§ xiv.

Traditions du Livre Sacré locales au Guatémala. Expédition de Xbalanqué contre Xibalba. Migration des tribus de Tamub et d’Ilocab. Titres anciens des tribus guatémaliennes. Etat des nations guatémaliennes au XIe siècle. Commencement des nations de la langue quichée. Leurs conquêtes. Etablissement de la monarchie quichée. Cotuha, Balam-Conaché, Gucumatz et Quicab, les plus célèbres de ses rois. Abaissement de l’aristocratie au Quiché.

Après avoir suivi jusque dans les régions les plus lointaines les populations issues ou alliées de la race nahuatl, il est temps de retourner à celles dont l’histoire se rattache d'une manière plus spéciale à la dernière partie du Livre Sacré. Ainsi que nous l’avons fait remarquer auparavant, ce document a surtout pour objet de nous instruire des destinées de la nation quichée, dont il ramène l’origine aux quatre premiers chefs de l’ordre aristocratique et sacerdotal, créé à l’inauguration du système social des Nahuas dans l’Amérique centrale. Cependant, entre l’époque de cette création et la fondation de la monarchie des Quichés, il a du s’écouler un intervalle dont il est difficile d’évaluer la longueur, mais qui n'est peut-être pas de moins de onze à douze siè-clés. Durant cette longue période, l’auteur de ce livre, qui ne reconnaît que le peuple auquel il appartient, passe sous silence toute l’histoire de ceux qui ont précédé les siens dans cette contrée ; il se contente de mentionner indirectement les anciennes familles régnantes de Tamub et d’Ilocab, en prolongeant la migration des Quichés jusqu’au moment où ceux-ci commencèrent à prendre rang parmi les nations, sous la domination desquelles ils avaient vécu auparavant. Cette lacune nous allons essayer de la combler en partie, à l’aide des données que nous fournissent les autres documents guatémaliens que nous avons été à même de consulter.

Les premières luttes de la race nahuatl paraissent avoir eu pour objet, ainsi qu’on l’a constaté ailleurs, la possession des parages où se rencontrent les symboles primordiaux de leur système religieux, c’est-à-dire en Paxil et en Cayala : il serait dangereux toutefois de considérer cette localité même autrement que comme un mythe, si le Manuscrit Cakchiquel n’en laissait entrevoir le côté historique, en nous apprenant qu’un des chefs de Paxil fut tué parles héros auxquels il avait servi d’introducteur. Dans le récit de la défaite de Vukub-Cakix, et de ses fils Zipacnà et Cabrakan, par les Hun-Ahpu rédacteurs du Livre Sacré continuent à couvrir de voiles plus ou moins épais les réalités de l’histoire : mais la vérité se fait jour malgré leurs efforts, et l’on voit grandir insensiblement la*lutte entre les races qui se disputaient l’empire en Xibalba. Les siècles qui se sont écoulés depuis lors n’en ont point effacé le souvenir, et il est resté attaché au nom de diverses localités existantes encore aujourd’hui dans les provinces guatémaliennes. Une vallée déserte, située à peu de distance de !'Océan Pacifique, a gardé celui A Omuch-Qaholab., ou les Quatre-cents Jeunes-gens, compagnons des Han-Ahpu, tués par Zipacnà, et, à quelques lieues de là, une plaine, parsemée de tumuli, ombragés d’antiques seibas, s’appelle encore Omuch-Cakha ou les Quatre-cents Pyramides, sans doute parce qu’ils furent érigés sur la sépulture des héros primitifs de la religion toltèque (1). Les noms même de Zipacnà et de Cabrakan sont jusqu’aujourd’hui ceux de deux bourgades bien connues dans le pays des Mams (2), et les montagnes contre lesquelles s’exerçait la puissance surnaturelle des deux géants continuent d’être désignées comme dans le Livre Sacré. Le ballet parlé de Hunahpu-Qoy, ainsi que les autres représentations scéniques dont il est question dans le même document; se dansent aujourd’hui comme il y a mille ans ; tout y respire les mêmes idées mystérieuses, et c’est dans les mêmes lieux que nous en avons recueilli les traditions de la bouche des indigènes, qui se plaisent à les raconter, chaque fois qu’on parvient à dissiper leurs défiances. Répétons donc qu’il y a des raisons suffisantes pour penser que c’est dans ces contrées qu’il faut chercher le berceau de ces épopées primitives.

C’est à la cité de Tulan, dite aussi Toltecat, que les nations guatémaliennes réfèrent leur origine. En quelque partie du continent américain qu’on doive placer les autres Tulan dont parle le Manuscrit Cakchiquel, il paraît hors de doute qu’un Tulan existait entre le site des ruines connues sous le nom de Palenqué, et là ville moderne de Comitan, dans l’Etat de Chiapas : siège principal des princes de la race nahuatl, cette ville , aurait été fondée à une époque contemporaine de la capitale des Xibalbaïdes, plusieurs siècles avant Père chrétienne (3), et, au rapport de toutes les traditions, elle aurait rivalisé constamment avec sa métropole, dont elle cherchait à se rendre indépendante. Ce n’est cependant pas à Tulan qu’aurait été le foyer de la conspiration, personnifiée dans les Hun-Ahpu : car l’épopée qui en développe les principaux incidents, sous l’image d’une partie de ballon, en place les premières scènes à Nimxob-Carchah, à l'extrémité de la Haute-Verapaz, où Las Casas, citant sans les comprendre quelques-unes des traditions de cette contrée, raconte que se trouvait une des entrées du chemin de l'Enfer, c’est-à-dire de Xibalba (1). C’est. là, comme on l’a déjà vu, que les deux princes Hunhun-Ahpu et Vukub-Hunahpu, symboles, ainsi que leurs deux fils Hun-Chouen et Hun-Batz, de la race nahuatl pure et légitime, se réunissaient pour jouer en présence d’une multitude nombreuse. La défaite et la mort des deux premiers indique suffisamment la victoire de Xibalba sur les Nahuas. Mais les métis, représentés dans les deux autres héros Hun-Ahpu et Xbalanqué, nés du mélange des deux peuples, triomphent dans la lutte intestine engagée avec leurs propres frères ; ils sont censés ensuite, les avoir changés en singes, mais en réalité ils les obligent à rétrocéder au nord-ouest vers l’Etat d’Oaxaca, dont Hun-Batz et Hun-Chouen sont regardés comme les premiers civilisateurs (2).

(1) Hist, apolog. de las Ind. occid., lom. m, cap. 125. — Torquemada, Mon. Ind., lib. vi, cap. 26.

(2) MS.'vicarii Cuilap. ord. prœd., in Garcia, Origen de los Indios, lib.v, cap. 4.

A la suite de ces événements, qu’on entrevoit vaguement sous les voiles de l’allégorie, dans le Livre Sacré, commence cette série d’entreprises contre l’empire de Xibalba, figurées par les épreuves de Hun-Ahpu et de Xbalanqué. Se réclamant des liens du sang qui les unissent par leur mère aux races anciennes du pays, ils s’attachent les brutes, c’est-à-dire les classes inférieures ou les populations barbares; qu’ils finissent par entraîner à leur suite au moyen de la violence ou par des bienfaits. La cité d'Utlatlan, connue sous le nom de Gumarcaah, quand elle devint la capitale de l’empire quiché, paraît avoir été, dans ces temps anciens, le siège principal de. la race métise, et c’est de là que ses princes .commencèrent à diriger leurs opérations contre l’empire antique. Les conséquences de leur victoire sur Xibalba, ainsi qu’on l’a déjà vu, n’eurent pas une bien longue durée. La race nahuatl pure existait, et c’est peut-être à ses influences .ennemies que Xbalanqué dut, à son retour, de n’être pas reçu par les siens avec les honneurs auxquels il prétendait. Suivant la tradition à laquelle on doit ce détail (1), il se serait alors retiré dans une province plus éloignée, et c’est à lui qu’on attribue les premiers sacrifices humains dans l’Amérique centrale. Copan, dont le nom fait mystérieusement allusion aux symboles religieux de la race métise des Nahuas, aurait-il été choisi alors par ce prince, dont la mère personnifiait l’idée fondamentale de ce culte sanguinaire? Ce qui parait avéré, c’est que cette ville devait son origine à un guerrier farouche, du nom de Balam, qui était entré dans cette contrée par les terres du Peten-Itza (2), environ quinze siècles avant la conquête espagnole. Dans les derniers temps de la domination indigène on appelait la province dont Copan était la capitale Payaqui, ou royaume de Chiquimulà (3) : elle était renommée par la splendeur de ses temples et par le concours des nations qui y accouraient pour sacrifier à Xbalanqué, dont les autels ne furent brisés qu’après avoir été arrosés du sang de plusieurs Espagnols (4׳).

(1) Las Casas, Hist. apol., etc., ubi sup.

.(2) Isagoge historico, cap. 4, ma-nuscril cit. ap. Garcia Pelaez, Mem. para la historia del antiguo reino de Guatemala, tom. 1, pag. 45 et suiv.

(3) Id., ibid. C’est sans doute à Copan qu’Ordoûez fait allusion quand il dit que Chiquimulà fut fondé au même temps que Nachan, Mayapan et Tulan... « El principado de Payaqui ό Chiquimulà, dit l’Isagoge historico, cuya capital era Copan. » Copan, étym., Sur la marmite ou le vase. Payaqui, Dans ou sur les Yaqui (Nahuas).

(4) Herrera, Hist, gen., decad. in, lib. tv, cap. 19. —״Juarros, Hist, de Guatemala, tom. n, trat. 6, cap. 13.

Que ce soit de cette époque ou dé plus haut que datent les dissensions qui déchirèrent les nations issues de la race nahuatl, il n’en paraît pas moins constant que l’empire de Xibalba et en particulier le royaume de Tulan en demeurèrent le théâtre durant les derniers siècles de leur existence. C’est un enchaînement continuel de guerres, de combats, de discordes civiles et religieuses, tantôt entre les familles de cette race célèbre, qui se disputaient le pouvoir et la suprématie dogmatique, tantôt entre les Nahuas et les rois de Xibalba qui travaillaient à ressaisir leur prépondérance antique, au milieu des dissensions de leurs adversaires. Ces luttes, dont on entrevoit obscurément les traces entre les fragments historiques conservés dans les documents indigènes, paraissent s’être prolongées fort longtemps ou s'être renouvelées à plusieurs reprises : ce n’est que du vie au VIIe siècle de notre ère qu'elles se seraient terminées par la destruction totale de Tulan, et probablement .aussi de plusieurs autres grandes cités adjacentes (1). Durant cet intervalle de nombreuses migrations se seraient succédé, tantôt dirigeant leur marche vers le nord-ouest, tantôt vers le sud et l’est, selon que l’un des divers partis triomphât des autres, et c’est à quoi on peut attribuer ces luttes acharnées entre les autels d’une même religion et les descendants d’une même race qu’on observe partout où les Nahuas ont laissé quelque trace de leur passage. Nous ne parlerons pas ici des princes qui régnèrent à Tulan; car les listes en sont apocryphes ou incertaines (2). En ce qui concerne l’émigration des tribus qui fondèrent la monarchie guatémalienne, elle aurait eu lieu vers le temps même de la destruction de Tulan, et ses principaux chefs auraient été des princes alliés à la famille royale, portant dans les documents le nom de Tamub (1).

(1) Livre Sacré, passim.—MS. Cak-chiqael, passim.

(2) Juarros, Historia de Guatemala, torn, n, irai. 4, cap. 1. Cet auteur, qui suit presque invariablement le chro-nisle menteur Fuentes* donne pour rois de Tulan: Tanub, Copichoch, Calel-Ahus et Ahpop, qu’il lait suivre par Nima-Quiché. Nous ne possédons malheureusement aucun document qui constate leur authenticité, et la mau-vaise foi de Fuentes ne nous permet pas d’avoir confiance dans ses assenions. — Dans le Codex Chimalpopoca {Histoire des soleils), il y a une liste de cinq rois de Tulan (ou Tollan), qui paraît ici distinct du Tollan de l’Anahuac. Seraient-ce les rois nahuas de Tulan en Xibalba? C’est possible; mais nous ne l’affirmons point, quoique leur nombre se rapporte à celui qui est donné par les traditions guatémaltèques. Le premier est appelé Topiltzin Quetzalcohuatl (peut*être le premier Ce-Acatl, un Hunahpu?); le 2e est Huemac; le 3e, Nequametl; le 4e, Tlacateotzin, et le dernier, Huitzilpopoca. Celui-ci, étymologiquement, peut signifier Fumée d’épines, et, dans ce cas, il aurait quelque analogie avec celui de Gagavitz (Hacavitz), feu d’épines, qui pa-rait dans le Manuscrit Cakchiquel, comme le chef et le conducteur des premières tribus de cette langue; c’est aussi le dieu d’Ahau-Quiché, ce dernier mot ayant aussi le sens d’épine ou de broussailles dans la langue quichée, ce qui nous rapprocherait du Nima-Quiché de Juarros.

(1) Voir pour Tamub, au Commentaire, page cxlii.

Le peu d’écrivains qui ont eu l’opportunité de s’occuper de la migration des tribus, dites toltèques, soit au Mexique, soit dans l’Amérique centrale, se sont étonnés souvent et avec raison de l'incohérence que présentent à ce sujet les histoires indigènes : ces incohérences se remarquent non-seulement dans les noms des chefs et des localités, mais plus encore dans les dates et la chronologie. Elles disparaissent, toutefois, devant une lecture attentive des originaux : ce qu’on n’a pas suffisamment observé, c’est que chaque tribu, chaque chef de clan, souvent même chaque ville, ou chacun de ses quartiers, tenait un registre exact dans lequel étaient inscrits après la légende qui concernait son berceau, celui de ses voyages, étape par étape, jusqu’à son arrivée au lieu où on s’était fixé, registre qui se continuait ensuite avec l’histoire locale et la généalogie des familles principales de chaque tribu. Ces diverses migrations avaient bien, peut-être, eu le même point de départ : mais leurs routes étaient distinctes, les unes les ayant effectuées par les montagnes ou les plaines de terre chaude, les autres ayant eu l’opportunité de se servir de barques ou de radeaux et ainsi de se transporter par mer. Il n’y a pas d’autre raison à ces incohérences qui ne sont donc qu’apparentes.

Après la conquête des pays où l’on voit ces groupes divers s’établir, chaque tribu s’organise avec un soin extrême dans les limites du territoire qui lui est échu en partage : elle en mesure l’étendue, en fait le cadastre, impose des noms nouveaux à tous les lieux, à chacune de ses bornes, aux villes et aux villages, aux bois, aux ravins, aux montagnes, aux rivières, tout en fondant des centres communs, destinés aux assemblées du peuple et de la noblesse, encore aujourd’hui appelés le Tecpan, le Palais, le Calpul, la Maison grande, d’après la tradition nahuatl antique. Il n’y a peut-être pas de pays au monde où la propriété ait été si bien définie, où les cadastres soient aussi anciens et tenus avec autant d’ordre, que chez ces nations, aujourd’hui regardées avec un si’grand dédain par l’Europe. Les titres de ces tribus, de ces familles, écrits dans leur forme et leurs caractères originaux, existent encore en bien des lieux ( 1), quoique les indigènes s’efforcent de les dérober aux regards des profanes et des étrangers. A l’époque de la conquête par les Espagnols, la plupart des tribus s’empressèrent, dans l’intérêt de leurs possessions, d’en faire des copies en caractères latins, afin de les rendre accessibles aux conquérants à qui ils en demandèrent la légalisation; un grand nombre y joignirent même une traduction officielle en langue castillane. Ce sont ces titres, soit originaux, soit copiés ensuite, qui ont encore servi depuis lors à fixer les limites de leurs propriétés territoriales et qui sont aujourd’hui même la base des décisions légales et judiciaires dans toutes les contestations des indigènes, soit entre eux, soit avec les descendants des Espagnols. Ces titres si intéressants sous ces divers rapports, sont en outre de véritables monuments historiques, comme le sont les chartes et les cartulaires de nos municipalités et de nos anciens monastères. D’accord à l’origine avec les faits consignés dans le Livre Sacré, ils contiennent toujours avec plus ou moins de détails les faits de l’histoire primitive et ensuite des faits subséquents. Ces titres, nous le répétons, sont nombreux encore, nous en possédons plusieurs, soit en langue quichée ou cakchiquèle, soit en espagnol, et c’est là-dessus que nous avons recomposé, autant qu’il nous a été possible, l’histoire des pays guatémaliens.

(1) La magnifique colleclion de mon savant ami M. Aubin renferme plusieurs de· ces cadastres originaux, entre autres le Codex Vergara.

Entre les familles ou tribus mentionnées au commencement des récits historiques du Livre Sacré, la plus ancienne paraît être celle de Tan ou Tamub : les noms de Tepeu, d'Oloman, de Cohah, de Quenech et d'Ahau (2), quoique cités simultanément, appartiennent, suivant toute apparence, aune époque postérieure, et la région orientale, signalée ici comme leur berceau commun, serait probablement différente de !Orient d’où sortit Tamub. Cette confusion, qu’on ne discerne pas toujours avec facilité, ne provient pas moins de la brièveté des détails que du dessein arrêté de Tanna-liste qui travaille constamment à identifier les quatre chefs ou conducteurs de la nation quichée avec ceux de la race qui aurait établi la première monarchie guatémalienne(1). Ceux-ci, dont l’origine remonte encore à une haute antiquité, sont désignés sous les noms de Copichoch, de Cochochlam, de Mahquinalon et d'Ahcanabil (2), qui sembleraient n’être après tout qu’une autre série de symboles ou de substituts des quatre chefs primitifs de la race nahuatl. Tout ce qu’on peut inférer des documents où il en est parlé, c'est que la famille de Tamub, avant de venir en Tulan de Xibalba, habitait une contrée lointaine où elle pratiquait les préceptes de la loi naturelle unis à une sorte de sabéisme : pour sortir de cette contrée, elle passa la mer en compagnie de la maison d’Ilocab (3), avec laquelle elle fut ensuite initiée, en Tulan, aux mystères de l'idolâtrie nahuatl et au culte d’une triple divinité, analogue à celle dont il est question au commencement du Livre Sacré, quoique sous des symboles distincts de ceux des Quichés (1). Quelle était leur condition en Tulan et de quelle durée fut leur séjour dans ce lieu, c’est ce qu’on ne découvre nulle part d’une manière satisfaisante, quoiqu’il paraisse avoir été suffisamment long pour avoir fait de ces deux tribus une nation tout à fait toltèque.

(2) Nous avons parlé ailleurs du sens de Tepeu et d’Ahau. Le mot Oloman, écrit aussi Oliman, paraît venir du nahuatl olli, ulli, gomme élastique, liquide, man de mama, prendre. Cohah vient de Coh, lion ou masque, et de ah, particule possessive rarement placée à la fin dans la langue quichée. Quenech, de quen, vain, présomptueux, ech, la chose, la possession.

(1) Les chefs quichés avaient les litres d’ahqixb et ahqahb (Voir an Livre Sacré, note 2, page 206). Ceux de Zacapulas, qui furent peut-être les mêmes que les chefs de Tamub et d’Ilocab, avaient pour noms Chumul-Gag, que le Titre de cette ville traduit Conejo de Fuego, Lapin de feu ; Ah-Toltecat, celui de Tula ou de Toltecat; Canza-Qitzal, peut-être de Can, serpent, de zak, blanc, el de quetzal ; enfin Xcanil. composé du signe féminin on diminutif x et de canil déterminatif de can, serpent, forme, marne, (Titulo de. los Senures de Sacapulas.)

(2) Titulo tenit. de los Senores de Totonicapan, MS. Ces noms n’ont pas une étymologie rigoureusement quichée : Copichoch parait venir de cop, zarcillos, boucles d’oreilles, ru copil nu xiquin, la puma baja de mis orejas (Ximenez, Tesoro de las leng. quiché, etc ) ; choch n’est pas quiché, à moins qu’il vienne de chochobe, sorte de guêpe (id. ibid.)', ou bien du pokomam chocho, sorte de perroquet, especie de papagayo bozal. (Fr, Pedro Moran·, Vocab. de la leng. pokomam, MS.) Dans un autre document Copichoch est donné pour le mari d'Atit, la vieille ou l’aïeule, ce qui en ferait le même personnage que Xpiyacoc ou Cipactonal. Cochochlam et Mahquinalon n’offrent aucune étymologie satisfaisante. Ahcanabil, composé de la particule possessive ah et de canabil·, forme marne de canab et qui signifie les captifs ou la captivité.

(1) Tohil, Avilix et Hacaritz composent la trinilé divine des Quichés, et ceux-ci l'attribuent également aux tribus de Tamub et d’Ilocab ; mais il y a grandement raison de supposer que quoique la divinité fût la même, elle avait d’autres noms et d’autres symboles.

C’est pour se soustraire aux rigueurs de l’oppression que. leurs chefs prennent plus tard la résolution d’abandonner cette autre patrie, et l’on y démêle les mêmes causes qui avaient donné lieu aux émigrations précédentes. Le titre de Cakoh-Ekome (2), que prennent ici les chefs de Tamub, est allusif à leur caractère sacré, comme celui d'ahqixb et d'ahgahb, ou sacrificateurs, que portèrent les princes quichés : quant à ceux d’Ilocab, qui sont au nombre de cinq, leurs noms qui paraissent s’appliquer à des villes ou à des tribus sont : Chi-Ya-Toh, Chi-Ya-Tziquin, Xol-Chi-Tum, Xol-Chi-Ramag et Chi-Pel-Camuhel (3). A ces deux familles se joignent, au moment du départ, les chefs des Treize clans de Tecpan (4), connus depuis comme les ancêtres des Pokomams. Ces diverses tribus paraissent avoir émigré directement vers les bords de l'Océan Pacifique, comme celles qui, de Tlapallantzinco, se dirigèrent vers le nord-ouest; après quoi, suivant au sud-est les bords de la mer, elles vinrent donner à la plaine des Quatre-Cents-Pyramides. Du vie au viie siècle, elles s’étendirent par droit de conquête ou autrement sur la plus grande partie du territoire guatémalien qu’elles occupèrent, depuis les Lacandons, au nord, jusqu’à la mer Pacifique : peut-être, faudrait-il en excepter les ' districts orientaux, voisins du lac d’Izabal et du fleuve Motagua, ainsi que les provinces maritimes de la côte d’Ezcuintla où l’on continue jusqu’à présent à parler un dialecte de la langue nahuatl. Ce vaste territoire, qu’on trouve habité vers le XIIIe siècle par des populations distinguées sous les noms génériques de Mam, de Pokomam et de Pokomchi, était partagé alors en plusieurs Etats différents, quoique unis par de fortes alliances et les liens d’une parenté commune.

(2) Cakoh-Ekome, probablement les Porteurs de l'enveloppe de feu. Cakoh doit venir de cak ou gag, le feu, oh très-anciennement une chose roulée, l'ahuacatl, fruit de l’avocatier. Ekome, pluriel d'ekom, participe présent d’eko, porter, charger. C’est toujours une allusion à la divinité invisible dont les quatre chefs étaient censés les porteurs cl les interprètes.

(3) Ces noms sont plutôt des noms de lieux; seraient-ce ceux des localités où ces chefs s’établirent primitivement? Chi-ya-Toh, A l’eau de Toh (pour To-hil ou l’obsidienne); Chi-ya-Tziquin, A l’eau des oiseaux; Xol-chi-Tum, entre les feuilles (d’aloès) ; Xol-chi-R’amag, entre les tribus; le dernier n’offre pas d’étymologie satisfaisante en quiché. (Tû. ter. de los Senores de Sacapulas.}

(4) Les XIII Bras (clans) de Tecpan ן désignent d’ordinaire les tribus de la race pokomame et pokomchie, peut-être aussi les Mams ou Mems, suivant le MS. Cakchiquel. Ce document désigne les Pokomams comme des hommes à la poitrine recouverte de cuir, ce qui les rapprocherait des Acolhuas et des populations du Rio-Gila et du Nouveau-Mexique.


Il serait difficile, avec le peu de documents que nous possédons, de déterminer clairement leurs positions respectives ; nous allons tâcher, cependant, d’en donner une idée générale. Au centre, c’est-à-dire dans le Quiche propre, commandaient les chefs de Tamub, dont la capitale, Amag-Dan (1), existait, sui-vaut toute apparence, entre les monts Tohil et Mamah, à trois lieues à peine au nord d’Utlatlan (2) : c’est peut-être aux mêmes lieux qu’on voyait le temple encore fameux au temps de la conquête, appelé Cahbaha, où l’on vénérait la fontaine sacrée de Tzutuha et la pierre mystérieuse dont les princes allaient de temps immémorial consulter les oracles (3). Ilocab étendait sa domina-lion à l’ouest et au sud de Tamub, et la cité d’Uquincat, siège principal de cette maison (1), occupait un plateau étroit, situé entre les mêmes ravins qui ceignent un peu plus bas les ruines d’Utlatlan. Cette famille se partageait en deux branches principales, la première appelée de Gale-Ziha (2) et la seconde de Tzununi-ha. Le chef des Ilocab était le second des trois souverains, dont la confédération régissait l’empire, selon le régime toltèque, où Tamub occupait le premier rang. Nous n’avons pu découvrir encore quel était le troisième : peut-être était-ce le chef de la tribu d’Ahau-Quiché, d’où la nation des Quichés aurait tiré son nom, étendu depuis à tout le pays, lors de l’élévation de la maison de Cavek. Peut-être, et quelques indices le donneraient à penser, était-ce le souverain de la nation puissante des Agaab (3), dont les possessions s’étendaient sur les deux rives du Chixoy ou Lacandon (4), ou bien encore les Canil de Sacapulas, dont l’antiquité remontait aux temps les plus reculés de l'histoire guatémalienne (5).

(1) On trouve alternativement Dan et Tan\ il s’agissait donc d’un nom étranger à la langue quichée, puisque le son n’en était pas fixe. Le pluriel antique faisait ou Tanub, nom que portent encore les ruines d’Amag-Dan (Ville ou tribu de Dan).

(2) Près de Santa-Cruz del Quiché, bourg du département actuel de Solo-la, à 25 lieues environ au N.-O. de Guatémala. Il serait fort possible que Acxopil et Xiuhtemal, dont les noms sont rapportés par Fuentes et Juarros, aient été les deux premiers rois de la dynastie de Tamub, laquelle aurait compté neuf souverains, avant la domination quichée proprement dite, si l’on peut s’en rapporter à une notion fort vague de l'Isagoge historico, citée dans les mémoires de Mgr Garcia Pelaez.

Les autres maisons princières de cette époque étaient-elles feu-dataires de celles de Tamub et d’Ilocab, ou bien vivaient-elles indépendantes des trois couronnes, c’est ce qu’il paraît difficile de décider : mais il est certain que sous le nom d’Uxab et de Pokomam, une partie des treize tribus de' Tecpan, dont la capitale était la grande cité de Nimpokom, était maîtresse de la Verapaz et des provinces situées au sud du Motagua jusqu’à Palin (1). A l’ouest, jusqu’aux frontières de Chiapas, s’étendaient les Mams, proprement dits Mam-Yoc, dans leurs histoires (2), partagés en plusieurs familles également puissantes qui gouvernaient souverainement cette contrée, alors désignée sous le nom commun d'Otzoya (3) : c’étaient d’un côté les Chun-Zak-Yoc, qui avaient pour capitale Qulaha, que son opulence et son étendue avaient fait surnommer Nima-Amag ou la Grande-Ville, dite depuis Xelahun-Quieh, ou Xelahuh, et Quezaltenango (4) ; les Tzitzol, dont la capitale était peut-être Chinabahul ou Huehuetenango (5), les Ganchebi (6) et les Bamaq. Ceux-ci (7), dont nous avons connu les descendants, étaient seigneurs d'Iztlahuacan, dont le plateau est encore aujourd’hui parsemé de ruines au milieu desquelles s’élève l’humble bourgade de ce nom : au-dessus domine, à une hauteur formidable, Xubiltenam (ville du Souffle), forteresse aux débris imposants, avec son palais et ses nombreux teocalli, d’où les Bamaq commandaient naguère le plateau et les montagnes environnantes. Ces notions sont les seules qu’il soit possible de condenser avec les rares détails, épars dans nos documents, au sujet des populations qui occupaient ces contrées antérieurement aux conquêtes des Quichés.

(6) Ganchebi, écrit alternativement Canchebiz, Canchevez et Ganchebirse. Rien n’indique d’une manière, précise où régnait celle famille: mais il se pourrai! que ce fût à Zipacapan ou à Chivun, dont les ruines existent à trois lieues au sud de celle dernière localité; là était l’ancien Oztoncalco, dont les habitants furent transportés par les Espagnols au grand bourg de ce nom près de Quezaltenango.

(7) 11 y a dans la république de Guatémala plusieurs localités du nom nahuatl d’iztlahuacan, mais se désignant autrement dans leur langue propre. Celui dont il s’agit ici est San-Miguel-iztlahuacan, autrement dit Zakchoh (silex en langue marne), José Bamaq, le principal représentant de cette antique maison, vivait alors à Zipacaca-pan, dont il était governador, quand je quittai les montagnes des Mams, en juin 1860 : c’était un homme d’une belle prestance, Indien fort fin et rusé et qui exerce encore en secret les fonctions d’ahgih, prêtre du soleil dans le pays. On le désignait en espagnol sous le titre de grand Zahori; il continuait, comme Xmucané vingt siècles auparavant, à tirer le sort avec le maïs et le tzilé.

Ce n’est guère que vers la fin du xiie siècle, que ceux-ci commencent à faire parler d’eux. Ils ne formaient alors probablement qu’un groupe insignifiant de petites tribus, campées entre les cimes arides des montagnes du Lacandon ou de la Verapaz : le nom même de quiché, s’ils ne le prirent point d’une alliance avec la maison A Ahau-Quiché י leur serait venu des bois où ils vivaient errants et dispersés (1). Au rapport des traditions, ils seraient sortis de Tulan, en même temps que les tribus de Tamub et d’Ilocab, ayant à leur tête Xurcah et Totomay, qui sont regardés comme les premiers chefs de la maison de Cavek (2). Durant l’espace de trois ou quatre siècles, ils n’auraient eu qu’une existence vagabonde, transportant leurs foyers avec leurs dieux d’un endroit à un autre ; asservis souvent par les nations plus puissantes qui les environnaient. Les Rabinaliens, les Cakchiquels, les Ah-Tziquinaha, composaient, avec la famille de Cavek, les principaux clans de leur langue, suivant plus ou moins les traces les uns des autres, et partageant des destinées analogues. On ignore la nature des événements qui se passèrent entre l’époque de la fondation des États mams et pokomams et celle de la chute de l’empire toltèque de l’Anahuac, au XIe siècle. Si, dans cet intervalle, le mouvement de l’émigration s’était ralenti, il paraît bien certain qu’il recommença alors avec une force nouvelle : ce torrent tumultueux reprit son cours, et une foule de nations, soit barbares, soit civilisées, poussées encore une fois par le débordement du Nord, envahirent l’Amérique centrale, d’où elles refluèrent jusqu’au delà de l’isthme de Darien.

(1) Quiche, de quï, beaucoup, plusieurs, et de che, arbre, ou de queche, quechelah, qechelah, la forêt (Ximenez, Tesoro de las lenguas, etc.).

(2) MS. Cakchiquel.

Les Quichés et les autres tribus de leur langue, répandus entre les régions humides des montagnes qui s’échelonnent sur la rive gauche du Chixoy (Lacandon), au delà de Cunen et de Chahul (4), se grossissaient insensiblement par l'incorporation des tribus étrangères : en échange du feu qu’elles recevaient, celles-ci offraient à Tohil le sang de leurs fils qui, par un pacte mystérieux (2), devenaient la chose de la divinité des Quichés. C’est ainsi que s’agrandit cette nation et qu’elle se rendit redoutable aux populations aux confins desquelles elle avait établi les autels de ses dieux. Ses chefs, qui se disaient issus du sang des Toltèques, se vantaient d’avoir reçu des mains de leur dernier monarque, Acxitl (3), le Giron-Gagal, la Majesté ouïe Feu Enveloppé qui leur révélait, durant la nuit, la volonté divine. Dans les histoires nationales, ces chefs paraissent au nombre de quatre, sous les noms de Balam-Quitzé, de Balam-Agab, de Mahucutah et d’Iqi-Balam, décorés des titres d'Ahqixb et d'Ahqahb ou sacrificateurs. Le Livre Sacré, après avoir raconté les incidents qui ont rapport aux migrations générales des tribus guatémaliennes, nous font voir les Quichés se retirant devant un ennemi qu’il ne fait point connaître, et se retranchant par ordre de Tohil au sommet du mont Chipai, à quelques lieues de la rive droite du Chixoy (1). C’est là que les quatre chefs, interprêtes de sa volonté, réunissent pour la première fois les groupes épars de la nation autour de la pyramide dédiée à Hacavitz, dieu d’Ahau-Quiché (2), dont l’enceinte sacrée devient ainsi le site de leur première ville et le siège de leur gouvernement.

(1) Cunen.et Chahul, petits villages dépendants de la cure de Nebah, au nord du Quiché, autrefois villes importantes et le berceau probablement de la famille royale de Cavek dont ces deux villes étaient les plus anciennes seigneuries. Les Cavek, sont appelés les Yaqui de Cimen, les Yaqui de Chahul, ce qui indique clairement leur origine toltèque (Xahoh-Tun Rabinal-Achi, Ballet parlé de Rabinal, MS.).

(2) Tohil, Avitix et Hacavitz, divinités de la nation quichée, souvent résumées dans Tohil seul, autre symbole de Quetzalcohuatl, Toh, à Rabinal et Tok dans l'Yucatan. Voir p. 225.

(3) La monarchie des Toltèques de l’Anahuac, composée des trois Etats fédérés de Colhuacan (à 2 1. de Mexico), d’Olompan et de Tollan (Tula), fleurit du huitième au onzième siècle; les haines religieuses, la guerre civile, l’invasion étrangère mirent fin à cet empire, dont le dernier roi légitime Topiltzin-Acxitl-Quetzalcohuatl se réfugia dans le Honduras où il fonda un nouveau royaume; il y mourut an commencement du douzième siècle.

Durant plus d’un siècle, ce fut le refuge des bandits et des vagabonds, dont les guerres civiles et religieuses, allumées dans les contrées voisines, inondaient l’Amérique centrale, mais que l’ambition des princes quichés sut transformer promptement en soldats audacieux : s’aidant de la violence et du brigandage, mais surtout delà ruse et de la cruauté, ils se rendirent la terreur des nations pokomames, aux limites desquelles ils venaient de s'e fixer. On ignore comment ils parvinrent à établir leur demeure en ces lieux : ce qui est certain, c’est que celles-ci s’aperçurent trop tard de la faute qu’elles avaient commise, en n’y mettant point d’obstacle. Après avoir tenté, durant plusieurs années, d’inutiles efforts pour les chasser de leurs positions et détruire ce nid de bandits, elles se virent réduites au silence, et, des treize princes de Tecpan, cinq, qui étaient ceux de Rotzaïb, de Quibaha, d'Uxab, de Bacah et de Quebatzuna, se virent obligés de payer tribut à la maison de Cavek. Ahcan, fils de Tziquin, était alors à la tête des sacrificateurs, et c’est de lui qu’étaient fils Qocaïb et Qocavib, que le Livre Sacré donne pour les chefs de la royauté quichée (3). Au moment de mourir, trouvant son peuple suffisamment affermi, il remit à ses enfants le dépôt divin qu’il avait reçu de ses pères, en les exhortant à se rendre à la cour du grand roi de l'Orient, afin de lui demander, comme au représentant des antiques traditions toltèques, l’investiture avec les insignes de la puissance royale. C’était une injonction à laquelle ils n’auraient eu garde de manquer.

(2) Tohil était le dieu de la maison de Cavek, Avilix, le dieu de la maison de Nihaïb, et Hacavitz de la maison d’Ahau-Quiché. Ces trois divinités, qui remplacent ici le Tonnerre, l'Eclair et la Foudre, sont souvent unifiées dans le seul Tohil.

Le Livre Sacré ne mentionne à ce sujet qu’un seul voyage, dans les contrées qu’il appelle de l'Orient, celui que les deux frères en-!reprirent ensemble : mais le Titre des Seigneurs de Totonicapan en fait connaître un autre qui précéda celui-ci et dont les circonstances méritent d’être rapportées. Ces deux documents se complètent ainsi l’un par l’autre : ils démontrent surtout combien les princes d’origine ·toltèque tenaient à ce que leurs droits fussent légitimés suivant l’usage antique et combien ils craignaient de manquer les moyens d’obtenir cette consécration auguste. Les deux fils d’Ahcan, au lieu de se mettre ensemble en chemin, se séparèrent donc au moment de leur départ : le premier, Qocaïb, prit sa route vers le Honduras, où Acxitl avait établi le siège de son empire et où sans nul doute devait régner encore un de ses descendants (1). Mais comme avant d’abandonner l’Anahuac il y avait laissé également un fils, dont les rejetons étaient censés alors en possession du. trône de Colhuacan (2), ce fut du côté du Mexique que se dirigea Qocavib afin d’obtenir l’investiture royale de ces derniers, pour le cas où le succès ne couronnerait pas les démarches de son frère, au côté opposé. On ignore combien de temps ils passèrent dans ce voyage : ce qui est certain, c’est qu’il ne fut pas־ sans danger ni pour l’un ni pour l’autre. Autant qu’on peut en juger, c’était au commencement du xme siècle. L’Amérique centrale ainsi que le Mexique continuaient d’être bouleversés par le choc violent des migrations de tout genre, qui avaient continué encore après la chute de l’empire toltèque, et par les prétentions rivales des chefs, barbares aussi bien que civilisés. L’Anahuac surtout était déchiré par des luttes intestines, et les débris de la race toltèque commençaient à peine à se relever de leur ruine. Le prince quiché parvint jusqu’à la vallée de Tenochtitlan : mais en arrivant aux bords du lac, il fut saisi des difficultés et des périls qui s’offraient à l'accomplissement de sa mission. Rempli d’épouvante, il reprit brusquement le chemin de son pays et retourna à Hacavitz sans avoir rien fait.

(1) Topiltzin-Acxitl-Quetzalcohuatl, dernier roi légitime de Tollan dans l’Anahuac, chassé de ce royaume par d’implacables ennemis, fonda plus tard le royaume de Huey-Tlato ou du Grand-Seigneur au Honduras, appelé l’empire d’orient par les Quichés; il y mourut, suivant Ixtlilxochitl, à l’âge de cent quatre ans, dans l’année V. Acatl, 1107 ou 1159 de notre ère (Quinta y detima-tercia Relation).


(2) Dès l’an 1200, il y eut une usurpation à Colhuacan, Cuetzal s’étant emparé du trône, à la suite de diverses querelles. Cette usurpation dura plusieurs années avant que les petits-fils d’Achilometl, fils de Pochotl, fils d’Acxitl, eussent recouvré le trône, et ce fut peut-être dans cet intervalle qu’arriva le prince quiché.

De retour dans cette ville avant Qocaïb, il connut illicitement sa belle-sœur, épouse de ce prince, qui, en l’absence de son mari, donna le jour à un fils, fruit de cet adultère incestueux. Sur ces entrefaites, des courriers annoncèrent que Qocaïb revenait chargé d’honneurs. Cette nouvelle jeta le coupable prince dans une profonde tristesse, et il songeait à se donner la mort, lorsque son frère parut. Ayant étalé aux yeux de tous les insignes qu’il avait apportés, Qocaïb reçut les félicitations des chefs des diverses tribus et entra ensuite dans sa maison. A la vue de l’enfant entre les bras de sa mère, il demanda : « De qui est cet enfant, d’où est-il venu? — Il est de ton sang, répondit la princesse, formé de ta chair et de tes os. — Puisqu’il en est ainsi, reprit Qocaïb, loin de moi de l’abhorrer, au contraire je le comblerai d’honneurs. Et prenant le berceau avec l’enfant dans ses bras, il s’écria : « Dorénavant et pour toujours cet enfant se nommera Balam-Conaché. » C’est delà, ajoute le document (1), que commença la souche de la maison de Conaché et d’Iztayul, ainsi que la dignité d’Ahpop-Camha (1), second titre de la maison d’Iztayul.

(1) Tit. 1er. de los Señores de Totonicapan.

(1) Ibid. Voir à la fin du Livre Sacré l’énumération des titres divers de la cour quichée.

Ce titre était’ celui de l’héritier présomptif du trône, c’est-à-dire du roi en second. Les documents dont nous nous servons, trop rares et trop abrégés, ne disent pas comment il se fit que Qocaïb qui arrivait avec son droit d’aînesse, celui de l’investiture royale et des honneurs dont il était la source à l’égard de tous les autres chefs de sa nation, accepta si facilement l’affront que lui avait fait son frère : ce qui est tout aussi inexplicable, c’est que son nom ne figure même pas dans les listes royales; car c’est Qocavib qui paraît en tête, à la suite du chef symbolique de la race, Balam-Quitzé. Soit par affection pour son frère, soit par politique, afin d’éloigner les dissensions toujours si fâcheuses à la prospérité d’un Etat naissant, Qocaïb renonça peut-être au trône en sa faveur, se contentant pour sa part d’être le distributeur des titres et des dignités dont furent investis alors plusieurs des chefs de la nation quichée. Ceux-ci de leur côté se considérèrent, dès ce moment, comme pères et chefs d’autant de tribus, se répandant avec plus de fureur et d’audace qu’auparavant sur les Etats voisins qu’ils conquirent l’un après l’autre. Ainsi se fondèrent les principautés puissantes de Rabinal, du Cakchiquel, d’Ah-Tziquinaha, qui demeurèrent jusqu’à la fin les branches les plus puissantes de la famille quichée, en dehors de la maison de Cavek (2). C’est dans cet intervalle, apparemment, que les princes entreprirent leur second voyage à la cour du grand roi de l'Orient, qui acheva de les investir alors de l’autorité nécessaire pour consolider la monarchie nouvelle.

(2) La maison de Cavek se composait de trois familles régnant séparément, chacune sur un Etat différent, mais toujours confédérées, comme on le verra plus loin. Les grands vassaux paraissent avoir été d’abord Rabinal, dont la capitale était à Zamaneb, dans les montagnes de Xoyabah ou (Xolabab, Entre les rochers) ; le titre du prince de Rabinal était Galel-Ahpop-Achi ; en second lieu, le Cakchiquel, dont la capitale fut, en dernier lieu, Iximché ou Tecpan-Guatemala, lors de la déclaration de l’indépendance de cette nation, et Ah-Tziquinaha, réuni ensuite aux Tzutohiles d’Atitlan. Voir mon Histoire des nations civilisées, etc., t. il, liv. v, ch. •4 et 6, et liv. vm, ch. 1 et 2. Nous n’avons consigné ici que des détails relatifs à l’origine et au commencement de la nation quichée, que nous ignorions à l’époque où nous écrivîmes ce premier ouvrage; ils se complètent maintenant l’un par l’autre.

Durant le règne de Qocavib, la puissance quichée continua à grandir par les conquêtes de ce prince : ses armes se firent redouter au nord jusqu’au delà de Car chah dont les histoires du temps vantent les richesses et la splendeur (1). Uxab et Pokomams furent déroutés dans le reste de la Verapaz; Tucurub, Cubul, Ropenal avec son territoire (2) jusqu’à Patzima, devinrent la proie des guerriers quichés. Les châteaux, les forteresses les plus inaccessibles virent escalader leurs murailles, et les chefs des cités conquises furent mis à mort pour faire place à de nouveaux seigneurs. Maîtres de Pachalib, ils prennent d’assaut Qoxbaholam, la plus importante des villes fortes des Agaab, qu’ils s’apprêtent à attaquer sur toute la ligne du fleuve Chixoy. A la suite de ces victoires le prince des Agaab est fait prisonnier : conduit de-vaut Itzcuin-Nihaïb, chef de la seconde famille de Cavek, qui commandait l’armée, il se jette à ses pieds, en s’écriant : « Vous » êtes nos anciens et nos pères, vous êtes nos princes. Nous paierons tribut et nous donnerons du poisson au grand roi des » Quichés. » Alors ils adorèrent Tohil, Avilix et Hacavitz, en offrant des oiseaux à leurs autels (3).

Déjà maîtres de Pachalum, et sur le point d’entrer dans Zquina (4), les Quichés se voyaient arrêtés par des forces imposantes, quand un allié imprévu s’offrit à eux : c’était Cotuha, prince de Cakulgi, gardien héréditaire de la pierre sacrée de Tzutuha, au temple de Cahbaha, qu’ils venaient de faire prisonnier. En habile politique, Qocavib mit à profit cet événement si providentiel pour lui. L’histoire laisse entrevoir qu’au milieu de leurs conquêtes les Quichés étaient divisés par des rivalités de famille ; aussi paraît-il probable que Qocavib, dont le nom se présente à la place de celui de son frère aîné, avait pour ennemis tous les princes de la maison d’Ahcan, issus de Qocaïb. Comptant peu naturellement sur l’appui de ses proches, il devait chercher à s’affermir en se faisant des alliés parmi les chefs vaincus : c’est ainsi que Cotuha étant devenu son captif, il lui offrit généreusement, dans l’ordre des ahqixb et ahqahb, le quatrième rang, vacant alors par la mort du titulaire, décédé sans postérité ; ce qui assurait à ce prince des droits éventuels au commandement de la nation entière (1). Cotuha, acclamé par la noblesse, prouva bientôt qu’il était digne de cette haute faveur : après avoir aidé puissamment les Quichés dans la conquête de Zquina, de Bayai, de Chamilah, de Ginom, de Tocoy et de Patzima, de retour au fleuve Chixoy avec ses nouveaux alliés et sujets, il les guida par des passages que lui seul connaissait (2) jusqu’au cœur de la grande cité de Cavinal, sise à l’autre bord du fleuve, ce qui fut suivi bientôt après de la soumission de la nation entière des Agaab, dont elle faisait partie (3). Les rois du Quiché, se trouvant désormais trop à l’étroit sur le mont Hacavitz, abandonnèrent alors cette ville pour celle de Cavinal, où ils établirent le siège de leur gouvernement.

Cette capitale ne devait cependant pas être définitive. A la mort de Qocavib, Balam-Conaché passa le fleuve du nord au sud, probablement même avant d’avoir été couronné, et alla fixer sa résidence à Izmachi (4) ; c’est là qu’il se fit proclamer Ahau-Ahpop et sacrer avec tout le cérémonial toltèque ; il conféra en même temps la dignité d'Ahpop-Camha, à son fils Iztayul, qu’il avait eu de son union avec Tzipitaban, princesse dont la chronique (1) exalte avec admiration les charmes et la beauté. C’est peut-être à la suite de cette cérémonie que l'investiture fut donnée aux autres princes, chefs de villes et de tribus qui avaient commencé à se partager les territoires conquis, et de là date, autant qu’on peut en inférer des divers documents, l'établissement des grandes seigneuries tributaires du Quiché. Balam-Conaché mourut lorsque son fils Iztayul était peut-être encore trop jeune pour prendre les rênes du gouvernement ; car ce fut Cotuha qui s’en saisit avec le titre d’Ahau-Ahpop ou roi suprême. Quoique étranger au Quiché, dont il n’était devenu un des souverains que par l’adoption politique, ce fut lui qui imprima à la nation ce caractère de grandeur qui la distingua promptement entre toutes celles de l’Amérique centrale. Izmachi s’embellit par ses soins d’édifices somptueux, et fut entouré de remparts capables de mettre cette capitale à l’abri d’un coup de main. Alors seulement se constitua la monarchie suivant toutes les formes antiques des Toltèques : elle se partagea en trois royautés distinctes entre les trois branches principales de la maison de Cavek, dont Cotuha se regardait comme le représentant. La première continua de se distinguer sous le nom de Cavek ; la seconde fut celle de Nihaïb (2), dont le chef Itzcuin échangea son nom nahuatl contre celui de Hun-Tzi et fut proclamé Galel-Ahau et roi de Momostenango (3), qu’il avait conquis sur les Mams. La troisième fut celle d'Ahau-Quiché, dont la capitale, portant le même nom, existait à peine à cinq ou six lieues d’Izmachi. De la race de Tamub, il n’existait déjà plus peut-être, comme princes souverains, que les Canil de Sacapulas, déjà très-affaiblis eux-mêmes par les conquêtes des Quichés (1), pour oser remuer. Mais ceux d’Ilocab possédaient encore des domaines considérables entre le fleuve Chixoy et le lac d’Atitlan, et leur capitale, assise à peine à une lieue de distance d’Izmachi, se trouvait menacée chaque jour davantage par ces puissants voisins.

(4) Dans le Livre Sacré, ce nom est constamment écrit Izmachi, ou Chi-Izmachi, la barbe ou à la barbe, de izm, cheveux, poils, et de chi, la bouche. Mais Ximenez (Tesoro de las très lenguas, etc.) affirme que ce nom vient d’Izmaleg (chevelure noire), nom d’une famille puissante à qui cette ville appartenait; au pluriel, Izmalchi.

(1) Tit. ter. de los Senores de Totonicapan.

(2) Nihaïb, pluriel Nihaibab. Ce nom vient de Nim-ha, grande-maison, titre de la seconde branche de la famille royale de Cavek; on le trouve écrit souvent aussi Nehaib.

(3) Tit. real de la casa de Itzcuin-Nehaib. Ce fut ce prince, à ce qu’il paraît, qui conquit Momostenango, autrement dit Tzunun-Che (Arbre du Colibri), et par les Quichés Pa-Tzak ou Patzaka, Au château ou A la fortification; il conquit également Tzo-loh-Ché, le Saule, aujourd’hui Chiquimula, qui était, avec la première, la principale ville de ses États. Il ne faut pas confondre cette ville avec Chiquimula de la Sierra, aux frontières de Honduras.

(1) Tit. ter. de los Senores de Sacapulas. Le nom de l’ancienne famille régnante de' Sacapulas était Canil ou Xcanil, que portait un de ses fonda-■ leurs; elle parait être contemporaine des Tamub. Après la conquête par les Quichés, Sacapulas fut nommé Tuhal ou Tuhalha, Maison des bains de vapeur.

La guerre paraît avoir recommencé à la suite du mariage de Cotuha. L’Ahpop avait épousé la belle Hamai-Uleü, ou la Rose de la terre, fille du seigneur de Malah (2) : à cette occasion, il avait incorporé ce prince à la nation quichée, et afin de l’attacher davantage à ses intérêts, lui avait conféré, du consentement de la noblesse, le titre d’Ahpop-Camha-Alaituy. Ces distinctions excitèrent vivement la jalousie des seigneurs tzutohiles, déjà irrités de la protection que Cotuha avait accordée aux sept tribus de la nation Ah-Actulul, qui s’étaient établies sur des territoires dépendants de la souveraineté d’Atitlan (3). Ils se mirent bientôt après en campagne contre les Quichés ; mais ils furent défaits avec une grande perte, et deux de leurs princes, Tecpan et Xutzin, demeurèrent prisonniers. Les seigneurs d’Ilocab, incapables de supporter plus longtemps des succès si menaçants pour eux-mêmes, prirent les armes à leur tour et envahirent à l'improviste les alentours d’Izmachi : l’attaque fut si subite et si imprévue, qu’ils réussirent à pénétrer dans cette ville ; mais ils en furent repoussés aussitôt et déroutés ensuite dans plusieurs batailles. Leur capitale, Uquincat, fut prise et ruinée de fond en comble; Chiquimula, Chuilà, Ziha, et d’autres villes tombèrent aux mains de leurs ennemis, qui réduisirent en esclavage un grand nombre de leurs habitants et traînèrent une multitude de captifs aux autels de Tohil.

(2) Hamai-Uleu est une fleur pourprée, sorte d’oximalva , que les Mexicains appellent quajocote, du nahuatl quauhxocotl. Celte princesse était fille du seigneur de Malah (Canne ointe), l’un des petits rois tzutohiles dü lac d’Atitlan (Tit. de los Señores de Totonicapan).

(3) Ces sept tribus sont: Ah-Tzuque, Ah-Oanem, Manacot, Manazaquepet, Vancoh, Yabacoh et Ah-Tzakol-Quel ou Queh. (Ibid.) — Ac-Tulul peut-être pour Ah-Tulul. .


La ruine de la maison d’Ilocab mit le sceau à l’indépendance et à la grandeur de la nation quichée : quelques tentatives de ses princes pour relever la tète ne servirent qu’à aggraver le joug qui pesait sur leur race. Ils réussirent cependant à souffler la discorde entre les branches de la famille de Cavek, en excitant les espérances ambitieuses de quelques seigneurs contre Cotuha et Iztayul, représentant le premier comme un étranger et le second comme le fds d’un bâtard adultérin, qui occupaient la place des héritiers légitimes du trône. Les insinuations les plus perfides furent mises en œuvre pour semer la mésintelligence entre l’Ahau-Ahpop et l’Ahpop-Camha ; au premier on disait : «L’ahau » Iztayul te méprise : il dit que tu es un misérable et que tu ne » te nourris que d’écume de chiquivin (1) et d’autres vils aliments, indignes d’un grand roi. » Puis, à Iztayul ils répétaient : « Le roi Cotuha est rempli de dédain pour toi ; tu n’es pour lui » qu’un homme inutile, qui ne te nourris que de fumier, d’œufs » de mouches et d’autres insectes, tandis que sa propre table est » toujours couverte de poisson frais excellent, de moharras (2) et » d’autres mets dignes d’un grand prince. » Ces discours, souvent réitérés, finirent par allumer une telle envie entre les deux rois, qu’ils furent ,sur le point de prendre les armes l’un contre l’autre. Mais, sur l’avis de quelques sages conseillers, ils s’enquirent des faits, et les imposteurs, ayant été dégradés de leur rang, furent chassés de la cour. Dans leur fureur, ils tentèrent alors d’assassiner Cotuha, en l’étouffant dans un bain de vapeur où il était entré (3) ; mais leur dessein ayant été découvert, ils ,furent saisis et lapidés.

(1) Chiquivin, mot corrompu d’origine nahuatl, dont la signification n’est pas claire.

(2) La moharra, poisson fort renommé à Guatemala, qu’on pêche, entre autres endroits, dans le lac d’Amatitlan.

(3) Ce bain était un bain de vapeur, en quiché tuh ou tuha (nahuatl, temazcalli) ; de là est venu probablement le nom de ce prince qui ne parait être qu’un sobriquet, Cotuha; mieux Qo-tuha, Où il y a un bain de vapeur. Ces détails sont tirés du même document, ubi sup.

A la mort de Cotuha (1), Iztayul régna avec Gucumatz, qui prit le titre d’Ahpop-Camha : il continua les conquêtes de son prédécesseur. Mais les dissensions qui avaient déjà si vivement agité l’empire auparavant, se renouvelèrent durant la royauté d’Iztayul, et après lui, au commencement du règne de Gucumatz: elles prirent alors un caractère si grave qu’elles ébranlèrent la monarchie jusque dans ses fondements. Gucumatz était un prince d’une sagesse consommée; mais hors d’état d’arrêter les débordements de la noblesse, il l’abandonna à elle-même dans Izmachi et transporta le siège de son gouvernement au plateau voisin de Gumarcaah ou Utlatlan. Les hommes les plus sages delà nation s’empressèrent de l’y suivre : ils l’aidèrent à organiser la monarchie sur de nouvelles bases et à réformer cette aristocratie turbulente. Il satisfit l’ambition des nobles en partageant la maison royale en vingt-quatre grandes familles, qu’il subdivisa encore, de manière à les affaiblir, tout en les comblant de titres et d’honneurs (2). Par lui-même ou parle Galel-Ahau, roi de Nihaïb, il étendit les conquêtes de ses prédécesseurs jusqu’aux rivages de l’océan Pacifique : un grand nombre de princes et de nations, admirant sa prudence, accoururent lui rendre leurs hommages, et l’histoire, en lui décernant le titre de Merveilleux (naual), avec le nom de Gucumatz, reconnaît qu’il soumit plus de peuples par la renommée de sa sagesse que par la force de ses armes (3).

(2) Tit. de los Sénores de Totonicapan. Ce document renferme un grand nombre de litres de dignités qui ne se trouvent point énumérés dans le Livre Sacré. Voir ci-après, page 311.

Cotuha II, qui paraît avoir succédé à Gucumatz, fut assassiné après un règne dont on ignore la durée, dans une embûche où il avait été traîtreusement attiré par les seigneurs de Qohaïl et d'Ulahaïl (4) ; mais on ignore la cause de cette trahison. Ses fils, Quicab et Cavizimah, qui régnèrent suivant leur rang, conjointement avec Iztayul II, et ensuite par eux seuls, se chargèrent de venger sa mort : ils s’emparèrent de treize de ses meurtriers, qui furent aussitôt tués par leurs ordres. A son avènement comme Ahau-Ahpop, Quicab, dont les conquêtes sont célébrées par tous les historiens de cette contrée, déclara la guerre aux Mams et aux Pokomams, ainsi qu’aux princes cakchiquels et tzutohiles, qui avaient embrassé leur cause. Il extermina sans pitié les principaux chefs de la noblesse de Sacapulas, de Momostenango, de Chiquimula, avec ceux de tout le pays d’Otzoya jusqu’au lac d’Atitlan, comprenant les districts de Chichicastenango, de Ziha, de Totonicapan, d’Iztlahuacan, de Tzolola et de Quezaltenango, les remplaçant partout par des princes de sa famille. Zamaneb, Cakyug et les autres villes soumises aux Galel de Rabinal s’obligèrent à lui payer tribut : après avoir subjugué le reste de la Verapaz, il porta ses armes aux bords du lac de Peten-Itza, pénétra au nord jusqu’au centre du Yucatan et à l’est jusqu’à Cuzcatlan (San Salvador). Au sud, il imposa son joug aux Ahpo-Zotzil et aux Ahpoxahil, souverains des Cakchiquels ; aux Baqahol, aux Gekaquchi, de la même famille ; aux Uchubaha, aux Chimalaha, aux Ahcab de Balamiha, aux Gabaleal, aux Nolitiha, aux Quibaha, aux Ahaqabauil, aux Ahpova, aux Ahpo-Bulaxa, aux Ahpo-Runum, aux Ahpo-Zakucha, aux Ahpo-Goche, aux Ahpo-Tuctum, aux Ahpo-Hum, aux Ahpuali, aux Lolmet-Cuminay, etc. (1). Il anéantit la puissance des. Mams, de Huehuetenango à Cuilco, et jusqu’à l’océan Pacifique, imposant aux princes, comme à leurs sujets, des tributs onéreux, des bords du Paxa jusqu’aux embouchures du Naualat et du Nil (2).

(1) Ibid. — MS. Cakchiquel.

(2) Ce nom de Nil donné à un fleuve de l’Amérique centrale surprendra peut-être plus d’un lecteur ; cependant, c’est bien un nom indigène à ces contrées, et le fleuve qui le porte est un des grands cours d'eau qui descendent de la Cordillère de Soconusco à l’océan Pacifique. Ce nom se traduit en quiché par les mots cosa sosegada, que esta en paz, selon Ximenez , chose paisible, tranquille. Deux documents fort anciens en font mention: le Titulo de los Senores de Totonicapan et le Titulo de los Seno-res de Quezalteuango, en rapportant ' les conquêtes de Gucumatz, d’ilzcuin-Nihaïb et de Quicab.


Pour contenir un si grand nombre de provinces, Quicab constitua de nouvelles tribus et bâtit partout des forteresses, dont il donna le commandement à des princes de sa famille. Mais en éloignant de cette sorte de sa personne les chefs naturels de la noblesse et de l’armée, il se. vit amené forcément à revêtir Souvent de charges importantes les officiers d’un ordre inférieur ou des hommes sortis des rangs du peuple, qui autrement n’eussent jamais songé à porter leurs prétentions au-dessus de leur condition accoutumée. Ce fut l’origine de la réaction des races vaincues anciennement contre la race conquérante : excités par les rejetons des familles de Tamub et d’Ilocab, qui voyaient dans ce changement le moyen de secouer le joug qui pesait sur eux depuis plus d’un siècle, les chefs du peuple ouvrirent bientôt les yeux sur la nouvelle position que leur faisait le monarque. Ils s’agitèrent tumultueusement et finirent par envoyer une députation au roi Quicab, pour lui demander l’abolition des corvées et des privilèges de l’aristocratie féodale. Le superbe Ahpop s’indigna de leur audace et, sur l’avis de son conseil, envoya les députés au supplice : mais leur mort fut promptement suivie de l’insurrection des classes populaires, dont la vengeance s’exerça par les plus sanglantes représailles. Un grand nombre de nobles périrent dans ce conflit, et les trois souverains de la famille des Cavek se virent obligés d’admettre les délégués du peuple au partage des dignités de la cour. Les descendants de Tamub et d’Ilocab en profitèrent pour se faire réintégrer dans leurs droits antiques et se virent alors assimilés à leurs vainqueurs. C’est ainsi qu’après moins de deux siècles disparurent les distinctions entre les anciennes et les nouvelles tribus, et qu’une révolution de courte durée réunit en une seule nation tous les peuples du Quiché (1).

(1) Livre Sacré, page 327. — MS. Cakchiquel. — Til. de los Senores de Totonicapan,

De leur côté, les princes de Rabinal, de Charnel et de Carchah; dans la Verapaz; ceux du Cakchiquel et des Mams, naguère humiliés par les armes de Quicab, saisirent cette occasion pour recouvrer l’indépendance qui leur avait été ravie au commencement de son règne : les luttes qui surgirent de cette autre révolution se prolongèrent pendant près d’un siècle, et elles duraient encore lorsque la première nouvelle du débarquement des Espagnols, suivie bientôt de celle de la prise de Mexico, vint mettre un terme à leurs rivalités mutuelles : elles achevèrent de s’éteindre sous la compression brutale des conquérants européens, dont l'astucieuse et cruelle politique fit passer en peu d’années tous les royaumes de l’Amérique sous le sceptre des rois d’Espagne. Telle est, en résumé, l’histoire des migrations et de l'établissement des nations indigènes de l’hémisphère occidental, avec l’ensemble des faits ressortant des documents divers que nous possédons à ce sujet dans leur relation avec le Livre Sacré.

FIN DE COMMENTAIRE.