INTRODUCTION

CHAPITRE PREMIER

RÉSUMÉ DE L’ŒUVRE. — TEXTES ET VERSIONS

1. Résumé de l'œuvre.

Les Actes de Paul n’ont été longtemps connus que par leurs trois principaux fragments, les Actes de Paul et de Thècle, la correspondance apocryphe entre les Corinthiens et l’apôtre, et le martyre de saint Paul; et, si l’on avait soupçonné que le second faisait vraiment partie de l’ensemble, jamais on ne l’avait pensé du premier, que l’on regardait comme une œuvre à part. La découverte qu’a faite C. Schmidt1 d’une version copte, très mutilée, très précieuse cependant, a montré quel lien intime unissait ces fragments dans un récit unique, qui est bien l’ouvrage grec désigné dès le commencement du 111e siècle sous le nom de Πράξης Παύλου. Nous le prouverons plus loin, en mettant en relief l’accord des doctrines, l’enchaînement des épisodes, et, dans toutes les notes critiques, la haute valeur de cette version copte, presque toujours en harmonie avec les meilleurs textes.

C’est donc elle qui nous fournira le fil conducteur, notre guide parmi les différentes parties des Actes. Et c’est en suivant ses indications que, pour mieux nous orienter, pour mieux nous rendre compte des doctrines et de la valeur de cette œuvre, ainsi que de ce qu’en ont dit les écrivains ecclésiastiques, nous allons en donner d’abord un bref résumé, d'après le texte de Lipsius 1 pour les Acta Theclæ et le martyre, de Vetter 1 pour la correspondance, de la version copte pour les autres épisodes.

I. Séjour à Antioche. Saint Paul, à Antioche de Pisidie, guérit le fils de deux Juifs, Ancharès et Phila qui se convertissent. Mais la foule, d’abord enthousiasmée, s’irrite ensuite contre l’apôtre, le maltraite et le chasse du pays.

II. Séjour à Iconium. Actes de Paul et de Thècle. — Il se rend alors à Iconium; c’est le début de l’épisode qu’on a désigné sous le nom d'Actes de Paul et de Thècle. Ce récit comprend quarante-trois chapitres, dont les six premiers, 1-vi, racontent l’arrivée et la réception de Paul; les treize suivants, vii-xix, la conversion de sainte Thècle et la colère de sa mère Théoclie et de son fiancé Thamyris, qui font jeter saint Paul dans une prison, où Thècle le visite; trois, xx-xxii, Le premier jugement, à la suite duquel Paul est expulsé, et Thècle condamnée au bûcher, puis miraculeusement sauvée; trois, xxiii-xxv, la vie de saint Paul, d’Onésiphore et de la sainte dans un tombeau près d'Iconium; treize, xxvi-xxxviii, le départ de Paul et de Thècle pour Antioche, la rencontre d’Alexandre, la disparition de saint Paul, l’insulte, la condamnation de Thècle, son séjour chez Tryphaine, ses différentes épreuves et sa délivrance définitive; les cinq derniers, xxxix-xliii, la conversion de Tryphaine, la visite de Thècle à Myre où elle Retrouve Paul, son retour & Iconium, sa retraite à Séleucie et sa mort,

1. Paul se rend à Iconium, en compagnie de Démas et d’Hermogène, deux faux disciples, à qui cependant, loin de leur vouloir du mal, il enseigne la naissance, la résurrection et les grandes actions du Christ. II. Un chrétien de la ville, Onésiphore, avec sa famille, a reçu de Tite le signalement de l’apôtre et se propose d’aller à sa rencontre, pour lui offrir l’hospitalité; III. il l’attend sur la route de Lystra et le reconnaît d’après les rensei*gnements fournis par Tite; iv. salutations réciproques, dont Démas et Hermogène ne reçoivent leur part qu’après l’avoir réclamée avec hypocrisie, v-vi. Tous se rendent à la maison d'Onésiphore, où ils « brisent le pain » et où Paul prononce un discours sous forme de treize macarismes, vantant surtout la continence et la pureté du eœur.

vii. Cependant, une vierge, Thècle, fille de Théoclie et fiancée à Thamyris, l’un des jeunes gens les plus riches et les plus influents d’Iconium, entend Paul d’une fenêtre de sa maison, voisine de celle d’Onésiphore, est séduite par la parole de l’apôtre et se sent prise du désir de le voir, vin-ix. Elle reste immobile à sa fenêtre; sa mère s’en épouvante et mande le fiancé, lui apprenant cette étrange attitude de Thècle et l’attraction exercée par Paul sur toutes les femmes de la ville, en particulier sur la jeune fille, x. C’est en vain que T ha m y ris et Théoclie unissent leurs supplications pour arracher celle-ci à sa contemplation ; elle ne leur ·répond pas. xi. Alors, Thamyris se précipite aux renseignements, voit Démas et Hermogène et leur promet beaucoup d’argent s’ils veulent lui dire ce qu’ils savent sur Paul. xii. Ils lui répondent qu’il enseigne la continence et en fait la condition de la résurrection; xiii. T ha my ris les entraîne chez lui, leur offre un copieux repas et leur demande des informations plus précises, en leur confiant son chagrin·

xiv. a Accuse donc Paul d’être chrétien devant le gouverneur Cestilius, » disent-ils; et ils exposent leur propre manière d’entendre la résurrection, xv. Thamyris suit en partie leur conseil. Le lendemain, avec des magistrats, des gardes et une foule nombreuse, il se rend à la maison d’Onésiphore, arrête Paul; xvi. le traîne devant le tribunal et l’y accuse de détourner les jeunes filles du mariage, alors que, de nouveau, Démas et Hermogène lui conseillent de dire tout simplement qu’il est chrétien, comme un sûr moyen de le perdre.· Cestilius interroge Paul. xvii. Celui-ci répond qu’il annonce le Christ, désireux de sauver les hommes, de les arracher au péché et à la mort, et demande en quoi il commet ainsi quelque injustice. Le gouverneur le renvoie en prison, remettant à plus tard un interrogatoire plus approfondi, xviii. Cependant, Thècle séduit par des présents le portier de sa maison, puis celui de la prison, et, pendant la nuit, visite Paul, qui lui enseigne les grandeurs de Dieu et la confirme dans la foi ; xix. mais Thamyris et Théoclie apprennent cette fuite et, de nouveau et plus violemment, se plaignent à Cestilius.

xx. Celui-ci fait traduire Paul devant lui, pendant que Thècle se désole dans la prison. La foule pousse des cris de colère contre Paul; mais le gouverneur écoute l’apôtre avec plaisir. Il ordonne d’amener Thècle elle-même, qui, ravie de retrouver Paul, ne répond à aucune question. Théoclie furieuse demande elle-même qu’elle soit brûlée, xxi. A regret, le gouverneur y consent, en même temps qu’il ordonne de flageller l’apôtre et de le chasser. La foule s’amasse au théâtre, autour du bûcher; Thècle voit, au milieu d’elle, sous les traits de Paul, le Christ, qui, à ses yeux, retourne au ciel. xxii. Le bûcher prêt, Thècle y monte; la flamme s’élève sans la toucher, et une nuée de pluie et de grêle l’éteint et sauve la jeune fille.

xxiii. Pendant ce temps, Paul, qui s’était rendu, avec Onésiphore et sa famille, dans un tombeau pris d’Iconium, jeûnait et priait avec eux. Après six jours, comme les deux enfants d'Onésiphore avaient faim, l’apôtre envoie à la ville, pour acheter des pains, l’un d’entre eux, qui y rencontre Thècle cherchant Paul; il la ramène avec lui. xxiv. Elle arrive au moment même où Paul, sans la voir, implorait le Seigneur en sa faveur; elle répond par des actions de grâces, xxv. Grande joie; repas frugal. Thècle demande à l’apôtre de l’accompagner ; celui-ci exprime ses craintes à propos de nouvelles épreuves possibles et remet à plus tard le baptême que la jeune fille sollicitait de lui.

xxvi. Il exauce néanmoins l'un de ses désirs en se rendant avec elle à Antioche, pendant qu’Onésiphore retourne à Iconium. Dès leur entrée dans la ville, ils rencontrent Alexandre, un Syrien possédant alors dans Antioche une grande autorité et donnant des jeux, par suite, revêtu d’un caractère religieux. Cet homme s’éprend subitement de Thècle et la demande à Paul. Celui-ci répond qu’il ne la connaît pas et disparaît· Alexandre embrasse alors la jeune fille, qui s’indigne, lui déchire son vêtement et lui arrache la couronne de la tête; XXVII, plainte du Syrien au gouverneur; Thècle est condamnée aux bêtes; les femmes de la ville s’indignent hautement. Cependant, sur sa demande, la jeune fille est confiée à une vieille reine, Tryphaine, habitant Antioche, qui doit sauvegarder sa pureté, xxviii. A la montre des bêtes, une lionne, sur laquelle on a attaché Thècle, lui lèche les pieds; au milieu des sympathies des femmes, qui protestent contre l’accusation de « sacrilège » dont on la charge, elle est rendue à Tryphaine. La fille de celle-ci, Phalconille, morte, lui apparaît en songe et demande les prières de Thècle pour « passer -dans le séjour des justes. » xxix. La reine ayant fait part de ce désir à Thècle, celle-ci l’exauce et prie. xxx. Le lendemain, Alexandre vient prendre la jeune fille; Tryphaine, qui s’est éprise pour celle-ci d’un véritable amour maternel, le met en fuite par ses cris, 8e désole, supplie le Dieu de Thècle. xxxi. Elle repousse les soldats venus pour entrainer la vierge; et, dans un sentiment touchant, la conduit elle-même m supplice. Thècle la remercie et prie pour elle le Seigneur. xxxii. Cependant, au milieu des rugissements des fauves, la foule se divise, les uns réclamant la condamnée, pendant que les femmes crient hautement à l’injustice, xxxiii. Thècle, presque nue, est exposée aux bêtes; une lionne se couche à ses pieds et, pour la défendre, tue une ourse et un lion, mais succombe avec ce dernier, xxxiv. Devant d’autres fauves, la jeune fille se jette, malgré les supplications de la foule, dans une pièce d’eau remplie de phoques, en disant : « Au nom de Jésus-Christ, je me baptise à mon dernier jour. » A ce moment, la foudre tue les phoques; et une nuée dé (eu entoure la jeune fille, la protège contre les bêtes et la dérobe aux regards, xxxv. Sur d’autres bêtes, les femmes jettent tant d’aromates que les fauves s’endorment. Alors, sur la proposition d’Alexandre, Thècle est attachée entre des taureaux que l’on excite avec des fers rougis au feu; ceux-ci brûlent les cordes qui attachaient la sainte, xxxvi. Les bêtes lâchées sont aperçues par Tryphaine; elle croit Thècle tuée et s’évanouit, si bien qu’on la croit morte. Grand émoi; car Tryphaine est parente de l’empereur. Alexandre se jette aux pieds du gouverneur et le supplie de délivrer la sainte, xxxvii. C’est ce que fait le gouverneur; Thècle attribue ·on salut au Seigneur et le loue, xxxvnt. EU· reprend ·es vêtements; un décret la déclare libre, «servante de Dieu, et pieuse. » Les femmes louent à grand cris son Dieu.

xxxix. Tryphaine, revenue à elle, la reçoit dans ses bras, exprime sa loi que Phalconille vit, donne ses biens à Thècle, l’emmène chez elle, et, à la suite de son enseignement, se convertit avec toute sa maison. xl. Thècle cherche ensuite Paul, apprend qu’il est à Myre, s’y rend avec une nombreuse escorte, le surprend et lui annonce son baptême. xii. L’apôtre lui fait faire le récit de ses épreuves; d le conclut lui-même en disant : « Va, et enseigne la parole de Dieu. » xlii. La sainte retourne à Iconium, y visite la maison d’Onésiphore, pour remercier le Seigneur de lui avoir envoyé saint Paul, xliii. trouve Thamyris mort, fait venir sa mère qui refuse de se convertir; se rend ensuite à Séleucie, où elle fait briller pour beaucoup la lumière par la parole de Dieu, et « s’endort d’un beau sommeil. »

Cette brusque finale a été diversement développée et complétée par des remaniements postérieurs.

III. Séjour à Myre. — A Myre, Paul guérit un hydropique, Hermocrate, qui se convertit avec sa femme Lectra. Mais leur fils aîné, Hermippe, désireux de jouir d’une succession qu’il convoite, est furieux de ce miracle; et, bien que l’apôtre ait aussi ressuscité son jeune frère Dion, mort subitemsmt, il l’attaque; mais il est frappé à l’instant de cécité. C’est pour lui l’occasion de se repentir; couché en suppliant à la porte de la maison dans laquelle l’apôtre prêche, il prie tous ceux qui entrent d’intercéder pour lui auprès de Paul; il s’adresse de la sorte à ses parents, qu’il ne reconnaît pas, et qui apportent de l’argent et des vivres aux veuves. Bouleversés, Hermocrate et lectra, après avoir hésité, s’adressent à Paul; ensemble, ils prient; et Hermippe recouvre la vue.

IV. Séjour à Sidon. — Paul se recul ensuite à Sidon, en partie par terre, accompagné de plusieurs fidèles de Pergè. Pendant le trajet, il discute sur le paganisme.

A la ville, les habitants l'enferment avec ses compagnons dans un temple, dont la moitié s’écroule an dehors pendant la nuit. Les prêtres l'annoncent à la fonde; celle-ci furieuse fait conduire les chrétiens au théâtre. Nous ne savons pas ce qui s’y passe.

V. Séjour à Tyr. — C’est à Tyr que nous retrouvons Paul, guérissant des malades et discutant sur le judaïsme. De là, il est possible (mais l’état du manuscrit ne per-met pas de l’alïirmer) qu’il se rende à Jérusalem.

VI. Séjour dans les mines. — L’épisode suivant le place dans des mines inconnues, où une jeune fille (qu’il a convertie?), Phrontine, est précipitée avec lui du haut d’un rocher. Lui, se relève sain et sauf; mais Phrontine meurt. Paul la ressuscite et la ramène à la ville, où la foule, qui s’était d’abord enfuie, loue ensuite le Seigneur.

VII. Séjour à Éphèse. — Il est possible que se place ici )’épisode d’Éphèse, raconté par Nicéphore (voir Introd., p. 25) et dont il ne reste plus trace dans le manuscrit copte. Paul, malgré la bienveillance de Jérôme, gou-verneur de la ville, est jeté en prison, à cause «les fureurs du peuple; il y reçoit la visite de deux femmes nobles, Eubule et Artémille, et les baptise au bord de la mer, en sortant, puis rentrant miraculeusement dans sa prison. Exposé aux bêtes, il n’est touché par aucune, une tempête de grêle tue les fauves et beaucoup d’hommes, et fend l’oreille de Jérôme. Celui-ci se convertit. Paul parcourt ensuite la Macédoine, la Grèce, de nouveau la Macédoine, et l’Asie.

VIII. Séjour à Philippi. Correspondance apocryphe avec les Corinthiens. — C’est à Philippi que Paul se retrouve ensuite. Là, il reçoit des Corinthiens une lettre où ils lui annoncent que deux hérétiques, Simon et Cléobius, sont venus bouleverser la communauté par de fausses doctrines. C est 1 occasion de la correspondance.

Lettre des Corinthiens. 1-5. Les prêtres de la ville apprennent à Paul que Simon et Cléobius ont troublé la foi de plusieurs par des doctrines contraires à celles des apôtres, toujours conservées par eux; et, 6-8. lui demandent de venir ou d’écrire, puisque, d’après la révélation faite à une prophétesse, Théonoé, il a échappé au péril. 9-15. Ils indiquent ensuite quelles sont ces doctrines perverses : rejet des prophètes, négation de la toute-puissance de Dieu, de la résurrection de la chair, de l’incarnation du Christ, de la création de l’univers et de l’homme par Dieu. 16. Aussi, supplient-ils Paul de venir à eux; salutations.

La lettre est portée par deux diacres; Paul la reçoit en prison et s’en afflige vivement. Il répond.

Lettre de saint Paul. 1-3. Dans les liens, il salue ses frères et exprime sa confiance dans le triomphe de la véritable« doctrine. 4. Celle-ci est celle de Jésus-Christ même, que les apôtres ont reçue de lui. La voici 5. Jésus est né de Marie, de la semence de David, 6. pour sauver toute chair, et nous ressusciter, comme lui-même est ressuscité; 7-8. l’homme a été créé par Dieu, est tombé; mais a été racheté par Dieu même. Cette pensée se développe dans les versets 9 -18. 9 - 10. Dieu a d’abord envoyé aux Juifs les prophètes pour leur prêcher le véritable culte de Dieu; 11. mais le démon fit tuer ces prophètes, et enchaîna l’homme par la passion; 12-15. alors Dieu, par amour pour son œuvre, fit descendre l’Esprit en Marie, pour sauver l’homme par cette chair même qui l’avait perdu; 16-18. c’est en effet dans son corps et par son corps que Jésus nous a sauvés. 19-20. Aussi, ceux qui nient la création par Dieu nient aussi leur rédemption et se rangent du côté du démon; 21-23. il faut donc les fuir. — 24-25. Suit la doctrine de la résurrection; il faut l’accepter, si l’on veut soi-même ressusciter. Les preuves en sont les suivantes : 1° 26-27. C’est une loi de la nature : la graine pourrit pour renaître au centuple; 2° il y en a des preuves par !*Écriture : a) 28-31. Jonas, avalé, par un monstre marin, ressuscite après trois jours et trois nuits; b) 32. le contact des ossements d’Élisée ressuscite un

mort; c) 33. Élie ressuscite le fils de la veuve (addition de deux mss). — 34-36־. Pour lui, Paul, il y croit; il souffre pour en profiter, et tous ceux qui l’accepteront en jouiront. 37-39. Quant aux autres, ils seront punis et ne sont que race de vipères ;'il faut donc se séparer d’eux. 40. Salutations.

IX. Scènes de départ. — Viennent ensuite des scènes de départ, où Paul fortifie les frères, où un prophète, Cléobius, annonce les conversions que Paul opérera et sa mort, où une prophétesse, Myrtè, prédit qu’il sauvera dans Rome un nombre immense d’hommes. Suivent la fraction du pain et le chant des psaumes.

X. Séjour à Rome. Martyre. — Enfin, Paul est à Rome et voici le récit de son martyre. 1. L’apôtre est reçu dans la ville par Tite et Luc; il loue une grange où beaucoup viennent l’écouter, et se convertissent. Sa renommée se répand. Patrocle, un échanson favori de l’empereur Néron, se place, pour l’entendre, à cause de la foule, sur une fenêtre d’où il tombe et meurt. La nouvelle en est portée à Néron. Cependant, Paul, devant l’effroi des assistants, prie avec eux le Seigneur, ressuscite Patrocle et le renvoie vite au palais, avec tous ceux « de la maison de César ». — ii. Mais celui-ci est averti déjà et s’afflige, quand, tout à coup, il apprend que son favori revit; il s’étonne; il hésite. Enfin, il interroge Patrocle lui-même, qui lui répond que le a Christ Jésus, roi des siècles, » l’a ressuscité. Jaloux de cette royauté, l’empereur s’en informe, et, devant l’affirmation de son échanson qu’elle l’emporte sur toutes les autres, il le soufflette. Mais Patrocle ne s’en déclare pas moins le soldat du Christ-Roi, ainsi que plusieurs autres officiers de Néron. Celui-ci les fait enchaîner et publie un édit qui ordonne de tuer tous les chrétiens. — iii. Paul lui est amené, avec d’autres; il le reconnaît à ce fait, que tous l’interrogent du regard ; il lui demande pourquoi il vient lui prendre ses soldats pour les enrôler dans l'armée du Christ. « C’est partout, répond l’apôtre, que nous en cherchons; toi-même tu peux, si tu le veux, servir sous les ordres du Christ; car cette soumission seule, et non ta puissance, te sauvera. » Néron condamne les chrétiens au feu, et Paul à la décapitation; celui-ci emmené par le préfet Longue et le centurion Cestus, leur prêche la parole de Dieu. Cependant, devant le grand nombre des chrétiens mis à mort, le peuple s’indigne et se révolte, et oblige Néron à rapporter son décret, jusqu’à ce qu’il ait étudié à fond la cause des accusés. — iv. On ramène Paul devant lui; il maintient la condamnation; Paul lui annonce qu’après son supplice, il lui apparaîtra pour lui prouver que vraiment il vit. Et comme Longus et Cestus, en l’emmenant, lui demandent qui est son Dieu, il leur apprend que celui« ci est au ciel, qu’il détruira la terre par le feu, et que seuls ceux qui croient en lui seront sauvés. Les deux officiers le supplient alors de leur épargner cette peine et lui proposent, à cette condition, de le délivrer. Mais Paul n’est pas un déserteur du Christ ; il sait d’ailleurs que le supplice lui vaudra la véritable vie et une place auprès du Père du Christ, et avec lui. — v. Arrivent deux envoyés de Néron, qui viennent s’informer de ce qu’est devenu le condamné. Paul veut les convertir; ils lui répondent ironiquement qu’ils croiront quand ils le verront ressuscité, et retournent vers l’empereur. Sur de nouvelles supplications de Longus et de Cestus, Paul leur dit de venir le lendemain à son tombeau ; ils y trouveront en prière deux hommes, Tito et Luc, qui les baptiseront. Là-dessus, il prie, s’entretient en hébreu avec ses pères et tend le cou. Le bourreau le frappe; du lait jaillit du corps. Tous les assistants ad« mirent, louent Dieu et vont raconter à César ces événe« ments. — vi. Comme celui-ci est au milieu d’une cour brillante, Paul lui apparaît, selon sa promesse, et lui annonce le châtiment qui punira la persécution. Néron effrayé fait délivrer les prisonniers, Patrocle et ses compagnons. — vii. Cependant, Longue et Cestus, selon ce que Paul leur a prescrit, vont le lendemain à son tombeau, où il leur apparaît, debout entre Tite et Luc en prière. Ces derniers, à la vue des officiers, s’enfuient d’abord; mais vite rassurés par eux, les baptisent.

2. Textes et Versions.

 

A. Texte grec.

La renommée de sainte Thècle était grande en Asie Mineure, et son culte s’y est répandu très rapidement. Aussi, cette partie des Actes a-t-elle été spécialement coûtée; nous en connaissons d’assez nombreux manuscrits. Les voici, avec le sigle que Lipsius4 leur attribue :

Hearne 6 a comblé, à !,aide de ce ms., une lacune du précédent. Lipsius en a vu des extraits.

Un ms. du Mont-Athos : le Cuthumusianus 56, du xiie siècle, non collationné.

Enfin, Grenfell et Hunt ont publié, dans The Oxy·rhynchus Papyri, t. 1, p. 9 sq., un fragment contenant une grande partie du c. viii et le commencement du c. ix, d’après un ms. d’Egypte, en parchemin, qui peut dater du ve siècle.

Lipsius  7 divise ces mss en trois familles ; la première comprend E, I, K, L ; la seconde, F, G, H, M·, et la troisième, A, B, C. Les plus autorisés sont ceux qui, à la fin des Actes, ne rapportent ni la disparition mystérieuse de Thècle dans le rocher, ni son voyage souterrain à Rome. Ce sont ceux de la première famille, ainsi que F et II de la seconde; mais H est moins sûr que G, et n’a pas été collationné complètement. Le 1q,eilleur parait être E, malgré de nombreuses fautes du scribe, quelques omissions et des changements assez fréquents et arbitraires dans l’ordre des mots; il faut donc le contrôler par les autres mss. Viennent ensuite I, K, L; mais les deux premiers ajoutent parfois, et Lipsius n’en a vu que des extraits; puis F et G, qui donnent dans quelques cas le véritable texte; puis H·, puis M, qui ajoute, plus longuement encore que G, le récit de la vie de Thècle dans la caverne; enfin, A, B, C, le dernier étant encore le plus mauvais, à cause de beaucoup de variantes, abréviations et omissions. Aussi, Lipsius ne comprend-il pas que Tischendorf 8 et Schlau  9  aient pu le préférer à tous les autres.

B. Versions syriaque, slave et arabe.

La version syriaque des Actes de Thècle a été publiée par G. Wright, dans Apocryphal Acts of the apostles (Londres, 1871), en syriaque et en traduction anglaise, d’après quatre mss du British Museum, dont le plus ancien est du vie siècle, et que nous désignerons, comme Lipsius, par le sigle s (sa, sb, sc, sd). Elle s’accorde assez souvent avec les leçons des versions latines qui diffèrent du texte grec, et doit dériver d’une des formes les plus anciennes de l’œuvre.

Elle a été traduite à son tour en arménien; et cette dernière version nous fut donnée par Conybeare, The Apology and Acts of Apollonius and other monuments of early Christianity, Londres, 1894, p. 61 8q.

Il existe aussi une version slave, contenue en particulier dans trois mss du monastère de la Trinité à Moscou et un autre du séminaire de Béthanie. Elle n’a pas été éditée.

Enfin, Assemani fait mention d’une version arabe conservée à la bibliothèque Vaticane 10.

C. Version copte.

Cette version a été découverte par C. Schmidt dans un ms. copte, acheté au Caire, mais dont on ne connaît pas la provenance exacte. Cet auteur en donne la description dans ses Acta Pauli, p. 319 1. Il remonte vraisemblablement au vie siècle, et est écrit dans un dialecte intermédiaire entre celui d’Achmim et le sahidique; il est dû à la plume d’un lettré, qui ne laisse passer que très peu de fautes. Il est en papier, et formé de feuilles doubles pliées et placées l’une dans l’autre. Mais son état est déplorable. Sur 45 feuilles, par conséquent 180 pages, car il est écrit au recto et au verso, qu’il pouvait compter, il en manque un assez grand nombre et, de beaucoup d’autres, il ne reste que d’insignifiants fragments. Ce fut un travail difficile, fort bien exécuté d’ailleurs, de retrouver, autant qu’il est possible, l’ordre des pages.

D’après les calculs de Schmidt, il pouvait y avoir dans le ms. intact 45 feuilles, par conséquent 180 pages. Plusieurs pages de la fin étaient restées libres; car l'arrangement adopté n’avait pas permis au copiste, dès la moitié du codex, de se rendre compte exactement

de ce qu’il lui fallait de feuilles ; aussi en prit-il trop. Pour utiliser ce qui restait, il y écrivit, comme il arrive souvent dans les mss coptes, un fragment d’une œuvre différente, d’un évangile apocryphe inconnu, que Schmidt a publié en même temps que les Acta Pauli.

Chaque page mesure 27 centimètres sur 19, dont 21 sur 13 d'une belle écriture onciale droite, toute d’une seule main, et avec peu de fautes, encore la plupart sont-elles corrigées par le copiste lui-même. La langue n’est pas le pur dialecte sahidique de la Haute-Égypte; elle se rapproche du dialecte d’Achmim, sans d’ailleurs se confondre avec lui.

Telle qu’elle est, cette version a une grande impôt« tance. D’après ce qu’on peut conjecturer de l’état du ms. quand il était intact, il correspond bien au nombre de stiques indiqués soit par le Catalogue de Nicéphore, 3 600, soit par le catalogue stichométrique du Codex Claromontanus, 3 560. On ne peut guère douter que l’on se trouve en présence du témoin jusqu’ici le plus complet, si imparfait soit-il, de l’état primitif des anciens Actes de Paul. Par lui, nous avons appris que les Actes de Pau) et de Thècle n’étaient qu’une partie de l’ensemble, comme aussi, ce qui déjà avait été conjecturé, en particulier par Zahn, la correspondance apocryphe de Paul et des Corinthiens, et le martyre de Paul.

Cette constatation est importante; mais la version a de plus une grande valeur comme témoin du texte. Elle concorde essentiellement avec celui qu'a publié Lipsius; mais elle en diffère en quelques leçons; et, chose curieuse, ses variantes coïncident souvent avec celles des versions latines. Nous la désignerons par co.

D. Versions latines.

Lipsius n’en a connu que peu de mss, et ne parait pas s’en être beaucoup soucié. Elles ont été étudiées très consciencieusement et publiées, à l’aide d’un maté■ riel très riche, par O. v. Gebhardt, dans Texte und Untersuchungen, t. xxn (N. F., vu) fasc. 2, sous ce titre : Die lateinischen Uebersetzungen der Acta Pauli et Theclse. Je n’indiquerai que les résultats de sa critique.

Il distingue quatre, peut-être cinq traductions indépendantes, deux complètes, la et lc (A et C de Gebhardt), une presque complète, lb (B de Gebhardt), la quatrième, représentée par un important fragment, Id (D de Gebhardt) ; la cinquième, par un court morceau, le (E de Gebhardt).

Les traductions la et Id ne se trouvent que dans très peu de mss, deux connus pour la première, un seule ment pour la seconde. Au contraire, Ib et lc sont très lues; et cette circonstance amena beaucoup de variantes, d’après le goût de chaque époque ou même de chaque scribe. De là, des familles différentes, trois pour Ib : Iba, Ibb, Ibc (Ba, Bb et Be de Gebhardt), et quatre pour le : lca, lcb, lcc, lcd (Ca, Cb, Ce et Cd de Gebhardt).

La meilleure traduction est donc la·, et, des deux mss connus qui la contiennent, l’un de Paris (Biblioth. nat., mss. lot. 5306, XIVe siècle), l'autre de Toulouse (bibl. munie., 479, commencement XIVe siècle), le meilleur est le premier, parce qu'il s'abstient plus souvent de changements intentionnels, bien que le second ait parfois gardé 10 bonne leçon. D’ailleurs, le texte qui a dû servir aux deux copistes avait quelques lacunes. Ce texte, qui sc rapproche surtout de la famille de mss F, Gt Ht M de Lipsius, ne se confond cependant pas avec elle; il paraît plus ancien. Toutefois, l’emploi de cette traduction pour l’établissement du texte primitif exact ne saurait en aucune façon être décisif, parce que le traductcur ne s’en est pas tenu toujours au mot à mot, et que même le ms. de Paris est trop souvent incorrect.

Parmi les traductions Ib, la meilleure est lba; elle a une grave lacune, du c. xn au milieu du c. xix; Ibb et Ibc comblent cette lacune' diversement. Toutes sont loin d’observer strictement le mot à mot ; elles ajoutent assez souvent, plus rarement retranchent. Mais elles ne dérivent d’aucun ms. grec connu, et ont utilisé sans doute un texte très ancien; leur témoignage mérite donc d’être écouté, malgré toutes les restrictions à apporter; en tout cas, elles offrent une ressemblance frappante avec le fragment indiqué plus haut, publié par Grenfell et Hunt, trouvé sur un ms. très ancien.

Aucune des traductions le ne s’en est tenue au texte original, elles contiennent beaucoup de graves fautes et de variantes arbitraires.

Quant à la traduction Id, que Corssen 12 a prisée assez haut pour y reconnaître l’état primitif du texte, elle fourmille de variantes graves; et v. Gebhardt affirme d’elle avec raison qu’elle mérite beaucoup plus justement le nom de paraphrase que celui de traduction. D’ailleurs, C. Schmidt 13 a nettement réfuté la thèse de Corssen; nous en reparlerons.

La traduction le ne renferme que les béatitudes des c. v et vi; elle est aussi assez libre.  

Parfois, toutes ces versions s’accordent pour donner un texte différent de celui de tous les mss employés par Lipsius. Ce fait donne alors à réfléchir. Et si, de plus, les versions syriaque et copte viennent le confirmer, il est évident qu’on doit avouer alors que le texte de Lipsius n’est pas exactement le texte primitif. Ces variantes, il faut le reconnaître d’ailleurs, ont en somme très peu d’imporance et ne changent absolument rien à l’ensemble ni à l’esprit de l’œuvre.

 

II. Correspondance apocryphe de saint Paul et des Corinthiens

Nous n’avons de cette partie des Acta Pauli que des versions, étudiées, à part la version copte connue seulement ensuite, par Vetter, dans Der apokryphe dritte Korintherbrief 14.

Les voici :

1° Une version arménienne A. Dès 1644, J. Ussher la fit connaître dans un ms. arménien de Smyrne, et D. Wilkins l’édita à Amsterdam en 1715; ce ms. est très défectueux. En 1736, les frères Whiston en publiérent deux traductions, latine et grecque, d’après un ms. d’Alep plus complet; et La Croze, en 1727, la tra· duisit en allemand d’après une mauvaise copie reçue de Whiston père. L’édition arménienne fond! mentale, qui s’appuie sur les mss de huit bibles arméniennes, où la lettre de Paul est placée entre II Cor. et Gal., est celle de Jean Zohrab, Venise, 1805. W. Fr. Rinck, avec l’aide du méchitariste Pascal Awker, en publia, en 1823, une traduction allemande très soignée. Cette version arménienne dérive très probablement du syriaque 15.

2° Une première version latine L1. Elle a été trouvée par Berger dans un ms. de Milan, une Bible latine, après les épîtres de Paul, et avant l’épître apocryphe aux Laodicéens, et éditée par le même et par Carrière, en 1891  16. Il y a malheureusement dans le texte deux la* cunes sensibles.

3° Une seconde version latine L2, découverte par Bratke dans un ms. de Laon, et imprimée par lui en 1892 17 . Elle était placée après les épîtres canoniques. Le ms. en est malheureusement très défectueux et, en plusieurs passages, illisible.

4° Le commentaire d’Éphrem le Syrien, E, qui con־ tient, entre II Cor. et Gai., cette correspondance. D'après l’édition de l’ensemble des œuvres d’Ephrem conser* vées en arménien (Venise, 1836), l'Arménien Etienne Canajanz et Hübschmann en ont donné une traduction allemande publiée par Zahn 18. Vetter19 a refait ce'tte traduction.

5° La version copte co, malheureusement pas intacte, découverte par C. Schmidt. Elle est d’autant plus importante que, sûrement, elle dérive immédiatement du grec. Elle permet de juger que la version qui a le mieux conservé le texte original est L2 , dont le ms. est malheureusement si défectueux. Nous utiliserons L2 .

Vetter, p. 7 sq., 22 sq., a cherché à démontrer que les deux traductions latines avaient été faites sur un original syriaque; Harnack 20, Zahn 21, Bardenhewer 22 et Rolffs 23 sont de son avis, contre Carrière24, et C. Schmidt 25. Pour lui, il y a eu deux recensions, S1, pour A et E ; S2 pour L1 et L2.

Je suis complètement de l’avis de C. Schmidt, comme on le verra dans les notes critiques à propos de la correspondance. L et L2 ont travaillé sur un original grec ; et il y a deux recensions, l’une plus courte et plus ancienne, qui a servi à co, L2 et E, l’autre, admettant des interpolations, surtout d’après les épîtres canoniques, qu’ont utilisée A et L1 . E a d’ailleurs un peu subi l’influence de ces livres canoniques.

 

A. Texte grec.

Il nous a été conservé par deux mss utilisés par Lipsius dans son édition   26. Le premier, P, est du monastère de Saint-Jean à Patmos (commencement ix® siècle), et a été collationné par C. Krumbacher; il est mal écrit, mais a une grande valeur comme témoin du texte. Le second, A, vient du Mont-Athos; il est plus récent (xe ou xie siècle), et moins bon que P, mais sert à corriger quelques fautes du premier, à condition qu’on l'emploie avec précaution; et la version copte co montre que Lipsius a accepté d’après lui trop d’additions à P.

B. Versions.

Version syriaque. — Elle nous est connue par Nau : La version syriaque inédite des martyres de saint Pierre, saint Paul et saint Luc, d'après un manuscrit du siècle27. Ce ms. vient du British Museum, addit. 12172. Le texte qui a servi au traducteur est intermédiaire entre le texte primitif et celui du pseudo-Linus. Il ajoute au premier de nombreux détails, et suit plutôt l’ordre des idées du second. Mais il abrège considérablement les discours de celui-ci, et ne rapporte ni les relations de Paul et de Sénèque, ni l’épisode de Plautilia. Son début, destiné à le relier au « martyre de Pierre », et sa fin, qui mentionne les dates, lui sont propres. Il ne peut guère être utilisé pour la critique de notre texte. Sigle : Sy.

Version slave. — Communiquée à Lipsius par son élève Sokoloff, d’après un ms. de Moscou que celui-ci traduisit mot à mot en grec, elle se rapproche de très près du texte grec; et si son original est plus récent que P, il lui est du moins très étroitement apparenté. Sigle : 5.

Versions coptes. — 1. Un fragment en est représenté par un ms. de la bibliothèque Borgia, 130. I. Guidi en a publié d’abord le texte, puis la traduction en italien, celle-ci dans GU Atli apocrifi, degli apostoli nei testi copti, arabi ed etiopici 28. Elle est très proche de P. Elle contient les deux premiers chapitres et à peu près la moitié du troisième. Elle dérive d’un texte grec où déjà le martyre de Paul était séparé de l’ensemble, plus récent que celui qui a servi à la version suivante. Sigle : C.  

2. Dans la version copte co des Acta Pauli, découverte par C. Schmidt, cette partie est en très mauvais état. Cependant, on y trouve une parenté étroite avec P, qui prouve la valeur de ce ms. Quand donc P, co et S concordent, on peut regarder leur texte comme excellent.

Version latine. — On ne la connaît encore, pure (car il y a plusieurs remaniements, en particulier le pseudo-Linus 1, sigle : L), que dans trois mss de Munich : 4554: (VIIIe ou ixe siècle) qui est de beaucoup le meilleur; 22020 (XIIe siècle) et 19642 (XVe siècle), beaucoup moins autorisés, et qui peuvent à peine servir à donner quelques bonnes leçons. Lipsius les a collationnés (après Gundermann, pour le premier), et nous les désignerons, comme lui, par M\ , M2 et M3 . Ils ne contiennent que les trois premiers chapitres de la passion.

1. Le nom de pseudo-Linus doit s’appliquer avant tout à une paraphrase latine du martyre de Pierre faite d’après les anciens Actes grecs de Pierre; elle avait été attribuée faussement au pape saint Lin et peut dater de la première moitié du ve siècle, peut-être de la fin du ive. Le martyre de Paul fut ensuite paraphrasé de la même façon d'après les Actes de Paul; est-ce par la même main? Il est plus probable que non. Quoi qu’il en soit, comme les deux récits furent souvent réunis dans le même ms., le dernier venu suivit le sort du premier et fut, comme lui, placé sous le patronage du pape Lin. On !*appelle donc aussi pseudo-Linus.

 

CHAPITRE II

TÉMOIGNAGES DES DIX PREMIERS SIÈCLES

Ce que les anciens, Grecs et Latins, ont rapporté et ont pensé des Actes de Paul, nous semble de la plus grande importance pour juger leur doctrine et leur valeur, et pour chercher le lieu et la date de leur composition. Nous étudierons donc leurs témoignages avec le plus grand soin et aussi complètement que possible, en les groupant à peu près par siècles et par tendances, jusqu’à ce xe siècle, d’où provient un des mss que nous possédons de l’épisode particulier de sainte Thècle.

1. IIIe siècle.

Saint Hippolyte de Rome, dans son De Daniele, composé vers 202, argumente ainsi contre ceux qui regarderaient comme invraisemblable le miracle de Daniel dans la fosse aux lions : « El γάρ χιστεύομεν, δτι Παύλου εις θηρία χαταχρώέντος αρεθείς έτ’ αυτόν 6 λέων «ΐς τούς πόδας άναπεσων τεριέλειχεν αυτόν, πώςοΰχΐ χαΐ έζ! τού Δανιήλ γενδμενα τπστεύσομεν ; Si nous croyons que, Paul ayant été condamné aux bêtes, un lion lâché contre lui tomba à ses pieds et le lécha, comment ne croirions*nous pas aussi à ce qui est arrivé à Daniel29 ? » Sans doute, cette condamnation est mentionnée I Cor., xv, 32; mais saint Paul ne nous donne là aucun détail. Hippolyte, lui, nous en présente, et les présente comme acceptés par tous, puisque c’est d’eux qu’il part pour prouver la vérité de l’histoire de Daniel. Il ne s’agit donc vraisemblablement pas d’une simple tradition orale, mais d’un récit bien connu, mentionné très probablement dans ces Actes de Paul, d’où, peu de temps après, vers 230, Origène tirait des citations dont nous parlerons.

Malheureusement, ce récit n’a pas subsisté dans le peu qui nous reste (pas même le tiers) de l’ensemble de l’œuvre. Mais Nicéphore Calliste, H. E., II, 25 30,au xive siècle, Je lisait, à la bibliothèque de Sainte-Sophie à Constantinople, dans un écrit qu’il appelle τάς Παύλου ::spiiSouç, Les pérégrinations de Paul. Qu’il s’agisse là de ce qui fut nommé d’abord Παύλου τράςβις ou d’un remaniement, le titre même ne peut nous en faire douter; les catholiques ont, de bonne heure, refusé le nom de ζράςβις aux livres apocryphes, pour le réserver aux Actes canoniques des apôtres. Voici les paroles de Nicéphore  31 : « Ceux qui ont arrangé les pérégrinations de Paul ont raconté qu’il avait et souffert et en même temps fait un très grand nombre d’autres choses, mais en parti* culier ceci, quand il était à Ephèse : le gouverneur Jérôme affirmait que Paul s’exprimait selon la vérité, et que lui-même trouvait du bien à ce qu’il disait, mais que le moment n’était pas opportun pour de tels discours. Quant au peuple de la ville, en fureur, il entoura les pieds de Paul d’une puissante entrave de fer et l’enferma en prison, en attendant qu’il fût exposé en proie aux lions. Eubule et Artémille, femmes d’Ephésiens illustres, instruites par lui, vinrent pendant la nuit et lui demandèrent la grâce du divin baptême. Alors, par la force divine, des anges, porteurs de lances, illuminant les ténèbres de la nuit de l’éclat de la lumière qui était en eux, Paul fut délivré de ses liens de fer; il les fit chré·tiennes par le saint baptême, sur le bord de la mer où ils étaient parvenus; puis, sans qu’aucun des surveillants de la prison s’en aperçût, il reprit ses liens et attendit d’être jeté en proie aux lions. Un lion d’une taille énorme et d’une force irrésistible fut lâché contre lui, mais, traversant en courant le stade, il vint se coucher à ses pieds. Beaucoup d’autres bêtes féroces furent lâchées; il ne fut permis à aucune de toucher au corps saint, dressé comme une colonne dans la prière. Après cela, une grêle excessivement violente s’abattant, très compacte, avec un grand bruit, broya les têtes de beau· coup d’hommes, non moins que des bêtes, et même un des premiers grêlons déchira l’oreille de Jérôme; aussi, celui-ci, avec ses gens, venant au Dieu de Paul, reçut-il le baptême sauveur. Quant au lion, il s’enfuit dans les montagnes. De là, Paul se rendit par me? en Macédoine et en Grèce. Ensuite, traversant de nouveau la Macédoine, il vint à Troas et à Milet, et de là gagna Jérusalem. Que Luc, parmi les autres actions (de Paul), n’ait pas raconté ce combat contre les bêtes, rien d’étonnant; en effet, il faut nous rappeler, sans en douter, que seul, parmi les évangélistes, Jean a rapporté la résurrection de Lazare, et, de fait, nous savons qu’il n’est pas vrai que tous aient tout écrit, ou cru et connu, mais chacun comme le Seigneur lui en fit part, et suivant la proportion calculée par l'Esprit; ainsi, ce qui est de l'Esprit pense, et croit, et écrit suivant l'Esprit. »

Il y a trop de ressemblances entre ce récit et celui de l’exposition de Thècle aux bêtes dans Antioche : la bienveillance du gouverneur, l’attraction exercée par Paul sur les femmes illustres, le lion aux pieds de la victime, la grêle, pour douter que l’ensemble dont ce récit, d’après ·od début, fait partie, soit les Πράξης Παύλου, dans leur état primitif peut-être, mais plutôt légèrement remaniées. Ces répétitions, mêlées cependant de détails nouveaux, sont bien dans la manière de l’auteur, dont l’imagination n’est pas facilement créatrice. C’est donc aux Actes de Paul qu’Hippolyte fait allusion, sans les nommer, parce qu’il les sait connus de beaucoup. Donc, ces Actes de Paul, tout au commencement du iiie siècle, jouissaient à Rome d’une haute considération. N’en concluons pas cependant qu’Hippolyte les estime à l’égal des livres canoniques; il suffit, pour que l’exemple cité par lui porte, qu’il soit reconnu comme un fait historique exact, sans avoir d’ailleurs le caractère tout spécial attribué à ceux que mentionnent les livres apostoliques. Nous allons voir qu’Origène donne précisément aux Actes de Paul ce rang très élevé, mais inférieur cependant à celui des écrits authentiques.

Le témoignage d’Hippolyte est également important pour dater l’introduction à Rome des Actes de Paul, dans le texte grec; il suffit de rapprocher ses paroles du silence gardé par le fragment de Muratori. Celui-ci, qui donne des indications si précises sur le Pasteur d’Hermas, ne mentionne les Acta Pauli ni parmi les écrits à accepter dans le canon, ni parmi ceux que, précisément comme le Pasteur, il faut en rejeter. Comme ce fragment est à dater vraisemblablement de la fin du iie siècle, vers 180, et doit provenir d’un original grec écrit à Rome, il y a là un indice grave que les Acta Pauli n’étaient pas encore connus, à cette date et dans cette ville.

Origènb. Les Actes de Paul, sous le titre de Πράξης Παύλου sont mentionnés expressément pour la première fois par Origène, et à deux reprises.

Dans son Π<ρΙ άρχών, 1, 2,3, composé peu avant 230 32, discutant sur le Christ, il l’appelle d’abord « Sagesse de Dieu », puis se reprend. C’est là, dit*il, une dénomma-tion impersonnelle, tandis que le Christ est bien plutôt un être vivant, à qui la sagesse est propre, animal quod-dam sapiens. Mais cette sagesse, trésor des idées et des types de toutes créatures, manifeste les secrets de Dieu; elle en est, comme notre parole pour nos pensées, la parole, le λίγος; a unde et recte mihi dictus videtur sermo ille qui in Actibus Pauli scriptus est, quia : « hic est ver-«bum animal vivens.» Joannes vero excelsius et præcla-rius in initio Evangelii s ni elicit... Aussi, elle me parait dite justement, cette parole, écrite dans les Actes de Paul : « Celui-ci est le Verbe, être animé vivant. » Mais Jean, avec plus d’élévation et d’éclat, dit au commen-cernent de son Évangile... » Que nous ne retrouvions plus cette parole dans le peu de fragments qu’en somme il nous reste des Actes de Paul, il ne faut pas nousenéton-ner. 11 nous suffira de remarquer qu’Origène ne craint pas de citer cette œuvre pour appuyer et résumer les plus hautes considérations théologiques; il ne voit donc en elle rien qui fasse ombrage à la doctrine; et, évidemment, autour de lui, on n’y trouvait, pas plus qu’il n’y trouvait lui-même, rien qui scandalisât. C’est là une preuve puissante du caractère catholique des Acta Pauli. Il est vrai cependant qu’ils ne viennent qu’au-dessous des textes canoniques ; on peut donc les rejeter.

C’est précisément ce qu’Origène dit dans un second passage, Commentaire sur saint Jean, t. xx, 12 : « Et τω δέ φίλον παραδέςασθαι τδ έν ταΐς Παύλου ζράξβσιν άναγιγραμμένον ώς ΰπδ τού Σωτήρος etρημένον,*Ανωθεν μέλλω σταυρόΰσθαι, ουτος... S’il plaît à quelqu’un de recevoir ce qui est écrit dans les Actes de Paul comme prononcé par le Sauveur : « Je « vais être crucifié de nouveau, » il...33 » On le voit, ces Actes n’ont pas pour Origène l’autorité des livres canoniques, qu’on n’a pas la liberté d’accepter ou de rejeter; mais lui-même les utilise ici largement, autant qu’il le ferait des écrits les plus authentiques : donc, pour lui, leur doctrine ne prête pas à discussion. D’ailleurs, cette parole non plus n’a pas été conservée dans ce qui nous reste des Acta Pauli; mais elle peut s’appliquer fort bien, dans une prédication sur le péché, au crime commis par le pécheur, qui crucifie de nouveau le Sauveur, ou au fait que le Christ subit ce supplice dans la personne de chacun de ses disciples persécutés.

Tertullien, vers l’an 200, aura plutôt l’occasion d’insister sur la non-authenticité des Actes de Paul. Il nous donne sur eux, dans son De baptismo, c. xvii 1, un témoignage très important. Quelques détails du texte ne sont pas sûrs, mais ces variantes ne changent rien aux conclusions que nous pouvons tirer de son ensemble. (iQuod si qui Pauli perperam inscripta 2 legunt, exemplum Theclæ ad licentiam mulierum docendi tingendique defen dunt, sciant in Asia presbyterum, qui earn scripturam construxit, quasi titulo Pauli de 8uo cumulons, convi-ctum atque confessum id se amore Pauli fecisse, loco deces-sisse. Si ceux qui lisent les écrits portant faussement le nom de Paul invoquent l’exemple de Thècle pour défendre le droit des femmes à enseigner et à baptiser, qu’ils apprennent ceci : en Asie, le prêtre qui a forgé cet ouvrage, comme s’il allait compléter l’autorité de Paul par la sienne, convaincu par son propre aveu qu’il avait fait cela par amour pour Paul, fut destitué. »

1. Édit. Reiffencheid (Corpus de Vienne), Tertullien, t. 1, p. 215.

2. Correction de Reiffencheid acceptée par Zahn, Gesch. des N. T. Kanons, t. 11, p. 892. Ce· parole· ne veulent pa· dire : < écrits fausse-ment attribués à Paul » (Paulo perperam adscripta), comme si Paul les avait lui-même composés, mais · portant faussement le nom de Paul ». C'est le sens de ·aint Augustin, quand, par sub apostolorum nomine scripta, il entend : in actibus scriptis a Leucio quos tanquam actus apostolorum son bit. Cf. Zahn, Acta Johannis, Erlangen, 1880, p. 202.

S’agit-il ici des seuls Actes de Paul et de Thècle? Évidemment non; ce titre que je viens de leur donner est celui qu’on leur applique le moins; et jamais on ne les a simplement appelés « Actes de Paul », comme le dit ici, ou à peu près, Tertullien, Pauli perperam insertpta. D’autre part, le personnage de l’apôtre est très loin d’y jouer le premier rôle; il n’est qu’un assez pâle deutéragoniste, en face de Thècle, protagoniste; et cette confession du prêtre asiatique serait alors bien singulière, qu'il a écrit « par amour pour Paul », quand celui■ ci n’aurait dans son œuvre qu’une importance très secondaire! Tertullien pense donc aux Πζύλου πράξεις dont, en même temps, Hippolyte parlait à Rome.

Et le seul reproche qu’il leur fait, c’est de ne pas être authentiques. On ne peut même pas dire qu’il leur prête la doctrine qu’il attribue à ses adversaires, le cas de Thècle étant extraordinaire et ne pouvant servir de preuve pour l’exercice d’un droit habituel. Oui, le prêtre a été destitué : mais ce n’est pas du tout pour avoir soutenu cette doctrine; c’est pour avoir eu l’audace de raconter une prétendue vie de Paul, que lui-même avait forgée, confessum se id... fecisse. Donc, Tertullien ne fait que constater la non-authenticité de l’œuvre, et il serait bien étonnant qu’avec sa vigueur, sa dureté même, habituelle, il n’eût pas relevé violemment quelque autre défaut, s’il en avait connu de graves. L’écrit est bien catholique; c’est un prêtre catholique qui l’a composé; ce sont des catholiques qui pourraient en invoquer le témoignage. Remarquons d’ailleurs en passant que Tertullien a dû le lire en grec, aussi bien que les théologiens qu’il attaque, quelque peu érudits eux-mêmes.

Donc, la place que Tertullien donne lui-même aux Actes de Paul, si elle est inférieure à celle que leur accorde Hippolyte, est encore assez élevée. Ce n’est pas du tout une œuvre hérétique; mais elle n’est pas non plus au rang des écrits canoniques; elle doit se placer parmi les « non-authentiques », exactement là où, un peu plus d’un siècle plus tard, Eusèbe la placera.

2. Première moitié du IVe siècle chez les Grecs et les Latins ; IVe siècle tout entier chez les Arméniens.

Nous ne possédons pas d’autres témoignages que les précédents, datés du 111e siècle, sur les Actes de Paul, à moins que l’on ne reporte à la fin de ce siècle la rédaction du codex Claromontanus, qui peut être tout aussi bien du commencement du ive siècle. A ce codex est S

annexé un catalogue des écrits de l'Ancien et du Nouveau Testament, à la En duquel l’auteur mentionne six ouvrages dans l’ordre suivant : 1° l’épitre de Barnabé; 2° l’Apocalypse de Jean; 3° les Actes des apôtres; 4° le Pasteur d’Hermas; 5° les Actes de Paul ; 6° l’Apocalypse de Pierre. Cette place des Actes de Paul, c’est à peu près exactement, nous allons le voir, celle qu’ils occupent dans le catalogue d’Eusèbe; et c’est ce qui me fait croire, outre le fait que désormais aucun catholique occidental ne paraîtra plus connaître à fond l’ensemble des Actes de Paul, que ce codex fut écrit dans l'Église alexandrine ou aux environs, comme le prétend Zahn, et non en Occident, comme le prétendent Harnack et Jülicher. Quoi qu’il en soit, l’essentiel est pour nous de constater le fait, que les Actes de Paul sont mis ici au même rang que des livres hautement vénérés. Le codex note pour les Acta Pauli 3560 stiques, ce qui prouve qu’ils étaient transcrits dans les mss des livres bibliques.

C’est la même impression que donne la lecture de la Didascalie syriaque, dont la composition peut remonter à la première moitié du ive siècle, sinon aux dernières années du iiie. C’est très probablement de la correspondance apocryphe de Paul avec les Corinthiens que l’auteur de la Didascalie a tiré la mention qu’il fait (vi, 8) des deux adversaires des apôtres, Cléobius et Simon (lettre des Corinthiens, 2), les trois hérésies que (vi, 10) il attribue à ceux-ci, exactement dans l’ordre où les cite la lettre des Corinthiens, et enfin l’emploi qu’il fait, comme la lettre de Paul, de l’exemple du prophète Élie pour prouver la résurrection des corps.

Il est difficile de décider si cet auteur a connu cette correspondance apocryphe déjà séparée de l’ensemble des Acta Pauli, ou s’il l’a lue dans ces Actes mêmes. Étant donnée la date, la seconde hypothèse paraît la plus probable. Mais c’est sans doute à cette époque précisé* ment, ou un peu après, que, tirant une importance particulière du secours qu’elle apportait dans la lutte contre les hérétiques, en particulier contre les partisans de Bardesanes, elle a été traduite à part par les Syriens, et placée dans leur recueil canonique. C’est un témoignage on ne peut plus net de la vénération véritable dont jouissaient les Acta Pauli.

L’appréciation d’EusÈBE, en 324, concorde parfaitement, et d’une manière expresse, avec celles que nous connaissons déjà. Dans H. E., III, 111, 5 34, après avoir énuméré les 14 épitres canoniques de saint Paul, il ajoute que l'Église romaine doutait de l’origine de l’épîtrc aux Hébreux; puis il constate que la tradition n’est pas du tout concordante sur l’ouvrage intitulé Παύλου ■πράςίις, et parle ensuite d’Hermas. C’est mettre les Acta Pauli au moins au même rang que le Pasteur d’Hermas.

D’ailleurs, dans le même ouvrage, III, xxv 35, Eusèbe donne son catalogue célèbre des écrits du Nouveau Tes* tament.il les divise en trois groupes: 1° les άμολογούμανα, acceptés de tous ; 2° les άντιλ«γ;μινα, discutés, et les νόθα, non authentiques, dont il fait deux classes, qui du  reste ne sont pas pour lui distinctes, puisqu’à la fin il désigne ce second groupe tout entier sous le nom d’àv-τιλεγ έμενα; 3° les hérétiques. Or, « τών Παύλου πράξεων ή γραφή, l’écrit des Actes de Paul» est nommé en tête de la seconde division du second groupe, avant le Pasteur, ],Apocalypse de Pierre, l’Épître de Barnabé, et la Didachè. Au contraire, λ les Actes d’André et de Jean, et des autres apôtres, Άνδρέου καί Ίωάννου καί τών άλλων αποστόλων τάς πράξεις » se trouvent parmi les écrits hérétiques. Eusèbe ne pouvait dire plus clairement que ces Actes de Paul, bien connus et très estimés, trouvaient place, dans ],opinion du temps, immédiatement au-dessous des livres canoniques, et qu’ils ne portaient aucune de ces trois marques auxquelles il reconnaissait les écrits hérétiques : de n’avoir pas été mentionnés par une série d’écrivains ecclésiastiques se rattachant aux apôtres; de s’écarter par leur style du caractère apostolique; de ne pas concorder dans leurs doctrines avec la véritable orthodoxie.

C’est tout au début du ive siècle que, dans son Ban-guet des dix vierges ou de la chasteté 36, Méthode, évêque d’Olympe en Lycie, mort vers 311, fait prononcer à sainte Thècle, comme aux autres vierges, un discours à la louange de la chasteté. Ce discours contient quelques allusions à la vie de la sainte telle que la rapportent les Actes de Paul·, « la vierge, dit-il, méprise la richesse, la gloire, la noblesse, le mariage; et, si on veut livrer son corps aux bêtes et au feu, elle est prête à souffrir. » A la fin de l’œuvre, c’est Thècle qui conduit le chœur des vierges; elle chante les couplets de l’hymne en l'honneur de la chasteté, et les autres reprennent le refrain.

Ce témoignage ne se rapporte pis sans doute directement aux Actes, mais il s’en rapproche tellement, il atteste une telle vénération pour la sainte, qu’il suppose

écrite une vie si connue et si respectée. Je crois même qu’il rend très vraisemblable le fait que, dès le début du ive siècle, les Actes de Paul et de Thècle, attirant tout spécialement l’attention des admirateurs de la sainte, et se détachant facilement de l’ensemble des Acta Pauli pour s’adapter à la lecture publique dans les églises, vivaient déjà de leur vie propre en dehors de l’œuvre entière.

Cette séparation était d’ailleurs certainement un fait accompli pour la correspondance de saint Paul et des Corinthiens. En effet, Éphrem le Syrien a commenté la III Cor., exactement comme les autres épîtres de saint Paul 1. Il n’y a donc pas de doute que, vers 360, cette épitre n’ait joui d’une très haute réputation dans l'Église d’Édesse, et qu’elle n’ait été détachée de l’ensemble des Acta Pauli. En tout cas, Ephrem ne semble pas du tout soupçonner son origine 2. Celle-ci était donc sans doute oubliée, depuis longtemps, et la séparation était déjà consommée, comme le laisse soupçonner la. Didascalie, à la lin du 111e siècle, ce qui a permis à la lettre d’entrer sans obstacle dans le recueil d’épîtres des apôtres de l'Église d’Édesse.

1. Voir Introduction, p. 20.

2. Ce qui le prouve le mieux, c'est qu’il attribue aux Bardésanites le fait « d’avoir écrit aussi des « Actej des apôtres », pour faire passer sous le nom des apôtres, au moyen de leurs actions et de leurs exem-pies qu’eux-mêmes ont forgés, cette impiété que les apôtres combat-taient. » Et ce qui est curieux, c'est qu’Éphrem invoque précisément III Cor. contre les Bardésanites. Nous trouvons IA déjà le reproche de falsification que les écrivains ecclésiastiques répéteront si souvent contre les apocryphes.

Vers le même temps qu’Éphrem, un autre Syrien, Aphraates 3, employait les versets 5 et 10 de la lettre de Paul à l’égal de ceux, d’une épitre canonique 4.

3. Homélies d’Aphraates, trad, par Bert, Texte und U nier s., t. ni, fasc. 3, homélie xxm, p. 389; Patrologia Syrieca, t. 11, col. 64.

4. Vetter, Der apokryphe drille Korinther brief, p. 27, fait cependant remarquer que Aphraates a pu tout aussi bien se servir de Rom., 1, 3.

Des Syriens, cette correspondance passe aux Arméniens. Un témoignage qui nous le prouve est celui d’un Arménien du viie siècle, Théodore Khertenavor. Employant cette même épitre contre les Mairagonésiens1 il avoue sans doute qu’elle ne se trouve plus dans les bibles de son temps; mais il affirme que Grégoire l’Illuminatevr en avait cité une parole dans un de ses discours; et son témoignage est d’autant plus précieux que, si ces discours sont vraiment de saint Grégoire, et non de Mesrop (comme le prétend Vetter), il nous reporterait au commencement du ive siècle. Notons d’ailleurs en passant que Théodore Khertenavor accorde à III Cor. une valeur canonique, puisque, s’il rappelle que cette lettre ne se trouve pas dans les bibles récentes, c’est pour prouver, à propos de la sueur de sang de Jésus (Luc, xxii, 44), qui ne s’y trouvait pas plus, que des faits peuvent fort bien être vrais tout en étant enlevés de ces bibles nouvelles.

1. Voir, sur les Mairagonésiens, K. Ter-Mekrettschean, Die Pauli-kianer, Leipzig, 1893, p. 67 8q. L'auteur conjecture que le Théodore qui combattit ces hérétiques pourrait bien être autre que Khcrte« navor, et avoir vécu au ix* ou au x· siècle. Cf. Vetter, op. cit., p. 33.

En tout cas, III Cor. se trouvait dans la bible arménienne que donna Mesrop, en 405 ou 406, sous l’impulsion sans doute de son ami le patriarche Isaac. Mais une traduction officielle d’après un ms. grec, qui ne conte-naît pas la lettre apocryphe, la fit disparaître, après 432. Elle disparut aussi de la bible syrienne après l’apparition de la Peschitto, tant fut grande l’influence de la bible grecque, et elle n’y reparut plus, tandis qu’elle reprit bientôt son importance chez les Arméniens 2.

2. Les Grecs, au contraire, ne l’ont jamais regardée comme authentique. C'est que sans doute ils en ont connu quelque temps encore l’origine, tandis que le souvenir de cette origine, si même elle a jamais etc soupçonnée par eux, s'est vite effacé de l’esprit des Syriens, et, à plus forte raison, des Arméniens qui dépendent d’eux.

3. Seconde moitié du IVe siècle chez les Grecs et les Latins.

Nous n’allons plus guère entendre parler désormais que des Actes de Paul et de Thècle, du moins quand il s’agira de témoignages catholiques. Ceux-ci prouvent la grande faveur et la haute vénération dont F Eglise entourait sainte Thècle.

Saint Athanase, aux environs de 350, écrivait, à Alexandrie, une vie de Thècle, maintenant perdue 1.

A plusieurs reprises, saint Grégoire de Nazianze rappelle la vie et les vertus de sainte Thècle. Dans son premier discours contre Julien l'Apostat 2, en 363, il la loue d’avoir accepté volontiers la lutte contre le feu et le fer , les bêtes sauvages et les tyrans. « Dieu, dit-il, l’a sauvée d’un prétendant tyrannique, et d’une mère plus tyrannique encore. » Vers 385, dans ses Avis aux vierges 3, il leur propose l’exemple de Thècle : « Dieu l’a protégée contre le feu, et il a enchaîné la fureur redoutable des bêtes carnassières. » Et, dans son « Exhortation 4 » : «Thècle échappe au feu et aux bêtes. »

Saint Grégoire de Nysse, à la même époque, dans sa xive homélie sur le Cantique des Cantiques 5, affirme qu’en recevant en son cœur la parole qui y coulait de la bouche de Paul, Thècle a rejeté l’homme extérieur...

En 377, Épiphane, llæres., lxxix, 5 6, place sainte Thècle à côté d’Élie, de saint Jean-Baptiste et de la sainte Vierge. Hæres., lxxviii, 16 37, il dit d’elle : « Thècle rencontre saint Paul et brise son mariage, alors qu’elle avait un prétendant très beau, un des premiers de la ville, excessivement riche, de race très noble et très illustre; mais la sainte méprise les biens terrestres, pour posséder les biens célestes. »

Saint Jean Chrysostome ne pouvait manquer de faire l’éloge de la vierge Thècle. Dans son homélie xxv  38 sur les Actes des apôtres, prononcée en 400 ou 401,1e grand orateur s’écrie : a Ecoutez ce que fit la bienheureuse Thècle; pour voir Paul, elle donna même ses propres bijoux d’or. »

Bien plus important pour nous est le témoignage de saint Jean Chrysostome sur le martyre de saint Paul; celui-ci est mentionné à plusieurs reprises.

1° En 376. Contra oppugnatores vitæ monast., 1, 3 39 : Ο^τος ό Νέρων τον μακάριον Παύλον (και γάρ ετυχε κατά τούς αυτούς εκείνου γενόμενος χρόνους) τοιαύτα έγκαλών, ο’άζερ υμείς τοίς άγίοις τούτοις άνδράσιν, παλλακίδα γάρ αΰτοϋ σφδδρα έπέρασ-τον πείσας τον περί τής πίστεως δέςασθαι λόγον, έπειθεν όμοϋ καί τής ακαθάρτου συνουσίας άπαλλαγήναι εκείνης· τοιαΰτα γοΰνεγκα-λών εκείνος καί λυμεώνα και χλάνον καί τα αυτά αζερ υμείς φθέγγεσΟε τδν Παύλον άζοκαλών, τ': μέν πρώτον έδησεν, ώς δε οΰκ έζειΟε τής ζρός τήν κ:ρην άζόσχεσθαι συμβουλής, τέλος άπέκτεινεν. Ce Néron (car lui et Paul se trouvèrent vivre à la même époque) fit précisément au bienheureux Paul les reproches que vous adressez vous-mêmes à ces saints hommes; Paul, en effet, après avoir fait accepter à la concubine de Néron, follement aimée de celui-ci, la parole de la foi, la persuada aussi de renoncer à ces relations impures : aussi, Néron lui adressa ces mêmes reproches ef le traita de ces mêmes noms de fléau et de charlatan que vous répétez vous« mêmes; il le fit d’abord enchaîner; puis, comme il ne put l’empêcher de continuer ses conseils à la jeune femme, il le fit, à la fin, mourir. »

2° En 387, dans son homélie xvi, ad populum Antiochenum 40 : « Μετά τού των (τών εεσμών) έν τώ :εσμωτηρίω c2.׳-τριβών τον Βεσμοφύλακα έπεισε, μετά τούτων τον Άγρίππαν έπεσπέ-σατο, μετά τούτων πολλούς μαόητας κατεσκεύασεν 6 Παύλος, par ces liens, dans la prison même où il vivait, Paul per* suada le geôlier; par eux, il entraîna Agrippa; par eux, il se fit beaucoup de disciples. »

3° Vers 395, in II Tint., hom. 111  41 : « Προσέχρουσε γαρ τ־τε τώ Νερών׳., τινάτών αναχειμένων αύτώ οικειωσάμενος, Paul blessa alors Néron, en faisant sien un de ceux qui étaient attachés à la personne de celui-ci. »

In H Tim., hom. x42 : « ΈπειΒή 5ε τ^ν οίνοχόον αύ-τού χατήχησε, τότε αύτον άπέτεμεν, Quand Paul eut cp-téchisé l’échanson de Néron, celui-ci le fit décapiter. »

5° En 401, in Acta apost., hom. xlvi 43 : « Λέγεται Νέρωνος καί οίνοχύον και παλλακβα άσπίσαι. On dit que Paul entraîna et l’échanson et la concubine de Néron. »

Il y a dans ces citations quelques divergences avec le martyre contenu dans les Ada Pauli. Lipsius 44 s’est servi de ces divergences pour prouver que le texte primitif, gnostique selon lui, a subi de nombreux remaniements, en particulier de la part des catholiques; c’est un de ces remaniements qu’aurait utilisé saint Jean Chrysostome; C’est certainement là une erreur; ou du moins le texte modifié, d’après les témoignages que nous avons étudiés jusqu’ici, ne pourrait provenir que d’un texte catholique primitif. Mais les divergences de saint Chrysostome s’expliquent plus simplement. Et d’abord, la citation 2 n’a rien à voir avec les Acta Pauli. Il s’agit en général des conversions dont la captivité (=Ies liens) de Paul» quelle qu’elle ait été, fut la cause heureuse; or, celle du geôlier est tirée de Act., xvi, 33; celle d’Agrippa, de Act., xxvi, 28; enfin, celle des autres est trop générale pour pouvoir être rapportée à une œuvre particulière.

Dans les autres citations, il n’y a aucune difficulté pour « l’échanson », ou « celui qui était attaché à la personne de Néron »; c’est évidemment le Patrocle de nos Actes, dont la conversion et la résurrection entraînèrent et la persécution et la mort de Paul. Il est plus pénible d’expliquer la mention d’une « concubine » de Néron. Notons cependant que les données de saint Chrysostome ne sont pas bien nettes. Dans le texte 5. il affirme à la fois la conversion de l’échanson et de la concubine; dans le texte 1, il mentionne cette dernière seule. Sans doute, il a dû lire, détachés chacun de leur ensemble, le martyre de Paul, tel que nous l’avons, provenant des anciens Actes de Paul, et le martyre de Pierre, extrait des Actes de Pierre. Dans le ms. qu’il utilisa, ces deux martyres étaient joints, comme ils le furent ensuite presque toujours. Or. le premier parle de l’échanson, et le second des quatre concubines du préfet Agrippa, dont la conversion par Pierre entraîna la mort de l’apôtre. De là, confusion; elle ne paraît pas si singulière dans un discours où il importe peu que ce soit l’échanson ou la concubine qui ait amené la mort de Paul; elle le paraît d’autant moins que saint Jean Chrysostome n’avait pas du tout à témoigner à ces récits le même respect qu’à des écrits canoniques. En tout cas, il ne nous reste ainsi aucune raison de croire ici à une rédaction du martyre autre que celle qui nous est conservée.

Nous avons aussi, de la même époque, sur l’existence des Actes de Thècle, un témoignage bien curieux. L’Aquitanienne Ethérie, visitant le tombeau de sainte Thècle à Séleucie, y lut, dit-elle 45, « le martyre et tous les actes de sainte Thècle. » Ce témoignage constate très nettement que, vers 385, les Actes de Thècle étaient, même en Orient, séparés de l'ensemble des Παύλου πράξής.

C’est un peu après, vers 400, que Théodore de Mopsueste prononçait en l’honneur de la sainte, au jour de sa fête, un discours maintenant perdu  46.

En Occident, saint Ambroise de Milan, sur qui l’influence grecque eut tant de prise, célèbre Thècle à maintes reprises. Je citerai celui de ses écrits qui se rapproche le plus de la vie que nous connaissons; dans son De virginibus, 1. II, 111, 19-21 47, composé en 377. saint Ambroise dit : « (Thecla) copulan: fugiens nuptiale ni. et sponsi furore danmata, naturam etiam bestiarum vir· ginitatis venerations mutavit. Namque parata ad feras, f eu in as pectus quoque declinaret virorum, ac vitalia ipsa s.tvo offerret leoni, fecit ut qui inipudicos detulerant oculos, pudicos referrent. Cernere erat lingentem pedes bestiani cubitare hunii. muto testificantem sono quod sacrum vir-ginis corpus violare non posset. Thècle, fuyant l’union nuptiale, et condamnée par la fureur de son fiancé, changea jusqu’au naturel des animaux sauvages en leur faisant vénérer la virginité. Car, offerte aux bêtes, alors qu’elle évitait les regards des hommes et qu’elle abandonnait son corps même au lion cruel, elle produisit ce changement que ceux qui avaient laissé tomber sur elle des yeux impudiques, les y reportassent pleins de pudeur; ils purent voir la bête, couchée à terre, léchant les pieds de Thècle, témoignant hautement par son silence qu’elle ne pouvait violer le corps sacré de la vierge. »

Chose curieuse, on fête à Milan sainte Thècle le 24 septembre, comme en Orient (c’est le 23 en Occident); ce fut peut-être sous l’influence d’Ambroise, qui imita l'Orient en plusieurs autres points. On croyait d’ailleurs posséder dans cette ville h tète de la sainte.

L’écrivain désigné sous le nom d’AMBROSIASTER, qui commentait vers 370 les épîtres de saint Paul, nous fournit un autre témoignage de l’estime dont on entourait encore les Actes de Paul et de Thècle. Expliquant Il Tim., ii, 18, et parlant de la négation de la résurrec-tion par Hymenæus et Philetus. il dit : « II i, ut ex alia scriplura docemur, in filiis fieri resurrectionem dicebant. Ces hommes, comme un autre écrit nous l’apprend, disaient que la résurrection se fait dans nos fils 48, » c'est-à-dire que l’homme ne revit que dans ses enfants. Or, aucun ouvrage canonique ne nous donne ce renseignement; et il se retrouve très net à la fin du c. xiv des Acta Theclæ. Il est vrai qu’il est attribué à Dénias et Hermogène; mais l’Ambrosiaster s’inquiète peu des noms propres; il ne voit que la qualité d’ennemis de la véritable doctrine. Ainsi, à propos de II Tim., iv, 14, il nous dit : « Alexander iste, et Demas supradiclus, colle gæ juerunl. Hi prius cum apostolo erant, simulantes illi ami ci ti am. Cet Alexandre, et Dénias dont j’ai parlé plus haut, furent collègues. Ils étaient d’abord avec l’apôtre, simulant l’amitié pour lui 49. » C’est le début même des Acta Theclæ. Commentant II Tim., 1, 15, le même auteur avait utilisé déjà ces Acta Theclæ pour Phygelus et Hermogène : « Hi, quos memorat (Paulus), fdllacia pie ni erant ; simula ban l enini amicitias apostoli... Ces hommes, que mentionne Paul, étaient pleins d’hypocrisie; ils simulaient en effet l’amitié pour l’apôtre 50. » S’il est évident, d’une part, d’après ces citations, que l’Ambrosiaster a connu les Acta Theclæ. il est absolument impossible, d’autre part, d’y voir une allusion quelconque à un autre épisode de l’ensemble des Acta Pauli.

Zenon, évêque de Vérone dans la seconde moitié du IVe siècle, loue en termes emphatiques les épreuves de Thècle; cependant, bien que le genre de style adopté par lui ne lui permette pas de suivre à la lettre les Acta Theclae, on reconnaît avec certitude leur influence (1. I, traité VIII, De timoré) 51. « Adwsus Theclam accusator acerrimus linguae e.vserit gladium ; cum suis sibi ministri* publicx leges insaniunt; stimuli* acuitur feritas in ferocitatem, et tamen hominibus mitior inve-nitur. Ne quid scense tant diræ inhumanitatis deesse videa· tur, immittuntur etiam marina monstra; laciniis omni· bus spoliatur paella, vestitur incendio. Inter tôt instru-rnenta mortis speclatore metuente secura calcat genera universa terrorum. Contre Thècle, un accusateur des plus violents tire le glaive de sa parole; avec leurs propres ministres, les lois publiques entrent en fureur; des aiguillons excitent les instincts sauvages jusqu’à la férocité, et cependant ces instincts se montrent plus doux que les hommes. Pour qu’aucun trait d’inhumanité ne paraisse manquer à une scène si cruelle, on fait intervenir même des monstres marins; la jeune fille est dépouillée du moindre lambeau de vêtement; la flamme lui en fait un. Parmi tant d’instruments de mort, quand le spectateur est dans l’épouvante, elle, en sécurité, foule aux pieds tous les genres de terreurs. » Ce sont successivement des allusions aux c. xx, xxi, xxxv, xxxiv, xxxiii et xxxiv des Acta Theclæ.

Tous ces éloges à Thècle et tous ces emprunts à ses Actes n’empêchent pas d’ailleurs que l’on ne perd pas de vue le caractère apocryphe de ceux-ci. Saint Jérôme, sous l’influence, il est vrai, de Tertullien, va nous le rappeler très nettement. Son témoignage sur les Actes de Paul et de Thècle a donné lieu à bien des interprétations et prêté à bien des conjectures. Parlant de Luc, auteur de l’Evangile et des Actes, dans son De t'iris illustribus, c. vii 52, saint Jérôme saisit l’occasion de condamner les Acta Theclæ, en ces termes : « Igitur περίόϊους Pauli et Theclæ et totam baptizati leonis fabu-lain inter apocryphas scripturas computamus. Quale enim est ut individuus cornes apostoli inter ceteras ejus res hoc solum i gnoraverit ? Sed et Tertullianus vicinus eorum temporum refert, presbyterum que indam in Asia (τχουίζστήν apostoli Pauli, convictum upud Joannem, quod au et or esset libri, et confessum se hoc Pauli amore fecisse, loco eicidisse. Donc, nous comptons « les pérégrinations de « Paul et de Thècle», et toute la fable du lion baptisé, parmi les écrits apocryphes. Gemment admettre en effet qu’un homme (Luc), compagnon de l’apôtre, rit ignoré ce seul fait parmi les autres qui le concernent? Mais de plus, Tertullien, proche de ces temps, rapporte qu’un prêtre d’Asie, un « zélé » admirateur de l’apôtre Paul, convaincu devant Jean d’être l’auteur de ce livre et ayant confessé qu’il l’avait composé par amour pour Paul, fut destitué. »

Il n’est pas possible de douter que saint Jérôme ait eu sous les yeux le texte, rappelé plus haut, de Tertullien, et tiré du De baptismo, et non pas l’ouvrage grec que Tertullien lui-même, De baptismo, c. xv, nous dit avoir composé sur le même sujet. Nous y retrouvons en effet les mêmes mots exactement : in Asia presby-terum convictum atque confessum... id se amore Pauli fecisse. Un tel accord ne s’explique que si le second auteur cite le premier. Mais saint Jérôme mêle aux don-nées que lui apporte immédiatement Tertullien des connaissances personnelles; il ne parle que des Actes de Paul et de Thècle et non des .Actes de Paul, comme Tertullien; et il ajoute :« toute la fable du lion baptisé », et « devant Jean ».

D’où tient-il ccs connaissances? C’est ce qu’il nous est à peu près impossible de savoir. Dès cette fin du IVe siècle, bien d’autres légendes sans doute avaient cours que celles qui sont consignées dans les Actes. Celles-ci même, on les avait imitées et évidemment exagérées: et ce serait une allusion à l’une de ces déformations du récit primitif que le tota baptizati leonis fabula de saint Jérôme. Le lion intervient assez souvent dans les Acta Pauli, deux fois dans l’épisode de Thècle, une fois dans l’épisode d’Ephèse, comme nous l’apprend la paraphrase de Nicéphore, étudiée à propos de saint Hippolyte. Quelque remaniement, dû à un manichéen 53 (et les auteurs ecclésiastiques leur reprochent souvent ces « inventions absurdes »), ne lui aurait-il pas fait recevoir le baptême ? En tout cas, Krüger 54, et après lui, Schmidt 55, appellent justement notre attention sur un apocryphe publié par Ed. J. Goodspeed 56, et intitulé Épître de Pélagie. Il s’agit là d’une prédication de Paul; celui-ci « fait entrer un lion dans les grandes choses des chrétiens, » ensuite, condamné aux bêtes, il retrouve dans l’amphithéâtre ce même lion « haut de douze coudées et de la taille d’un cheval,» qui l’imite dans sa prière et son adoration ; ensemble, ils s’entretiennent devant le peuple qui s’émerveille. N’est-ce pas de ce récit, ou de quelque autre analogue, que parlerait saint Jérôme, sans d’ailleurs y prêter grande attention, parce que ce récit est manifestement hérétique et utilisé par les hérétiques?

Ne nous étonnons pas d’autre part qu’il ait trouvé dans quelque allusion d’un auteur ou dans une tradition orale cette affirmation que le prêtre asiatique a été traduit '« devant Jean». On rapportait volontiers à cet apôtre, on rapportait surtout au temps de sa Ion· gue vieillesse, quand il dut lutter déjà contre les erreurs naissantes, une foule de légendes, qui se cristallisaient autour de son nom. Songeons aussi que saint Jérôme pouvait, en ne cherchant pas, il est vrai, l’exactitude absolue, appeler vicinus eorum ternporurn Tertullien, qui vivait deux siècles avant lui-même, et un siècle seulement après Jean.

Reconnaissons donc que ses renseignements personnels, en dehors de ceux qu’il doit à Tertullien, ne sont pas puisés aux sources mêmes ; aussi ne songe-t-il pas à l’ensemble des Acta Pauli, comme l’avait fait Tertullien; il les ignore sans doute; il ne connaît que ce qu’il mentionne, cet épisode de Thècle que les catholiques aussi lisent autour de lui; mais il est absolument inutile de supposer qu’il a utilisé des actes gnostiques primitifs, que la piété catholique aurait transformés, d’où particulièrement elle aurait enlevé tout ce qui pouvait la choquer.

Cette attitude de saint Jérôme vis-à-vis des rceptoBot Pauli et Theclae ne l’empêchait d’ailleurs pas plus de croire à l’existence historique de Thècle que de croire à celle de saint Paul. De ce qu’on avait composé sur elle des écrits dont il fallait se défier, il ne s’en suivait pas pour lui que la vénération que l'Église, s’appuyant sur une tradition continue et constante, lui témoignait, n’était nullement fondée. Aussi, lui accorde-t-il toute son admiration. Dans sa lettre à Eustochium1, il la place dans le chœur des vierges à côté de la sainte Vierge et de Mirjam, sœur d’Aaron, et s’écrie : « Tunc Thecla in tuos læte volabit amplexus. Tunc et ipse sponsus occurret et dicet... Alors Thècle, joyeusement, volera à ton embrassement. Alors l’époux lui-même accourra et dira... » Il n’y a entre ces louanges et la répulsion pour des écrits apocryphes aucune contradiction.

1. P. L., t. xxii, col. 42׳».

Le témoignage de saint Jérôme, tel que nous l’avons compris, appelle notre attention sur l’emploi abusif que les hérétiques faisaient dès lors des Actes apocryphes des apôtres, et sur les déformations que sans doute ils firent plus d’une fois subir aux textes primitifs. Cet emploi est noté d’abord en Orient par Photius, Bibliotheca, codex 179 disant du manichéen Agapius, qui vivait dans la seconde moitié du IVe siècle : < Kal τβϊς λεγομέναις ci ~cάςε״נ, τώ- εώύζα αποστόλων, χαί μάλιστα Άν-cpso'j, πεποιΟοι; εείχνντα׳.. χάχεϊΟεν έχων το φρόνημα ήρμένον. On voit qu’il emprunte sa doctrine aux prétendus Actes des douze apôtres, et surtout av Actes d’André, et que c’est de là qu’il tire sa pensé» N’entendons pas par « Actes des douze apôtres » une œuvre particulière, mais la collection même qu’un peu plus tard, ou déjà en même temps, employaient les manichéens d’Occident ; les Actes d’André en font partie.

L’n des premiers et des plus nets témoignages que nous ayons de l’emploi des Acta Pauli par les hérétiques d’Occident est celui de Faustus. En 396, saint Augustin 2, rappelant les paroles de celui-ci pour soutenir sa doctrine encra tique, lui fait dire : «Quid ergo? Et hoc vobis doctrina oidetur esse dæmoniorum et in seductorio spiritu dictum? Et quis erit alius in Deo loquens, si Paulus et Christus dæmoniorum probantur fuisse sacerdotes? Mitto enim ceteros ejusdem domini nostri apostolos, Petrum et Andream, Thomam et ilium inexpertum Veneris inter ceteros beatum Johannem, qui per di versa possessionem boni istius inter virgines ac pueras divino præconio cecinerunt, formam nobis atque adeo vobis ipsis facien-daruni virginum relinquentes. Std hos quidem, ut dixi, prætereo, quia eos vos exclusistis ex canone facileque mente sacrilega vestra dæmoniorum his potest is importare do-ctrinas. Num igitur et de Christo eadem dicere poteritis aut de apostblo Paulo, quern similiter ubique constat et verbo semper prætulisse nuptis innuptas, et id opéré quo-que ostendisse erga sanctissimam Theclam? Quodsi hæc dæmoniorum doctrina non fuit, quam et Theclæ Paulus et ceteri ceteris adnuntiaverunt apostoli, cui credi jam poterit hoc a'· ipso esse memoratum, tamquam sit dæmo-niorum voluntas et doctrina etiam persuasio sanctimonii ? Quoi donc? Cela aussi vous semble la doctrine des démons, dictée par l’esprit de séduction? Et quel autre homme parlera en Dieu, si Paul et le Christ sont convaincus d’être les prêtres des démons? Je laisse en effet de côté les autres apôtres de ce même Christ Notre* Seigneur, Pierre et André, Thomas, et ce Jean, vierge, bienheureux entre tous, qui chantèrent partout, au milieu des vierges et des enfants, dans leur enseignement divin, la possession de ce bien, et qui laissèrent, et à nous, et jusques à vous-mêmes, le modèle pour la formation des vierges. Oui, comme je l’ai dit, j’omets de parler d'eux, parce que vous les avez exclus du canon, et parce que, avec votre esprit sacrilège, vous pouvez facilement leur attribuer des doctrines de démons. Mais pourrez* vous donc dire la même chose et du Christ, et de l’apôtre Paul qui, c’est un fait, de la même façon, partout et toujours, a proclamé ]a supériorité des vierges sur les épouses, et Ta même reconnue en fait dans la personne de la très sainte Thècle? Si cette doctrine que Paul annonçait à Thècle, et les autres apôtres à leurs disciples, ne fut pas la doctrine des démons, qui pourra nous faire croire que ce Paul a lui-même rappelé qu’elle le fut, comme si l’exhortation à la sainteté pouvait être la volonté et la doctrine des démons ?» — Un peu auparavant, alors que les catholiques invoquaient comme une parole authentique de Paul celle de I Tim., iv, 1 sq., Faustus leur réplique : « Si vero javere huic quoque proposito el non reluctari volenti id quoque doctrinam pu-tatis esse dæmoniorum, iaceo nunc vestrum periculum. ipsi jam timeo apostolo, ne dæmoniorum doctrinam intu· lisse tune Iconium videatur, cum Theclam obpigneratam jam thalamo in amorem sermone suo perpétuas virginitatis incendit. Si vous jugez bon de favoriser cette théorie et de ne pas vous opposer à celui qui prétend voir là 57 une doctrine des démons, je ne parle pas du danger .que vous courez vous-mêmes, je crains dès lors pour l’apôtre lui-même qu’il ne paraisse avoir introduit dans Ico-nium la doctrine des démons, lorsque par ses paroles il enflamme Thècle, cependant déjà promise en mariage, de l’amour de la virginité perpétuelle. »

2. Contra Faustum manich., xxx, 4, P. L., t. xi.11, col. 493.

Ainsi, Faustus n’ose appeler en témoignage les Actes de Pierre, d’André, de Thomas et de Jean, que les manichéens avaient réunis en un véritable Corpus, parce que ces Actes étaient désormais rejetés par l'Eglise catholique. Mais les Actes de Paul, contenus dans le même Corpus 58, étaient encore, du moins en partie,  hautement vénérés par les adversaires de Faustus, ses paroles ne peuvent nous laisser là-dessus aucun doute, et saint Augustin lui-même le réfute autrement qu’en invoquant le caractère hérétique, ou même le caractère non authentique de ces actes. 11 est vrai cependant que, parmi les nombreux épisodes de ces Actes où la chas-fêté est vantée, Faustus n’en rappelle qu’un, celui de Thècle. C’est sans doute le plus caractéristique; mais il semblerait bien singulier qu’il n’eût pas au moins fait allusion à tant d’autres, propres aussi à prouver sa thèse, si, à ce moment, saint Augustin avait accepté les Actes dans leur ensemble, et non pas seulement dans cette partie spéciale. Ce témoignage est donc excellent ; mais on ne peut le faire valoir qu’en faveur de ce qu’on appelait dès lors -Actes de Paul et de Thècle, ou Martyre de sainte Thècle.

Il est intéressant de noter ici avec précision quelle fut l’attitude de saint Augustin vis-à-vis des apocryphes en généra). Elle peut se résumer dans ces paroles qu’il appliquait au livre d’Hénoch1 : « In his autera apocryphis etsi invenitur aligna veritas, ta men propter multa falsa nulla est canonica auctoritas. Bien que dans ces apocryphes se trouve quelque vérité, cependant ils n’ont, à cause de nombreuses faussetés, aucune autorité canonique. » Et il arrive évidemment que saint Augustin a plus souvent à rappeler ce dernier point que le premier; car c’est le plus souvent quelqu’une de ces « nombreuses faussetés » que les hérétiques invoquent pour soutenir leurs doctrines.

1. De civitate Dei, I. XV, c. xxm, 4, P. L., t. xli, col. 470.

Pas plus que saint Jérôme d’ailleurs, saint Augustin ne doutait de la réalité historique de sainte Thècle. En 401, pour montrer aux vierges qu’elles ne doivent pas s’estimer plus haut que les femmes mariées, il dit d’elles : « Unde, inquam, scit, ne forte ipsa nondum sil T he cia, jam sit ilia Crispina ? D’où sait-elle, bien loin que par hasard elle soit déjà une Thècle, si elle est seulement une Crispine 59 ? » Ces paroles prouvent que saint Au-gustin place Thècle très haut parmi les vierges.

Vers 390, Piiilastke, évêque de Brescia, adopte à peu près la même attitude que saint Augustin. Dans son De hæresibus, c. lxxxviii  60, il rapporte que ׳< les manichéens, gnostiques, nicolaïtes, Valentiniens et d’autres en très grand nombre, » méprisent les écrits canoniques, emploient les Actes « apocryphes d’André, de Jean, de Pierre et de Paul. » On le voit, il ne faut pas douter que les Actes de Paul aient fait partie de la collection lue par les hérétiques; elle explique, encore une fois, l’éloignement de l'Église catholique à leur égard. Cependant, la condamnation de Philastre n’est pas absolue, et semble marquer une période de transition entre l’époque où les Actes ne soulevaient pas le scandale, et celle où ils seront définitivement rejetés. Il ajoute en effet ceci : « Scripturæ autem absconditae, etsi legi de bent morum causa a perfectis, non ab omnibus debent, quia non intel· ligenles multa addiderunl et tulerunt quæ voluerunl hœre· tici. Quant aux écrits secrets (c’est-à-dire apocryphes), bien qu’ils doivent être lus par les parfaits pour leur morale, ils ne doivent pas l’être par tous, car des lecteurs qui ne savent pas les comprendre y ajoutent et y introduisent beaucoup de pensées conformes aux désirs des hérétiques. » Il n’y aura donc que ceux dont l’esprit est parfaitement formé qui pourront lire ces écrits.

D’ailleurs, Philastre ne semble pas les connaître très bien lui-même, mais seulement par les théories des

hérétiques. Il nous en rappelle une : « In quibus (actibus apocryphis) quia signa fecerunt (apostoli) magna et pro-digia, ut et pecudes et canes et bestiæ loquerentur, etiam et animas hominum taies velut canum et pecudum similes imputaverunt esse hæretici perditi. Parce que, dans ces Actes, les apôtres ont accompli de grands miracles et prodiges, comme de faire parler le bétail, les chiens et les bétes fauves, ces hérétiques maudits ont prétendu aussi que les âmes des hommes étaient semblables à celles des chiens et du bétail. »

4. Ve siècle.

N’est-ce pas aux Actes de Paul contenus dans la collection en usage chez les hérétiques, qu’un certain Cyprien, poète de la Gaule méridionale au commencement du ve siècle, à ce que prétend Harnack 61, aurait emprunté ses centons? Il est caractéristique, en tout cas, qu’il n’en cite aucun des Actes canoniques, rejetés par certains de ces hérétiques. Cependant, il en emprunte à peu près à tous les livres de la Bible, avec beaucoup d’irrégularité, il est vrai. Les trois quarts à peu près viennent de l'Ancien Testament et le reste du Nouveau Testament. Il s’en trouve onze qui appartiennent evidemment à l’épisode de Thècle : 1° Thecla super fene· s/ram, Thècle sur la fenêtre, Acta Theclæ, c. vu; 2° Thecla flammeam, Thècle avec un vêtement de feu, Ac/a Theclæ, c. xxxiv62; 3° araneum Thecla, Thècle comme une arai-gnée, Acta Theclse, c. ix ; 4° arsinum Thecla·, le premier  mot, sans doute corrompu, n’a pas de sens; 5° in bestiario Thecla. Thècle dans le cirque, Acta Theclæ, c. xxviii : 6° taurum Thecla, Thècle abandonnée au taureau, Acta Theclæ. c. xxxv; 7° spéculum argente uni Thecla. Thècle, son miroir d’argent, Acta Theclæ, c. xviii ; 8° bestiis datur Thecla. Thècle est livrée aux bêtes, Acta Theclte. c. xxx1n;9° plorabat Tryphæna, Try-phaine pleurait. Acta Theclæ. c. xxix ou xxx; 10° atten-débat Onesiphorus. Onésiphore faisait attention, Acta Theclæ, c. m; 11° vesteni detraxit Thecla. Thècle arracha l’habit, c. xxvi. Cinq autres citations sur Paul sont assez vagues; mais il yen a quatre autres encore, les plus intéressantes, qui se rapportent au séjour de Paul à Myre : 1° centrent aperuit Hermocrates; le ventre d’Hermocrate s’ouvrit; 2° panent petebat Hermocrates : Hermocrate demandait du pain; 3° murmurabat Hermip-pus, Hermippe murmurait; 4° efludit Hermocrates, Hermocrate répandit (les dons?). Ainsi, l’auteur ne con naissait pas seulement les Actes de Paul et de Thècle, mais aussi l’épisode de Myre. De ce qu’il ne rappelle aucune des autres parties des Acta Pauli, faut-il conclure qu’il les ignorait? C’est difficile; il faut dire plutôt qu’il les avait lus chez les hérétiques, car on ne trouve aucune trace certaine de l’existence des Acta Pauli dans leur ensemble chez les catholiques d’Occident.

On a rapporté à un certain Cyprien d’Antioche deux prières qui* viennent de la même source. Elles témoignent d’une grande vénération pour Thècle, qui se trouve placée comme martyre en un rang égal à celui des apô-très. La première rappelle qu’elle a été sauvée du bûcher (Hartel, Cyprien, HI, App., p. 145) :« Assiste nobis sicut apostolis in vinculis, Theclæ in ignibus, Paulo in persecutionibus, Petro in fluctibus. Seigneur, assiste-nous, comme tu as assisté les apôtres dans les liens, Thècle dans les flammes, Paul dans les persécutions, Pierre dans les flots. » La seconde rappelle que la sainte est sortie saine et sauve de l’amphithéâtre : « Libera me de medio sæculi h. 11 jus, sicut liberasti Theclam de medio amphi· theatro. Délivre-moi du milieu de ce siècle, comme tu as délivré Thècle du milieu de l’amphithéâtre. » Ce sont là deux claires allusions aux principales scènes des Acta Theclæ.

C’est à cette même époque qu’il faut rapporter le témoignage de Commodien. Dans une étude qui semble bien exacte, H. Brewer 63 a démontré qu’il n’aurait vécu que vers le milieu du ve siècle. Aussi, son témoignage a-t-il beaucoup moins de valeur que si on pouvait, comme on le croyait auparavant, le faire remonter au iiie siècle. Deux des miracles qu’il rappelle appartiennent d’ailleurs aux Actes de Pierre, celui du chien parlant et de l’enfant de « cinq mois »; il reste celui du lion : « (Deus)leonem populo fecit loqui voce divina; Dieu fît qu’un lion parla au peuple d’une voix divine; » on n’en a plus trace dans ce qui nous reste des Acta Pauli. Je crois qu’il est tiré de ce même remaniement auquel Jérôme a fait allusion dans sa tota baptizati leonis fabula, et dont nous avons parlé à son propos. Que Commodien ait mis tous ces faits sur la même ligne que le miracle de l’ânesse de Balaam, ne nous en étonnons pas; il est laïque, et il est poète (cf. l’étude citée) et s’intéresse beaucoup plus au charme et à l’attrait d’un récit qu’à son orthodoxie, pourvu toutefois que celle-ci paraisse suffisante. Rappelons-nous d’ailleurs l’attitude des écrivains ecclésiastiques de cette époque, de Turribius d'Astorga, en particulier; comme nous le verrons, ils ne blâment pas les faits merveilleux rapportés par les apocryphes, mais seulement les doctrines. Or, Commodien n’utilise que les faits.

C’est un autre épisode des Acta Pauli, le martyre de Paul, que rappelle, en 410, Macaire de Magnésie64·

Répondant à une attaque d’un adversaire, probablement de Porphyre, à propos du martyre de Paul et de Pierre, il s’appuie sur une ιστορία pour dire du premier : « Ό μεν γάρ τής κεφαλής τμηΟβις αιματι καί γάλακτι τσν οφιν βίς λιχνείαν ώσπερ έ:־λέασ־ν. quand on lui coupa la tète, il en coula du sang et du lait, comme pour amorcer le serpent par cette friandise. » Cette ιστορία n’est que le dernier épisode des Acta Pauli évidemment détaché de l’ensemble. D ailleurs, la légende avait, à cette époque, varié, puisque ce n’est pas seulement du hit, comme dans nos Actes, c’est aussi du sang qui s’échappe du corps décapité du saint apôtre.

Sainte Thècle est rappelée par bien d’autres auteurs. Dans son dialogue II sur la vie de saint Martin, xiii, 565, Sulpice Sévère raconte, vers 400, que sainte Thècle, en même temps que la sainte Vierge et sainte Agnès, a dû souvent apparaître à saint Martin.

Maxime de Tvrin, vers 460, dans son sermon xlvii sur la fête de sainte Agnès, mentionne à la fois les deux miracles qui ont sauvé des flammes Agnès comme Thècle : et Agnem sicut Theclam flammarum globos evasisse cognosces  66  .

En Orient, Isidore de Péluse, dans la première moitié du ve siècle, appelle (1. I, lettre lxxxvii 67) Thècle « partout illustre, colonne éternelle de chasteté, le principal des triomphes et des trophées féminins; » lettre clx 68, il lui donne le titre de « protomartyre » et la place à côté de Suzanne.

Basile de Séleucie, vers 450, compose en son hon-neur, sur sa vie et ses miracles, un ouvrage en deux livres 69. Il prétend écrire une histoire, « ιστορία...καί παλαιών

Ιργων διήγησ’.ς, τών ύζο τής μακαρίας Θέκλης τής αποστόλου καί μάρτυρας πραχθέντων ές έτέρας μεν καί παλα׳.οτέρας ιστορίας έκληφΟεϊσα, κατ’ ίχνος δε αυτής εκείνης συντεθεϊσα... un récit des anciennes actions accomplies par la bienheureuse Thècle, apôtre et martyre. Il a été emprunté à une autre histoire plus ancienne, et il la suit pas à pas. » De fait, le premier livre raconte la suite des événements exacte· ment dans l’ordre des Acta Theclæ. Basile se contente de paraphraser, surtout dans les discours, et d’expliquer tout ce qui pouvait choquer l’esprit catholique; ainsi, le baptême de Thècle est mystique, la martyre se l’étant donné à un moment d’extrême danger; et l’idée que « l’ancienne histoire » donne du mariage est proclamée fausse. Basile ne rapporte, à la fin de la vie de Thècle, ni son voyage souterrain à Rome, ni les tentatives perverses des médecins pour la perdre; il ne les connaissait donc très probablement pas. Sans doute, son œuvre a־t־elle été considérée comme officielle dans l'Eglise de Séleucie.

C’est d’un peu plus tard que date vraisemblablement un fragment d’homélie en l’honneur de sainte Thècle, faussement attribué à saint Jean Chrysostome1. Thècle, dit ce fragment, une fois sauvée du supplice, chercha Paul, guidée par les renseignements qu’elle put recueillir. Mais » le démon l’épiait dans sa route; il envoya contre elle son fiancé, comme un voleur de sa virginité dans le désert. Et comme la noble femme continuait sa route, elle voit ce prétendant accourir à cheval derrière elle et se réjouir de l’avoir rejointe. Elle est désemparée; partout le péril; l’ennemi est fort, la victime faible. Où trouver un refuge dans ce désert? » Cette citation suffit pour montrer le caractère oratoire du fragment. L’auteur cherche avant tout à toucher et à édifier; il ne faut donc pas nous étonner si, tout en utilisant le texte des Acta Pauli que nous connaissons, il ne l’a pas du tout suivi de près. Qu’il nous suffise de découvrir dans ses paroles des réminiscences de l’œuvre; or, ces démarches de Thamyris, le fiancé de Thècle, sont mentionnées dans les Acta Theclæ, c. xix; et elle-même, au c. xxi, quand elle vient d’être condamnée au bûcher, « de même qu’un agneau dans le désert regarde autour de lui vers le berger, de même elle cherchait Paul. » Il est vrai que l’auteur mentionne aussi « les parents » de Thècle, tandis que nos Actes ne parlent que de sa mère. Mais il y a là même besoin d’amplification et de rhétorique; Thècle parait bien plus méritante pour avoir résisté à la fois à son père et à sa mère que pour n’avoir pas cédé aux objurgations de sa seule mère.

1. P. G., t. l, col. 748.

L’Orient et l’Occident louent donc à l’envi sainte Thècle. Il s’en faut cependant que ses Actes, et à plus forte raison l’ensemble des Acta Pauli, jouissent de la haute considération dont on les entourait au commencement du iiie siècle; cet épisode particulier est traité comme une source historique quelconque; et les Acta Pauli sont définitivement rejetés. C’est que la lutte est de plus en plus âpre, surtout en Occident, en particulier contre les manichéens et les priscillianistes, et l’aversion devient de plus en plus profonde contre des écrits utilisés par les hérétiques, et, si l’on en croit les auteurs ecclésiastiques, remaniés par eux.

Dès le début du siècle, Innocent Ier, dans s0n rescrit de l’année 405 à Exsupère, évêque de Toulouse, qui lui avait demandé de délimiter nettement le canon, ne mentionne sans doute expressément ni les Acta Pauli ni les Acta Theclæ parmi les écrits « non seulement à rejeter, mais même à condamner, non solum repudianda, verum etiam damnanda\ » mais après avoir nommé ceux attribués à Matthiæ..., Jacobi minoris..., Petri..., Johannis..., Andreæ..., Thomæ, il ajoute: « si qua sunttalia, s’il y en a d’autres du même genre1.» Et il ne paraît pas douteux que, dans la vivacité de la lutte, l'Église n’ait alors nettement rejeté toute œuvre qui, employée par les hérétiques, n’était pas rigoureusement authentique, aussi bien les Acta Theclæ que les autres; nous le verrons d’ailleurs très expressément dans le décret de Gélase.

Léon le Grand et Turribius d’Astorga. vers 450, se montrent également sévères pour les apocryphes, sans préciser davantage d’ailleurs ce qui concerne spécialement les Acta Pauli. Mais nous savons par Philastre de Brescia que ceux-ci sont dans la collection d’Actes en usage chez les hérétiques; aussi, nous pouvons l’affirmer, la condamnation porte sur eux comme sur les autres. Saint Léon, dans une lettre à Turribius, accuse les priscillianistes « d’altérer les vraies écritures, d’en introduire de fausses, des écrits apocryphes qui, sous le nom des apôtres, forment une pépinière de faussetés, et par conséquent sont à rejeter absolument et à livrer aux flammes : acripturaa veraa adulterant, jais as indu· cunt... quæ aub nomine apoatolorurn habent seminarium falaitatum... non aolum interdicendæ, aed etiam penitus auferendæ aunt atque ignibua concremandæ2. »

C’est après avoir consulté saint Léon que Turribius d’Astorga prononce contre les apocryphes la même condamnation; mais il en veut surtout aux doctrines; car il serait possible d’accepter les faits : « Ut autem mirabilia ilia atque virtutea, quæ in apocryphia acripta aunt, sanctorum apostolorurn vel ease vel potuiaae eaae non dubium est, ita diaputationea aasertationeaque illas sen-auum malignorum ab hæreticis constat inaertaa. De même que, sans aucun doute, ces merveilles et ces miracles, écrits dans les apocryphes, ou sont des saints apôtres, ou ont pu être d’eux, de même il est évident que le s discussions et les affirmations d’idées perverses ont été introduites par les hérétiques 1. »

Le Décret de Gélase, lancé à Rome entre 492 et 4962, est très net à l’égard même des Acta Theclæ. Parmi les livres qu’il regarde (De libris recipiendis, vi, 22) comme « ne pouvant en aucune façon être acceptés » parce qu'ils ont été « écrits ou vantés par des hérétiques ou des schismatiques, ab hæreticis sive schisniaticis con· scripla vel prædicata, » se trouve un « livre, appelé Actes de Thècle et de Paul, liber qui appellatur Actus Theclæ et Pauli. » Il s’agit évidemment de celui que nous avons, et qui est employé par les catholiques comme par leurs adversaires. Du côté du moins des premiers, il ne semble pas cependant avoir subi de remaniement qui en ait altéré le caractère. Mais deux raisons suffisent pour ex-pliquer le jugement du Décret :1° ces Actes ne sont pas authentiques; 2° ils sont acceptés et utilisés par les hérétiques. Remarquons d’ailleurs que le Décret ne mentionne que l’épisode de Thècle; si Gélase avait connu les Acta Pauli dans leur ensemble, il est évident qu’il leur eût appliqué sa critique avec plus de netteté encore.

2. Texte dans Preuschen, Analecta, p. 153; pour la distinction des diverses parties du Decretum Gelasii et. Zahn, Geschichte des N. T. Kanons, t. 11, p. 245.

5. Du VIe au Xe siècle.

Les écrivains et orateurs ecclésiastiques n’en continuent pas moins à exploiter les traditions, soit trouvées déjà et utilisées par les Acta Pauli, soit surtout nées de ceux-ci.

Ces traditions varient légèrement. C’est ainsi que, pour Grégoire de Tours, In gloria martyrum, 1, 28, en 590, c’est « du lait et de l’eau qui s’échappa du corps sacré de saint Paul, ex eu jus (Pauli) sacro corpore lac defiuxit et aqua 70. »

Le pseudo-Augustin au vne siècle, dans le sermon cci, se rapproche un peu plus du texte du martyre de Paul : « De Pauli vero cervice, cum eu tn persecutor gladio per-eussissel, dicitur fluxisse magis lactis unda quant sangui-nis. Du cou de Paul, quand le persécuteur l’eut frappé du glaive, on dit qu’il s’échappa un flot de lait plutôt que de sang  71. »

Quant à ce qui concerne Thècle, saint Jean Damas-cène, qui vivait dans la première moitié du vme siècle, rappelle nettement, dans son discours De his qui in fide dormierunt, c. ix 72 , un des traits de sa vie, telle que les Acta Pauli nous la transmettent. Affirmant qu’il faut prier pour les autres aussi bien que pour soi-même, il cite l’exemple de la sainte : « N’a-t-elle pas, dit-il, sauvé Phalconille après sa mort? Μήτι τήν Φαλχονίλλαν ή τρωτό-μαρτυς ούκ έσωσε μετά θάνατον. »

Nicétas le Paphlagonien, qui vivait à Constantinople vers 880, nous laisse un panégyrique de sainte Thècle73, où il suit à peu près l’ordre des faits des Acta Theclæ; il y met sans doute, surtout dans les discours, moins d'amplifications oratoires que Basile de Séleucie; mais il ne se croit pas pour cela tenu à suivre exactement le texte. En particulier, il change les paroles de saint Paul sur le mariage, pour lui prêter la doctrine des épîtres pastorales, et il mentionne expressément que c’est l’apôtre qui a baptisé Thècle; celle-ci a cependant, mais par une exception formelle, le droit de baptiser. Nicétas connaît et rappelle les tentatives criminelles des médecins contre Thècle, à la fin de sa vie. Cette addition aux Acta Pauli date donc au plus tard du ixe siècle.

A Simeon Métaphraste, qui vivait au xe siècle, nous devons une Vie de sainte Thècle 74. Il y suit de très près les Acta Theclæ, tout en changeant souvent les mots; et son témoignage nous prouve que cette œuvre servait encore, dans l'Eglise d’Orient, au xe siècle, de témoin historique de la vie de la sainte. Siméon, comme Nicétas, rappelle l’épisode des médecins.

Dans toute cette période du vie au xe siècle, les auteurs qui ont l’occasion de parler du canon mentionnent ies Παύλου πράξεις ou Παύλου περίοδοι parmi les apocryphes. Dans un catalogue de soixante auteurs, datant vraisemblablement du vie siècle75, les Acta Pauli n’occupent, parmi les vingt-cinq apocryphes, que le dix-neuvième rang entre l’Épître de Barnabé et l'Apocalypse de Paul.

Ils viennent au cinquième rang, entre les mêmes ouvrages, dans le catalogue annexé aux « Questions et réponses » d’Anastase le Sinaïte, où sont mentionnés onze apocryphes.

La stichométrie que l’on trouve en appendice de la Chronologie de Nicéphore, patriarche de Constantino· pie au début du 1xe siècle, mais qui est, selon toute vraisemblance, d’une époque bien antérieure, attribue à la Περίοδος Παύλου, qu’elle nomme en tête des apocryphes du Nouveau Testament, 3600 stiques; cette indication concorde fort bien avec celle du Codex Claromontanus, comptant en eux 3560 stiques; elle prouve que l’auteur de la stichométrie a dû avoir sous les yeux le texte primitif des Acta Pauli. Cet ouvrage, remarquons-le, il le mentionne à part, et non pas dans une collection d’Actes, comme le fera Photius; aussi, ont-ils fort bien pu voir des textes différents, le premier le texte primitif, le second un texte remanié par les hérétiques.

Car ce n’est pas seulement en Occident, c’est aussi en Orient qu’on reproche à ceux-ci d’avoir falsifié des œuvres catholiques. Jean de Thessalonique, dans la seconde moitié du viie siècle, justifie la composition de son ouvrage sur la sainte Vierge 1 en disant que les hérétiques ont falsifié les anciens écrits orthodoxes et par suite ont attiré sur eux l’éloignement de l'Église catholique et l’oubli. Pour lui, il observera la même conduite que ses prédécesseurs vis-à-vis des « ίσιχάς περιόδους τών άγιων à ״ο στόλων Πέτρου xal Παύλου xal ’Avspéou xal Ίωάννου, pérégrinations particulières 76 77 des saints apô· très Pierre, Paul, André et Jean; » il purifiera ce qu’il emploiera, et « écartera les pierres du chemin. » De fait, nous avons vu Basile de Séleucie mettre en garde contre certaines indications des Acta Theclæ·, c’est bien le rôle que s’assigne aussi Jean de Thessalonique. Celui-ci regarde donc bien comme désormais hérétiques même les Acta Pauli mêlés à tous les autres, et son accusation de falsification est très nette.

Plus nette encore est celle de Photius, patriarche de Constantinople dans la seconde moitié du ixe siècle. Il mentionne, dans sa Bibliotheca, codex 114 78, les Actes de Paul : « Άνεγνώσθη βιδλίον, ai λεγόμεναι τών άποστόλων περίοδοι, έν α’ς περιείχοντο πράξεις Πέτρου, Ιωάννου,

Άνίρέου, Θωμά, Παύλου. Γράφει ίέ αύτάς ώς δηλοϊ τ& αύτδ β’.ίλίον Λεύχιος Χαρΐνος. A été lu un livre, ce qu’on appelle « les pérégrinations des apôtres », dans lequel étaient compris les Actes de Pierre, de Jean, d’André, de Thomas, de Paul. L’auteur en est, comme le montre le livre lui-même, Lucius Charinus. » Photins caractérise ensuite l’ensemble de ces Actes de la manière suivante : « La langue est dans l’ensemble irrégulière et étrange; car l’auteur emploie des constructions et des tournures parfois soignées, mais le plus souvent rustiques et incorrectes ; et il ne montre pas trace de la langue unie et simple, et de la grâce naturelle dont s’embellit la parole évangélique et apostolique. II abonde en folies, en incohérences et en contradictions. Il affirme en effet qu’il y a un Dieu des Juifs, mauvais, dont Simon le Magicien s’est fait le serviteur, différent du Christ, qu’il dit bon; et, brouillant et confondant tout, il appelle celui-ci et père et fils. Il prétend qu’il ne s’est pas incarné véritablement, mais seulement en apparence, et qu’ainsi il est apparu souvent, sous de nombreuses formes, à ses disciples, tantôt jeune et tantôt vieux, et même enfant, et plus ou moins grand, et même d’une telle taille que sa tête atteignait jusqu’au ciel. Il forge aussi sur la croix de nombreuses extravagances et insanités, disant que le Christ n’a pas été crucifié, qu’un autre l’a été à sa place, et que pour cela il riait des bourreaux. Il rejette le mariage selon la loi, et appelle tout enfantement pervers et œuvre de pervers. Il imagine dans son radotage des œuvres de démons, et raconte des résurrections monstrueuses, absurdes et puériles d’hommes, de bœufs et autres bêtes. Les iconoclastes croient que, dans les Actes de Jean, il s’est prononcé contre les images. En un mot, ce livre contient mille témoignages puérils, incroyables, absurdes, faux, extravagants, contradictoires, impies, et athées; si on le désignait comme la source et le père de toutes les hérésies, on ne s’éloignerait pas beaucoup de l’exacte vérité. »

Il n’y a pas lieu de douter que Photius ait eu sous les yeux la collection des Actes en usage chez les hérétiques, dans laquelle depuis longtemps sont englobés, et avec laquelle sont condamnés les anciens Actes de Paul, si orthodoxes d’esprit dans l’origine. Beaucoup des traits lancés par Photius atteignent spécialement les Actes de Jean, comme C. Schmidt79 l’a fort bien remarqué: mais quelques-uns me semblent ne pouvoir s’expliquer que par ce fait que le texte lu par Photius (et je crois qu’il l’a lu tout entier) offrait de nombreux remaniements des textes primitifs. Ce sont ces remaniements que les écrivains ecclésiastiques, déjà prévenus contre ces œuvres par leur caractère apocryphe, auraient plus vivement remarqués et ont plus violemment attaqués. Quel était d’ailleurs au juste ce texte? Il nous est impossible de le savoir dans l’état actuel de la transmission de ces actes. Nous en avons en somme peu; et si l’éloignement manifesté par l'Eglise dès la fin du 1ve siècle n’a pas permis de sauver tout ce qui n’était pas primitivement hérétique, à plus forte raison est-il venu à bout de faire disparaître tout ce qui avait nettement, aux mains des manichéens, priscillianistes et autres, revêtu ce caractère. De ce témoignage de Photius, il ne faut donc pas conclure, comme Lipsius, que les textes vus par lui sont les Actes gnostiques primitifs, qui furent ensuite améliorés par les catholiques, mais au contraire que la collection était devenue hérétique. Cette explication a le mérite de ne pas attribuer à Photius une affirmation contraire à la vérité, celle d’avoir lu l’ouvrage, alors qu’il ne l’aurait que très superficiellement examiné, et, d’autre part, de concorder avec tout ce que nous avons dit des témoignages précédents, même à propos des Actes de Paul.

Que cette collection tout entière soit attribuée à un certain Lucius Charinus, comme l’affirme nettement Photius, cela peut venir, soit, comme C. Schmidt pense l’avoir démontré, de ce que Lucius serait l’auteur d*Actes particuliers, de ceux de Jean, et de ce que son nom aurait passé à tout l'ensemble, soit peut-être de ce qu’il aurait formé la collection.

Cette hypothèse, que Photius avait sous les yeux un texte remanié, nous explique fort bien qu’il n’ait pas voulu confondre ce texte avec celui des Acta Theclæ séparés, et conservés en Orient, même au 1xe siècle, parmi les catholiques, ou embellis, mais cette fois dans le sens catholique, comme le fait l’ouvrage de Basile de Séleucie et comme le faisait sans doute l’ouvrage perdu d’Athanase. Aussi, pour Photius, la personnalité historique de Thècle n’offrait-elle aucun doute; et, appuyé soit sur les Actes, soit sur le travail de Basile, il a composé un discours en l’honneur de la sainte, que v. Gebhardt reproduit 80, et que nous pouvons ajouter aux nombreux témoignages de vénération pour sainte Thècle.

6. Témoignages sur une « Pauli praedicatio ».

Zahn 81 a rapporté aux Acta Pauli une citation de Clément d’Alexandrie, Strom., vi, 42 sq. Celui-ci, pour montrer que Dieu a envoyé aux Hellènes, comme aux Juifs, des prophètes pour les instruire, invoque, « outre le Πέτρου χήρυγμα,» les paroles de Paul lui-même : « Aâ-6«τε xal τάς έλληνιχάς βίβλους· έζίγνωτ» Σίβυλλαν ώς Ϊηλοί ενα θεόν χαΐ τά μέλλοντα־ χαι τον'Γστάσ-την λάβοντες... Prenez aussi les livres helléniques; remarquez comme la Sibylle annonce un seul Dieu et montre l’avenir; prenez aussi Hystaspe; lisez-le; vous y trouverez beaucoup plus distinctement et clairement mentionné le Fils de Dieu, et comment de nombreux rois, par haine pour le Christ, lutteront contre lui et contre ceux qui porteront son nom, contre ses fidèles, contre son pouvoir et sa mani-festation. Ensuite, il nous convainc d’un mot : « Le « monde entier et ce qui est dans le monde, de qui est-ce? « N’est-ce pas de Dieu 82 ? »

Il n’y a certainement là rien qui répugne directement aux Acta Pauli, qui ont longuement parlé de l’activité de missionnaire de Paul dans le monde grec; et il s’agit évidemment ici de paroles tirées d’un ouvrage qui jouit d’une haute considération, analogue à celle que saint Hippolyte de Rome et Origène, à peu près vers le même temps, puisque l’œuvre de Clément a été composée vers 195, accordaient aux Acta Pauli. Cependant, l’in* vocation de la Sibylle et d’Hystaspe parait bien singulière sous la plume de leur auteur, tel que nous le con* naissons d'après ce qui nous reste de son œuvre. D’autre part, si on rapproche cette citation de celle que le pseudo-Cyprien attribue à une Pauli prædicatio, on ne peut s’empêcher de les rapporter toutes deux à la même source, certainement différente des Acta Pauli que nous connaissons.

Ce pseudo-Cyprien, De rebaptismate, c. xvii 83 s’élevant contre les hérétiques qui rejettent le simple baptême par l’eau, leur reproche de s'appuyer sur un récit qu’il appelle Pauli prædicatio, et qui est rempli d’affirmations forgées, absurdes et honteuses, absurde et turpiter conficta. Parmi elles, l’une disait que Pierre et Paul se sont réciproquement connus pour la première fois à Rome; Petrum et Paulum... in Urbem quasi tune primum invicem sibi esse cognitos. Mais, d’après ce que nous savons maintenant des Actes de Paul, il est possible d’une part que les deux apôtres se soient rencontrés déjà à Jérusalem; et, d’autre part, le « Martyre de Paul » ne semble réserver aucune place à Pierre; l'attribution, d’ailleurs assez pénible, de Zahn 84 n’est donc pas exacte.

Il en est de même, et d'après les mêmes raisons, pour un passage des Divinæ institutiones, iv, 21, de Lactance, où celui-ci rappelle la prédication commune de Pierre et de Paul à Rome, qui, dit-il, « est restée écrite pour l'histoire 85. »

Cet ouvrage se confond-il avec le Πέτρου κήρυγμα, comme l’a prétendu Hilgenfeld? ou faut-il y voir un remaniement perdu de cette œuvre? C’est une question que nous n’avons pas à étudier ici.

C’est à cette même source que je rapporterais le dis-cours que Jean de Salisbury, vers 1156, dans son Polycraticus, iv, 3   86, attribue à saint Paul, comme prononcé dans Athènes. Je regarde d’ailleurs comme exacte la remarque de C. Schmidt, que la théologie de ce fragment porte une autre marque que celle des restes des Acta Pauli. J’ajouterai que l’appel à Aristote et à Chrysippe est aussi étranger à leur auteur, si simple, que l’appel, dont nous avons parlé plus haut, à la Sibylle et à Hystaspe.

1

Acta Pauli, Leipzig, 1905.

Acta Pavli—1

2

Acta apottolorum apocrypha, t. 1, p. 104-117, 235-269.

3

Der apokryphe dritte Korintherbritf, Vienne, 1894, p. 58-69.

4

Lipsius, Acta apoetolorum apocrypha, t. 1, p. xcix sq.

5

Ernest Grabe, dans son Spicilegiunt oandorum Patrum, Ox-lord, 1698, t. 1, p. 95-128.

6

Appendice aux Collectanea de J. Leland, Oxford, 1715, t. 1, p. 6769־.

7

Lipsius, loc. cit., p. cm sq.

8

Tischendorf, Acta apostolorum apocrypha, Leipzig, 1851, p. xxi 8q.

9

Carl Schlau, Die Acten des Paulus und der Thecla, Leipzig, 1877, p. 5 8q.

10

Bibliotheca orientalis Clementino-Vaticana, Rome, 1725, t. 111, part. 1, p. 286.

12

Die Urgeetall dtr Pauliuakten, dan· Zeilechrijl flir die N. T, Wiuenschajt, 1903, p. 48 ·q.

13

C. Schmidt, op. cil., p. xxxi ·q., 217 ■q.

14

Tübinger Univenitëtofattchriji, 1894.

15

Voir cependant les raisons contraires données par Schmidt, Acta Pauli, p. 140 sq.

16

Carrière ei Berger, La correspondance apocryphe de S. Paul et des Corinthiens, Paris, 1891.

17

Theologische LiUeraiurzeilung, 1892, n. 24.

18

Geschichte des N. T. Kanons, Leipzig, 1892, t. n, p. 596 sq.

19

5· Vetter, loc. cit., p. 70 sq.

20

Altchrutliche Lileraturgetchichte, t. 11,1, p. 506 aq.

21

Zahn, loc. cil., t. 11, p. 1016 aq.

22

Guchichle der altkircMiche.. Lilcratur, t. 1, p. 466.

23

Dans Hennecke, Neulalaitunlliche Apokryphen, p. 364.

24

Carrière et Berger, loc. cit., p. 11 aq.

25

C. Schmidt, loc. cit., p. 131 aq.

26

Acta apoctolorum apocrypha, p. 104 aq.

27

Revue de V Orient chrétien, 1898, t. 111, p. 3957־.

28

Giornale della Socielà euiatica italiena, 1888, t. u, p. 36 sq.

29

In Danielem, in, 29, édit. Bonwetich et Achelis (Corpus de Ber-Un), p. 176.

30

P. G., t. cxlv, col. 821.

31

On en trouvera le texte dans C. Schmidt, Acta Pauli, p. 111 ■q.

32

Cet ouvrage ne noue a été conservé, à part quelques fragments, que dans une mauvaise traduction latine de Rufin. Cf. P. G., t. xi, col. 132.

33

P. G., t. xiv, col. 600.

34

Édit. Schwartz (Corpus de Berlin), p. 190·

35

Ibid.t p. 250-252.

36

P. G., t. XTin, coL 140.

Acta Pauli.— 3

37

P. G., t. XLit, col. 725.

38

P. G., t. tx, col. 198.

39

P. G., t xlvii, col. 323.

40

P. G., t. xlix, col. 169.

41

P. G., t. lxii, col. 614.

42

P. G., t. lxii, col. 657.

43

P. G., t. lx, col. 325.

44

Lipsius, Die apokryphen Apostelgeichichten und Apoetellegenden, Brunswick, 1887, t. π, 1, p. 246 sq.

45

Peregrinalio S. Silvise Aquitanæ ad loca sancta, édit. Gamurrini, Rome, 1877, p. 73. Corpus de Vienne, t. xxxix, p. 69, 70.

46

Aseemani, Bibliotheca oriental» Clementino-Vaticana, Rome, 1725, t. ni, 1, p. 323.

47

P. L., t. xvi, col. 211 sq.

48

P. L., t. xvii, col. 491.

49

Ibid., col. 496.

50

P. L., t. xvii, col. 487.

51

P. L., t. xi, col. 324.

52

P. L., t. xxiii, col. 619.

53

Certains manichéens n’admettaient pas de distinction essentielle entre l’âme humaine et celle des bêtes. Philastre de Brescia, dont nous verrons plus loin le témoignage, prétend qu’avec les faits merveilleux racontés dans les actes apocryphes d’André, de Jean, de Pierre, et de Paul, les hérétiques cherchaient à prouver cette doctrine.

54

Zeitschrift für N. T. Wissenschaft, 1904, fasc. 3, p. 261 sq.

55

Acta Pauli, p. xxi.

56

Journal of Semitic languages and literatures, t. xx, n. 2, janv. 1904, p. 95 sq.

57

Faustus parle de la doctrine de la continence, qu'il soutient.

58

Parce qu’en effet les Actes de Paul, dans l’épisode de Thècle, étaient acceptés, non pas comme authentiques, mais comme non hérétiques, par les catholiques, il ne s’en suit pas du tout qu’ils n’étaient pas contenus dans la collection d’Actes employée par les manichéens. Les paroles de Faustus prouvent au contraire qu’il devaient y être; et ce fait qu’ils s’y trouvaient est une des raisons qui expliquent l’éloignement de plus en plus grand des catholiques pour les Acta Pauli.

59

De sancta virginitate, xlv, P. L., t. xl, col. 422.

60

P, L., t. xn, col. 1200.

61

Texte und Untersuchungen, t. xix (N. F., iv), fasc. 3, ft, Cœna Cypriani.

62

Et non c. xxn, comme l’indique C. Schmidt, Acta Pauli, Leip-xig, 1995, p.

63

Kommodian von Gaza..., Paderborn, 1906.

64

Apocrilicwt, 1. IV, 4, édit. Blondel, 1876, p. 182·

65

P. L., t. xx, col. 210.

66

P. L., t. xvii, col. 704.

67

P. G., t. Lxxvui, col. 244.

68

P. G., ibid., col. 289.

69

Batilii in Itauria epiicopi De vita ac miracvlie D. Thedelibri II, edidit Petrus Plantinus, Anvers, 1608; P. G., t. lxxxv, col. 477 sq_

70

Monument a Germanise historica, Scriptores reruin Mérovingien· rum, t. 1, p. 504, P. L., t. lxxi, col. 729.

71

P. L., t. xxxix, col. 2120.

72

P. G., t. xcv, col. 253.

73

P. G., t. cv, col. 301-336.

74

P. G., t. cxv, col. 822-846.

75

Zahn, GuchichltduN. T. Kanotu, t. 11, p. 289 sq.

76

Édit. Bonnet, dans Zeitschrift für wietenschaflliche^Théologie, 1880, p. 239 sq.

77

Particulières, c’est-à-dire soit opposées aux catholiques, et employées seulement dans certains cercles, soit plutôt spéciales à chaque apôtre.

78

P. G., t. cm, col. 389.

79

Die alien Peinuakten, p. 67 ·q.

80

Die lateinischen L’eberaelzungen der Acta Pauli et Theclæ, p. 176 8q.

81

Getchichle des K. T. Kanona, t. 11, p. 827, 879.

82

Édit. Stâhlin (Corput de Berlin), t. 11, col. 453; P. G., t. ix, col. 264.

83

Édit. Hartel (Corput de Vienne), Cyprien, t. ni, App., p. 90.

Acta Pauli. — 5

84

Geschichte det N. T. K a none, t. 11, p. 881 sq.

85

Édit. Brandt (Corpus de Vienne), t. 1, p. 367.

86

D’après James, Apocrypha anecdota, dans Texts and studies, t. ii, fasc. 3, p. 56. Cf. P. L., t. cxcix, col. 517.