv. 14 : « Car si nous croyons que Jésus est mort, et qu'il est ressuscité; de même aussi ceux qui dorment en Jésus, Dieu les ramènera avec lui. »
Il n'est pas possible de dire si l'on doit interpréter cela comme signifiant que ceux qui se sont endormis seront ramenés par Jésus (c'est-à-dire en Lui), ou que ceux qui se sont endormis seront ramenés par Jésus. Mais en tout cas, il s'agit seulement de ceux qui sont morts en Christ.
L'argument contre les négateurs de la résurrection à Corinthe (1 Cor. XV) est une preuve supplémentaire que c'est la résurrection de Jésus qui a conduit Paul à adopter l'idée que les croyants possèdent dans le Royaume messianique le mode d'existence de la résurrection. Puisque le futur Messie lui-même a vécu, est mort et est ressuscité avant la venue du Royaume, Paul ne peut plus s'en tenir à l'eschatologie traditionnelle des scribes. En tant que penseur, il est tenu de la mettre en harmonie avec ce fait, et il ne peut le faire qu'en supposant deux résurrections.
En admettant que les participants au Royaume possèdent, comme le Messie, le mode d'existence de la résurrection, il est en mesure de résoudre le problème autrement insoluble du sort des croyants morts avant le retour de Jésus, en admettant que la résurrection a lieu avant la venue du Royaume. Sinon, il devrait supposer que les hommes naturels et les hommes de la résurrection vivent côte à côte dans le Royaume, ce qui est impensable.
Mais que de difficultés soulève l'hypothèse de la résurrection des croyants avant la création du Royaume ! La mort, considérée comme un être angélique, est en effet au pouvoir jusqu'à la fin du Royaume. Comment est-il alors possible que certains morts puissent échapper à ses griffes avant qu'il ne soit contraint de les libérer tous lors de la Résurrection ?
Des difficultés presque plus grandes se posent lorsque l'on suppose que les survivants entrent dans le mode d'existence de la résurrection par une transformation. Comment les hommes peuvent-ils accéder à cette condition sans devoir auparavant passer par les portes de la mort et de la résurrection ? Ce problème se posait déjà dans l'eschatologie représentée par l'enseignement de Jésus, mais sans être reconnu. Les scribes, cependant, en étaient conscients. Dans l'Apocalypse d'Esdras, il est résolu en supposant que les participants du Royaume meurent enfin tous ensemble, afin de devenir, avec les autres morts, possesseurs de la vie éternelle par la résurrection.
Pour Paul, le problème est inéluctable. Puisque Jésus est passé par la mort pour atteindre le mode d'existence approprié au Royaume messianique, ces deux événements ne pouvaient pas être simplement ignorés dans le cas de ceux qui, vivants à son retour, échangent alors le mode d'existence naturel contre le surnaturel. Eux aussi doivent d'une certaine manière être passés par la mort et la résurrection.
Ce n'est pas comme si Paul pouvait affirmer sans plus de formalités la résurrection des croyants avant l'avènement du Royaume et la transformation des survivants. Pour ceux qui ont ensuite repris la doctrine de la double résurrection, c'était une évidence. Pour lui, lorsqu'il l'affirmait pour la première fois, il fallait qu'elle soit appuyée par des arguments et qu'elle soit basée sur une théorie. Et il ne peut la fonder que sur l'être mystique en Christ.
C'est seulement en tant que ceux qui sont « en Christ » que ces croyants, qui au retour de Jésus sont encore vivants, peuvent passer par transformation du mode de vie naturel à l'éternel ; c'est seulement parce que les croyants qui se sont endormis sont « en Christ » (1 Thess. iv. 16 ; 1 Cor. xv. 18, 23) qu'ils ne sont pas morts comme les autres, mais qu'ils sont capables de la résurrection préliminaire au retour de Jésus.
Paul pense que les croyants participent mystérieusement à la mort et à la résurrection du Christ, et qu’ils sont ainsi sortis de leur mode d’existence ordinaire et forment une catégorie spéciale d’humanité. Lorsque le Royaume messianique se lèvera, ceux d’entre eux qui sont encore en vie ne seront pas des hommes naturels comme les autres, mais des hommes qui ont d’une certaine manière traversé la mort et la résurrection avec le Christ, et sont donc capables de devenir participants du mode d’existence de la résurrection, tandis que d’autres hommes passent sous la domination de la mort. De même, ceux qui sont morts en Christ ne sont pas morts comme les autres, mais sont devenus capables, par leur mort et leur résurrection avec le Christ, de ressusciter avant les autres hommes.
C'est précisément parce que cette hypothèse selon laquelle les croyants morts ressuscitent immédiatement au début du Royaume messianique et que les survivants sont transformés en êtres immortels constitue pour Paul un problème difficile qu'il est obligé, en vue de le résoudre, d'affirmer la doctrine mystique de la mort et de la résurrection avec le Christ. Et sa mystique doit rester inintelligible, parce qu'elle est sans objet, tant que nous ne reconnaissons pas la particularité de son eschatologie et la difficulté qu'elle comporte d'affirmer que les participants au Royaume possèdent le mode d'existence de la résurrection. La grande erreur qui a été commise jusqu'à présent en traitant ce sujet a été de supposer que ce qui était évident pour l'eschatologie de Jésus l'était aussi pour l'eschatologie de Paul.
Mais ce n'est pas seulement le problème du mode d'existence des élus dans le Royaume messianique qui conduit Paul comme penseur à sa mystique, mais aussi une réflexion directe sur la portée de la mort et de la résurrection de Jésus.
La croyance générale considérait simplement la mort et la résurrection de Jésus comme les événements qui rendirent possible sa venue en tant que Messie dans la gloire et annoncèrent l'aube du Royaume messianique. Elle adoptait une attitude purement expectative et soutenait simplement que le monde naturel continuerait jusqu'à la venue du Royaume messianique. Le point de vue d'une croyance plus réfléchie pourrait être différent. Pour le penseur, le fait de la résurrection de Jésus doit soulever la question remarquable de savoir si les hommes vivaient encore dans la période du monde naturel (éon) ou étaient déjà entrés dans le surnaturel. La simple antithèse entre hier et aujourd'hui n'est plus suffisante, car la résurrection de Jésus, si on la considère strictement, n'était pas un événement pré-messianique mais un événement messianique. Dans la période naturelle, il est possible que les fidèles soient enlevés au ciel pour y être gardés en sécurité jusqu'aux temps de la fin, comme cela est arrivé à Enoch, à Elie et, selon les apocalypses de Baruch et d'Esdras (Apoc. Bar. Ixxvi, 1-4 ; 4 Esdras XIV, 49), à Baruch, le scribe de Jérémie, et à Esdras lui-même ; et aussi que ceux-ci reviennent du ciel, comme Elie devait le faire, selon le passage bien connu du livre de Malachie (Mai. IV, 5-6). Mais la résurrection des morts ne devait avoir lieu qu'à l'aube de l'ère surnaturelle. Si Jésus est ressuscité, cela signifie, pour ceux qui osent penser de manière logique, que nous sommes déjà dans l'ère surnaturelle. Et c'est là le point de vue de Paul. Il ne peut pas considérer la résurrection de Jésus comme un événement isolé, mais doit la considérer comme l'événement initial de la résurrection des morts en général. Selon lui, Jésus est ressuscité comme « prémices de ceux qui sont morts » (απαρχή των κεκοιμημενών, 1 Cor. xv. 20). Nous sommes donc dans la période de la résurrection, même si la résurrection d’autres personnes n’est pas encore arrivée. Paul tire la conclusion logique du fait que Jésus, après son existence terrestre, n’a pas été simplement enlevé au ciel pour y revenir dans la gloire en tant que Messie, mais qu’il est lui-même passé par la mort et la résurrection.
Dans l'Apocalypse d'Esdras (4 Esdras VII, 29-32), le Fils de l'homme meurt et fait ainsi mourir avec lui tous ceux qui ont un souffle et ressuscitent ensuite avec lui. Mais cela se produit à la fin du Royaume messianique. Bien que ce Messie ne soit pas né mais qu'il « apparaisse », il a ceci de commun avec les hommes que pour parvenir à l'immortalité il doit passer par la mort et la résurrection. On voit ici l'influence de la conception prophétique selon laquelle il est un descendant naturel de David, doté par Dieu d'un pouvoir surnaturel. Cette conception jette aussi la lumière sur l'intention consciente de Jésus. Car ce qu'il fait, c'est, sous l'influence de l'eschatologie de Daniel et d'Enoch, et sous la contrainte de sa propre conscience, de transférer la mort et la résurrection du Messie à un point antérieur à l'ère messianique, et d'expliquer ainsi comment le descendant corporel de David peut devenir le Messie Fils de l'Homme, et comment la résurrection des morts a lieu en préparation de la venue du Fils de l'Homme.
L'apparition du futur Messie avant l'ère messianique, sa mort et sa résurrection, dont rien n'était prévu dans l'eschatologie traditionnelle, donnèrent un caractère problématique à la période comprise entre la résurrection de Jésus et son retour. Il est évident que le Christ n'était pas encore apparu et que le monde avait encore son aspect naturel. Si nous en jugeons d'après l'apparence extérieure, il s'agissait encore de l'ère du monde naturel. Mais ce qui est décisif pour le caractère de la période comprise entre la résurrection de Jésus et son retour, ce n'est pas l'apparence extérieure, mais la nature des forces qui y étaient à l'œuvre. Par la résurrection de Jésus, il est devenu manifeste que des forces de résurrection, c'est-à-dire des forces du monde surnaturel, étaient déjà à l'œuvre dans le monde créé. Les personnes perspicaces ne considéraient donc pas la durée du monde naturel comme allant jusqu'à la venue glorieuse de Jésus, mais concevaient le temps intermédiaire entre sa résurrection et le début du royaume messianique comme un temps où le monde naturel et le monde surnaturel sont mêlés. Avec la résurrection de Jésus, le monde surnaturel avait déjà commencé, même s’il n’était pas encore manifeste.
Tandis que d'autres croyants soutenaient que le doigt de l'horloge universelle touchait le début de l'heure à venir et attendaient le coup qui l'annoncerait, Paul leur dit qu'il avait déjà dépassé ce point et qu'ils n'avaient pas entendu la sonnerie de l'heure, qui en fait sonnait à la résurrection de Jésus.
Derrière l'apparence extérieure immobile du monde naturel, sa transformation en surnaturel était en cours, comme la transformation d'une scène se déroule derrière le rideau.
Pour l'homme pénétrant qui ose voir les choses telles qu'elles sont, la foi cesse d'être simplement une foi d'attente. Elle intègre les certitudes présentes. Cette invasion de la croyance en l'avenir par la croyance au présent n'a rien à voir avec la spiritualisation de l'attente eschatologique ; elle naît plutôt de son intensification. Pendant la période qui s'étend entre la résurrection de Jésus et son retour, le monde transitoire et le monde éternel se mêlent, créant ainsi les conditions d'une mystique particulière. 1 En raison de l'état actuel du monde, celui qui possède la vraie connaissance peut, non seulement par un pur acte de pensée comme dans d'autres systèmes mystiques, se sentir à la fois dans le monde transitoire et dans le monde éternel. Il lui suffit de se rendre compte par la pensée de ce qui lui arrive et de ce qui arrive au monde, et il ne peut pas le faire autrement. c'est-à-dire que des puissances surnaturelles sont occupées à le transformer, lui et tout ce qui l'entoure, dans la mesure où telle est leur destinée, de telle manière que leur apparence extérieure est encore celle du monde transitoire, tandis que la réalité est déjà celle du monde éternel. Chez les élus qui sont destinés à être manifestés immédiatement à la venue du Christ dans le mode d'existence de la résurrection, l'œuvre de ces puissances surnaturelles doit avoir progressé le plus loin.
1 Voir p. 37, sup.
Cette mystique objective des faits surgit nécessairement dès que la pensée qui était latente dans l'attente eschatologique comprit la signification de la mort et de la résurrection de Jésus comme événements cosmiques, et vit que la résurrection de Jésus était le commencement de la résurrection des morts en général. Paul, seul parmi les croyants de son temps, accorda le poids qu'il méritait à la considération que l'eschatologie traditionnelle ne pouvait se maintenir inchangée : le Messie étant déjà apparu dans la chair, étant mort, étant ressuscité, l'attente eschatologique devait se reporter à ces faits. Il en vient ainsi, contrairement aux conceptions dans lesquelles il est habitué à se mouvoir, à postuler pour les élus du Royaume messianique le mode d'existence de la résurrection, et à soutenir, contrairement à la croyance naïve existante, qu'avec la résurrection de Jésus la période messianique avait déjà commencé et que la résurrection des morts en général était en cours. Ainsi, l'orientation de sa pensée fut forcée de toutes parts par les problèmes de l'eschatologie elle-même, vers l'affirmation paradoxale que les pouvoirs manifestés dans la mort et la résurrection de Jésus étaient déjà à l'œuvre chez ceux qui sont élus pour le Royaume messianique.