Que nous apprennent donc les écrivains ecclésiastiques sur les Acta Pauli ? En étudiant leurs témoignages dans la suite des temps, on voit nettement changer leur attitude. Au début même du iiie siècle, il n’y a guère que des éloges pour cette œuvre, hautement estimée par saint Hippolyte de Rome et par Origène, qui l’emploient dans leur explication des saints livres. Ils ne lui accordent pas cependant l’autorité indiscutée de ceux* ci. Aussi, Tertullien pourra-t-il, en face d’adversaires catholiques qui l’invoquent pour prouver leurs doctrines inexactes, rappeler nettement sa non-authenticité, sans d’ailleurs lui adresser aucun autre reproche.
Les catholiques cependant ne se font pas faute d’utiliser contre les hérétiques les parties qui leur conviennent. C’est ainsi que la correspondance apocryphe de saint Paul et des Corinthiens prend une importance particulière dans la lutte contre Bardesanes et ses partisans, et que, spécialement propre à la lecture dans les églises et au commentaire, elle se détache, dès le milieu du iiie siècle, ou même un peu auparavant, de l’ensemble de l’œuvre, en passant dans le canon syrien, et, par son intermédiaire, dans l’arménien. C’est le commencement de la dislocation, qui se continuera vers la fin du iiie siècle ou le début du ive; l’épisode de Thècle et le martyre de Paul, eux-mêmes parfaitement adaptés aux leçons des fêtes de sainte Thècle et de saint Paul, vont à leur tour vivre de leur vie propre, très intense, très différente de celle de l’ensemble.
De même, en effet, que le Codex Claromontanus et Eusèbe notent le caractère non authentique des Acta Pauli, sans leur attacher aucune épithète infamante et sans les dire falsifiés, de même les écrivains ecclésiastiques respecteront ces deux parties spéciales, tout en remarquant qu’elles ne sont pas canoniques. L’ensemble au contraire va bientôt, dès la fin, peut-être dès le milieu du ive siècle, être employé par les hérétiques, comme le prouvent les témoignages de Philastre de Brescia, d’Agapius et de Faustus. Aussi, sera-t-il de plus en plus attaqué. Chez les manichéens et les priscillianistes en particulier, il jouit d’une grande popularité; il entre dans un recueil d’Actes apocryphes que l’on oppose aux Actes des apôtres ou qu’on place à côté d’eux; et il ne me parait pas douteux que les hérétiques aient remanié plus ou moins ces Actes dans le sens de leurs doctrines, comme les catholiques le leur ont souvent reproché, et qu’ils l’ont fait au moment surtout où ils traduisirent ces œuvres en latin. Les Actes de Paul, moins adaptés à leurs desseins que par exemple les Actes de Jean, ou même que ceux de Pierre, ont dû souffrir surtout de ces remaniements. Et c’est pour cela que nous n’avons pas trace d’une traduction complète à l’usage des catholiques. Celle des hérétiques seule a existé; et elle a disparu entièrement, en même temps que tant d’œuvres dues à la plume des adversaires de l'Eglise.
Seules, ont passé en latin, pour les catholiques, et seules aussi souvent, sont lues en Orient, les trois parties dont les catholiques se sont spécialement servis : les Actes de Paul et de Thècle, la correspondance de Paul et des Corinthiens, le martyre de Paul. Mais la seconde souffre beaucoup de n’être pas comprise dans les bibles grecques, et son souvenir s’atténue très vite; la troisième est bientôt supplantée par des remaniements, comme le pseudo-Marcellus 1, et tant d’autres, qui s’adaptent mieux aux traditions désormais prépondérantes de l'Église romaine et l'unissent intimement au martyre de Pierre. La première reste en Orient le fonds commun où vont puiser les panégyristes de la sainte; et il se produit autour d’elle une véritable floraison d’écrits, qui cependant ne l’étouffent pas.
En Occident, elle-même pâtit de l’âpre lutte que les Pères soutiennent contre les hérétiques. Sans doute, la pensée de ces écrivains, quand il ne s’agit pas de la non· authenticité, proclamée par tous, est flottante ; ils regrettent tant de récits merveilleux, ils permettent même la lecture des apocryphes aux « parfaits »; mais bientôt l'aversion s’accentue. L’attitude qui avait été déjà, un siècle plus tôt, celle de saint Jérôme, devient, pour les Acta Theclæ, officielle par le Décret de Gélase.
Personne ne doute cependant de l’existence historique de la sainte et, comme en Orient, on la célèbre et on la chante partout. On reprend dans les panégyriques et dans les vies de sainte Thècle les détails des Actes, parce qu’on les croit fondés sur l’autorité ecclésiastique et pour la seule valeur historique de l’œuvre.
Quant à l’ensemble des Actes, nous n’en entendons plus parler que par les catalogues qui les citent comme apocryphes, et par Photius, qui les condamne.
On le voit, il n’y a rien dans cette histoire des témoignages qui vienne confirmer la théorie de Lipsius, qu’il y eut primitivement des Acta Pauli gnostiques, remaniés ensuite par les catholiques, et que notre texte est un de ces remaniements. Une enquête attentive et aussi complète que possible nous apprend précisément le contraire. S’il y eut des déformations, elles ne sont dues qu’aux hérétiques, et l’œuvre primitive fut bien d’esprit catholique. C’est ce que va nous apprendre l’étude directe des doctrines dans les fragments qui nous restent.
CHAPITRE III
Il nous reste relativement peu de pages où l'auteur des Acta Pauli ait traité des questions de doctrine. Les débris de la version copte nous laissent entrevoir cependant des discussions intéressantes, l’une avec des Juifs dans l'épisode de Tyr, l’autre avec des païens dans l’épisode de Sidon. D’autre part, la parole qu’Origène emprunte aux Acta Pauli nous permet de soupçonner, pendant la prédication de Paul dans le monde hellénique, quelques envolées, courtes sans doute, mais que nous eussions été heureux de suivre, dans la haute théologie. Nous devons donc forcément nous en tenir, pour juger des doctrines de l’auteur, à la correspondance de saint Paul et des Corinthiens, très instructive, à l’épisode de Thècle et au martyre de Paul, qui le sont beaucoup moins2.
N’oublions pas cependant, bien que l’intention de dogmatiser ne soit pas, comme nous venons de le dire, étrangère à l’auteur, qu’il a d’abord un but qui prime tout : celui d’édifier. L’attention se portait alors avec passion vers les temps apostoliques, et l’on voulait connaître de plus près ceux qui « avaient vécu avec Jésus*Christ »; ce n’était plus seulement le maître qui enseigne, c’était aussi la personne même de l’homme et du saint qui attirait <e regard dans les apôtres. Et vraiment, les Actes canoniques donnaient sur eux trop peu de détails pour satisfaire une piété avide ; et les traditions orales étaient trop clairsemées et trop avares de renseignements.
D’autre part, les adversaires que déjà saint Paul et saint Jean durent combattre avaient précisé leurs doctrines; et d’autres s’étaient levés, contre lesquels on ne croyait pas trouver, dans les livres saints, des armes toutes prêtes et assez faciles à manier; or, faire des apôtres un portrait idéal, c’était l’occasion d’opposer leur figure, et aussi leurs paroles, aux adversaires qui apparaissaient partout.
C’est de ces deux besoins que sont nés les Actes apocryphes des apôtres, et en particulier de saint Paul. Ceux-ci doivent compléter d’abord ce qu’on sait de l’apôtre, d’après ses propres épîtres et les Actes; ils doivent ensuite reprendre ses doctrines, les diriger tout spécialement contre les ennemis nouveaux, en les développant, parfois même en les exagérant, et lui en prêter expressément d’autres, qui ne furent pas siennes ou qui ne le furent qu’en germe.
Pour édifier, l’auteur des Acta Pauli multiplie les miracles et les événements extraordinaires, si recherchés et si goûtés de son temps; et ils sont sans doute pour lui l’essentiel de son œuvre; pour nous, nous n’avons pas à nous en occuper pour le moment. Mais il faut bien aussi qu’il expose la doctrine, soit expressément dans des discours, soit indirectement dans ses personnages, en qui s’incarne son idéal, et dans les actions qu’il leur prête; c’est elle que nous allons étudier; nous verrons qu’elle s’affirme presque toujours par opposition à des erreurs déterminées.
« Vraiment, Dieu est un, et il n’y a pas de Dieu en dehors de lui; un aussi est Jésus*Christ, son Fils, » dit à Paul un de ses auditeurs (à Tyr? p. 59, lig. 9 du ms. copte); et ces paroles expriment nettement la croyance
chrétienne, en face du polythéisme et des théories gnostiques. « Il n’y a qu’un Dieu, » s’écrie de même le peu״ pie, épouvanté et ravi de ]a résurrection de Phrontine (épisode des mines). Dans les Acta Theclæ aussi, Dieu est «un et unique » (c. ix et xxxviii) ; il est le «Très״ Haut » (c. vi et xxix), le « Dieu vivant » (c. xxxvn). C’est par cette affirmation de l'unité de Dieu que débutent les « commandements » du Pasteur d’Hermas.
Mais quelle est la vie intime de ce Dieu? Et l’auteur des Acta Pauli a-t*il une idée nette de la Trinité? Nous pouvons répondre : non. Il distingue fort bien, comme le prouve déjà la première des paroles que nous venons de rappeler, le Père et le Fils; voir aussi Acta Theclæ, c. vi, xxiv, xxxvn, xlii ; Λ/., iv et vu, et l’épisode de Myre. I) nous est même permis de penser qu’il n’a pas ignoré le concept de λόγος, si, comme c’est très vraisemblable, c’est lui qui a fourni à Origène (voir son témoignage) la parole que celui-ci lui attribue. Mais il n’a aucune idée précise sur le Saint-Esprit, il semble bien qu’il le confonde avec le Fils et le Christ: en tout cas, le sens naturel de Corr., iii. 5 et 13, est que c’est l'Esprit qui s’unit à la chair en Marie. Auparavant, c’est déjà une « partie de l’esprit du Christ, » Corr., iii, 10, qui a été communiquée aux prophètes pour maintenir les Juifs dans la bonne voie; c’est encore l'Esprit qui parle en Myrtè dans les scènes de départ ; on voit comme toutes ces notions sont vagues. Elles ne le sont pas moins d’ailleurs dans le Pasteur d’Hermas, pour qui « le Fils, c’est le Saint-Esprit; 6 21 utbç לד χνβΰμα לד ϋγιόν 151ד*» {Si mil., v, 5, 2), qui a habité dans la chair, Si mil., v, 6, 5; ou dans la 11 Clem., ix, 5, où le Christ, « d’abord Esprit, est ensuite chair, ών μίν לד χρώτον πνιΰμα έγίνιτο σάρξ. »
Il est évident cependant que ce Fils a préexisté de tout temps à l’incarnation. Car lui-même est Dieu; c’est ce qu’affirment expressément Thècle (c. xlii) :
« 0 notre Dieu, Christ fils de Dieu, tu es Dieu, et à toi soit la gloire » (et c. xxix), et Ancharès dans le premier épisode : « Il n’y a pas d’autre Dieu que Jésus-Christ. » Ces expressions mêmes pourraient trahir un certain modalisme, si, ailleurs, l’auteur ne distinguait pas si nettement le Père et le Fils.
Étant Dieu, le Christ a donc pu agir avant l’incarnation; et de fait, c’est lui qui, nous l’avons vu, inspire les prophètes; il nous est même permis de penser que l’auteur lui attribue une certaine action dans la création; car quelques mss, grecs et latins, lui donnent dans Acta Theclæ, c. xxix, le titre de θιδς των ουρανών, Dieu des cieux,4 peut-être dans le même sens qu’Hermas, Si mil., v, 6, 5.
Dieu se suffît à lui-même; il est le θ·δς άζροσδβής, .*1. Th., c. xvn; mais il désire le salut de l’homme, χρήζων τής τών άνΟρώπων σωτηρίας, ibid. De fait, il est bon et miséricordieux, comme son fils Jésus-Christ; l’auteur, de même qu’Hermas, y insiste à plusieurs reprises, dans ce c. xvn des Acta Theclæ, et au. c. xxn : « 6«ός σπλαγ-χνισθιίς, Dieu étant ému de pitié. »
C’est donc par bonté que Dieu a créé l’homme, comme il a créé le ciel et la terre, qui sont réellement son œuvre; la lettre de saint Paul aux Corinthiens développe cette idée expressément contre les gnostiques; mais nous la retrouvons partout exprimée dans l’œuvre. Thècle, c. xxiv, invoque : « Πάτιρ, 6 χοιήσας τδν ουρανόν καί την γήν, Père, toi qui as fait le ciel et la terre; » l’épisode des mines reprend les mêmes expressions; et, dans celui de Myre, Dieu est appelé « Dieu de l’univers »; rien de plus nettement orthodoxe.
Après avoir créé l’homme par bonté, Dieu l’aime et le protège; il est son Père, Corr., ni, 7; il fera de lui son fils adoptif, Corr., iii, 8. Aussi ne veut-il pas que son œuvre soit amoindrie, nolens opus 8uum in fir mari, Corr., in, 12, ni perdue. Il envoie d’abord aux Juifs les prophètes, inspirés par l'Esprit du Christ; mais ils sont mis de côté par le « prince du siècle »; et celui*ci enchaîne l'homme par les liens de la volupté, se créant ainsi un empire sur lequel il veut régner « comme un Dieu » ; dès lors, c’est partout l'ignorance et l’erreur, άγνωσία xsl πλάνη (M., iv), l'impureté et la mort, A. Th., c. xvii. Mais Dieu veille, et après cette manifestation « partielle» de l'Esprit du Christ dans les prophètes, rendue stérile par le démon, il va manifester cette fois tout son Esprit ; il le fait « apparaître en ce monde » pour délivrer toute chair de la domination de la volupté et du « malin », Corr., in, 5, 6, 13, 15. Ainsi, le dogme de la rédemption n’est qu’un corollaire de celui de la création; nier l’un, c’est nier l’autre; c’est le même Dieu, dans sa bonté, qui fait naître et qui sauve, le même qui se manifeste, imparfaitement, mais réellement, dans l'Ancien Testament, pleinement dans le Nouveau; il faut donc croire à tous deux, et tous deux font partie de la Loi nouvelle. L’assertion des gnostiques, qui distinguent du Christ le Dieu des Juifs, est réfutée avec une grande précision, même, avec une forte logique, et par un bel aperçu sur les rapports de Dieu et de l'homme.
J’ai déjà dit plus haut comment cette œuvre de salut s’est accomplie : « Dieu a envoyé son Esprit en Marie, » Corr., ni, 5, 13; le Christ s’est uni la chair; l'affirmation en est très précise, et porte droit contre le docétisme; ce n’est pas un corps apparent qu’a pris le Seigneur, comme les gnostiques le prétendent; c’est une chair réelle; l’auteur répète à satiété, dans la lettre de saint Paul, in cor pore, in carne, et carnem, Cela rentre d’ailleurs dans l'économie, décrite plus haut, de la création et de la rédemption; les versets 6 et 16 de la Corr. en donnent la raison : « ut... li ber aret omium carnem per carnem tuam, pour délivrer toute chair par sa chair. » C’est la chair qui est tombée; c’est la chair nui doit être relevée par l’union avec Dieu.
Le Christ est donc né vraiment de Marie, de la race de David, Corr., m, 5, 13, et A. Th., c. 1, dans certains mss; et il y a en lui deux éléments, l'Esprit divin qui élève, et la nature humaine, qui est élevée. L’auteur ne cherche pas à expliquer, philosophiquement ou théologiquement, l'union de ces deux éléments; mais quand il fait agir le Sauveur, c’est à la fois comme Dieu et comme homme; et tout ce qu’il nous en dit nous montre bien qu’il voit en lui un Etre en qui deux natures sont intimement unies, et qui agit cependant comme un seul être, et, ajoutons ce mot qu’il ne prononce pas, comme une seule « personne ». Pas trace d’adoptianisme; c’est dès le premier moment, par le fait même de la conception miraculeuse, que l’union se consomme, et non pas au moment du baptême du Christ par saint Jean.
Il s’agit d’ailleurs de sauver l’homme; et ce salut est dû à ce que Dieu se l’unit à lui-même; et ce qui importe avant tout pour l’auteur des Acta Pauli, c’est la dignité du Sauveur, qui va en quelque sorte nous diviniser. Aussi, l’appelle-t-il le « Seigneur », « Notre-Seigneur », en de très nombreux passages, A. Th., c. xxi, etc.; Cor., 1, 1, etc.; M., 1, etc., et dans les différents épisodes. Il est, lui aussi, le Osbç ζών, le Dieu vivant comme son Père, A. Th., c. xvii, xxxviï; M., iv, v. Il est roi, et le Mart, lui donne ce titre souvent, en en développant longuement le sens; ses disciples sont aussi ses soldats. Remarquons-le, jamais il ne porte dans l’œuvre le nom de Jésus, qui ne se trouve que trois fois dans des parties interpolées1, ce nom que des hérétiques voulurent appliquer au Sauveur-homme; il est appelé toujours le «Christ », ou le« Christ Jésus ». C’est, encore une fois, que l’auteur voit surtout en lui sa dignité de Dieu, qui sauve notre chair en la prenant. Aussi, est-il « seul la voie du salut et le fondement de la vie éternelle; ουτος γάρ μόνος σωτηρίας όοός καί ζωής αθανάτου ύζόστασίς έστιν, » A. Th., c. χχχνιι ; cf. aussi Corr., ni, 6. Quiconque donc croit en lui vivra pour l’éternité : Μακάριος έκεΐνος ô άνθρωπος, 5ς ζιστεύσει αύτώ, και ζήσεται εις τον αιώνα, Λ/., ιν. Inversement, « quiconque ne croit pas en lui ne vivra pas, mourra au contraire pour l’éternité : 5ς έάν μή πιστέ,ση εις αύτόν, où ζήτεται αλλά άποθανεΐται εις τούς αιώνας, » A. Th., e. χχχνιι. Cf. c. xxviii et Corr., iii, 19,20. Il est le gage de la récompense des justes; et c’est lui qui les« revêtira du salut, » A. Th., c. xxxviii. Et ce sont tous les hommes qu'il veut sauver; il n’y a pas pour son amour de race privilégiée: il délivrera toute chair, omnem carne m, Corr., iii, 6, 16; « personne n’est exclu du service de sa royauté, » M., iii.
1. Aussi, toutes les considérations de Berendts, Zur Christologie des apokryphen dritten Korintherbriefea, p. 12 sq., sur co nom portent-elles à faux. Cet emploi du nom de « Christ», Harnack, Dogmengeachichte *, 1.1, p. 154, n. 2, l'indique avec raison comme devenant beaucoup plus fréquent que celui de « Jésus», dans la seconde moitié du 11· siècle.
Ce sont tous les hommes aussi qu’il jugera; à titre de Sauveur et de roi, il fera au dernier jour la distinction entre les bons et les méchants; cette fonction lui est due; c’est celui-là même qui a prodigué les bienfaits qui doit savoir si on y a répondu d’une façon satisfaisante; c’est e maître qui doit décider si on a bien observé sa loi; pour toutes ces raisons, le Christ apparaîtra en « Dieu des châtiments, Οεδς έκσικήσεων, » A. Th., c. xvn, en « juge », Λ/., iv, en « juge des vivants et des morts » (épisode de Sidon). C’est là une pensée rappelée souvent à cette époque; je cite seulement l’épitre de saint Poly-carpe, 11, 1;VI,2; xii, 2, et, pour son analogie frappante avec la parole que je viens de rappeler, celle de II Clem., 1, 1 : « Frères, il faut avoir de Jésus-Christ cette idée qu’il est Dieu, et le juge des vivants et des morts; έΒβλροί, ούτως Bsî ή^ίς φρονειν περί ’Ιησού Χριστού ως περί θεού, ώς περί κριτού ζώντων καί νεκρών. » Cette pensée était d’autant plus répétée que l’apparition du Juge était regardée par beaucoup comme toute proche; « il viendra promptement, velociter veniet, » Corr., in, 3, fait dire l’auteur à saint Paul; et Hermas, Vis., m, 8, 9, etV Épître de Barnabé, iv, 3; xxi, 3, donnent le même avertissement.
En cherchant à nous sauver, le Christ nous a donné l’exemple de ce que nous devions faire pour mériter ce salut. Ce qui nous empêche d’aller à lui, ce sont les « liens de la volupté », qui nous enchaînent, sous l’empire du démon. Aussi, lui-même a-t-il réalisé dans sa personne de Sauveur un « temple de justice ». Corr., m, 17, et a-t-il arraché ainsi la chair à la domination du « pervers». Nous-mêmes nous devons l’imiter; et l’auteur <les Acta Pauli, comme beaucoup de ceux du 11e siècle, insiste sur la nécessité des œuvres. Nous devons devenir les temples de Dieu, en gardant chaste notre chair, .1. Th., c. v; c’est exactement ce que dit aussi II Clem., ix, 3 : « 2ε׳ ouv ήμάς ώς vaôv Osoû φυλάσσειν την σάρχα, il faut donc que nous préservions notre chair, comme le temple de Dieu. » La justification ne se fait pas seulement par la foi et par la parfaite obéissance à Dieu; c’est en réalité le point de vue de saint Jacques beaucoup plus que celui de saint Paul; et il s’agit ici d’une justice agissante. Aussi, dans les A. Th., c. iv, Onésiphore répond-il à Démas et à Hermogène, qui se plaignaient de son froid accueil : « Je ne vois pas en vous de fruit de justice, ούχ όρώ έν ΰμίν χαρζδν δικαιοσύνης ; » et l’épisode de Tyr nous a laissé une parole plus significative encore : « L’homme n’est pas justifié par la loi, il est justifié par les œuvres de justice. » Saint Paul, Corr., 111, 35, « porte les stigmates du Christ » pour « avoir part à la résurrection. » Ainsi, sur la nécessité des bonnes œuvres pour le salut, insiste souvent il Clem., 1, 1, 5; 111, 3, 4; iv, 3, etc.; ainsi, le pseudo-Barnabé, xix, 10, etc.
Quelles sont exactement pour notre auteur ces œuvres de justice? Nous touchons ici à un des points de doctrine les plus importants et les plus délicats des Acta Pauli, Il y a sans doute beaucoup de ces œuvres. Notons la prière, le jeûne, que les chrétiens pratiquent dans les circonstances quelque peu extraordinaires de leur vie; saint Paul jeûne « plusieurs jours » avec Onésiphore et toute sa famille, dans A. Th., c. xxiii, « trois jours » à Sidon, « deux jours » pendant son séjour dans les mines, etc.; les fidèles l’imitent; ainsi, Ancharès à Antioche. Les ennemis de Paul, au contraire, Démas et Hermogène, se réjouissent de profiter d’une table riche et se laissent ainsi facilement séduire, A, Th., c. xm. Notons aussi le service des pauvres, A, Th., c. xli, tant recommandé par Hermas, qui le préfère au jeûne, Simil., v, 3, 7, ainsi que II Clem., xvi, 4; et le service des veuves (épisode de Myre); enfin, la renonciation à tous les biens matériels : Onésiphore les abandonne pour suivre saint Paul avec toute sa famille, A. Th., c. xxiii; et saint Paul proclame heureux ceux qui« s’abs* tiennent de ce monde, » A. Th., c. v.
Mais la meilleure de toutes ces œuvres et la plus recommandée est l'άγνβία, la chasteté, qui se confond avec la sainteté. De même que le démon avait enchaîné l’homme par la volupté, de même c’est en ayant celle« ci en horreur que nous échapperons à son empire, et que nous nous approcherons de plus près de notre Dieu Sauveur. C’est dans la figure de Thècle, renonçant à un mariage en apparence si heureux, pour écouter, plus tard pour propager « la parole de la chasteté, ô πβρί άγν«(ας λόγος, » A. Th., c. vu, que l’auteur a le mieux incarné son idéal. Cet idéal, c’est la« vie pure,ζην άγνώς,» A. Th., c. ix; et l’auteur va jusqu’à prêter à Démas et à Hermogène ce résumé, qui est le vrai à ses yeux, de l’enseignement de saint Paul : « "Αλλως άνάστασις ΰμΐν ούχ ϊστιν, έάν μη άγνοί μβίνητβ χαί την σάρχα μη μολύνητβ άλλα τηρήσητβ άγνήν, Il n’y aura de résurrection pour vous que si vous restez chastes, et si, loin de souiller votre chair, vous la gardez pure, » A. Th., c. xn. 11 est très curieux de comparer à ce point de vue les treize macarismes des c. v et vi des Acta Theclæ avec ceux du sermon sur la montagne. Ils n’ont guère de commun avec ceux-ci, outre le premier tout entier, que la forme eschatologique de leurs conclusions; il y en a quatre exactement, et on pourrait y ajouter le premier sur la pureté du cœur, qui recommandent la chasteté, et deux, l’abstention des biens de ce monde.
C’est une exagération évidente; il y a là une inintelligence réelle du véritable enseignement de l'Évangile, et de celui de saint Paul, surtout dans I Cor., vii; il faut remarquer cependant que cette exagération n’a pas dû paraître aller jusqu’à l’hérésie des encratites, combattue dès cette époque par les Pères. Même dans la parole citée plus haut, et qui est la plus forte en faveur de l’encratisme, puisqu’elle fait de celui-ci la condition du salut, les termes employés signifient proprement « chasteté », et peuvent être interprétés dans le sens contraire à celui de la « fornication », sens vague, qui n’exclut pas du tout le mariage, puisque celui-ci n’est pas une « fornication ». Il est vrai que l’auteur lui-même donnait à peu près à ces mots άγνβΐζ et &γνές une signification qui se confond avec celle de « continence » parfaite; mais les lecteurs pouvaient très bien l’atténuer. Du reste, il ne semble pas qu’ailleurs, l’auteur ait présenté la continence comme un devoir absolu, mais seulement comme un conseil très pressant, dans l’expression duquel il a toujours été vigoureux, rarement modéré; il y a là une nuance que les critiques n’ont pas assez vue. La figure de Thècle est une figure idéale, qu’il faut admirer et reproduire en soi-même autant que possible, mais si parfaite qu’il est impossible d’exiger l’égalité complète avec elle. D’autre part, Onésiphore et Lectra sont chrétiens depuis un certain temps; c’est dans la foi peut-être qu’ils ont engendré leurs deux jeunes enfants, bien qu’ils semblent plutôt avoir été convertis par Tite ; en tout cas, ils restent unis ; et cependant Paul les traite en amis intimes et ne leur adresse pas l’ombre d’un reproche; notons même ce joli trait :en abordant le chef de la famille, « il sourit ». Comment concilier cette attitude avec la doctrine de la nécessité absolue delà continence? Non, l’auteur des Acta Pauli n’a pas su rester modéré; mais enfin il s’est arrêté, sauf en un passage, à la limite extrême de la véritable doctrine; il n’a eu que le tort de vouloir transporter dans la vie ordinaire ce qui devait être plus tard la conception de l’idéal chrétien.
En tout cas, l’ascèse telle qu’il la comprend n’a absolument rien à voir avec cet encratisme gnostique qui rejetait toute œuvre de chair, parce que celle-ci est essentiellement mauvaise, et la créature d’un être mauvais. Nous connaissons assez ses doctrines antignostiques sur la création et l’incarnation pour ne pas pouvoir en douter.
Les œuvres de justice sont la condition de la résurrection de la chair. Et ici encore, nous trouvons nettement affirmée, contre les gnostiques, cette résurrection des corps que leur système ne pouvait admettre. Elle est la dernière conséquence de la création et de la rédemption, dont elle forme le couronnement, Corr., iii, 6. Ce corps, que le Christ s’est uni, sera glorifié en lui; il en a lui-même donné l’exemple par sa propre résurrection; et, comme lui, tous les justes ressusciteront. Cette affirmation est longuement développée en particulier dans la seconde partie de la lettre de Paul aux Corinthiens, d’accord avec I Clem., xxiv-xxvi, 3; et il est inutile d’y insister. Les Acta Thecla nous en donnent une idée beaucoup moins complète, mais suffisante encore, en prêtant aux deux ennemis de Paul cette explication évidemment gnostique, que « la résurrection s’est faite déjà par la génération des enfants, » Acta Th., c. xiv.
Cette résurrection est pour les justes une récompense; il y a corrélation entre elle et les œuvres, en particulier la continence, et c’est pour cela que le discours de Paul se déroule parfois « ζερί έγχρατ<ίας χαί άναστάσιως, sur la continence et la résurrection, » A. Th., c. v. Cette récompense se continuera par la vie éternelle; la chair des bons jouira de la même gloire que celle du Christ lui*même, après avoir été comme elle un « temple de justice ».
Quant à ceux qui n’ont pas voulu de cette union, qui sont restés attachés à ces voluptés qui les retenaient dans l’empire du démon, ils ne peuvent, dans la pensée de l’auteur, jouir de cette résurrection, puisqu’elle est une récompense; leurs corps ne se réveilleront donc pas au jour du jugement, Corr., m, 22. C’est là une théorie bien particulière, que nous retrouvons cependant dans la Didachè, xvi, 7, et qui peut venir indirectement d’une influence juive. Ce corps restera en proie à la pourriture et les âmes seront jetées au feu éternel, Corr., m, 37, comme le disent aussi Hermas, Vis., 111, 7, 2; Si mil., iv, 4, et II Clem., vi, 7, etc.
D’ailleurs, avant cette résurrection des corps, les justes «vivent », immédiatement après la mort, d’une vie heureuse, comme le montre saint Paul, en apparais* sant, selon sa promesse, au persécuteur Néron, M., iv, vi.
On le voit, c’est avant tout l’incarnation qui appelle l'attention de l’auteur, beaucoup plus que la mort de Notre-Seigneur sur fa croix. 11 mentionne sans doute celle«ci à plusieurs reprises, mais sans jamais s’y arrêter, comme s’y arrêtent par exemple saint Ignace, Eph., 1, 1; Magn., ix, 1, ou saint Polycarpe, 1, 2; vin, 2; les doctrines gnostiques qu’il combat l’attirent vers le fait de l’incarnation, qui nous élève jusqu’au Seigneur en élevant notre chair, et est la cause, en définitive, de notre résurrection et de notre glorification»
Par cette union de toute chair à Jésus-Christ, naît la grande communauté chrétienne; et l’on ne peut s’empêcher, à ce propos, bien que l’auteur ne parle pas de !*Église, de songer à l'insistance avec laquelle II Clem., xiv, 1-5, compare l'Eglise à la chair du Christ, d’après Éphes., v, 29.
Qui peut parler au nom de cette Église, ou plutôt au nom de Jésus-Christ? Avant tout, les apôtres; ici l’apôtre saint Paul. Le respect le plus profond se manifeste dans les Acta Pauli pour tout ce qui vient de lui ou d’eux; les Corinthiens écrivent à Paul, Corr., 1, 3, 4 : « Examine ces doctrines; car nous ne les avons jamais entendues ni de toi, ni des autres apôtres; » et Paul lui-même, Corr., 111, 4, leur répond que, «dès le début de son enseignement, il leur a livré ce qu’il avait reçu des saints apôtres ses prédécesseurs. » Tant était grande alors l’attention que l’on apportait à tout ce qui pouvait venir de ces temps, qui paraissaient déjà lointains ! Tant on sentait dès lors le besoin de rattacher l’enseignement, par une suite ininterrompue de témoins indiscutables, à celui du Sauveur lui-même !
De la hiérarchie, l’auteur des Acta Pauli ne nous dit à peu près rien, et se contente de mentionner, outre les presbytres qui envoient à Paul la lettre des Corinthiens, Corr., 1, 1, les deux diacres qui la portent à Philippi, ii, 1, et les deux chrétiens, Cléobius et Myrtè, qui, au moment du départ de Paul, prophétisent, sous l’influence de l'Esprit. Cela ne suffit pas pour nous donner une idée de ce qu’était cette hiérarchie. On peut dire cependant qu’elle ressemble à celle dont parle la Didachè, qui toutefois ne souffle mot des rpsaêyrtpoi, et ne mentionne que les irf?xoxot.
Une des grandes preuves de la valeur de l’enseigne-ment, en dehors de son origine même, c’est le miracle. A la suite de la seconde série d’épreuves dont Thècle sort victorieuse, les femmes d'Antioche s’écrient : « Il n’y a qu’un Dieu, celui qui a sauvé Thècle, » A. Th., c. xxxviii. Dans le premier épisode, Ancharès se convertit après la résurrection de son fils : à Myre, Hermocrate, l’hydropique, dit à Paul : « Guéris-moi, afin que moi aussi je croie au Dieu vivant. » Quand l’apôtre, prisonnier dans les nvnes, ramène Phrontine vivante, le peuple, d’abord épouvanté, reconnaît ensuite qu’il « n’y a qu’un Dieu, qui a créé le ciel et la terre, celui qui a rendu la vie à la jeune fille sur la prière de Paul. » Le miracle est accordé parfois aussi pour secourir les croyants. Tel, celui qui ressuscite Patrocle, Vf., 1, ceux qui préservent Thècle pendant son martyre, celui qui, à Myre, rend Dion à la vie, ainsi que l’apparition de saint Paul à Néron. Reconnaissons-le donc ; ils ont tous un sens, ou à peu près, et ne sont pas imaginés seulement pour satisfaire le goût naturel du peuple pour le merveilleux, goût qui, favorisé par quelques prodiges réels, se manifeste si souvent pendant le iie siècle. Louons l’auteur de n’avoir pas trop multiplié, et à plaisir, comme tant d’autres œuvres apocryphes, les miracles enfantins, ridicules ou absurdes.
Il est inutile de nous arrêter sur la question du droit des femmes à baptiser. Nulle part, l’auteur ne le reconnaît; Thècle se baptise elle-même; et encore, par une faveur spéciale, qu’elle rappelle, analogue à celle même qui a donné à Paul le droit de prêcher, A. Th., c. xl ; « Celui qui t’a communiqué sa force pour l'Évangile, me l’a donnée, à moi aussi, pour le baptême; » on ne voit pas qu’elle ait conféré à d’autres ce sacrement. 11 est bien vrai cependant qu’elle enseigne; Paul lui dit : « Va, et enseigne la parole de Dieu, » A. Th,, c. xli; mais ce droit lui-même vient également d’une faveur toute particulière; et Thècle ne l’exerce jamais dans une communauté, à titre, même supposé, de διδάσκαλος officiel de cette communauté.
Comment devient-on chrétien? Par le baptême, que l’auteur appelle, tantôt bain, λούτρον, une fois eau, ΰ'ϊωΓ, A, Th., c. xxv, mais surtout σφραγίς, σφραγις έν χυρ(ω, le sceau, le sceau dans le Seigneur, une expression employée aussi par Hermas, par 11 Clem., et par les Actes apocryphes de saint Pierre. Ce sceau se reçoit « au nom de Jésus-Christ, έν τω όνό',χατι *Ιησού Χριστού, » A. Th., c. χχχιν, comme, dans Hermas, « au nom du Seigneur, » Vis., 111, 7, 3. 11 efface sans doute tous les péchés, bien que l’auteur ne le dise pas expressément, puisque celui qui croit en Jésus-Christ « est sauvé de toute souillure, de toute impureté, et de toutes les mauvaises pensées » (épisode de Sidon). Mais en même temps il nous impose le devoir de conserver intacte la pureté de notre corps, devenu le corps du Christ, et cela, par toutes les œuvres de charité dont nous avons parlé plus b <t. Aussi, est-il bien difficile de « garder le baptême, τδ βάχτισμα τηρεΐν», et« heureux » sont ceux qui y parviennent, A. Th., c. vi. En tout cas, ce n’est qu’après avoir montré qu’on en est digne, et qu’on peut supporter les épreuves les plus terribles, qu’on mérite de le recevoir. Quand Thècle, sauvée du bûcher, demande à Paul dele lui conférer, celui-ci craint pour elle quelque faiblesse dans « une épreuve pire que la première, » et lui dit de « prendre patience ».
Ces précautions avant le baptême supposent-elles que le baptisé, après une chute, ne pourra pas rentrer dans la communauté par la pénitence? C’est possible; mais nous ne pouvons rien dire là-dessus, car nous n’en trouvons pas un mot dans les restes des Acta Pauli. La valeur des fautes ne s’y mesure pas; pour elles ne sont pas indiquées de peines déterminées; nous apprenons seulement que celui-là seul sera « dans la gloire de Dieu, » dont « le cœur reste pur » et « la chair chaste. >
Les chrétiens se réunissent pour fêter l’eucharistie, qui est simplement appelée ici «χλάσις άρτου, la fraction du pain, » A. Th., c. v, comme une fois κλάσμα, dans la Didachè, ix, 4. Était-elle accompagnée de l’agape? Rien non plus ne nous en instruit; car l’auteur ne parle pas de l’eucharistie, en mentionnant une de ces agapes, A. Th., c. xxv. Celle-ci est très frugale, conformément à l’esprit du livre; elle consiste en «pains, légumes et eau; » mais cela ne nous indique pas du tout que ce soit l’eau seule qui ait servi comme un des éléments de l’eucharistie, et il ne nous est pas permis de préjuger contre l’auteur cet usage, condamné peu après par saint Irénée et par Clément d’Alexandrie, et qui avait dû se glisser dans quelques communautés.
Quelles sont les cérémonies de ces fêtes chrétiennes? Nous n’en savons rien d’après les Acta Pauli, qui ne nous donnent que quelques vagues indications. Signalons la prière, rappelée naturellement très souvent, le signe de la croix, qui se faisait en étendant les bras, et en reproduisant ainsi l’image de la croix, A. Th., c. xxii, xxxiv, et les génuflexions, 4. Th., c. v, xxiv; épisode des mines. L’auteur, et c’est là un fait très curieux, accorde même à la prière la puissance toute particulière de faire aller la païenne Phalconille, déjà morte, au « séjour des justes, » A. Th., c. xxix, xxxix; sainte Thècle obtient du ciel cette faveur. C’est également à une martyre, sainte Perpétue, que la relation de ses épreuves, au début du iiie siècle, attribue le pouvoir d’avoir tiré, par sa prière, du « sombre lieu », son frère Dinocrate, mort sans baptême, pour le transporter dans la lumière 3.
En somme, à part deux points particuliers et l’exagération de la doctrine sur la chasteté, qui parait recommandée parfois comme un précepte plutôt que comme un conseil, nous ne trouvons rien dans les Acta Pauli qui ne soit conforme à la théologie de l'Église catholique du iie siècle, et cela nous explique l’accueil favorable qu’ils ont reçu de toutes parts dès leur apparition. Du silence de l’auteur sur beaucoup de questions importantes, silence qu’il ne rompit sans doute pas complètement même dans les parties perdues de l’ouvrage, n- as n’avons pas à nous étonner. Puisqu’il voulait surtout édifier, il n’a dogmatisé qu’autant que cela devait servir à l'instruction de ses lecteurs; et forcément, son attention devait, à ce point de vue, être appelée sur les doctrines qui pouvaient les entraîner à l’erreur, et qui cherchaient alors à se glisser dans leurs rangs. Aussi, son apôtre Paul ne peut-il être tout à fait celui qui lutta si énergiquement contre les prétentions excessives des judéo-chrétiens; il devient surtout un adversaire du gnosticisme, de Simon et de Cléobius, de Démas et d’Hermogène; il insiste sur l’unité de Dieu créateur, sur l'in« carnation, sur la résurrection des corps, sur la nécessité des œuvres, surtout de la chasteté; cependant, à l’occasion, nous l’avons dit, il lutte aussi contre le paganisme et contre le judaïsme, dans des parties de l’œuvre qui malheureusement ne nous sont parvenues qu’en fragments ou même sont complètement perdues.
Nous avons pu maintes fois rapprocher ces idées de celles d’autres œuvres du iie siècle, destinées au peu« pie, comme le Pasteur d’Hermas, la Didachè, et cette II Clem. avec laquelle les Acta Pauli ont tant de points de contact. Leurs tendances particulières mêmes se retrouvent dans l’une ou l’autre ou dans plusieurs de ces œuvres. Ils nous donnent donc bien une idée de ce qu’était, dans certaines communautés chrétiennes, la religion telle que le peuple la comprenait. Cela ne veut pas dire qu’il faut y chercher l’expression authentique de la vraie foi; le fait seul que l’œuvre, dans son ensemble, est un faux, nous l’interdirait; mais il n’en est pas moins intéressant de noter ses doctrines, et de les replacer, autant que possible, dans leur milieu.
CHAPITRE IV
L’accord entre les doctrines des Acta Pauli et l’accueil qui leur fait dès .,e début est assez frappant pour que nous y voyions une forte preuve que le texte que nous possédons dans les Acta Theclæ et le martyre, ainsi que ceux des versions, pour la correspondance et les autres épisodes, sont identiques, sauf des variantes de détail, au texte primitif. Entre ]es meilleurs mss il n’y a pas de différence vraiment sensible, j’entends, par là, de différence qui altère l’esprit général ou dénature le récit. Il faut étudier cependant de plus près cette question.
Nous établirons d’abord que les débris de la version copte, découverte par C. Schmidt, appartiennent réellement aux Actes de Paul les plus anciens que nous connaissions; en d’autres termes, que l’original qu’elle a traduit est un texte de tout point identique, à part, encore une fois, des variantes sans importance, au texte même qui nous est resté dans les Acta Theclæ et le martyre, et qui a servi aussi pour les versions arménienne et latine de la correspondance. Après avoir prouvé l’identité du texte conservé dans les Acta Theclæ et le martyre, et de celui reproduit par la version copte, nous nous demanderons si ce texte est vraiment primitif, et nous réfuterons les critiques qui ont cru trouver des traces d’une rédaction plus ancienne.
1. Identité du texte des Acta Theclæ et du Martyre avec celui qui a servi d'original à la version copte.
Nous verrons dans les notes critiques que la version copte est, dans la très grande majorité des cas, d’accord avec les meilleurs mss des Acta Theclæ, du martyre et de la correspondance. C’est une présomption très grave que l’original qu’elle a utilisé est bien l’œuvre dont ces fragments ne sont que des parties, et qu’elle mérite tout autant de considération pour les autres épisodes.
De plus, le lien qui unit ceux-ci entre eux, comme aussi avec les trois principaux fragments, paraît, à la seule lecture, aussi naturel que possible. Disons d’abord que le cadre correspond jusqu’à un certain point à celui des voyages de Paul d’après les Actes canoniques; nous reviendrons sur ce sujet, qui mérite un examen à part (p. 113 sq.). Cet accord avec les Actes, si peu complet soit-il, suffit à rendre très vraisemblable que l’ensemble a bien été celui que la version copte nous donne. Si l’auteur n’a pas copié servilement son modèle, c’est que son amour-propre d’écrivain lui a fait glisser dans l’œuvre des différences, mettre des transpositions destinées à faire valoir son originalité. On reconnaît néanmoins son guide; et ce fait seul prouve beaucoup en faveur de l’origine de la version copte. D’ailleurs, c’est partout le même emploi des livres canoniques; là-dessus aussi, nous reviendrons.
Chaque épisode annonce très simplement le suivant et suppose le précédent, sans que nulle part on aperçoive trace sérieuse d’effort, sans que des pièces nouvelles fassent tache sur un habit ancien. Je me bornerai à montrer comment chacun des trois principaux fragments s’encadre fort bien avec les épisodes de la version. Les Acta Theclæ commencent par ces paroles : « Comme Paul montait vers Iconium après sa fuite d’Antioche...; » cela suppose évidemment que l’apôtre a passé quelque temps dans cette dernière ville ; ce séjour est en effet l’objet du récit qui précède les Acta Theclæ, Au c. xli, quand Thècle revient à Iconium, elle laisse Paul à Myre, où nous retrouvons celui-ci dans le troisième épisode, après que l’auteur nous a dit quelques mots de la fin de la vie de Thècle.
C’est pour la correspondance apocryphe entre saint Paul et les Corinthiens que la preuve est le plus frappante. Entre la lettre des derniers et celle du premier, se placent quelques phrases qui supposent pour cette correspondance un cadre plus large, et qui amènent naturellement à conclure qu’elle devait être placée dans un long récit. Il en est de même du verset 8 de Corr., 1, qui fait allusion à des épreuves subies par l’apôtre, et dont il serait sorti sain et sauf, d’après la prophétesse Théonoé. Chose curieuse, La Croze et surtout Zahn en avaient été tellement frappés qu’ils en avaient conclu que les deux lettres ne pouvaient appartenir qu’à ces Παύλου χράξιις dont l’antiquité avait souvent parlé. Or. la version copte est venue donner à leur supposition une confirmation éclatante; c’est un fait comme il est, hélas !trop rare d’en enregistrer en faveur de la critique; et il est extrêmement favorable au texte trouvé par C. Schmidt, qui explique fort bien les raisons de l’envoi de la lettre.
Enfin, le martyre de Paul est lui-même nettement annoncé par ce texte, tout mutilé qu’il soit dans la scène de départ dont nous allons parler. Là, Paul exprime sa confiance dans le Seigneur. Au milieu du trouble et de l’angoisse des frères, l'Esprit parle en Cléobius, et dit ; « Laissez aller Paul... 11 doit enseigner, faire connaître et semer la parole, de telle sorte qu’il excitera la jalousie, et qu’il sortira de ce monde. » C’est l’annonce du martyre. Le même Esprit, par la bouche de Myrte, insiste sur la fécondité de l’apostolat à Rome : « Paul, le serviteur du Seigneur, en sauvera beaucoup dans Rome, et en éduquera beaucoup par la parole, si bien que leur nombre ne se pourra compter... »
Il est inutile, je crois, d’insister sur ces liens, aussi étroits que possible, dans une œuvre dont les parties offrent cependant entre elles une certaine indépendance. Mais les doctrines aussi sont les mêmes ! J’en ai traité dans le chapitre précédent: et il n’est guère d’aflirmation importante qui ne trouve son expression, ou du moins à laquelle il ne soit fait allusion, à peu près partout à la fois. C’est la même croyance dans le même Dieu, un, créateur et sauveur, dans la résurrection des corps, et dans la beauté de la chasteté; je n’insiste pas. L’allure même du récit et le style sont partout les mêmes. Il me semble donc impossible de douter que la version copte ne nous donne vraiment l’ensemble dont nous ne connaissions plus que les Actes de Thècle, la correspondance apocryphe, et le martyre.
2. Ce texte des Acta Theclæ, du Martyre et l'original de la version copte et de la correspondance sont bien le texte primitif.
Mais cet ensemble est-il vraiment primitif? N’y a-t-il pas dans l’œuvre, telle que nous la lisons, des traces d’un esprit tout différent de celui qui anime sa rédaction? Par suite, celle-ci n’est-elle pas simplement un remaniement, plus ou moins habile, d’un travail plus ancien encore, et d’esprit nettement autre? Il est curieux qu’à cette question, deux intelligences de tendances pourtant bien opposées, et par une obéissance trop docile à ces tendances mêmes, aient répondu toutes deux de la même façon : les premiers Actes étaient franche* ment hérétiques; et les nôtres ne sont que le remaniement catholique d’une œuvre plus ancienne, aujourd’hui perdue. 11 est vrai que ces deux critiques ne parlaient que des Acta Theclir, mais nous avons constaté une si étroite union entre eux et les Acta Pauli que leur solidarité doit être complète, dans l’éloge et le blâme, dans les doutes à lever, ou les problèmes à résoudre; étudier l’épisode de Thècle, c’est étudier en même temps l’œuvre tout entière.
Donc, le catholique Stilting4 croit que le travail primitif contenait des récits fabuleux, qui lui ont valu précisément les blâmes de Tertullien et de saint Jérôme. La piété catholique l’a expurgé ensuite, blessée qu’elle était, comme ces Pères, par des merveilles aussi ridicules que le « lion baptisé », ou des droits aussi exorbitants que celui de baptiser et d’enseigner, conféré à Thècle. Le protestant Lipsius 5, de son côté, reprend ici sa thèse favorite de l’origine gnostique de tous ces Actes apocryphes.
Le raisonnement de Stilting est réfuté par ce que nous avons dit des témoignages de Tertullien et de saint Jérôme; et il ne nous reste qu’à étudier les arguments de Lipsius, parce qu’ils reprennent et complètent toutes les objections qu’on avait pu faire avant lui contre l’an·tiquité du texte que nous étudions.
Les voici : 1° ce sont d’abord les paroles de saint Je-rôme, qui, encore une fois, s’expliquent autrement.
2° C’est ensuite l’homélie du pseudo-Chrysostome, qui suppose, d’après Lipsius, un récit différent du nôtre. .Mais nous avons constaté (voir Témoignages, ve siècle, p. 55 sq.) ]e caractère oratoire de ce fragment de panégyrique, caractère qui nous explique les divergences de son auteur et de nos Acta Theclæ, sans d’ailleurs détruire complètement les ressemblances, et qui lui enlève à peu près toute valeur pour une étude de texte.
3° Il y a d’évidentes lacunes dans nos Acta Theclæ, dit Lipsius; et c’est précisément l’une d’entre elles que l’homélie précédente nous aurait aidés à combler. Lipsius en trouve après le c. xxii, où l’auteur, après avoir montré Thècle sauvée du bûcher, nous laisse pendant six jours tout ignorer d’elle, et ne la place qu’après ce laps de temps considérable, et tout à coup, en face du fils d’Onésiphore. De même, au c. xxvi, Paul disparaît subitement; les c. xxxiv et xxxv présentent, dans l’amphi théâtre, les bêtes fauves, d’une manière tout à fait inattendue, en particulier les phoques dans leur pièce d’eau. Schlau avait répondu d’avance à cette objection en expliquant ces soudaines apparitions ou disparitions par la manière même de l’auteur; il y a, dans ces brusques arrêts du récit, de la maladresse; mais le nombre même des exemples cités par Lipsius prouve que l’auteur lui-même les a voulus, ou du moins qu’il ne savait pas les éviter. De la part d’un interpolateur, ils ne s’expliqueraient d’ailleurs guère plus; on peut dire même qu’on pourrait s’attendre de la part de celui-ci à plus de soin pour cacher ses innovations et ses coupures; fût-ce par une seule phrase, il chercherait à pallier l’impression de décousu que nous donnent les passages incriminés. Cette impression n’est d’ailleurs pas si forte, et aucun romancier, pieux ou non, d’autrefois ou d’aujourd’hui, ne se croit jamais obligé de raconter jour par jour les faits et gestes de ses héros.
4° Trois traits des Acta Theclæ feraient aussi allusion, d’après Lipsius, à des détails perdus : la mention d’une maison d’Hermaios au c. xli, d’un emprisonne· ment de Thècle au c. xlii (βοηθάς iv φυλακή, [Dieu],
qui m’as secourue dans ma prison) ; enfin, du secours que le Christ aurait apporté à Thècle en se tenant à ses côtés, d’après la version syriaque : « Celui qui se tenait à mes côtés est le fils du Dieu vivant, » c. xxxvn. Mais le premier de ces traits est bien conforme aussi à la manière de l’auteur, et prouverait plutôt l’ancienneté de la version copte; car, dans plusieurs épisodes, Paul trouve ainsi, dans chaque ville, un chrétien chez qui loger; et nous verrons qu’à Myre, il séjourne chez un homme, qui, sans doute, est précisément Hermaios. D’autre part, l’emprisonnement de Thècle n’est pas mentionné par tous les mss, et peut s’entendre de ce séjour surveillé chez Tryphaine, que le gouverneur voulut bien accorder, et par lequel fut sauvegardée la virginité de la sainte. Enfin, il est évident que les mots de la version syriaque, que celle-ci est seule à donner, peuvent parfaitement se prendre au sens figuré, et ne supposent aucune apparition réelle du Christ.
5° Différentes doctrines des Acta Theclæ, en particulier celle de l’ascèse, sont franchement gnostiques, et se retrouvent dans les autres Actes apocryphes. J’ai expliqué comment il fallait entendre exactement l’encratisme des Acta Pauli, et montré en tout cas qu’il était allé à des doctrines antignostiques indéniables, et qui pénètrent toute l’œuvre. Ce serait accorder beaucoup d’habileté a eux qui ont remanié l’ensemble que de croire qu’ils ont pi ,e transformer au point de rendre aussi nettement catholique ce qui aurait été primitivement hérétique. Et, s’ù l’ont fait pour les doctrines de la création, de l’incarnation et de la résurrection des corps, pourquoi ne l’auraient-ils pas fait également, et aussi bien, pour ce qui concerne l’ascèse? La vérité est que celle-ci était recommandée avec exagération! il est vrai, mais dans un esprit catholique, et que, pour les catholiques, il a suffi de donner au conseil moins de rigueur pour l’accepter fort bien.
On le voit d’ailleurs, ceux qui, d’après Lipsius, auraient refait l’œuvre primitive, se seraient livrés à un travail plutôt négatif, ils auraient simplement retranché tout ce qui pouvait être occasion de scandale; il faudrait donc s’attendre à ce que la version copte, qui, à en juger par son accord avec le texte grec des Acta Theclæ, fut évidemment faite sur le remaniement, présentât un ensemble sensiblement moins long que les 3560 ou 3 600 stiques du Codex Claromonlanus et de Nicéphore. Or, autant que permet de le calculer l’état du ms., C. Schmidt a pu se rendre compte qu’il avait précisément cette étendue. La thèse de Lipsius croule donc de tous côtés.
Ramsay 6 soutient, sur les Acta Theclæ, une thèse analogue en partant d’un point de vue tout à fait différent. Il retrouve en eux un fond vraiment historique. Les renseignements ayant ce caractère, l’auteur les aurait empruntés à un écrit primitif, dû à la plume d’un Phrygien, et composé vers 50-70, très peu de temps après les événements. C’est en remaniant, en embellissant, en déformant ces faits que l’auteur des Acta Theclæ aurait composé son œuvre, entre 130 et 170. Si on veut se rendre compte de ce qu’était le récit le plus ancien, il faut enlever du plus récent ce qu’il renferme de singulier et d’invraisemblable. Nous verrons, en étudiant la manière dont l’auteur des Acta Pauli utilise ses sources, que le fond historique des Acta Theclæ se réduit à bien peu de chose (p. 128). De plus, la méthode de Ramsay est tout simplement arbitraire, elle repose d’abord sur une simple supposition, puisque nous n’avons plus trace d’aucun récit plus antique que le nôtre et que toutes les citations des écrivains ecclésiastiques peuvent très naturellement se rapporter à celui-ci.
Ensuite, elle permet à chaque critique d’exercer sur ce texte, suivant son caprice, toutes les mutilations qui lui conviennent; il y suffit que telle partie ou tel épisode lui paraisse absurde; on ne peut nier qu’il y ait vraiment là trop de sans-gêne vis-à-vis d’un texte.
Corssen 7 enfin a cru retrouver une partie de l’œuvre primitive dans un fragment d’un ms. de Brescia, publié dans l’étude de von Gebhardt sur les versions latines des Acta Theclæ, p. 130-136. Pour ce dernier critique, ce n’est qu’une mauvaise paraphrase, qui ne nous permet pas de regretter un instant que la plus grande part en soit perdue. Mais le jugement de Corssen est tout autre; il regarde cette trouvaille comme extrêmement précieuse. Je ne m’arrêterai pas à l’examen critique de ce texte, qui mérite vraiment l’appréciation qu’en a donnée von Gebhardt, et qu’a confirmée C. Schmidt, par une étude approfondie qui détruit tous les arguments de Corssen, Acta Pauli, p. 118 sq. et xxxi sq. ; je veux seulement indiquer ce qui caractériserait, d’après lui, l’œuvre ancienne. Celle-ci aurait insisté beaucoup plus sur l’encratisme, et l’aurait prêché aux femmes mariées plus encore qu’aux vierges. De plus, elle aurait été strictement monarchianiste, Jésus-Christ y étant désigné comme le seul Dieu. La première prétention s’appuie principalement sur le fragment cité plus haut, qui, à deux ou trois reprises, fait de Thècle la femme de Thamyris. Mais, nous l’avons dit, ce ms. est très mauvais, et les traces d’interpolations et de remaniements, surtout d’après les livres canoniques, s’y remarquent nettement à chaque instant. Ajoutons que cette situation de sainte Thècle est contraire absolument à toute la tradition, qui fête en elle la vierge, autant que l’apôtre et la protomartyre. Le manichéen Faustus lui-même,
qui cependant aurait été particulièrement heureux de rencontrer ce renforcement d’encratisme, déclare, dans saint Augustin, en s’appuyant sur les Acta Theclæ .* « Paul a proclamé, partout et toujours, la supériorité des vierges sur les épouses, et l’a reconnue en fait dans la personne de la très sainte Thècle. 4 Quant au monarchianisme, nous avons vu qu’en somme on n’en trouvait pas trace dans les Acta Theclæ, si l’on se place au vrai point de vue de leur auteur; comme celui-ci voulait surtout édifier, il a sans doute combattu ces doctrines gnostiques qui menaçaient alors la foi des communautés; mais partout ailleurs, il a exprimé simplement, on peut même dire naïvement, les croyances du peuple, que les controverses sur la Trinité n’étaient pas encore venues troubler. Chercher autre chose, c’est s’exposer à tomber dans l’exagération et dans l’erreur.
Ainsi, nous pouvons croire que notre texte des Acta Pauli se confond aussi intimement que possible avec le plus ancien. Ce serait se faire illusion que de prétendre posséder celui-ci absolument intact; les copistes, les traducteurs plus encore, avaient rarement assez do scrupules pour reproduire fidèlement l’original qu’ils avaient sous les yeux. Mais, enfin, l’accord est tel sur l’essentiel, sur les doctrines, sur la suite du récit, sur les épisodes; l’emploi des livres canoniques est tellement le même partout; la langue est si uniformément semblable à elle-même, que nous pouvons passer sur les variantes de détail des meilleurs mss et des meilleures versions, et, sans aller jusqu’à dire que nous connaissons les mots même les plus anciens, affirmer que notre texte est vraiment le plus antique, le plus fidèle, celui même qu’ont lu saint Hippolyte, Tertullien et Origène·
Le pseudo-Marcellus est un récit, attribué à Marcellus, disciple de l’apôtre Pierre, de l’action commune de saint Pierre et de saint Paul à Rome, de leurs luttes contre Simon le Magicien et de leur martyre.
Il dépend avant tout des Actes de Pierre, et saint Paul n'y joue qu'un rôle tris secondaire. Il date vraisemblablement de la seconde moitié du Ve siècle.
Je désigne, dans ces notes, la correspondance par Corr., l’épisode '0 Thècle par A. Th., et le martyre par M.
Pattio tancfte Ptrpdug, c. vu et vni, édit. A. Robinson, dans Test* and atudiea, 1.1, fase. 2, p. 72-75.
Acta sanctorum, sept. t. vi, Anvers, 1757, p. 547 sq.
Die apohypkn Aputdgachichm und Apoetellegenden, t. 11, 1, p. 445 sq.
The Church in the Roman empire, 3· édit., Londres, 1894, p. 375 8q.
Die Urgetlall der Pauliuaklen, dan* ZeiUchrtft fur N. T. Il iesen-tthajl, 1903, t. iv, p. 22 aq.