Quatrième création de l’homme.· La caste sacerdotale et guerrière. Description de Tulan d’après les traditions indigènes. Emigrations des tribus de la race nahuatl. Tribus qui retournent vers le Nord. Leur retour vers l’Anahuac.
Après avoir, relaté longuement les épreuves et le triomphe des Hun-Ahpu, le Livre Sacré retourne subitement aux époques genésiaques, et l’on se retrouve de nouveau en face des quatre demi-dieux, envoyés par Hurakan pour travailler à la création de l’homme. C’est ici seulement que, dans ce document curieux, se présente la scène qui se rapporte à la découverte du maïs et à la recherche de la substance qui doit alimenter les créatures raisonnables. La première partie de ce chapitre appartient évidemment à la période qui précède l’histoire des Hun-Ahpu. L’écrivain, après avoir relaté ce qui concerne les temps primitifs, passe sous silence les événements qui ont suivi la victoire des Nahuas sur Xibalba et ne reprend son récit qu’au moment où les nations toltèques, violemment arrachées à leur patrie, commencent à émigrer en différentes directions. Les tribus de la famille de Dan ou Tamub (1) paraissent avoir été des premières qui de Tulan en Xibalba dirigèrent leurs pas vers les plateaux guatémaliens, entre le troisième et le cinquième siècle de notre ère : elles y fondèrent une monarchie dont les annales sont perdues, à laquelle succéda, au xive siècle, celle de la nation quichée qui domina jusqu’au temps de l’invasion espagnole. C’est l’histoire de cette nation que le compilateur quiché du Livre Sacré entreprend de raconter; mais pour pouvoir rattacher l,origine de sa race au berceau de la civilisation américaine, il s’efforce constamment, dans le commencement, d’assimiler les Quichés aux Tamub, et d’entremêler le récit de leurs migrations avec celles de cette famille antique, confond à dessein les divers Tulan et réussit ainsi à faire passer lés quatre chefs ou sacrificateurs de la nation quichée pour ceux qui guidèrent les Tamub; les traditions des uns et des autres sont de cette manière continuellement embrouillées, au point qu’il est souvent fort difficile d’assigner à chacun sa part. Source de la noblesse, qui tout entière se vante de descendre d’eux, ces quatre chefs sont présentés ici comme les premiers hommes formés par les quatre créateurs ou demi-dieux, à l’origine des temps, et l’annaliste rassemble autour de ces quatre premiers pères tout ce que les traditions avaient transmis sur l’œuvre de cette quatrième création. C’est donc ici que nous reprenons nos commentaires sur le Livre Sacré.
(1) Tamub, ailleurs écrit Tanub, parait être le nom de la plus ancienne des dynasties royales du Quiché; tous les documents que je possède sont d’accord à ce sujet. Ximenez (Tesoro ' de las lenguas quiche, cakchiquel y tzutuhil) traduit ce mot par juntados, unis, joints, du verbe tam, réunir, augmenter ; Tamub serait donc le pluriel de Tam. Cependant, on trouve ce nom écrit alternativement Dan, Tam ou Tan, el le Livre Sacré parle fréquemment de Amag-Dan, tribu, ville de Dan; les chefs de cette race avaient fondé une ville de ce nom à quelques lieues de la localité connue sous le nom d’Utlatlan, capitale ancienne du Quiché. On sait que Dan et Danp sont des noms dé princes ou de seigneurs dans les antiques souvenirs du nod (Voir le dernier verset du Rigsmaal, trad, de M. de Ring ; Paris, 1854).
La scène a quelque chose de solennel; les dieux viennent de découvrir le maïs en Paxil ; ils sont assemblés et s’entretiennent sur ce qui doit les alimenter : « Déjà l’aurore est proche, disent-ils; » l’œuvre1 est (1) achevée : voilà que sont ennoblis le soutien, le » nourricier (de l’autel), le fils de la lumière, le fils de la civilisation ; « voilà qu’est honoré l’homme, l’humanité à la face de la terre. »
(1) Au ton du livre, on croirait qu’il s’agit du grand œuvre, comme dans le langage symbolique des sociétés secrètes.
Ce ne sont plus, comme dans les créations précédentes, des hommes de terre et de bois ; mais, continue le Livre Sacré : ? on » les appela simplement des êtres façonnés et formés ; ils n’eurent » ni mère, ni père, et nous les nommons simplement des hommes. La femme ne leur donna pas le jour, et ils ne furent pas » engendrés par l'Edificateur et par le Formateur, par Celui qui » engendre et par Celui qui donne l’être. Mais ce fut un prodige, » un véritable enchantement que leur création et leur façon, » (opéré) par le Créateur et le Formateur, par Celui qui engendre » et par Celui qui donne l’être, Tepeu et Gucumatz (1); en apparaissant comme des hommes, hommes ils furent : ils parlèrent, » ils raisonnèrent ; ils virent, ils entendirent ; ils marchèrent, ils » palpèrent, hommes parfaits et beaux, et dont la ligure était une. » figure d’homme.
(1) La femme ne leur a point donné le jour, ils n’ont pas été engendrés, mais uniquement formés par le Créateur et le Formateur (la Grand’-Mère et le Grand-Père, Xmucané et Xpiyacoc), par celui qui engendre et celui qui donne l’être, Tepeu et Gucumatz.
» La pensée fut et exista en eux : ils virent et aussitôt leur regard s’éleva. Leur vue embrassa tout : ils connurent le monde » entier, et lorsqu’ils le contemplaient leur vue se tournait en un » instant de la voûte du ciel à regarder de nouveau la surface de » la terre. Les choses les plus cachées ils les voyaient toutes à » volonté, sans avoir besoin de se mouvoir auparavant, et lorsqu’ensuite ils jetaient la vue sur ce monde, ils voyaient de même » tout ce qu’il renferme. Grande fut leur sagesse ; leur génie s’étendit sur les bois, sur les rochers, sur les lacs et les mers, sur » les montagnes et sur les vallées (2). »
(2) Dans l’analyse du Rigsmaal, nous lisons au sujet de Iarl (le Noble), fils de Rig: « La Mère enfanta un fils qu’on enveloppa avec des langes de soie, après l’avoir arrosé d’eau lustrale ; ou l’appela Iarl (le Noble). Ses cheveux étaient dorés (zakil al zakil qahol, les brillants, les blancs fils), ses joues vermeilles, son regard vif et pénétrant. Il apprit à dompter les chevaux, à courber les arcs, lancer le javelot, se servir de la lance, à chasser et à nager. Rig alors le reconnut pour son fils, lui donna son nom, lui apprit les Runes. Iarl épousa, avec des cérémonies magnifiques, la fille du Baron; il en eut plusieurs enfants, le Fils, l'Héritier, le Descendant, le Roi (Kour). Les fils de Iarl s’exerçaient dans I art des armes, mais Kour seul connut les Runes, les Runes du temps, et les Ru-nés de l’éternité; il comprit le chant des oiseaux, il sut calmer la mer, éteindre les incendies ; il avait la force de huit hommes. Alors, il fut appelé Rig, c’est-à-dire le Riche, le Puissant. » (O. de Watteville, Edda, art. dans le Complément de l'Encyclopédie moderne, etc.. 1856, loin. 11.)
On ne pouvait énumérer avec plus de grandeur les dons accordés à l'homme, à celui-là seul qui avait le droit de porter ce nom, c’est-à-dire, à celui de la caste noble, guerrière et sacerdotale. C’est un des traits de ressemblance les plus remarquables qu’offre, pour ce qui concerne l’origine de la société, le Livre Sacré avec le Rigsmaal des races du nord de l’Europe. Dans le Manuscrit Cakchiquel (1), le récit présente quelques variantes pleines d’intérêt. Le Chay-Abah, c’est-à-dire la pierre d’obsidienne, personnifie la caste militaire (2). «Chay-Abah, est-il dit, est sorti de Xibalbay, » du riche et puissant Xibalbay (3); l’homme est l’œuvre de son » Créateur et de son Formateur, et celui qui soutient son Créa» teur, c’est Chay-Abah. » Le même document, après avoir rappelé les créations antérieures, ainsi que la découverte ffu maïs dont le corps de l’homme devait s’alimenter, ajoute que «du de» dans de la mer vint le sang du tapir et du serpent avec lequel » il devait se pétrir, ». expression symbolique dont nous ne chercherons pas à découvrir le sens. Ce qui n’est pas moins remarquable, c’est que la création de cette noblesse, au lieu de se borner, comme dans le Livre Sacré, à quatre hommes et à quatre femmes, origine des rois du Quiché, énonce clairement que ces chefs de l’aristocratie primitive, à l’imitation peut-être de ceux de Xibalba, furent créés au nombre de treize, et qu’il y eut, en même temps, quatorze femmes, dont deux devinrent les épouses d’un seul (4). « Ils engendrèrent, ajoute le manuscrit, des filles et des » fils, et ce fut là le premier homme : ainsi se lit cet homme ; » ainsi fut formé Chay-Abah, qui protège l’entrée de Tulan. »
(1) MS. Cakchiquel ou Mémorial des Rois de Guatemala, Manuscrit de ma collection.
(2) Chay est le mot quiché et cakchiquel pour l’obsidienne; abah, pierre. Les capitaines généraux sont fréqucm-ment appelés Ah-Chay, celui de l’obsidienne (ou de la lance), et simplement chay, 0bsidienne ou lance. De là le dieu Chay, en maya Hun-pic-Tok, Un de 8000 obsidiennes, et Tecpatl ou Tecpatl-teuhtli, chez les Mexicains.
(3) MS. Cakchiquel, etc. « Tan qa t’alax ri Chay-Abah ruma raxa Xibalbay, gona Xibalbay, etc., mpt à mot.: a Alors donc fut créé le Chay » Abah par le (on à cause du) riche » (fort où florissant) Xibalbay, du »'puissant (royal) Xibalbay. » N’est-il pas curieux de voir ici se reproduire les expressions mêmes du Rigsmaal au sujet de Iarl (le Noble), appelé le Riche et le Puissant ? nous n’en voulons cependant tirer aucune conséquence.
(4) MS. Cakchiquel. Serait-ce là l’origine du droit que s’arrogeaient les princes de prendre plusieurs femmes?
Voilà donc la noblesse créée, pour être le soutien et le nourricier de l’autel, pour protéger l’entrée de Tulan; pour être l’appui et le défenseur de cette royauté nouvelle qui vient de s’élever par la défaite et l’humiliation de Xibalba. Malheureusement, c’est là que s’arrêtent nos notions de l’histoire de Tulan ; après cela, tout devient si vague et si obscur, qu’il est impossible de rien recueillir qui puisse les éclaircir ou les compléter. Les divers pays auxquels on donne ce nom, soit du nord, de l’est ou de l’ouest, sont constamment confondus dans les histoires, et quoique le Livre Sacré désigne particulièrement une de ces localités sous la dénomination de Tulan-Zuiva ou Tulan et Zuiva ; une fois on est tenté de l'appliquer à une cité voisine de Palenqué ou de Comitan, une autre fois au Tulan lointain du nord ; en un autre moment, on croit entrevoir que ce Tulan, tout en étant sous la domination de Xibalba, se serait trouvé à l’est du pays Quiché, dans l'intérieur des provinces du Honduras, où, depuis, se fonda au XIIe siècle une nouvelle monarchie toltèque. Ce qu’on parvient à constater, cependant, c’est la vaste étendue des régions soumises à l’empire de Xibalba, qui pouvait sans difficulté embrasser à l’est un Tulan, eût-il été situé même au delà du Honduras, et à l’ouest les vallées où l’on croit découvrir le Tulan dont il est question ici, entre Ococingo et Comitan, aux frontières occidentales de l’Etat de Guatémala (1). C’est donc celui-ci auquel il faudrait attribuer les grands événements qui sont surtout liés à L’histoire des Nahuas ; ce serait le ,même où les populations lointaines, attirées par la renommée de sa sagesse, accouraient pour entendre ses oracles, pour recevoir des notions inconnues sur la divinité, ainsi que les symboles sous lesquels les dieux daignaient se manifester. C’est ainsi qu’en parle le Livre Sacré. Le Tula ou Tollan de l’Anahuac, fondé par des émigrés sortis de son sein, aurait plus tard succédé à sa grandeur et à sa prospérité, quoiqu’il semble que ce soit au premier que se rattachent les descriptions merveilleuses dont nous entretiennent les traditions.
(1) Ils allaient, dit le Livre Sacré, recevoir leurs dieux à Tulan-Zuiva, Vukub-Pek, Vukub-Civan, c’est-à-dire Tulan-Zuiva, (dit aussi) les Sept-Grottes et les Sept-Ravins , les mêmes lieux qui dans la tradition mexicaine sont appelés Chicomoztoc. Ce Tulan Zuiva était-il en Xibalba, ou ailleurs, Zuiva était-il un nom donné aussi à Tulan en mémoire d’un autre endroit? on pourrait le penser; Ximenez, dans sa traduction, écrit toujours Tulan-Zuy, ne faisant des deux mots qu’un seul en omettant la particule va. Peut-être l’un et l’autre n’étaient-ils que deux cantons ou quartiers de la même ville. Je remarquerai encore que le Titre des terres et possessions de la ville de Co-mitan, dans l’Etat de Chiapas, fait mention d’un lac, nommé Tolan-tzuyub, à 20 lieues environ à l’est de cette ville, et aux bords duquel existent, au dire des gens du pays, de magnifiques ruines. Tzuyub est le pluriel de zuy ou tzuy, calebasse ou citrouille en langue tzendale. D’après le MS. 'Cakchiquel, Tolan et Zuiva étaient en Xibalba.
« Terre de l’abondance et de là richesse, répétait Sahagun, qui » en avait recueilli tin grand nombre de la bouche des Mexicains, » après la conquête (1) ; terre où les calebasses ont une brassée de » diamètre, où le maïs a des épis qu’on ne peut enlever qu’à force » de bras, où les gerbes montent si haut qu’elles ressemblent à » des arbres : terre où l’on semait le coton qu’on récoltait de toutes les couleurs, rouge, écarlate, jaune, violet, blanchâtre, vert, » bleu, brun, gris, orangé, fauve; et où toutes ces couleurs » étaient des couleurs naturelles au coton ; car il croissait ainsi. » Terre de Tulla, où l’on voyait, dit-on, tous les oiseaux aux plus » riches plumages, aux couleurs les plus brillantes; où se trouvaient réunis le xiuhtototl, le quetzal, le zacuan, le tlauhquechol, et où une foule d’autres oiseaux font entendre de doux et » mélodieux ramages.... C’est dans cette terre si riche, si abondante en vivres de toute espèce, que se trouve le meilleur » cacao et la rose aromatique teunacaztli, qu’on recueille la » gomme noire de l’arbre ulli et la rose xiloxuchitl, au milieu » d’une foule d’autres variétés de fleurs délicieuses. C’est la patrie » des oiseaux aux panaches étincelants, des perroquets de toute » grandeur, des limpides émeraudes, des turquoises, de l’or et de » l’argent. Terre, qu’enfin, à cause de son excessive fertilité, les » anciens avaient nommée Tlallocan, qui veut dire la terre des richesses (de l’abondance) et le paradis dé la terre (1), et dont les » habitants étaient surnommés les enfants de Quetzalcohuatl. »
(1) Hist. de las cosas de N.-Espana, lib. iii, cap. 3. Sahagun donne le nom de Xumiltepec à la ville ou au pays qui succéda à Tamoanchan. (Ibid, lib. x, cap. 29.)
(1) Encore une fois le Paradis que cherchaient les anciens, et que Colomb espérait avoir découvert à la côte de Paria.
Sahagun, qui nous a conservé ces restes précieux de là géographie antique et des traditions toltèques, ajoute ailleurs que les anciens reconnaissaient sous le nom de Tlallocan, cette vaste contrée comprise entre les trois Etats actuels d’Oaxaca, de Chiapas, de Tabasco et les frontières guatémaliennes, et que de ses montagnes, comme d’un immense réservoir, sortaient toutes les grandes eaux qui arrosaient la terre (2)·. Dans leurs longues migrations, les tribus ont sans cesse à la mémoire le souvenir de cette heureuse région, le nom .de Tulan est continuellement sur leurs lèvres : ils chantent, avec leurs regrets, d’avoir laissé cette patrie, ses grandeurs et ses délices qui ne sont plus (3). Qu’avaient-elles fait qui les eût obligés à cette séparation douloureuse ? nul ne le dit : ce qu’on discerne au milieu de leurs plaintes, ce sont des guerres terribles, guerres· civiles et étrangères, causées par l’oppression et la tyrannie. Des nations s’y rassemblent avec leurs chefs : on les voit venir du levant et de l’ouest ; on en voit d’autres qui descendent des régions plus lointaines du septentrion, où elles étaient dans l'ombre et dans la nuit. Les unes arrivent pour recevoir des dieux de bois et de pierre, qu’elles ne connaissaient point auparavant, ainsi que des dogmes nouveaux ; les autres pour offrir leurs bras et prendre part à des combats de toute sorte. Plusieurs sont mises sous , le joug ; il en est qui trouvent le moyen de s’y soustraire ; elles s’échappent avec leurs chefs qui, pour les animer, leur montrent, au delà même des mers, une patrie nouvelle, où elles cesseront d’être esclaves, où elles vivront libres dans leurs montagnes et leurs vallées, à l’abri des tyrans. Telle est la confusion que présentent, pour cette époque, les deux documents que nous possédons, les plus complets, cependant, qui existent jusqu’à présent sur cette matière intéressante, le Manuscrit Cakchiquel et le Livre Sacré des Quichés.
(2) Curieuse coïncidence ! ne semblerait-on pas voir, là par hasard cette montagne d’où sortaient les quatre grands fleuves du Paradis ?
(3) Ces regrets sont continuels dans le Livre Sacré.
Avant d’arriver à la séparation des tribus et à leur sortie de Tulan, on lit, dans ce dernier document, plusieurs versets à la suite de la création de la noblesse et qui peuvent servir, jusqu’à un certain point, à jeter de la lumière sur l’origine de tous ces événements. Après que les nouvelles créatures « ont achevé de connaître et de voir tout ce qui existe aux quatre coins et aux quatre » angles dans le ciel et sur la terre, » leurs Edificateurs et Formateurs se repentent de leur avoir concédé une si grande sagesse : ils trouvent trop clairvoyants les hommes qu’ils ont faits; leur vision est trop étendue ; ils seront bientôt eux-mêmes des dieux, si on ne la leur raccourcit point. Les Créateurs se consultent : ils leur soufflent alors un nuage aux yeux ; et pour les consoler sans doute, ils les endorment de façon qu’ils trouvent à côté d’eux, à leur réveil, chacun une belle femme, qui devient leur épouse (1). Dans ce passage excessivement curieux, si
l'on en excepte l’orgueil insensé des humains et l’édification de la tour de Babel, dont il n’est nullement question ici, on croirait entendre le discours des personnes divines (les Elohim) de la Genèse. Ce passage a tout à fait l’air d’un hors-d’œuvre qui appartiendrait à une époque plus ancienne ; mais s’il faut le rattacher aux événements de la séparation de Tulan, on y verrait difficilement autre chose que les efforts, tentés par un sacerdoce puissant, pour mettre une barrière aux connaissances humaines devenues trop vastes et rabaisser le niveau d’une civilisation trop avancée : aussi appelons-nous sur ce morceau toute
l'attention de la critique et de la science.
(1) Voir le Livre Sacré, pag. 215. Peut-être ces lignes ne sont-elles aussi que le souvenir d’une tradition antérieure appliquée à des événements plus récents, ou bien cette dernière phrase serait-elle une interpolation ?
Quant aux événements dont Tulan fut le théâtre à cette époque, on ne saurait se dissimuler, en comparant l'ensemble des détails qu’on trouve dans ce chaos, qu’il ne se fût opéré alors un vaste mouvement parmi les populations de l’empire de Xibalba, mouvement causé sans doute par les efforts d’une caste souveraine pour garder le pouvoir et par l’invasion de races nouvelles, sorties des mêmes contrées septentrionales, d’où étaient venus les Nahuas, ou des régions plus sauvages du nord-ouest : barbares ou civilisés, il y eut naturellement de leurs essaims qui s’amalgamèrent aux nations soumises à l’empire, tandis que d’autres, continuant leur route vers l’Amérique méridionale, y portèrent, sinon les institutions entières des Quinamés et des Nahuas, au moins les symboles qui les avaient le plus frappés au passage ou qui convenaient davantage à leur génie.
Dans cette confusion, on est bien loin des annales chronologiquement coordonnées par les historiens du Mexique : mais si vagues qu’elles paraissent, ces choses se relient entre elles, et on parvient, sans trop de difficulté, à les renouer dans un tableau d’ensemble. Quant aux Relations d’Ixtlilxochitl, les faits qui s’y trouvent concernant cette époque, sont rares et obscurs : l’une parlant des Chichimèques-Quinamés, se contente de dire que leur principale ruine eut lieu vers la fin du iiie siècle de notre ère, et l’autre que les Toltèques (Nahuas) dont la suprématie avait supplanté la leur, vaincus à leur tour, à la suite de plusieurs guerres désastreuses, se virent obligés d’abandonner leur capitale, moins de cent ans après l’établissement de leur monarchie, et d’émigrer dans toutes les directions (1) ; c’est donc dans cet intervalle qu’on doit placer les événements, si confusément relatés dans les traditions guatémaltèques, et suivant toute probabilité l’émigration des Tutul-Xiu, vers l'Yucatan, qui eut lieu aux dernières années du IIe siècle (2). Ceux-ci auraient été des premiers à quitter leur patrie : « C’est ici, dit la chronologie maya qui assigne cette époque, » la série des katun (3), qui se sont écoulés depuis que les quatre
(1) Ixtlilxochitl, Segunda y tercera Rel. ap. Kingsborough, Supp. lom. ix.
(2) Chronologie en langue maya, MS.
(3) Katun, c’est-à-dire pierre posée, en langue maya : c’étaient des séries de pierres qu’on incrustait dans les murs de certains édifices au Yucatan et sur lesquelles on gravait, comme dans les cartouches égyptiens, des inscriptions historiques et chronologiques.
» Tutul-Xiu sortirent de la maison de Nonoual, qui est à l’ouest de » Zuiva, dans la terre de Tulapan (1). Herrera, référant les choses qui ont trait aux antiquités de l'Yucatan, ajoute que les Cocomes (2) régnaient sur la péninsule en grande harmonie et prospérité, lorsque des régions méridionales, les Tutul-Xiu, accompagnés d’une population nombreuse, descendirent des montagnes du Lacandon, et qu’on tenait pour certain qu’ils sortaient de l’Etat de Chiapas (3.). La chronologie Maya ajoute que la contrée où ils entrèrent d’abord, s’appelait Chacnouitan, et que leur première colonie fut Bakhalal (4), qui avait aussi pour nom Ziyan-Caan, ou les limites du ciel, et que le chef qui les guida portait le titre curieux de Holon-Chan-Tepeuh (5). On sait par le même document que les Tutul-Xiu firent successivement la conquête de Chichen-Itza, et de Potonchan, qu’ils ruinèrent au ixe siècle, après en avoir chassé les Cocomes : ils fondèrent ensuite le royaume d’Uxmal, qui en union des rois de Chichen et de Mayapan constitua la monarchie des Mayas, l’une des plus glorieuses et des plus fécondes, sous le rapport des arts, qu’il y eut en Amérique, si l’on s’en rapporte aux monuments dont on trouve les ruines éparses sur toute l’étendue de la péninsule (6).
(1) Nonoual parait avoir été le nom ancien d’une partie de la côte de Talasco ; de ce nom serait venu celui de Nonohualco ou Onohualco que les Mexicains donnaient au fond du golfe jusqu’à Potonchan. Tulapan, en maya, Mur ou Etendard de Tula ; ce mot est suffisamment expressif pour qu’il soit inutile de l’expliquer davantage.
(2) Cocom, en maya signifie écouteur, auditeur, qui entend ; c’est le nom de la plus ancienne dynastie royale que l’on connaisse dans l'Yucatan..
(3) Herrera, Hist. gen., decad. iv, lib. 10, cap. 2.
(4) Bakhalal , c’est-à-dire Enceinte de bambous, eu maya; nom original de Bacalar.
(5) Ziyan-Caan, ou Limites du ciel, rappelle le pays montagneux qu’on appelait le ciel à cause de sa hauteur, par opposition à Xibalba, le pays bas, l'Enfer. — Holon-Chan, c’est-à-dire Tête de Serpent; ceci rappelle, ainsi que le nom suivant Tepeuh, les deux personnages de Tepeu et de Gucumatz dont il est souvent question plus liant.
(6) Chronologie en langue Maya, MS. Voir Stephens, Incidents of travel in Yucatan, tom. 1 et 11.
La tradition guatémaltèque attribue également à quatre frères la fondation des premières monarchies toltèques de l’Amérique centrale : à compter de Tanub, qui aurait été le premier roi de Tulan, quatre autres princes auraient régné successivement dans cette ville, et le dernier, sur la foi d’un oracle, aurait abandonné sa patrie avec ses trois frères avec qui il se serait ensuite partagé toutes les contrées environnantes (1). Les deux premiers auraient fondé au Guatémala les royaumes des Mams et des Pokomams ainsi que celui des Quichés (2); le troisième aurait établi sa puissance sur la Verapaz et le quatrième sur la nation des Quélènes, dans l’Etat de Chiapas (3). Sous le nom de Quélènes, on comprenait, au temps de la conquête, les diverses populations de la langue zotzile (4), établies entre le haut plateau de Ghovel ou de Ciudad-Real et les montagnes de Soconusco au midi : à l’ouest de ce plateau, entre les Zotziles ou Quélènes du sud et lesZoqui du nord, habitaient les Chiapanèques, dont le nom fut depuis acquis à toute la province (5) : ceux-ci attestaient leurs droits aux villes et aux terres voisines du grand fleuve, par une occupation continue de plus de mille ans avant la domination espagnole, et ils en commandaient les alentours, du haut de la citadelle imprenable de Chapa-Nanduimé, ou l’Ara couleur de feu, dont le nom rappelle encore l’antique légende· de Vukub-Cakix (6). Leur langue, qui n’a d’affinité qu’avec celle des Zoqui leurs voisins, offre des ressemblances frappantes avec l’idiome des Dirias et des Chorotecas de Nicaragua: leurs titres .territoriaux reconnaissent encore aujourd’hui, ceux-ci pour des frères, et ils affirment que ce furent leurs ancêtres qui, à une époque lointaine, dont la mémoire était perdue, envoyèrent peupler les bords du lac de Nicaragua et du golfe de Nicoya (1) : les populations de la langue zotzile disent, au contraire, que les Chiapanèques sont des étrangers, à la vérité établis depuis de longs siècles dans leur pays, mais qui n’en sont pas moins des usurpateurs qui se sont mis par la violence en possession des territoires qu’ils occupent (2).
(1) Hist, de la prov. de Guatemala. MS. — Juarros, Hist, de la ciudad de Guatemala, torn. 1,trat. iv, cap; 1.
(2) Nous reviendrons plus loin sur les émigrations guatémaliennes.
(3) Juarros, ibid.
(4) La langue’ zotzile, dialecte du Tzendal avec lequel elle n’offre que des nuances extrêmement légères. Au temps de la conquête, la ville principale, des Quelènes était Copanahuaztlan, actuellement tout à fait abandonnée depuis 40 ans. Tzinacantlan, ou Cinacantan, ou Zotzlem dans leur langue (Pays des Chauves-Souris), était le berceau de la langue et de la nation; les Mexicains y entretenaient une nombreuse garnison, destinée à contenir les Chiapanèques.
(5) L’Etat de Chiapas actuellement, fut ainsi nommé par les Mexicains du fleuve de Tabasco ou Grijalva, nommé plus haut Chiapan, d’où Chiapanecatl, homme de Chiapan.
(6) Chapa-Nanduimé, l’Ara couleur de Feu, est le nom de la cité fortifiée bu rocher d’où les Chiapanèques, réduits à toute extrémité par les troupes espagnoles, se précipitèrent dans le fleuve avec leurs femmes et leurs enfants, pour éviter de·‘se rendre ou de mourir de faim. La ville d’en bas, appelée Chiapa de Indios par les modernes, avait pour nom indigène Nambi-hina-Yaca, c’est-à-dire Cité grande du Singe.
(1) Je possède ces Titres territoriaux qui m’ont été donnés par Don Angel Corso, gouverneur de l’Etat de Chiapas. Ces titres rappellent l’existence antique des Chiapanèques et leur colonisation au Nicaragua.
(2) Les Chiapanèques proprement dits, à l'exception d’un certain nombre de vieillards, ont aujourd’hui laissé leur langue pour l’espagnol. Indiens on métis, ils sont supérieurs à leurs voisins par leur activité et leur énergie ; leurs pères tinrent toujours en échec les armes mexicaines. Lorsque je les connus־ ils étaient peu nombreux; mais ils sont les maîtres de l'Etat et le dominent.
Les Zotziles, en effet, descendaient des Nahuas qui avaient les premiers colonisé la vallée de Ghovel et les montagnes voisines : mais il est probable que, de leur côté, les Chiapanèques appartenaient à un des groupes de l’antique nation des Chanes ou Quinamés, que la tradition mexicaine nous montre sous le nom de Centzon-Vitznahua, fuyant devant la colère du vainqueur de Xibalba vers les régions du sud. Ce qui corrobore cette opinion, c’est que les Chiapanèques gardèrent jusqu’à la fin la tradition du gouvernement de deux rois, comme à Xibalba, et une réputation d’habileté et d’élégance remarquables dans les objets d’art et de luxe, dont la fabrication était chez eux supérieure à celle de toutes les nations environnantes (3). Après avoir vécu durant plusieurs années en paix sur les bords de l'Océan Pacifique, ils se seraient vu de nouveau assaillis par les Nahuas, à leur tour proscrits de Xibalba et partagés en divers groupes ; les uns auraient continué leur migration au sud, tandis que les autres se seraient jetés dans le nord-ouest par delà les montagnes des Quélènes, où ils se seraient trouvés en face des Zotziles. Ce mouvement eut lieu évidemment lorsque les Nahuas, déroutés de toutes parts, abandonnèrent Tulan en si grand nombre, fuyant devant la colère de ceux qu’ils avaient vaincus naguère.
(3) Herrera, Hist, gen., decad. iv, lib. 50, cap. 11, —Sahagun, Hist, gen. de N. Espana, lib. cap. ix, 4, etc.
Cette nombreuse émigration, dont le souvenir revient si souvent dans le Livre Sacré et que tous les peuples rappelaient avec tristesse dans leurs chants (1), était la même que celle des Toltèques dont Ixtlilxochitl suit l'itinéraire à l’aide des cartes laissées par ses ancêtres dans les archives de l’Anahuac (2). Malgré la brièveté des détails consignés dans ses Relations, on voit que les chefs toltèques ne cédèrent, cependant, le terrain qu’en combattant pied à pied, jusqu’à leur arrivée sur les bords de la mer du Sud, où, déjà, à quelque distance de leurs ennemis, ils bâtirent la ville de Tlapallantzinco (3), ainsi nommée en mémoire de la terre sacrée dé Tlapallan d’où ils avaient été exilés. C’est là qu’un grand nombre de familles, dont le sort était uni au leur, les rejoignirent de différentes parties de l’empire, en particulier de la cité dé Tlaxi-Coliuhcan (4) qui paraît avoir été identique avec l’ancienne capitale des Quinamés : mais le nombre des fugitifs augmentant chaque jour, et les Toltèques se trouvant pressés davantage par leurs adversaires, sentirent bientôt la nécessité de songer à une nouvelle émigration. Au bout de trois ans de séjour à Tlapallantzinco, la nation proscrite se partagea en plusieurs groupes qui s’établirent à des distances respectables les uns des autres ou qui s’éloignèrent dans des directions inconnues. Alors sans doute les tribus de Tamub et d’Ilocab prirent leur route vers les montagnes guatémaliennes, tandis que le gros de la nation, commandé par le&sept chefs qui l’avaient guidé dès le commencement, se mettait en chemin, en côtoyant les rivages de la mer Pacifique vers le nord-ouest. C’est cette séparation à laquelle les rédacteurs du Livre. Sacré font sans cesse allusion, dans leurs lamentations sur leur départ de Tulan, en disant que « ce fut alors » qu’ils laissèrent derrière eux leurs frères de la nation des » Yaqui (1), que leur aurore éclaira dans les contrées qu’on » appelle aujourd’hui Mexico (2). »
(1) Voir le Livre Sacré, pages 245 et 247., . .
(2) Voir les diverses Relations et Veytia, Hist, antigua de Mexico , tom. 1, cap. 21 et suiv.
(3) Tlapallantzinco (non Tlapallan-concof qui est erroné) paraît avoir existé dans le territoire actuel de Soconusco : les histoires gualémaltèques citent une ville de ce nom, sur les bords du Pacifique, qui fut conquise par Gucumatz, roi des Quichés, et ensuite par le roi Quicab. Tlapallantzinco est placé par Ixtlilxochitl sur les bords de la mer, à soixante lieues environ de l’ancienne' capitale abandonnée par les Toltèques; c’est à peu près la distance qu’il y a des vallées entre Ococingo et Comitan aux rivages de l'Océan méridional.
(4) Veytia, Hist, antigua de Mexico, tom, i, cap. 21. Tlaxi-Coliuhcan, peut-être Tlaxi-Culhuacan ou Colhuacan du centre de la terre, paraît encore faire allusion à l'antique capitale, berceau central des nations primitives.
(1) . Yaqui parait être dérivé de la langue nahuatl, c’est celui qui va, qui marche, le nomade’. Dans les langues de l’Amérique centrale il se prend pour la sauterelle. Il a aussi le même sens que le mot toltecatl et exprime par conséquent l’idée de toltèque, d’artiste, de personne bien élevée et de bon goût; en un mot, les Yaqui sont ceux de la race nahuatl, les Toltèques et les Mexicains.
(2) Livre Sacré, pag. 247.
Malgré l’extrême rareté des détails consignés dans les histoires, on parvient, cependant, à suivre d’étape en étape cette étonnante migration, durant plus d’un siècle, à travers les régions les plus lointaines du Mexique ; on la voit s’avancer lentement par les provinces de Tehuantepec et du Michoacan, jusqu’aux extrémités de la Sonora et de la Haute-Californie, laissant partout des traces durables de son passage. Elle colonise à mesure qu’elle monte vers le nord ; ses moindres colonies, les plus légers essaims qui pénètrent dans l’intérieur, deviennent des centres de־ civilisation qui réduisent les tribus sauvages, en adoucissant leurs mœurs, ou qui modifient les sociétés existantes. On ignore où s’arrêta cette marche extraordinaire : mais on a cru découvrir dans le calendrier et dans la langue des habitants de Noutka (3) des analogies qui semblent annoncer d’antiques communications avec les Toltèques ; on n’a cependant signalé jusqu’ici au delà de la Californie aucun monument qui pût, comme en d’autres localités, faire présumer qu’ils y eussent fait aucun séjour stable (4). Pour retrouver des traces certaines de nations civilisées, il faut retourner aux vallées arrosées par le Rio-Gila, remarquables par les ruines dé plusieurs grandes cités, dont les constructeurs-sont demeurés inconnus (1), bien qu’elles paraissent appartenir à une époque postérieure à celle des Toltèques. En effet, le flot de l’émigration régulière de cette race entreprenante aurait eu son terme dans le nord, au bord du golfe de Californie où ils fondèrent une monarchie puissante, dont la capitale reçut le nom sacré de Colhuacan ou Teo-Colhuacan, en mémoire de celle qu’ils avaient laissée derrière eux en Tlapallan. Cette ville, dont les annales se retrouveront peut-être un jour, subsistait encore au temps de la conquête, dans une condition florissante, et Las Casas (2) lui accorde une population qui égalait, si elle ne surpassait même pas celle de Mexico-Tenochtitlan. Mais quoiqu’on n’y tolérât ni les sacrifices, ni la manducation des victimes humaines, les institutions phalliques qu’on y trouve établies de temps immémorial, avaient produit dans les mœurs une dissolution effrayante. Des hommes habillés en femmes y faisaient métier de pédérastie : les jeunes filles à marier étaient déflorées solennellement par un prêtre avant d’être livrées à leurs maris, et d’autres femmes se consacraient par des fêtes scandaleuses, ainsi qu’à Babylone, au service du public. Teo-Colhuacan était, d’ailleurs, orné d’un grand nombre de temples et de tombeaux superbes ; ce qui la faisait considérer comme une ville sainte par les nations voisines qui s’y rendaient chaque année en grand nombre pour y offrir des sacrifices. Dès le xie siècle on y voit paraître les Mexicains, et des auteurs prétendent qu’ils passaient annuellement le golfe de Californie, pour aller assister aux solennités du culte qu’on célébrait dans cette ville (3).
(3) Les Indiens de Noutka ont les mois mexicains de 20 jours, mais leur année n’est que de 14 mois, auxquels ils ajoutent, d’après des méthodes très-compliquées, un grand nombre de jours intercalaires; quant à la langue, elle renferme beaucoup de sons analogues à ceux des mots mexicains, mais le sens en est totalement différent.
(4) Bradford, American Antiquities, pag. 199 et 205.
(1) Des ruines analogues se rencontrent dans l’Etat de Chihuahua et dans les vallées du Nouveau-Mexique, où l’on trouve, d’ailleurs, plusieurs grandes bourgades bâties de la même manière et habitées par les Zunis.
(2) Hist. apol. de las hid. Occid., tom. i, cap. S3 et 54, manuscrit. — Relation de Castaneda, coll, de Ternaux, deuxième partie, chap, 1, page 150.
(3) Castillo, Hist. Mexic., en langue nahuatl, MS. de M. Aubin.
A dater de cette station importante, l’itinéraire des Toltèques, conservé par les auteurs, cesse de présenter la même clarté qu'auparavant: au lieu de continuer vers le nord, 011 les voit se diriger vers le levant, d’où ils retournent ensuite vers le sud, et, à la fin du sixième siècle, ils arrivent au lieu nommé Tollantzinco, au nord de la vallée d’Anahuac (1). Cette ville devint alors la capitale d’un nouvel Etat; mais au bout de peu d’années elle céda la pré-éminence à une nouvelle Tulan, dite aussi Tollan et Tula, située à quatorze lieues de Mexico et qui fut édifiée sur les débris de la cité otomie de Mamheni ou Xocotitlan (2). Confédérée avec les villes d’Otompan et une autre Colhuacan, bâtie vers le même temps sur le lac de Tenochtitlan, par un autre essaim descendu du nord, elle constitua la fameuse monarchie toltèque de l’Anahuac qui dura jusqu’à.la fin du onzième siècle. Ce qu’il y a à remarquer dans l’ensemble de ces migrations, c’est que le berceau primitif, Colhuacan de Tlapallan, est souvent confondu par les auteurs avec Teo-Colhuacan ou le Colhuacan de Sonora : aussi cette confusion a-t-elle donné lieu à des commentaires fort contradictoires sur les routes signalées par les Toltèques. C’est là aussi ce qui est cause qu’à partir de la station où, du nord-ouest, ils prirent la direction du soleil levant, pour ensuite rebrousser vers le midi, les notions de leurs étapes deviennent vagues et indéterminées : on ne les suit plus qu’imparfaitement sur la carte, et l’on dirait, en examinant celles qui nous sont parvenues de leurs longues pérégrinations, qu’une main plus moderne a tenté de combiner en un seul voyage les itinéraires de plusieurs tribus distinctes. Il est donc fort probable que le gros de la nation avait fixé sa demeure au lieu où elle érigea la cité de Teo-Colhuacan, comme au terme définitif de ses fatigues : mais des causes inconnues, peut-être des dissensions entre les chefs, des distinctions de castes entre les Nahuas de sang pur et les métis, occasionnèrent-elles la séparation violente des tribus qu’on voit s’éloigner de cette capitale nouvelle et s’acheminer vers l’Anahuac. On ne saurait clouter que d’autres essaims n’aient, pour des raisons analogues, émigré à leur tour, soit en passant à la péninsule californienne, où l’on a cru trouver dans les temps modernes des traces de leur séjour, soit au Nouveau-Mexique, ou bien dans la Louisiane, le long des rives du Mississipi.
(1) Mololinia, Rites antiguos y sacrikeios, etc., ap. Kingsborough, t. ix Supp.
(2) Id. ibid. — Sahagun, Hist. gen. de Nueva-Espana, etc., lib. x, cap. 29.
Migrations anciennes à l’ouest et à l’est du Mississipi et aux Florides. Populations de ces contrées au temps de la conquête. Leur état social. Coutumes et religion des Natchez. Monuments antiques aux Etats-Unis. Pyramides, enceintes, tumuli, etc., bâtis par un peuple inconnu. Les Allighewi ; traditions à leur sujet.
Lorsqu’un peuple a laissé des souvenirs si faibles de son histoire, ce n’est pas une tâche aisée, après tant de siècles, d’en recoudre les lambeaux et de présenter une idée satisfaisante d’une migration antique, trop souvent confondue avec d’autres émigrations qui eurent lieu postérieurement. Mais au fond de ce chaos il est un trait qui distingue évidemment la race toltèque entre toutes les autres et qu’on ne saurait passer sous silence, sans manquer à l’histoire : en effet, quel qu’ait été dans l’origine le nombre des tribus qui émigrèrent, en emportant avec elles cette dénomination générique dans les contrées qu’elles occupèrent, il est remarquable qu’elles eurent l’art de se multiplier toujours d’une manière si rapide qu’elles paraissaient couvrir le monde américain de leurs ramifications. Cette prodigieuse multiplication avait deux causes : la première tenait évidemment à la facilité avec laquelle les Toltèques réussissaient à s’assimiler les peuples de races diverses,־ la seconde à la nature de leurs institutions politiques et religieuses dont le caractère superstitieux convenait admirablement au génie américain. Leur nombre réel fut peut-être bien moindre qu’il ne paraît en suivant leurs traces dans l’histoire, mais il est positif que partout où ils plantèrent des colonies, ils policèrent les populations : usant tour à tour de la violence ou de la persuasion, ils les soumettaient à l’influence de leurs rits et de leurs dogmes, au point de les transformer insensiblement en Toltèques ; à leur tour, ceux-ci tentaient sur leurs voisins les effets de leur prosélytisme. C’est de cette manière qu’on parvient à s’expliquer comment leurs idées pénétrèrent en tant de régions diverses.
C’est ainsi naturellement que procédèrent les essaims vagabonds qui se séparèrent de leurs frères, soit avant leur arrivée à Teo-Colhuacan, soit après la fondation de cette colonie importante : les uns s’amalgamèrent parmi les nations de la Californie, les autres se créèrent des alliés entre les tribus sauvages ou policées du Nouveau-Mexique ou du Texas, à l’aide desquelles ils descendirent ensuite sur 1’Anahuac. On ne saurait douter, en effet, qu’ils eussent contracté à l’ouest du Rio-Colorado des alliances avec des populations, peut-être, venues d’Asie par une route diverse et à l’est du Rio-Gila, avec celles qui habitaient les vallées arrosées parle Rio-Bravo et la Rivière-Rouge jusqu’au Mississippi. Peut-être encore ne faisaient-ils que renouer ainsi les liens d’une parenté antique, et la civilisation mystérieuse dont on découvre tant de traces aux Etats-Unis, n’est-elle autre chose qu’une série des anneaux de la grande chaîne, qui rejoignait les Tula du nord aux diverses cités qui en avaient reçu leur nom dans les contrées plus méridionales (1).
(1) On trouve encore une autre ville du nom de Tula sur la rive droite du Mississipi, probablement vers l’embouchure de l’Arkansas (Las Casas, Hist. apol.. etc., tom. 1, cap. .54. — Relation de la Floride par le Fr. Gregorio de Beleta (coll. Ternaux, Recueil de pièces sur la Floride, pag. 95).
Les leçons de l’histoire et les monuments de l’antiquité américaine s’accordent, en effet, pour démontrer que ce n’est qu’en dirigeant nos regards vers les régions du Levant qu’on peut espérer de signaler les traces continues de la race toltèque, à partir des bords de l’océan Pacifique. Dans l’incertitude que présentent ses itinéraires, on a de la peine à les découvrir au nord du 34e degré de latitude ; mais on les retrouve en tournant à l’est, où un grand nombre d’essaims paraissent se perdre, les traditions mexicaines ne s’attachant qu’à ceux qui redescendirent vers la vallée de l’Anahuac. Ces essaims, suivant toute apparence, auraient traversé le Rio-Bravo au-dessus du Paso-del-Norte, et de là ils se seraient internés dans le Texas, d’où ils auraient gagné les vallées du Mississipi et la Floride. Car, dans ce long trajet, on discerne encore des vestiges de leur langue et de leurs institutions. Un grand nombre de localités, au Texas, portaient des noms mexicains à l’époque de la découverte de l’Amérique, et, de l’extrémité de la péninsule floridienne aux bords du Mississipi, on reconnaît, dans un grand nombre de noms, soit de villes, soit de provinces ou des chefs qui les gouvernaient, une origine alternativement maya, nahuatl ou haïtienne (1).
(1) Las Casas, ibid. — Relations, ibid, passim.
Dans les Sagas islandaises (2), toute cette contrée, comprenant même la Géorgie actuelle et les Carolines, apparaît désignée sous le nom d’Irland-ik-Mikla ou la Grande-Irlande et par celui de Hvitramanaland ou la Terre des hommes blancs. Est-ce vers ces rivages que les Irlandais et les Gallois naviguaient au moyen âge? Au χθ siècle, reprennent les Sagas (3), une tempête y jeta Ari, fils de Mar de Holum qui s’y laissa baptiser, et qui s’étant marié se fixa dans cette contrée par suite de la considération qu’il s’y était acquise. Au xv!e siècle, ce sont desbandes espagnoles, altérées d’or et de conquêtes, à qui l’on voit parcourir à plusieurs reprises la partie de ces régions qui est la plus rapprochée des Antilles. Elles y rencontrèrent des nations guerrières, d’une taille et d’une force remarquables, mais qui se rattachaient moins aux races septentrionales qu’aux anciennes populations du Mexique et de l’Amérique centrale (4). Sous l’appellation commune de Floridiens, elles s’étendaient des rives de la Savannah à celles du Père des Eaux et sur l’un et l’autre bord du grand fleuve, au moins aussi haut que l'embouchure de l’Arkansas, où elles formaient plusieurs États florissants encore pour ce temps-là : on connaît surtout ceux de Sotoriva et d'Alimacani, dans la péninsule de la Floride, ceux d’Utina, d'Olagal, d’Olocatan, d'Apalachi, d’Altapaha, d'Alibanio, de Tuzcaloza, de Talahazé, à la gauche du Mississipi, et les grandes provinces de Pacaha, de Chicaza, de Coligua et de Tula, sur la rive droite (1). Ces provinces obéissaient à des princes dont la puissance, s’étendait sur un grand nombre de chefs d’une catégorie inférieure et même sur quelques groupes de l'Archipel des Antilles (2).
(2) Beauvois, Découvertes des Scandinaves en Amérique, etc., dans la Revue orientale et américaine, t. ii, pag. 116.
(3) Id. ibid.
(4) Bradford, American Antiquities, pag. 199.
(1) Las Casas, Hist, apol., etc., t.1, cap. 54.— Recueil de pièces sur la Floride, d’Escalante, de Soto, Biedma et Beteta, etc., coll .Ternaux. L’inexactitude de ceux qui écrivirent ces lettres ne permet pas de déterminer entièrement la topographie de ces lieux.
(2) Recueil, etc., page 22.
Leurs villes ou bourgades étaient d’ordinaire construites au bord des lacs ou des fleuves et quelquefois au milieu des marécages, entourées d’enceintes fortifiées avec de larges et profonds fossés : là dominait, au-dessus des huttes de la foule, le tertre massif aux formes pyramidales, sur l’esplanade duquel était érigée la demeure du chef, gardien du sanctuaire. La confusion des anciens récits, écrits d’ordinaire par des hommes qui n’avaient eu d’autre occupation que de chercher de For ou de se défendre contre les Indiens, permet difficilement de discerner les détails propres à éclairer l'historien : on voit, toutefois, qu’il existait parmi ces populations des édifices couverts par de hautes murailles, du parapet desquelles les indigènes cherchaient à repousser les invasions ennemies et se servaient de cottes de mailles de coton [ichcahuipil}, Comme les Mexicains : les conquérants parlent d’étangs artificiels, de routes, de canaux, -de vergers, de parcs clos, où les princes réunissaient des troupeaux considérables de cerfs privés, et ce qui est plus étonnant, de vaches domestiques dont le lait leur servait à faire du fromage (3) ; toutes choses qui annoncent une société bien éloignée de l’état barbare. Les mêmes récits décrivent la poterie des nations floridiennes comme étant d’une remarquable finesse, d’une richesse de couleurs et de formes également admirables; car « ces Indiens sont peintres et ils peignent tout ce qu’ils voient, » ajoute le narrateur (1). Les villes d'Aquèra, d'Ocale, de Nandacaho et de Haïs, situées dans les vallées voisines du Mississipi, frappent les Espagnols parleur étendue: il s’y tenait des marchés importants ; on y voyait un commerce actif, et les Indiens trafiquaient de quantités considérables d’or et de perles. Les rois s’y faisaient porter en litière, comme ceux du Mexique, par les seigneurs de leur cour, tandis qu’on élevait au-dessus de leurs têtes des parasols de plumes, richement ouvragés, pour les garantir du soleil. Ce qui ajoute à la ressemblance avec les contrées d’origine toltèque, c’est que les hommes y faisaient l’office de portefaix et de bêtes de somme, exactement comme dans l'Anahuac, et on voit quelquefois jusqu’à huit cents tlamèmes, requis par les officiers espagnols pour porter leurs bagages à travers le pays. L’agriculture y était en honneur, pratiquée sur une grande échelle, et sur les bords du Mississipi les chefs possédaient des flottilles de canots dont quelques-uns pouvaient porter jusqu’à quatre-vingts hommes (2).
(3) Ce fait, qui est fort extraordinaire, se trouve répété plusieurs fois, entre autres, dans la Lettre de Soto, pag. 47, etdans la Relation de Biedma, pag. 101. On trouve également des détails à ce sujet dans Gomara, dont on ne saurait suspecter la véracité.
(1) Relation d’Escalante Fontanedo, pag. 24.
(2) Relation de Biedma, pag. 104.
Ainsi que chez les Chichimèques de Quauhtitlan et à Xalizco, les femmes, dans la Floride, héritaient quelquefois de l’autorité suprême, et alors on les voit disposer des temples nationaux comme du produit des récoltes publiques (3). Quant à leurs institutions religieuses, elles sont généralement peu connues. On sait, cependant, que le feu sacré brûlait perpétuellement dans le sanctuaire, en l’honneur du soleil : les temples des Maubiliens auraient même joui à cet égard d’une prérogative particulière ; c’est que, si le feu venait à s’éteindre chez les Natchez ou dans quelque autre des nations de la Louisiane, c’était aux autels de Maubile que le rite les obligeait à le rallumer (4). Le soin en était commis à des vierges qui avaient la garde du sanctuaire, ce qui donne à croire que soleil en était la divinité principale : mais son culte n'était ni plus pur, ni plus pacifique aux bords du Mississipi ou de l’Alabama, qu’il ne l’était chez les Nahuas. La plupart immolaient leurs captifs, mais en réservant ces sacrifices barbares pour solenniser leurs fêtes religieuses; d’autres les dévoraient. A la mort des chefs, on égorgeait, ainsi qu’au Michoacan et ailleurs, un grand nombre de serviteurs et de femmes, destinés à les accompagner et à les servir au delà du tombeau.
(3) Charlevoix, Voyages dans la Nouvelle-France, tom, ii, pag.242. '
(4) Id. ibid.
Les Natchez ayant conservé plus longtemps que les autres populations de ces contrées leur organisation antique, Charlevoix a «pu y observer, au commencement du xviiie siècle, des usages depuis longtemps disparus autour d’eux : le tableau qu’il en fait, mérite toute notre confiance ; il complète les renseignements fournis par ses prédécesseurs. Le grand chef de la nation portait là le titre de Soleil, comme à Teotihuacan (1), et partageait avec sa plus proche parente, la femme-chef (2), l’exercice de la puis-sauce souveraine. Pontife et roi, il jouissait ainsi d’une double autorité, et réglait les travaux, les entreprises militaires, en un mot, toute l’existence de la nation. Au-dessous de lui, les chefs de guerre, d’une part, les devins de l’autre, présidaient aux combats et à l'accomplissement des rites imposés par la religion. La plupart étaient de sa race divine : car il prétendait descendre de l’astre dont il prenait le nom; mais leur filiation ne se comptait que par les femmes, le désordre des mœurs publiques ne permettant pas de la régler autrement. En effet, une dissolution effrénée résultait de l’état social des Natchez, autant que de leurs coutumes : le soleil et la femme-chef étaient obéis dans toutes leurs passions ; à leur exemple les principaux de la nation profanaient le mariage par une licence sans bornes et qui ne laissait même plus exister la jalousie. On y retrouvait les institutions phalliques en honneur ainsi qu’à Teo-Colhuacan, et les prostitutions babyloniennes se renouvelaient sur les rives du Mississipi comme au bord de l'Océan Pacifique, en vertu des commandements du pontife suprême.
(1) Codex Chimalpopoca, dans l'Hist. des soleils.
(2) Institution qui remontait, apparemment, à Oiomoco et Cipactonal, qui firent marcher le soleil en inventant leur calendrier, et qui se retrouvent dans la dualité à d'Ometeuctli et d’Omecihuatl.
Cette dissolution, qui rappelle également les désordres existants parmi les populations civilisées de Panuco (1) au temps de la conquête, avait été importée au XIe siècle dans cette contrée par des tribus émigrées de l’est et qui parurent alors à Tollan et dans l’Anahuac. On les connaît, dans l’histoire, sous le nom d'Ixcuinamé (2), et entre autres coutumes qu’elles introduisirent dans Tollan, on leur attribue le rite monstrueux d’écorcher les victimes humaines pour se revêtir de leur peau toute fraîche (3). Serait-il étonnant, d’après la perversion d’idées et de sentiments qu’entraînait un pareil état de choses, que le contact de ces tribus méridionales eût contribué plus tard aux dérèglements autorisés parmi les peuplades du nord, comme chez les Iroquois et les Hurons, ainsi que l’observèrent les missionnaires du siècle dernier. C’était une combinaison monstrueuse que ce système social qui admettait simultanément la barbarie des sacrifices, le despotisme effréné des chefs et l’impureté de la vie domestique. Mais ce système était loin d’être sans exemple, puisqu’on retrouve les mêmes notions, consacrées par le culte du soleil et du serpent (4) à Panuco, dans quelques autres régions du Mexique, bordant les rivages du Pacifique, et même chez un grand nombre de nations de l’Amérique méridionale jusqu’à la Colombie et au Pérou.
(1) a Dans certaines contrées , et » particulièrement à Panuco, on adore » le phallus (il membro che portano » gli uomini fra le gambe), et ils le » conservent dans des temples. Il est » représenté aussi sur la place avec י> des statues en ronde-bosse, qui figurent toutes les sortes de plaisirs dont » l’homme peut jouir avec la femme. » On voit des figures humaines ayant » les jambes en l’air de différentes » façons. Les hommes de la province » de Panuco sont très-adonnés au vice » contre nature ; ils sont fort lâches » et si ivrognes, que lorsqu’ils sont fatigués de boire leur vin par la bouche, ils se couchent, élèvent les jambes en l’air et s’en font introduire » dans le fondement au moyen d’une » canule, tant que le corps peut en » contenir » (Relation sur la Nouvelle-Espagne, écrite par un gentil-homme de la suite de Cortès, coll. Ternaux, Premier recueil de pièces sur le Mexique, pag. 84). Voir encore, sur l’ivrognerie des Cuextecas, ou habitants de la province de Panuco, Sahagun, Hist, de las cosas de Nueva-Espana, lib. x, cap. 29.
(2) Codex Chimalpopoca, ad ann. ix, Acatl, 1059. — Ixcuiname, Femme au visage peint ou masqué. Ce nom rappelle les hommes peints ou masqués de Xibalba; il paraîtrait que cette race venait de l'Yucatan.
(3) Id. ibid, ad ann. xiii, Acatl, 1063.Ce rite s’intitulait Xipe, l’écorchement, ou Xïpe,Totec, notre seigneur de l’écorchement.
(4) Relation sur la Nouvelle-Espagne, ubi sup.
En reconnaissant si loin, à l’intérieur de l’Amérique du Nord, ces institutions impies, réformées en partie dans le Mexique par un Quetzalcohuatl, ailleurs par d’autres prophètes sortis de son école, conservées par les montagnards des Andes et par des nations nombreuses sur l’un et l’autre Océan, on se demande si elles avaient exercé leur action sur des nations plus septentrionales que les Floridiens. Les récits des premiers voyageurs français et anglais qui visitèrent le côte orientale des Etats-Unis ne laissent aucun doute à cet égard. Tout le littoral était alors habité par de petites tribus, dont les chefs exerçaient un commandement despotique, et dans les temples, ainsi que dans ceux de la Floride et du Mississipi, on trouva, malgré leur barbarie, des traces d’un état social et d’un culte analogues. Cependant, elles n’élevaient point de tertres pour y placer l’habitation de leurs souverains, et leurs villages, pareils en tout à ceux des nations actuelles, indiquaient une origine commune. L’examen détaillé de toutes leurs coutumes indique clairement que c’étaient des clans du nord, semblables jadis à ceux de l’intérieur, mais parmi lesquels s’étaient propagées des formes religieuses et politiques empruntées au midi.
Toutefois, cette propagation ne remontait pas à une époque bien reculée : car les Floridiens eux-mêmes étaient un peuple d’origine assez récente dans leur pays et ils se souvenaient pour la plupart d’y être venus de contrées plus occidentales (1). Les Natchez surtout avaient à ce sujet des traditions précises qui mettaient leur patrie dans le pays du sud-ouest, d'où ils prétendaient n’être partis qu’à l’approche des blancs (2). On sait d’ailleurs qu’à l’instar de plusieurs nations d’origine nahuatl à Nicaragua, an Yucatan, et ailleurs au Mexique (1), les Natchez avaient la coutume de comprimer le front de leurs enfants à leur naissance (2), et un auteur ajoute (3) que le même usage existait parmi les peuplades de la Caroline du Sud et chez les autres tribus indigènes, tout le long de la route jusqu’au Nouveau-Mexique. On le retrouvait également chez les Choctaws et chez les Têtes-Plates qui en avaient reçu leur nom (4), ainsi que certaines nations caraïbes de l’Amérique méridionale. On voit de cette manière que les coutumes, en apparence les plus insignifiantes, de même que les rites les plus sacrés, concouraient avec les traditions, chez les populations de la Floride et du Mississipi, à les rattacher à un berceau plus méridional. Ce qui donne encore à ces traditions un caractère plus authentique, c’est que les régions même qu’elles habitaient à cette époque, offraient des monuments d’une race bien antérieure, mais dont le départ ou la destruction ne paraît remonter tout au plus qu’à sept ou huit siècles. Elles n’avaient donc pu s’établir là que depuis que celle-ci en avait disparu, et les similitudes qu’elles conservaient avec les nations du Mexique montrent qu’elles ne s’en étaient séparées que depuis peu de temps. Ainsi s’explique le peu d’influence que leurs rites et leurs mœurs paraissent avoir exercé sur la masse flottante des peuples septentrionaux, avec lesquels elles n’avaient eu généralement que fort peu de contact. Les Pawnies seuls, parmi les tribus nomades, semblent leur avoir emprunté l’usage des sacrifices humains.
(1) Vater a réuni une partie des témoignages qu’on possède encore sur cette émigration (Mithrid., tome iii, troisième partie, page 247).
(2) Avant ou après la découverte de l’Amérique par Colomb ?
(1) Oviedo, Hist. de Nicaragua, coll. Ternaux, pag. 71. — Herrera, Hist, gen., decad. iv, lib. 111, cap. 3.— Il y a dans le Livre Sacré, pag. 125, un passage assez curieux qui semble faire allusion à rétablissement de cette coutume parmi les populations qui furent soumises ou civilisées par les Nahuas. Sous l’image d’un champ défriché par les deux frères Hunahpu et Xbalanqué, on reconnaît le commencement de la civilisation; les bêtes fauves, les brutes, c’est-à-dire les sauvages, les barbares, cherchent à s’y opposer. Les deux frères les combattent, mais ils ne se saisissent d’abord que du Rat, à qui ils brûlent le poil de la queue, dont ils pressent la tête, en faisant ressortir ses yeux. Ne serait-ce pas là un symbole pour rappeler l’origine de l’usage de s’épiler el de comprimer la tête?
(2) Morton, Crania Americana, etc. pag.ICI, 162.
(3) Adair, History of the North-American Indians, etc., pag.8.
(4) Charlevoix, Voyage dans l’Amérique septentrionale, etc., tom. 1, pag.83, 84.
C’est donc à d’autres groupes qu’il faut parvenir pour distinguer les foyers ultérieurs de croyance et d’association qui s’étaient formés jadis dans ce monde sauvage. Pour nous guider ici nous rencontrons d’abord les monuments érigés par une race plus ancienne que les Louisianais et les Floridiens, et qui offrent le témoignage le plus irrécusable de sa force et de son étendue. Les principaux, qu’on peut comparer aux pyramides de l'Yucatan et du Mexique, sont, soit des monticules artificiels, en forme de parallélogramme, dont la terrasse supérieure devait servir de base au sanctuaire de la divinité ou à la demeure du chef, soit des tumuli, représentant des monuments funéraires. Répandus dans toute la vallée du Mississipi et principalement dans les régions qui sont à l’est du fleuve, ils augmentent en nombre à mesure qu’on descend vers le sud. Leur élévation varie suivant les lieux ; mais elle atteint quelquefois cent pieds anglais et l’on en cite qui ont jusqu’à deux mille cinq cents pieds de diamètre à la base. Souvent il existait à l’entour d’autres travaux que le temps a rendus moins reconnaissables. « Dans une plaine, dit un auteur qui avait eu l’occasion de les examiner avant notre époque (1), j’ai vu plusieurs montagnes artificielles qui ont sept à huit cents pieds de circonférence et trente à quarante de hauteur; une pyramide, dont les dimensions sont beaucoup plus considérables; quatre terrasses de forme carrée, ayant dix à douze pieds d’élévation ; et enfin une arène creusée avec quatre rangs de banquettes qui pouvait contenir trois mille spectateurs. » Nul doute que la population qui avait laissé dans les vallées de ces régions des traces si durables de son passage, n’eût été nombreuse et compacte, qu’elle n’eût possédé des institutions sociales, assez puissantes pour tenir unies les masses de la nation, et un culte assez intelligent pour régulariser leurs efforts. On a travaillé vainement jusqu’à présent à découvrir à quelle race de pareils ouvrages avaient pu appartenir : des squelettes humains trouvés dans les tumuli ont donné lieu de croire à quelques savants qu’elle présentait de l’analogie avec la race Scandinave ; mais le problème est loin d’être résolu. Arrêtés par l’incertitude et forcés de créer une dénomination nouvelle pour ce peuple inconnu, les antiquaires américains, appuyés sur une tradition iroquoise, le désignent en général sous celle d'Allighéwi, empruntée aux montagnes qui dominaient son territoire.
(1) Saint-John de Crèvecœur, Voyaye dans la Haute-Pensylvanie, par un membre adoptif de la nation Oneida, etc., tom.iiî, pag.191.
Dans les comparaisons qu’on a établies fréquemment entre ce peuple et les autres nations de l’Amérique, on a conclu généralement que ses monuments ne présentant partout que des ouvrages de terrassement, ses progrès dans les arts, comme sa position sociale, devaient avoir été inférieurs à ceux des peuples policés du Mexique et du Pérou, a Mais je dois dire, observe un » écrivain (1), que si tous les ouvrages que j’ai vus sont de terre, » c’est qu’ils existent tous dans des régions absolument dénuées » de pierres. » On prouve encore, par l’examen d’un grand nombre de ruines, que les Allighéwis n’ignoraient pas entièrement l’art de se servir de pierres dans la construction de leurs édifices : outre les pierres sculptées trouvées dans l’excavation de plusieurs pyramides, il existe des forteresses entourées d’enceintes en pierres, et, dans le Missouri, des édifices avec des appartements intérieurs en pierre, construits avec régularité et offrant des voûtes à degrés renversés comme, à Palenqué. Bradford (2) parle des ruines d’une ancienne ville existant dans cet Etat, où l’on découvre encore les directions des rues et des places, avec les fondements de maisons en pierre, et Ulloa a vu, dans la Louisiane, d’anciennes constructions qu’il compare à celles du Pérou (3).
(1) Flint’s Recollections, pag. 164.
(2) American Antiquities, etc., pag. 168 et 171.
(3) Voyage au Pérou, etc., tom. 11, pag. 113, et Noticias Americanas, pag.43.
Du caractère général des principaux vestiges qui existent aux Etats-Unis, on peut conclure que les peuples qui les construisirent appartenaient à la même nation, ou du moins qu’ils avaient eu un berceau commun. Commençant dans l'Etat de New-York, ils s’étendent à la base occidentale des Alléghanies, tournent à l’est dans la Géorgie et ne se terminent qu’au bord de l'Océan, à l’extrémité la plus méridionale de la Floride. Dans l’ouest, on les trouve en grand nombre au bord de toutes les eaux occidentales, jusqu’aux sources mêmes du Mississipi, éparpillés le long du Missouri et de ses affluents, et de là, continuent jusqu’au golfe du Mexique, s'étendant même au delà de la Rivière-Rouge, au nord-ouest du Texas : « Or, la distance qu’il y a de la grande pyramide de la rivière Rouge aux premiers teocalli de la Nouvelle-Espagne, dit M. Brackenridge (1), n’est pas si grande qu’on ne puisse les considérer comme des monuments de la même contrée. »
(1) Transact. Amer. Phil. Soc., v. 1, pag. 158.
Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’en aucun endroit, excepté dans la Floride, ils ne s’étendent dans la direction de l'0céan Atlantique : aussi loin que les découvertes modernes ont permis de s’en assurer, ces vestiges s’arrêtent en approchant des régions plus froides du nord et n’atteignent nulle part au couchant les rivages du Pacifique ; tandis qu’au sud et à l’ouest, on les voit pousser presque en ligne droite et sans interruption vers le Mexique (2). Quoique les traditions mexicaines fassent descendre par la Floride, et ensuite, le long des côtes du golfe jusqu’à Panuco, les tribus nahuas qui bouleversèrent la face du monde américain, on ne saurait cependant, sans témérité, affirmer que cette péninsule ait été le premier berceau de ces nations inconnues, et que de là elles se soient ensuite répandues vers les vallées de l’ouest. Sans compter que le fait même du passage des Nahuas prouve qu’ils venaient de plus loin, il faut reconnaître que la tendance naturelle à tous les peuples, a été constamment de s’étendre d’abord sur les rives des fleuves ou sur les plages maritimes. Si la Floride avait été le lieu de leur origine, elles auraient naturellement poussé leurs établissements le long de l'Atlantique ; mais on ne trouve de ce côté aucune trace de leur existence : aussi est-ce là ce qui a conduit les écrivains américains, indistinctement, à penser que leurs migrations avaient dû se diriger par les grandes vallées de l’ouest dans les contrées méridionales jusqu’à la Floride.
(2) Bradford , American Antiquities, etc., pag. 61.
L’étonnante multiplicité de ces monuments, décrits, d’ailleurs, indistinctement dans un grand nombre d’ouvrages spéciaux, ne permet pas de douter que cette vaste région n’ait été très-anciennement occupée par ces nations ; cette extension même et le caractère de leurs constructions sont des arguments en faveur de leur antiquité : car ce ne sont pas, comme on pourrait le supposer, des retranchements hâtivement élevés par des tribus actuellement en voie d’émigration, mais bien des ruines de villes et de temples, dont plusieurs présentent des dimensions si massives et si durables, qu’on ne peut les attribuer qu’à des populations établies depuis longtemps et d’une manière permanente dans le pays. Des voyageurs superficiels, guidés par les vieux préjugés qui se refusent à accorder l’antiquité et la civilisation à l’Amérique d’avant Colomb, n’avaient trouvé là que les tombeaux de quelques hordes nomades : en effet, que les tumuli et la plupart des pyramides tronquées aient servi de lieux de sépulture, rien de plus probable, mais est-ce à dire pour cela que tel ait été l’unique objet de tous ces grands édifices? La plate-forme qui les couronne, le soin particulier avec lequel ils étaient retranchés, leur situation relative quant aux enceintes fortifiées et la régularité qui avait présidé à la disposition de certains groupes, suggèrent autre chose que l’idée d’un tombeau. Dans l’arrangement de ceux qui avoisinent les fortifications, tout tend à prouver qu’ils prêtaient leur appui à la défense des positions militaires; d’autres, et cette remarque s’applique à la majorité des grandes pyramides, par leur correspondance astronomique aux quatre points cardinaux, aussi bien que par leur analogie avec des monuments analogues chez les nations méridionales du continent, donnent raison de supposer qu’ils étaient destinés à des usages purement religieux.
Les enceintes appartiennent également à deux ordres d’idées bien distinctes. Quelques-unes, d’une forme régulièrement géométrique et de dimensions restreintes, comme celle qu’on voit à Circleville, dans l’Etat d’Ohio, avaient évidemment une origine sacrée. On en voit d’autres de figure irrégulière, renfermant une vaste étendue de terrain et qui doivent avoir servi naguère de villes ou de forteresses. On ne saurait trop remarquer, cependant, que la disposition particulière de certains terrassements autour du site des villes, et leur existence en lignes continues le long des rivières, n’aient eu pour objet, probablement, de protéger l’approche des lieux habités et de mettre les plaines adjacentes à l’abri des inondations ; des digues du même genre qu’on trouve encore ailleurs, s’étendant à de longues distances, semblent, d’un autre côté, faire juger, par leur largeur, leur situation, ainsi que d’autres circonstances, qu’elles avaient pu servir de routes et de chaussées. Les grandes enceintes ovales, souvent en forme de fer à cheval, autour d’une pyramide, qui présentent quelque ressemblance avec le Cursus des Romains, avaient peut-être été consacrées à des usages analogues; peut-être avaient-elles servi, aux jours de fête, à des processions nombreuses, comme on en voyait dans les solennités de la religion mexicaine.
Lorsqu’on observe avec attention l’étendue et la disposition de ces monuments, le nombre des tumuli, rangés autour des pyramides principales, on tourne involontairement les yeux vers les pyramides de Teotihuacan et de Cholula, dont elles rappellent quelquefois la forme jusque dans les moindres détails. Quoique le plus grand nombre se présente d’une seule venue, on en voit qui se composent, comme au Mexique, de terrasses superposées et dont les assises, quoique dégradées, sont encore fort visibles. « Le grand tertre de Cahokia, ajoute Brackenridge (1 ), est construit avec autant de régularité que les teocalli de la Nouvelle-Espagne ; il était indubitablement revêtu extérieurement de brique ou de pierre et couronné de grands édifices. » Le culte du soleil, conservé jusqu’au siècle dernier parmi les Natchez, ■aurait été celui de ces anciennes nations perdues, opinion que confirment les traditions générales du genre humain et en particulier, dans ce cas, les médaillons à l’effigie du soleil et de la lune, découverts dans les débris de divers monuments (1). Entre les tribus qui paraissent avoir conservé dans cette contrée quelque souvenir de cette religion antique, dans ses rapports avec celle des Nahuas, nous citerons, avec Adair, la nation des Choctaws, qui donnait aux pyramides le nom de Nanne-Yah, ou les Collines de Dieu, que cet écrivain compare au mot teocalli des Mexicains (2). Le vase orné de trois têtes, trouvé dans un tombeau, rappelle la trinité dont nous avons parlé plus haut ; les masques, analogues à ceux du Mexique, dont on se servait dans certaines cérémonies religieuses, les objets en cuivre de toute sorte, d’une ressemblance si frappante avec ceux des populations toltèques, sont encore autant de témoignages, sinon en faveur d’une communauté d’origine, au moins des relations qui pouvaient exister anciennement entre ces dernières et les nations sans nom des Etats-Unis (3).
(1) Brackenridge’s Journal, pag. 138.
(1) Archeol. Amer., vol.i, pag.243.
(2) Transact. Amer. Phil.Soc., v. ni, pag.216. — Le nom de Nanne-Yah rappelle encore celui de Nanahuatl, qui fut transformé dans le soleil à Teotihuacan.
(3) Bradford, Amer. Antiq., pag. 167.
Quand on songe après cela au temps qu’il a fallu pour peupler l’étendue des territoires où l’on découvre aujourd’hui ces vestiges et pour mettre ces nations en état d’ériger ces monuments; qu’on réfléchit à l’intervalle qui a dû s’écouler ensuite entre leur construction et l’époque de leur abandon définitif, on se voit forcément amené à leur accorder une haute antiquité. Cependant le sort de ce peuple ne parait pas avoir été le même dans les différentes provinces qu’il occupait. Vers le nord et dans la région des lacs, il avait érigé des places de guerre qui semblent annoncer les périlleuses nécessités d’une longue défense. On ne découvre rien de pareil vers le sud, comme si les tribus qui habitaient ces parages les eussent abandonnés sans combattre. C’est là un contraste d’autant plus singulier, que les principaux monticules artificiels se trouvent précisément dans ces contrées méridionales et attestent l’importance des anciennes populations. Mais elles pouvaient avoir émigré ou péri sans soutenir une lutte durable. Leur mémoire même s’était si complètement effacée depuis longtemps, que les Chérokées, en arrivant dans ce pays, aux XVe siècle, n’avaient pu rien apprendre des nations qu’ils avaient vain-eues, touchant l’origine de ces pyramides. Il ne restait plus même la moindre tradition relative à ces débris d’un passé mystérieux (1).
(1) Bartram’s Travels, etc.,p. 365. Moke, I'Hist. des peup. améric., p. 223.
Au contraire, des souvenirs d’anciens combats et de victoires chèrement achetées se rattachaient aux ouvrages militaires que des peuples du même sang avaient érigés dans les régions septentrionales des Etats-Unis. Ces ouvrages, situés pour la plupart à l’ouest de la chaîne des Alléghanies, occupaient les positions les plus avantageuses pour commander le cours des fleuves et assurer la possession des vallées. On les trouve sur les bords de l’Ohio et de ses affluents, sur les eaux du Mississipi et dans la région des lacs, sans qu’on sache exactement jusqu’ici, s’il en existe encore au delà de la carrière sacrée, d’où se tirait le marbre rouge des Calumets (2). Ce sont quelquefois des remparts de terre, ou même des murs d’une grande longueur, destinés à fermer un passage, mais plus souvent des enceintes de villes ou de forteresses, dont la forme est plus ou moins régulière, dont les boulevards, quelquefois doubles, sont encore garnis de fossés, et dont les portes étroites se trouvaient munies d’ouvrages de défense. Leur étendue, très-inégale, embrasse jusqu’à trente hectares, et souvent on en voit plusieurs à côté l’une de l’autre, réunies par des chemins couverts qui mènent parfois aussi aux rivières du voisinage. A l’intérieur sont épars un certain nombre de tertres, de différentes grandeurs, dont quelques-uns, comme nous l’avons déjà observé, servaient encore à la défense. Des tumuli d’élévation médiocre se trouvent en dehors, mais à proximité de la forteresse. Le plus souvent, il n’y en a qu’un seul et qui aurait servi de tombeau : car en fouillant à la base, on découvre des ossements et des cendres qui reposent quelquefois sur un lit de briques bien cuites. Quelquefois plusieurs de ces monuments funèbres avoisinent la même enceinte, la première tombe étant, sans doute, devenue insuffisante pour la famille des chefs qui les occupaient.
(2) Depuis longtemps on avait observé que le calumet servait aux na-lions des Etats-Unis d’emblème pacifique, quand il était fait de marbre rouge et garni de plumes de la même couleur. Mais ce n’est que depuis peu d'années qu’on a découvert que celte pierre rouge, qui est toujours la même, provient d’une seule carrière, située au centre de l’Amérique du Nord, près de ]’endroit nommé Coteau des Prairies. Là, parmi des rochers d’un quartz dur et brillant, se trouve une couche de cette matière (une sorte de stéatite), jusqu’alors inconnue aux minéralogistes, et peut-être unique dans le monde. Quand et comment les peuples indigènes se sont entendus pour en adopter l’usage et lui attribuer une vertu mystérieuse, c’est là un problème aujourd'hui insoluble. Mais tous s’accordaient sur ce point, et, d’après une tradition généralement admise , le Grand-Esprit avait autrefois déclaré aux Indiens que cette pierre était leur chair commune, qu’il fallait l’employer 'à faire leurs pipes de paix, et qu’alentour les nations ennemies devaient se rencontrer sans bander l’arc ni lever le tomahawk. Y aurait-il là encore un souvenir éloigné de Tlapallan, la terre rouge, sacrée, ou de la couleur?
L’examen des squelettes a montré que ce peuple appartenait à une race d’hommes de taille médiocre, quoique robuste (1), et dont la tête avait quelque ressemblance avec celle des Scandinaves, d’autres disent avec celle des Indiens du Brésil. Elle a disparu depuis si longtemps, qu’une partie de ses fortifications a été trouvée couverte d’arbres de la ׳plus grande dimension, et, en plus d’un endroit même, des forêts nouvelles ont pu succéder à d’autres forêts tombées avec l’âge. Cependant les
Delawares se souvenaient que la grande nation des
Leni-Lenape,
après avoir longtemps habité une contrée lointaine de l’ouest, étant descendue,
plusieurs siècles avant la découverte de l’Amérique (2), dans les contrées du
soleil levant, avait trouvé les territoires, situés à l’est du Mississipi,
occupés par un peuple nombreux et civilisé, qu’elle nommait Allighéwi, et qui
habitaient des villes fortifiées. Ces barbares demandèrent à passer le fleuve,
afin de se rendre au levant à travers leurs terres : on leur répondit par un
refus. Ensuite on le leur accorda, à condition qu’ils ne s’arrêteraient qu’après
avoir laissé derrière eux les frontières des Allighéwis. Mais, au passage, ils
furent attaqués à l'improviste et rejetés en arrière. Indignés de ce procédé perfide, les Leni-Lenape conclurent un traité d’alliance avec les Iroquois, qui venaient d’arriver à leur tour sur le Mississipi : ils revinrent avec fureur sur les Allighéwis qui, après avoir souffert à plusieurs reprises des pertes considérables, se
virent forcés de céder leur territoire aux Indiens alliés, et de fuir vers les vallées inférieures du fleuve. Une des tribus
iroquoises, les Senécas, racontait, de son côté, qu’à une époque fort éloignée ses ancêtres avaient détruit une nation puissante et nombreuse, qui habitait les bords des grands lacs. Plusieurs des plus beaux et des plus fertiles cantons, occupés depuis par les Six-Nations, avaient, d’après leurs traditions, été possédés et cultivés, avant leur arrivée, par un peuple dont elles signalaient facilement les tombeaux : ce qu’elles avaient appris à ce sujet de leurs pères, c’est que ce peuple occupait anciennement une vaste étendue de territoire, et qu’il avait été exterminé peu à peu par les Iroquois après de longues et cruelles guerres. Elles ajoutent que la
dernière fortification fut attaquée à la fois par quatre tribus qui éprouvèrent d’abord une défaite; mais qu’ayant appelé les Mohawks à leur aide, elles emportèrent la ville assiégée et en
détruisirent tous les habitants (1).
(1) On leur donne en général cinq pieds anglais (1 mètre 52 cent.), mais la moyenne est plutôt un peu au-dessus, car on y a trouvé aussi des squelettes de six pieds (1 mètre 82 cent.).
(2) On s’accorde généralement à penser que cet événement a dû avoir lieu vers le xiie siècle.
(1) Yate and Moulton, History of New-York, pag. 40.— Life of Brant, vol. ii, pag. 486 et 487.— Bradford, Amer. Antiq., pag. 206.
Ainsi périrent obscurément des peuples qui auraient pu jouer encore un grand rôle dans ces contrées, s’il leur avait été donné de survivre aux invasions barbares jusqu’au xve siècle. C’est par la civilisation que les Allighéwis paraissent avoir étendu naguère leur influence sur ces immenses territoires de l’Ohio־ et du Mississipi : leurs villes détruites devaient avoir été le centre d’où rayonnaient les idées pacifiques et religieuses, représentées par le calumet solennel, et qui avaient entretenu longtemps, parmi ces races lointaines, plus d’ordre, d’union, de consistance, qu’on n’en a observé dans les âges modernes. Les vagues traditions qui nous sont parvenues à leur égard, par leur accord avec les événements qui survinrent au Mexique du xie au xiie siècle, leur donnent une importance qu’elles n’auraient point autrement. Elles procèdent aussi de nations qui, par leur multitude, l’étendue de leur dispersion ’ dans ces vastes contrées, et quelques traits particuliers à leur caractère et à leurs coutumes, paraissent avoir été parmi les premiers et les plus anciens occupants, après que le pays eut été abandonné par ses autres habitants. Les Algonquins-Lenape et les Iroquois sembleraient avoir été emportés par le premier flot de ces grandes migrations de l’ouest qui, en se refoulant les unes les autres, poussèrent alors tant de hordes étrangères sur l’empire toltèque de l’Anahuac, déjà ébranlé par les factions civiles et religieuses : policées ou barbares, ces hordes accélérèrent sa chute, et décorées tour à tour du nom de Chichimèques ou de Toltèques, elles se confondirent avec les anciens habitants, ou contribuèrent, en continuant leur marche vers le sud, à la fondation des divers États qui surgirent, au xiiie siècle, dans le Mexique et dans l’Amérique centrale.
Voilà comment le Nord, après avoir été le foyer d’une civilisation inconnue, aurait été la source de ces migrations redoutables, et comment le contre-coup de sa ruine se serait fait sentir si cruellement dans les régions du Midi. Des événements de cette nature ne sont pas rares dans l’histoire des peuples, et l’on ne saurait douter qu’un bouleversement analogue n’eût eu lieu à l’époque où les révolutions de Xibalba dispersèrent dans toute l’étendue du monde américain les rameaux du grand tronc de la race nahuatl. Mais il reste un problème dont la solution serait d’un grand intérêt historique, c'est de savoir si c’est à la même source qu’il faut ramener les puissantes tribus anthropophages qu’on voit à plusieurs reprises déborder sur l’une et sur l’autre Amérique : on serait tenté de le croire, à la vue de ce que. dit Torquemada, dans ces notions concernant les premiers Toltèques (1), qui mangeaient de la chair humaine et dont la religion même autorisait cet usage comme un rite sacré. Les Cannibales de l’Amérique du Sud avaient jadis apporté du Nord ces habitudes barbares qui chez eux, comme chez les Mexicains, faisaient partie d’un ordre systématique de croyances religieuses ; paisibles peut-être par instinct, ils auraient été rendus féroces par artifice (2). On sait, d’ailleurs, que les Iroquois et les nations environnantes dévoraient leurs captifs avec la même solennité que les Caraïbes et les Brésiliens. Cette coutume monstrueuse aurait-elle existé chez les Allighéwis et chez les Indiens de la race algonquine et iroquoise, qui paraissent eux-mêmes avoir appartenu à un peuple civilisé et vêtu (3) ; auraient-ils reçu d’eux, en même temps que les idées pacifiques du calumet, cette institution effroyable ? Ce qui est constant c’est , que cette incohérence dénaturée on la rencontre chez les Mexicains et chez d’autres nations tout aussi policées, et Dieu a permis peut-être que la mystérieuse disparition des premiers, ainsi que la facile conquête des seconds, fût comme un châtiment de cette abomination.
(1) Monarq.Ind., lib.111, cap. 7.
(2) Moke, Hist, des peuples américains, pag. 230.
(3) Hennepin, Voyage, etc., tom.ii, pag.79, édit, amér. « Les sauvages de l’Amérique septentrionale, y est-il dit, au rapport de leurs ancêtres, ont toujours été vêtus, même avant qu’ils eussent eu aucun commerce avec les Européens. «
Les Caraïbes et les populations du Nouveau-Mexique. Constructions étonnantes de cette contrée. Les Néo-Mexicains au temps de la conquête. Pays de Cibola et des Sept-Villes. Religion et mœurs primitives. Antiquité de ces peuples. Anciens rapports avec les Toltèques. Aztlan-Chicomoztoc. Les Mexicains du XIe siècle. Invasions récentes. Les Apaches; leur caractère destructeur.
De toutes les nations anthropophages de l’Amérique, les Caraïbes sont sans contredit ceux qui, depuis la découverte, ont le plus fixé l'attention delà science. Qu’on vienne en effet à examiner le Caraïbe dans son existence intime, on voit sa vie domestique réglée par une loi d’ordre qui lui est propre, la réunion de tous les guerriers dans le carbet commun : cette salle de conseil, ainsi que le calpul ou tecpan (maison municipale des Nahuas) qui était autant celle du repas et des fêtes, devenait un atelier de travail pour les hommes de la tribu, tant ils tenaient à rester rassemblés entre eux, laissant leurs cases à leurs femmes et à la famille. La coutume partageait les occupations entre les deux sexes, assignant au plus fort quelques ouvrages dont auraient rougi les Indiens du nord, comme le tissage des étoiles dont se faisaient les hamacs, celui des tamis à manioc, et des nattes, avec la fabrication des poteries. Cette tâche, réservée en beaucoup d’endroits aux femmes, était exécutée dans le carbet par le Caraïbe, qui s’y complaisait autant qu’à préparer ses armes. On reconnaît là des usages si différents de ceux des nations environnantes qu’ils attestent une origine à part. Les luttes qui avaient jeté le Caraïbe dans l’Amérique du Sud, son orgueil de conquérant, sa dispersion dans les régions conquises, avaient étouffé cette organisation sociale qui lui était propre ou empêché qu’elle se développât jusqu’à produire un état plus avancé. Mais ce progrès ou ce reste de civilisation perdue existait ailleurs chez un peuple que les mêmes institutions primitives séparaient de la barbarie.
En effet, lorsque les Espagnols pénétrèrent pour la première lois dans les régions montagneuses qui portent aujourd’hui le nom de Nouveau-Mexique, ils y trouvèrent aux bords du Rio-Bravo-del-Norte une nation à demi civilisée qui bâtissait de grands édifices et récoltait d’abondantes moissons. Elle possédait alors soixante et dix bourgades dans la vallée étroite que sillonne ce fleuve, et à la force des positions qu’elle avait choisies se joignaient encore pour la défendre, la hauteur et la solidité de ses maisons, dont chacune formait une véritable forteresse. Qu’on se figure un large édifice, ou plutôt une enceinte carrée de bâtiments, habitée par une vingtaine de familles et n’ayant pas moins de trois ou quatre étages, échelonnés comme les assises d’une pyramide, les uns au-dessus des autres. Au rez-de-chaussée le mur se continue sans interruption comme un rempart et n’est percé sur chaque face que d’une seule porte étroite. Mais au-dessus règnent des balcons qui, embrassant pour ainsi dire le contour de cette vaste ruche, mettent en communication ses nombreuses cellules. Du haut de ces balcons, et de la plate-forme qui sert de toit, les guerriers peuvent sans péril accabler de flèches ceux qui s’avanceraient pour les attaquer. Ils passeront même de maison en maison pour courir tous au point menacé par l’ennemi, les toits de la bourgade entière se rejoignant de manière à former en quelque sorte une seule terrasse. Un mur d’enceinte qui sert de clôture commune, achève de mettre les habitants à l’abri d’un coup de main, et quoique la construction de ces divers ouvrages paraisse grossière, la plupart n’étant que de terre battue ou de pisé, ils peuvent défier les efforts d’une armée barbare dépourvue d’artillerie et de machines de guerre (1).
(1) Castañeda , Voyage à Cibola, coll. Ternaux, part. 1.
Au seul aspect de ces bâtiments vastes et réguliers, si supérieurs aux cabanes des sauvages et même des maisons de la plupart de nos paysans européens, on reconnaissait une race déjà parvenue à un degré assez élevé de civilisation. Mais là, comme dans presque tout le reste de l’Amérique, cette civilisation avait décliné avant même les invasions espagnoles au XVIe siècle : car si ces indigènes possédaient encore des villages d’une force et d’une construction si remarquables, leurs ancêtres avaient eu autrefois des cités populeuses, qu’avaient vues même les premiers conquérants et dont les ruines attestent l’importance. Lorsque, au dernier siècle, les voyageurs et les missionnaires commencèrent à parler des cités abandonnées sur les bords du Rio-Gila et dans les vallées du Rio-Yaquimi, on s’étonna avec raison de cette merveille ; car on avait oublié ce qu’en avaient raconté les Espagnols deux cents ans auparavant, et l’on s’était accoutumé en Europe, avec les livres de quelques philosophes dédaigneux et ignorants (1), à considérer l’Amérique comme une terre malsaine et abrutis-santé et les aborigènes en masse comme s’élevant à peine au-dessus du niveau des singes. Depuis lors, les expéditions entreprises par ordre du cabinet de Washington, et les explorations récentes d’un voyageur hongrois instruit, ont contribué à faire découvrir un grand nombre de ruines du même genre, non-seulement au Nouveau-Mexique et dans la vallée du Gila, mais encore dans plusieurs cantons isolés de la Basse-Californie, des Etats de Chihuahua et de Sonora. Bien plus, il existe des églises chrétiennes bâties sur le même plan depuis la conquête, les unes déjà ruinées à leur tour, les autres encore debout, et aujourd’hui le voyageur peut parcourir les villages des Zuni au Nouveau-Mexique, encore habités par les indigènes qui ont conservé avec leurs coutumes, les antiques demeures de leurs ancêtres (2).
(1) Carli, Lettres Américaines, t. 1. Lettre première, où l’auteur réfute les arguments faux de Raynal et de De Paw contre les Américains. Aujourd’hui même, il ne manque pas de savants à la manière du philosophe allemand et de l’historien français.
(2) Johann Xantus, Reise durch die Kaliformsche Halbinsel, 1858. (Mittheilungen, etc. von Dr A. Peterraann, iv. 1861.)— Emory, Notes of a military reconnaissance, etc. Washington, 1848.—Bartlett’s Journal through Chihuahua, New-Mexico, etc. — Sitgreaves, Report of an expedition down the Zuni and Colorado rivers, 1853.
Ainsi les bourgades du Rio-del-Norte n’offraient, au temps de la conquête, ni un progrès récent ni un essai unique : c’était l’ouvrage d’un peuple qui, à d’autres époques et sur d’autres points, avait déjà déployé sa puissance par de grands travaux. On retrouvait des constructions analogues dans la plupart des provinces de la Sonora et même à Teo-Golhuacan, dont les monuments d’une architecture mixte, autant qu’on peut en juger d’après les rares détails qui nous en sont parvenus (1), auraient réuni à l’art toltèque de l’Amérique centrale le style et la manière des peuples du Rio-Gila; d’où l’on peut conclure jusqu’à un certain point, qu’ils auraient reçu le joug ou subi l’influence des Nahuas du sud, à leur arrivée dans cette contrée, et que les deux races se seraient fusionnées dans cette grande ville et dans les contrées adjacentes (2). Aussi voit-on clairement que les diverses populations situées entre le golfe de la Californie et le Nouveau-Mexique ne formaient pas une famille unique, leurs types étant loin d’être uniformes. Les Espagnols qui avaient observé surtout les hommes des tribus nomades, dépeignaient les uns comme de petite taille, mais fort agiles : un voyageur américain, Pikes, qui avait vu les Querès, une des plus considérables d’entre les nations néo-mexicaines, les compare aux Osages, c’est-à-dire aux plus gigantesques des Indiens de la prairie ; une autre tribu du même groupe nous est signalée comme portant de longues barbes, phénomène, du reste, qui est loin d’être rare parmi les habitants du nouveau monde ; et, dans le rapport du colonel Emory on trouve des types d’hommes et de femmes qu’on peut comparer aux races les plus belles et les plus pures de l’Europe (3).
(2) Las Casas, Hist. apol., tom. i, cap. .33 — Castaneda, Ibid, ut sup. Alegre, Hist. de la Comp, de Jesus en Nueva-Espana, tom.11’ lib.vi.
(2) D’après les descriptions anciennes, il y aurait eu à Teo-Colhuacan des édifices analogues à ceux du Rio-Gila et du Nouveau-Mexique, et des teocalli comme au Mexique et dans l’Amérique centrale.
(3) Emory, Notes, etc. Voir les planches.
Ces populations ne formaient donc pas une seule famille, unie par les liens du sang, mais un assemblage de clans hétérogènes, que rattachaient seulement des habitudes et un système commun de défense. A défaut, toutefois, de traits distinctifs, les usages qui leur étaient propres semblaient les séparer de tous les groupes environnants. Si nous pénétrons, avec les anciens voyageurs, dans l’intérieur de leurs bourgades, nous y voyons les hommes vivant ensemble dans de grandes salles qui leur sont destinées et qui occupent la cour de chaque habitation. Ces salles sont creusées dans la terre et leur toit seul vient au niveau du sol, quoique leur étendue égale quelquefois celle d’un jeu de paume. Le feu qu’on entretient au centre y maintient une température assez élevée, ce qui leur avait fait donner le nom d'estufas ou étuves par les premiers Espagnols qui les virent. Les femmes n’y pénètrent que pour entretenir ce feu ou pour porter à manger j à leurs époux et à leurs fils qui, réunis dans ce carbet souterrain, filent et tissent le coton, fabriquent leurs outils ou leurs armes. En revanche, le reste de la maison appartient à l’autre sexe qui en est seul maître et s’y livre sans contrôle à ses propres travaux (1).
(1) Castañeda, Voyage à Cibola, part.ii, chap. 3.
A l’époque de la conquête, ce pays qu’on appelait vulgairement pays de Cibola, des Sept-Villes, ou des Sept-Royaumes (2), comprenait encore environ soixante-dix bourgades, réparties-en sept provinces qui étaient Cibola, Tiguex, Quirix, Hemes, Tutahaco, Cicuyé et Acha (3). Chaque bourgade était gouvernée par un conseil de vieillards, et en cas de guerre un chef militaire prenait le commandement : ce chef avait à subir des épreuves analogues à celles des sauvages et de la chevalerie mexicaine. Mais le plus souvent la guerre était de médiocre durée et se bornait à la défense des villages que les nomades venaient assaillir. Dans les négociations qui s’engageaient ensuite, on faisait usage du calumet comme d’un gage d’alliance.
(2) Id. ibid. Ce nom rappelle les Sept-Grottes et les Sept-Ravins des auteurs anciens, mais il est indubitable qu’il y eut diverses localités ainsi nommées, dont le Nouveau-Mexique pouvait être l’une.
(3) Ces noms et bien d’autres offrent mm grande analogie avec les noms mexicains ; mais étaient-ce des noms originaux, ou bien avaient-ils été donnés par les soldats mexicains qui suivaient les Espagnols? La première supposition parait le plus plausible.
On sait peu de chose des croyances des Néo-Mexicains. « Ils ne sont point idolâtres, » dit le moine Benavidès, qui en avait converti une partie ; mais ils conservaient des rites superstitieux où l’on reconnaît une sorte de fétichisme grossier. Outre des devins, dont l’influence était quelquefois assez puissante pour balancer celle des chefs, ils avaient pour prêtres des vieillards qu’on voyait, chaque matin, monter sur la terrasse la plus élevée de la bourgade et prendre la parole au lever du soleil. Le peuple assis à l’entour écoutait en silence les conseils qu’ils lui donnaient sur la manière de vivre. L’objet de leur culte était-il le soleil ou le Dieu qui l’avait créé, c’est ce qui échappe au lecteur, en parcourant les relations du temps : on sait cependant que la croix était chez eux un symbole de paix. L’usage de monter sur les terrasses au soleil levant, rappelle jusqu’à un certain point le sabéisme dont le Livre Sacré semble offrir des traces à une époque éloignée (1), et des modernes qui ont visité les montagnes du Nouveau-Mexique ont cru découvrir quelque chose d’analogue à la religion des mages dans le foyer des estufas, où les femmes ne peuvent entrer qu’une à une, pour jeter une poignée de thym sauvage sur le feu, dont l’entretien leur est commis. On ne peut douter, cependant, que le fond de leur religion ne fût profondément moral : car ils ne se livraient ni à la violence, ni au larcin, ni aux excès a de la boisson, ni aux dérèglements des mœurs reprochés à ceux de Panuco ou de Teo-Colhuacan (2).
(1) Voir à la pag.209.
(2) Castañeda, Voyage à Cibola, part. 11, chap, 3.
Le mariage, qui était en honneur chez eux, marquait pour ainsi dire le passage de l’adolescence à la virilité. Le jeune homme avait été jusque-là au service de la tribu et chargé des corvées domestiques, comme de l'approvisionnement du bois. En quelques endroits, la jeune fille n’avait pas encore eu le droit de se vêtir : son futur époux tissait le premier manteau qu’elle dût porter et qu’elle recevait de sa main, le jour où elle lui était amenée par les anciens du village. Après la mort, ils brûlaient avec les cadavres les instruments qui leur avaient servi de leur vivant. Leurs vêtements les plus ordinaires étaient des peaux de bêtes fauves qu’ils tannaient si merveilleusement qu’elles devenaient aussi souples que le linge le plus fin. Ils se servaient également d’étoffes de coton parfaitement tissées, de draps de laine qu’ils recevaient en échange d’une province plus septentrionale nommée Totonteac, et chaussaient des brodequins de cuir: ils avaient des bijoux d’or, des pierres précieuses bien taillées, des poteries vernissées, aussi remarquables par leur forme que-par le dessin et les couleurs, et connaissaient en outre le chant et la musique, dont ils accompagnaient leurs divertissements.
A leur caractère d’étrangeté, les institutions néo-mexicaines joignaient donc un développement remarquable. La vie domestique et les formes du gouvernement qu’on y entrevoit se retrouveront plus tard chez les tribus caraïbes : mais il est évident que, si l'organisation intérieure offre de l’analogie d’un peuple à l’autre, l’ordre ici est plus complet, le travail plus régulier, et, dans les restes de sa civilisation, circonscrits dans les vallons du Rio-del-Norte, l’Indien a conservé une supériorité marquée sur le barbare de l’Amérique méridionale. Mais où cette civilisation avait-elle pris naissance? Nous n’avons à cet égard que des indications approximatives. Les souterrains où les hommes se tenaient réunis semblent déceler un peuple septentrional, accoutumé jadis à chercher de pareils abris contre la rigueur du froid ; car ce n’était là qu’un vieil usage et une tradition immémoriale, ' qui pouvaient l’engager encore à creuser ses étuves dans le sol, comme il aurait eu raison de le faire dans des régions glacées. Mais comment le trouvons-nous à une si grande distance de son berceau, réfugié dans les montagnes et réduit à un état de faiblesse, qui fait un si grand contraste avec le progrès de ses arts et de ses institutions. Avait-il occupé anciennement les plaines centrales de l’Amérique du Nord, ou bien aurait-il étendu sa puissance autrefois sur les Etats septentrionaux du ·Mexique, ainsi que le laisseraient supposer les débris qu’on y rencontre ? L’une et l’autre hypothèse est également probable ; mais divers indices se réunissent pour assigner une date lointaine aux révolutions qui les chassèrent du Nord et ensuite du Midi, révolutions oubliées, comme tant d’autres qui eurent l’Amérique pour théâtre.
C’est d’abord l’isolement des Néo-Mexicains, qui paraissent au premier abord parfaitement étrangers aux peuples dont ils sont entourés aujourd’hui. Dernier reste d’un groupe antérieur, ils n’ont de rapport qu’avec des races déjà éteintes ou déplacées. Leur industrie, si supérieure à celle des nomades de la plaine, conservait au XVIe siècle et même aujourd’hui conserve encore quelque ressemblance avec celle des Toltèques, ainsi que des nations inconnues, dont les forteresses et les pyramides subsistent dans la région des lacs et sur les deux rives du Mississipi. Mais la preuve la plus frappante de leur ancienneté, c’est que, hors de la contrée qu’ils habitaient et de quelques parages plus méridionaux de la Basse-Californie, de la Sonora et de Chihuahua, les traces de leurs hautes constructions et de leurs vastes souterrains n’ont été retrouvées nulle part, bien qu’il eût fallu sans doute un grand nombre de siècles pour effacer si complètement de pareils ouvrages. Castañeda, dans sa relation, parlant du pays d’où ils se disaient sortis, fournit lui-même les plus fortes présomptions en faveur d’une origine septentrionale : « D’après la route qu’ils ont suivie, dit-il, ils ont dû venir de l’extrémité de l’Inde orientale et d’une partie très-inconnue, qui, d’après la configuration des côtes, serait située très-avant dans l'intérieur des terres, entre la Chine et la Norvège. Il doit y avoir, en effet, une immense distance d’une mer à l’autre, suivant la forme des côtes, comme l’a découvert le capitaine Villalobos, qui alla dans cette direction à la recherche de la Chine. Il en est de même quand on suit la côte de la Floride ; elle se rapproche toujours de la Norvège, jusqu’à ce que l’on soit arrivé au pays des Bacallaos (1). » Il était impossible de signaler plus clairement alors les terres du Labrador et du Groënland.
(1) Castaneda , Voyage à Cibola, part, ii, chap. 6 On sait que Bacallaos est identique avec Terre-Neuve, ou le pays de la pêche à la morue.
Maintenant si nous consultons les rares documents qu’on possède sur les anciens habitants de la Sonora et des vallées du Gila jusqu'au Nouveau-Mexique, nous trouvons dans le centre le plus civilisé de cette contrée les Tahuès: leur capitale était Téo-Colhua-can dont nous avons parlé plus haut; les Pacaxas, moins civilisés qu’eux, et les Acaxas, habitant les montagnes de la côte du golfe de Californie, où ils possédaient, comme ceux du Rio-del-Norte, des bourgades fortifiées, situées sur les cimes les plus inaccessibles. Ces deux dernières tribus, plus barbares que les premières, possédaient cependant des éléments d’une civilisation avancée; mais elles joignaient aux vices des peuples de Téo-Colhuacan l’usage abominable de manger de la chair humaine. On trouvait ensuite les provinces de Petatlan et de Suya, dont les habitants, quoique moins policés, étaient fixés dans de grands villages ayant les mêmes vices et la même religion que les autres. On arrivait en dernier lieu au désert de Chichilticale (2), ainsi nommé des ruines du palais situé au bord septentrional du Rio-Gila, connues, depuis le siècle dernier, sous le nom de Casas grandes de Moctezuma, dont les voyageurs exaltaient alors l’étendue et la magnificence.
(1) Ibid., chap.1. Les Tahues étaient probablement les mêmes que ceux que l’on désigne plus tard sous le nom de Tarahumaras.
(2) Chichillicale, ainsi appelé, dit la relation de Castañeda, parce que les murs de ce palais étaient bâtis d’une terre ou pisé rouge(Tlapallan?).Ce mot vient probablement du mexicain chichiltic, cosà coloradaô bermeja (Molina, Voc. mex.), chose rouge ou vermeille, et de calli, maison.
En effet, quel est le voyageur en Amérique qui n’a depuis entendu parler de ces palais, des vastes bassins circulaires, toujours remplis de l’eau du fleuve, et des ruines de cette ville immense, située à deux lieues plus loin, dont les rues, tirées au cordeau, sont formées de vastes quadrilatères à trois ou quatre étages, comme les îles régionnaires de la ville de Rome (3)? Si l’on rapproche cette description des traditions mexicaines, il y aurait lieu de supposer que ce sont là les débris de la grande cité dont il est parlé dans les chroniques, sous le nom Aztlan-Chicomoztoc (1), et qui fut longtemps dans le nord le séjour d'une tribu toltèque de qui descendent les fondateurs de Mexico. Avant de commencer leur longue pérégrination, les Aztèques auraient exercé sur le bord du fleuve la profession de bateliers, passant d’une rive à l’autre les voyageurs qui se rendaient à Aztlan-Chicomoztoc ou qui en sortaient pour aller ailleurs. Là régnait, au XIe siècle, un souverain puissant, du nom de Montezuma' (2), dont la dureté et la tyrannie donnèrent lieu alors à l’émigration de ces tribus, d’abord vers Teo-Colhuacan et ensuite vers le midi. C’est d’Aztlan et de Chicomoztoc que prétendent être sorties ces diverses peuplades, et si le premier de ces deux noms convient à plus d’un canton de la Sonora, le second semble se rapporter avec également de justesse aux régions montagneuses, ! sillonnées par le Rio-del-Norte (3). On sait d’ailleurs que ce furent les Mexicains qui apportèrent aux vallées plus méridionales de l’Anahuac l’usage de construire des maisons à plusieurs étages, surmontées de toits en terrasse, telles qu’on les voit encore à Mexico, maisons dont le style ne se retrouve anciennement que parmi les nations avoisinant le Nouveau-Mexique. On ignore l’époque de la destruction des palais de Chichilticale : lorsque Castañeda y passa, ils étaient ruinés depuis longtemps; mais on se souvenait encore, chez les tribus voisines, qu’ils avaient été habités auparavant par le même peuple que celui de Cibola.
(3) Castaneda , Voyage à Cibola, part.il, chap. 2.— Rivera, Diario y derrotero de la visita gen. de los presidios de Nueva-Espana, etc., Goathemala, 1736.— Arricivita. Chronica serafica del colegio de Prop, fide de Santa-Cruz de Queretaro,part. 11,1 .ιν, cap.4 ; Mexico, 1792.
(1) Alonso Franco, Histoire de Mexico, manuscrit en langue nahuatl de la coll. Aubin. — Chimalpain, Memorial de Culhuacan, manuscrit de la même collection.— Alonso Franco dit de celte ville : Cerca huey altepetl, fort grande ville. L’étendue de ses ruinés le prouve’ bien.
(2) Id. ibid. — Rivera, parlant du palais, ajoute: « Les Indiens nous dirent que c’était par ces ouvertures (les fenêtres), qui sont fort grandes, que le souverain, qu’ils nomment l'homme déplaisant (hombre amargo, ce qui est à peu près la traduction du nom de Moctezuma, qui signifie seigneur sévère), regardait le soleil à son lever et à son coucher, afin de le saluer » (Diario y derrotero, etc.).
(3) Le nom à Aztatlan, plus exact qu’Aztlan (pays des Flaments), se trouve, dans l’expédition de Nuño de Guzman, non loin du rio de Yagui ou Yaquimi (des Mexicains). Voir Herrera, Hist, gen., decad. iv, lib. viii, cap. 1.
Dans la route qu’ils suivirent avant d’atteindre cette contrée, si célèbre encore sous le titre fabuleux des Sept-Villes, les Espagnols aperçurent un grand nombre de localités, récemment désolées par une invasion de barbares qu’on croyait venus du Nord et auxquels on donnait dans le pays le nom de Teyas ou de vaillants. C’était une nation étrangère et puissante qui, avec celle des Querechos, qui étaient de la même race, habitait depuis cinq ou six ans les confins de la province de Quivira : on croyait qu’ils avaient des machines de guerre ; car les Espagnols avaient vu une quantité de boulets de pierre qui paraissaient avoir servi à sa destruction (1); ils avaient même assiégé Cicuyé, mais sans avoir pu s’en rendre maîtres. Depuis lors, ils retournaient quelquefois pour commercer sous les murs des bourgades néo-mexicaines, sans, toutefois, qu’on les admît dans l’intérieur.
(1) Castañeda, Voyage, olc., pari. 11, chap. 5.
A cette invasion passagère d’un essaim obscur, substituons un grand peuple nomade, comme les Sioux et les Pieds-Noirs, traînant après lui les hordes associées à sa fortune, et nous aurons une de ces émigrations formidables qui avaient jadis inondé les contrées méridionales et qui achevaient actuellement de détruire les restes de l’antique civilisation du Nouveau-Mexique. Les Teyas et les Querechos, qui paraissent s’être fixés, depuis, dans cette contrée, racontaient que pour y arriver ils avaient traversé des pays fort peuplés et florissants. Ainsi que les autres tribus nomades que les Espagnols observèrent a cette époque au nord du Rio-Gila, ils vivaient comme les Arabes, sous de vastes tentes de peaux de buffle tannées, faisant de la chasse aux bisons leur ressource principale et leur occupation favorite ; mais ils ne se déplaçaient guère qu’en été et revenaient passer l’hiver dans leurs habitations. Leurs vêtements étaient de cuir comme leurs tentes: ils se nourrissaient de viande crue, buvaient du sang, mais ne se nourrissaient point de chair humaine. Ils avaient l’art de conserver la viande, et pour cela « ils la coupent en tranches très-minces, ajoute Castañeda (2), et la font sécher au soleil ; ils la
réduisent ensuite en ·poudre pour la conserver; une seule poignée, jetée dans un pot, suffit pour un repas, car elle se gonfle beaucoup. » C’est le pémican, substance qui forme encore leur nourriture ordinaire, et dont les Européens, ont également appris à faire usage dans ces vastes solitudes. Le chien, ce compagnon naturel du chasseur, lui servait ici d’auxiliaire, non pour découvrir et poursuivre le bison, mais pour transporter les tentes et les provisions de la tribu, comme le fait aujourd’hui le cheval, « Ils ont de grands troupeaux de chiens qui portent leurs, bagages, continue le même auteur ; ils rattachent sur le dos de ces animaux au moyen d’une sangle et d’un petit bât : quand la charge se dérange, les chiens se mettent à hurler pour avertir leurs maîtres de l’arranger. » Les Teyas avaient sans doute reçu ces grands chiens des tribus polaires, entre lesquelles ils avaient peut-être vécu dans le Nord : car l’espèce en était inconnue aux Mexicains, tandis que les Esquimaux la possèdent et en forment de nombreux attelages pour leurs traîneaux.
(2) Id . ibid., chap 7.
Dans le siècle dernier, des voyageurs qui avaient parcouru les contrées arrosées par le Colorado, croyaient que ce fleuve prenait sa source dans les montagnes situées au sud du pays actuel des Mormons, non loin desquelles vivait alors une nation civilisée à laquelle on donnait le nom de Mosemlec (1). Entre les nations les plus connues à cette époque dans l’Etat de Sonora, on citait les Yaqui, population jadis nombreuse, qui vivait aux bords du Yaquimi ; les Tarahumaras, les Pimas, les Opas, les Cocomaricopas, les Quiquimas, les Opatas, les Tohuas, les Guaimas, les Moquis et les Séris; tous, à l’exception de ces derniers, parlaient à peu près une même langue et avaient les mêmes coutumes (2). Etaient-elles étrangères dans ces contrées, ou bien, comme le conjecturent certains auteurs, étaient-elles les restes des nations puissantes, maitresses auparavant de ces beaux territoires? seraient-ce les mêmes qui se seraient signalées par la construction de ces monuments dont les voyageurs reconnaissent chaque jour davantage la singularité et l’étendue? Ce qui est constant, c’est qu’il existait parmi elles des races d’hommes, endurcies à la fatigue et au danger, qui, comme les Teyas, étaient de haute taille, et d’une beauté remarquable. On comprend donc que ce devaient être de terribles adversaires pour les populations paisibles, qui voyaient quelquefois un essaim de nomades sortir à l’improviste des prairies, pour envahir leurs territoires. Telles étaient ces nations nouvelles dans lesquelles les Espagnols ont cru, depuis, reconnaître les Apaches et les autres tribus de leur race, à qui les missionnaires attribuaient la destruction de l’antique civilisation septentrionale.
(1) Alegre, Hist. de la Comp. de Jesus de Mexico, etc., torn, ii, lib.vi. «Como afirma tambien en su relacion don Gabriel de Cardenas, que habla larga y venlajosamente de! asiento, costumbres y politica. de aquellas genles, poco diversas de las de Europa.»
(2) Alegre, ibid., lib. 5.
Guerriers farouches et indomptables, ils auraient, de siècle en siècle, et d’une région à l’autre, chassé devant eux les populations du Nord, dévastant les campagnes et les cités, brûlant et saccageant tout ce qui s’offrait sur leur passage, pour le seul plaisir de détruire : la tradition sonorienne leur attribue l’incendie des Casas grandes de Moctézuma, et l’histoire des temps modernes les représente comme les auteurs de la ruine des provinces de Sonora et de Sinaloa (1). On ne trouve chez eux nulle trace de livres ni d’annales : on ne leur connaît aucune espèce de sacrifice, de culte ou de religion ; on ne sait même pas s’ils adorent un esprit supérieur aux choses de la terre. Mais ils ont entre eux des traditions orales, des rites maçonniques et une société secrète dont ils ne révèlent les mystères à aucun étranger (2). Il y a un siècle, les Apaches hantaient les montagnes qui environnent les plaines et les vallées de la Sonora : la chasse alors si abondante dans le Nord leur manquait rarement, et leur multiplication n’était arrêtée que par leurs luttes intestines. Mais les bisons se rendant plus rares, il leur devint nécessaire d’occuper d’autres cantons les armes à la main. Quels que fussent les vaincus, la lutte ne pouvait se terminer que parleur départ ou leur extermination : c’est le secret de ces débordements périodiques qu’on remarque également dans l'histoire des peuples pasteurs.de l’ancien monde. On peut donc dire que l’œuvre de la destruction, commencée par les barbares avant la découverte de l’Amérique, ne s’est pas ralentie un moment : la plupart des nations que nous avons nommées plus haut, ont depuis lors disparu devant les Apaches, et aujourd’hui les restes de la colonisation espagnole sont menacés, à leur tour, au nord du Mexique par ces fiers et indomptables sauvages.
(1) Arricivita, Cronicaserafica, etc., part, ii, lib. iv,cap. 3.
(2) Alegre, Hist, de la Comp, de Jesus, tom.ii, lib.vi.
Avec ces notions se termine le coup d’œil sous lequel nous avons travaillé à embrasser l’ensemble des migrations des nations civilisées de l’Amérique centrale vers le nord et de leur retour vers le sud; nous y avons joint quelques détails sur les autres peuples qui ont pu s’y rattacher, afin de répandre toute la lumière possible sur l’histoire de cette partie du continent occidental, si mal-à-propos nommé le Nouveau-Monde. Le temps n’est peut-être pas éloigné où, complétées par de nouvelles découvertes, elles acquerront plus d’étendue et de certitude. En attendant, retournons vers l’Amérique centrale : cherchons les traces des tribus de cette même race nahuatl qui prirent une direction opposée à celle des Toltèques du nard, et assurons-nous si, dans les régions méridionales qui s’étendent sur l’autre moitié du continent, nous découvrons encore des vestiges de cette race puissaute.