Chapitre I
De la vraye Eglise : avec laquelle nous devons garder union, pource qu’elle est
mère de tous les fidèles.
4.1.1
Il a esté exposé au livre prochain, comment par la foy de l’Evangile Jésus-Christ est fait nostre, et comment nous sommes faits participans du salut qu’il nous a apporté, et de la béatitude éternelle. Mais pource que nostre rudesse et paresse, j’adjouste aussi la vanité de nos esprits, ont besoin d’aides extérieures, par lesquelles la foy soit engendrée en nous, y croisse et s’y advance de degré en degré, Dieu n’a point oublié de nous en prouvoir, pour supporter nostre infirmité. Et afin que la prédication de l’Evangile eust son cours, il a commis comme en dépost ce thrésor à son Eglise : il a institué des Pasteurs et Docteurs par la bouche desquels il nous enseignast Eph. 4.11 : brief, il n’a rien laissé derrière de tout ce qui appartenoit à nourrir un sainct consentement de foy, et un bon ordre entre nous. Sur tout il a institué les Sacremens, lesquels nous cognoissons par expérience estre moyens plus qu’utiles à nourrir et confermer nostre foy. Car d’autant qu’estans enclos en nostre chair comme en une cave, nous ne sommes point parvenus en degré Angélique : Dieu se conformant à nostre capacité, selon sa Providence admirable a establi ceste conduite pour nous faire venir à soy : combien que nous en soyons fort loing séparez. Ainsi la façon d’enseigner requiert, que maintenant je traitte de l’Eglise et de son régime, des offices comprins sous son estat, de sa puissance ; item des Sacremens, et finalement de la police : et que je tasche de retirer les lecteurs des corruptions et abus dont Satan a tasché en la Papauté d’abastardir tout ce que Dieu avoit destiné à nostre salut. Or je commenceray par l’Eglise, au sein de laquelle Dieu a voulu que ses enfans soyent assemblez : non-seulement pour estre nourris par le ministère d’icelle pendant qu’ils sont encores en aage d’enfans, mais à ce qu’elle exerce tousjours un soin maternel à les gouverner, jusques à ce qu’ils soyent venus en aage d’homme, voire qu’ils atteignent le dernier but de la foy. Car il n’est pas licite de séparer ces deux choses que Dieu a conjoinctes : c’est que l’Eglise soit mère de tous ceux desquels il est Père. Ce qui n’a pas esté seulement sous la Loy, mais dure encores depuis l’advénement de Jésus-Christ : tesmoin sainct Paul, qui prononce que nous sommes enfans de la nouvelle Jérusalem et céleste Gal. 4.26.
4.1.2
Quand nous confessons au Symbole que nous croyons l’Eglise, cest article ne se rapporte pas seulement à l’Eglise visible, de laquelle nous avons maintenant à parler, mais aussi à tous les esleus de Dieu, au nombre desquels sont comprins ceux qui sont desjà trespassez. Pourtant ce mot de Croire, y est mis, pource que souvent on ne pourroit pas noter à l’œil la diversité qui est entre les enfans de Dieu et les gens profanes, entre son sainct troupeau et les bestes sauvages. Car quant à ce que plusieurs entrelacent ce mot En, cela n’a nulle raison probable. Je confesse bien qu’il est plus accoustumé aujourd’huy, et que d’ancienneté il a esté en usage : et mesmes le Symbole de Nice, comme il est récité en l’histoire ecclésiastique, dit, Croire en l’Eglise : néantmoins il appert aussi par les livres des anciens Pères, que cela estoit receu sans difficulté, de dire, Croire l’Eglise, et non pas En l’Eglise. Car sainct Augustin, et l’auteur du traitté sur le Symbole, qu’on intitule de sainct Cyprien, non-seulement parlent ainsi, mais notamment enseignent que la locution seroit impropre si on adjoustoit ceste préposition En. Et conferment leur opinion par une raison qui n’est pas frivole : Car nous tesmoignons que nous croyons en Dieu, d’autant que nostre cœur se remet sur luy comme véritable, et nostre fiance repose en luy, ce qui ne conviendroit point à l’Eglise, non plus qu’à la rémission des péchez, et à la résurrection de la chair. Pourtant, combien que je ne vueille point estriver pour les mots, toutesfois j’aime mieux suyvre la propriété, par laquelle la chose soit bien déclairée, que d’affecter formes de parler qui induisent obscurcie sans propos. La fin est, que nous sçachions, combien que le diable machine tout ce qu’il peut pour ruiner la grâce de Christ, et que tous les ennemis de Dieu conspirent à cela, et s’y efforcent avec une rage impétueuse, toutesfois qu’elle ne peut estre esteinte, et que le sang de Jésus-Christ ne peut estre rendu stérile, qu’il ne produise quelque fruit. Parquoy il nous faut yci regarder à l’élection de Dieu, et aussi à sa vocation intérieure, par laquelle il attire à soy ses esleus : pource que luy seul cognoist qui sont les siens, et les tient fermez sous son cachet 2Tim. 2.19 comme dit sainct Paul, sinon qu’il les fait porter ses enseignes, par lesquelles ils peuvent estre discernez d’avec les réprouvez. Mais pource qu’ils ne sont qu’une poignée de gens, voire contemptibles, meslez parmi grande multitude, et sont cachez comme un peu de grain sous un grand amas de paille en l’aire, il nous faut laisser à Dieu seul ce privilège de cognoistre son Eglise de laquelle le fondement est son élection éternelle. Et de faict, ce ne seroit point assez de concevoir en nostre cerveau que Dieu a ses esleus, si nous ne comprenions quant et quant une telle unité de l’Eglise, en laquelle nous soyons persuadez estre vrayement entez. Car si nous ne sommes alliez avec tous les autres membres sous le Chef commun qui est Jésus-Christ, nous ne pouvons avoir nulle espérance de l’héritage à venir. Parquoy elle est nommée Catholique ou universelle : pource qu’on n’en sçauroit faire deux ni trois sans deschirer Jésus-Christ, entant qu’en nous seroit. Mesmes les esleus de Dieu sont tellement conjoincts en Jésus-Christ, que comme ils dépendent tous d’un chef, aussi sont-ils faits un mesme corps : voire avec telle liaison qu’on voit entre les membres d’un corps humain. Ils sont doncques tous un, vivans d’une mesme foy, espérance et charité par l’Esprit de Dieu : estans appelez non-seulement en un mesme héritage, mais aussi à participer à la gloire de Dieu et de Jésus-Christ. Et pourtant, combien que la désolation horrible qu’on voit par tout et de tous costez, semble monstrer qu’il n’y a rien de résidu de l’Eglise, sçachons que la mort de Christ est fructueuse, et que Dieu garde miraculeusement son Eglise comme en cachette, selon qu’il fut dit à Elie de son temps, Je me suis réservé sept mille hommes, qui n’ont point fleschy le genouil devant Baal 1Rois 19.18.
4.1.3
Combien que l’article du Symbole s’estende aussi aucunement à l’Eglise externe, afin que chacun de nous soit instruit de se maintenir en fraternel accord avec tous les enfans de Dieu, de rendre à l’Eglise l’authorité qui luy appartient, et finalement de se porter comme brebis du troupeau. Et pourtant est adjoustée, La communion des Saincts : lequel membre, combien qu’il ait esté omis des Anciens, n’est pas à mespriser, d’autant qu’il exprime très-bien la qualité de l’Eglise ; comme s’il estoit dit que les Saincts sont assemblez à telle condition à la société de Christ, qu’ils doyvent mutuellement communiquer entre eux tous les dons qui leur sont conférez de Dieu. Toutesfois la diversité des grâces n’est pas ostée par cela, comme nous voyons que les dons de l’Esprit sont distribuez en plusieurs sortes : et aussi l’ordre de la police n’est point dissipé, que chacun ne possède ses biens à part, selon qu’il est nécessaire pour conserver paix entre les hommes, que chacun soit maistre de ses facultez. Mais ceste communauté doit estre entendue comme sainct Luc la descrit : Il n’y avoit qu’un cœur et une âme en la multitude des croyans Actes 4.32. Item sainct Paul, en exhortant les Ephésiens d’estre un corps et un esprit : comme ils sont appelez en une espérance Eph. 4.4. Car il ne se peut faire que ceux qui sont vrayement persuadez que Dieu leur est un commun Père, et que Christ est leur chef seul à tous, ne soyent conjoincts entre eux en amour fraternelle, pour communiquer ensemble au proufit l’un de l’autre. Or il nous est bien requis et utile de cognoistre quel fruit nous revient de ceci : car nous croyons tellement l’Eglise, que nous devons estre asseurez d’estre membres d’icelle. Car voylà comme nostre salut sera bien appuyé et fermement : en sorte que si tout le monde estoit esbranlé, telle certitude demeurera debout. Premièrement il est fondé en l’élection de Dieu : et ne peut défaillir, sinon que sa providence éternelle soit dissipée. D’avantage, il est confermé entant qu’il faut que Christ demeure en son entier, lequel ne souffrira ses fidèles estre distraits de soy non plus que ses membres estre déchirez par pièces. En outre nous sommes certains qu’entant que nous demeurons dedans le sein de l’Église, la vérité demeure avec nous. Finalement, nous entendons que ces promesses nous appartienent, où il est dit qu’il y aura salut en Sion : Dieu demeurera à tousjours en Jérusalem, et ne bougera jamais du milieu d’icelle Joël 2.32 ; Abd. 1.17 ; Ps. 46.5. Telle vertu a l’unité de l’Eglise, qu’elle nous peut retenir en la compagnie de Dieu. Pareillement ce mot de Communion nous peut grandement consoler : c’est que puis que tout ce que nostre Seigneur a conféré de grâces à ses membres et aux nostres, nous appartient, nostre espérance est confermée par tous les biens qu’ils ont. Au reste pour se tenir en l’unité d’icelle Eglise, il n’est jà mestier que nous voyions une Eglise à l’œil : ou que la touchions à la main ; plustost entant que nous la devons croire, en cela il nous est signifié qu’il ne nous la faut point moins recognoistre quand elle nous est invisible, que si nous la voyions évidemment. Et n’en est nostre foy de rien pire, quand elle recognoist l’Eglise que nostre intelligence ne peut comprendre : d’autant qu’yci il ne nous est point commandé de discerner les esleus des réprouvez (ce qui appartient à Dieu seul et non à nous) mais d’avoir ceste certitude en nos cœurs, que tous ceux qui par la clémence de Dieu le Père et la vertu du sainct Esprit sont venus en la participation de Christ, sont ségrégez pour le propre héritage de Dieu : et d’autant que nous sommes en leur nombre, nous sommes héritiers d’une telle grâce.
4.1.4
Mais pource que maintenant mon intention est de parler de l’Eglise visible, apprenons du seul tiltre de Mère, combien la cognoissance d’icelle nous est utile, voire nécessaire : d’autant qu’il n’y a nulle entrée en la vie permanente, sinon que nous soyons conceus au ventre de ceste mère, qu’elle nous enfante, qu’elle nous allaite de ses mammelles : finalement qu’elle nous tiene et garde sous sa conduite et gouvernement, jusques à ce qu’estans despouillez de ceste chair mortelle nous soyons semblables aux Anges Matt. 22.30. Car nostre infirmité ne souffre pas que nous soyons retirez de l’eschole, jusques à ce que nous ayons esté disciples tout le cours de nostre vie. Il est aussi à noter, que hors le giron d’icelle on ne peut espérer rémission des péchez ne salut aucun, tesmoins Isaïe et Joël Esaïe 37.32 ; Joël 2.32 : ausquels Ezéchiel s’accorde, disant que ceux que Dieu veut exterminer de la vie céleste, ne seront point au rolle de son peuple Ezéch. 13.9. Et à l’opposite il est dit que ceux qui se convertiront au service de Dieu et à la vraye religion, se viendront enroller entre les bourgeois de Jérusalem Ps. 87.5-6. Pour laquelle raison il est dit en l’autre Pseaume, Qu’il te souviene de moy, ô Dieu, en l’amour que tu portes à ton peuple : visite-moy en ton salut, pour me faire sentir la bénéficence que tu gardes à ton peuple : que je m’esjouisse en la liesse de ta gent, que je m’esjouisse avec ton héritage Ps. 106.4-5. Par ces mots la faveur paternelle de Dieu, et le tesmoignage spécial de la vie spirituelle est restreint au troupeau de Dieu, afin que nous soyons advertis que c’est une chose pernicieuse et mortelle de se distraire ou séparer de l’Eglise.
4.1.5
Maintenant poursuyvons à déduire ce qui appartient à cest argument. Sainct Paul dit que Jésus-Christ pour remplir toutes choses a establi les uns Apostres, les autres Prophètes, les autres Evangélistes, les autres Pasteurs et Docteurs, pour l’accomplissement des Saincts, pour l’ouvrage d’administration, afin d’édifier le corps de Christ, jusques à ce que nous soyons tous parvenus en l’unité de la foy et de la cognoissance du Fils de Dieu, en homme parfaict et en la mesure d’aage accomplie en Christ Eph. 4.11-13. Nous voyons que Dieu, combien qu’il peut eslever en un moment les siens en perfection, les veut néantmoins faire croistre petit à petit sous, la nourriture de l’Eglise. Nous voyons que la manière est exprimée : asçavoir entant que la prédication est commise aux Pasteurs. Nous voyons comment tous sont rangez à cela, de se laisser avec un esprit docile et débonnaire gouverner par les Pasteurs créez à cest usage. Et aussi long temps auparavant le Prophète Isaïe avoit descrit le règne de Jésus-Christ sous ces marques : Mon esprit qui est en toy, et les paroles que j’ay mises en ta bouche ne départiront point jamais ne de ta bouche, ne de la bouche de tes enfans, ne de leurs successeurs Esaïe 59.21 ; dont il s’ensuyt que ceux qui refusent d’estre appastelez par l’Eglise, ou rejettent la viande spirituelle qu’elle leur offre, sont dignes de mourir de faim. C’est bien Dieu qui nous inspire la foy, mais par l’organe de son Evangile : comme sainct Paul admoneste que la foy vient de l’ouye Rom. 10.17, comme la puissance de sauver réside en Dieu Rom. 1.16 : mais il la desploye en la prédication de l’Evangile, selon que le mesme Apostre tesmoigne ailleurs. Voylà pourquoy il a voulu sous la Loy que le peuple ancien s’assemblast au Sanctuaire, afin que la doctrine enseignée par la bouche du Sacrificateur, entreteinst l’unité de foy. Et de faict, ces tiltres tant excellens et magnifiques, que le temple est le repos de Dieu, son sanctuaire et domicile, qu’il repose entre les Chérubins Ps. 132.13-14 ; 80.1, ne tendent à autre fin que pour faire priser et aimer avec toute révérence la prédication de la doctrine céleste, et qu’elle ait sa dignité, laquelle pourroit estre amoindrie quand on s’amuseroit à regarder les hommes mortels qui la portent. Parquoy afin que nous sçachions qu’un thrésor inestimable nous est présenté dedans des pots de terre 2Cor. 4.7, Dieu luy-mesme se met en avant : et selon qu’il est autheur de cest ordre, il veut estre recognu présent en ce qu’il a institué. Pour ceste cause, après avoir défendu à son peuple de se mesler de devinemens, arts magiques, nécromancie, et toutes autres superstitions, il adjouste qu’il leur donnera moyen d’estre enseignez, qui leur devra bien suffire un seul pour tous :asçavoir que jamais ne seront destituez de Prophètes Lév. 19.31 ; Deut. 18.14-15. Or comme il n’a point envoyé le peuple ancien aux Anges, mais leur a suscité des docteurs de la terre, qui tissent office d’Anges envers eux : aussi aujourd’huy il nous veut enseigner parle moyen des hommes. Comme aussi jadis il ne s’est pas contenté d’avoir donné sa seule Loy par escrit, mais a estably les Sacrificateurs pour estre expositeurs d’icelle, et par la bouche desquels il a voulu qu’elle fust entendue Mal. 2.7 : aussi aujourd’huy il luy plaist que non-seulement chacun soit attentif à lire en son particulier, mais qu’il y ait maistres et docteurs pour nous guider et aider ; ce qui emporte double utilité. Car d’une part c’est un bon examen pour esprouver l’obéissance de nostre foy, quand nous oyons les ministres qu’il nous envoyé comme si luy-mesme parloit ; secondement il pourvoit à nostre infirmité, aimant mieux parler à nous de façon humaine par ses messagers, afin de nous allécher doucement, que détonner en sa majesté pour nous effaroucher. Et de faict, tous fidèles sentent combien ceste façon familière d’enseigner nous est propre, veu qu’il est impossible que nous ne soyons effrayez quand Dieu parle en sa hautesse. Ceux qui estiment que l’authorité de la Parole est anéantie par le mespris et basse condition des ministres qui l’annoncent, descouvrent leur ingratitude : veu qu’entre tant de dons excellens desquels Dieu a orné le genre humain, c’est une prérogative souveraine, qu’il daigne bien consacrer leurs bouches et langues à son service, afin que sa voix y résonne. Qu’il ne nous soit pas doncques grief de nostre costé, de recevoir en toute obéissance la doctrine de salut qu’on nous propose de son commandement exprès. Car combien que sa vertu ne soit point attachée à nuls moyens externes, si nous a-il voulu astreindre à ceste façon ordinaire, laquelle si on rejette comme font plusieurs fantastiques, on s’enveloppe en beaucoup de liens mortels. Plusieurs sont induits ou par orgueil et présomption, ou par desdain, ou par envie à se persuader qu’ils proufiteront assez en lisant en leur privé, ou méditant : dont ils mesprisent les assemblées publiques, et pensent que la prédication soit superflue. Or pource qu’ils dissoudent ou rompent entant qu’en eux est le lien d’unité, lequel Dieu veut estre gardé inviolable : c’est bien raison qu’ils reçoyvent le salaire de tel divorce : comme tous s’ensorcellent d’erreurs et resveries qui les meinent à confusion. Parquoy afin que la pure simplicité de foy nous demeure, qu’il ne nous soit grief ne fascheux d’user de cest exercice, lequel Dieu en l’instituant a déclairé nous estre nécessaire, et lequel il nous recommande tant et plus. Il ne s’est jamais trouvé nul, mesmes de ces chiens mastins qui se desbordent à toutes mocqueries, qui osast dire qu’on doyve bouscher les aureilles quand Dieu parle ; mais les Prophètes et saincts Docteurs ont tousjours eu grans combats et difficiles contre les meschans, pour les assujetir à la doctrine qu’ils preschoyent : pource que leur arrogance ne peut recevoir ce joug, qu’ils vueillent estre enseignez par la bouche et ministère des hommes. Or cela est autant comme effacer l’image de Dieu, laquelle reluit en la doctrine ; car voylà aussi pourquoy il a esté commandé anciennement aux fidèles de chercher l’image de Dieu au Temple Ps. 105.4, ce qui leur est si souvent réitéré en la Loy : c’est pource que la doctrine et exhortation des Prophètes leur estoit comme une image vive de Dieu, comme sainct Paul se glorifie que la gloire de Dieu reluit en sa prédication en la face de Christ 2Cor. 4.6. Et d’autant plus nous doyvent estre détestables tous ces Apostats qui s’efforcent à dissiper les Eglises, comme s’ils chassoyent les brebis de leur parc ou estable, pour les exposer à la gueule des loups. Quant à nous, retenons ce que j’ay allégué de sainct Paul : asçavoir que l’Eglise ne se peut édifier que par la prédication externe, et que les saincts ne sont retenus entr’eux par autre lien, que quand d’un commun accord en apprenant et proufitant ils observent l’ordre estably de Dieu Eph. 4.12. Et c’a esté la principale fin, comme j’ay dit, que Dieu a regardé : commandant jadis aux fidèles sous la Loy de s’assembler au sanctuaire. Lequel aussi pour ceste cause Moyse appelle le Lieu du nom de Dieu, pource qu’il avoit voulu que sa mémoire y fust célébrée Exo. 20.24. En quoy il enseigne ouvertement, que l’usage en estoit nul sans la doctrine de vérité. Il n’y a doute que David à ce regard ne se complaigne avec si grande angoisse et amertume d’esprit, que l’accès du tabernacle luy est forclos par la tyrannie et cruauté de ses ennemis Ps. 84.2-4. Plusieurs trouvent ceste lamentation puérile : pource que ce ne luy estoit pas grande perte, et qu’il n’estoit pas privé de grand plaisir, de ne pouvoir approcher du parvis du temple moyennant qu’il jouist de ses commoditez et délices. Or tant y a qu’il déplore que ceste tristesse et douleur le brusle et le tormente, voire le consume du tout, qu’il n’ose approcher du lieu sainct : asçavoir pource que les fidèles ne prisent rien plus que ce moyen par lequel Dieu eslève les siens en haut, comme de degré en degré. Et faut bien noter que Dieu s’est tellement monstré anciennement aux Pères au miroir de sa doctrine, qu’il a tousjours voulu estre cognu spirituellement ; dont le temple non-seulement est appelé Sa face : mais aussi son marchepied Ps. 132.7 ; 99.5 ; 1Chr. 28.2, afin d’éviter toute superstition. Et c’est l’heureuse rencontre dont parle sainct Paul, que nous apporte la perfection en unité de foy, quand tous depuis le plus grand jusques aux plus petit aspirent au Chef. Quant aux temples que les Payens ont édifiez à Dieu à autre fin ou intention, ils n’ont servy qu’à profaner son service. Auquel vice les Juifs sont aussi bien tombez, encores que ce ne fust pas du tout si lourdement : mais si est-ce qu’ils n’ont pas laissé d’estre coulpables, comme sainct Estiene leur reproche par la bouche d’Isaïe : c’est que Dieu n’habite point en bastiment fait de main d’hommes Actes 7.48 : mais luy seul se dédie par sa Parole et sanctifie des temples en usage légitime. Et si tost que nous attentons inconsidérément ceci ou cela, sans qu’il le nous ait commandé, incontinent un mal ensuyt l’autre : c’est d’adjouster beaucoup de resveries au principe qui est desjà mauvais de soy, en sorte que la corruption se multiplie sans mesure. Toutesfois Xerxès Roy de Perse procéda follement et à l’estourdie, en bruslant par le conseil des Philosophes de son pays tous les temples de Grèce, sous ombre que les dieux qui ont toute liberté, ne doyvent point estre enclos en murailles et sous des tuilles ; comme s’il n’estoit point en la puissance de Dieu de descendre aucunement à nous, afin de se monstrer plus prochain : néantmoins sans bouger ne changer de lieu, et aussi sans nous attacher à nuls moyens terrestres, mais plustost nous faire monter en haut à sa gloire céleste, laquelle remplit tout de sa grandeur infinie, mesmes surmonte les cieux en sa hautesse Jér. 23.24.
4.1.6
Or pource qu’il y a eu de nostre temps de grans combats touchant l’efficace du ministère : c’est qu’aucuns voulans amplifier la dignité d’iceluy, ont excédé mesure : les autres ont maintenu que c’estoit tout pervertir, de transporter à l’homme mortel, ce qui est propre au sainct Esprit, en disant que les ministres et Docteurs entrent jusques aux entendemens et aux cœurs, pour corriger tant l’aveuglement que la dureté qui y est : nous avons à décider ces disputes. Ce qu’ils allèguent d’un costé et d’autres sera facile à transiger, en observant distinctement les passages ausquels Dieu, selon qu’il est autheur de la prédication, conjoignant son Esprit avec icelle, promet qu’elle ne passera pas sans fruit : ou bien d’autre part, en se séparant de toutes aides externes, s’attribue à luy seul tant le commencement de la foy que l’accomplissement. L’office du second Elias, tesmoin le Prophète Malachie, a esté d’illuminer les esprits, convertir les cœurs des pères aux enfans, et les incrédules à la sagesse des justes Malach. 4.6 ; Luc 1.17. Jésus-Christ prononce qu’il envoyé ses Apostres, à ce qu’ils rapportent fruit de leur labeur Jean 15.16. Or sainct Pierre définit briefvement quel est ce fruit-là, disant que nous sommes régénérez par la parole qui nous est preschée, qui est la semence incorruptible de vie ? 1Pi. 1.23. Pourtant sainct Paul se glorifie d’avoir engendré les Corinthiens au Seigneur par l’Evangile, et qu’ils sont le seau de son Apostolat : et mesmes qu’il n’est pas un ministre litéral, qui ait seulement batu les aureilles par le son de sa voix, mais que l’efficace de l’Esprit luy a esté donnée, afin que sa doctrine ne fust pas inutile 1Cor. 4.15 ; 9.2 ; 2Cor. 3.6 ; selon lequel sens il dit ailleurs, que son Evangile n’a pas esté seulement en paroles : mais en vertu de l’Esprit 1Cor. 2.4. Il dit aussi que les Galatiens ont receu le sainct Esprit par l’ouye de la foy Gal. 3.2 : brief en plusieurs passages non-seulement il se fait coopérateur de Dieu, mais aussi s’attribue l’office d’administrer salut 1Cor. 3.9. Il est certain que jamais il n’a proféré telles choses pour usurper une seule goutte de louanges à part, en se séparant d’avec Dieu, comme il l’expose ailleurs. Nostre labeur n’a pas esté inutile en Dieu, selon sa vertu, qui a besongné puissamment en moy 1Thess. 3.5. Item derechef, Celuy qui a desployé sa vertu en Pierre envers les Juifs, l’a aussi desployée en moy envers les Gentils Gal. 2.8. D’avantage, il appert par d’autres passages, qu’il ne laisse rien qui soit aux ministres, quand ils seront regardez en eux : Celuy, dit-il, qui plante n’est rien, et celuy qui arrouse n’est rien : mais Dieu qui donne accroissement fait tout 1Cor. 3.7. Item, J’ay travaillé par-dessus tous les autres : non pas moy, mais la grâce de Dieu qui m’assistoit 1Cor. 15.10. Il est requis de noter diligemment et retenir ces sentences, ausquelles Dieu s’attribuant l’illumination de nos esprits et renouvellement de nos cœurs, déclaire que celuy qui se vante d’y avoir quelque part ou portion, est sacrilège. Ce pendant selon que chacun se rendra docile aux ministres que Dieu ordonne, il sentira en effect à son grand proufit, que ceste manière d’enseigner n’a pas pleu à Dieu en vain : et que non sans cause il a imposé ce joug de modestie à tous ses fidèles.
4.1.7
J’estime qu’il est assez notoire par ce que nous avons dit comment on doit juger de l’Eglise visible, laquelle nous pouvons cognoistre. Car nous avons dit que l’Escriture saincte parle de l’Eglise en deux sortes : c’est que quelquesfois en usant de ce nom, elle entend l’Eglise qui est telle à la vérité, et en laquelle nuls ne sont comprins sinon ceux qui par la grâce d’adoption sont enfans de Dieu, et par la sanctification de son Esprit sont vrays membres de Jésus- Christ. Et lors non-seulement elle parle des Saincts qui habitent en terre, mais de tous les esleus qui ont esté depuis le commencement du monde. Souvent par le nom de l’Eglise elle signifie toute la multitude des hommes, laquelle estant esparse en diverses régions du monde, fait une mesme profession d’honorer Dieu et Jésus-Christ : a le Baptesme pour tesmoignage de sa foy : en participant à la Cène proteste d’avoir unité en doctrine et en charité : et consentante à la Parole de Dieu, et de laquelle elle veut garder la prédication, suyvant le commandement de Jésus-Christ. En ceste Eglise il y a plusieurs hypocrites meslez avec les bons qui n’ont rien de Jésus-Christ fors que le tiltre et l’apparence : les uns ambitieux, les autres avaricieux, les autres mesdisans, aucuns de vie dissolue, lesquels sont tolérez pour un temps, ou pource qu’on ne les peut convaincre juridiquement, ou bien pource que la discipline n’est pas tousjours en telle vigueur qu’elle devroit. Pourtant comme il nous est nécessaire de croire l’Eglise invisible à nous, et cognue à un seul Dieu : aussi il nous est commandé d’avoir ceste Eglise visible en honneur, et de nous maintenir en la communion d’icelle.
4.1.8
Pourtant le Seigneur nous l’a marquée de certains signes et enseignes, entant qu’il nous estoit expédient de la cognoistre. Vray est que ce privilège appartient à luy seul, de cognoistre qui sont les siens, comme j’ay allégué de sainct Paul 2Tim. 2.19. Et de faict, afin que la témérité des hommes ne s’avançast jusques-là, il y a mis bon ordre : nous advertissant journellement par expérience, combien ses jugemens secrets surmontent nostre sens. Car d’une part ceux qui sembloyent advis du tout perdus et qu’on tenoit pour désespérez, sont réduits au droict chemin : d’autre costé ceux qui sembloyent estre bien fermes, trébuschent. Parquoy selon la prédestination de Dieu cachée et secrette, comme dit sainct Augustin, il y a beaucoup de brebis hors l’Eglise, et beaucoup de loups dedans[a]. Car il cognoist et a marqué ceux qui ne cognoissent ne luy ny eux-mesmes. Touchant de ceux qui portent extérieurement sa marque, il n’y a que les yeux de luy seul qui voyent lesquels sont saincts sans feintise, et lesquels doyvent persévérer jusques en la fin : ce qui est le principal de nostre salut. Toutesfois pource que le Seigneur voyoit estre expédient de sçavoir lesquels nous devons avoir pour ses enfans, il s’est accomodé en cest endroict à nostre capacité. Et d’autant qu’il n’estoit jà besoin en cela de certitude de foy, il a mis au lieu un jugement de charité, selon lequel nous devons recognoistre pour membres de l’Eglise, tous ceux qui par confession de foy, par bon exemple de vie et participation des Sacremens advouent un mesme Dieu et un mesme Christ avec nous. Or d’autant qu’il nous estoit mestier de cognoistre le corps de l’Eglise, pour nous adjoindre à iceluy, il nous l’a marqué de certaines enseignes, ausquelles l’Eglise nous apparoist évidemment et comme à l’œil.
[a] Homil. In Joann. XLV
4.1.9
Voylà dont nous avons l’Eglise visible. Car partout où nous voyons la Parole de Dieu estre purement preschée et escoulée, les Sacremens estre administrez selon l’institution de Christ, là il ne faut douter nullement qu’il n’y ait Eglise Eph. 2.20 : d’autant que la promesse qu’il nous a baillée ne nous peut faillir : Par tout où deux ou trois seront assemblez en mon nom, je seray au milieu d’eux Matt. 18.20. Mais pour bien entendre la somme de ceste matière, il nous faut procéder par les degrez qui s’ensuyvent : c’est que l’Eglise universelle est toute la multitude laquelle accorde à la vérité de Dieu et à la doctrine de sa Parole, quelque diversité de nation qu’il y ait, ou distance de région : d’autant qu’elle est unie par le lien de religion. Que sous ceste Eglise universelle, les Eglises qui sont distribuées par chacune ville et village, sont tellement comprinses, qu’une chacune a le tiltre et authorité d’Eglise : et que les personnes lesquelles sont advouées estre d’icelle par profession de foy, combien qu’à la vérité elles ne soyent point l’Eglise, néantmoins elles sont estimées y appartenir, jusques à ce qu’on les ait rejettées par jugement public. Combien qu’il y ait diverse raison à estimer des Eglises et des personnes particulières. Car il peut advenir qu’il nous faudra traitter comme frères, et avoir pour fidèles ceux que nous ne penserons pas dignes d’estre de ce nombre, à cause du consentement comme de l’Eglise, laquelle les souffrira et endurera encores au corps de Christ. Nous n’approuverons pas doncques telles gens comme membres de l’Eglise, quant à nostre estime privée, mais nous leur laisserons le lieu qu’ils tienent entre le peuple de Dieu, jusques à ce qu’il leur soit osté par voye légitime. Envers une multitude, il nous y faut autrement procéder. Car si elle a le ministère de la Parole, et si elle l’honore, si elle retient l’administration des Sacremens, elle doit estre sans doute recognue pour Eglise : d’autant qu’il est certain que la Parole et les Sacremens ne peuvent estre sans fruit. En telle sorte nous conserverons l’unité de l’Eglise universelle, laquelle les esprits diaboliques ont tousjours tasché de dissiper : et n’osterons point l’authorité qui appartient aux assemblées ecclésiastiques, lesquelles sont en chacun lieu pour la nécessité des hommes.
4.1.10
Nous avons mis pour enseignes de l’Eglise, la prédication de la Parole de Dieu, et l’administration des Sacremens. Car ces deux choses ne peuvent estre qu’elles ne fructifient, et qu’elles ne prospèrent parla bénédiction de Dieu. Je ne di pas que par tout où il y a prédication, le fruit incontinent apparoisse : mais j’enten qu’elle n’est nulle part receue pour y avoir comme certain siège, qu’elle ne produise quelque efficace. Comment que ce soit, par tout où la prédication de l’Evangile est révéremment escoutée, et les Sacremens ne sont point négligez, là apparoist pour ce temps, certaine forme d’Eglise, dont on ne peut douter, et de laquelle il n’est pas licite de contemner l’authorité, ou mespriser les admonitions, ou rejetter le conseil, ou avoir les castigations en mocquerie. Beaucoup moins est-il permis de s’en diviser, ou de rompre l’unité d’icelle. Car Dieu estime tant la communion de son Eglise, qu’il tient pour un traistre et apostat de la Chrestienté, celuy qui s’estrange de quelque compagnie chrestienne, en laquelle il y a le ministère de sa Parole et de ses Sacremens. Il a en telle recomdation l’authorité d’icelle, que quand elle est violée, il dit que la siene propre l’est. Car ce n’est pas un tiltre de petite importance qu’elle soit nommée Pillier et fermeté de la vérité : item, la maison de Dieu 1Tim. 3.15. Car par ces mots sainct Paul signifie que l’Eglise est establie gardienne de la vérité de Dieu, afin qu’elle ne s’abolisse point en ce monde, et que Dieu se sert du ministère ecclésiastique, pour garder et entretenir la pure prédication de sa Parole, et se monstrer père de famille envers nous, en nous paissant de la nourriture spirituelle, et procurant songneusement tout ce qui appartient à nostre salut. Ce n’est pas aussi une petite louange, quand il est dit que Jésus-Christ a esleu et séparé son Eglise pour son espouse, afin qu’il la rende pure et nette de toute macule Eph. 5.27 : mesmes qu’elle est sa plénitude Eph. 1.23 ; dont il s’ensuyt, que quiconques se départ d’icelle renonce Dieu et Jésus-Christ. Et d’autant plus nous faut-il garder de ce divorce si énorme, par lequel nous taschons, entant qu’en nous est, de ruiner la vérité de Dieu : et par ce moyen sommes dignes qu’il foudroye avec toute l’impétuosité de son ire, pour nous briser, il n’y a aussi nul crime plus détestable, que de violer par nostre desloyauté le sainct mariage que le Fils unique de Dieu a bien daigné contracter avec nous.
4.1.11
Pourtant il nous faut diligemment retenir les marques ci-dessus mises, et les estimer selon le jugement de Dieu. Car il n’y a rien que Satan machine plus de faire, que de nous amener à l’un de ces deux points : c’est qu’en abolissant ou effaçant les vrais signes dont nous pouvons discerner l’Eglise, il nous en oste toute vraye distinction : ou bien de nous induire à nous les faire contemner, afin de nous séparer et révolter de la communauté de l’Eglise. Il a esté fait par son astuce, que la pure prédication de l’Evangile a esté cachée par longues années : et maintenant par mesme malice il s’efforce de renverser le ministère, lequel Jésus-Christ a tellement ordonné en son Eglise, qu’iceluy abatu, il faut que l’édification de l’Eglise périsse. Or combien est-ce une périlleuse tentation, ou plustost pernicieuse, quand il entre au cœur de l’homme de se diviser d’une congrégation, en laquelle apparoissent les enseignes dont nostre Seigneur a suffisamment pensé marquer son Eglise ? Nous voyons combien il est mestier de se donner garde d’une part et d’autre. Car à ce que nous ne soyons point trompez sous le tiltre de l’Eglise il nous faut examiner à ceste épreuve que Dieu nous baille, toute congrégation qui prétend le nom d’Eglise, comme on esprouve l’or à la touche : c’est que si elle a l’ordre que nostre Seigneur a mis en sa parole et en ses Sacremens, elle ne nous trompera point, que nous ne luy puissions rendre seurement l’honneur qui appartient à l’Eglise. Au contraire, si sans Parole de Dieu et de ses Sacremens, elle veut estre recognue Eglise, il ne nous faut point moins garder de telle tromperie, qu’éviter témérité en l’autre endroict.
4.1.12
Quant à ce que nous disons que le pur ministère de la Parole et la pure manière d’administrer les Sacremens, est un bon gage et arre pour nous asseurer qu’il y a Eglise en toutes compagnies où nous verrons l’un et l’autre, cela doit avoir telle importance, que nous ne devons rejetter nulle assemblée laquelle entretiene l’un et l’autre, combien qu’elle soit sujette à plusieurs vices. Qui plus est, il y pourra avoir quelque vice ou en la doctrine, ou en la façon d’administrer les Sacremens, qui ne nous devra point du tout aliéner de la communion d’une Eglise. Car tous les articles de la doctrine de Dieu ne sont point d’une mesme sorte. Il y en a aucuns dont la cognoissance est tellement nécessaire que nul n’en doit douter, non plus que d’arrests ou de principes de la Chrestienté. Comme pour exemple, qu’il est un seul Dieu : que Jésus-Christ est Dieu et Fils de Dieu : que nostre salut gist en sa seule miséricorde : et autres semblables. Il y en a d’autres lesquelles sont en dispute entre les Eglises : et néantmoins ne rompent pas l’unité d’icelles. Pour donner exemple : S’il advenoit qu’une Eglise teinst que les âmes estans séparées des corps fussent transférées au ciel incontinent : une autre, sans oser déterminer du lieu, pensast simplement qu’elles vivent en Dieu : et que telle diversité fust sans contention et sans opiniastreté ; pourquoy se diviseroyent-elles d’ensemble ? Ce sont les paroles de l’Apostre, que si nous voulons estre parfaits, il nous faut avoir un mesme sentiment : au reste, que si nous avons quelque diversité, Dieu nous révélera ce qui en est Phil. 3.15. En cela ne monstre-il pas que si les Chrestiens ont aucune dissension des matières qui ne sont point grandement nécessaires, que cela ne doit point faire de trouble ne sédition entre eux ? Bien est vray que c’est le principal d’accorder en tout et par tout : mais d’autant qu’il n’y a nul qui ne soit enveloppé de quelque ignorance, il faudra ou que nous ne laissions nulle Eglise, ou que nous pardonnions l’ignorance à ceux qui faudront és choses lesquelles se peuvent ignorer sans péril de salut, et sans que la religion boit violée. Je n’enten yci de maintenir aucuns erreurs, voire les moindres du monde : et ne voudroye qu’on les nourrist par les dissimuler et flatter. Mais je di qu’il ne faut pas par dissension légèrement abandonner une Eglise, en laquelle est gardée en son entier la doctrine principale de nostre salut et les Sacremens comme nostre Seigneur a ordonné. Ce pendant si nous taschons de corriger ce qui nous y desplaist, nous ne faisons que nostre devoir. Et à cela nous induit la sentence de sainct Paul, que celuy qui a quelque meilleure révélation, qu’il se lève pour parler, et que le premier se taise 1Cor. 14.30, car par cela il appert qu’à un chacun membre de l’Eglise est donnée la charge d’édifier les autres, selon la mesure de grâce qui est en luy, moyennant que cela se face décentement et par ordre, c’est-à-dire que nous ne renoncions point la communion de l’Eglise, et aussi que demeurans en icelle nous ne troublions point la police ne la discipline.
4.1.13
Quant à l’imperfection des mœurs, nous en devons beaucoup plus endurer. Car il est facile de trébuscher en cest endroict : et le diable a de merveilleuses machinations pour nous séduire. Il y en a eu tousjours aucuns, lesquels se faisans à croire qu’ils avoyent une saincteté parfaite, comme s’ils eussent esté quelques Anges de Paradis, ont mesprisé toute compagnie des hommes en laquelle ils appercevoyent quelque infirmité humaine. Tels ont esté jadis ceux qu’on nommoit Cathares, c’est-à-dire les purs : et aussi les Donatistes, qui approchoyent de la folie des autres. Aujourd’huy il y a quelques Anabaptistes semblables : asçavoir ceux qui veulent apparoistre les plus habiles, et qui pensent avoir proufité par-dessus les autres. Il y en a d’autres qui pèchent plus par un zèle de justice inconsidéré, que par telle outrecuidance. Car quand ils voyent qu’entre ceux ausquels l’Evangile est annoncé, le fruit n’est pas correspondant à la doctrine, incontinent ils jugent qu’il n’y a là nulle Eglise. Quant à leur offense, elle est très-juste : et certes nous en donnons trop de matière, et ne pouvons aucunement excuser nostre maudite paresse, laquelle Dieu ne laissera point impunie, comme desjà il commence à la chastier d’horribles verges. Malheur doncques sur nous, qui faisons par nostre licence désordonnée, que les consciences débiles sont navrées et scandalisées en nous ; néantmoins ceux dont il est question faillent aussi de leur part, entant qu’ils outrepassent la mesure. Car là où nostre Seigneur requiert qu’ils usent de clémence, la laissant derrière, ils s’adonnent du tout à rigueur et sévérité. Car en estimant qu’il n’y a nulle Eglise sinon où ils voyent une parfaite pureté et saincteté de vie, sous ombre de haïr les vices ils se départent de l’Eglise de Dieu, pensans se retirer de la compagnie des meschans. Ils allèguent que l’Eglise de Jésus-Christ est saincte Eph. 5.26. Mais il faut qu’ils escoutent ce que luy-mesme en dit : qu’elle est meslée de bons et de mauvais. Car la parabole est vraye, où il l’accomparage à une rets, laquelle attire toutes manières de poissons, qui ne sont point choisis jusques à ce qu’ils vienent à rive Matt. 13.47. Qu’ils escoutent ce qu’il en dit en une autre parabole : c’est qu’elle est semblable à un champ : lequel après avoir esté semé de bon froment, est aussi gasté d’yvroye : de laquelle la bonne moisson ne peut estre purgée, jusques à ce qu’elle soit amenée à la grange Matt. 13.24. Finalement, qu’ils escoutent ce qui est dit encores en une autre parabole, c’est qu’elle est semblable à une aire, en laquelle le grain est tellement assemblé en un monceau, qu’il est caché sous la paille jusques à ce qu’il soit vanné et criblé pour estre mis en grenier Matt. 3.12. Puis que le Seigneur prononce que son Eglise sera sujette à ceste misère jusques au jour du jugement, d’estre tousjours chargée de mauvais hommes, c’est en vain qu’ils la cherchent du tout pure et nette.
4.1.14
Mais ils disent que c’est une chose intolérable, que les vices régnent ainsi par tout. Je leur concède qu’il seroit à désirer autrement : mais pour response, je leur mets en avant la sentence de sainct Paul. Entre les Corinthiens il n’y avoit pas quelque petit nombre de gens qui eust failly, mais tout le corps estoit quasi corrompu : et n’y avoit pas une espèce de mal, mais plusieurs. Les fautes n’estoyent pas petites, mais grandes et énormes transgressions. La corruption n’estoit pas seulement aux mœurs, mais aussi en la doctrine. Que fait sur cela le sainct Apostre, c’est-à-dire un instrument esleu du sainct Esprit, sur le tesmoignage duquel est fondée l’Eglise ? Cherche-il de se diviser d’eux ? les rejette-il du règne de Christ ? leur dénonce-il une dernière malédiction pour les exterminer du tout ? Non seulement il ne fait rien de tout cela, mais plustost il les advoue pour Eglise de Dieu et compagnie des Saincts et les confesse estre tels. S’il y demeure Eglise entre les Corinthiens, ce pendant que les contentions, sectes et envies y règnent : ce pendant qu’il y a force procès et noises, que la malice y est en vigueur, qu’une meschanceté, laquelle devoit estre exécrable entre les Payens, est publiquement approuvée : ce pendant que sainct Paul y est diffamé, lequel ils devoyent honorer comme leur père : qu’aucuns se mocquent de la résurrection des morts, laquelle anéantie, tout l’Evangile est ruiné 1Cor. 1.11 ; 3.3 ; 5.1 ; 6.7 ; 9.1 ; 15.12 : ce pendant que les grâces de Dieu servent à ambition et non point à charité, que plusieurs choses se font déshonnestement et sans ordre : si doncques pour ce temps-là il y demeure Eglise entre eux, et y demeure d’autant qu’ils retienent la prédication de la Parole et les Sacremens, qui osera oster le nom de l’Eglise à ceux ausquels on ne peut point reprocher la dixième partie de telles fautes ? Ceux qui examinent d’une telle rigueur les Eglises présentes, je vous prie qu’eussent-ils fait aux Galatiens, lesquels s’estoyent presque révoltez de l’Evangile ? Toutesfois sainct Paul recognoissoit entre eux quelque Eglise Gal. 1.2.
4.1.15
Ils objectent aussi que sainct Paul reprend asprement les Corinthiens, de ce qu’ils enduroyent en leur compagnie un homme vivant meschamment : et adjouste une sentence générale, en laquelle il prononce qu’il n’est point licite de boire ne manger avec un homme de mauvaise vie 1Cor. 5.2, 11. Sur cela ils font un argument, que s’il n’est point licite de manger le pain commun avec un meschant, beaucoup moins sera-il permis de manger avec luy le pain du Seigneur, qui est sacré. Je confesse certes que c’est un grand déshonneur, si les chiens et les pourceaux ont lieu entre les enfans de Dieu : encores plus grand, si le sacré corps de Jésus-Christ leur est permis comme à l’abandon. Et de faict, si les Eglises sont bien policées, elles n’endurent point les meschans pour les nourrir en leur sein : et ne recevront point à la Cène indifféremment les bons et les mauvais. Mais pource que les Pasteurs ne veillent pas tousjours de près, aucunesfois aussi sont plus faciles et plus doux qu’il ne conviendroit, ou bien sont empeschez qu’ils ne puissent pas exercer une telle sévérité comme ils voudroyent : il advient pour ces raisons que les meschans ne sont pas tousjours rejettez de la compagnie des bons. Je confesse que cela est un vice, et ne le veux point amoindrir comme léger, veu que sainct Paul le reprend aigrement. Mais encores que l’Eglise ne s’acquitte point de son devoir, ce n’est pas à dire qu’un chacun particulier doyve prendre conseil de se séparer d’avec les autres. Je ne nie pas que ce ne soit l’office d’un bon fidèle, de s’abstenir de toute familiarité des meschans, et de ne se mesler avec eux en quelque affaire que ce soit, tant qu’il puisse ; mais c’est autre chose de fuir la compagnie des mauvais, et autre chose, pour la haine d’eux renoncer à la communion de l’Eglise. Touchant ce qu’ils tienent pour un sacrilège, de communiquer à la Cène de nostre Seigneur avec les mauvais : en cela ils sont beaucoup plus rudes que sainct Paul. Car quand il nous exhorte à user purement de la Cène, il ne requiert point que chacun examine son compagnon, ou qu’un homme examine toute l’Eglise : mais qu’un chacun s’esprouve soy-mesme 1Cor. 11.28. Si c’estoit péché de communiquer à la Cène avec un homme indigne, il nous eust certes commandé de regarder à l’entour de nous, s’il y en auroit point quelqu’un, par l’immondicité duquel nous fussions contaminez. Mais quand il commande seulement que chacun s’esprouve, il nous signifie par cela que la compagnie des meschans ne nous nuit de rien, s’il y en a quelqu’uns qui s’y ingèrent. A quoy est conforme ce qu’il adjouste après, quand il dit que celuy qui en mange indignement, le mange à sa condamnation 1Cor. 11.29. Il ne dit pas, A la condamnation des autres : mais, A la siene : et à bon droict. Car il ne doit pas estre en la puissance d’un chacun, de discerner lesquels on doit recevoir ou rejetter. Ceste authorité appartient à l’Eglise, d’autant que cela ne se peut faire sans ordre légitime, comme il sera dit puis après. Ce seroit doncques chose inique, si un homme particulier estoit pollu par l’indignité d’un autre, veu qu’il ne le peut rejetter, et ne doit.
4.1.16
Or combien que ceste tentation adviene mesmes aux bons par un zèle inconsidéré qu’ils ont que tout aille bien, toutesfois nous trouverons ordinairement cela, que ceux qui sont tant scrupuleux et chagrins, sont plustost menez d’un orgueil et fausse opinion qu’ils ont d’estre plus saincts que les autres, que d’une vraye saincteté ou affection d’icelle. Pourtant ceux qui sont plus audacieux que les autres à se séparer de l’Eglise, et vont devant quasi comme porte-enseignes, n’ont le plus souvent autre cause, sinon pour se monstrer meilleurs que tous les autres, en mesprisant chacun. Pourtant sainct Augustin parle fort prudemment, en disant ainsi : Comme ainsi soit que la reigle de la discipline ecclésiastique doyve principalement regarder l’unité d’esprit au lien de paix : ce que l’Apostre commande de garder en nous supportant l’un l’autre : et lequel n’estant point gardé, la médecine non-seulement est superflue, mais aussi pernicieuse, et pourtant n’est plus médecine. Les malins qui par cupidité de contention, plustost que par haine qu’ils ayent contre l’iniquité, s’efforcent d’attirer après eux les simples, ou bien de les diviser, estans enflez d’orgueil, transportez d’obstination, cauteleux à mettre calomnies sus, bruslans en sédition : afin qu’on pense qu’ils ayent la vérité, prétendent pour couleur d’user de sévérité : et abusent à diviser meschamment l’Eglise, de ce qui se doit faire par bonne modération, pour corriger les vices de nos frères, en gardant sincérité de dilection et unité de paix[b]. Après il donne ce conseil aux fidèles qui ont en recommandation la paix et concorde, qu’avec humanité ils corrigent ce qu’ils pourront corriger : et ce qu’ils ne pourront, qu’ils le portent en patience gémissans par affection de charité les fautes de leurs prochains, jusques à ce que Dieu les amende, ou bien qu’il arrache l’ivroye et le mauvais grain en purgeant le froment, et qu’il vanne son bled pour en oster la paille[c]. Tous fidèles se doivent armer de ceste admonition, de peur qu’en voulant estre trop grands zélateurs de justice, ils ne s’eslongnent du Règne des cieux, qui est le seul vray règne de justice. Car d’autant que Dieu veut qu’on garde la commmunion de son Eglise, en s’entretenant en la compagnie de l’Eglise, telle que nous la voyons entre nous : celuy qui s’en sépare est en grand danger de se retrancher de la communion des saincts. Pourtant, que ceux qui ont une telle tentation, pensent qu’en une grande multitude il y en a beaucoup qui leur sont cachez et incognus, lesquels néantmoins sont vrayement saincts devant Dieu. Qu’ils pensent secondement, qu’entre ceux qui leur semblent vicieux, il y en a beaucoup qui ne se complaisent point, et ne se flattent point en leurs vices, mais sont souventesfois esmeus de la crainte de Dieu, d’aspirer à une meilleure vie et plus parfaite. Tiercement, qu’ils pensent qu’il ne faut point estimer d’un homme par un seul fait, d’autant qu’il advient aucunesfois aux plus saincts de trébuscher bien lourdement. Quartement, qu’ils pensent que la Parole de Dieu doit avoir plus de poids et importance à conserver l’Eglise en son unité, que n’a la faute d’aucuns malvivans à la dissiper. Qu’ils pensent finalement, quand il est question d’estimer où est la vraye Eglise, que le jugement de Dieu est à préférer à celuy des hommes.
[b] Contra Parmen., lib. III, cap. I.
[c] Contra Parmen., lib. III, cap. II.
4.1.17
Ce qu’ils prétendent que non sans cause l’Eglise est appelée Saincte, nous avons bien à poiser quelle saincteté il y a en icelle. Car si nous ne voulons estimer qu’il y ait nulle Eglise, sinon laquelle fust parfaite depuis un bout jusques à l’autre, nous n’en trouverions nulle telle. Ce que dit sainct Paul est bien vray, que Jésus-Christ s’est livré pour l’Eglise, afin de la sanctifier, et qu’il l’a purgée du lavement d’eau en la Parole de vie, pour la rendre son épouse glorieuse, n’ayant ne macule ne ride Eph. 5.25-27. Mais ceste sentence n’est pas moins vraye, que le Seigneur œuvre de jour en jour pour effacer les rides d’icelle, et nettoyer les macules, dont il s’ensuyt que sa saincteté n’est pas encores parfaite. L’Eglise doncques est tellement saincte, que journellement elle proufite, et n’a pas encores sa perfection : journellement elle va en avant, et n’est pas encores venue au but de saincteté, comme il sera autre part plus amplement expliqué. Pourtant ce que les Prophètes prédisent de Jérusalem, qu’elle sera saincte, et que les estrangers ne passeront point par icelle, et que le temple de Dieu sera sainct, tellement que tous immondes n’y entreront point Joël 3.17 ; Esaïe 35.8 ; 52.1 : il ne nous le faut pas tellement prendre comme s’il n’y avoit nulle tache au membre de l’Eglise : mais d’autant que de vraye affection de cœur les fidèles aspirent à entière saincteté et pureté, la perfection qu’ils n’ont point encores, leur est attribuée par la bonté de Dieu. Or combien que souvent il adviene qu’on n’apperçoit point entre les hommes, grans signes de ceste sanctification, il nous faut néantmoins résoudre qu’il n’y a eu nul aage depuis le commencement du monde, auquel le Seigneur n’ait eu son Eglise, et que jamais il n’adviendra qu’il n’en ait tousjours. Car combien que dés le commencement du monde tout le genre humain a esté corrompu et perverty par le péché d’Adam, si est-ce qu’il n’a jamais failly de sanctifier, de ceste masse corrompue, des instrumens en honneur : tellement qu’il n’y a nul siècle qui n’ait expérimenté sa miséricorde ; ce qu’il a testifié par certaines promesses : comme quand il dit, J’ay ordonné une alliance à mes esleus : j’ay juré à David mon serviteur, qu’éternellement je conserveray sa semence : j’establiray son siège à jamais Ps. 89.3-4. Item, le Seigneur a esleu Sion, il l’a esleue pour son habitacle ; c’est son repos éternel Ps. 132.13-14. Item, Voyci que dit le Seigneur, lequel fait luyre le soleil au jour, et la lune en la nuict, Quand cest ordre défaudra, lors périra la semence d’Israël, et non point devant Jér. 31.35-37.
4.1.18
Et de cela tant Jésus-Christ que les Apostres, et quasi tous les Prophètes nous ont monstré l’exemple. C’est une chose horrible à lire ce qu’escrivent Isaïe, Jérémie, Joël, Abacuc et les autres, du désordre qui estoit en l’Eglise de Jérusalem de leur temps. Il y avoit une telle corruption tant au commun peuple, qu’aux gouverneurs et aux Prestres, qu’Isaïe ne fait point difficulté de les appeler Princes de Sodome, et Peuple de Gomorrhe Esaïe 1.10. La religion mesmes en partie mesprisée, en partie contaminée. Quant aux mœurs, il y avoit force pillages, rapines, desloyautez, meurtres et autres meschancetez semblables. Néantmoins les Prophètes ne forgeoyent point nouvelles Eglises pour eux, et ne dressoyent point des autels nouveaux pour faire leurs sacrifices à part, mais quels que fussent les hommes, pource qu’ils réputoyent que Dieu avoit là mis sa Parole, et avoit ordonné les cérémonies dont on y usoit, au milieu des meschans ils adoroyent Dieu d’un cœur pur, et eslevoyent leurs mains pures au ciel. S’ils eussent pensé tirer de là quelque pollution, ils eussent plustost aimé cent fois mourir que de s’y mesler. Il n’y avoit doncques autre chose qui les induisist à demeurer en l’Eglise au milieu des meschans, que l’affection qu’ils avoyent de garder unité. Or si les saincts Prophètes ont fait conscience de s’aliéner de l’Eglise à cause des grans péchez qui régnoyent, et non point d’un seul homme, mais quasi de tout le peuple, c’est une trop grande outrecuidance à nous, de nous oser séparer de la communion de l’Eglise, incontinent que la vie de quelqu’un ne satisfait point à nostre jugement, ou mesmes ne correspond à la profession chrestienne.
4.1.19
Semblablement, quel a esté le temps de Jésus-Christ et de ses Apostres ? Toutesfois l’impiété désespérée des Pharisiens, et la vie dissolue du peuple ne les a point empeschez qu’ils n’usassent des mesmes sacrifices avec les autres, et qu’ils ne veinssent au temple pour adorer Dieu, et faire les prières solennelles en commun avec eux. Ce qu’ils n’eussent jamais fait, s’ils n’eussent sceu que ceux qui en pure conscience communiquent aux Sacremens de Dieu avec les meschans, ne sont point contaminez par leur compagnie. Si quelqu’un ne se contente point de l’exemple des Prophètes et Apostres, pour le moins qu’il acquiesce à l’authorité de Jésus-Christ. Pourtant sainct Cyprien parle très-bien disant ainsi : Combien qu’il y ait du mauvais grain en l’Eglise, ou des vaisseaux impurs, si ne nous faut-il point retirer de l’Eglise pourtant, mais plustost mettre peine que nous soyons bon froment et vaisseaux d’or ou d’argent. De rompre les vaisseaux de terre, c’est à Jésus-Christ seul, auquel la verge de fer a esté baillée pour ce faire Ps. 2.9 : que nul ne s’attribue ce qui appartient au seul Fils de Dieu, d’arracher l’yvroye, de nettoyer l’aire, et d’escourre la paille, pour les séparer du bon grain Matt. 3.12, par humain jugement ; c’est une obstination orgueilleuse, et une présomption plene de sacrilège[d]. Pourtant que ces deux points nous soyent résolus, que celuy qui de son bon gré abandonne la communion externe d’une Eglise, en laquelle la Parole de Dieu est preschée, et ses Sacremens sont administrez n’a nulle excuse. Secondement, que les vices des autres, encores qu’ils soyent en grand nombre, ne nous empeschent point que nous ne puissions là faire profession de nostre chrestienté, usans des Sacremens de nostre Seigneur en commun avec eux, d’autant qu’une bonne conscience n’est point blessée par l’indignité des autres, fust-ce mesmes du Pasteur : et les Sacremens de nostre Seigneur ne laissent point d’estre salutaires à un homme pur et entier, parce qu’ils sont receus des meschans et immondes.
[d] Lib. III, epist. V.
4.1.20
Leur chagrin et arrogance passe encores plus outre : pource qu’ils ne recognoissent nulle Eglise, qui ne soit pure des moindres taches du monde : mesmes se ruent fièrement sur les Pasteurs qui taschent à faire leur devoir, d’autant qu’en exhortant les fidèles à proufiter, ils les advertissent que toute leur vie ils seront entachez de quelque vice, et pour ceste cause les incitent à gémir devant Dieu, pour obtenir pardon. Car ces grans correcteurs leur reprochent que par ce moyen ils retirent le peuple de perfection. Or je confesse bien qu’en incitant les hommes à saincteté, on ne doit point estre froid ne lasche, mais qu’on y doit travailler à bon escient. Au reste, de faire à croire aux hommes, pendant qu’ils sont au chemin, que desjà ils sont accomplis, c’est les abruver d’une resverie diabolique. Et pourtant au Symbole la rémission des péchez est conjoincte bien à propos à l’Eglise : veu qu’elle ne se peut obtenir sinon de ceux qui sont membres de l’Eglise, comme dit le Prophète Esaïe 33.24. Il faut doncques que ceste Jérusalem céleste soit premièrement édifiée, en laquelle après ceste grâce ait lieu, c’est que de tous ceux qui en seront citoyens, leur iniquité sera effacée. Or je di qu’il faut qu’elle soit premièrement édifiée, non pas que l’Eglise puisse aucunement estre sans la rémission des péchez, mais d’autant que le Seigneur n’a point promis sa miséricorde, sinon en la communion des saincts. C’est doncques nostre première entrée en l’Eglise et au royaume de Dieu, que la rémission des péchez, sans laquelle nous n’avons aucune alliance ny appartenance avec Dieu : comme il est monstré par le Prophète Osée, En ce jour-là, dit le Seigneur, je feray alliance avec les bestes de la terre et les oiseaux du ciel. Je rompray arc et glaive : et feray cesser toute bataille de la terre, et feray dormir tous les homme sans crainte. Je feray alliance avec eux à tousjours, l’alliance sera en justice, en jugement, en miséricorde et en pitié Osée 2.18-19, nous voyons comment nostre Seigneur nous réconcilie à soy par sa miséricorde. Pareillement en un autre lieu, quand il prédit qu’il recueillera le peuple, lequel il avoit dissipé en son ire : Je les purgeray, dit-il, de toute iniquité en laquelle ils m’ont offensé Jér. 33.8. Pourtant nous sommes receus en la compagnie de l’Eglise de première entrée par le signe de lavement : dont il nous est monstré que nous n’avons nul accès en la famille de Dieu, sinon que premièrement par sa bonté nos ordures soyent nettoyées.
4.1.21
Et de faict, ce n’est pas pour un coup que par la rémission des péchez Dieu nous reçoit en son Eglise : mais aussi par icelle il nous y entretient et conserve. Car à quel propos nostre Seigneur nous feroit-il un pardon qui ne nous apporteroit nulle utilité ? Or est-il ainsi que la miséricorde de Dieu seroit vaine et frustratoire, si elle nous estoit pour une seule fois concédée. De laquelle chose un chacun fidèle se peut rendre tesmoignage, veu qu’il n’y a nul qui ne se sente en toute sa vie coulpable de beaucoup d’infirmitez, lesquelles ont besoin de la miséricorde de Dieu. Et de faict, non sans cause Dieu promet particulièrement à ses domestiques de leur estre toujours pitoyable, commandant que ce message leur soit journellement porté. Parquoy, comme nous sommes tousjours chargez, ce pendant que nous vivons, des reliques de péché, il est certain que nous ne pourrions consister une seule minute de temps en l’Eglise, si la grâce de Dieu ne nous subvenoit assiduellement en nous remettant nos fautes. Au contraire, le Seigneur a appelé les siens à salut éternel : ils doyvent doncques estimer que sa grâce est tousjours preste à leur faire merci de leurs offenses. Parquoy il faut tenir ce point résolu, que par la clémence de Dieu, moyennant le mérite de Jésus-Christ, par la sanctification de son Esprit, la rémission de nos péchez nous a esté faite, et nous est faite journellement, entant que nous sommes unis au corps de l’Eglise.
4.1.22
Et de faict, c’est pourquoy le Seigneur a donné les clefs à son Eglise, afin qu’elle eust la dispensation de ceste grâce pour nous en faire participans. Car quand Jésus-Christ a commandé à ses Apostres, et leur a donné la puissance de remettre les péchez Matt. 16.19 ; 18.18 ; Jean 20.23 : ce n’a pas esté seulement afin qu’ils desliassent ceux qui se convetiroyent à la foy chrestienne, et qu’ils feissent cela pour une fois : mais afin qu’ils exerçassent cest office continuellement envers les fidèles. Ce que sainct Paul enseigne, quand il escrit que Dieu a commis aux ministres de son Eglise l’ambassade de réconciliation, pour exhorter journellement le peuple à se réconcilier à Dieu au nom de Christ 2Cor. 5.19-20. Pourtant en la communion des saincts, les péchez nous sont remis continuellement par le ministère de l’Eglise, quand les Prestres et Evesques, ausquels ceste charge est commise, conferment les consciences des fidèles par les promesses de l’Evangile, et les certifient que Dieu leur veut faire pardon et merci : et cela tant en commun qu’en particulier, selon que la nécessité le requiert. Car il y en a d’aucuns si infirmes, qu’ils ont bien mestier qu’on les console à part et en privé : et sainct Paul ne dit pas que seulement en sermon public, mais aussi par les maisons il a enseigné le peuple en la foy de Jésus-Christ, admonestant un chacun de son salut Actes 20.20-21. Pourtant il nous faut yci observer trois choses. La première est, que quelque saincteté qui soit aux fidèles, néantmoins pendant qu’ils habitent en ce corps mortel, ils ne peuvent consister devant Dieu, sinon en ayant rémission de leurs péchez, d’autant qu’ils sont tousjours povres pécheurs. La seconde est, que ce bénéfice est donné à l’Eglise comme en garde, tellement que nous ne pouvons obtenir pardon de nos fautes devant Dieu, qu’en persévérant en la communion d’icelle. La troisième est, que ce bien nous est distribué et communiqué par les Ministres et Pasteurs, tant en la prédication de l’Evangile qu’aux Sacremens : et mesmes la puissance des clefs est principalement comprinse en cela. Pourtant l’office d’un chacun de nous est, de ne chercher la rémission de nos péchez ailleurs qu’où Dieu l’a mise. Touchant de la réconciliation publique qui appartient à la police, il sera dit en son lieu.
4.1.23
Or d’autant que ces esprits frénétiques dont je parle, s’efforcent d’oster à l’Eglise ceste retraite unique de salut, il nous faut d’avantage confermer les consciences à l’encontre de cest erreur si pestilent. Les Novatiens ont troublé l’Eglise ancienne de ceste fausse doctrine : mais nostre aage présent a quelques Anabaptistes, qui ne leur ressemblent point mal en ceste fantasie. Car ils imaginent que le peuple de Dieu est par le Baptesme régénéré en une vie pure et angélique, laquelle ne doit estre contaminée de macules aucunes de la chair. Et s’il advient qu’après le Baptesme ils déclinent, ils ne luy laissent nulle attente que la rigueur de Dieu inexorable. En somme, ils ne font nul espoir au pécheur qui est trébusché en faute, après avoir receu grâce de Dieu, d’obtenir pardon et merci. Car ils ne recognoissent autre rémission des péchez, sinon celle par laquelle nous sommes premièrement régénérez. Or combien qu’il n’y ait nul mensonge plus clairement réfuté en l’Escriture que cestuy-ci, néantmoins pource que telle manière de gens trouvent des simples personnes pour abuser (comme Novatus a eu anciennement plusieurs sectateurs) monstrons briefvement combien leur erreur est dangereux, tant pour eux que pour les autres. Premièrement, puis que par le commandement de Dieu tous les saincts usent journellement de ceste requeste, que leurs péchez leur soyent remis Matt. 6.12 : en cela ils confessent estre pécheurs. Et ne le demandent pas en vain : car le Seigneur Jésus ne nous a point ordonné de demander choses qu’il ne les nous vueille donner. Et mesmes ayant promis en général, que toute l’oraison qu’il nous a baillée seroit exaucée du Père, il donne une promesse spéciale pour ceste demande. Que voulons-nous d’avantage ? Le Seigneur veut que tous ses Saincts, de jour en jour en toute leur vie se confessent pécheurs, et leur promet pardon. Quelle audace est-ce doncques, ou de nier qu’ils soyent pécheurs, ou quand ils ont failly, les exclurre de toute grâce ? D’avantage, à qui veut-il que nous pardonnions septante fois sept fois Matt. 18.22, c’est-à-dire toutes fois et quantes ? N’est-ce pas à nos frères ? Et pourquoy veut-il cela, sinon afin que nous ensuyvions sa clémence ? Il pardonne doncques non pas pour un coup ou deux, mais à chacunes fois que le povre pécheur estant abattu et navré de la recognoissance de ses fautes, soupire après luy.
4.1.24
Et afin que nous commencions dés l’origine de l’Eglise, les Patriarches estoyent circoncis, receus en l’alliance de Dieu : et n’y a point de doute qu’ils ne fussent ainsi enseignez par leur père de suyvre justice et intégrité, quand ils conspirèrent à tuer leur frère ; c’estoit un crime abominable, voire aux plus désespérez brigans du monde. En la fin estans adoucis pas l’admonition de Juda, ils le vendirent Gen. 37.18, 28 : mais c’estoit encores une cruauté intolérable. Siméon et Lévi meurtrirent tout le peuple de Sichem, pour faire la vengence de leur sœur : laquelle ne leur estoit licite : et de faict, fut condamnée par leur père Gen. 34.25, 30. Ruben commit un inceste exécrable avec la femme de son père Gen. 35.22. Juda voulant paillarder contrevint à l’honnesteté de nature, ayant compagnie de sa belle-fille Gen. 38.18. Or tant s’en faut qu’ils soyent effacez d’entre le peuple esleu, qu’ils sont au contraire constituez pour chefs. Que dirons-nous de David ? lequel estant chef de justice, combien offensoit-il griefvement, voulant satisfaire à sa paillardise en espandant le sang innocent 2Sam. 11.4, 15 ? Il estoit desjà régénéré, et avoit eu mesmes par-dessus les autres enfans de Dieu excellent tesmoignage. Il commit néantmoins une meschanceté, dont les Payens mesmes eussent eu horreur ; cela ne fait point qu’il n’obtiene merci 2Sam. 12.13. Et afin de ne nous arrester par trop aux exemples particuliers, combien avons-nous de promesses de la miséricorde de Dieu envers les Israélites. Combien de fois y est-il monstré que le Seigneur leur a tousjours esté propice ? Car qu’est-ce que promet Moyse au peuple, quand il se retournera à Dieu après avoir décliné en idolâtrie, et abandonné le Dieu vivant ? Le Seigneur, dit-il, te retirera de captivité, et aura pitié de toy, et te rassemblera d’entre le peuple où tu auras esté dispersé. Si tu estois espars aux quatre bouts du monde, il te recueillira Deu. 30.3-4.
4.1.25
Mais je ne veux point commencer à faire un récit qui n’auroit jamais fin. Car les Prophètes sont pleins de telles promesses, esquelles ils présentent miséricorde au peuple qui avoit commis crimes infinis. Quelle iniquité y a-il plus griefve que rébellion ? Pour ceste cause elle est nommée divorce entre Dieu et son Eglise ; et néantmoins icelle est pardonnée par la bonté de Dieu. Qui est l’homme, dit-il par la bouche de Jérémie, duquel si la femme s’abandonne à paillardise, il la vueille après recevoir ? Or tous les chemins sont infects de tes paillardises, peuple de Judée, la terre en est toute plene : néantmoins retourne-toy à moy, et je te recevray. Revien à moy, peuple rebelle et obstiné, je ne destourneray point ma face de toy : car je suis sainct, et ne sera point mon courroux perpétuel Jér. 3.1, 2, 12. Et certes il n’y pourroit avoir autre affection en celuy qui dit qu’il ne désire pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive Ezéch. 18.23, 32. Pourtant Solomon, en dédiant le Temple le destinoit à cest usage, que les oraisons faites pour obtenir pardon des péchez y fussent exaucées : Quand tes enfans, dit-il, auront péché (comme il n’y a nul homme qui ne pèche) et qu’en ton ire tu les ayes livrez à tes ennemis, et puis qu’ils se soyent repentis en leurs cœurs, et estans convertis te prient en leur captivité disans, Seigneur, nous avons péché, et avons mal vescu : et qu’ainsi supplians, ils regardent vers la terre que tu as donnée à leurs pères, et vers ton sainct Temple où nous sommes : tu exauceras du ciel leurs prières, et sera propice à ton peuple lequel t’aura offensé : et luy pardonneras toutes les transgressions qu’il aura commises contre toy 1Rois 8.46-49. Ce n’a pas aussi esté en vain, que Dieu en sa Loy a ordonné sacrifices ordinaires pour les péchez entre son peuple Nomb. 28.3 ; car s’il n’eust cognu que ses serviteurs sont assiduellement entachez de vices, il ne leur eust point baillé ce remède.
4.1.26
Or je demande si par la venue de Christ, en laquelle toute plénitude de grâce a esté desployée, cela, a esté osté aux fidèles, de n’oser plus prier pour obtenir pardon de leurs fautes : et quand ils auront offensé Dieu, de ne trouver nulle miséricorde. Et que seroit-ce là à dire autre chose, sinon que Christ est venu pour la ruine des siens, plustost que pour le salut, si la bénignité de Dieu, qui estoit tousjours appareillée aux saincts en l’Ancien Testament, est maintenant ostée du tout ? Mais si nous adjoustons foy à l’Escriture, laquelle crie haut et clair que la grâce de Dieu et l’amour qu’il porte aux hommes est plenement apparue en Christ, que les richesses de sa miséricorde ont esté en luy desployées, et la réconciliation avec les hommes accomplie Tite 2.11 ; 3.4 ; 2Tim. 1.9, il ne nous faut douter que sa clémence ne nous soit maintenant plustost exposée en plus grande abondance, qu’accourcie et diminuée. De quoy aussi nous avons les exemples à l’œil. Sainct Pierre, qui avoit ouy de la bouche de Jésus-Christ, que quiconques ne confesseroit son nom devant les hommes, ne seroit point de luy recognu devant les Anges du ciel Matt. 10.33 ; Marc 8.38, le renonça trois fois, voire avec blasphème mesmes Matt. 26.69-74 ; néantmoins il n’est point débouté d’avoir grâce. Ceux qui vivoyent désordonnément entre les Thessaloniciens, sont tellement chastiez de sainct Paul qu’il les convie à repentance 2Thess. 3.6, 11-12. Mesmes sainct Pierre ne met point en désespoir Simon le Magicien, mais plustost luy donne bonne espérance, luy conseillant de prier Dieu pour son péché Actes 8.22.
4.1.27
Qui plus est, n’y a-il pas eu de grosses fautes, qui ont autresfois occupé toute une Eglise entièrement ? Qu’est-ce que faisoit sainct Paul en cest endroict, sinon de réduire plustost tout le peuple en bonne voye, que l’abandonner en extrême malédiction ? Le révoltement qu’avoyent fait les Galatiens de l’Evangile Gal. 1.6 ; 3.1 ; 4.9, n’estoit pas une légère faute. Les Corinthiens estoyent encores moins excusables qu’eux, d’autant qu’ils avoyent plus de vices et autant énormes 2Cor. 12.21 : néantmoins ne les uns ne les autres ne sont exclus de la bonté de Dieu. Mais au contraire, ceux qui avoyent plus griefvement offensé que les autres par paillardise, impudicité et toute vilenie, nommément sont appelez à repentance. Car l’alliance que nostre Seigneur a faite avec Christ et tous ses membres, demeure et demeurera tousjours inviolable : c’est asçavoir quand il dit, S’il advient que ses enfans délaissent ma Loy, et ne cheminent point en mes préceptes, s’ils profanent ma justice, et ne gardent point ma doctrine, je visiteray avec verges leurs iniquitez, et leurs péchez avec chastiment : toutesfois ma miséricorde n’en départira point Ps. 89.30-34. Finalement par l’ordre du Symbole il nous est monstré que ceste grâce et clémence demeure et réside tousjours en l’Eglise : d’autant qu’après avoir constitué l’Eglise, la rémission des péchez est conséquemment adjoustée. Pourtant il faut qu’elle ait lieu en ceux qui en sont.
4.1.28
Aucuns un peu plus subtils, quand ils voyent la doctrine des Novatiens estre si clairement réprouvée par l’Escriture, ne font point chacun péché irrémissible, mais seulement les transgressions volontaires, esquelles un homme sera cheut de son propre sceu et vouloir. Or en parlant ainsi, ils ne pensent point qu’aucun péché se remette, sinon celuy qui aura esté commis par ignorance. Mais puis que le Seigneur en la Loy a ordonné aucuns sacrifices pour effacer les péchez volontaires de son peuple, les autres pour purger les ignorances : quelle témérité est-ce de ne laisser nulle espérance de pardon à un péché volontaire ? Je maintien qu’il n’y a rien plus clair que cela : c’est que le sacrifice unique de Jésus-Christ a la vertu de remettre les péchez volontaires des fidèles, veu que Dieu par les hosties charnelles l’a ainsi tesmoigné, lesquelles en estoyent figures. D’avantage qui excusera David sous couleur d’ignorance, veu que c’est chose notoire qu’il estoit si bien instruit en la Loy ? Ne sçavoit-il pas quel crime c’estoit d’adultère et homicide, luy qui les punissoit tous les jours en ses sujets ? Les Patriarches pensoyent-ils que ce fust chose bonne et honneste de meurtrir leur frère ? Les Corinthiens avoyent-ils si mal proufité, qu’ils estimassent incontinence, paillardise, haine, contention, estre plaisante à Dieu ? Sainct Pierre, après avoir esté si diligemment admonesté, ignoroit-il quelle faute c’estoit de renoncer son maistre ? Ne fermons point doncques par nostre inhumanité la porte à la miséricorde de Dieu, laquelle si libéralement se présente à nous.
4.1.29
Ce ne m’est pas chose incognue, qu’aucuns anciens Docteurs ont interprété les péchez qui se remettent journellement, estre les fautes légères qui survienent par l’infirmité de la chair. D’avantage qu’il leur a semblé advis que la pénitence solennelle, laquelle estoit lors requise pour les grandes offenses, ne se devoit non plus réitérer que le Baptesme. Laquelle sentence ne se doit tellement prendre, comme s’ils eussent voulu jetter en désespoir celuy qui estoit retombé depuis avoir esté une fois receu à repentance : ou bien qu’ils eussent voulu amoindrir les fautes quotidiennes, comme petites devant Dieu. Car ils sçavoyent bien que les Saincts trébuschent ou chancellent souvent en quelque infidélité, qu’il leur advient de jurer sans mestier, de se courroucer outre mesure, voire aucunesfois venir jusques à injures manifestes, et cheoir en d’autres vices que nostre Seigneur n’a pas en petite abomination : mais ils usoyent de ceste manière de parler, afin de mettre différence entre les fautes privées, et les crimes publiques qui emportoyent grans scandales en l’Eglise. D’avantage, ce qu’ils pardonnoyent avec si grande difficulté à ceux qui avoyent commis quelque cas digne de correction ecclésiastique, n’estoit pas qu’ils pensassent que les pécheurs obteinssent difficilement pardon de Dieu : mais par telle sévérité ils vouloyent donner frayeur aux autres, afin qu’ils ne cheussent point en telles offenses dont ils méritassent d’estre excommuniez de l’Eglise. Combien que la Parole de Dieu, laquelle nous devons seule yci tenir pour nostre reigle, requiert une plus grande modération et humanité. Car elle enseigne que la rigueur de la discipline ecclésiastique ne doit point aller jusques-là, que celuy dont on doit chercher le proufit, soit accablé de tristesse : comme nous avons plus amplement monstré ci-dessus.
Chapitre II
Comparaison de la fausse Eglise avec la vraye.
4.2.1
Il a desjà esté exposé quelle importance doit avoir entre nous le ministère de la Parole de Dieu et des Sacremens, et jusques où nous luy devons porter cest honneur, pour le tenir comme enseigne et marque de l’Eglise : c’est-à-dire, que par tout où il est en son entier, il n’y a nuls vices touchant les mœurs, qui empeschent que là il n’y ait Eglise. Secondement, qu’encores qu’il y ait quelques petites fautes, ou en la doctrine, ou aux Sacremens, qu’iceluy ne laisse point d’avoir sa vigueur. D’avantage il a esté monstré que les erreurs ausquels on doit ainsi pardonner, sont ceux qui ne touchent point la principale doctrine de nostre religion, et ne contrevienent aux articles de la foy, esquels doyvent consentir tous fidèles. Et quant aux Sacremens, que les fautes qu’on peut tolérer, sont celles qui n’abolissent point et ne renversent l’institution du Seigneur. Mais s’il advient que le mensonge s’eslève pour destruire les premiers points de la religion chrestienne, et destruire ce qui est nécessaire d’entendre des Sacremens, en sorte que l’usage en soit anéanty, lors s’ensuyt la ruine de l’Eglise, tout ainsi que c’est fait de la vie de l’homme, quand le gosier est coupé, ou que le cœur est navré. Ce que monstre sainct Paul, quand il dit que l’Eglise est fondée sur la doctrine des Prophètes et des Apostres, Jésus-Christ estant la principale pierre Eph. 2.20. Si le fondement de l’Eglise est la doctrine des Apostres et des Prophètes, laquelle enseigne les fidèles de constituer leur salut en Christ, qu’on oste ceste doctrine, comment l’édifice pourra-il demeurer debout ? Il est doncques nécessaire que l’Eglise déchée, quand la doctrine laquelle seule la soustient, est renversée. D’avantage, si la vraye Eglise est colonne et firmament de vérité 1Tim. 3.15, il n’y a point de doute que ce n’est pas l’Eglise où règne la fausseté et le mensonge.
4.2.2
Or puis que cela est en toute la Papauté, il est facile de juger quelle Eglise il y reste. Au lieu du ministère de la Parole, il y a un gouvernement pervers et confit de mensonges, lequel esteint ou estouffe la pure clairté de la doctrine. Au lieu de la sacrée Cène de nostre Seigneur, il y a un sacrilège exécrable. Le service de Dieu y est du tout desfiguré par diverse forme de superstitions. La doctrine, sans laquelle la Chrestienté ne peut consister, y est ensevelie ou rejettée. Les assemblées publiques sont escholes d’idolâtrie et impiété. Il ne faut point doncques craindre qu’en nous retirant de la participation de ces sacrilèges, nous facions divorce avec l’Eglise de Dieu. La communion de l’Eglise n’a pas esté instituée à telle condition, qu’elle nous soit un lien pour nous astreindre à idolâtrie, impiété, ignorance de Dieu, et autres meschancetez, mais plustost pour nous entretenir en la crainte de Dieu, et en l’obéissance de sa vérité. Je sçay bien que les flatteurs du Pape magnifient grandement leur Eglise, pour faire à croire qu’il n’y en a point d’autre au monde. Puis après, comme s’ils avoyent gaigné leur procès, ils concluent que tous ceux qui se destournent de l’obéissance d’icelle, sont schismatiques : et que tous ceux qui osent ouvrir la bouche pour répugner à la doctrine d’icelle sont hérétiques. Mais par quelle raison prouvent-ils qu’ils ayent la vraye Eglise ? ils allèguent des histoires anciennes, ce qui a esté autresfois en Italie, en Espagne et en la Gaule, et qu’ils sont descendus de ces saincts personnages, qui ont esté les premiers fondateurs des Eglises en tous ces pays-là, et qui ont enduré mort et passion pour la confirmation de leur doctrine. Pourtant que l’Eglise ayant ainsi esté consacrée entre eux, tant par les dons spirituels de Dieu, que par le sang des saincts Martyrs, a esté conservée par succession perpétuelle des Evesques, à ce qu’elle ne décheust pas. Ils allèguent combien Irénée, Tertullien, Origène et sainct Augustin, et les autres anciens Docteurs ont estimé ceste succession. Toutesfois quiconques me voudra prester l’aureille, je luy monstreray clairement combien toutes ces allégations sont frivoles. J’exhorteroye aussi bien ceux qui les mettent en avant, d’appliquer leurs esprits à ce que je leur diray, si je pensoye proufiter quelque chose par les enseigner : mais pource que sans avoir aucun esgard à la vérité, ils ne cherchent autre chose qu’à maintenir leur proufit particulier, je parleray seulement pour les bons, et ceux qui ont désir de cognoistre la vérité, et leur monstreray comment ils se pourront despescher de toutes ces cavillations. Premièrement, je demande à nos adversaires, pourquoy c’est qu’ils ne nous mettent en avant l’Afrique, l’Egypte et toute l’Asie. Il n’y a autre cause sinon d’autant que ceste succession des Evesques y est faillie par le moyen de laquelle ils se vantent que l’Eglise a esté conservée entre eux. Ils revienent doncques à ce point-là, qu’ils ont la vraye Eglise, d’autant que jamais elle n’a esté destituée d’Evesques, depuis qu’elle a commencé d’estre, veu que les uns ont succédé aux autres par un ordre perpétuel. Mais que sera-ce, si je leur allègue d’autre costé la Grèce ? Je leur demande doncques derechef, pourquoy c’est qu’ils disent que l’Eglise est périe en Grèce : entre lesquels ceste succession, laquelle selon leur fantasie est le seul moyen de conserver l’Eglise, n’a jamais cessé, mais a tousjours duré sans interruption. Ils font les Grecs schismatiques. A quel tiltre ? Pourtant, disent-ils, qu’en se révoltant du sainct siège apostolique de Rome, ils ont perdu leur privilège. Mais quoy ? ceux qui se révoltent de Jésus-Christ, ne méritent-ils pas beaucoup plus de le perdre ? De là il s’ensuyt que la couverture qu’ils prétendent de leur succession, est vaine, sinon qu’ils retienent la vérité de Jésus-Christ en son entier, selon qu’ils l’ont receue des Pères.
4.2.3
Ainsi il appert que les défenseurs de l’Eglise romaine ne prétendent aujourd’huy autre chose que ce qu’amenoyent anciennement les Juifs, quand les Prophètes de Dieu les rédarguoyent d’aveuglement, d’impiété et idolâtrie. Car comme iceux se vantoyent du Temple, des cérémonies et de l’estat de prestrise, ausquelles choses ils pensoyent que l’Eglise fust située : pareillement ceux-ci, au lieu de l’Eglise nous mettent en avant je ne sçay quelles masques, lesquelles souvent peuvent estre où l’Eglise ne sera point, et sans lesquelles l’Eglise peut très-bien consister. Pourtant il ne me faut user d’autre argument pour les repousser, que de celuy dont usoit Jérémie pour abatre ceste vaine confiance des Juifs : asçavoir qu’ils ne se glorifient point en paroles de mensonge, disant, C’est le temple du Seigneur, c’est le temple du Seigneur, c’est le temple du Seigneur Jér. 7.4. Car Dieu ne recognoist point pour son temple, un lieu où sa Parole ne soit ouye et honorée. Pour ceste cause, combien que la gloire de Dieu fust anciennement au temple entre les Chérubins Ezéch. 10.4, et qu’il eust promis d’avoir là son siège perpétuel, néantmoins quand les Sacrificateurs eurent corrompu son service par superstitions, il s’en départit et laissa le lieu sans aucune gloire. Si ce temple-là, lequel sembloit advis estre dédié à une perpétuelle résidence de Dieu, a peu estre abandonné de luy et devenir profane, il ne nous faut point imaginer que Dieu soit tellement attaché aux lieux ou aux personnes, ou lié à des cérémonies externes, qu’il soit comme contraint de demeurer avec ceux qui ont seulement le tiltre et apparence d’Eglise Rom. 9.6. Et c’est le combat qu’a sainct Paul en l’épistre aux Romains, depuis le neufième chapitre jusques au douzième. Car cela troubloit fort les consciences infirmes, que les Juifs, qui sembloyent estre le peuple de Dieu, non-seulement rejettoyent l’Evangile, mais aussi le persècutoyent. Pourtant après avoir traitté la doctrine, il respond à ceste difficulté, en niant que les Juifs qui estoyent ennemis de la vérité, fussent l’Eglise : combien que rien ne leur défaillist de tout ce qui est requis en apparence extérieure : et n’allègue autre raison que ceste-là, pource qu’ils ne reçoyvent point Jésus-Christ. Il parle encores plus expressément en l’épistre aux Galates, où en faisant comparaison d’Isaac avec Ismaël, il dit que plusieurs occupent lieu en l’Eglise, ausquels toutesfois l’héritage n’appartient point, pource qu’ils n’ont point esté engendrez d’une mère franche et libre. Et de là il descend à mettre en avant deux Jérusalem opposites l’une à l’autre Gal. 4.22 : pource que comme la Loy a esté publiée en la montagne de Sinaï, et l’Evangile est sorti de Jérusalem, aussi plusieurs estans nais et nourris en doctrine servile, se vantent hardiment d’estre enfans de Dieu et de l’Eglise, mesmes n’estans que semence bastarde, mesprisent les vrays enfans de Dieu et légitimes. Or quant à nous, puis qu’il a esté une fois prononcé du ciel, Que la chambrière soit exterminée avec ses enfans Gen. 21.10 : estans munis de ce décret inviolable, foulions aux pieds toutes leurs sottes vanteries. Car s’ils s’enorgueillissent en leur profession externe, Ismaël de son costé estoit circoncis : s’ils se fondent sur l’ancienneté, il estoit premier-nay de la maison d’Abraham : nous voyons toutesfois qu’il en est retranché. Si on demande la cause, sainct Paul nous l’assigne : c’est que nous ne devons réputer pour droicts enfans de Dieu, sinon ceux qui sont engendrez de la pure semence de la Parole, pour les rendre légitimes. Selon ceste raison, Dieu déclaire qu’il n’est nullement obligé aux meschans sacrificateurs : veu qu’il avoit fait paction avec leur père Lévi, qu’il luy serviroit d’Ange ou messager. Mesmes il retourne contre eux leur fausse gloire, en laquelle ils s’eslevoyent contre les Prophètes : c’est que la dignité de prestrise doit estre singulièrement prisée et honorée. Ce qu’il leur confesse volontiers : mais c’est pour rendre leur cause tant pire, veu qu’il est prest de garder fidèlement ce qu’il a promis de son costé. Mais eux n’en tienent conte : et ainsi méritent par leur desloyauté d’estre rejettez. Voylà que vaut la succession des pères aux enfans, s’il n’y a un train continuel et conformité, qui monstre que les successeurs ensuyvent ceux qui les ont précédez. Quand cela n’y est point, il faut que ceux qui seront convaincus de s’estre abastardis de leur origine, soyent déboutez de tout honneur : sinon qu’on vueille donner le tiltre et l’authorité de l’Eglise à la synagogue si perverse et meschante comme elle estoit du temps de Jésus-Christ, sous ombre que Caïphe avoit succédé à beaucoup de bons Sacrificateurs, mesmes que depuis Aaron jusques à luy la succession avoit persévéré. Or tant s’en faut que cela ait lieu, que mesmes aux gouvernemens terrestres il ne seroit point supportable. Comme il n’y a nul propos de dire que la tyrannie de Caligula, Néron, Héliogabale et leurs semblables, soit le vray estat de la cité de Rome, pource qu’ils ont succédé aux bons gouverneurs qui estoyent establis par le peuple. Sur tout il n’y a rien plus frivole, que d’amener pour le régime de l’Eglise la succession des personnes, en oubliant la doctrine. Et mesmes les saincts Docteurs, lesquels ces canailles nous objectent faussement, n’ont rien moins prétendu que de vouloir prouver qu’il y eust droict héréditaire d’Eglise par tout où les Evesques ont succédé les uns aux autres. Mais pource que c’estoit une chose notoire et sans doute, que depuis l’aage des Apostres jusques à leur temps, il ne s’estoit fait nul changement de doctrine ny à Rome, ny aux autres villes : ils prenent ceci comme un principe suffisant : à renverser tous erreurs qui s’estoyent eslevez de nouveau : c’est qu’ils estoyent répugnans à la vérité, laquelle avoit esté constamment gardée et maintenue d’un commun accord depuis le temps des Apostres. Ces brouillons doncques ne proufiteront rien, en fardant leur synagogue du tiltre d’Eglise. De nostre part ce nom nous est honorable : mais il est question de distinguer et sçavoir que c’est d’Eglise. En quoy non-seulement ils se trouvent empeschez, mais plongez en leur bourbier : pource qu’au lieu de la saincte Espouse de Jésus-Christ, ils nous supposent une paillarde puante et infecte. Or afin qu’un tel desguisement ne nous trompe, ayons mémoire de cest advertissement de sainct Augustin entre beaucoup d’autres : c’est qu’il dit que l’Eglise est quelquesfois obscurcie, et comme enveloppée des grosses nuées et espesses, sous multitude de scandales : quelquesfois elle apparoist libre et tranquille : quelquesfois elle est troublée et couverte de grans flots d’afflictions et tentations[a]. Et puis il produit pour exemple, que souvent ceux qui estoyent les plus fermes colomnes estoyent bannis pour la foy, ou bien se tenoyent cachez çà et là en régions escartées.
[a] Ad Vincent., epist XLVIII
4.2.4
Semblablement aujourd’huy les défenseurs du siège romain nous importunent, et estonnent les rudes et ignorans du nom de l’Eglise : comme ainsi soit que Jésus-Christ n’ait point de plus grans ennemis que le Pape et tous les siens. Combien doncques qu’ils nous allèguent le Temple, la Prestrise, et toutes autres telles masques, cela ne nous doit point esmouvoir pour nous faire concéder qu’il y ait Eglise où il n’y apparoist point de Parole de Dieu. Car voyci une enseigne perpétuelle, de laquelle le Seigneur a marqué les siens : Qui est de la vérité, dit-il, il oit ma voix Jean 18.37. Item, Je suis le bon Pasteur : je cognoy mes brebis, et elles me cognoissent. Mes brebis oyent ma voix, et Je les recognoy, et elles me suyvent Jean 10.14, 27. Or un peu au paravant il avoit dit que les brebis suyvent leur Pasteur, d’autant qu’elles cognoissent sa voix Jean 10.4 : qu’elles ne suyvent point un estranger, mais qu’elles s’enfuyent arrière, pource qu’elles ne cognoissent point la voix des estrangers. Pourquoy doncques errons-nous à nostre escient en cherchant l’Eglise, veu que Jésus-Christ nous en a donné une marque qui n’est point douteuse ? Laquelle ne nous peut tromper partout où nous la verrons, qu’elle ne nous rende certains que là il y a Eglise : comme partout où elle n’est point, il n’y peut rien avoir qui nous donne vraye signification d’Eglise. Car sainct Paul dit que l’Eglise est fondée, non point sur l’opinion des hommes, non point sur la prestrise, mais sur la doctrine des Prophètes et des Apostres Eph. 2.20. Qui plus est, il nous faut discerner Jérusalem de Babylone : l’Eglise de Dieu, de la congrégation des infidèles et meschans, par la seule différence que Jésus-Christ y a mise, en disant que celuy qui est de Dieu oit la parole de Dieu : au contraire que celuy qui ne la veut point ouyr, n’est point de Dieu Jean 8.47. En somme, puisque l’Eglise est le règne de Christ, et qu’il est ainsi que Jésus-Christ ne règne que par sa Parole, qui est-ce qui doutera que ce ne soyent paroles de mensonge, quand on veut faire à croire que le règne de Jésus-Christ est où son sceptre n’est point ? c’est-à-dire ceste saincte Parole par laquelle seule il gouverne.
4.2.5
Touchant ce qu’ils nous accusent d’hérésie et de schisme, pource que nous preschons une doctrine diverse de la leur, et n’obéissons point à leurs loix et statuts, et avons nos assemblées à part, tant pour faire les prières publiques que pour administrer les Sacremens : c’est bien une griefve accusation, mais elle n’a point mestier de longue défense. On appelle hérétiques et schismatiques ceux qui en faisant un divorce en l’Eglise, rompent l’union d’icelle. Or ceste union consiste en deux liens : asçavoir qu’il y ait accord en saine doctrine : et qu’il y ait charité fraternelle. Pour laquelle raison sainct Augustin distingue entre les hérétiques et schismatiques, disant que les premiers sont ceux qui corrompent la pure vérité par fausse doctrine : les seconds, sont ceux qui se séparent de la compagnie des fidèles, combien qu’ils ayent autrement convenance avec eux en la foy[b]. Mais il faut aussi noter ce point, que la conjonction que nous devons avoir en charité, dépend tellement de l’unité de foy, que ceste-ci en est le fondement, la fin et la reigle d’icelle. Pourtant qu’il nous souviene que quand l’unité de l’Eglise nous est recommandée de Dieu, par cela n’est entendu autre chose, sinon que comme nous convenons, quant à la doctrine, en Jésus-Christ, aussi qu’en luy nos affections soyent conjoinctes en bonne amour. Pourtant sainct Paul nous exhortant à union, prend pour son fondement qu’il n’y a qu’un Dieu, une foy et un Baptesme Eph. 4.5. Et mesmes là où il nous enseigne d’estre d’accord tant en doctrine qu’en volontez, il adjouste quant et quant, que cela soit en Jésus-Christ Phil. 2.2, 5 ; Rom. 15.5 : signifiant que tout accord qui se fait hors la Parole de Dieu, est une faction d’infidèles, et non point consentement de fidèles.
[b] Lib. Quæst. Evang. secundum Matth.
4.2.6
Sainct Cyprien semblablement en suyvant sainct Paul, proteste que la source de toute l’unité de l’Eglise est en cela, que Jésus-Christ soit seul Evesque. Puis il adjouste conséquemment, qu’il n’y a qu’une seule Eglise laquelle est espandue au long et au large : comme il y a plusieurs rayons du soleil, mais la clairté n’est qu’une : et en un arbre il y a beaucoup de branches, mais il n’y a qu’un tronc qui est appuyé sur sa racine : et d’une seule fontaine découlent plusieurs ruisseaux, qui n’empeschent point toutesfois que l’unité ne demeure en la source. Qu’on sépare les rayons du corps du soleil, l’unité qui est là ne souffre aucune division : qu on coupe la branche d’un arbre, et elle seichera ; ainsi l’Eglise estant illuminée de la clairté de Dieu, est espandue par tout le monde. Néantmoins il y a une seule clairté qui s’estend par tout, et l’unité du corps n’est point séparée[c]. Après avoir dit cela, il conclud que toutes hérésies et schismes provienent de ce qu’on ne se retourne point à la source de vérité, qu’on ne cherche point le Chef, et qu’on ne regarde point la doctrine du Maistre céleste. Maintenant que les advocats du Pape crient que nous sommes hérétiques, d’autant que nous avons abandonné leur Eglise : comme ainsi soit que la seule cause de l’abandonner ait esté, pource qu’on n’y souffre nullement que la vérité y soit preschée. Je laisse cela encores, qu’ils nous en ont chassez avec leur foudre d’excommunication : laquelle seule raison néantmoins est suffisante pour nous absoudre : sinon qu’ils vueillent condamner les Apostres comme schismatiques avec nous, veu que la cause est semblable. Je di que Jésus-Christ a prédit à ses Apostres, qu’on les jetteroit hors des Synagogues à cause de son nom Jean 16.2. Or ces Synagogues-là estoyent réputées vrayes Eglises et légitimes pour le temps. Puis doncques qu’il appert que nous avons esté jettez hors de l’Eglise du Pape, et que sommes prests de monstrer que cela nous est advenu pour le nom de Christ, il faut enquérir de la cause devant qu’on détermine rien de nous en une part ou en l’autre. Mais encores je leur quitte ce point-là, s’ils veulent : car il me suffit bien de ceste raison, qu’il nous estoit nécessaire de nous eslongner d’eux pour approcher de Christ.
[c] De simplicitate praelatorum.
4.2.7
Mais il apparoistra encores plus évidemment en quelle réputation nous doyvent estre toutes les Eglises, lesquelles sont sujettes à la tyrannie du Pape, en les accomparant avec l’Eglise ancienne d’Israël, selon qu’elle nous est descrite par les Prophètes. Lorsque les Juifs et les Israélites gardoyent purement l’alliance de Dieu, il y avoit vraye Eglise entre eux : d’autant que par la grâce de Dieu ils avoyent les choses esquelles consiste la vraye Eglise : ils avoyent la doctrine de vérité comprinse en la Loy, laquelle estoit preschée par les Sacrificateurs et Prophètes. Ils estoyent receus en l’Eglise par le signe de la Circoncision. Les autres Sacremens leur estoyent exercices pour les confermer en la foy. Pour ce temps-là il n’y a doute que toutes les louanges dont nostre Seigneur a honoré son Eglise, ne leur appartinssent. Mais depuis qu’en déclinant de la Loy de Dieu ils se destournèrent à idolâtrie et superstition, ils furent privez en partie d’une telle dignité. Car qui oseroit oster le titre d’Eglise à ceux ausquels Dieu a commis sa Parole et l’usage de ses Sacremens ? D’autre part, qui oseroit simplement et sans nulle exception donner le nom d’Eglise à une assemblée, en laquelle la Parole de Dieu seroit apertement foullée aux pieds : et la prédication de la vérité, qui est la principale force et quasi l’âme de l’Eglise, seroit dissipée ?
4.2.8
Quoy doncques ? dira quelqu’un : n’y a-il plus eu nulle portion d’Eglise entre les Juifs, depuis qu’ils ont décliné à idolâtrie ? La response est facile. Premièrement, je di qu’ils ne sont pas trébuschez du premier coup en extrémité, mais sont allez en décadence par certains degrez. Qu’ainsi soit, nous ne dirons point que la faute d’Israël et de Juda fust égale, quand ils commencèrent premièrement à se destourner du pur service de Dieu. Quand Jéroboam forgea les veaux contre la défense expresse de Dieu, et print un lieu pour sacrifier qu’il n’estoit pas licite de prendre, il corrompit du tout la religion en Israël 1Rois 12.28. Les Juifs se contaminèrent par mauvaise vie et par opinions superstitieuses, devant qu’avoir aucune idolâtrie externe. Car combien que du temps de Roboam ils avoient desjà introduit plusieurs cérémonies perverses : toutesfois pource que la doctrine de la Loy, l’ordre de prestrise, et les cérémonies telles que Dieu les avoit instituées, demeuroyent encores en Jérusalem, les fidèles avoyent là un estat passable d’Eglise. En Israël, depuis Jéroboam jusques au règne d’Achab, il n’y eut nul amendement ; mesmes depuis ce temps-là ces choses allèrent de mal en pis. Ses successeurs, jusques à ce que le Royaume fust destruit, furent en partie semblables à luy : et ceux qui vouloyent estre meilleurs, suyvoyent l’exemple de Jéroboam. Quoy qu’il soit, tous ensemble estoyent meschans idolâtres. En Judée, il y eut beaucoup de changemens. Car aucuns des Rois corrompoyent le service de Dieu par fausses superstitions : les autres s’efforçoyent de réformer les abus qui y estoyent survenus. En la fin, les Prestres mesmes polluèrent le temple de Dieu d’idolâtrie toute patente.
4.2.9
Maintenant que les Papistes nient s’ils peuvent, comment qu’ils taschent d’excuser leurs vices, que l’esprit de l’Eglise ne soit aussi corrompu et dépravé entre eux, comme il a esté au Royaume d’Israël sous Jéroboam. Or leur idolâtrie est plus lourde beaucoup, et ne sont point une seule goutte plus purs en doctrine, voire s’ils n’y sont plus impurs. Dieu m’est tesmoin, et aussi seront tous ceux qui auront quelque droict jugement, que je n’amplifie rien en cest endroict : et la chose aussi le démonstre. Or quand ils nous veulent contraindre à la communion de leur Eglise, ils requièrent deux choses de nous. La première est, que nous communiquions à toutes leurs prières, Sacremens et cérémonies. La seconde, que tout ce que Jésus-Christ attribue d’honneur, de puissance et jurisdiction à son Eglise, nous l’attribuyons à la leur. Quant au premier, je confesse que les Prophètes qui ont esté en Jérusalem du temps que l’estat public estoit desjà là fort dépravé, n’ont point sacrifié à part, et n’ont point fait des assemblées séparées des autres pour prier. Car ils avoyent le commandement de Dieu, par lequel il leur estoit ordonné de venir au temple de Solomon Deut. 12.13-14. Ils sçavoyent que les Prestres lévitiques, combien qu’ils fussent indignes d’un tel office, néantmoins pource qu’ils avoyent esté ordonnez de Dieu, et n’estoyent point encores déposez, devoyent estre recognus pour ministres légitimes, ayans le degré de prestrise Exod. 29.9. D’avantage, ce qui est le principal point de nostre dispute, on ne les contraignoit à nulle façon de faire superstitieuse. Qui plus est, ils ne faisoyent rien qui ne fust institué de Dieu. Entre les Papistes, qu’est-ce qu’il y a de semblable ? Car à grand’peine nous pouvons-nous assembler une fois avec eux, qu’il ne nous fale contaminer en idolâtrie manifeste. Certes le principal lien de la communion qu’on peut avoir avec eux, est en la Messe, laquelle nous rejettons comme un sacrilège extrême. Si c’est à tort ou à droict, nous le verrons en un autre lieu. Pour le présent ce m’est assez de monstrer que nous avons en cest endroict une autre cause que n’ont pas eue les Prophètes, lesquels n’estoyent contraints de veoir ou faire aucunes cérémonies, sinon instituées de Dieu, jà soit qu’ils sacrifiassent avec les meschans. Si doncques nous voulons avoir un exemple du tout semblable, il le faut prendre du Royaume d’Israël. Selon l’ordonnance de Jéroboam, la Circoncision y estoit observée, on y faisoit les sacrifices, on y tenoit la Loy pour saincte, on y invoquoit le Dieu qui avoit esté adoré par les Pères : toutesfois à cause des cérémonies controuvées et forgées contre la défense de Dieu, tout ce qui s’y faisoit estoit réprouvé comme damnable 1Rois. 12.31. Qu’on m’allègue un seul Prophète, ou quelque autre fidèle, qui ait jamais adoré ou sacrifié en Béthel. Ils n’avoyent garde : car ils sçavoyent bien qu’ils ne le pouvoyent faire, sans se souiller en quelque sacrilège. Nous avons doncques que la communion de l’Eglise ne se doit point estendre jusques-là, que quand une Eglise déclineroit à des façons de servir Dieu vicieuses et profanes, il la fale ensuyvre.
4.2.10
Mais nous avons encores meilleure cause de leur résister quant à l’autre point. Car entant qu’il est dit qu’il nous faut porter révérence à l’Eglise, luy donner authorité, recevoir ses admonitions, estre sujets à son jugement, s’accorder du tout à icelle : selon ceste considération nous ne pouvons point ottroyer le nom d’Eglise aux Papistes, qu’il ne nous soit nécessaire de leur rendre sujétion et obéissance. Toutesfois je leur ottroyeray volontiers ce que les Prophètes ont donné aux Juifs et Israélites de leur temps, quand les choses y estoyent en semblable estat ou meilleur. Or nous voyons que les Prophètes crient par tout, que les assemblées d’iceux sont conventicules profanes, avec lesquelles il ne seroit non plus licite de consentir, que de renoncer Dieu Esaïe 1.14. Et de faict, si telles assemblées eussent esté Eglises, il s’ensuyvroit qu’Elie, Michée et les autres Prophètes semblables d’Israël, eussent esté estranges de l’Eglise : semblablement en Judée, Isaïe, Jérémie, Osée et les autres lesquels estoyent en plus grande exécration, tant aux Prophètes et Prestres de leur temps qu’au commun peuple, que s’ils eussent esté Payens. Semblablement si telles assemblées eussent esté Eglises, il s’ensuyvroit que l’Eglise de Dieu ne seroit point colomne de vérité 1Tim. 3.15 : mais firmament de mensonge : et ne seroit point le sanctuaire de Dieu, mais un réceptacle d’idoles. Il convenoit doncques aux Prophètes de n’avoir nul consentement avec telles assemblées, veu que c’eust esté une conspiration meschante contre Dieu. Par mesme raison si quelqu’un recognoist pour Eglises les assemblées qui sont sous la tyrannie du Pape, lesquelles sont contaminées d’idolâtrie, de diverses superstitions et de meschante doctrine, pensant qu’il fale persister en leur communion, jusques à consentir à leur doctrine, cestuy-là erre grandement. Car si ce sont Eglises, elles ont la puissance des clefs. Or les clefs sont conjoinctes d’un lien perpétuel avec la Parole, laquelle en est exterminée. Item, si ce sont Eglises, ceste promesse de Jésus-Christ leur appartient, que tout ce qu’ils auront lié en terre sera lié au ciel Matt. 16.19 ; 18.18 ; Jean 20.23, etc. Or tous ceux qui font profession sans feintise d’estre serviteurs de Jésus-Christ, en sont rejettez. Parquoy, ou la promesse de Jésus-Christ seroit vaine, ou ce ne sont point Eglises : au moins selon ceste considération. Finalement, au lieu d’y avoir le ministère de la Parole, on n’y a que des escholes d’impiété, et un abysme de toutes espèces d’erreur. Parquoy encores ne sont-ce point Eglises quant à ce regard, où il n’y restera nulle marque, par laquelle les sainctes assemblées des fidèles soyent discernées des conventicules des Turcs.
4.2.11
Toutesfois comme il y avoit encores pour lors quelques prérogatives appartenantes à l’Eglise, qui restoyent aux Juifs : aussi nous ne nions pas que les Papistes aujourd’huy n’ayent quelques traces qui leur sont demeurées par la grâce de Dieu, de la dissipation de l’Eglise. Dieu avoit une fois fait son alliance avec les Juifs, laquelle persistoit entre eux : estant plustost appuyé en sa propre fermeté, que pource qu’elle fust observée d’eux. Qui plus est, leur impiété estoit comme un empeschement, lequel il faloit qu’elle surmontast. Pourtant, combien que par leur desloyauté ils méritoyent bien que Dieu retirast son alliance d’eux, néantmoins selon qu’il est constant et ferme à exercer sa bonté, il continuoit tousjours de maintenir sa promesse entre eux. Ainsi la Circoncision ne pouvoit tellement estre souillée de leurs mains impures, qu’elle ne fust tousjours signe et sacrement de l’alliance de Dieu. Et pour ceste raison Dieu appeloit les enfans qui naissoyent de ce peuple-là, siens Ezéch. 16.20 : lesquels ne luy eussent de rien appartenu, sinon par une bénédiction spéciale. En ceste manière, d’autant qu’il a mis une fois son alliance en France, en Italie, en l’Alemagne et autres pais, combien que tout ait esté après oppressé par la tyrannie de l’Antechrist, néantmoins afin que son alliance y demeurast inviolable, il a voulu que le Baptesme y soit demeuré pour tesmoignage d’icelle alliance : lequel d’autant qu’il est ordonné et consacré de sa bouche, relient sa vertu maugré l’impiété des hommes. Semblablement il a fait par sa providence, qu’il y demeurast aussi d’autres reliques, afin que l’Eglise ne périst point du tout. Et comme aucunesfois les bastimens sont démolis en telle sorte, que les fondemens demeurent et quelques apparences de la ruine : aussi nostre Seigneur n’a point permis que son Eglise fust tellement rasée ou destruite par l’Antéchrist, qu’il n’y demeurast rien de l’édifice. Et combien que pour se venger de l’ingratitude des hommes qui avoyent mesprisé sa parole, il ait permis qu’il se feist une horrible ruine, toutesfois il a voulu qu’il y demeurast encores quelque portion de reste, pour monument et enseigne que le tout n’estoit point aboli.
4.2.12
Pourtant quand nous refusons d’ottroyer simplement aux Papistes le tiltre d’Eglise, nous ne leur nions pas du tout qu’ils n’ayent quelques Eglises entre eux : mais nous contendons seulement du vray estat de l’Eglise, qui emporte communion tant en doctrine, qu’en tout ce qui appartient à la profession de nostre Chrestienté. Daniel et sainct Paul ont prédit que l’Antechrist seroit assis au temple de Dieu Dan. 9.27 ; 2Thess. 2.4 : nous disons que le Pape est le capitaine de ce règne maudit et exécrable, pour le moins en l’Eglise occidentale. Puisqu’il est dit que le siège de l’Antechrist sera au temple de Dieu, par cela il est signifié que son règne sera tel, qu’il n’abolira point le nom de Christ ne de son Eglise. De là il appert que nous ne nions point que les Eglises sur lesquelles il domine par sa tyrannie, ne demeurent Eglises : mais nous disons qu’il les a profanées par son impiété, qu’il les a affligées par sa domination inhumaine qu’il les a empoisonnées de fausses et meschantes doctrines, et quasi mises à la mort : tellement que Jésus-Christ y est à demi enseveli, l’Evangile y est suffoqué, la Chrestienté y est exterminée, le service de Dieu y est presque aboly : brief, tout y est si fort troublé, qu’il y apparoist plustost une image de Babylone, que de la saincte cité de Dieu. Pour conclusion, je di que ce sont Eglises : premièrement, entant que Dieu y conserve miraculeusement les reliques de son peuple, combien qu’elles y soyent povrement dispersées. Secondement, entant qu’il y reste quelques marques de l’Eglise : principalement celles desquelles la vertu ne peut estre abolie, ne par l’astuce du diable, ne par la malice des hommes. Mais pource que de l’autre costé, les marques que nous avons principalement à regarder en ceste dispute, en sont effacées : je di qu’il n’y a point droicte apparence d’Eglise, ni en chacun membre, ni en tout le corps.
Chapitre III
Des Docteurs et Ministres de l’Eglise, et de leur élection et office.
4.3.1
Maintenant il nous faut traitter de l’ordre, selon lequel Dieu a voulu que son Eglise fust gouvernée. Car combien que luy seul doyve gouverner et régir en son Eglise, et y avoir toute prééminence, et que son gouvernement et empire se doyve exercer par sa seule Parole : toutesfois pource qu’il n’habite point avec nous par présence visible, en sorte que nous puissions ouyr sa volonté de sa propre bouche, il use en cela du service des hommes, les faisant comme ses lieutenans Matt. 26.11 : non point pour leur résigner son honneur et supériorité, mais seulement pour faire son œuvre par eux, tout ainsi qu’un ouvrier s’aide d’un instrument. Je suis contraint de réitérer ce que j’ay desjà exposé ci-dessus. Il est vray qu’il pourroit bien faire cela par soy-mesme, sans autre aide ny instrument, ou par ses Anges ; mais il y a plusieurs causes pourquoy il aime mieux le faire par les hommes. Premièrement, en cela il déclaire quelle amitié il nous porte, quand il choisit d’entre les hommes ceux qu’il veut faire ses Ambassadeurs 2Cor. 5.20 qui ayent l’office de déclairer sa volonté au monde, et qui mesmes représentent sa personne : et en cela il approuve par effect, que ce n’est pas sans cause qu’il nous appelle si souvent ses temples 1Cor. 3.16 ; 6.19 ; 2Cor. 6.16, veu que par la bouche des hommes il parle à nous comme du ciel. Secondement, ce nous est un très-bon et utile exercice à humilité, quand il nous accoustume à obéir à sa Parole, encores qu’elle nous soit preschée par des hommes semblables à nous, voire mesmes quelquesfois inférieurs en dignité. S’il parloit luy-mesme du ciel, ce ne seroit point de merveilles si tout le monde recevoit incontinent son dire en crainte et révérence. Car qui est-ce qui ne seroit estonné de sa puissance, quand il la verroit à l’œil ? qui est-ce qui ne seroit effrayé au premier regard de sa majesté ? qui est-ce qui ne seroit confus, voyant sa clairté infinie ? Mais quand un homme de basse condition et de nulle authorité quant à sa personne, parle au nom de Dieu, nous déclairons lors par bonne et certaine expérience nostre humilité et l’honneur que nous portons à Dieu, si nous ne faisons nulle difficulté de nous rendre dociles à son ministre, combien qu’en sa personne, il n’ait aucune excellence par-dessus nous. Ainsi pour ceste raison semblablement Dieu cache le thrésor de sa sagesse céleste en des vaisseaux fragiles de terre 2Cor. 4.7, pour expérimenter tant mieux en quelle estime nous l’avons. Tiercement, il n’y avoit rien plus propre pour entretenir charité fraternelle entre nous, qu’en nous conjoignant par ce lien, que l’un soit ordonné Pasteur pour enseigner les autres, et qu’iceux reçoyvent doctrine et instruction de luy. Car si chacun avoit en soy tout ce qu’il luy faut, sans avoir affaire des autres, selon que nostre nature est orgueilleuse, chacun de nous mespriseroit ses prochains, et seroit aussi mesprisé d’eux. Pourtant Dieu a conjoinct son Eglise d’un lien, lequel il voyoit estre le plus propre à conserver unité : asçavoir quand il a commis le salut et vie éternelle aux hommes, afin qu’elle fust communiquée par leurs mains aux autres. Et à cela regardoit sainct Paul en escrivant aux Ephésiens, quand il dit. Vous estes un corps et un esprit, comme vous estes appelez en une mesme espérance de vostre vocation. Il n’y a qu’un Seigneur, une foy, un Baptesme, un Dieu et Père de nous tous, qui est sur toutes choses, et espandu par tout, et habile en nous tous : mais à un chacun de nous a esté donnée la grâce, selon la mesure de la donation de Christ. Pourtant il est dit qu’estant monté en haut il a mené ses ennemis captifs, et a distribué dons aux hommes. Celuy qui est monté, estoit au auparavant descendu : et est monté afin d’accomplir toutes choses. Pourtant, il a ordonné les uns Apostres, les autres Prophètes, les autres Evangélistes, les autres Pasteurs et Docteurs, pour la réparation des saincts, pour l’œuvre de l’administration, pour l’édifice du corps de Christ, jusques à ce que nous parvenions tous en unité de foy, et de la cognoissance du Fils de Dieu, en aage parfait : que nous ne soyons plus petis enfans pour estre esbranlez à tout vent de doctrine, mais que suyvans vérité en dilection, nous croissions en celuy qui est le chef, asçavoir Jésus-Christ : auquel tout le corps estant conjoinct par ses nerveures et liaisons, prend accroissement en charité, par la grâce qui est suggérée selon la mesure d’un chacun membre Eph. 4.4-16.
4.3.2
Par ces paroles il signifie premièrement que le ministère des hommes, duquel Dieu use pour gouverner son Eglise, est comme la joincture des nerfs, pour unir les fidèles en un corps. Secondement, il démonstre que l’Eglise ne se peut autrement maintenir en son entier, qu’en s’aidant de ces moyens, lesquels le Seigneur a instituez pour la conservation d’icelle : Jésus-Christ, dit-il, est monté en haut pour accomplir ou remplir toutes choses Eph. 4.10. Or le moyen est qu’il dispense et distribue à son Eglise ses grâces par ses serviteurs, lesquels il a commis en cest office, et ausquels il a donné la faculté de s’en pouvoir acquitter : et mesmes il se fait aucunement présent à son Eglise par eux, donnant efficace à leur ministère par la vertu de son Esprit, à ce que leur labeur ne soit point vain. Voylà doncques comme la restauration des saincts se fait : voylà comme le corps de Christ est édifié, comme nous croissons du tout en celuy qui est le chef, comme nous sommes unis entre nous, comme nous sommes tous réduits à l’unité de Christ Eph. 4.12-13 : asçavoir quand la Prophétie a lieu entre nous, quand nous recevons les Apostres, quand nous ne mesprisons point la doctrine laquelle nous est présentée. Quiconques doncques veut abolir un tel ordre et telle espèce de régime, ou bien le mesprise comme s’il n’estoit point nécessaire, machine de dissiper l’Eglise, ou mesmes de la ruiner du tout. Car il n’y a ne la clairté du soleil, ne viande, ne bruvage qui soit tant nécessaire pour conserver la vie présente, qu’est l’office d’Apostres et de Pasteurs pour conserver l’Eglise.
4.3.3
Pourtant j’ay desjà adverty ci-dessus, que nostre Seigneur a exalté la dignité de cest estat de toutes les louanges qu’il estoit possible : afin que nous l’ayons en estime comme une chose excellente dessus toutes les autres. Quand il commande au Prophète de crier que les pieds des Evangélistes sont beaux Esaïe 52.7, et que leur advénement est bien heureux : quand il nomme les Apostres, La clairté du monde, et le sel de la terre Matt. 5.13-14 : par cela il dénote qu’il fait une singulière grâce aux hommes en leur envoyant des Docteurs. Finalement, il ne pouvoit priser plus hautement cest estat, qu’en disant à ses Apostres, Qui vous escoute, il m’escoute, et qui vous rejette, me rejette Luc 10.16. Mais il n’y a nul passage plus notable, qu’un de sainct Paul en la seconde Epistre aux Corinthiens, où il traitte de propos délibéré ceste question. Il dispute doncques qu’il n’y a rien plus digne ne plus excellent en l’Eglise, que le ministère de l’Evangile, d’autant qu’il est ministère de l’Esprit, de salut et de vie éternelle 2Cor. 3.9 ; 4.6. Toutes ces sentences et les semblables revienent à un but, c’est que nous n’ayons point en mespris, et n’anéantissions point par nostre nonchalance la façon de gouverner l’Eglise par le ministère des hommes, que Jésus-Christ a institué pour durer à tousjours. D’avantage, il a déclairé non-seulement de paroles, mais aussi par exemples, combien c’estoit une chose nécessaire. Quand il voulut illuminer Cornille le Centenier plus plenement en la cognoissance de l’Evangile, il luy envoya un Ange pour le renvoyer à sainct Pierre Actes 10.3. Quand il voulut appeler sainct Paul à soy, et le recevoir en son Eglise, il parla à luy de sa propre bouche Actes 9.6 : néantmoins il le renvoya à un homme mortel, pour recevoir la doctrine de salut, et le sacrement de Baptesme. Si cela ne s’est point fait témérairement, qu’un Ange, qui est autrement messager de Dieu, se soit déporté d’annoncer l’Evangile, mais ait envoyé quérir un homme pour ce faire : que Jésus-Christ, qui est le Maistre unique des fidèles, au lieu d’enseigner sainct Paul, l’ait renvoyé à l’eschole d’un homme : sainct Paul, di-je, lequel il vouloit ravir au troisième ciel, pour luy révéler des secrets admirables 2Cor. 12.2 : qui est-ce qui osera maintenant mespriser le ministère humain, ou le laisser là comme superflu, veu que nostre Seigneur en a tellement approuvé l’usage et la nécessité ?
4.3.4
Touchant de ceux qui doyvent présider en l’Eglise, pour la régir selon l’ordonnance de Christ, sainct Paul met en premier lieu les Apostres, puis les Prophètes, tiercement les Evangélistes, après les Pasteurs, finalement les Docteurs Eph. 4.11. Mais de tous ceux-là il y en a deux, desquels l’office est ordinaire en l’Eglise chrestienne : les autres ont esté suscitez par la grâce de Dieu du commencement, c’est-à-dire quand l’Evangile commença d’estre presché. Combien que quelquesfois encores il en suscite quand la nécessité le requiert. Si on demande quel est l’office des Apostres, il appert par ce commandement qui leur fut fait. Allez, preschez l’Evangile à toute créature Marc 16.15. Il ne leur assigne point certaines bornes à un chacun, mais il leur donne charge de réduire tout le monde en son obéissance ; afin qu’en semant l’Evangile par tout où ils pourront, ils exaltent son règne en toutes nations. Parquoy sainct Paul voulant approuver son Apostolat, ne dit point qu’il ait acquis quelque certaine ville à Jésus-Christ, mais qu’il a çà et là publié l’Evangile, et qu’il n’a point basti sur le fondement des autres, mais qu’il a planté des Eglises où le nom du Seigneur Jésus n’avoit point esté ouy Rom. 15.19-20. Les Apostres doncques ont esté envoyez pour réduire le monde de la dissipation où il estoit, en l’obéissance de Dieu, et édifier par tout son règne par la prédication de l’Evangile : ou bien si quelqu’un l’aime mieux ainsi, pour faire les fondemens de l’Eglise par tout le monde, comme par les premiers et principaux maistres de l’édifice. Sainct Paul appelle Prophètes, non pas en commun tous expositeurs de la volonté de Dieu, mais ceux qui avoyent quelque singulière révélation par-dessus les autres Eph. 4.11. Or il n’y en a point de nostre temps, ou bien ils ne sont pas cognus comme alors. Par le nom d’Evangélistes, j’enten ceux qui avoyent un office prochain à celuy des Apostres, combien qu’ils fussent inférieurs en dignité comme ont esté Luc, Timothée, Tite et les autres semblables. Possible que nous pourrons aussi bien mettre en ce rang les Septante disciples que Jésus-Christ esleut pour estre en second degré après ses Apostres Luc 10.1. Si on reçoit ceste interprétation, comme je pense que c’est le vray sens de sainct Paul, ces trois offices n’ont pas esté ordonnez pour estre perpétuels en l’Eglise, mais seulement pour le temps qu’il faloit dresser les Eglises où il n’y en avoit point ; ou bien qu’il faloit annoncer Jésus-Christ aux Juifs, afin de les amener à luy comme à leur Rédempteur. Combien que je ne nie pas que Dieu n’ait encores suscité des Apostres puis après, ou bien des Evangélistes en leur lieu, comme nous voyons qu’il a esté fait de nostre temps. Car il estoit mestier qu’il y en eust de tels pour réduire au droict chemin le povre peuple, qui s’estoit destourné après l’Antéchrist. Néantmoins je di que c’est un office extraordinaire, pource qu’il n’a point de lieu où les Eglises sont deuement ordonnées. S’ensuyvent les Docteurs et les Pasteurs, desquels l’Eglise ne se peut jamais passer. Or je pense que c’est la différence entre ces deux espèces, que les Docteurs n’ont point charge de la discipline, ne d’administrer les Sacremens, ne de faire les exhortations et remonstrances : mais seulement d’exposer l’Escriture, afin qu’il y ait tousjours saine doctrine et pure conservée en l’Eglise. Or la charge des Pasteurs s’estend à toutes ces choses.
4.3.5
Nous avons maintenant quels ont esté les offices ordonnez à un temps pour le régime de l’Eglise, et quels ont esté ceux qui ont deu durer à tousjours. Si nous voulons conjoindre les Evangélistes avec les Apostres, pour en faire une seule espèce, il nous restera deux couples correspondantes l’une à l’autre. Car telle similitude qu’ont les Docteurs avec les Prophètes, est des Apostres avec les Pasteurs. L’office des Prophètes a esté plus excellent, à cause du don singulier de révélation qui leur estoit fait : mais l’office des Docteurs a du tout une mesme fin, et s’exerce quasi par un mesme moyen. Ainsi, les douze Apostres que Jésus-Christ esleut pour publier son Evangile par tout le monde, ont excédé tous les autres en dignité et en ordre. Car combien que selon la déduction du mot, tous ministres de l’Eglise se peuvent nommer Apostres Matt. 10.1 ; Luc 6.13, d’autant qu’ils sont envoyez de Dieu, et sont ses messagers, toutesfois pource qu’il estoit bien requis que la vocation de ceux qui devoyent mettre en avant l’Evangile du temps qu’il estoit nouveau, fust approuvée par certain tesmoignage, il convenoit que ces douze-là qui avoyent telle commission, et sainct Paul qui a esté puis après adjousté à leur compagnie Gal. 1.1 ; Actes 9.15, fussent ornez d’un tiltre excellent par-dessus les autres. Sainct Paul fait bien cest honneur à Andronique et Junie, de les nommer Apostres, voire excellens entre les autres Rom. 16.7 : mais quand il veut parler proprement, il n’attribue ce nom qu’à ceux qui avoyent telle prééminence que nous avons dite : et tel est l’usage commun de l’Escriture. Toutesfois les Pasteurs ont une semblable charge qu’estoit celle des Apostres, excepté que chacun d’eux a son Eglise limitée. Il est mestier d’exposer plus clairement que cela veut dire.
4.3.6
Nostre Seigneur envoyant ses Apostres, leur commanda, comme dit a esté, de prescher l’Evangile, et de baptiser tous croyans en la rémission des péchez Matt. 28.19. Or au paravant il leur avoit ordonné de distribuer à son exemple le Sacrement de son corps et de son sang Luc 22.19. Voylà une loy inviolable qui est imposée à tous ceux qui se disent successeurs des Apostres laquelle ils doyvent observer à perpétuité : c’est de prescher l’Evangile et administrer les Sacremens. Dont je conclu que ceux qui négligent l’un et l’autre, faussement prétendent d’estre en l’estat Apostolique. Que dirons-nous des Pasteurs ? Sainct Paul ne parle point de soy : mais d’eux tous, quand il dit, Qu’on nous estime comme serviteurs de Christ, et dispensateurs des mystères de Dieu 1Cor. 4.1. Item, en un autre passage, il faut qu’un Evesque soit diligent observateur de la doctrine de vérité, afin qu’il puisse exhorter le peuple par saine doctrine, et rédarguer tous contredisans Tite 1.9. De ces deux sentences et des autres semblables, nous pouvons inférer que l’office des Pasteurs contient ces deux parties : asçavoir, d’annoncer l’Evangile et administrer les Sacremens. Or la façon d’enseigner n’est pas seulement de prescher en public, mais appartient aussi aux admonitions particulières. Pourtant sainct Paul appelle les Ephésiens en tesmoins qu’il n’a point fuy qu’il ne leur ait annoncé tout ce qui leur estoit expédient de sçavoir, les enseignant en public et par les maisons, recommandant aux Juifs et aux Gentils la pénitence et foy en Jésus-Christ Actes 20.20-21. Item, un peu après il proteste qu’il n’a cessé d’admonester un chacun d’eux avec larmes Actes 20.31. Or mon intention n’est pas de raconter yci toutes les vertus d’un bon Pasteur, mais seulement de monstrer en brief quelle profession font ceux qui se nomment Pasteurs, et veulent estre tenus pour tels : c’est de tellement présider en l’Eglise, qu’ils n’ayent point une dignité oisive, mais qu’ils instruisent le peuple en la doctrine chrestienne, qu’ils administrent les Sacremens, et qu’ils corrigent les fautes par bonnes admonitions, usans de la discipline paternelle que Jésus-Christ a ordonnée. Car Dieu dénonce à tous ceux qu’il met pour faire le guet en l’Eglise, que si quelqu’un périt en son ignorance par leur négligence, qu’il en requerra le sang de leurs mains Ezéch. 3.17. Semblablement ce que dit sainct Paul leur compète à tous : asçavoir qu’ils sont maudits s’ils ne preschent l’Evangile, veu que la dispensation leur en est commise 1Cor. 9.16. Finalement, ce que les Apostres ont fait par tout le monde, un chacun Pasteur est attenu de le faire en son Eglise, à laquelle il est député.
4.3.7
Combien qu’en assignant à un chacun son Eglise, nous ne nions point que celuy qui est lié en un lieu ne puisse bien aider les autres Eglises, soit qu’il y surveinst quelque tumulte lequel peut estre appaisé par sa présence, soit qu’on vousist user de son conseil en quelque difficulté. Mais pource que ceste police est nécessaire pour entretenir la paix des Eglises, asçavoir qu’un chacun sçache sa charge, afin qu’ils ne courent tous en un lieu pour troubler l’un l’autre, et que de là n’adviene confusion : semblablement que ceux qui ont plus de soin de leur aise ou de leur proufit que de l’édification de l’Eglise, n’abandonnent leur lieu à leur fantasie, ceste division des places se doit communément observer tant qu’il est possible, afin qu’un chacun se tenant en ses limites, ne s’ingère point d’usurper la charge des autres. Et cela n’est point inventé des hommes, mais est institué de Dieu mesme. Car nous lisons que sainct Paul et Barnabas ont ordonné des Prestres par toutes les Eglises de Lystre, d’Antioche et d’Iconie Actes 14.23. Aussi sainct Paul commande à Tite d’ordonner des Prestres en chacun lieu Tite 1.5. Suyvant cela il fait mention des Evesques de Philippes Phil. 1.1 : et en un autre passage, d’Archippus Evesque des Colossiens Col. 4.17. Pareillement sainct Luc récite la prédication qu’il feit aux Prestres de l’Eglise d’Ephèse Actes 20.18, Pourtant quiconques aura prins la charge d’une Eglise, qu’il sache qu’il est obligé à la servir selon la vocation de Dieu : non pas qu’il soit là tellement attaché qu’il n’en puisse jamais bouger, quand la nécessité publique le requerroit, moyennant que cela se face par bon ordre : mais j’enten que celuy qui est appelé en un lieu, ne doit plus penser de changer et prendre de jour en jour nouvelle délibération, selon que sa commodité se portera. Secondement, quand il seroit expédient que quelqu’un changeast de place, j’enten qu’il ne doit point attenter cela de sa propre teste, mais qu’il se doit reigler par l’authorité publique de l’Eglise.
4.3.8
Au reste, ce que j’ay nommé indifféremment ceux qui ont le gouvernement de l’Eglise, Evesques, Prestres, Pasteurs et Ministres, je l’ay fait suyvant l’usage de l’Escriture, laquelle prend tous ces mots pour une mesme chose. Car tous ceux qui ont charge d’administrer la Parole, sont là nommez Evesques. En ceste manière sainct Paul, après avoir commandé à Tite d’ordonner des Prestres en chacun lieu, adjouste quant et quant, Car il faut que l’Evesque soit irrépréhensible Tite 1.5-6. Suyvant cela il salue les Evesques de Philippes Phil. 1.1, comme estans plusieurs en un mesme lieu. Et sainct Luc, après avoir dit que sainct Paul convoqua les Prestres d’Ephèse, les nomme puis après Evesques Actes 20.17. Or nous avons yci à noter, que jusques à ceste heure je n’ay parlé que des offices qui consistent en l’administration de la Parole : comme aussi sainct Paul ne fait mention que de ceux-là en ce chapitre IVe des Ephésiens que j’ay allégué. Mais en l’Epistre aux Romains, et en la première aux Corinthiens il en récite d’autres, comme les puissances, les dons de guairir maladies, les gouvernemens, l’interprétation, la charge de soliciter les povres Rom. 12.7-8 ; 1Cor. 12.28 : desquels nous laisserons là ceux qui n’ont esté que pour un temps, pource qu’il n’est jà besoin pour le présent de nous y arrester. Il y en a deux espèces qui durent à perpétuité : asçavoir, les gouvernemens et la solicitude des povres. Or j’estime qu’il appelle Gouverneurs, les Anciens qu’on eslisoit d’entre le peuple pour assister aux Evesques à faire les admonitions, et tenir le peuple en discipline. Car on ne peut autrement exposer ce qu’il dit, Celuy qui gouverne, qu’il face cela en solicitude Rom. 12.8. Pourtant du commencement chacune Eglise a eu comme un conseil ou consistoire de bons preud’hommes, graves et de saincte vie, lesquels avoyent l’authorité de corriger les vices comme il sera veu puis après. Or que cest estat n’ait point esté pour un seul aage, l’expérience le démonstre. Il faut doncques tenir que cest office de gouvernement est nécessaire pour tout temps.
4.3.9
La solicitude des povres a esté commise aux Diacres : combien que sainct Paul en met deux espèces en l’Epistre aux Romains, Celuy qui distribue, dit-il, qu’il le face en simplicité : celuy qui exerce miséricorde, qu’il le face joyeusement Rom. 12.8. Veu qu’il est certain qu’il parle là des offices publiques de l’Eglise, il faut qu’il y ait eu deux genres de Diacres différens. Or si je ne suis bien abusé, au premier membre il dénote les Diacres qui administroyent les aumosnes : au second, ceux qui avoyent la charge de penser les povres, et leur servir : comme estoyent les vefves, desquels il fait mention à Timothée. Car les femmes ne pouvoyent exercer autre office publique, que de s’employer au service des povres 1Tim. 5.9-10. Si nous recevons ceste exposition, comme elle en est digne, veu qu’elle est fondée en bonne raison, il y aura deux genres de Diacres : dont les premiers serviront à l’Eglise, en gouvernant et dispensant les biens des povres : les seconds, en servant les malades et les autres povres. Or combien que le nom de Diaconie s’estende plus loing, toutesfois l’Escriture nomme spécialement Diacres, ceux qui sont constituez par l’Eglise pour dispenser les aumosnes, et qui sont comme receveurs ou procureurs des povres, desquels l’origine, l’institution, et la charge est descrite aux Actes par sainct Luc Act. 6.3. Car pource qu’il se leva un murmure entre les Grecs, d’autant qu’on ne tenoit conte de leurs vefves au ministère des povres, les Apostres s’excusans qu’ils ne pouvoyent satisfaire à deux offices, asçavoir à la prédication, et au soin de nourrir les povres, requirent au peuple qu’il esleust sept hommes de bonne vie qui eussent ceste charge. Voylà quels ont esté les Diacres du temps des Apostres, et quels nous les devons avoir à l’exemple de l’Eglise primitive.
4.3.10
Or comme ainsi soit que toutes choses se doyvent faire en l’Eglise décentement et par bon ordre 1Cor. 14.40, principalement cela se doit observer quant au gouvernement, d’autant qu’il y auroit plus de danger en cela qu’en tout le reste, s’il se commettoit quelque désordre. Parquoy, afin que plusieurs esprits volages et séditieux ne s’ingérassent témérairement à l’office d’enseigner ou régir l’Eglise, nostre Seigneur a nommément ordonné que nul n’entrast en office public sans vocation. Pourtant à ce qu’un homme soit tenu pour vray ministre de l’Eglise, il est premièrement requis qu’il soit deuement appelé Héb. 5.4 : puis conséquemment qu’il responde à sa vocation, c’est-à-dire qu’il exécute la charge qu’il a prinse : ce que nous pouvons appercevoir en sainct Paul en plusieurs passages. Car partout où il veut approuver son Apostolat, il allègue communément tant sa vocation, que sa loyauté à s’acquitter de son devoir Rom. 1.1 ; 1Cor. 1.1. Si un si grand ministre de Jésus-Christ ne s’ose attribuer authorité pour estre ouy en l’Eglise, sinon d’autant qu’il est constitué par l’ordonnance du Seigneur, et qu’il s’acquitte fidèlement de sa commission : quelle impudence sera-ce, si quelqu’un, quiconques qu’il soit, veut usurper le mesme honneur, estant destitué de vocation, ou ne faisant point ce qui est du devoir de son office ? Mais pource que nous avons n’aguères touché de la charge, il nous faut à présent traitter seulement de la vocation.
4.3.11
Or ceste matière gist en quatre points : c’est que nous sçachions quels doyvent estre les ministres qu’on eslit, comment on les doit eslire, qui sont ceux qui ont le droict d’élection, et avec quelle cérémonie on les doit introduire en leur charge. Je parle seulement de la vocation extérieure, laquelle appartient à l’ordre de l’Eglise : me taisant de la vocation secrète, de laquelle un chacun ministre doit avoir tesmoignage en sa conscience devant Dieu, et dont les hommes ne peuvent estre tesmoins. Or ceste vocation secrète est une bonne asseurance que nous devons avoir en nostre cœur, que ce n’a point esté pour ambition ne pour avarice que nous avons prins cest estat : mais d’une vraye crainte de Dieu, et par un bon zèle d’édifier l’Eglise. Cela est bien requis comme j’ay dit, en chacun de nous qui sommes ministres, si nous voulons que nostre ministère soit approuvé de Dieu. Néantmoins si quelqu’un y entre par mauvaise conscience, il ne laisse point d’estre deuement appelé quant à l’Eglise, moyennant que sa meschanceté ne soit point descouverte. Nous avons aussi accoustumé de dire d’aucuns hommes privez, qu’ils sont appelez au ministère quand nous les voyons après cela : d’autant que la science avec la crainte de Dieu, et les autres vertus d’un bon Pasteur sont comme une préparation pour y venir. Car ceux que Dieu a esleus à cest office, il les garnit premièrement des armes qui sont requises pour l’exploiter, afin qu’ils n’y vienent point vuides et mal apprestez. Pourtant sainct Paul en la première aux Corinthiens voulant traitter des offices, commence par les dons que doivent avoir ceux qui y sont appelez 1Cor. 12.8. Mais pource que c’est le premier point des quatre que j’ay proposez, venons à le déduire.
4.3.12
Quels doyvent estre ceux qu’on eslit pour Evesques, sainct Paul le monstre amplement en deux passages. La somme toutesfois revient là, qu’il n’en faut point eslire qui ne soyent de saine doctrine et de saincte vie, et ne soyent point entachez de quelque vice notable, lequel les rende contemptibles, et face que leur ministère soit en opprobre 1Tim. 3.2-3 ; Tite 1.9. Il y a une mesme raison aux Diacres et aux Prestres. Pour le premier, il faut tousjours regarder qu’ils ne soyent point ineptes ou insuffisans à porter la charge qu’on leur baille : c’est-à-dire, qu’ils soyent garnis des choses lesquelles sont requises à faire l’office. En ceste sorte, nostre Seigneur Jésus-Christ voulant envoyer ses Apostres, les a premièrement douez et pourveus des armes et instrumens dont ils ne se pouvoyent passer Luc 21.15 ; Marc 16.15 ; Actes 1.8. Et sainct Paul ayant mis la description d’un bon Evesque, admoneste Timothée de ne se point souiller en eslisant ceux qui n’auroyent point telle suffisance 1Tim. 5.22. Ce mot que nous avons mis, comment ils les faut eslire, ne se doit rapporter à la cérémonie, mais à la révérence et solicitude de laquelle on doit user en faisant telle élection. A quoy appartienent les jusnes et prières que sainct Luc dit que les fidèles faisoyent, ayans à créer des Prestres Actes 14.23. Car pource qu’ils sçavoyent bien que c’estoit une chose de fort grande importance, ils n’osoyent rien attenter sinon avec grande crainte, en pensant bien à ce qu’ils avoyent à faire. Principalement ils faisoyent leur devoir de prier Dieu pour demander l’Esprit de conseil et discrétion.
4.3.13
Le troisième point que nous avons mis en nostre division, estoit, A qui il appartient d’eslire les ministres. Or on ne peut prendre une certaine reigle de cela en l’institution ou élection des Apostres, d’autant qu’elle n’a point esté du tout semblable à la vocation commune des autres. Car pource que c’estoit un office extraordinaire, afin qu’ils eussent quelque prééminence pour estre discernez d’avec les autres, il a falu qu’ils ayent esté esleus de la propre bouche du Seigneur. Les Apostres doncques ont esté ordonnez en leur estat, non point par élection humaine, mais par le seul commandement de Dieu et de Jésus-Christ. De là aussi vient, que quand ils en voulurent substituer un au lieu de Judas, ils n’en osèrent point nommer un lequel y fust : mais ils en prindrent deux, prians Dieu qu’il déclairast par sort lequel il avoit choisi Actes 1.23. Et en ce mesme sens faut prendre ce que dit sainct Paul aux Galatiens, quand il nie qu’il n’a point esté créé Apostre, ne des hommes, ne par les hommes, mais par Jésus-Christ et par Dieu le Père Gal. 1.1. Quant au premier, asçavoir de n’estre esleu des hommes, ce luy a esté une chose commune avec tous bons ministres. Car nul ne peut exercer le sainct ministère de la Parole, qu’il ne soit appelé de Dieu. Quant à l’autre, de n’estre point esleu par les hommes, il l’a eu propre et particulier à soy. Pourtant, quand il se glorifie de n’estre point esleu par les hommes, non-seulement il se vante d’avoir ce que doit avoir chacun bon Pasteur, mais il veut aussi approuver son Apostolat. Car pource qu’il y en avoit entre les Galatiens qui s’estudioyent de diminuer son authorité, alléguans qu’il estoit un petit disciple ordonné par les Apostres : afin de maintenir la dignité de sa prédication, laquelle ces meschans vouloyent amoindrir, il luy estoit mestier de monstrer qu’il n’estoit rien inférieur aux autres Apostres. Pourtant il afferme qu’il n’a pas esté esleu par le jugement des hommes, comme estoyent les Pasteurs communs, mais par l’ordonnance et décret de Dieu.
4.3.14
Que cela soit requis à la vocation légitime des Evesques, qu’ils soyent esleus par les hommes, nul de sain entendement ne le niera, veu qu’il y en a tant de tesmoignages de l’Escriture. Et à cela ne contrevient rien ceste sentence de sainct Paul que nous venons d’exposer : asçavoir qu’il n’a point esté esleu des hommes ne par les hommes Gal. 1.1 : veu qu’il ne parle point là de l’élection ordinaire des ministres, mais du privilège spécial des Apostres. Combien que luy-mesme a tellement esté esleu par le Seigneur, que ce pendant l’ordre ecclésiastique est intervenu en sa vocation. Car sainct Luc récite que comme les Apostres prioyent et jusnoyent, le sainct Esprit leur dit, Séparez-moy Paul et Barnabas à l’ouvrage auquel je les ay esleus Actes 13.2. De quoy servoit ceste séparation et imposition de mains, depuis que le sainct Esprit avoit testifié son élection, sinon pour conserver la police de l’Eglise, que les ministres fussent esleus par les hommes ? Pourtant Dieu ne pouvoit approuver cest ordre par un exemple plus notable et évident, que quand après avoir prononcé qu’il avoit constitué Paul Apostre des Gentils, il veut toutesfois qu’il soit ordonné par l’Eglise. La mesme chose se peut aussi appercevoir en l’élection de Matthias Actes 1.23. Car pource que l’office d’Apostre estoit si digne, que l’Eglise n’y osoit pas constituer un certain homme de son jugement, elle en choisit deux pour les présenter au sort. Et ainsi la police de l’Eglise avoit lieu en ceste élection, et néantmoins on remettoit à Dieu de sçavoir lequel il avoit esleu des deux.
4.3.15
La question est maintenant, asçavoir, si un Ministre doit estre esleu ou par toute l’Eglise, ou par les autres ministres et gouverneurs : ou bien s’il doit estre constitué par un homme seul. Ceux qui veulent mettre cela en la puissance d’un seul homme, allèguent ce que dit sainct Paul à Tite : Je t’ay laissé en Crète afin que tu constitues des Prestres en chacune ville Tite 1.5. Item à Timothée, N’impose pas subitement les mains à aucun 1Tim. 5.22. Mais s’ils pensent que Timothée ait exercé une domination royale en Ephèse, pour disposer du tout à son plaisir, ou que Tite ait fait le semblable en Crète, ils s’abusent grandement. Car tous les deux ont présidé sur les élections, afin de conduire le peuple par bon conseil, et non pas pour en faire et tailler ce que bon leur sembloit en excluant les autres. Et afin qu’il ne semble que je forge cela de ma teste, je démonstreray qu’ainsi est par un semblable exemple. Car sainct Luc récite que Paul et Barnabas ont créé des Prestres par les Eglises Actes 14.23 : mais en disant cela, il note quant et quant la façon : c’est qu’ils les ont créez par suffrages, ou par les voix du peuple, comme porte le mot grec. Ils les créoyent doncques eux deux : mais le peuple selon la façon du pays, ainsi que les histoires tesmoignent, levoit les mains pour déclairer lequel il vouloit avoir. Et c’est une forme commune de parler : comme les historiens disent qu’un Consul créoit des officiers, quand il recevoit les voix du peuple, et présidoit sur l’élection. Certes il n’est point croyable que sainct Paul ait plus permis à Timothée ou à Tite, que luy-mesme n’osoit entreprendre. Or nous voyons qu’il avoit accoustumé de créer des ministres par le consentement et suffrages du peuple. Il faut doncques tellement entendre les passages précédens, que la liberté et le droict commun de l’Eglise ne soit en rien enfreint ou amoindri. Parquoy sainct Cyprien dit bien, en affermant que cela procède de l’authorité de Dieu, qu’un Prestre soit esleu devant un chacun en la présence du peuple, afin qu’il soit approuvé digne et idoine par le tesmoignage de tous[d]. Car nous voyons que cela a esté observé par le commandement de Dieu aux Prestres lévitiques, qu’on les amenast et produisist devant le peuple, avant que les consacrer Lév. 8.6 ; Nomb. 20.26. En ceste manière Matthias fut adjoint en la compagnie des Apostres : et ne furent point autrement créez les sept Diacres, que le peuple voyant et les approuvant Actes 1.26 ; 6.2, 6. Ces exemples, dit sainct Cyprien, monstrent que la création d’un Prestre ne se doit faire, sinon en l’assistance du peuple : afin que l’élection qui aura esté examinée par le tesmoignage de tous, soit juste et légitime. Nous avons doncques que la vocation d’un ministre ordonné par la Parole de Dieu, est telle : asçavoir quand celuy qui est idoine est créé avec consentement et approbation du peuple. Au reste, que les Pasteurs doyvent présider sur l’élection, afin que le populaire n’y procède point par légèreté, ou par brigues ou par tumulte.
[d] Lib. I, epist. III.
4.3.16
Reste le quatrième point, que nous avons mis en la vocation des ministres : asçavoir la cérémonie de les ordonner. Or il appert que les Apostres n’en ont point eu d’autre que l’imposition des mains. Or je pense bien qu’ils avoyent prins ceste façon de la coustume des Juifs, lescquels présentoyent à Dieu par imposition des mains ce qu’ils vouloyent bénir et consacrer. En ceste manière Jacob voulant bénir Ephraïm et Manassé, meit ses mains sur leurs testes Gen. 48.14. Autant en feit nostre Seigneur Jésus sur les enfans pour lesquels il prioit Matt. 19.15. Je pense que pour une mesme fin il estoit ordonné en la Loy, qu’on meist les mains sur les sacrifices qu’on offroit. Pourtant les Apostres par l’imposition des mains signifioyent qu’ils offroyent à Dieu celuy qu’ils introduisoyent au ministère : combien qu’ils en ont aussi usé sur ceux ausquels ils distribuoyent les dons visibles du sainct Esprit Actes 19.6. Quoy qu’il soit, ils ont usé de ceste solennité toutes fois et quantes qu’ils ordonnoyent quelqu’un au ministère de l’Eglise, comme nous en voyons les exemples tant aux Pasteurs qu’aux Docteurs et aux Diacres. Or combien qu’il n’y ait nul commandement exprès touchant l’imposition des mains : toutesfois puis que nous voyons que les Apostres l’ont eue en usage perpétuel, ce qu’ils ont observé tant diligemment nous doit estre au lieu de précepte. Et certes c’est une chose utile, de magnifier au peuple la dignité du ministère par une telle cérémonie, et d’advertir par icelle mesme celuy qui est ordonné qu’il n’est plus à soy, mais qu’il est dédié au service de Dieu et de l’Eglise. D’avantage, ce ne seroit pas un signe vain et sans vertu, quand il seroit réduit à sa vraye origine. Car si l’Esprit de Dieu n’a rien institué en l’Eglise en vain, nous cognoistrons que ceste cérémonie, laquelle est procédée de luy, ne seroit pas inutile, moyennant qu’elle ne fust pas convertie en superstition. Finalement, il nous faut noter que tout le commun peuple ne mettoit point les mains sur les ministres, mais les autres ministres seulement, combien qu’il n’est pas certain si plusieurs le faisoyent ou un seul. Il appert bien que cela fut fait aux sept Diacres Actes 6.6 ; 13.3, à Paul et à Barnabas, et à quelques autres. Mais sainct Paul fait mention que luy sans autre a imposé les mains à Timothée : Je t’admoneste, dit-il, de faire valoir la grâce laquelle est en toy par l’imposition de mes mains 2Tim. 1.6. Ce qu’en un autre passage il parle de l’imposition de mains de la Prestrise 1Tim. 4.14, je n’enten pas cela, comme font aucuns, de la compagnie des Prestres : mais de l’estat et office : comme s’il disoit, Regarde que la grâce que tu as receue par l’imposition de mes mains, quand je t’eslisoye en l’ordre de Prestrise, ne soit pas vaine.
Chapitre IV
De l’estat de l’Eglise ancienne, et de la façon de gouverner, laquelle a esté
devant la Papauté en usage.
4.4.1
Jusques yci nous avons parlé de l’ordre de gouverner l’Eglise, selon qu’il nous a esté laissé par la seule Parole de Dieu ; nous avons aussi traitté des ministres, selon que Jésus-Christ les a instituez. Maintenant afin que le tout nous soit plus familièrement déclairé et imprimé en nostre mémoire, il sera expédient de recognoistre quelle a esté la forme de l’Eglise ancienne en ces choses, veu qu’elle nous pourra représenter comme en un miroir ceste institution de Dieu que nous avons dite. Car combien que les Evesques anciens ayent fait beaucoup de canons ou de reigles, par les quels il sembloit advis qu’ils ordonnassent plus outre des choses que Dieu ne l’avait exprimé en l’Escriture, toutesfois ils ont tellement compassé toute leur discipline et police à la seule reigle de la Parole de Dieu, qu’on peut bien veoir qu’ils n’ont rien eu estrange ou divers d’icelle. Mais encores qu’il y eust quelque chose à reprendre en leur façon de faire, néantmoins puis que d’un bon zèle ils ont mis peine de conserver l’institution du Seigneur, et ne s’en sont pas fort eslongnez, il nous proufitera grandement de recueillir yci en brief quelle a esté leur pratique. Comme nous avons dit que l’Escriture nous parle de trois ordres de ministres : aussi l’Eglise ancienne a divisé en trois espèces tous les ministres qu’elle, a eus. Car de l’ordre des Prestres on prenoit les Pasteurs et les Docteurs : les autres estoyent pour la discipline et les corrections. Les Diacres avoyent la charge de servir aux povres, et distribuer les aumosnes. Touchant des Lecteurs et Acolythes, ce n’estoyent point noms de certains offices, mais les jeunes gens qu’on recevoit au Clergé, on les accoustumoit de bonne heure par certains exercices à servir à l’Eglise : afin qu’ils entendissent tant mieux à quoy ils estoyent destinez, et qu’ils s’apprestassent pour mieux faire leur office quand le temps seroit venu : comme je le monstreray tantost plus amplement. Pourquoy sainct Hiérosme après avoir divisé l’Eglise en cinq ordres, nomme les Evesques, secondement les Prestres, tiercement les Diacres, puis les fidèles en commun, finalement ceux qui n’estoyent point baptisez encores, mais qui s’estoyent présentez pour estre instruits en la foy chrestienne : et puis recevoyent le Baptesme. Ainsi il n’attribue point de certain lieu au reste du Clergé ny aux moines[a].
[a] Sur Esaïe ch. 9
4.4.2
Ils appeloyent Prestres, tous ceux qui avoyent l’office d’enseigner. Iceux en eslisoyent un de leur compagnie en chacune cité, auquel ils donnoyent spécialement le tiltre d’Evesque, afin que l’équalité n’engendrast des noises, comme il advient souventesfois. Toutesfois l’Evesque n’estoit pas tellement supérieur de ses compagnons en dignité et honneur, qu’il eust seigneurie par-dessus eux, mais tel office qu’a un président en un conseil, asçavoir de proposer les choses, demander les opinions, conduire les autres par bons advertissemens et admonitions, empescher par son authorité qu’il n’y ait aucun trouble, et de mettre en exécution ce qui aura esté délibéré de tous en commun : tel estoit l’office de l’Evesque entre les Prestres. Les anciens Pères confessent que cela a esté introduit par consentement humain pour la nécessité. Sainct Hiérosme sur l’Epistre à Tite, C’estoit, dit-il, tout un, d’un Prestre et d’un Evesque : et devant que par l’instigation du diable il se feist des bandes en la Chrestienté, et que l’un dit, Je suis de Céphas : l’autre, Je suis d’Apollo 1Cor. 3.4, les Eglises estoyent gouvernées en commun par le conseil des Prestres. Après pour arracher la semence des dissensions, la charge a esté commise à un. Parquoy comme les Prestres sçavent qu’ils sont sujets selon la coustume de l’Eglise à l’Evesque qui préside sur eux : aussi qu’iceluy cognoisse que c’est plustost par coustume que par la disposition du Seigneur, qu’il est plus grand que les Prestres, et qu’il doit gouverner l’Eglise en commun avec eux. Toutesfois en un autre lieu il monstre combien ceste façon a esté ancienne : car il dit qu’en Alexandrie, depuis le temps de sainct Marc Evangéliste, les Prestres eslisoyent tousjours un de leur compagnie pour présider entre eux, lequel ils nommoyent Evesque[b]. Ainsi chacune cité avoit une assemblée de Prestres qui estoyent Pasteurs et Docteurs : car tous avoyent la charge d’enseigner le peuple, l’exhorter et corriger, selon que sainct Paul commande aux Evesques de faire : et afin de laisser semence après eux, ils instruisoyent les jeunes qui estoyent receus au Clergé pour succéder après eux. Chacune cité avoit sa diocèse, laquelle elle prouvoyoit de Prestre : et ainsi tant ceux de la ville que ceux des champs faisoyent tous comme un corps d’Eglise. Ce que chacun corps avoit son Evesque, cela estoit pour la police seulement : et afin d’entretenir la paix. Et l’Evesque précédoit tellement les autres en dignité, qu’il estoit sujet à l’assemblée. Si la diocèse estoit si ample qu’il ne se peust acquitter partout de son office, on eslisoit des Prestres en certains lieux, qui faisoyent son office aux affaires de petite importance. Iceux s’appeloyent Evesques champestres, d’autant qu’ils représentoyent l’Evesque par le pays.
[b] Epistola ad Evagrium.
4.4.3
Toutesfois quant à l’office, il faloit que tant l’Evesque que les Prestres fussent dispensateurs de la Parole de Dieu et des Sacremens. Seulement il fut ordonné en Alexandrie, qu’un Prestre n’y preschast point, pource qu’Arrius avoit là troublé l’Eglise, selon que récite Socrates en l’histoire Tripartite, au neuvième livre, ce que sainct Hiérosme réprouve, et à bon droict[c]. Au reste : c’eust esté un monstre, si quelqu’un se fust vanté d’estre Evesque sans s’acquiter de l’office. On gardoit doncques telle discipline en ce temps-là, que tous ministres estoyent contraints de faire l’office tel qu’il leur est enjoinct de Dieu. Je ne di pas qu’il ait esté fait pour un aage seulement, mais tousjours, car mesmes au temps de sainct Grégoire, auquel l’Eglise estoit fort descheute, ou pour le moins avoit fort décliné de son premier estat, ce n’eust pas esté chose tolérable qu’un Evesque se fust déporté de prescher. Il dit en quelque passage, qu’un prestre est coulpable de mort si on n’oit point de son de luy : pource qu’il provoque l’ire de Dieu contre soy, s’il ne se fait ouyr en prédication[d]. Et en un autre passage il dit, Quand sainct Paul proteste qu’il est pur du sang de tous Act.20.26 par ceste parole nous tous qui sommes nommez Prestres, sommes adjournez, et convaincus, et déclairez coulpables, d’autant qu’outre nos propres maux, nous sommes coulpables de la mort des autres ; car nous en tuons autant qu’il en meurt journellement, ce pendant que nous nous reposons, et nous taisons[e]. Il dit que luy et les autres se taisent, d’autant qu’ils n’estoyent point si continuellement à la besogne comme ils devoyent. Veu qu’il ne pardonne point à ceux qui faisoyent leur office à demi, que pensez-vous qu’il eust fait si quelqu’un s’en fust déporté du tout ? Cela doncques a duré long temps en l’Eglise, que le principal office de l’Evesque estoit de paistre le peuple par la Parole de Dieu, ou édifier l’Eglise tant en public qu’en particulier par saine doctrine.
[c] Hiero. Epistola ad Evagrium.
[d] Epist. XXIV.
[e] Homil. in Ezech., XI.
4.4.4
Touchant ce qu’une chacune province avoit son Archevesque : item, qu’au Concile de Nice furent ordonnez des Patriarches, qui fussent encore par-dessus les Archevesques en dignité et honneur, cela estoit pour la conservation de la police. Et pource que l’usage n’en estoit pas fréquent, je me fusse déporté d’en parler, mais il n’est que bon de le noter yci comme en passant. Ces degrez doncques ont esté ordonnez principalement pour ceste cause : afin que s’il survenoit quelque chose en une Eglise, qui ne se peust point despescher par peu de gens, que cela fust remis au Synode provincial. Si c’estoit cause de telle importance ou difficulté qu’il la fallust mener plus avant, la cognoissance venoit aux Patriarches, qui assembloyent le Concile de tous les Evesques respondans à leur primauté, et de là il n’y avoit point d’appel qu’au Concile général. Aucuns ont nommé ce gouvernement, Hiérarchie, d’un nom impropre, comme il me semble, pour le moins qui n’est point usité en l’Escriture. Car le sainct Esprit a voulu obvier, que quand il est question du gouvernement de l’Eglise, nul n’imaginast quelque principauté ou domination ; toutesfois si nous considérons la chose sans regarder au mot, nous trouverons que les Evesques anciens n’ont point voulu forger une forme de gouverner l’Eglise, diverse de celle que Dieu a ordonnée par sa Parole.
4.4.5
Semblablement l’estat des Diacres n’a point esté autre pour ce temps-là, qu’il avoit esté sous les Apostres ; car ils recevoyent tant les aumosnes qui se faisoyent un chacun jour par les fidèles, que les rentes annuelles, pour les réserver à leur vray usage : c’est-à-dire, partie pour la nourriture des ministres, partie pour les povres : le tout néantmoins avec l’authorité de l’Evesque, auquel ils rendoyent conte chacun an. Car ce que les Canons ordonnent que l’Evesque soit dispensateur des biens de l’Eglise, il ne le faut pas prendre comme si les Evesques eussent eu ceste charge pour l’exécuter par eux-mesmes ; mais pource que c’est à eux à faire de commander aux Diacres quelles gens ils devoyent recevoir pour estre nourris du bien commun, à qui ils devoyent distribuer ce qui demeuroit de reste : et qu’ils avoyent aussi la superintendance pour sçavoir comme tout alloit. Il y a un Canon entre ceux qu’on intitule des Apostres, qui dit ainsi, Nous ordonnons que l’Evesque ait les biens de l’Eglise en sa puissance : car si les Ames des hommes, qui sont plus précieuses, leur ont esté commises, par plus forte raison ils peuvent bien avoir le gouvernement de l’argent, afin que le tout se distribue en leur authorité par les Prestres et Diacres, avec crainte et solicitude[f]. Et au Concile d’Antioche, il fut décrété qu’on corrigeast les Evesques qui prenoyent le maniement des biens de l’Eglise, sans avoir les Prestres et Diacres comme adjoincts. Mais de cela il n’en faut jà disputer plus outre, veu qu’il appert par plusieurs épistres de sainct Grégoire, que de son temps mesmes, auquel toutesfois tout l’ordre de l’Eglise estoit fort corrompu, cest usage duroit encores, que les Diacres fussent dispensateurs des biens de l’Eglise sous l’authorité des Evesques. Il est vray-semblable que les Sousdiacres leur ont esté adjoincts du commencement, pour les aider à servir aux povres : mais ceste différence a esté petit à petit confondue. On commença de créer les Archediacres, quand le bien fut augmenté : et pour ceste cause la charge estoit plus grande, et requéroit une façon de gouvernement plus exquise. Combien que sainct Hiérosme récite qu’il y en avoit desjà de son temps[g]. Or ils avoyent entre mains tant les possessions et revenus, que les utensiles et les aumosnes quotidiennes. Pourtant sainct Grégoire escrit à l’Archediacre de Salonite, que si rien périt du bien de l’Eglise par négligence ou par fraude, qu’il en sera tenu[h]. Ce qu’on les ordonnoit à lire l’Evangile et exhorter le peuple à prier, item à donner le calice au peuple en la Cène pour boire, cela se faisoit pour honorer leur estat afin qu’ils s’acquittassent de leur devoir avec plus grande crainte de Dieu : d’autant qu’ils estoyent admonestez par telles cérémonies, qu’ils n’estoyent point en une recepte profane, mais en une charge spirituelle et dédiée à Dieu.
[f] Chap. XXXV.
[g] Epist. ad Nepotianum.
[h] Epist. X, lib. I.
4.4.6
De là il est facile de juger quel a esté l’usage des biens ecclésiastiques, et quelle en a esté la dispensation. Il est souvent dit tant aux Canons que par les anciens Docteurs, que tout ce que l’Eglise possède, ou en terre ou en argent, est le patrimoine des povres. Et pourtant ceste leçon est là souventesfois répétée aux Evesques et aux Diacres, que les richesses qu’ils manient ne sont point à eux, mais destinées à la nécessité des povres : et qu’ils seront coulpables de meurtre, s’ils les dissipent meschamment, ou s’ils les retienent à eux. Et sont admonestez de distribuer ce qui leur est commis, à ceux ausquels il est deu, avec grand’crainte et révérence, comme devant Dieu, sans acception de personnes. De là vienent les protestations que font sainct Chrysostome, sainct Ambroise, et sainct Augustin et les autres, pour rendre tesmoignage au peuple de leur intégrité. Or d’autant que c’est chose équitable, et que Dieu l’a aussi ordonné en la Loy, que ceux qui s’employent du tout au service de l’Eglise, soyent entretenus du public ; et mesmes qu’il y avoit de ce temps-là beaucoup de Prestres qui faisoyent oblation à Dieu de leurs patrimoines, se faisans povres volontaires : la distribution estoit telle, qu’on prouvoyoit à la nourriture des ministres, et qu’on ne laissoit point les povres en arrière. Combien que ce pendant il y avoit bon ordre, à ce que les ministres qui doyvent estre exemple aux autres de sobriété et tempérance, n’eussent gages excessifs pour en abuser à somptuosité et délices, mais seulement pour s’entretenir en petit estat. Pour ceste cause sainct Hiérosme dit, que si les Clercs qui se peuvent entretenir du bien de leur maison, prenent du bien des povres, ils commettent sacrilège, et mangent leur condamnation[i].
[i] Refert. cap. Clericos, I, II.
4.4.7
Du commencement l’administration estoit à volonté, d’autant qu’on se pouvoit fier à la bonne conscience des Evesques et Diacres, et que leur innocence leur estoit pour loy. Depuis par succession de temps la convoitise d’aucuns et mauvaise administration, dont il sortoit de grans scandales, ont esté cause qu’on feit certains canons, lesquels ont distribué le revenu de l’Eglise en quatre parties : assignant la première au Clergé : la seconde aux povres : la troisième à la réparation des Eglises et autres semblables despenses : la quatrième aux estrangers et povres survenans. Car ce que les autres Canons assignent ceste partie à l’Evesque, cela ne répugne point à la division que je vien de réciter : car ils n’entendent point qu’elle luy soit propre, ou à ce qu’il la dévore luy seul, ou qu’il l’esparde là où bon luy semblera : mais afin qu’il ait de quoy exercer libéralité envers les survenans, selon que sainct Paul commande 1Tim. 3.2. Et ainsi l’interprètent Gélasius et sainct Grégoire. Car Gélasius n’ameine point d’autre raison pourquoy l’Evesque se puisse rien attribuer sinon à ce qu’il ait de quoy pour eslargir aux estrangers et aux captifs. Et sainct Grégoire parle encores plus clairement : La façon, dit-il, du siège apostolique est de commander à un Evesque, quand il est institué, qu’il se face quatre portions de tout le revenu de l’Eglise : dont l’une soit à l’Evesque et à sa famille, à ce qu’il puisse recevoir les estrangers et survenans, et leur bienfaire : la seconde au Clergé : la troisième aux povres : la quatrième à la réparation des Eglises[j]. Il n’estoit doncques licite à l’Evesque de rien prendre, sinon autant qu’il luy estoit mestier pour sobrement vivre et se vestir sans aucune somptuosité. Que si quelqu’un commençoit d’excéder mesure, et se monstrer en somptuosité ou en pompe, il estoit incontinent admonesté par les autres Evesques voisins : s’il ne se chastioit, il estoit déposé.
[j] Cap. Præsulum, XVI, quæst. III. Refert. capit. Mos, est XII, quæst. XII.
4.4.8
Ce qui s’appliquoit aux ornemens des temples, estoit du commencement bien petit : mesmes après que l’Eglise fut devenue plus riche, si ne laissoyent-ils point de garder médiocrité en cest endroict, et néantmoins tout ce qui estoit là employé d’argent, demeuroit en réserve pour les povres, au cas qu’il surveinst grande nécessité. En ceste manière Cyrillus Evesque de Jérusalem, pource qu’il ne pouvoit autrement subvenir à l’indigence des povres, en temps de famine vendit tous les vaisseaux et autres ornemens pour en faire des aumosnes[k]. Semblablement Acatius, Evesque d’Amide, voyant une grande multitude de Persiens en grosse nécessité, appela son Clergé : et après avoir fait une belle remonstrance, que nostre Dieu n’a que faire de plats ne de calices, puis qu’il ne boit ne mange, feit argent de tout pour la rédemption et nourriture des povres[l]. Et sainct Hiérosme en reprenant la superfluité qui estoit desjà de son temps à orner les temples, loue Exupérius Evesque de Tholouse, vivant pour lors, lequel administroit le Sacrement du corps de nostre Seigneur en un petit panier d’ozière, et le sacrement du sang en un verre, donnant ordre ce pendant que nul povre n’eust faim[m]. Ce que j’ay n’aguères allégué d’Acatius, sainct Ambroise le raconte aussi de soy-mesme. Car pource que les Arriens le blasmoyent qu’il avoit rompu tous les vaisseaux sacrez, afin d’en payer la rançon des prisonniers, qui estoyent prins des infidèles, il use de ceste belle excuse et digne de mémoire. Celuy qui a envoyé ses Apostres sans or, a aussi congrégé ses Eglises sans or. L’Eglise a de l’or, non point pour le garder, mais pour le distribuer, et en subvenir en la nécessité. Que faut-il garder ce qui ne sert de rien ? Ne sçavons-nous pas combien les Assyriens ont ravi d’or et d’argent du temple du Seigneur ? Ne vaut-il pas mieux que le Pasteur en face argent pour aider à nourrir les povres, qu’un sacrilège et brigand le transporte ? Dieu ne dira-il point, Pourquoy as-tu souffert tant de povres mourir de faim, puis que tu avois de l’or pour leur acheter nourriture ? Pourquoy as-tu laissé mener en captivité tant de povres gens sans les racheter ? Pourquoy en as-tu laissé tuer d’aucuns ? Il valoit bien mieux garder les vaisseaux des créatures vivantes, que des métaux morts. Que pourroit-on respondre à cela ? car si on dit. Je craignoye qu’il n’y eust plus d’ornemens au temple : Dieu respondra, Les Sacremens ne demandent point d’or : et comme on ne les achète point à l’or, aussi ne sont-ils point agréables par or. L’ornement des Sacremens, est la rédemption des prisonniers[n]. En somme, nous voyons avoir esté vray en ce temps-là, ce que luy-mesme dit en un autre passage : Asçavoir que tout ce que l’Eglise possédoit, estoit pour entretenir les povres[o]. Item, que tout ce qu’un Evesque avoit, estoit aux povres[p].
[k] Tripart. Hist., lib. IV.
[l] Lib. XI, c. XVI.
[m] Ad Nepotianum.
[n] De offic., lib. II, cap. XXVIII.
[o] Epist. XXXI, lib. V.
[p] Epist. XXXIII, codem libro.
4.4.9
Voylà les ministères ou offices qui ont esté en l’Eglise ancienne ; car les autres estats du Clergé, dont il est fait mention souvent aux livres des Docteurs et aux Conciles, estoyent plustost exercices et préparations, que certains offices. Car afin qu’il y demeurant tousjours semence en l’Eglise, à ce qu’elle ne fust point despourveue de ministres : les jeunes gens, qui par le consentement et authorité de leurs parens se présentoyent pour servir au temps advenir, estoyent receus au Clergé, et avoyent le nom de Clercs. Ce pendant on les instruisoit, et les accoustumoit-on à toutes bonnes choses : afin qu’ils ne fussent point nouveaux et ignorans quand il seroit question de les employer en quelque office. Je voudroye certes qu’on leur eust imposé un autre nom plus propre, veu que sainct Pierre appelle toute l’Eglise, Le Clergé du Seigneur, c’est-à-dire l’héritage 1Pi. 5.3. Ainsi, ce nom ne convenoit point à un seul ordre : toutesfois la façon de faire estoit saincte et utile : asçavoir que ceux qui se vouloyent dédier à l’Eglise, fussent nourris sous la discipline de l’Evesque, afin que nul n’entrast en office devant qu’avoir esté bien formé : c’est-à-dire instruit en bonne et saine doctrine, exercé à porter le joug, et estre humble et obéissant ; item, occupé en choses sainctes, pour oublier toutes occupations profanes et mondaines. Or tout ainsi qu’on accoustume nouveaux gendarmes par joustes et autres semblables exercices, afin qu’ils sçachent comment ils se devront porter quand ce viendra à combatre à bon escient contre leurs ennemis : aussi il y avoit certains exercices au Clergé ancien, pour préparer ceux qui n’estoient point encores en office. Premièrement, on leur donnoit la charge d’ouvrir et fermer les temples : lors on les nommoit Huissiers. Après, on les ordonnoit pour demeurer avec l’Evesque, pour le conduire tant pour honnesteté que pour éviter souspeçon, afin qu’il n’allast nulle part sans compagnie et sans tesmoin. Puis, afin qu’ils commençassent petit à petit à estre cognus du peuple, et qu’ils acquissent quelque authorité : semblablement afin qu’ils apprinssent d’avoir contenance devant le peuple, et qu’ils eussent audace de parler, afin qu’estans promeus en l’ordre de Prestrise ils ne fussent point confus ne troublez quand il seroit question de prescher, on leur ordonnoit de faire la lecture des Pseaumes au pulpitre. En ceste manière ils estoient promeus de degrez en degrez, afin qu’on les approuvas en chacun exercice devant que les faire Sousdiacres. Mon propos tend là, qu’on cognoisse que ces choses ont esté préparations et rudimens ou apprentissages, plustost que certains offices, comme j’ay dit ci-dessus.
4.4.10
Suyvant ce que nous avons dit, que le premier point en l’élection des ministres est, quels doivent estre ceux qu’on eslit : et le second, avec combien meure délibération on y doit procéder : en l’un et en l’autre l’Eglise ancienne a suyvi diligemment ce que sainct Paul en ordonne. Car la coustume estoit de s’assembler avec grande révérence et invocation du Nom de Dieu, pour eslire les Evesques. D’avantage, ils avoyent un formulaire d’examen, qui estoit pour enquérir sur la vie et la doctrine de ceux qu’on eslisoit, selon la mesme reigle de sainct Paul. Il y a seulement eu une faute en cest endroict, qu’ils ont usé avec le temps d’une trop grande sévérité, voulans requérir en un Evesque plus que sainct Paul n’y requiert 1Tim. 3.2 : et principalement quand on a ordonné par succession de temps, qu’il s’absteinst de mariage. En tout le reste ils ont bien esté conformes à la description de sainct Paul, que nous avons dite. Touchant du troisième point, Asçavoir à qui c’est qu’il appartient d’eslire ou instituer les ministres, en cela les Anciens n’ont tousjours tenu un mesme ordre. Du premier commencement nul n’estoit receu mesmes au Clergé sans le consentement de tout le peuple : tellement que sainct Cyprien s’excuse songneusement de ce qu’il avoit constitué un Lecteur sans en communiquer avec l’Eglise, d’autant que cela, comme il dit, avoit esté fait contre la coustume, jà soit qu’il y eust raison. Il use doncques de ce proëme, Mes chers frères, en ordonnant les Clercs nous avons coustume de vous en demander vostre advis : et après avoir prins conseil de toute l’Eglise, de priser les mérites d’un chacun[q]. Voylà ses paroles. Mais d’autant qu’en ces petis exercices, comme de Lecteurs et Acolytes, il n’y avoit pas grand danger, veu qu’on ne les recevoit qu’en charge de bien peu d’importance, et devoyent estre en une charge de longue espreuve, par succession de temps on laissa d’en parler au peuple. Depuis mesmes aux autres estats et ordres, excepté des Evesques, le peuple permit l’élection à l’Evesque et aux Prestres, à ce qu’ils cognussent lesquels estoyent idoines ou non : fors que quand on vouloit ordonner un Prestre en une paroisse. Car lors il faloit que le commun peuple y consentist. Or ce n’est point de merveilles qu’il n’a pas beaucoup chalu au peuple de maintenir son droict en ses élections : car nul n’estoit fait Sousdiacre, qu’il n’eust esté esprouvé par longue espace de temps avec telle sévérité comme nous avons dit. Après qu’on l’avoit encores derechef esprouvé en ce degré-là, on le constituoit Diacre : auquel office s’il se portoit fidèlement, il parvenoit au degré de Prestrise. Ainsi nul n’estoit promeu qu’il n’eust esté auparavant longuement examiné, mesmes à la veue du peuple. D’avantage, il y avoit beaucoup de Canons pour corriger leurs vices : tellement que l’Eglise ne pouvait estre chargée de mauvais Prestres ou mauvais Diacres, sinon qu’on négligeast les remèdes qu’on avoit en main. Combien qu’en eslisant les Prestres, on requéroit nommément le consentement des habitans du lieu : ce que tesmoigne un Canon qu’on attribue à Anaclète, qui est récité au Décret, en la distinction soixante-septième. Et de faict on tenoit les ordres en temps préfix de l’année, afin que nul ne fust introduit en cachette sans le consentement du commun, et que nul ne fust légèrement promeu sans avoir bon tesmoignage.
[q] Lib. I, epist V.
4.4.11
Quant à l’élection des Evesques, la liberté a esté laissée longtemps au peuple, que nul ne fust introduit sinon qu’il fust agréable à tous. Pourtant il est défendu au Concile d’Antioche, que nul ne soit ordonné maugré le peuple : ce que Léon Ier conferme en disant, qu’on eslise celuy lequel aura esté demandé du Clergé et du commun, au moins de la plus grande multitude. Item celuy qui doit présider sur tous : soit esleu de tous : car celuy qui est ordonné sans estre cognu et examiné, est introduit par force. Item, Qu’on eslise celuy qui aura esté esleu du Clergé et désiré du peuple et qu’il soit consacré par les Evesques de la province, avec authorité du Métropolitain[r]. Or les saincts Pères ont eu si grand soin que ceste liberté du peuple ne fust aucunement enfreinte, que mesmes le Concile universel estant congrégé à Constantinoble, ne voulut point ordonner Nectarius Evesque sans l’approbation du Clergé et du peuple, comme il appert par l’Epistre envoyée à l’Evesque de Rome. Pourtant quand quelque Evesque ordonnoit un successeur, cela n’avoit point de tenue, sinon qu’il fust ratifié par le peuple. De laquelle chose non-seulement nous avons exemple, mais aussi un formulaire en la nomination que fait sainct Augustin d’Eradius, pour estre son successeur. Et Théodorite historien, récitant qu’Athanase ordonna Pierre pour son successeur, adjouste incontinent, que le Clergé ratifia cela, la justice et les gouverneurs, et tout le peuple l’approuvant[s].
[r] Epist. XC, cap. I.
[s] Epist. CX. Habetur apud Theodor., lib. IV, cap. XX.
4.4.12
Je confesse que cela a esté très-bien ordonné au Concile de Laodicée, que l’élection ne fust point permise au commun[t] : car à grand’peine se peut-il faire, que tant de testes s’accordent bien pour mener un affaire à fin. Et ce proverbe est quasi tousjours vray, que le vulgaire, selon qu’il est volage, se bende en affections contraires. Mais il y avoit un très-bon remède pour obvier à ce mal. Car de première entrée le Clergé seul eslisoit : puis il offroit celuy qu’il avoit esleu aux seigneurs et gouverneurs. Iceux ayans délibéré ensemble, ratifioyent l’élection si elle leur sembloit bonne : autrement ils en eslisoyent un autre. Après cela on venoit au peuple, lequel, combien qu’il ne fust point lié à recevoir l’élection jà faite, toutesfois il n’avoit pas occasion de tumultuer : ou si on commençoit par le peuple, cela se faisoit pour entendre lequel il désiroit plus d’avoir : et ainsi ayant entendu l’affection du peuple, le Clergé eslisoit. Par ce moyen il n’estoit point en la liberté du Clergé de choisir à leur plaisir : et toutesfois il n’estoit pas sujet à complaire à l’appétit désordonné du peuple. Cest ordre nous est récité par Léon en un autre passage, quand il dit, Il faut avoir les voix des bourgeois, les tesmoignages du peuple, l’authorité des gouverneurs, l’élection du Clergé. Item, Qu’on ait le tesmoignage des gouverneurs, la subscription du Clergé, le consentement du Sénat et du peuple. La raison ne veut pas qu’il se face autrement[u]. Et de faict, le sens du Canon de Laodicée que nous avons allégué, n’est pas autre. Car il n’entend autre chose, sinon que les gouverneurs et les Clercs ne se doyvent point laisser transporter par le populaire, qui est inconsidéré, mais plustost réprimer par leur gravité et prudence la folle cupidité d’iceluy, quand il en est mestier.
[t] Chap. XIII.
[u] Epist. LXXXVII.
4.4.13
Ceste façon d’eslire s’observoit encores du temps de sainct Grégoire : et est vray-semblable qu’elle a duré encores longuement depuis. Il y a beaucoup d’Epistres en son registre, qui rendent suffisant tesmoignage de cela. Car toutes fois et quantes qu’il est question d’ordonner quelque part un Evesque, il a accoustumé d’escrire au Clergé, et Conseil, et au populaire, aucunesfois au seigneur : selon qu’est le gouvernement de la ville à laquelle il escrit. Et quand à cause de quelque trouble ou différent, il donne à un Evesque voisin la superintendance sur une élection, il requiert tousjours néantmoins qu’il y ait décret solennel confermé par subscriptions de tous. Mesmes pource que quelquesfois on avoit esleu un Evesque à Milan, et qu’à cause des guerres plusieurs Milannois s’estoyent retirez à Gênes : il ne veut point que l’élection soit tenue pour légitime, jusques à tant qu’iceux estans assemblez en un, y aient consentit[v]. Qui plus est, il n’y a pas encores cinq cens ans, qu’un Pape nommé Nicolas feit ceste ordonnance touchant l’élection du Pape, que les Cardinaux fussent les premiers, puis qu’ils appelassent avec eux tout le reste du Clergé, finalement que l’élection fust confermée par le consentement du peuple. Et en la fin il allègue le décret de Léon, que j’ay n’aguères amené, voulant qu’il soit observé pour l’advenir[w]. Que si les meschans faisoyent une telle brigue, que le Clergé fust contraint de sortir de la ville pour faire droicit élection, si commande-il en tel cas qu’aucuns du peuple s’y trouvent pour approuver. Le consentement de l’Empereur estoit requis seulement en deux villes, selon que nous pouvons conjecturer, asçavoir à Rome et à Constantinoble, d’autant que c’estoyent les deux sièges de l’Empire. Car ce que sainct Ambroise fut envoyé à Milan par Valentinien Empereur, afin de présider à l’élection de l’Evesque comme lieutenant impérial, cela se feit extraordinairement, à cause des grosses brigues qui estoyent entre les bourgeois. A Rome, l’authorité de l’Empereur avoit anciennement telle importance en la création de l’Evesque, que sainct Grégoire escrit à Maurice Empereur, qu’il a esté ordonné par son commandement, jà soit qu’il eust esté requis solennellement par le peuple. Or la coustume estoit, que si tost que quelqu’un estoit esleu Evesque de Rome par le Clergé, et par le Sénat, et le peuple, iceluy le signifioit à l’Empereur, lequel approuvoit l’élection, ou la rescindoit. Et à ceste coutume ne contrevienent point les décrets qu’assemble Gratien : qui ne disent autre chose, sinon qu’il ne faut nullement souffrir que l’élection canonique soit ostée, et que le Roy constitue à son plaisir des Evesques : et que les Métropolitains ne doyvent point consacrer celuy qui aura esté ainsi promeu par force. Car c’est autre chose de priver l’Eglise de son droict, à ce qu’un homme seul face tout à sa poste : et autre chose de faire cest honneur au Roy ou à l’Empereur, qu’il conferme par son authorité une élection légitime.
[v] Id quoque epist. compluribus ; ; lib. II, epist. LXIX.
[w] Dist. XXIII, cap. In nomine.
4.4.14
Il reste d’exposer par quelle cérémonie on ordonnoit les ministres de l’Eglise ancienne après les avoir esleus. Les Latins ont appelé cela Ordination ou Consécration. Les Grecs l’ont appelé de deux mots, qui signifient Imposition des mains. Or il y a un décret du Concile de Nice, lequel commande que le Métropolitain avec tous les Evesques de la province, s’assemblent pour ordonner celuy qui sera esleu. Si quelques-uns sont empeschez par maladie ou par la difficulté du chemin, que pour le moins il y en viene trois, et que ceux qui sont absens déclairent par lettres qu’ils y consentent. Et pource que ce Canon à la longue ne s’observoit plus, il a esté renouvelé depuis en plusieurs Conciles. Or il estoit commandé à tous, ou pour le moins à ceux qui n’auroyent point d’excuse, de s’y trouver afin que l’examen, tant de la doctrine que des mœurs, se feist avec plus grande gravité. Car on ne faisoit point la consécration sans tel examen. Mesmes il appert par les épistres de sainct Cyprien, que du commencement on n’appeloit point les Evesques après l’élection : mais qu’ils estoyent présens sur le lieu quand le peuple devoit eslire, afin qu’ils fussent là comme superintendans à ce que rien ne se feist en trouble par la multitude. Car après qu’il a dit que le peuple a puissance ou d’eslire ceux qu’il cognoist estre dignes, ou de refuser ceux qu’il cognoist estre indignes, il adjouste. Pourtant il nous faut diligemment tenir et garder ce qui nous a esté laissé du Seigneur et de ses Apostres, et ce qui s’observe entre nous et quasi par toutes les provinces : c’est que tous les Evesques voisins s’assemblent au lieu où il faut eslire un Evesque, et qu’il soit esleu en la présence du peuple[x]. Mais pource que quelquesfois une telle assemblée se faisoit bien tard, et ce pendant les ambitieux avoyent loisir et opportunité de mener mauvaises prattiques, on advisa qu’il suffisoit si après l’élection faite, les Evesques s’assembloyent pour consacrer celuy qui estoit esleu, après l’avoir examiné.
[x] Epist. IV, lib. I.
4.4.15
Cela se faisoit par tout sans exception. Depuis une façon toute diverse fut introduite, que celuy qui estoit esleu venoit en la ville métropolitaine pour estre conferme : ce qui a esté fait par ambition et corruptèle, plustost que par bonne raison. Quelque temps après, depuis que l’authorité du siège romain fut accreue, il y survint une façon encores beaucoup pire, c’est que tous les Evesques d’Italie venoyent là pour estre consacrez. Ce qu’on peut veoir par les épistres de sainct Grégoire[y]. Seulement il y eut quelque peu de villes, lesquelles reteindrent leur droict ancien, d’autant qu’elles ne voulurent point facilement céder : comme Milan, selon qu’on en voit l’exemple en une épistre. Possible que les seules villes métropolitaines demeurèrent en ce privilège. Car la coustume ancienne estoit, que tous les Evesques de la province s’assemblassent là pour consacrer leur Métropolitain. Au reste, la cérémonie estoit l’imposition des mains. Car je n’ay point leu qu’il y en ait eu d’autres, sinon que les Evesques avoyent quelques accoustremens pour estre discernez d’entre les autres Prestres. Semblablement ils ordonnoyent les Prestres et les Diacres par la seule imposition des mains. Mais chascun Evesque ordonnoit les Prestres de son diocèse avec le conseil des autres Prestres. Or combien que cela se faisoit de tous en commun, néantmoins pource que l’Evesque présidoit, et que la chose se faisoit comme par sa conduite, l’authorité est appelée siene. Et pourtant il est souvent dit és anciens Docteurs, qu’un Prestre ne diffère en rien d’un Evesque, sinon entant qu’il n’a point la puissance d’ordonner.
[y] Lib. II, epist. LXIX, LXXVI.
Chapitre V
Que toute la forme ancienne du régime ecclésiastique a esté renversée par la
tyrannie de la Papauté.
4.5.1
Maintenant il est mestier de mettre en avant l’ordre du gouvernement ecclésiastique que tient aujourd’huy le siège romain et tous ceux qui en dépendent : afin de le comparer avec celuy que nous avons monstré avoir esté en l’Eglise ancienne. Car par ceste comparaison il apparoistra quelle Eglise ont tous ceux qui se vantent et glorifient de ce seul tiltre, et s’en tienent tiers pour nous opprimer, voire mesmes abysmer du tout. Or il sera expédient de commencer par la vocation, afin qu’on sçache qui et quels sont ceux qu’on appelle là au ministère, et par quel moyen ils y sont introduits. Après nous verrons comment ils s’acquittent fidèlement de leur devoir. Nous donnerons le premier lieu aux Evesques, lesquels toutesfois n’auront point d’honneur en cela. Je désireroye certes qu’il leur peust tourner à honneur de commencer la danse en ceste dispute : mais la chose ne souffre point que cest argument soit attouché sans leur grand vitupère. Toutesfois il me souviendra de ce que j’ay proposé de faire : c’est de simplement enseigner, et non pas de faire de longues invectives. Je me restreindray doncques tant qu’il me sera possible : mais pour entrer en matière, je voudroye bien que quelqu’un de ceux qui ne sont point du tout effrontez, me respondist quels Evesques on eslit aujourd’huy communément. De faire examen de leur doctrine, c’est une chose trop morte. Que si on a quelque regard en la doctrine, c’est pour eslire quelque légiste, auquel il adviendroit mieux de plaider en justice, que de prescher en un temple. C’est chose notoire, que depuis cent ans à grand’ peine y en a-il eu de cent l’un qui sceust rien en la saincte Escriture. Je ne di mot de ce qui a esté fait au paravant. Non pas que l’estat fust beaucoup meilleur, mais pource que nous avons à disputer de l’Eglise présente. Si on vient à la vie, nous trouverons qu’il y en a eu peu, ou du tout nuls, qui n’eussent esté jugez indignes par les Canons anciens. Celuy qui n’a pas esté yvrongne, a esté un paillard : ou bien s’il y en avoit d’aucuns purs de ces deux vices, ils estoyent ou joueurs de dez, ou chasseurs, ou dissolus en leur vie. Or les Canons anciens rejettent un homme de l’office d’Evesque, pour moindre vice que ceux-là. Mais c’est encores une chose plus absurde, que les petis enfans de dix ans ont esté faits Evesques, et qu’on est venu à une telle impudence ou sottise, qu’une telle turpitude, qui contrevient au sens commun de nature, a esté receue sans difficulté. De là il appert combien ont esté sainctes les élections, ausquelles il y a eu une si lourde négligence.
4.5.2
D’avantage, toute la liberté du peuple, quant à l’élection des Evesques, a esté abolie. Les voix ou suffrages, le consentement, les subscriptions, et toutes telles choses sont esvanouyes. Toute la puissance a esté transportée aux Chanoines : iceux confèrent les Eveschez à qui bon leur semble. Celuy qui sera esleu, sera bien produit au peuple : mais pour l’adorer, non pas pour l’examiner. Or Léon contredit, prononçant que nulle raison ne permet cela, et que c’est une invasion violente. Sainct Cyprien, en testifiant que cela est du droict divin, qu’une élection ne se face point que par le consentement du peuple, signifie que celles qui se font autrement, sont répugnantes à la Parole de Dieu. Il y a des Décrets et plusieurs Conciles qui défendent cela estroitement : et s’il se fait, ils commandent qu’il soit tenu pour nul. Si ces choses sont vrayes, il ne reste aujourd’huy en la Papauté nulle élection canonique, laquelle se puisse approuver ne par droict divin ne par droict humain. Toutesfois encores qu’il n’y eust eu autre mal que cestuy-là, comment se pourront-ils excuser de ce qu’ils ont ainsi despouillé l’Eglise de son droict ? Mais la malice des temps, disent-ils, le requéroit ainsi : que puis que le populaire estoit plus transporté de faveur ou de haine, en eslisant les Evesques, qu’il n’estoit gouverné de droict jugement, que ceste puissance fust transférée au collège des Chanoines. Encores que nous leur accordions que tel ait esté le remède d’un mal désespéré : néantmoins puis qu’on cognoist la médecine estre plus nuisante que la maladie, pourquoy ne met-on aussi bien ordre à ce nouveau mal ? Ils respondent que les Canons défendent estroitement aux Chanoines de n’abuser de leur puissance au détriment de l’Eglise, toutes les fois que bon leur semble. Doutons-nous que,1e peuple n’entendist pas bien anciennement, qu’il estoit obligé à très-sainctes loix, quand il voyoit la reigle qui luy estoit proposée par la Parole de Dieu pour eslire les Evesques ? Car une seule voix de Dieu luy devoit par droict estre en plus grande estime sans comparaison, que cent millions de Canons. Néantmoins estant corrompu de mauvaise affection, il n’avoit nul esgard ne de raison ne de loy. En ceste manière aujourd’huy, combien qu’il y ait de bonnes loix escrites, toutesfois elles demeurent cachées et ensevelies en du papier. Ce pendant ceste coustume est receue et usitée, de non ordonner pour Pasteurs des Eglises, sinon barbiers, cuisiniers, bouteillers, muletiers, bastars, et toutes telles sortes de gens. Je ne di pas encores assez : mais d’avantage, que les éveschez ou cures soyent loyers de macquerelages et paillardises. Car quand ils sont donnez à veneurs et oiseleurs, la chose va très-bien. Il n’y a point de propos de défendre telle abomination par les Canons. Je di derechef, que le peuple avoit anciennement un très-bon Canon, quand la Parole de Dieu luy démonstroit qu’un Evesque doit estre irrépréhensible, de bonne doctrine, non pas combateur, ny avaricieux 1Tim. 3.2, etc. Pourquoy doncques la charge d’eslire un ministre a-elle esté translatée du peuple à ces Prélats ? Ils n’ont que respondre, sinon pourtant que la Parole de Dieu n’estoit pas ouye entre les noises et brigues du peuple. Pourquoy doncques ne sera-elle aujourd’huy ostée aux Chanoines, lesquels non-seulement violent toutes loix, mais sans honte ne vergongne confondent le ciel avec la terre, par leur avarice et ambition, et cupidité désordonnée ?
4.5.3
Mais c’est mensonge, que cela a esté introduit pour remède. Nous lisons bien que les villes ont esté souvent en trouble pour l’élection de leurs Evesques : toutesfois nul n’osa jamais penser d’oster au peuple la liberté d’eslire. Car ils avoyent d’autres moyens pour obvier à ce mal-là, ou pour le corriger quand il eust esté jà fait. Mais la vérité est telle, que le peuple par succession de temps estant nonchalant à eslire, en a laissé le soin aux Prestres. Iceux ont abusé de ceste occasion, pour usurper la tyrannie qu’ils exercent, laquelle ils ont confermée par nouveaux Canons. La façon qu’ils ont d’ordonner ou consacrer les Evesques, n’est qu’une pure mocquerie. Car l’apparence d’examen dont ils usent, est tant maigre et frivole, que mesmes elle n’a point de couleur pour tromper le monde. Pourtant ce que les Princes font aujourd’huy paction avec le Pape de pouvoir nommer les Evesques, en cela l’Eglise ne perd rien de nouveau. Car seulement l’élection est ostée aux Chanoines, laquelle ils avoyent ravie contre tout droict, ou plustost desrobée. C’est bien certes un exemple vilein et déshonneste, que les courtisans ayent ainsi à les éveschez en proye : et l’office d’un bon Prince seroit de s’abstenir de telles corruptèles. Car c’est une invasion inique et meschante, qu’un Evesque soit constitué sur un peuple lequel ne l’aura point désiré, ou pour le moins approuvé librement. Mais la façon désordonnée et confuse qui a esté long temps en l’Eglise, a donné occasion aux Princes d’attirer à eux la présentation des Evesques. Car ils ont mieux aimé qu’on leur en sceust gré, qu’à ceux qui n’y avoyent non plus de droict qu’eux, et qui en abusoyent bien autant.
4.5.4
Voylà doncques la belle vocation pour laquelle les Evesques se vantent d’estre successeurs des Apostres. Touchant de créer les Prestres, ils disent que le droict leur en compète : mais en cela ils corrompent la façon ancienne, qu’ils n’ordonnent point des Prestres pour gouverner ou enseigner le peuple, mais pour sacrifier. Semblablement quand ils consacrent des Diacres, il n’est point question de leur vray et propre office : mais il les ordonnent seulement à quelques cérémonies, comme pour présenter le calice et la patène. Or il est défendu au Concile de Calcédoine, de recevoir un homme au ministère absolument : c’est-à-dire, sans luy assigner lieu auquel il exerce son office[z]. Ce décret est très-utile pour deux causes. Premièrement, afin que les Eglises ne soyent point chargées de despenses superflues, et que ce qui devoit estre distribué aux povres ne soit point consumé à nourrir gens oisifs. Secondement, afin que ceux qu’on ordonne cognoissent qu’ils ne sont point promeus à quelque honneur : mais qu’on leur impose charge, à laquelle ils s’obligent par telle réception solennelle. Mais les Docteurs de la Papauté, qui n’ont soin que du ventre, et qui pensent qu’il ne faut regarder autre chose en la Chrestienté, exposent qu’il faut avoir tiltre pour estre receus : c’est-à-dire, revenu pour estre nourris, soit de bénéfice, soit de patrimoine. Pourtant, quand ils ordonnent en la Papauté un Diacre ou un Prestre, sans se soucier où ils serviront, ils ne font difficulté de les recevoir, moyennant qu’ils soyent assez riches pour s’entretenir. Mais qui sera l’homme qui recevra cela, que le tiltre qui est requis par le Concile, soit revenu annuel pour la nourriture ? D’avantage, pource que les Canons qui ont esté depuis faits, condamnoyent les Evesques à nourrir ceux qu’ils avoyent receus sans tiltres suffisans : afin de corriger une trop grande facilité à recevoir tous ceux qui se présentent, on a trouvé un nouveau subterfuge pour éviter ce danger. Car celuy qui demande d’estre promeu produisant un tiltre tel quel, il promet de s’en tenir pour content. Par ceste paction il est déboulé, qu’il ne puisse après plaider contre l’Evesque pour sa nourriture. Je me tay de mille tromperies qui s’y font, comme de produire un tiltre imaginaire de quelque chapelle de cinq sols, ou d’une vicarie qui vaut autant traisnée que portée. Item, d’emprunter un bénéfice avec convenance de le rendre, (combien qu’il y en a beaucoup qui le retienent) et autres semblables mystères.
[z] Distinct. LXX, cap. I.
4.5.5
Mais encores que ces plus gros abus fussent ostez, n’est-ce point toujours une chose trop absurde, d’ordonner un Prestre sans luy assigner lieu ? or ils n’en ordonnent point sinon pour sacrifier. Or la réception légitime d’un Prestre, est pour gouverner l’Eglise : d’un Diacre, pour estre procureur des povres. Ils ornent bien ce qu’ils font par plusieurs pompes et gestes, afin d’esmouvoir les simples à dévotion : mais de quoy proufitent ces masques envers toutes gens de jugement, veu qu’il n’y a rien de solide ne de vray ? Car ils usent de cérémonies lesquelles en partie ils ont prinses des Juifs, en partie forgées d’eux-mesmes, desquels il vaudroit beaucoup mieux s’abstenir. Touchant du vray examen, du consentement du peuple, et des autres choses nécessaires, il n’en est point de nouvelles : car des mines qu’ils font, je ne m’en soucie. J’appelle Mines, toutes les folles contenances dont ils usent, pour faire semblant d’ensuyvre la façon ancienne. Les Evesques ont leurs vicaires qui examinent la doctrine de ceux qui demandent d’estre promeus. Mais quoy ? Ils interroguent s’ils sçavent bien leurs Messes, s’ils sçavent bien décliner quelque nom vulgaire, ou conjuguer un Verbe, ou dire la signification d’un mot, selon qu’on interrogueroit un petit enfant à l’eschole : mesmes de leur faire translater une seule ligne de Latin en François, il n’en est quasi point question. Qui plus est encores, ceux qui faudront en ces petis rudimens d’enfans, ne seront point rejettez, moyennant qu’ils vienent avec quelque présent, ou avec quelque recommandation, pour avoir faveur. C’est un acte semblable, que quand ceux qu’on doit promouvoir se présentent à l’autel, on demande par trois fois en Latin, s’il est digne : et quelqu’un qui ne l’a jamais veu, ou quelque vallet de chambre qui n’entend point Latin, respond en Latin qu’il est digne : tout ainsi qu’un personnage joueroit son rolle en une farce. Qu’est-ce qu’on reprendroit en ces saincts Pères et vénérables prélats : sinon qu’en se jouant en si horribles sacrilèges, ils se mocquent apertement de Dieu et des hommes ? Mais pource qu’ils en sont de long temps en possession, il leur semble advis que tout leur est licite. Car si quelqu’un ose ouvrir la bouche contre une telle meschanceté si exécrable, il est en aussi grand danger de mort comme s’il avoit commis un crime capital. Feroyent-ils cela, s’ils pensoyent qu’il y eust quelque Dieu au ciel ?
4.5.6
Quant est des collations des bénéfices, laquelle chose estoit anciennement conjoincte avec la promotion, de combien s’y portent-ils mieux ? Or la façon en est diverse entre eux. Car ce ne sont pas les Evesques seulement qui confèrent les bénéfices : et encores quand ils en sont collateurs, ce n’est pas toujours à dire que ce soit de leur plene puissance : mais il y en a d’autres qui en ont la présentation. Brief, chacun en a ce qu’il en a peu butiner. Il y a puis après les nominations pour les graduez. Item, les résignations maintenant simples, maintenant pour cause de permutation. Item, les mandats, les préventions, et toute telle chicanerie. Quelque chose qu’il y ait, et Pape, et Légats, et Evesques, et Abbez, et Prieurs, et Chanoines, et Patrons lais s’y portent tellement, que nul ne sçauroit que reprocher à son compagnon. Je maintien cela, qu’à grand’peine il se confère un seul bénéfice entre cent en toute la Papauté, sans simonie : comme les Anciens ont défini Simonie. Je ne di pas que tous les achètent argent contant, mais qu’on m’en monstre un entre cinquante qui ait bénéfice, lequel il n’ait obtenu à la traverse. Les uns sont advancez par parentage, les autres par affinité, les autres par le crédit de leurs parens, les autres par leurs services : en somme, on confère les bénéfices, non pas pour prouvoir aux Eglises, mais aux hommes. Et pourtant, ils les nomment Bénéfices, par lequel mot ils dénotent assez qu’ils ne les ont point en autre estime, que comme présens faits par gratuité, ou comme récompenses. Je laisse à dire que ce sont souvent salaires de barbiers, cuisiniers, muletiers, et autres telles canailles. D’avantage, il n’y a aujourd’huy nulle matière dont il y ait tant de procès que pour les bénéfices : tellement qu’on diroit qu’ils sont exposez en proye, afin que les chiens chassent après. Est-ce une chose tolérable, qu’un homme soit appelé Pasteur d’une Eglise, laquelle il aura occupée comme si c’estoit terre gaignée des ennemis, ou laquelle il aura obtenue par procès, ou laquelle il aura achetée à pris fait, ou laquelle il aura gaignée par services déshonnestes ? Et que dirons-nous des petis enfans, lesquels les ont de leurs oncles, ou de leurs cousins, comme de succession : quelquesfois mesmes les bastars, de leurs pères ?
4.5.7
Le peuple comment qu’il eust esté corrompu et dépravé, se fust-il jamais tant desbordé à une licence tant désespérée ? Mais c’est encores un monstre plus vilein, qu’un seul homme, je ne di pas quel, mais un homme qui ne se peut gouverner soy-mesme, ait cinq ou six Eglises à gouverner. On verra aujourd’huy des jeunes follets aux cours des Princes, qui auront un Archevesché, deux Eveschez et trois Abbayes. C’est chose commune, que les Chanoines soyent chargez de six ou sept bénéfices, desquels toutesfois ils n’ont nul soin, sinon d’en recevoir le revenu. Je ne leur objecteray point que la Parole de Dieu contredit par tout à cela : car il y a long temps qu’ils ne font pas grand conte d’icelle. Je ne leur objecteray point aussi que les Conciles anciens ont fait beaucoup d’ordonnances, pour rigoureusement punir un tel désordre : car ils mesprisent bien tous les Canons et Décrets, toutes fois et quantes que bon leur semble. Mais je di que ces deux choses sont vilenes et exécrables, répugnantes à Dieu, à nature, et au régime de l’Eglise, qu’un brigand ou voleur occupe seul plusieurs Eglises : et qu’un homme soit nommé Pasteur, lequel ne peut estre auprès de son troupeau, mesmes quand il voudroit : et toutesfois ils sont tant effrontez qu’ils couvrent sous ombre de l’Eglise ces ordures tant abominables, afin qu’on ne les reprene point. Qui plus est, ceste belle succession qu’ils allèguent, pour dire que l’Eglise s’est conservée entre eux depuis le temps des Apostres jusques à présent, consiste enclose en ces meschancetez.
4.5.8
Voyons maintenant comment ils exercent fidèlement leur office : qui est la seconde marque par laquelle on doit estimer les vrays Pasteurs. Les Prestres qu’ils font, sont en partie Moynes, en partie séculiers, comme ils les appellent. Les premiers ont esté incognus en l’Eglise ancienne ; et de faict, l’office de Prestrise répugne tellement à la profession monachale, que quand anciennement on eslisoit un Moyne pour estre au Clergé, il sortoit du premier estat : mesmes sainct Grégoire, au temps duquel il y avoit desjà beaucoup de vices, ne peut porter une telle confusion. Car il veut, si quelqu’un est fait Abbé, qu’il se déveste de l’estat du Clergé : d’autant que nul, comme il dit, ne peut estre Moyne et du Clergé ensemble, d’autant que l’un empesche l’autre[a]. Maintenant, si j’interrogue nos gens, comment celuy lequel les Canons déclairent n’estre point idoine en un office, s’acquittera de son devoir : que me respondront-ils ? Je croy bien qu’ils m’allégueront ces Décrets avortez d’Innocence et de Boniface, lesquels reçoyvent tellement un Moyne au degré de Prestrise, qu’il demeure néantmoins tousjours en son cloistre. Mais est-ce raison que quelque asne sans aucun sçavoir ne prudence, incontinent qu’il aura occupé le siège romain, renverse toutes les ordonnances anciennes d’un petit mot ? combien que de cela nous en parlerons puis après. Pour le présent qu’il suffise que du temps que l’Eglise estoit plus pure, on tenoit cela pour une grande absurdité, qu’un Moyne fust en l’estat de prestrise. Car sainct Hiérosme nie qu’il face office de Prestre pendant qu’il converse entre les Moynes, mais se fait comme homme lay, qui doit estre gouverné par les Prestres. Mais encores que nous leur pardonnions ceste faute : comment est-ce qu’ils exercent l’office ? Il y en a aucuns des mendians, et quelque peu des autres, qui preschent : tout le reste ne sert que de chanter ou dire Messe en leurs cavernes : comme si Jésus-Christ avoit entendu que les Prestres fussent créez à ceste fin, ou comme si la nature de l’office le portoit. Or au contraire l’Escriture tesmoigne que le propre d’un Prestre c’est de gouverner l’Eglise Actes 20.28. N’est-ce point doncques une profanation meschante de destourner à autre fin, ou plustost du tout changer la saincte institution de Dieu ? Car quand on les ordonne, nommément on leur défend de faire les choses que le Seigneur enjoinct à tous Prestres. Qu’ainsi soit, on leur chante ceste leçon : Qu’un Moyne se contentant de son cloistre, ne présume point ne d’enseigner, ne d’administrer les Sacremens, ne d’exercer autre charge publique. Qu’ils nient, s’ils peuvent, que ce ne soit une mocquerie manifeste de Dieu, de créer un Prestre afin qu’il se déporte de l’office : et qu’un homme ait le tiltre, qui ne peut avoir la chose.
[a] Epist. XI, lib. III.
4.5.9
Je vien aux séculiers, lesquels en partie sont bénéficiez, comme ils les nomment : c’est-à-dire ils sont prouveus pour leur ventre : en partie falourdiers, qui gaignent leur vie à chanter ou à barbotter, à ouyr les confessions, porter les mors en terre, et autres choses semblables. Des bénéfices, les uns ont charge d’âmes, comme Eveschez et Cures : les autres sont salaires de gens délicats qui vivent en chantant, comme prébendes, chanoineries, dignitez, chapelles, et autres semblables. Combien que tout va tellement à rebours, que les Abbayes et Prieurez sont donnez non-seulement à Prestres séculiers, mais à des petis enfans : et cela se fait tellement par privilège, que c’est une coustume ordinaire. Touchant des Prestres mercenaires, ou falourdiers, qui se louent à journée, que feroyent-ils autre chose que ce qu’ils font ? asçavoir, en se prostituant à exercer une telle marchandise honteuse et vilene, principalement en telle multitude ? Pourtant, comme ainsi soit qu’ils ayent honte de mendier apertement, ou qu’ils n’espèrent point de beaucoup proufiter en ce faisant, ils circuissent courans ci et là comme chiens affamez : et par leur importunité, comme par abbay, ils arrachent par force des uns et des autres quelques morceaux pour fourrer en leur ventre. Si je vouloye yci démonstrer quel déshonneur c’est à l’Eglise, que l’estat et degré de Prestrise soit abbaissé jusques-là, il n’y auroit point de fin. Je n’useray point doncques de longues quérimonies, pour déclairer la grandeur de ceste turpitude. Seulement je di en brief, que si l’office d’un Prestre est de paistre l’Eglise, et d’administrer le règne spirituel de Jésus-Christ, comme la Parole de Dieu l’ordonne, et les anciens Canons le requièrent : tous tels Prestres, qui n’ont nul ouvrage ne loyer qu’à faire marchandise de Messes et briborions, non-seulement se déportent de faire leur devoir, mais qu’ils n’ont nul office légitime à exercer. Car on ne leur donne point de lieu à enseigner. Ils n’ont nul troupeau à gouverner. Brief, il ne leur reste que l’autel pour offrir Jésus-Christ en sacrifice : ce qui est sacrifier, non pas à Dieu, mais au diable, comme nous verrons ci-après.
4.5.10
Je n’attouche point yci les vices des personnes, mais seulement le mal qui est enraciné en leur institution, et ne s’en peut séparer. J’adjousteray une parole, laquelle sonnera mal en leurs aureilles : mais puis qu’elle est vraye il la faut dire : c’est qu’autant en est-il de tous Chanoines, Doyens, Chapelains, Prévosts, Chantres, et tous ceux qui vivent de bénéfices oisifs. Car quel ministère ou service peuvent-ils faire à l’Eglise ? Ils se sont deschargez de la prédication de la Parole, du soin de la discipline, et de l’administration des Sacremens, comme de choses trop fascheuses. Qu’est-ce doncques qu’il leur reste, pourquoy ils se puissent vanter d’estre vrais Prestres ? Ils ont la chanterie et la pompe des cérémonies ; mais tout cela n’est rien à propos. S’ils allèguent la coustume, l’usage, la prescription du long temps : j’appelle à la sentence de Christ, en laquelle il nous a exprimé quels sont les vrais Prestres, et que doyvent avoir ceux qui veulent qu’on les répute tels. S’ils ne peuvent porter une condition si dure, que de se submettre à la reigle de Jésus-Christ : pour le moins qu’ils permettent que ceste cause soit décidée par l’authorité de la première Eglise : mais leur condition ne sera jà meilleure, si on juge de leur estat selon les Canons anciens. Ceux qui ont esté changez en Chanoines, devoyent estre les Prestres de la ville, comme ils ont esté autrefois, pour gouverner l’Eglise en commun avec l’Evesque, et estre comme ses assesseurs en office de Pasteur. Toutes les dignitez des Chapitres n’appartienent de rien au gouvernement de l’Eglise, encores moins les chapelles, et telles ordures ou fatras. En quelle estime doncques les aurons-nous tous ? Certes et la Parole de Jésus-Christ, et l’observation de l’Eglise ancienne les rejette du tout de l’ordre de Prestrise : toutesfois ils maintienent qu’ils sont Prestres. Il leur faut doncques oster ceste masque : et ainsi on trouvera que leur profession est du tout diverse et estrange de l’office de Prestrise, tel qu’il nous est défini par les Apostres, et a esté requis en l’Eglise ancienne. Pourtant tous tels ordres ou estais, de quelque tiltre qu’on les orne pour les magnifier, veu qu’ils sont nouvellement forgez, pour le moins qu’ils ne sont point fondez en l’institution du Seigneur, ny en l’usage de l’Eglise ancienne, ne doyvent avoir aucun lieu en la description du régime spirituel, lequel a esté ordonné par la bouche de Dieu mesme, et receu de l’Eglise. Ou s’ils veulent que je leur masche mieux les paroles : veu que tous Chapelains, Chanoines, Doyens, Prévosts, Chantres, et tels ventres oisifs, n’attouchent point du petit doigt une seule portion de ce qui est nécessairement requis en l’office de Prestrise, on ne doit nullement souffrir qu’en usurpant faussement l’honneur, ils violent la saincte institution de Jésus-Christ.
4.5.11
Reste maintenant les Evesques et les Curez, lesquels nous feroyent grand plaisir s’ils mettoyent peine de se maintenir en leur estat : car nous leur concéderions volontiers qu’ils ont un office sainct et honorable, moyennant qu’ils l’exerçassent. Mais quand en abandonnant les Eglises qui leur sont commises, et rejettans la charge d’icelles sur les espaules des autres, ils veulent néantmoins estre tenus pour Pasteurs, ils nous veulent faire à croire que l’office de Pasteur est de ne rien faire. Si quelque usurier, qui n’auroit jamais bougé de la ville, se disoit laboureur des champs ou vigneron : si un gendarme, qui auroit tousjours esté à la guerre et au camp, et n’auroit jamais veu livre ny ne seroit entré en justice, se vantoit d’estre docteur ou advocat, qui est-ce qui pourroit endurer un tel badinage ? Or ceux-ci usent encores d’une sottise plus lourde, voulans estre nommez et tenus Pasteurs légitimes de l’Eglise, et ne le voulans point estre. Car combien y en a-il d’entre eux qui face mesmes semblant d’exécuter leur charge ? Plusieurs d’entre eux dévorent toute leur vie le revenu des Eglises, desquelles ils n’approchent jamais seulement pour les regarder. Les autres y vienent une fois l’an, ou y envoyent un procureur, afin de les affermer à leur proufit. Quand ceste corruptèle commença de venir en avant, ceux qui vouloyent jouir de telle vocation, s’exemptoyent par privilège. Maintenant c’est un exemple bien rare, qu’un Curé soit résident en sa paroisse. Car ils les réputent comme métairies : et pourtant ils y commettent leurs vicaires comme censiers ou receveurs. Or cela est répugnant à la nature mesmes, qu’on estime un homme estre Pasteur d’un troupeau, duquel il n’aura jamais veu nulle brebis.
4.5.12
Il semble que du temps de sainct Grégoire ceste meschante semence commençoit à pulluler, que les Pasteurs devenoyent négligens à prescher et enseigner le peuple : car il s’en plaind fort en quelque passage : Le monde, dit-il, est plein de Prestres et toutesfois on trouve peu d’ouvriers à la moisson ; car nous recevons bien l’office, mais nous n’accomplissons point la charge. Item, D’autant que les Prestres n’ont point de charité, ils veulent estre veus seigneurs, et ne se recognoissent point pères. Ainsi ils changent le lieu d’humilité en orgueil et seigneurie. Item, Que faisons-nous entre nous Pasteurs qui recevons le loyer, et ne sommes pas ouvriers ? Nous sommes déclinez aux négoces qui ne nous appartienent point : nous faisons profession d’une chose, et nous adonnons à l’autre. Nous laissons la charge de la prédication, et selon ce que je voy, nous sommes appelez Evesques à nostre malheur : d’autant que nous tenons le tiltre d’honneur, et non point de vertu[b]. Veu qu’il est si dur et si aspre à l’encontre de ceux qui ne faisoyent pas du tout leur devoir, combien qu’ils le feissent en partie : que diroit-il aujourd’huy, je vous prie, s’il voyoit qu’il n’y eust presque nul Evesque qui montast jamais une fois toute sa vie en chaire pour prescher des Curez, qu’à grand’peine il y en eust de cent l’un ? Car on est venu jusques en telle rage, qu’il semble advis que ce soit une chose trop basse et inférieure à la dignité épiscopale, que de prescher. Du temps de sainct Bernard les choses estoyent desjà plus décheutes : mais nous voyons de quelles et combien amères répréhensions il use à l’encontre de tout le Clergé ; combien qu’il soit vray-semblable qu’il y avoit encores plus d’honnesteté et d’authorité que maintenant.
[b] Homil. XVII.
4.5.13
Or si on regarde bien, et qu’on espluche de près la façon du gouvernement ecclésiastique qui est aujourd’huy en toute la Papauté, on trouvera qu’il n’y a nulle briganderie tant désordonnée au monde. Certes le tout est si divers de l’institution de Christ, voire mesmes répugnant à icelle, eslongné et destorné de la façon ancienne, contrevenant à nature et raison, qu’on ne sçauroit faire plus grande injure à Jésus-Christ, que de prétendre son nom pour colorer un régime tant confus et desbordé. Nous sommes, disent-ils, les pilliers de l’Eglise, les Prélats de la Chrestienté, vicaires de Jésus-Christ, chef des fidèles, d’autant que nous tenons la puissance et authorité des Apostres par succession. Ils se glorifient en ces badinages, comme s’ils parloyent à des troncs de bois : mais toutes fois et quantes qu’ils useront de ces vanteries, je leur demanderay d’autre part, que c’est qu’ils ont de commun avec les Apostres. Car il n’est point yci question d’une dignité héréditaire, laquelle viene à un homme en dormant : mais de l’office de prédication, lequel ils fuyent si tort. Semblablement, quand nous disons que leur règne est la tyrannie d’Antéchrist : ils répliquent incontinent que c’est la saincte et vénérable Hiérarchie, laquelle les Pères anciens ont tant prisée et magnifiée. Comme si les saincts Pères en prisant ou en louant la Hiérarchie ecclésiastique, ou le régime spirituel, selon qu’il avoit esté laissé par les Apostres, eussent songé à cest abysme et confusion tant difforme, où les Evesques le plus souvent ne sont qu’asnes, qui ne sçavent pas les premiers rudimens de la Chrestienté, lesquels doyvent estre familiers mesmes au commun populaire : ou quelquesfois sont jeunes enfans, à grand’peine sortis de l’escaille : ou bien s’il y en a quelques-uns doctes, (ce qui n’advient pas souvent) ils pensent qu’Evesché ne soit autre chose qu’un tiltre de pompe et magnificence : pareillement là où les Pasteurs des Eglises ne pensent et ne se soucient non plus de paistre leurs troupeaux, qu’un cordonnier de labourer les champs : là où tout est tellement dissipé, qu’à grand’peine y apparoist-il une seule trace de l’ordre qu’ont eu les Pères de leur temps.
4.5.14
Que sera-ce si nous faisons examen des mœurs. Où sera ceste lumière du monde que Jésus-Christ requiert ? où sera le sel de la terre Matt. 5.13-14 ? où sera une telle saincteté, qu’elle puisse estre comme la reigle perpétuelle de bien vivre ? il n’y a aujourd’huy nul estat plus desbordé en superfluité, en vanitez, en délices et toutes espèces de dissolutions, qu’est l’estat du Clergé. Il n’y a nul estat dont on trouve plus propres et plus expers pour estre maistres de toute tromperie fraude, trahison, desloyauté : pour estre plus subtils ou plus audacieux à mal faire. Je laisse là l’orgueil, la hautesse, l’avarice, les rapines, la cruauté. Je ne parle point de la licence désordonnée, laquelle ils se donnent en toute leur vie. Lesquelles choses le monde a longuement portées : mais maintenant il en est tant las, qu’il ne faut point craindre que je les amplifie par trop. Je diray un mot qu’ils ne pourront pas nier eux-mesmes : que des Evesques à grand’peine il y en a un seul, des Curez à grand’peine de cent l’un, qui ne soyent dignes d’estre excommuniez, ou pour le moins rejettez de l’office, si on vouloit juger de leurs mœurs selon les Canons anciens. D’autant que la discipline qui estoit anciennement est jà dès long temps hors d’usage et quasi ensevelie, ce que je di semble advis incroyable : mais il est du tout ainsi. Maintenant que tous les supposts du siège romain, et les adhérens du Pape se glorifient de l’ordre sacerdotal qui est entre eux. Certes il appert que tel qu’ils l’ont, ils ne l’ont pas receu ne de Jésus-Christ, ne de ses Apostres, ne des saincts Pères, ne de l’Eglise ancienne.
4.5.15
Que les Diacres vienent maintenant en place, et la saincte distribution des biens ecclésiastiques laquelle ils observent. Combien qu’ils ne créent pas leurs Diacres à cela : car ils ne leur enjoignent autre chose sinon de servir à l’autel, à chanter l’Evangile, et je ne sçay quels autres fatras. Des aumosnes, du soin des povres, et de toute l’administration qu’ils avoyent le temps passé, il n’en est point de nouvelles. Je parle mesmes de leur institution, qu’ils tienent comme leur vraye reigle : car s’il faloit parler du fait, l’ordre de Diacre n’est pas office entre eux, mais seulement un degré pour estre promeus à prestrise. Il y a une chose en quoy ceux qui jouent le personnage de Diacre à la Messe, représentent un spectacle frivole de l’ancienneté : c’est qu’ils reçoyvent les offrandes qui se font devant la consécration. Or la façon ancienne estoit, que les fidèles avant que communiquer à la Cène s’entre-baisoyent, et puis offroyent leurs aumosnes à l’autel. Ainsi ils rendoyent tesmoignage de leur charité : premièrement par signe, et puis par effect. Le Diacre, qui estoit procureur des povres, recevoit ce qui estoit offert, pour le distribuer. Maintenant de toutes ces aumosnes il n’en vient une seule maille aux povres, non plus que si on les jettoit au profond de la mer. Pourtant ils se mocquent de l’Eglise avec ceste vaine couleur de mensonge dont ils usent en l’office de Diacres. Certes en iceluy ils n’ont rien de semblable avec l’institution des Apostres, ny avec l’usage ancien. Quant à l’administration des biens, ils l’ont transférée du tout à autre usage, et tellement ordonnée, qu’on ne sçauroit rien imaginer plus désordonné. Car comme les brigans après avoir esgorgé les povres passans, en divisent le butin entre eux : ainsi ces bons preud’hommes, après avoir esteint la clairté de la Parole de Dieu, comme ayans coupé la gorge à l’Eglise, ont pensé que tout ce qui estoit dédié à saincts usages, leur estoit exposé en proye et en rapine.
4.5.16
Pourtant en faisant les partages, chacun a ravi ce qu’il a peu : et ainsi toute la façon ancienne a esté non-seulement changée, mais du tout renversée. La principale partie est écheute aux Evesques et aux Prestres des villes : lesquels estans enrichis de ce butin, ont esté convertis en chanoines : toutesfois il appert que leurs partages ont esté faits en trouble, d’autant qu’il n’y a chapitre qui n’en soit encores à plaider contre son Evesque. Quoy qu’il soit, si ont-ils bien pourveu à une chose, c’est qu’il n’en reveinst point un seul denier aux povres, lesquels en devoyent pour le moins avoir la moitié, comme ils avoyent eu au paravant. Car les Canons leur en assignent nommément une quatrième portion, et l’autre quatrième ils l’ordonnent à l’Evesque, afin qu’il en puisse bien faire aux estrangers et aux autres povres. Maintenant je laisse à penser que devoyent faire les Clercs de leur quatrième portion, et en quel usage ils la devoyent employer. De la dernière portion, laquelle estoit députée pour la réparation des temples et autres despenses extraordinaires, nous avons veu qu’elle estoit du tout pour les povres en temps de nécessité. Je vous prie, si ces gens avoyent une seule petite estincelle de la crainte de Dieu en leurs cœurs, pourroyent-ils vivre une seule heure en repos, veu que tout ce qu’ils mangent et boyvent et dont ils se vestent, leur provient non-seulement de larrecin, mais de sacrilège ? Or d’autant qu’ils ne s’esmeuvent pas fort du jugement de Dieu, je voudroye bien qu’ils pensassent que ceux auscquels ils veulent persuader que leur hiérarchie est tant bien ordonnée que merveilles, sont hommes ayans sens et raison pour juger. Qu’ils me respondent en brief, asçavoir si l’ordre des Diacres est une licence de desrober et brigander. S’ils le nient, ils seront contraints de confesser que cest ordre n’est plus entre eux, veu que la dispensation des biens ecclésiastiques est apertement convertie d’eux en une volerie meschante et plene de sacrilège.
4.5.17
Mais ils usent yci d’une très-belle couleur : car ils disent que la magnificence dont ils usent, est un moyen décent et convenable pour maintenir la dignité de l’Eglise. Et y en a d’aucuns en leur bande tant impudens, qui osent dire que quand les gens d’Eglise sont semblables aux Princes en pompes et en somptuosité, qu’en cela sont accomplies les Prophéties, lesquelles promettent qu’il y aura une telle gloire au règne de Christ. Ce n’est pas en vain, disent-ils, que Dieu a ainsi parlé à son Eglise : Les Rois viendront et adoreront ta face, et t’apporteront des présens Ps. 72.10-11. Lève-toy, lève : vests-toy de ta force, Sion : accoustre-toy des vestemens de ta gloire, Jérusalem. Chacun de Saba viendra apportant or et encens, et annonçant louange au Seigneur. Tout le bestail de Cédar sera amené Esaïe 52.1 ; 60.6-7. Si je m’amuse beaucoup à rédarguer ceste impudence, je crain d’estre veu inepte. Pourtant je ne veux point perdre beaucoup de paroles en vain. Toutesfois je leur demande, si quelque Juif objectoit ces tesmoignages en un mesme sens, que c’est qu’ils luy respondroyent. Certes ils reprendroyent sa bestise, d’autant qu’il transféreroit à la chair et au monde les choses qui sont spirituellement dites du règne spirituel de Jésus-Christ. Car nous sçavons que les Prophètes nous ont représenté la gloire céleste de Dieu, laquelle doit luire en l’Eglise, sous figure des choses terriennes. Qu’ainsi soit, jamais l’Eglise n’a moins abondé de ces bénédictions externes qu’ils promettent, qu’au temps des Apostres : et toutesfois nous confessons tous, que le règne de Jésus-Christ a esté lors en sa principale fleur. Qu’est-ce doncques, que signifient ces sentences des Prophètes ? dira quelqu’un. Je respon, le sens estre tel, que tout ce qui est précieux, haut et excellent doit estre assujeti à Dieu. Touchant ce qui est nommément dit des Rois, qu’ils submettront leurs sceptres à Jésus-Christ, luy feront hommage de leurs couronnes, et luy consacreront toutes leurs richesses, quand est-ce que cela a esté plus plenement accompli, que quand l’Empereur Théodose ayant laissé son manteau de pourpre et toute sa pompe, se vint présenter comme un simple homme du commun populaire à sainct Ambroise, pour faire pénitence solennelle, que quand luy et les autres Princes chrestiens ont mis tant de peine, et se sont employez à conserver la pure doctrine de vérité en l’Eglise, à entretenir et garder les bons Docteurs ? Or que pour ce temps-là les Prestres n’ayent point eu superfluité de richesses, ceste sentence qui est aux actes du Concile d’Aquilée, auquel présidoit sainct Ambroise, nous le remonstre assez : c’est que la povreté est glorieuse et honorable aux ministres de Jésus-Christ. Certes les Evesques avoyent adoncques quelques revenus entre mains, desquels ils se pouvoyent servir pour se tenir pompeusement et en grand estat s’ils eussent pensé qu’en cela fust le vray ornement de l’Eglise : mais pource qu’ils cognoissoyent qu’il n’y a rien plus répugnant à l’office d’un Pasteur, que de tenir tables délicates, estre braves en accoustremens, avoir des palais somptueux, ils suyvoyent et gardoyent humilité et modestie, laquelle Jésus-Christ a consacré en tous ses ministres.
4.5.18
Mais afin que nous ne soyons trop longs en ce point, recueillons derechef en une briefve somme combien ceste dispensation ou plustost dissipation des biens ecclésiastiques, laquelle est à présent, est loing du vray ministère des Diacres, tel qu’il nous est déclairé en la Parole de Dieu, et a esté observé en l’Eglise ancienne. Je di que ce qui s’employe en l’ornement des temples est très-mal appliqué, sinon qu’il y ait mesure telle que la nature et propriété du service de Dieu et des Sacremens chrestiens le requiert, et que les Apostres et autres saincts Pères l’ont démonstré tant par doctrine que par exemples. Or qu’est-ce que l’on voit aujourd’huy aux temples qui s’accorde avec cela ? On réprouve tout ce qui est modéré, je ne di point à la sobriété du premier temps, mais à quelque médiocrité honneste, rien ne plaist qui ne sente la superfluité et corruption du temps présent. Cependant tant s’en faut qu’on ait soin des vrais temples et vifs, qu’on souffriroit plustost que cent mille povres mourussent de faim, que de fondre un seul calice, ou rompre une petite cannette d’argent pour subvenir à leur indigence. Afin que je ne die rien de moy-mesme qui semble trop aspre, je prie seulement les lecteurs de penser à une chose : S’il advenoit que ces saincts Evesques que nous avons récitez, asçavoir Exupérius, Acace et sainct Ambroise ressuscitassent des morts, qu’est-ce qu’ils diroyent ? Certes ils n’approuveroyent point qu’en si grande nécessité des povres on transférast ailleurs les richesses de l’Eglise, comme ne servans à rien : mais ils seroyent encore beaucoup plus offensez, de veoir qu’on les employe en des abus pernicieux, encores qu’il n’y eust nuls povres, et qu’il n’y a point d’utilité en l’usage. Mais laissons le jugement des hommes. Ces biens sont dédiez à Jésus-Christ : ils doyvent doncques estre dispensez selon sa volonté, Il ne proufitera doncques rien de mettre sur les contes de Jésus-Christ ce qui aura esté despendu outre son mandement : car il ne l’aloera point. Combien que pour en dire le vray, il ne se despend pas beaucoup de revenu ordinaire de l’Eglise en vaisselles, en chappes, en images et en autres choses. Car il n’y a Eveschez tant riches, il n’y a nulles Abbayes tant grasses, il n’y a, brief, nuls bénéfices, encores qu’on les assemble par morceaux, qui puissent satisfaire à ceux qui les ont. Pourtant afin de s’espargner, ils induisent le peuple à ceste superstition de luy faire convenir ce qu’il devoit donner en aumosnes aux povres, à bastir des temples, faire des images, donner des calices ou reliquaires, à acheter chasubles et autres paremens. Voylà le gouffre qui consume toutes les oblations et aumosnes quotidiennes.
4.5.19
Touchant du revenu qu’ils reçoyvent des héritages et possessions, qu’en pourroy-je plus dire que ce que j’en ay desjà dit, et que chacun voit à l’œil ? Nous voyons de quelle conscience la plus grand’part est gouvernée par les Evesques et Abbez. Quelle folie seroit-ce de chercher là un ordre ecclésiastique ? Estoit-ce chose convenable, qu’en train de serviteurs, en pompes d’habillemens, en somptuosité de table et de maison, les Evesques et Abbez contrefeissent les Princes, veu que leur vie devoit estre un exemple et patron de toute sobriété, tempérance, modestie et humilité ? Estoit-ce chose appartenante à office de Pasteurs, de tirer à eux non-seulement villes, bourgs et chasteaux, mais les grandes contez et duchez, finalement estendre leurs pattes sur les Royaumes, veu que le commandement inviolable de Dieu leur défend toute cupidité et avarice, et leur commande de se contenter de vivre simplement. S’ils contemnent la Parole de Dieu, que respondront-ils aux anciens Décrets des Conciles, où il est ordonné qu’un Evesque ait sa petite maison auprès du temple, une table sobre, et mesnage non somptueux[c] ? Que respondront-ils à ceste sentence du Concile d’Aquilée, où il est dit que la povreté est glorieuse et honorable aux Evesques chrestiens ? Car ce que sainct Hiérosme commande à Népotien, asçavoir que les povres et estrangers ayent entrée familière à sa table, et Jésus-Christ avec eux : ils le rejetteront possible comme trop rude. Mais ils auront honte de nier ce qui s’ensuyt tantost après : asçavoir que la gloire d’un Evesque est de prouvoir aux povres, et que c’est une ignominie à tous Prestres de chercher leur proufit particulier. Or ils ne peuvent recevoir cela, qu’ils ne se condamnent tous ensemble d’ignominie. Mais il n’est point de besoin de les poursuyvre yci plus asprement, veu que mon intention n’a esté que de déclairer comment l’ordre des Diacres est aboli entre eux, passé a jà long temps, afin qu’ils ne s’enorgueillissent plus de ce tiltre pour priser leur Eglise. Or je pense bien avoir fait ce que je vouloye quant à ce point.
[c] Concil. Carth. IVe, cap. XIV, 15.
Chapitre VI
De la primauté du siège romain.
4.6.1
Nous avons jusques à ceste heure raconté les estats qui ont esté au gouvernement de l’Eglise ancienne : et depuis ayans esté corrompus par succession de temps, et pervertis de plus en plus, maintenant retienent seulement leur tiltre en l’Eglise papale : au reste, ne sont que masques. Ce que j’ay fait, afin que les lecteurs par ceste comparaison puissent juger quelle Eglise ont maintenant les Romanistes, qui nous veulent faire schismatiques, d’autant que nous sommes séparez d’icelle. Mais nous n’avons point encores touché le chef et le comble de tout leur estat : asçavoir la primauté du siège romain : par laquelle ils s’efforcent de prouver que l’Eglise catholique n’est sinon par-devers eux. La cause pourquoy je n’en ay point encores parlé, est, d’autant qu’elle n’a pas son origine ne de l’institution de Jésus-Christ, ne de l’usage de la première Eglise : comme les offices dont nous avons traitté : lesquels nous avons monstré estre tellement descendus de l’ancienneté, que par la corruption des temps ils ont décliné de leur pureté ou plustost ont esté du tout changez. Et toutesfois nos adversaires s’efforcent, comme j’ay dit, de persuader au monde que le principal et quasi le seul lien de l’unité ecclésiastique est d’adhérer au siège romain, et persister eu l’obéissance d’iceluy. Voylà le fondement sur lequel ils s’appuyent, quand ils nous veulent oster l’Eglise pour l’avoir de leur costé : c’est qu’ils retienent le Chef, duquel dépend l’unité de l’Eglise, et sans lequel il ne se peut faire qu’elle ne soit dissipée et rompue. Car ils ont ceste fantasie, que l’Eglise est un tronc de corps sans teste, si elle n’est sujette au siège romain comme à son chef. Et pourtant quand ils disputent de leur Hiérarchie, ils commencent tousjours par ce principe, que le Pape préside sur l’Eglise universelle au lieu de Jésus-Christ, comme son vicaire : et que l’Eglise ne peut estre autrement bien ordonnée, sinon que ce siége-là ait primauté sur tous les autres. Il faut doncques faire aussi discussion de ce point, afin de ne rien laisser derrière qui appartiene au régime entier de l’Eglise.
4.6.2
Voyci doncques le nœud de la matière, Asçavoir s’il est requis en la vraye Hiérarchie ou gouvernement de l’Eglise, qu’un siège ait prééminence sur tous les autres en dignité et en puissance, pour estre chef en tout le corps. Or nous assujetirons l’Eglise à une condition trop inique et dure, si nous la voulons astreindre à ceste nécessité, sans la Parole de Dieu. Pourtant si nos adversaires veulent obtenir ce qu’ils demandent, il leur convient prouver devant toutes choses que cest ordre a esté institué de Jésus-Christ. Pour ce faire ils allèguent la prestrise souveraine qui estoit en la Loy, et la jurisdiction souveraine du grand Sacrificateur, que Dieu avoit establie en Jérusalem. Mais la solution est facile : qui plus est, il y a diverses solutions, s’ils ne se contentent d’une. Premièrement d’estendre à tout le monde universel ce qui a esté utile à une nation, ce n’est point procéder par raison : mais au contraire, il y a grande différence entre tout le monde et un certain peuple. D’autant que les Juifs estoyent circuis tout à l’entour d’idolâtres, de peur qu’ils ne fussent distraits par variété de religions. Dieu avoit colloque le siège de son service au milieu de la terre, et là il avoit ordonné un Prélat auquel tous devoyent estre sujets, pour estre mieux entretenus en unité. Maintenant que la religion est espandue partout le monde, qui est-ce qui ne voit que c’est une chose du tout absurde, d’assigner à un seul homme le gouvernement d’Orient et d’Occident ? Car c’est tout ainsi comme si quelqu’un débatoit que le monde doit estre gouverné par un Bailly ou Séneschal, pource que chacune province a le sien. Mais il y a encores une autre raison pourquoy cela ne doit point estre tiré en conséquence, tellement qu’il le nous fale ensuyvre. Nul n’ignore que le grand Prestre de la Loy n’ait esté figure de Jésus-Christ. Maintenant puis que la prestrise est translatée, il convient que ce droict soit aussi translaté Héb. 7.12. Or à qui sera-ce ? Certes non pas au Pape : comme il s’en ose impudemment vanter, alléguant ce passage à son proufit, mais à Jésus-Christ, lequel comme il exerce seul cest office sans vicaire ou successeur, aussi il ne résigne l’honneur à nul autre. Car ceste prestrise, laquelle estoit figurée en la Loy, ne gist point seulement en prédication ou doctrine, mais elle emporte la réconciliation de Dieu avec les hommes, laquelle Jésus-Christ a parfaite en sa mort. Item, l’intercession par laquelle il se présente à Dieu pour nous afin de nous y donner accès.
4.6.3
Il ne faut point doncques qu’ils nous astreignent à cest exemple que nous voyons avoir esté temporel, comme si c’estoit une loy perpétuelle. Au Nouveau Testament, ils n’ont rien qu’ils puissent amener à leur propos, sinon qu’il a esté dit à un seul homme, Tu es Pierre, et sur ceste pierre j’édifieray mon Eglise. Et ce que tu auras lié en terre, sera lié au ciel : ce que tu auras deslié, sera deslié Matt. 16.18. Item, Pierre m’aimes-tu, pay mes brebis Jean 21.15. Mais s’ils veulent que ces probations soyent fermes, il leur convient premièrement de monstrer, que quand il est dit à un homme qu’il paisse le troupeau de Christ, la puissance luy est donnée sur toutes les Eglises : et que lier et deslier n’est autre chose que présider sur tout le monde. Or est-il ainsi, que comme Pierre avoit receu ceste commission du Seigneur, aussi il exhorte tous les autres ; Prestres de s’en acquitter : asçavoir de paistre le peuple de Dieu qui leur est commis 1Pi. 5.1-2. De là il est facile d’inférer, que Jésus-Christ en commandant à sainct Pierre d’estre Pasteur de ses brebis, ne luy a rien donné de spécial dessus les autres Jean 20.23 : ou bien, que Pierre mesme a communiqué le droict qu’il avoit receu, à tous les autres. Mais afin de ne faire long procès, nous avons en un autre passage l’exposition par la propre bouche de Jésus-Christ, pour nous monstrer que c’est à dire. Lier et deslier : asçavoir de retenir les péchez et les remettre. La façon de Lier et deslier se peut entendre par toute l’Escriture : et singulièrement est exprimée par sainct Paul, quand il dit que les ministres de l’Evangile ont la charge de réconcilier les hommes à Dieu : et puissance de faire la vengence sur tous ceux qui auront refusé un tel bénéfice 2Cor. 5.18 ; 10.6.
4.6.4
J’ay touché desjà combien vilenement ils dépravent les passages qui font mention de lier et deslier : et encores m’en faudra-il faire ci-après plus ample déclaration. Pour le présent il nous est mestier de veoir quelle conséquence ils tirent de la response de Jésus-Christ à Pierre. Il promet de luy donner les clefs du Royaume des cieux, et que tout ce qu’il liera en terre sera lié au ciel Matt. 16.19. Si nous pouvons accorder quant au mot des Clefs, et de la façon de lier, tout nostre différent sera vuidé. Car le Pape quittera volontiers ceste charge que nostre Seigneur Jésus a donnée à ses Apostres, pource qu’elle est plene de fascherie et travail, pour le priver de ses délices sans luy apporter aucun gain. D’autant que par la doctrine de l’Evangile les cieux nous sont ouvers, la similitude des clefs luy convient fort bien. Or est-il ainsi que nuls ne sont liez ou desliez devant Dieu, sinon d’autant que les uns sont réconciliez par foy, les autres sont astreints au double par leur incrédulité. Si le Pape maintenoit un tel droict, je ne pense pas que nul luy en portast envie, ou qu’on luy contredist : mais pource que ceste succession plene de travail et sans aucun gain ne luy vient guères à gré, voyci dont il nous faut en premier lieu plaider contre luy : asçavoir que c’est que Jésus-Christ a promis à Pierre. La chose monstre qu’il a voulu magnifier l’estat apostolique, duquel la dignité ne se peut séparer de la charge. Car si la définition que nous avons donnée est receue, laquelle ne se peut rejetter sinon trop impudemment, rien n’est donné en ce passage à sainct Pierre, qui ne soit commun à tous les douze : pource que non-seulement il leur seroit fait tort quant à leurs personnes, mais la majesté de la doctrine seroit affaiblie. Les Romanisques crient fort et ferme à l’encontre. Mais de quoy leur proufite-il de heurter contre ce roc ? Car ils ne feront pas, comme la Prédication du mesme Evangile a esté commis à tous les Apostres, qu’ils n’ayent esté aussi munis d’une puissance égale de lier et deslier. Jésus-Christ, disent-ils, promettant à sainct Pierre de luy donner les clefs, l’a constitué Prélat de toute l’Eglise. Je respon que ce qu’il luy a promis à luy seul en ce passage-là, il l’a donné en commun à tous les autres puis après, et comme livré en la main. Si un mesme droict est baillé à tous Matt. 18.18 ; Jean 20.23, tel qu’il avoit esté promis à un, en quoy est-ce que cestuy-là est supérieur à ses compagnons ? La prééminence, disent-ils, est en cela, qu’il reçoit luy seul à part, et en commun avec les autres, ce qui n’est donné aux autres sinon à tous ensemble. Et que sera-ce si je respon avec sainct Cyprien et sainct Augustin, que Jésus-Christ n’a pas fait cela pour le préférer aux autres, mais pour dénoter l’unité de l’Eglise ? Les paroles de sainct Cyprien sont telles : Nostre Seigneur en la personne d’un homme a donné les clefs à tous pour dénoter l’unité de tous. Les autres estoyent bien ce que sainct Pierre estoit, compagnons en égual honneur et en éguale puissance : mais Jésus-Christ commence par un homme, afin de monstrer que l’Eglise est une[a]. Quant à sainct Augustin, voyci qu’il dit : Si la figure de l’Eglise n’eust point esté en sainct Pierre, le Seigneur ne luy eust pas dit, Je te donneray les clefs. Car si cela est dit à Pierre seul, l’Eglise n’a point les clefs. Si l’Eglise les a, elle estoit figurée en la personne de Pierre[b]. Item en un autre lieu. Comme ainsi soit que tous eussent esté interroguez, Pierre respond luy seul, Tu es Christ, et il luy est dit, Je te donneray les clefs, comme si la puissance de lier et deslier luy estoit donnée à luy seul : mais comme il avoit respondu pour tous, aussi il reçoit les clefs avec tous, comme portant la personne d’unité. Il est doncques nommé seul pour tous, d’autant qu’il y a entre tous unité[c].
[a] De simpl. praelat.
[b] Homil. in Joann., L.
[c] Homil. XI, repet XII, 4.
4.6.5
Mais ce qui est là dit d’avantage, disent-ils, asçavoir que sur ceste pierre l’Eglise sera édifiée Matt. 16.18, n’a jamais esté dit à autre. Voire, comme si Jésus-Christ disoit là autre chose de sainct Pierre, qu’iceluy mesme et sainct Paul disent de tous les Chrestiens. Car sainct Paul dit que Jésus-Christ est la pierre principale, soustenant tout l’édifice, sur laquelle sont posez tous ceux qui sont édifiez, en sainct temple au Seigneur Eph. 2.20. Et sainct Pierre commande que nous soyons pierres vives, ayans pour fondement Jésus-Christ, comme pierre excellente et esleue, pour estre conjoincts et liez avec Dieu, et entre nous par son moyen 1Pi. 2.5. Sainct Pierre, disent-ils, l’a esté par-dessus les autres, d’autant qu’il a le nom en particulier. Certes j’ottroye volontiers cest honneur à sainct Pierre, qu’il soit colloque en l’édifice de l’Eglise entre les premiers : voire bien, s’ils veulent, le premier de tous les fidèles : mais je ne leur permettray point d’inférer de là, qu’il ait primauté par-dessus les autres. Car quelle seroit ceste façon d’argumenter ? Sainct Pierre précède les autres en ardeur de zèle, en doctrine, en constance : il s’ensuyt doncques qu’il a prééminence sur tous ? Comme si je ne pouvoye pas inférer avec meilleure couleur qu’André précède Pierre en ordre, d’autant qu’il l’a précédé de temps, et qu’il l’a gaigné et mené à Jésus-Christ Jean 1.40, 42. Mais je laisse cela. J’accorde que sainct Pierre passe les autres : toutesfois il y a grande différence entre l’honneur de précéder, et avoir puissance sur les autres. Nous voyons bien que les Apostres ont quasi coustumièrement déféré cela à sainct Pierre, qu’il parlast le premier en la congrégation, comme pour conduire les affaires, en advertissant et exhortant ses compagnons : mais de la puissance, nous n’en lisons rien.
4.6.6
Combien que nous ne sommes pas encores en ceste dispute : tant seulement, je veux monstrer pour le présent, que c’est trop sottement argué à eux, quand ils veulent establir une principauté d’un homme sur toute l’Eglise, se fondant sur le seul nom de Pierre. Car ces sottes allégations et ineptes dont ils ont voulu au commencement abuser le monde, ne sont pas dignes qu’on les récite, asçavoir que l’Eglise a esté fondée sur sainct Pierre, d’autant qu’il est dit, Sur ceste pierre j’édifieray mon Eglise. Ils ont pour leur bouclier, qu’aucuns des Pères les ont ainsi exposées. Mais puis que toute l’Escriture contredit, de quoy sert-il de prétendre l’authorité des hommes contre Dieu ? Qui plus est que plaidons-nous du sens de ces paroles, comme s’il estoit obscur ou douteux, veu qu’on ne sçauroit rien dire plus clair ne plus certain ? Pierre avoit confessé tant pour soy qu’au nom de ses frères, Christ estre le Fils de Dieu Matt. 16.16. Sur ceste pierre Christ édifie son Eglise : d’autant que c’est le fondement unique, comme dit sainct Paul 1Cor. 3.11, sans qu’il soit licite d’y en mettre un autre. Et je ne rejette point l’authorité des Pères en cest endroict, comme si j’estoye destitué de leurs tesmoignages, si je les vouloye produire pour confermer mon dire. Mais, comme j’ay dit, je ne veux point importuner les lecteurs en faisant long propos d’une chose tant claire, veu mesmes que ceste matière a esté déduite au long et assez diligemment par autres.
4.6.7
Combien à la vérité, que nul ne peut mieux soudre ceste question, que l’Escriture, si nous conférons tous les passages où elle démonstre quel office et quelle puissance a eus Pierre entre les Apostres : comment il s’est porté, et en quel lieu il a esté tenu d’eux. Qu’on espluche bien depuis un bout jusques à l’autre, on ne trouvera autre chose, sinon qu’il a esté un d’entre les douze pareil aux autres : et compagnon, non pas maistre. Il met bien en avant en la congrégation ce qu’il faut faire, et admoneste les autres, mais il les escoute aussi d’autre part : et ne leur permet point seulement de dire leur opinion, mais d’ordonner et décerner ce qu’il leur semble. Quand ils ont décrété quelque chose, il suyt et obtempère Actes 15.7. Quand il escrit aux Pasteurs, il ne leur commande point d’authorité comme supérieur, mais il les fait ses compagnons, et les exhorte amiablement, comme il se fait entre ceux qui sont pareils 1Pi. 5.1. Quand il est accusé d’avoir conversé entre les Gentils, combien que ce soit à tort, toutesfois il en respond, et s’excuse Actes 11.3-4. Quand on luy commande d’aller avec Jehan en Samarie, il ne refuse point d’y aller Actes 8.14. D’autant que les Apostres l’envoyent, en cela ils déclairent qu’ils ne le tienent point pour supérieur : d’autant qu’il obéit, et reçoit la charge qui luy est commise : en cela il confesse qu’il a société commune avec eux, non pas domination sur eux. Et encores que nous n’eussions point toutes ces choses, toutesfois l’Epistre aux Galatiens nous en pourrait seule oster toute difficulté : là où sainct Paul tout au long de deux chapitres ne fait quasi autre chose que de monstrer qu’il est pareil à sainct Pierre en degré d’office. Pour ce faire, il raconte qu’il n’estoit pas venu à Pierre pour faire profession d’estre sujet à luy, mais pour approuver à un chacun le consentement de doctrine qui estoit entre eux. Mesmes que sainct Pierre ne requit point cela de luy : mais qu’il luy donna la main en signe de société, pour travailler ensemble en la vigne du Seigneur. D’avantage, que Dieu luy avoit fait autant de grâce entre les Gentils, qu’il avoit fait à Pierre entre les Juifs. Finalement, pource que Pierre ne se portoit point droictement, qu’il l’avoit reprins, et qu’iceluy avoit obéy à sa remonstrance Gal. 1.18 ; 2.7-14. Toutes ces choses démonstrent plenement qu’il y avoit équalité entre sainct Pierre et sainct Paul : ou bien, que sainct Pierre n’avoit pas plus de puissance sur les autres qu’iceux avoyent sur luy. Et de faict, c’est l’intention expresse de sainct Paul, de monstrer qu’il ne doit point estre réputé inférieur en son Apostolat à Pierre ou à Jehan, d’autant que ç’ont esté ses compagnons, non ses maistres.
4.6.8
Mais encores que je leur accorde de Pierre ce qu’ils demandent, asçavoir qu’il a esté Prince des Apostres, et qu’il a précédé les autres en dignité : toutesfois il n’y a point de propos de faire une reigle générale d’un exemple particulier, et de tirer en conséquence ce qui a esté fait pour une fois, quand mesmes la raison est diverse. Il y en a eu un principal entre les Apostres, voire pource qu’ils estoyent en petit nombre. Si un a présidé sur douze, s’ensuyt-il par cela qu’un seul doyve présider sur cent mille ? Ce que douze ont eu un d’entre eux pour dresser la compagnie, ce n’est point de merveille. Car la nature porte cela, et la façon humaine, qu’en toute compagnie, encores que tous soyent égaux en puissance, il y en ait un qui soit pour conducteur, auquel tous les autres se rangent. Il n’y a nul conseil, ne parlement, ny assemblée quelconque qu’elle soit, qui n’ait son président ou gouverneur. Il n’y a nulle bande qui n’ait son capitaine : ainsi il n’y auroit nul inconvénient, si nous confessions que les Apostres eussent donné une telle primauté à sainct Pierre. Mais ce qui a lieu entre peu de gens, ne se doit soudainement tirer à tout le monde, pour lequel régir nul homme ne peut suffire luy seul. Mais l’ordre de nature, disent-ils, nous enseigne qu’il y doit avoir un souverain chef sur chacun corps. Et pour confermer leur dire, ils ameinent l’exemple des grues et des mousches à miel, lesquelles eslisent tousjours un Roy ou gouverneur, et non pas plusieurs. Je reçoy volontiers ces exemples. Mais je demande si toutes les mousches à miel qui sont au monde, s’amassent en un lieu pour eslire un Roy. Chacun Roy est content de sa ruche : pareillement chacune bande de grues a son conducteur propre. Que conclurront-ils doncques de cela, sinon que chacune Eglise doit avoir son Evesque ? Ils nous allèguent après, les exemples des seigneuries terriennes, et assemblent les sentences qui sont aux Poëtes et autres escrivains, pour louer tel ordre et monarchie. A cela nous avons facile response : car la monarchie n’est pas tellement louée, mesmes des escrivains payens, comme si un seul homme devoit gouverner tout le monde : mais ils signifient seulement que nul Prince ne peut endurer compagnon en ses pays.
4.6.9
Mais encores le cas posé qu’il soit bon et utile, comme ils veulent, que tout le monde soit réduit en une monarchie : ce qui est néantmoins très-faux : mais encores qu’ainsi fust, si ne leur concèderay-je pourtant que cela doyve valoir au gouvernement de l’Eglise. Car elle a Jésus-Christ pour son seul chef Eph. 4.15, sous la principauté duquel nous adhérons tous ensemble, selon l’ordre et forme de police que luy-mesme nous a constitué. Pourtant ceux qui veulent donner la prééminence sur toute l’Eglise à un homme seul, sous ceste couverture qu’elle ne se peut passer d’un chef, font une grosse injure à Jésus-Christ, lequel en est le Chef : auquel, comme dit sainct Paul, chacun membre doit estre réduit, afin que tous ensemble, selon leur mesure et la faculté qu’il leur donne, soyent unis pour croistre en luy. Nous voyons comme il colloque au corps tous les hommes de la terre sans exception, réservant à Jésus-Christ seul l’honneur et le nom de Chef. Nous voyons comme il assigne à chacun membre certaine mesure et son office limité, afin que tant la perfection de grâce comme la puissance souveraine de gouverner, réside en Jésus-Christ seul. Je sçay bien ce qu’ils ont accoustumé de caviller quand on leur fait ceste objection : asçavoir que Jésus-Christ est nommé le seul Chef, à proprement parler, d’autant que luy seul gouverne en son nom et de son authorité : mais que cela n’empesche point qu’il n’y ait un chef dessous luy, quant au ministère, lequel soit comme son vice-gérent en terre. Mais ils ne proufitent rien par ceste cavillation, sinon que premièrement ils ayent prouvé que ce ministère ait esté ordonné de Christ. Car l’Apostre enseigne que l’administration est espandue par tous les membres, et que la vertu procède du seul Chef céleste Eph. 1.21 ; 4.15 ; 5.23 ; Col. 1.18 ; 2.10. Ou bien, s’ils veulent que je parle plus grossement, puis que l’Escriture tesmoigne que Jésus-Christ est le Chef, et qu’elle luy attribue cest honneur à luy seul, il ne se doit point transporter à un autre, que Jésus-Christ ne l’ait constitué son vicaire.
4.6.10
Or non-seulement on ne lit cela en nulle part, mais il se peut amplement réfuter par beaucoup de passages. Sainct Paul nous a peint quelquesfois l’image de l’Eglise au vif : là il ne fait nulle mention d’un seul chef en terre : plustost on peut inférer de la description qu’il fait, que cela ne convient point à l’institution de Christ, lequel en montant au ciel nous a osté sa présence visible : toutesfois il est monté pour remplir toutes choses Eph. 4.10 : ainsi l’Eglise l’a encores présent, et l’aura tousjours. Quand sainct Paul veut monstrer le moyen par lequel nous jouissons de la présence d’iceluy, il nous appelle aux ministères desquels il use. Le Seigneur Jésus, dit-il, est en nous tous, selon la mesure de grâce qu’il a donnée à chacun membre ; pourtant il a constitué les uns Apostres, les autres Prophètes, les autres Evangélistes, les autres Pasteurs, les autres Docteurs Eph. 4.7, 11. Pourquoy est-ce qu’il ne dit qu’il en a constitué un sur tous les autres comme son lieutenant ? Car le propos qu’il démeine requiert bien cela, et ne le devoit nullement omettre, s’il estoit vray. Jésus-Christ, dit- il, nous assiste. Comment ? Par le ministère des hommes qu’il a commis au gouvernement de son Eglise. Pourquoy ne dit-il plustost, parle chef ministérial lequel il a ordonné en son lieu ? Il nomme bien l’unité, mais c’est en Dieu, et en la foy de Jésus-Christ. Quant aux hommes, il ne leur laisse rien, sinon le ministère commun, et à chacun sa mesure en particulier. Et en nous recommandant l’unité, après qu’il a dit que nous sommes un corps et un esprit, ayans une mesme espérance de vocation Eph. 4.4, un Dieu, une foy, et un Baptesme, pourquoy est-ce qu’il n’adjouste quant et quant, que nous avons un souverain Prélat pour conserver l’Eglise en unité ? Car si la vérité eust esté telle, il ne pouvoit rien dire de plus propre. Qu’on poise diligemment ce lieu-là : car il n’y a doute qu’il ne nous y ait voulu représenter le régime spirituel de l’Eglise, lequel a esté depuis nommé des successeurs, Hiérarchie. Or il ne met nulle monarchie ou principauté d’un seul homme entre les ministres : mais qui plus est, il dénote qu’il n’y en a point. Il n’y a aussi nulle doute qu’il n’y ait voulu exprimer la façon d’unité, par laquelle les fidèles doyvent adhérer à Jésus-Christ leur Chef. Or non-seulement il ne fait nulle mention d’un chef ministérial, mais il attribue à chacun membre son opération particulière, selon la mesure de grâce qui est donnée à chacun. La comparaison qu’ils font entre la Hiérarchie céleste et terrienne est frivole : car de la Hiérarchie céleste, il ne nous en faut sçavoir et sentir que ce qui en est dit en l’Escriture. Pour constituer l’ordre que nous devons tenir en terre, il ne nous faut suyvre autre patron que celuy que le Seigneur mesme nous a baillé.
4.6.11
Mais encores que je leur ottroye ce second point, lequel toutesfois jamais ils n’obtiendront envers gens de bon jugement : asçavoir que la primauté de l’Eglise a esté donnée à sainct Pierre à telle condition qu’elle demeurast tousjours, et qu’elle veinst en succession de main en main : d’où est-ce qu’ils pourront conclurre que le siège romain ait esté exalté jusques là, que quiconques en est Evesque doyve présider sur tout le monde ? Par quel droict et à quel tiltre attachent-ils ceste dignité à un lieu propre, laquelle a esté donnée à Pierre sans faire mention d’aucun lieu ? Pierre, disent-ils, a vescu à Rome, et y est mort. Et Jésus-Christ, quoy ? n’a-il point exercé office d’Evesque en Jérusalem, pendant qu’il a vescu ? et en sa mort, n’y a-il point accomply ce qui estoit requis à la Prestrise souveraine ? Le Prince des Pasteurs, le souverain Evesque, le Chef de l’Eglise n’a peu acquérir l’honneur de primauté à un lieu : comment est-ce doncques que Pierre, qui est de beaucoup inférieur, l’auroit acquis ? Ne sont-ce pas folies plus qu’enfantiles, de parler ainsi ? Jésus-Christ a donné l’honneur de primauté à Pierre : Pierre a eu son siège à Rome : il s’ensuyt doncques qu’il a colloqué illec le siège de sa primauté. Certes par mesme raison le peuple d’Israël devoit anciennement constituer le siège de primauté au désert, d’autant que Moyse souverain Docteur et Prince des Prophètes, avoit là exercé son office, et y estoit mort Deut. 34.5.
4.6.12
Toutesfois voyons le bel argument qu’ils font : Pierre, disent-ils, a eu la primauté entre les Apostres. L’Eglise doncques en laquelle il a eu son siège, doit avoir ce privilège. Or en quelle Eglise a-il esté premièrement Evesque ? Ils respondent que c’a esté en Antioche : de là je conclu, que la primauté appartient de droict à l’Eglise d’Antioche. Or ils confessent bien qu’elle a esté autresfois la première, mais que Pierre en partant de là, a transporté l’honneur de la primauté à Rome. Car il y a une épistre du Pape Marcel, au Décret, escrite aux Prestres d’Antioche, où il est ainsi dit : Le siège de Pierre a esté du commencement en vostre ville : mais depuis par le commandement de Dieu il a yci esté translaté[d]. Ainsi l’Eglise d’Antioche, qui du commencement estoit la première, a donné lieu au siège romain. Mais je demande, par quelle révélation sçavoit ce nigaud de Pape, que Dieu l’eust ainsi commandé ? S’il est question de définir ceste cause par droict, il faut qu’ils respondent, asçavoir si le privilège qui a esté donné à Pierre, est personnel, ou réal, ou meslé. Il faut qu’ils choisissent l’un des trois, selon tous légistes. S’ils disent qu’il est personnel, le lieu ne vient point en conte. S’il est réal, après qu’il a esté donné à un lieu, il ne luy peut estre osté par la mort ou le départ de la personne. Il reste doncques qu’il soit meslé des deux. Or lors il ne faudra point simplement considérer le lieu, sinon que la personne corresponde avec. Qu’ils eslisent lequel qu’ils voudront : soudain je conclurray et prouveray facilement, que Rome ne se peut attribuer le Primat par aucun moyen.
[d] XII, Quæst. I, cap. Rogamus.
4.6.13
Mais encores concédons-leur ce point. Mettons, di-je, le cas que la primauté ait esté translatée d’Antioche à Rome. Mais pourquoy Antioche n’a-elle pour le moins retenu le second lieu ? Car si Rome est la première d’autant que Pierre en a esté Evesque jusques à la mort : laquelle doit estre plustost la seconde, que celle où il avoit eu son premier siège ? Comment doncques s’est-il fait qu’Alexandrie ait précédé Antioche ? Est-ce chose convenable, qu’une Eglise d’un simple disciple soit supérieure au siège de sainct Pierre ? Si ainsi est que l’honneur soit deu à chacune Eglise selon la dignité de son fondateur, que dirons-nous aussi des autres Eglises ? Sainct Paul nomme trois Apostres qu’on réputoit estre les colomnes : asçavoir Jaques, Pierre et Jehan Gal. 2.9. Si on attribue le premier lieu au siège romain en l’honneur de sainct Pierre : Ephèse et Jérusalem, ausquels Jehan et Jaques ont esté Evesques, ne méritent-elles pas bien d’avoir le tiers et le quatrième ? Or entre les Patriarchies, Jérusalem a esté la dernière, Ephèse n’a pas eu seulement un petit anglet : semblablement les autres Eglises, tant celles que sainct Paul avoit fondées, que celles où avoyent présidé les autres Apostres, sont demeurées en arrière, sans qu’on en ait tenu conte. Le siège de sainct Marc, qui n’estoit que simple disciple, a eu l’honneur par-dessus toutes. Qu’ils confessent que cest ordre a esté pervers, ou qu’ils m’accordent que ce n’est point chose perpétuelle, qu’un mesme degré d’honneur soit deu à chacune Eglise, qu’a eu le fondateur d’icelle.
4.6.14
Combien que tout ce qu’ils racontent, que sainct Pierre a esté Evesque à Rome, il n’est guères certain, comme il me semble. Certes ce qu’en dit Eusèbe, asçavoir qu’il y a esté vingt-cinq ans, se peut réfuter sans nulle difficulté. Car il appert par le premier et second chapitre de sainct Paul aux Galates, qu’il fut en Jérusalem depuis la mort de Jésus-Christ, environ vingt ans Gal. 1.18 ; 2.1 : et que de là il veint en Antioche, où il demeura quelque temps : il est incertain combien. Grégoire en met sept, et Eusèbe vingt-cinq : Or depuis la mort de Jésus-Christ jusques à la fin de l’Empire de Néron, lequel feit tuer sainct Pierre, il n’y a eu que trente-sept ans. Car nostre Seigneur souffrit sous l’Empereur Tibère, l’année dix-huitième du règne d’iceluy. Si on oste vingt ans, ausquels sainct Paul tesmoigne que Pierre a habité en Jérusalem, il ne restera tout au plus que dix-sept ans, lesquels il faudra partir entre ces deux Eveschez. S’il fut long temps en Antioche Evesque, il ne peut avoir esté à Rome qu’un bien petit de temps. Mais cela se peut encores déclairer plus familièrement. Sainct Paul escrivit son Epistre aux Romains, estant en chemin pour aller en Jérusalem, où il fut prins et amené à Rome Rom. 15.25. Il est doncques vray-semblable que ceste Epistre fut escrite quatre ans devant qu’il veinst à Rome. Or en icelle il ne fait nulle mention de Pierre, lequel il ne devoit omettre, s’il estoit Evesque du lieu mesme. En la fin récitant un grand nombre de fidèles qu’il salue, et assemblant comme en un rolle tous ceux de sa cognoissance Rom. 16.3, il ne dit mot encores de sainct Pierre. Il n’est jà mestier d’user de grande subtilité, ne de longue dispute envers gens de bon entendement. Car la chose monstre, et tout l’argument de l’Epistre crie, que sainct Pierre ne devoit pas estre oublié, s’il eust esté sur le lieu.
4.6.15
Depuis sainct Paul fut amené prisonnier à Rome. Saint Luc raconte qu’il fut receu des frères Actes 28.15-16 : de Pierre il n’en est point de nouvelle. Estant là il escrit à plusieurs Eglises. En d’aucunes Epistres il insère d’aucunes salutations au nom des fidèles qui estoyent avec luy : il ne dit pas un seul mot, par lequel on puisse conjecturer que sainct Pierre fust là. Je vous prie, à qui sera-il croyable qu’il s’en fust teu du tout, s’il y eust esté ? Qui plus est, aux Philippiens, après avoir dit qu’il n’avoit personne qui procurast fidèlement l’œuvre du Seigneur comme Timothée, il se complaind que chacun cherche son proufit particulier Phil. 2.20. Et en escrivant au mesme, il fait encores une quérimonie plus grande, asçavoir que nul ne luy avoit assisté en sa première défense : mais que tous l’avoyent abandonné 2Tim. 4.16. Où estoit alors sainct Pierre ? Car s’il estoit à Rome, sainct Paul le charge d’un grand blasme, d’avoir abandonné l’Evangile : car il parle des fidèles. Qu’ainsi soit, il adjouste, Que Dieu ne leur impute point. Combien doncques et en quel temps sainct Pierre a-il gouverné l’Eglise de Rome ? C’est une opinion commune, dira quelqu’un, que jusques à la mort il y demeura. Mais je répliqueray que les anciens escrivains ne s’accordent point touchant du successeur. Car les uns tienent que c’a esté Linus, elles autres Clément. D’avantage ils racontent beaucoup de sottes fables touchant la dispute d’entre luy et Simon Magus. Mesmes sainct Augustin, parlant des superstitions, ne dissimule pas que la coustume qui estoit à Rome de ne point jusner le jour auquel on pensoit que sainct Pierre eust gaigné la victoire, estoit venue d’un bruit incertain, et d’une opinion conceue à la volée[e]. Finalement, les choses de ces temps-là sont tant embrouillées de diversité d’opinions, qu’il ne faut pas légèrement croire tout ce qui est escrit. Toutesfois pource que les escrivains s’accordent en cela, je ne contredi pas qu’il ne soit mort à Rome. Mais qu’il y ait esté Evesque, principalement long temps, on ne le me sçauroit persuader : et ne m’en chaut pas beaucoup, d’autant que sainct Paul tesmoigne que l’Apostolat de sainct Pierre appartenoit spécialement aux Juifs, et le sien s’addressoit à nous. Pourtant si nous voulons tenir la paction qu’ils firent ensemble pour bonne, ou plustost si nous voulons nous tenir à l’ordonnance du sainct Esprit, il nous faut recognoistre quant à nous, l’Apostolat de Paul plustost que celuy de Pierre. Car le sainct Esprit a tellement divisé leurs charges, qu’il a destiné Pierre aux Juifs, et Paul à nous. Pourtant que les Romanistes cherchent ailleurs leur primauté qu’en la Parole de Dieu, veu qu’elle ne se trouvera point là fondée.
[e] Epist. II, Ad Januar.
4.6.16
Venons maintenant à l’Eglise ancienne, afin qu’il apparoisse que ce n’est pas moins follement et sans raison, que nos adversaires se tienent fiers d’avoir l’authorité d’icelle pour eux, qu’ils se vantent d’avoir la Parole de Dieu. Quand doncques ils ameinent cest article de leur foy, que l’Eglise ne se peut conserver en unité sans avoir un souverain Chef en terre, auquel tous les autres membres soyent sujets et pourtant que nostre Seigneur a donné à Pierre la primauté pour luy et ses successeurs, afin qu’elle dure à tousjours : ils mettent en avant que cela a esté en usage dés le commencement. Or pource qu’ils amassent beaucoup de tesmoignages deçà et delà, les destournans à tors et à travers à leur proufit, je proteste devant toutes choses que je ne veux point nier que les anciens Docteurs ne facent tousjours beaucoup d’honneur à l’Eglise romaine, et qu’ils n’en parlent révéremment. Ce que je pense estre advenu pour trois causes. Car l’opinion commune qu’on avoit, que sainct Pierre en estoit le fondateur, valoit beaucoup pour luy donner crédit et authorité. Et pourtant les Eglises d’Occident l’ont appelée par honneur, Siège apostolique. Secondement, pource que c’estoit la ville capitale de l’Empire, et que pour ceste raison il estoit vray-semblable qu’il y avoit là des personnages plus excellens tant en la doctrine qu’en prudence, et mieux expérimentez qu’en nul autre lieu, on avoit esgard, et à bon droict, de ne mespriser point tant la noblesse de la ville, que les autres dons de Dieu qui estoyent là. Tiercement, comme ainsi soit que les Eglises d’Orient et de Grèce, et mesmes d’Afrique, fussent troublées de plusieurs dissensions, l’Eglise romaine a esté tousjours plus paisible de ce temps-là, et moins sujette à esmotions. De là il advenoit que les bons Evesques et de saine doctrine, estans chassez de leurs Eglises, s’y retiroyent comme en un refuge, ou en un port. Car d’autant que les peuples d’Occident ne sont pas d’un esprit si aigu et subtil que les Asiatiques et Aphricains, aussi ils ne sont pas tant volages ne convoiteux de nouveauté. Cela doncques a fort augmenté l’authorité de l’Eglise romaine, qu’elle n’a point esté en trouble durant ces temps-là, que les Eglises se combatoyent ensemble : mais a consisté plus constamment en la doctrine qu’elle avoit une fois receue, comme il sera tantost exposé plus à plein. Pour ces trois causes, di-je, le siège romain a esté en plus singulière réputation, et est prisé des anciens.
4.6.17
Mais quand nos adversaires se veulent aider de cela, pour luy donner la primauté et puissance souveraine sur les autres Eglises, ils s’abusent trop lourdement, comme j’ay dit. Et afin que cela soit plus évident, je monstreray premièrement en brief, que c’est que les Anciens ont senty de ceste unité, à laquelle iceux s’arrestent tant. Sainct Hiérosme escrivant à Népotien, après avoir allégué plusieurs exemples d’unité, descend finalement à la Hiérarchie de l’Eglise : Il y a, dit-il, en chacune Eglise un Evesque, un Archeprestre, un Archediacre, et tout l’ordre de l’Eglise consiste en ces gouverneurs. Notons que c’est un Prestre romain qui parle, et qu’il veut recommander l’unité de l’Eglise. Pourquoy ne fait-il mention que toutes les Eglises sont unies ensemble par le moyen d’un Chef, comme par un lien ? Il n’y avoit rien qui servist mieux à sa cause que cela : et ne peut-on dire qu’il ait laissé de le dire par oubli. Car il n’eust rien fait tant volontiers, si la cause l’eust souffert. Il est doncques certain qu’il voyoit bien que la vraye façon d’unité estoit celle que descrit sainct Cyprien, quand il dit ainsi : Il n’y a qu’un seul Evesché, duquel chacun Evesque est participant entièrement : il n’y a qu’une seule Eglise, laquelle est espandue au long et au large : comme il y a plusieurs rayons du soleil, mais la clairté n’est qu’une : et en un arbre il y a beaucoup de branches, mais il n’y a qu’un tronc, qui est appuyé sur sa racine : et d’une seule fontaine découlent plusieurs ruisseaux, qui n’empeschent point toutesfois que l’unité ne demeure en la source. Qu’on sépare les rayons du corps du soleil, l’unité qui est là ne souffre aucune division. Qu’on coupe la branche d’un arbre, et elle séchera. Ainsi l’Eglise estant illuminée de la clairté de Dieu, est espandue par tout le monde : néantmoins il y a une seule clairté qui s’estend par tout, et l’unité du corps n’est point séparée[f]. Après avoir dit cela, il conclud que toutes hérésies et schismes provienent de ce qu’on ne se retourne point à la source de vérité, qu’on ne cherche point le Chef, et qu’on ne garde point la doctrine du Maistre céleste. On voit comme il donne à Jésus-Christ seul l’Evesché universel, qui comprene toute l’Eglise : comment il dit que chacun de ceux qui sont Evesques sous ce Chef principal, en tienent une portion. Où sera la primauté du siège romain si l’Evesché entier réside seulement en Jésus-Christ, et que chacun en ait une portion ? J’ay allégué ce passage, afin de donner à entendre comme en passant, aux lecteurs, que ceste maxime que tienent les Romanisques comme un article de foy, asçavoir qu’en la Hiérarchie de l’Eglise il est requis qu’il y ait un chef en terre, a esté du tout incognue aux Anciens.
[f] De simpl. praelat.
Chapitre VII
De la source et accroissement de la Papauté jusques à ce qu’elle se soit eslevée
en la grandeur qu’on la voit : dont toute liberté a esté opprimée, et toute
équité confuse.
4.7.1
Quant est du commencement premier de la primauté du siège romain, il n’y a rien plus ancien pour luy donner couleur, que le Décret qui fut fait au Concile de Nice, là où l’Evesque de Rome est nommé le premier entre les Patriarches, et luy est commise la superintendance sur les Eglises voisines. Ce décret partit tellement les Provinces entre luy et les autres Patriarches, qu’il assigne à tous leurs propres limites. Certes il ne le fait point chef de tous, mais seulement il le constitue un des principaux. Jule, qui estoit alors Evesque de Rome, avoit envoyé au Concile deux vicaires pour y estre en son nom : iceux furent assis au quatrième lieu. Je vous prie, si on eust recognu Jule pour chef de l’Eglise, ceux qui représentoyent sa personne eussent-ils esté recullez jusques au quatrième lieu ? Athanase eust-il présidé au Concile universel, où l’ordre de la Hiérarchie doit estre singulière-observé ? Au Concile d’Ephèse, il semble que Célestin, qui alors estoit Evesque romain, usa d’une prattique oblique, afin de prouvoir a la dignité de son siège. Car comme ainsi soit qu’il y envoyast gens pour y assister en son lieu, il requit Cyrille Evesque d’Alexandrie, lequel autrement devoit présider, de tenir sa place. De quoy servoit un tel vicariat, sinon afin que son nom peust tellement quellement entrer au premier siège ? Car ses Ambassadeurs estoyent en lieu inférieur : on leur demandoit leurs opinions comme aux autres : ils faisoyent subscription en leur ordre : cependant le Patriarche d’Alexandrie portoit double nom. Que diray-je du second Concile d’Ephèse ? au quel combien que Léon Evesque de Rome eust envoyé ses Ambassadeurs, toutesfois Dioscorus Patriarche d’Alexandrie y présidoit sans contradiction, comme de droict. Ils répliqueront que ce n’estoit point un Concile légitime, veu que Flavien Evesque de Constantinoble y fut condamné, et l’hérésie d’Eutyches approuvée ; mais je ne parle point de la fin. il est ainsi, que puis que le Concile estoit là assemblé, et que chacun Evesque estoit assis en son ordre, que les Ambassadeurs du Pape de Rome, y estoyent avec les autres, comme en un sainct Concile et bien ordonné. Or ils ne débatent point du premier lieu, mais le quittent à un autre : ce qu’ils n’eussent point fait, s’ils eussent pensé qu’il leur eust appartenu. Car jamais les Evesques de Rome n’ont eu honte d’esmouvoir grosses contentions pour leur dignité, et n’ont point fait de difficulté de troubler les Eglises, et les diviser pour ceste cause. Mais pource que Léon voyoit bien que ce seroit trop audacieusement fait à luy, s’il eust prétendu de mettre ses Ambassadeurs au premier siège, il s’en déporta.
4.7.2
Le Concile de Chalcédoine veint après, auquel par le congé ou ordonnance de l’Empereur, les Ambassadeurs de l’Eglise romaine présidèrent. Mais Léon mesmes confesse bien que cela se faisoit par un privilége extraordinaire. Car quand il le demande à Martian Empereur et à l’Impératrice, il ne prétend pas qu’il luy soit deu : mais il allègue pour couverture, que les Evesques d’Orient, qui avoyent présidé au Concile d’Ephèse, s’estoyent là mal portez, et y avoyent abusé de leur puissance. Ainsi, pourtant qu’il estoit mestier d’avoir un président homme grave, et n’estoit pas vray-semblable que ceux qui avoyent une fois procédé par tumulte, fussent idoines : Léon prie, qu’à cause que les autres sont incompétens, la charge soit transférée à luy. Certes ce qui se demande par un privilège spécial, n’est point de l’ordre commun et perpétuel. Quand on allègue seulement ceste couleur, qu’il est mestier d’avoir un nouveau président, pource que les précédens s’y sont mal portez, il appert qu’il n’a point esté fait au paravant, et qu’il ne doit point estre tiré en conséquence : mais qu’il est fait seulement pour le danger et nécessité présente. Pourtant l’Evesque de Rome a tenu le premier lieu au Concile de Chalcédoine : non pas que cela fust deu à son Eglise, mais d’autant que le Concile estoit despourveu de président bon et propre : d’autant que ceux ausquels l’honneur appartenoit s’en estoyent exclus par leur folie et mauvais portement. Et ce que je di a esté prouvé par effect du successeur de Léon ; car estant appelé long temps après au cinquième Concile de Constantinoble, il ne débatit point pour avoir le premier lieu, mais souffrit sans difficulté que Menas Patriarche du lieu présidast. Semblablement au Concile de Carthage, auquel estoit sainct Augustin : Aurélius archevesque du lieu fut président, et non pas les ambassadeurs du siège romain, combien qu’ils fussent là expressément venus pour maintenir l’authorité de leur Evesque. Qui plus est, il s’est tenu un Concile universel en Italie, auquel ne se trouva point l’Evesque de Rome : c’est le Concile d’Aquilée, auquel sainct Ambroise présidoit pour le crédit qu’il avoit envers l’Empereur. Il ne se fait là nulle mention de l’Evesque de Rome. Ainsi nous voyons que la dignité de sainct Ambroise fut cause alors que Milan fut préférée an siège romain.
4.7.3
Quant est du tiltre de primauté, et des autres tiltres d’orgueil desquels le Pape se vante sans fin et sans mesure, il est facile de juger quand et par quel moyen ils sont venus en avant. Sainct Cyprien Evesque de Carthage fait souvent mention de Corneille Evesque de Rome, il ne l’appelle point autrement que frère, compagnon, ou Evesque semblable à luy. Et escrivant à Estiene successeur de Corneille, non-seulement il le fait égual à soy et aux autres : mais il le traitte fort asprement, l’appelant maintenant arrogant, maintenant ignorant[g]. Après la mort de sainct Cyprien, on sçait ce que toute l’Eglise aphricaine en a décrété. Car il fut défendu au Concile de Carthage, que nul ne fust nommé Prince des Prestres, ou premier Evesque : mais seulement Evesque du premier siège[h]. Que si quelqu’un espluche les histoires plus anciennes, il trouvera que l’Evesque de Rome se contentoit bien adoncques du nom commun de Frère. Certes ce pendant que l’Eglise a duré en son vray et pur estat, ces noms d’orgueil, lesquels depuis a usurpé le siège romain pour se magnifier, ont esté du tout incognus ; on ne sçavoit que c’estoit de souverain Prestre, ne d’un chef unique en terre ; et si l’Evesque de Rome eust esté si hardi que de s’eslever jusques-là, il y avoit gens de sorte qui eussent incontinent réprouvé sa folie et présomption. Sainct Hiérosme, d’autant qu’il estoi Prestre romain, n’a point esté chiche à priser la dignité de son Eglise, quand la vérité et condition des temps le souffroit : toutesfois nous voyons comme il la range au nombre des autres, S’il est question d’authorité, dit-il, le monde est plus grand qu’une ville. Qu’est-ce que tu m’allègues la coustume d’une ville seule ? Qu’est-ce que tu assujetis l’ordre de l’Eglise à peu de gens, de quoy vient la présomption ? Partout où il y a Evesque, soit à Rome, soit à Eugubio, soit à Constantinoble ou à Regio, il est d’une mesme dignité et d’une mesme Prestrise. La puissance des richesses, et le mespris de la povreté ne fait un Evesque supérieur ou inférieur[i].
[g] Epist., lib. II, epist. II, et lib. IV, epist. VI.
[h] Chap. XLVII.
[i] Epist. ad Evagrium.
4.7.4
Touchant du tiltre d’Evesque universel, la première contention en fut esmeue du temps de sainct Grégoire, par l’ambition de l’Archevesque de Constantinoble nommé Jehan. Car iceluy se vouloit faire Evesque universel, ce que nul n’avoit au paravant attenté. Or sainct Grégoire en débatant ceste question, n’allègue point que l’autre luy oste le tiltre qui luy appartient : mais au contraire, il proteste que c’est un tiltre profane, voire mesmes plein de sacrilège, et un préambule de la venue de l’Antéchrist. Si celuy qui est nommé universel tombe, dit-il, toute l’Eglise trébusche. En un autre passage : C’est une chose fâcheuse de porter que nostre frère et compagnon, avec le mespris des autres soit nommé seul Evesque. Mais par ce sien orgueil que pouvons-nous conjecturer, sinon que le temps d’Antéchrist est jà prochain ? Car il ensuyt celuy qui en mesprisant la compagnie des Anges a voulu monter plus haut, pour estre seul en degré souverain[j]. Item, en un autre lieu escrivant à Eulolius Evesque d’Alexandrie, et à Anastase Evesque d’Antioche, Nul de mes prédécesseurs, dit-il, n’a jamais voulu user de ce mot profane. Car s’il y a un Patriarche qui soit dit universel : le nom de Patriarche sera osté à tous les autres. Mais jà n’adviene que quelque Chrestien présume de s’eslever jusques-là, qu’il diminue l’honneur de ses frères, tant peu que ce soit. De consentir à ce nom exécrable, ce seroit destruire la Chrestienté, C’est autre chose que de conserver unité de foy, et autre chose que de réprimer la hautesse des orgueilleux. Je di hardiment, que quiconque s’appelle Evesque universel, ou appelé d’estre ainsi nommé, est précurseur de l’Antéchrist : d’autant qu’il se préfère par orgueil à tous[k]. Item, derechef à Anastase, J’ay dit que l’Evescque de Constantinoble ne peut avoir paix avec nous, qu’il ne corrige la hautesse de ce mot superstitieux et orgueilleux, lequel a esté trouvé par le premier apostat ; encores que je me taise de l’injure qu’il vous fait. Si quelqu’un est nommé Evesque universel, toute l’Eglise trébusche si cestuy-là chet[l]. Voylà les paroles de sainct Grégoire. Touchant ce qu’il raconte qu’on avoit offert cest honneur à Léon au Concile de Chalcédoine, cela n’a nulle apparence de vérité ; car il n’en est point de nouvelles aux actes qui en sont escrits ; et Léon mesmes, quand il réprouve en plusieurs Epistres le Décret qui avoit là esté fait en faveur de l’Evesque de Constantinoble, n’eust point laissé cest argument derrière, duquel il se fust mieux aidé que de tous les autres, si on luy eust offert un tel honneur, et qu’il l’eust refusé. Mesmes d’autant qu’il estoit homme fort ambitieux, il n’eust point volontiers obmis ce qui eust fait à sa louange. Sainct Grégoire doncques s’est abusé en cela, qu’il a pensé que le Concile eust voulu tant magnifier le siège romain. Et de faict, c’est une mocquerie, qu’un Concile universel ait voulu estre autheur d’un nom lequel fust meschant, profane, exécrable, plein d’orgueil et de sacrilège : voire mesmes procédé du diable, et publié par le précurseur d’Antéchrist : comme il le dit. Et toutesfois il adjouste que son prédécesseur l’a refusé, de peur que les autres Evesques ne fussent privez de leur honneur légitime. En un autre passage, Nul n’a voulu estre ainsi nommé, nul ne s’est ravi ce nom téméraire, de peur qu’il ne semblast advis qu’il despouillast ses frères de leur honneur, en se colloquant en degré souverain.[m]
[j] Lib. IV, epist. LXXVI, Mauricio, Aug. Constantiae ; Aug., epist. LXXVIII ejusdem lib.
[k] Ejusdem lib. epist. LXXX ; Aviano Diacon., epist. LXXXIII ejusdem lib. ; Mauricio Aug., Epist. CXCIV, lib. VII.
[l] Lib. VI, epist. CLXXXVIII.
[m] Lib. IV, epist. LXXVI, ad Mauricium ; Eulolio. supra, et epist. LXIX, lib. VII, Euseb. Episcop. Thessalonic.
4.7.5
Je vien maintenant à la jurisdiction laquelle le Pape s’attribue sur toutes les Eglises, sans aucune difficulté. Je sçay combien il y en a eu de combats anciennement. Car jamais ne fut que le siège romain n’appétast quelque supériorité sur les autres Eglises : et ne sera point hors de propos si je démonstre par quel moyen il est parvenu dés le temps ancien à quelque prééminence. Je ne parle point de ceste tyrannie désordonnée que le Pape a usurpée à soy depuis peu de temps : car je différeray ce point a un autre lieu. Mais il est besoin de monstrer yci briefvement, comment et par quels moyens il s’est exalté desjà dés long temps pour entreprendre quelque jurisdiction sur les autres Eglises. Du temps que les Eglises d’Orient estoyent troublées et divisées par les Arriens, sous l’empire de Constance et Constant fils de Constantin le Grand, Athanase principal défenseur de la foy catholique fut déchassé de son Eglise. Ceste calamité le contraignit de venir à Rome afin que par l’authorité de l’Eglise romaine il peust résister à la rage de ses ennemis, et confermer les bons fidèles qui estoyent en grande extrémité. Estant là venu, il fut honorablement receu de Jule Evesque de Rome pour lors, et obteint par son moyen que les Evesques d’Occident prinssent sa cause en main. Ainsi d’autant que les fidèles d’Orient avoyent mestier de quelque aide, et qu’on les secourust d’ailleurs, et qu’ils voyoyent que leur principal secours estoit de l’Eglise romaine, ils luy déféroyent volontiers autant d’honneur qu’ils pouvoyent. Mais le tout revenoit là, qu’on estimast beaucoup d’estre en la communion d’icelle, et qu’on réputast pour une grande ignominie d’en estre excommunié. Après cela les meschans garnemens et de mauvaise vie luy ont beaucoup augmenté sa dignité. Car c’estoit un subterfuge commun à ceux qui méritoyent d’estre punis en leurs Eglises, que de s’encourir à Rome comme en franchise. Pourtant si quelque Prestre avoit esté condamné par son Evesque, ou quelque Evesque par le Synode de sa province, incontinent il en appeloit à Rome. Et les Evesques romains estoyent plus convoiteux de recevoir telles appellations qu’il n’eust esté de besoin : d’autant qu’il leur sembloit bien advis que cela estoit une espèce de prééminence, de s’entremettre des affaires des Eglises lointaines. En ceste manière, quand Eutyches meschant hérétique fut condamné par Flavien Archevesque de Constantinoble, il s’en veint plaindre à Léon qu’il avoit esté traitté injustement. Incontinent Léon s’ingéra de défendre une meschante cause et ruineuse, pour advancer son authorité : et feit de grandes quérimonies contre Flavien, comme s’il eust condamné un homme innocent devant que l’avoir ouy. Et feit tant par son ambition, que l’impiété d’Eutyches ce pendant se conferma, là où elle eust esté esteinte s’il ne s’en fust meslé. Cela aussi bien est souvent advenu en Aphrique. Car incontinent que quelque meschant avoit esté convaincu par-devant son juge ordinaire, il trottoit à Rome, et par calomnie chargeoit son Evesque d’avoir mal procédé contre luy. Le siège romain estoit tousjours prest de s’interposer. Et de faict, ce fut ceste convoitise des Evesques de Rome, qui esmeut les Evesques d’Aphrique d’ordonner que nul n’appelast d’outre mer, sur peine d’excommunication.
4.7.6
Quoy qu’il en soit, regardons quelle jurisdiction ou puissance avoit alors le siège romain. Pour vuider ceste matière, il est à noter que la puissance ecclésiastique gist en ces quatre points : asçavoir d’ordonner les Evesques, d’assembler les Conciles, en la jurisdiction ou inférieure ou supérieure, et en corrections ou censures. Quant au premier, tous les anciens Conciles commandent que chacun Evesque soit ordonné par son Métropolitain, et ne commandent point que l’Evesque de Rome y soit appelé, sinon en sa province. Or petit à petit ceste coustume a esté introduite, que tous les Evesques d’Italie allassent à Rome pour estre là consacrez : exceptez les Métropolitains, qui ne voulurent point estre astreints à telle servitude. Mais quand il faloit ordonner quelque Métropolitain, l’Evesque de Rome envoyoit là un de ses Prestres pour assister à l’acte seulement, et non pas y présider. De cela on en peut veoir l’exemple en une épistre de sainct Grégoire, touchant la consécration de Constance Archevesque de Milan, après le trespas de Laurent[n] : combien que je ne pense pas que c’ait esté une ordonnance de long temps. Mais il est vray-semblable qu’en signe de communion mutuelle ils envoyoyent du commencement l’un à l’autre par honneur et par amitié, des ambassadeurs, pour estre tesmoins de la consécration. Depuis on a fait une loy de ce qui se faisoit au paravant à volonté. Quoy qu’il en soit, c’est chose notoire que l’Evesque de Rome n’avoit anciennement la puissance de consacrer Evesques ; sinon en sa province, c’est-à-dire, aux Eglises dépendantes de la ville : comme porte le Canon du Concile de Nice. A la consécration des Evesques estoit adjoincte la coustume d’envoyer Epistres synodales : en quoy l’Evesque de Rome n’estoit de rien supérieur aux autres. Afin d’entendre que cela veut dire, les Patriarches incontinent après leur consécration avoyent ceste façon d’envoyer les uns aux autres une Epistre, en laquelle ils rendoyent tesmoignage de leur foy, en laquelle ils faisoyent profession d’adhérer à la doctrine des saincts Conciles. Ainsi en faisant confession de leur foy, ils approuvoyent leur élection les uns aux autres. Si l’Evesque de Rome eust receu une telle confession des autres, et n’en eust point donné de son costé, en cela il eust esté recognu comme supérieur : mais comme ainsi soit qu’il fust tenu d’en faire autant que les autres, et qu’il fust sujet à la loy commune, cela certes estoit signe de société, et non pas de maistrise. De cela nous avons plusieurs exemples aux epistres de sainct Grégoire, comme à Cyriaque, et Anastase, et à tous les Patriarches ensemble[o].
[n] Lib. II, epist. LXVIII et CLXX.
[o] Anast., lib. I, epist. XXIV, XXV, Cyriaco, epist. CLXIX, lib. VI.
4.7.7
S’ensuyvent les corrections ou censures, desquelles comme les Evesques romains ont usé envers les autres, aussi ils ont souffert que les autres en usassent envers eux. Irénée Evesque de Lion reprint asprement Victor Evesque de Rome, de ce que pour une petite chose il avoit esmeu une grosse contention et pernicieuse en l’Eglise : et iceluy obéit à l’admonition sans contredit[p]. Ceste liberté a duré long temps entre les saincts Evesques, d’admonester fraternellement les Evesques romains et les reprendre quand ils failloyent. Iceux semblablement, quand la chose le requéroit, admonestoyent les autres. Car sainct Cyprien exhortant Estiene Evesque romain d’admonester les Evesques de Gaule, ne prend point argument qu’il ait puissance par-dessus eux, mais d’un droict commun et réciproque que les Evesques ont entre eux[q]. Je vous prie, si Estienne eust eu jurisdiction en la Gaule, sainct Cyprien ne luy eust-il pas dit, Chastie-les : car ils sont en ta sujétion ? Mais il parle bien autrement : La société fraternelle, dit-il, en laquelle nous sommes unis ensemble, requiert cela, que nous nous admonestions mutuellement[r]. Et de faict, nous voyons de quelle véhémence de paroles il use en un autre lieu, en reprenant iceluy mesme, d’autant qu’il vouloit trop user de licence. Il n’appert point doncques encores en cest endroit que l’Evesque romain ait eu quelque jurisdiction sur ceux qui n’estoyent point de sa province.
[p] Ad Patriarc., lib. I, epist. XXIV.
[q] Epist. XIII, lib. III.
[r] Ad Pompeium, contra epist. Steph.
4.7.8
Quant est d’assembler des Conciles, c’estoit l’office de chacun Métropolitain de faire tenir les Synodes en leurs provinces une fois ou deux l’an, selon qu’il estoit ordonné : en cela l’Evesque de Rome n’avoit que veoir. Le Concile universel ne se dénonçoit que par l’Empereur : et les Evesques y estoyent appelez par son authorité seulement. Car si quelqu’un des Evesques eust attenté cela, non-seulement il n’eust pas esté obéy des autres qui estoyent hors sa province, mais il s’en fust incontinent ensuyvy quelque esclandre. L’empereur doncques dénonçoit à tous qu’ils conveinssent. Socrates historien raconte bien que Jule Evesque romain se plaignoit de ceux d’Orient, de ce qu’ils ne l’avoyent point appelé au Concile d’Antioche, alléguant qu’il estoit défendu par les Canons, de rien ordonner sans en avoir communiqué à l’Evesque de Rome[s]. Mais qui est-ce qui ne voit que cela se doit prendre des Décrets qui appartienent à l’Eglise universelle ? Or ce n’est point de merveilles si on faisoit cest honneur tant à l’ancienneté et noblesse de la ville, qu’à la dignité de l’Eglise, de constituer qu’il ne se feist aucun Décret universel touchant la doctrine chrestienne, en l’absence de l’Evesque de Rome, moyennant qu’il ne refusast point d’y assister. Mais de quoy sert cela pour fonder une domination sur toute l’Eglise ? Car nous ne nions pas que l’Evesque romain n’ait esté un des principaux : mais nous ne voulons nullement admettre ce que les Romanisques de présent afferment, asçavoir qu’il ait eu supériorité sur tous.
[s] Tripart, Hist., lib. IV.
4.7.9
Reste le quatrième point de la puissance ecclésiastique, qui gist es appellations. C’est chose notoire que celuy par devant lequel on appelle, a jurisdiction supérieure. Plusieurs ont souvent appelé anciennement à l’Evesque de Rome : luy aussi s’est efforcé d’attirer à soy la cognoissance des causes : mais il a esté tousjours mocqué quand il a excédé ses limites. Je ne diray rien d’Orient ne de Grèce : mais nous lisons que les Evesques de Gaule luy ont résisté fort et ferme, quand il a fait semblant de vouloir rien usurper sur eux. En Aphrique ceste matière fut débatue par longue espace de temps. Car d’autant que le Concile Milevitain, auquel assistoit sainct Augustin, avoit excommunié tous ceux qui appelleroyent outre mer, l’Evesque romain meit grand’peine pour faire corriger ce Décret, et envoya des Ambassadeurs, pour remonstrer que ce privilège luy avoit esté donné par le Concile de Nice. Iceux produisoyent certains actes, qu’ils disoyent estre du Concile de Nice, lesquels ils avoyent prins aux armoires de leur Eglise[t]. A quoy résistent les Aphricains, disans qu’il ne faloit adjouster foy à l’Evesque romain en sa cause propre. Ainsi la conclusion fut d’envoyer à Constantinoble et aux autres villes de Grèce, pour avoir de là des copies moins suspectes. Là on ne trouva rien de ce qu’avoyent prétendu les Ambassadeurs de Rome. Ainsi le Décret qui avoit cassé la jurisdiction souveraine de l’Evesque romain demeura en son entier. Et en cela fut descouverte une impudence vilene de l’Evesque romain. Car comme ainsi soit qu’il eust par fraude supposé le Concile de Sardice pour celuy de Nice, il fut surprins en fausseté manifeste. Mais encores il y a eu une plus grande meschanceté et plus effrontée en ceux qui ont adjousté aux actes du Concile une épistre forgée à plaisir ; là où le successeur d’Aurélius condamnant l’arrogance de son prédécesseur, de ce qu’il s’estoit trop audacieusement retiré de l’obéissance du siège apostolique, se rend humblement luy et les siens, et demande d’estre receu à merci. Voylà les beaux monumens antiques, sur lesquels est fondée la majesté du siège romain : c’est que sous couverture de l’ancienneté, ils font des badinages tant puériles, que les aveugles pourroyent toucher leur sottise à la main. Aurélius (dit ceste belle épistre) estant enflé d’une audace et contumace diabolique, a esté rebelle à Jésus-Christ et à sainct Pierre, pourtant est digne d’estre anathématisé. Et de sainct Augustin, quoy ? Item de tant de Pères qui ont assisté au Concile Milevitain ? Mais quel mestier est-il de réfuter de beaucoup de paroles cest escrit tant inepte, lequel doit faire rougir le front de honte mesmes aux Romanisques, s’ils ne sont d’une impudence du tout désespérée ? En ceste manière Gratien, qui a composé les Décrets (je ne sçay si par malice ou par ignorance) après avoir récité ce Canon, Que nul n’appelle outre mer, sur peine d’estre excommunié : adjousté ceste exception, Fors qu’au siège romain[u]. Que feroit-on à ces bestes, lesquelles sont tellement despourveues de sens commun, de faire une exception de l’article pour lequel la loy a esté expressément faite, comme chacun sçait ? Car le Concile en défendant d’appeler outre mer, n’entend autre chose sinon que nul n’appelast à Rome.
[t] Hæc habentur primo vol. Concil.
[u] I, quæst. IV, cap. Placuit.
4.7.10
Mais pour mettre fin une fois à ceste question, une seule histoire que raconte sainct Augustin, suffira pour monstrer quelle a esté anciennement la jurisdiction de l’Evesque romain. Donat qui se nommoit de Cases-noires, schismatique, avoit accusé Cécilien Archevesque de Carthage : et avoit tant fait qu’iceluy fut condamné sans estre ouy. Car sçachant que les Evesques avoyent conspiré contre luy, il ne voulut point comparoistre. La chose veint jusques à l’Empereur Constantin. Iceluy voulant que la cause fust traittée, par jugement ecclésiastique, commit ceste charge à Melciades pour lors Evesque de Rome, et à certains autres Evesques d’Italie, de Gaule et d’Espagne, lesquels il nomma. Si cela estoit de la jurisdiction ordinaire du siège romain, comment est-ce que Melciades souffre que l’Empereur luy donne des assesseurs à son plaisir ? Qui plus est, pourquoy est-ce que l’appellation vient par-devant luy, par le commandement de l’Empereur, et qu’il ne la reçoit de son authorité ? Mais escoutons ce qui adveint depuis. Cécilien fut là supérieur : Donat de Cases-noires fut débouté de sa calomnie : lequel en appela[v]. L’Empereur Constantin renvoya l’appellation par-devant l’Archevesque d’Arles. Voylà l’Archevesque d’Arles assis pour rétracter, si bon luy semble, la sentence de l’Evesque romain : au moins pour juger par-dessus luy. Si le siège romain eust eu la jurisdiction souveraine sans appel, comment Melciades enduroit-il qu’on luy feist une telle injure, de préférer à luy l’Evesque d’Arles ? Et quel Empereur est-ce qui fait cela ? c’est Constantin : duquel ils se glorifient tant que non-seulement il a appliqué toute son estude, mais aussi employé tout son Empire pour exalter la dignité de leur siège. Nous voyons doncques combien l’Evesque romain estoit encores loing adoncques de ceste domination, laquelle il prétend luy avoir esté donnée de Jésus Christ sur toutes les Eglises : et laquelle il se vante faussement avoir eue de tout temps du consentement commun de tout le monde.
[v] August., epist. CLXII in brevi collat. contra Donat., et alibi.
4.7.11
Je sçay combien il y a de rescrits et épistres décrétales des Papes, ausquelles ils magnifient leur puissance jusques au bout : mais il n’y a quasi nul de si petit entendement ou sçavoir, qui ne sçache aussi d’autre part, que ces épistres sont communément si sottes et badines, qu’il est aisé de juger de première face de quelle bouticque elles sont parties. Car qui est l’homme de sain entendement et de cerveau rassis, qui pense qu’Anaclète soit autheur de ceste belle interprétation que Gratien allègue au nom d’iceluy, asçavoir que Céphas est à dire Chef[w] ? Il y en a beaucoup de telles frivoles, que Gratien a ramassées sans jugement ; desquelles les Romanisques abusent aujourd’huy contre nous pour la défense de leur siège. Et ne sont point honteux d’espandre en si grande clairté telles fumées, desquelles ils séduisoyent jadis en ténèbres le simple peuple. Mais je ne me veux point beaucoup travailler à rédarguer ces fatras, lesquels d’eux-mesmes se rédarguent, tant sont ineptes. Je confesse bien qu’il y a aussi quelques épistres qui ont vrayement esté faites par des Papes anciens, ausquelles ils s’efforcent d’exalter la grandeur de leur siège, en luy donnant des tiltres magnifiques : comme de Léon. Car combien que c’ait esté un homme sçavant et éloquent, il a esté convoiteux de gloire et de prééminence outre mesure. Mais asçavoir-mon si les Eglises ont adjousté foy à son tesmoignage, quand il s’exalte ainsi. Or il appert que plusieurs estans faschez de son ambition, ont mesmes résisté à sa convoitise[x]. En une épistre il ordonne l’Evesque de Thessalonique son vicaire par la Grèce et par les pays voisins[y]. Item celuy d’Arles, ou je ne sçay quel autre par les Gaules[z]. Item Hormidas Evesque d’Hispales, par les Espagnes : mais il adjouste par tout ceste exception, qu’il leur donne une telle charge avec condition, que par cela ne soyent aucunement enfreints les privilèges anciens des Métropolitains. Or luy-mesme déclaire que cestuy-ci en estoit un, que s’il survenoit quelque controversie ou difficulté, qu’on s’addressast à eux en premier lieu. Ce vicariat doncques se donnoit avec tel si, que nul Evesque n’estoit empesché en sa jurisdiction ordinaire, nul Archevesque n’estoit débouté du régime de sa province : et n’y avoit nul préjudice pour les Synodes. Or qu’estoit-ce là autre chose, sinon de s’abstenir de toute jurisdiction, mais seulement s’interposer pour appaiser, entant que la communion de l’Eglise porte que les membres s’empeschent les uns pour les autres ?
[w] Dist. XXII, cap. Sacrosancta.
[x] Vide epist. LXXXV.
[y] Epist. LXXXIII.
[z] Epist. LXXXIX.
4.7.12
Du temps de sainct Grégoire ceste façon ancienne estoit desjà fort changée. Car comme ainsi soit que l’Empire fust desjà fort dissipé, d’autant que les Gaules et Espagnes estoyent fort affligées par les guerres, l’Illyrie gasté, l’Italie fort vexée, l’Aphrique quasi du tout perdue et destruite : les Evesques chrestiens voulans prouvoir à ce qu’en une telle confusion de l’estat civil, pour le moins l’unité de la foy demeurast en son entier, s’adjoignoyent pour ceste cause avec l’Evesque romain, dont il adveint que non-seulement la dignité du siège, mais aussi la puissance fut grandement accreue. Combien qu’il ne me chaille point beaucoup comment cela s’est fait : tant y a qu’elle estoit beaucoup plus grande en ce temps-là, qu’elle n’avoit esté au paravant : et toutesfois il s’en faut beaucoup que ce fust une supériorité, à ce qu’un dominast sur les autres à sa poste. Seulement on portoit ceste révérence au siège romain, qu’il pouvoit réprimer et corriger les rebelles qui ne se vouloyent point laisser réduire par les autres. Car sainct Grégoire proteste tousjours cela diligemment, qu’il ne veut pas moins fidèlement garder aux autres leurs droicts, qu’il veut les siens luy estre gardez. Je ne veux point, dit-il, par ambition déroguer à personne : mais je désire d’honorer mes frères en tout et par tout[a]. Il n’y a sentence en tous ses escrits, là où il eslève plus haut sa primauté, que quand il dit, Je ne sçache Evesque lequel ne soit sujet au siège apostolique quand il se trouve en faute[b]. Mais il adjouste incontinent, Quand il n’y a point de faute, tous sont égaux par droict d’humilité[c]. En cela il s’attribue l’authorité de corriger ceux qui ont failly : se rendant égual à ceux qui font leur devoir. Or il faut noter que c’est luy qui se donne telle puissance : mais ceux ausquels il sembloit bon luy accordoyent. Si quelqu’un luy vouloit répugner, il estoit licite : comme il appert que plusieurs luy ont contredit. D’avantage, il est à noter qu’il parle là du Primat de Bisance, lequel ayant esté condamné par son Concile provincial, avoit mesprisé la sentence de tous les Evesques du pays, lesquels en avoyent fait leur plaintif à l’Empereur. Ainsi l’Empereur avoit commis la cause à sainct Grégoire pour en cognoistre. Nous voyons doncques qu’il n’attentoit rien pour violer la jurisdiction ordinaire, et que ce qu’il faisoit mesmes pour aider aux autres, n’estoit que par le commandement de l’Empereur.
[a] Ad Mediolan. clerum, epist. LXVIII, lib. II
[b] Ad Dominicum Carthag. episcop., epist. ult. lib. II.
[c] Epist. LXIV, lib. VII.
4.7.13
Voyci doncques la puissance qu’avoit pour lors l’Evesque romain : c’estoit de résister aux rebelles et aux dures testes, toutes fois et quantes qu’on avoit mestier de quelque remède extraordinaire : et ce pour aider les autres Evesques, non pas pour les empescher. Pourtant, il n’entreprend rien d’avantage sur les autres, qu’il leur permet sur soy en un autre passage : confessant qu’il est prest d’estre reprins de tous, et corrigé de tous[d]. Semblablement il commande bien en une autre épistre à l’Evesque d’Aquilée, de venir à Rome pour rendre raison de sa foy, touchant un article qui estoit pour lors en débat entre luy et ses voisins ; mais il fait cela par le commandement de l’Empereur, comme il dit, non point de sa propre puissance. D’avantage, il déclaire qu’il ne sera pas juge luy seul, mais promet d’assembler le Concile de sa province pour en juger[e]. Or combien qu’il y eust encores une telle modération, que la puissance du siège romain estoit enclose en ses limites, lesquels il n’estoit point loisible d’outrepasser, et que l’Evesque romain ne présidoit pas plus sur les autres, qu’il leur estoit sujet : toutesfois on voit combien cest estat a despleu à sainct Grégoire. Car il se plaind çà et là, que sous couleur d’estre créé Evesque, il est rentré au monde : et qu’il est plus enveloppé en négoces terriens, que jamais il n’avoit esté vivant entre les laïcs : tellement qu’il se dit estre quasi suffoqué d’affaires séculiers[f]. En un autre passage : Je suis, dit-il, chargé de tant de fardeaux d’occupations, que mon âme ne se peut eslever en haut. Je suis batu de plaidoyers et de querelles : comme de vagues : après la vie paisible que j’ay menée, je suis agité de diverses tempestes d’une vie confuse : tellement que je puis bien dire, Je suis entré en la profondeur de la mer, et la tempeste m’a noyé[g]. Pensez maintenant ce qu’il eust dit, s’il eust esté en tel temps auquel nous sommes. Combien qu’il n’accomplist pas l’office de Pasteur, toutesfois il l’exerçoit, il ne se mesloit point du gouvernement civil et terrien : mais il se confessoit estre sujet de l’Empereur comme les autres. Il ne s’ingéroit point aux affaires des autres Eglises, sinon entant que la nécessité l’y contraignoit. Toutesfois il pense estre en un labyrinthe, d’autant qu’il ne peut simplement vacquer du tout à l’office d’Evesque.
[d] Lib. II, epist. XXXVII.
[e] Epist. XVI.
[f] Theotistae, epist. V, lib. I.
[g] Anastas. Antioch., epist. VII et XXV, lib. I.
4.7.14
Or comme nous avons desjà dit, l’Archevesque de Constantinoble estoit alors en débat avec celuy de Rome, touchant la Primauté. Car depuis que le siège de l’Empire fut establi à Constantinoble, il sembloit bien advis que ce fust bien raison que ceste Eglise-là eust le second lieu. Et de faict, ç’avoit esté la principale raison pourquoy on avoit du commencement donné le premier lieu à Rome, d’autant qu’elle estoit adoncques chef de l’Empire. Gratien allègue un rescrit de Lucinus Pape, où il dit qu’on, a premièrement constitué les Primautez et Archeveschez, conformant l’ordre de l’Eglise à la police temporelle : c’est-à-dire, qu’on a tellement distribué les sièges, que comme une ville estoit supérieure à l’autre, ou inférieure quant au temporel, aussi on luy assignoit son degré de prééminence quant au régime spirituel[h]. Il y a aussi bien un autre rescrit sous le nom de Clément, où il est dit que les Patriarches ont esté ordonnez aux villes lesquelles avoyent eu devant la Chrestienté les principaux Prestres. Or il est vray qu’en cela il y a erreur : mais il approche aucunement de la vérité. Car c’est chose notoire, que du commencement, comme dit a esté, afin que le changement ne fust pas si grand, les sièges des Evesques et Primats ont esté distribuez selon l’ordre qui estoit desjà quant au temporel : et que les Primats et Métropolitains ont esté colloquez aux sièges des bailliages ou gouvernemens. Pourtant il fut ordonné au Concile premier de Turin, que les villes qui auroyent précédé les autres en degré, quant au régime séculier, fussent aussi les premiers sièges d’Evesques[i]. Que si la supériorité terrienne estoit transportée d’une ville à l’autre, que le droict d’archevesque fust transporté quant et quant. Mais Innocence Pape de Rome, voyant la dignité de sa ville décliner depuis que le siège de l’Empire avoit esté transporté à Constantinoble et craignant que par ce moyen son siège n’allast en décadence, feit une loy contraire, où il dit qu’il n’est pas nécessaire que la prééminence ecclésiastique soit changée, selon qu’il se fera mutation en l’ordre civil. Mais selon la raison, on devroit bien préférer l’authorité d’un Concile à la sentence d’un seul homme. D’avantage, Innocence nous doit estre suspect en sa cause propre. Quoy qu’il en soit, il dénote bien par son Décret, que du commencement on usoit de ceste façon, asçavoir de disposer les Archevesques selon la prééminence temporelle de chacune ville.
[h] Distinct. LXXX.
[i] Chap. I.
4.7.15
Suyvant ceste ordonnance ancienne il fut décrété au Concile de Constantinoble le premier, que l’Evesque de là fust second en honneur et en degré, d’autant que c’estoit la nouvelle Rome[j]. Long temps après, d’autant que le Concile de Chalcédoine avoit fait un semblable Décret, Léon Romain y contredit fort et ferme : et non-seulement il se permit de mespriser ce que six cens Evesques avoyent arresté et conclu, mais (comme on voit par ses épistres) il les injuria aigrement, de ce qu’ils avoyent osté aux autres Eglises cest honneur qu’ils avoyent donné à celle de Constantinoble[k]. Je vous prie, qui est-ce qui le pouvoit inciter à troubler tout le monde, pour une cause tant légère et frivole que pure ambition ? Il dit que ce qui a esté une fois passé au Concile de Nice, doit demeurer inviolable. Comme si toute la Chrestienté estoit en danger de périr, pour avoir préféré une Eglise à l’autre : ou comme si les Patriarchies avoyent esté distribuées au Concile de Nice pour une autre fin ou intention, que pour la conservation de la police. Or nous sçavons que la police, selon la diversité des temps permet, et mesmes requiert qu’on face des mutations diverses. C’est doncques une vaine couleur que prend Léon, de dire qu’on ne doit nullement donner au siège de Constantinoble l’honneur qui avoit esté au paravant donné par le Concile de Nice à la ville d’Alexandrie. Car cela est trop évident, que c’estoit un Décret qui se pouvoit changer selon la condition des temps. Et qu’est-ce, que nul des Evesques d’Orient, ausquels l’affaire attouchoit beaucoup plus, n’y répugnoit ? Certes Protère, qui avoit esté esleu Evesque d’Alexandrie au lieu de Dioscore, estoit là présent : semblablement les autres Patriarches, desquels l’honneur estoit amoindri. C’estoit à eux à faire de s’y opposer, non pas à Léon qui demeuroit en son entier. Quand doncques iceux se taisent tous : qui plus est, quand ils y consentent, et que le seul Evesque de Rome y contredit, il est aisé de juger quelle raison l’induit à cela : c’est qu’il prévoyoit de loing ce qui adveint tantost après : que selon que la gloire de la vieille Rome décroistroit, Constantinoble ne se contentant point du second lieu, voudroit aspirer au premier. Toutesfois il ne peut tant faire par ses crieries, que le Décret du Concile n’eust sa vigueur. Parquoy ses successeurs voyans qu’ils n’y gaignoyent rien, se déportèrent bien et beau de ceste obstination. Car ils ordonnèrent qu’il deust estre le second Patriarche.
[j] Socrat., Hist. trip., lib. IX, cap. XIII.
[k] Item, in Decret., dist. XXII, cap, Constantinopolis.
4.7.16
Mais peu de temps, après asçavoir du temps de sainct Grégoire, l’Evesque de Constantinoble nommé Jehan se desborda jusques-là, qu’il se dit Patriarche universel. Grégoire ne voulant quitter l’honneur de son siège en bonne cause, s’oppose à une telle folie. Et certes c’estoit un orgueil intolérable, voire mesmes une folie enragée à l’Evesque de Constantinoble, de vouloir estendre son évesché par tout l’Empire. Or Grégoire ne maintient point que l’honneur qu’il dénie à l’autre, appartiene à soy : mais il a en exécration ce tiltre, de quiconques il soit usurpé, comme meschant et contrevenant à l’honneur de Dieu : mesmes il se courrouce en une épistre à Eulogius, Evesque d’Alexandrie, lequel le luy avoit attribué : Voyci, dit-il, au proëme de l’épistre que vous m’avez addressée, vous avez mis ce mot d’orgueil, en m’appelant Pape universel : ce que je prie à vostre saincteté de ne plus faire ci-après. Car tout ce qui est donné à un autre outre la raison, vous est osté. De moy, je ne répute point pour honneur ce en quoy je voy l’honneur de mes frères amoindry. Car mon honneur est, que l’estat de l’Eglise universelle et de mes frères se maintiene en sa vigueur. Si vostre saincteté m’appelle Pape universel, c’est confesser que vous n’estes point en partie ce que vous m’attribuez pour le tout[l]. La cause que soustenoit sainct Grégoire estoit bonne et honneste : mais pource que Jehan estoit supporté par l’Empereur Maurice, on ne le peut destourner de son propos. Pareillement Cyriaque son successeur demoura ferme en une mesme ambition, tellement que jamais on ne peut obtenir de luy qu’il s’en déportast.
[l] Lib. VII, epist. XXX.
4.7.17
Finalement Phocas, lequel fut créé Empereur après la mort de Maurice (favorisant plus aux Romains, je ne sçay pourquoy, ou bien pource qu’il y fut couronné sans difficulté) ottroya à Boniface III ce que jamais sainct Grégoire n’avoit demandé : asçavoir que Rome fust chef sur toutes les autres Eglises. Voylà comment le procès fut décidé. Néantmoins encores ce bénéfice de l’Empereur n’eust guères proufité au siège romain, s’il n’y fust advenu des autres inconvéniens. Car tantost après toute la Grèce et l’Asie furent divisées de sa communion. La Gaule l’avoit tellement en révérence, qu’elle luy estoit sujette autant que bon luy sembloit : et ne fut jamais plenement réduite en servitude, jusques à tant que Pépin occupa le royaume. Car d’autant que Zacharie Pape de ce temps-là luy aida à chasser son Roy et seigneur légitime, pour ravir le royaume comme une proye : il eut cela pour récompense, que toutes les Eglises gallicanes furent assujeties à la jurisdiction du siège romain. Comme les brigans ont accoustumé de partir ensemble le butin : aussi ces gens de bien, après avoir fait une telle volerie, feirent leur partage en ceste manière, que Pépin eust la seigneurie temporelle, et Zacharie eust la prééminence spirituelle. Or d’autant qu’il n’en jouissoit pas du tout paisiblement, comme choses nouvelles ne sont pas aisées à introduire du premier coup, il fut confermé en sa possession par Charlemaigne, quasi pour semblable cause. Car Charlemaigne estoit attenu à l’Evesque de Rome, d’autant qu’il estoit parvenu à l’Empire en partie par son moyen. Or combien qu’il soit croyable que les Eglises estoyent desjà au paravant fort desfigurées par tout, néantmoins il est certain qu’adoncques la forme ancienne fut du tout effacée en France et en Alemagne. Il y a encores en la court de Parlement à Paris, des registres faits par forme de Chroniques, lesquels faisans mention des choses ecclésiastiques, renvoyent aux pactions faites entre Pépin ou Charlemaigne, et l’Evesque de Rome : dont on peut bien veoir que lors l’estat ancien de l’Eglise fut changé.
4.7.18
Depuis ce temps-là, selon que les choses déchéoyent journellement de mal en pis, la tyrannie du siège romain s’est augmentée par succession de temps : et ce en partie par la bestise des Evesques, en partie par leur nonchalance. Car comme ainsi soit que l’Evesque romain s’eslevast de jour en jour, s’usurpant tout à luy seul, les Evesques ne furent point esmeus d’un zèle tel qu’ils devoyent, pour réprimer sa cupidité : et quand ils en eussent eu le vouloir, d’autant qu’ils estoyent povres ignorans et de petite prudence, ils n’estoyent point suffisans pour en venir à but. Et pourtant nous voyons quelle dissipation il y avoit à Rome du temps de sainct Bernard : ou plustost quelle estoit l’horrible profanation de la Chrestienté. Il se complaind que de tout le monde, les ambitieux, les avaricieux, les simoniaques, les paillars, les incestes et tous meschans accouroyent à Rome, pour obtenir les honneurs de l’Eglise par l’authorité apostolique, ou bien pour se maintenir en possession : disant que fraude et circonvention et violence y régnoyent : disant aussi que la façon de juger qui estoit adoncques en usage, estoit exécrable : et non-seulement indécente à l’Eglise, mais à une justice laye. Il crie que l’Eglise est plene d’ambitieux, et qu’il n’y a nul qui craigne de commettre toute meschanceté, non plus que brigans en une caverne, quand ils butinent entre eux ce qu’ils ont robé aux passans. Il y en a peu, dit-il, qui regardent à la bouche du Législateur, mais tous regardent à ses mains, et non sans cause : car ce sont celles qui despeschent tout ce que le Pape fait. Puis après parlant au Pape, il dit, Qu’est-ce que tes flatteurs, qui te disent : Or sus, hardiment ? Tu les achètes de la despouille des Eglises : la vie des povres est semée aux places des riches : l’argent reluit en la boue, on y accourt de toutes pars : le plus povre ne l’emporte point, mais le plus fort, ou celuy qui court le plus viste. Ceste coustume, ou plustost ceste corruption mortelle, n’a point commencé de ton temps : Dieu vueille qu’elle y prene fin. Ce pendant tu es paré et attiffé précieusement. Si je l’osoye dire, ton siège est plustost un parc de diables que de brebis. Sainct Pierre faisoit-il ainsi ? Sainct Paul se mocquoit-il ainsi ? Ta cour a accoustumé de recevoir plustost les bons, que de les faire tels. Car les mauvais n’y proufitent point : mais les bons y empirent bien[m]. Puis après il raconte des abus qui se commettoyent aux appellations, que nul fidèle ne sçauroit lire sans horreur. Et finalement il conclud touchant la cupidité du siège romain à usurper plus qu’il ne luy estoit deu de jurisdiction, comme il s’ensuyt : Voyci le murmure et la quérimonie commune de toutes les Eglises, elles crient qu’elles sont coupées et desmembrées : il y en a bien peu, ou du tout nulles, lesquelles ne sentent ou ne craignent ceste playe. Demandes-tu quelles ? Les Abbez sont soustraits à leurs Evesques, les Evesques à leurs Archevesques : c’est merveilles si on peut excuser cela. En faisant ainsi, vous monstrerez bien que vous avez plénitude de puissance, mais non pas de justice. Vous faites cela, pource que vous le pouvez faire : mais la question est, si vous le devez faire. Vous estes là constituez pour conserver à chacun son honneur et son degré, non pas pour luy en porter envie[n]. Il en dit beaucoup d’avantage : mais j’ay voulu alléguer cela en passant, partie afin que les lecteurs regardent combien l’Eglise estoit lors décheute : partie aussi afin qu’ils voyent combien ceste calamité estoit fascheuse et amère à porter à tous bons fidèles.
[m] Lib. I, De consid., ad Eugen., circa finem, lib. IV.
[n] De consid., ad Eugen., lib. III.
4.7.19
Mais encores que nous accordions au Pape une telle prééminence et jurisdiction qu’a eue le siège romain au temps de Léon et Grégoire, que fait cela à la Papauté, selon qu’elle est à présent ? Je ne parle point encores de la seigneurie terrienne et puissance séculière, desquelles nous verrons ci-après à leur tour : mais du régime spirituel qu’ils ont, et duquel ils se glorifient. Qu’a-il de semblable avec l’estat de ce temps-là ? Car les Romanisques ne parlent point autrement du Pape, qu’en disant que c’est le souverain chef de l’Eglise en terre, et Evesque universel de tout le monde. Et les Papes en traittant de leur authorité, prononcent qu’ils ont la puissance de commander, et que tous sont sujets à leur obéir : que toutes leurs ordonnances doyvent estre tenues, comme si elles estoyent confermées du ciel par la voix de sainct Pierre : que les Conciles provinciaux où un Pape n’est point présent, n’ont point de vigueur : qu’ils peuvent ordonner Prestres et Diacres pour toutes les autres Eglises : que ceux qui seront ordonnez ailleurs, ils les peuvent appeler à eux, et les retirer de leurs Eglises. Il y a une infinité de telles vanteries au grand Décret de Gratien, que je ne récite point afin de n’importuner les lecteurs. Toutesfois la somme revient là, que l’Evesque de Rome a la cognoissance souveraine sur toutes causes ecclésiastiques, soit à juger et déterminer de la doctrine, soit à faire loix et statuts, soit à ordonner la discipline, soit à exercer jurisdiction. Ce seroit une chose trop longue et superflue, de réciter les privilèges qu’ils s’attribuent quant aux réservations. Mais ceste outrecuidance est intolérable sur toutes les autres, qu’ils ne laissent nul jugement en terre pour refréner ou restreindre leur cupidité désordonnée, s’ils abusent de leur puissance, laquelle de soy n’a point de fin ne de reigle, Qu’il ne soit loisible à aucun, disent-ils, de détracter le jugement de nostre siège, à cause de la Primauté que nous avons. Item, Celuy qui est juge de tous, ne sera point jugé, ne par l’Empereur, ne par les Rois, ne par tout le Clergé, ne par le peuple[o]. Cela desjà passe marque, qu’un seul homme se constitue juge de tous, et ne veut estre sujet à nulli. Mais que sera-ce s’il exerce tyrannie sur le peuple de Dieu ? s’il dégaste et destruit le règne de Christ ? s’il trouble et renverse toute l’Eglise ? s’il convertit l’office de Pasteur en brigandage ? Il n’y a remède : mesmes quand il seroit le plus meschant du monde, il nie qu’il soit tenu de rendre conte. Car voyci les édits des Papes : Dieu a voulu que les causes des autres fussent décidées par jugemens humains, mais il a réservé à son jugement seul le Prélat de nostre siège[p]. Item, Les œuvres de nos sujets sont jugées de nous : mais les nostres né sont jugées que d’un seul Dieu[q].
[o] Nicolaus, cujus extat sententia hæc in Decretis, XVII, quæst. III, cap. Nemini ; Innocent., IX, quæst. III, i cap. Nemo.
[p] Symmach., IX, quæst. III, cap. Aliorum.
[q] Antherius, ibidem, cap. Facta.
4.7.20
Et afin que ces sentences eussent plus d’authorité, ils les ont faussement intitulées des noms d’aucuns Papes anciens : comme si les choses eussent ainsi esté du commencement. Or il est plus que certain, que tout ce qui est attribué au Pape, outre ce que nous avons récité luy avoir esté donné par les anciens Conciles, est nouveau, et forgé depuis n’aguères. Qui plus est, ils sont venus à une telle impudence, qu’ils ont publié un rescrit sous le nom d’Anastase Patriarche de Constantinoble : auquel il confesse avoir esté ordonné par les Canons anciens, qu’il ne se feist rien, mesmes aux pays les plus lointains, qui n’eust esté premièrement rapporté au siège romain[r]. C’est chose trop notoire que cela est très-faux : mais outre cela, à qui feront-ils à croire qu’un ennemy du siège romain, et compétiteur de la dignité du Pape ait jamais ainsi parlé ? Mais voyci que c’est, il faloit que ces Antechrists fussent transportez d’une telle rage et aveuglement, que tous hommes de sain entendement veissent à l’œil leur meschanceté : je di ceux qui y veulent prendre garde. Les épistres décrétales compilées par Grégoire neufième : item les Clémentines, et les Extravagantes de Martin, démonstrent encores plus ouvertement et comme à plene bouche, une arrogance inhumaine, et une tyrannie du tout barbare. Voylà les beaux oracles dont les Romanisques veulent qu’on estime leur Papauté, et de là sont sortis leurs articles de foy, qu’ils tienent par tout entre eux comme estans venus du ciel, Que le Pape ne peut errer. Item, qu’il est supérieur de tous les Conciles : Item, qu’il est Evesque universel de tout le monde, et souverain chef de l’Eglise en terre. Je laisse là beaucoup de fatras que les Canonistes desgazouillent en leurs escholes : combien que les théologiens sorboniques non-seulement y consentent, mais aussi y applaudissent pour flatter leur idole.
[r] bidem, cap. Antiquis.
4.7.21
Je ne les poursuyvray point à la rigueur. Quelqu’un pour leur rabatre leur tant haut caquet, pourroit objecter la sentence que prononça sainct Cyprien au Concile de Carthage, où il présidoit, Nul de nous ne se dit Evesque des Evesques, nul ne contraint ses compagnons par une crainte tyrannique d’obéir à soy. On pourroit aussi alléguer ce qui fut quelque temps après décrété à Carthage, asçavoir que nul ne se deust nommer Prince des Evesques, ou premier Evesque. On pourroit amasser beaucoup de tesmoignages des histoires, beaucoup de Canons des Conciles, et beaucoup de sentences des Pères anciens, où l’Evesque de Rome est rangé en sorte, qu’on prouveroit bien qu’il n’avoit pas les ailes trop grandes. Mais je me déporte de toutes ces choses, afin qu’il ne semble que je les presse trop. Seulement que ceux qui voudront maintenir le siège romain me respondent, s’ils n’ont point de honte d’approuver ce tiltre d’Evesque universel, lequel ils voyent avoir esté anathématizé par tant de fois par sainct Grégoire. Si le tesmoignage de sainct Grégoire a quelque valeur : en ce qu’ils font leur Pape Evesque universel, ils déclairent plenement qu’il est Antéchrist. Le nom de Chef n’estoit non plus en usage de ce temps-là mesme, c’est-à-dire de sainct Grégoire. Car il parle ainsi en quelque passage : Pierre estoit un membre principal au corps : Jehan, Jaques et André estoyent chefs des peuples particuliers : toutesfois ils ont esté tous membres de l’Eglise sous un Chef : mesmes les Saincts devant la Loy, les Saincts sous la Loy, les Saincts en la grâce, tous sont constituez entre les membres, pour accomplir le corps du Seigneur : et nul n’a jamais voulu estre dit Universel[a]. Touchant ce que le Pape prétend avoir la puissance de commander, cela ne convient guères bien à ce que sainct Grégoire aussi dit en un autre passage. Car pource qu’Eulolius Evesque d’Alexandrie luy avoit escrit en ceste forme, En suyvant ce que vous m’avez commandé : il luy respond ainsi, Je vous prie ostez-moy ce mot de commandement. Je sçay qui je suis, et qui vous estes : en degré je vous répute frères : en saincteté, mes Pères : je ne vous ay doncques point commandé, mais je vous ay voulu advertir de ce qui me sembloit utile[b]. Touchant ce que le Pape estend ainsi sa jurisdiction sans fin, en cela il fait une grosse injure et outrageuse, non-seulement aux autres Evesques, mais aussi à toutes les autres Eglises, lesquelles il deschire par pièces, pour édifier son siège des ruines d’icelles. En ce qu’il s’exempte de tous jugemens, et par une façon tyrannique veut tellement régner, que son plaisir luy soit au lieu de loy : cela est tant contraire au régime ecclésiastique, qu’il ne se peut excuser en façon du monde. Car c’est une chose qui répugne non-seulement à la Chrestienté, mais à l’humanité.
[a] Epist. XCII, lib. IV, Ad Joan. Constantinopol.
[b] Lib. VII, epist. XXVIII.
4.7.22
Toutesfois, afin qu’il ne me soit mestier d’esplucher chacun point par le menu, je demande derechef à ces bons advocats du siège romain, s’ils n’ont point de honte de maintenir l’estat présent de la Papauté, lequel il appert estre cent fois plus corrompu qu’il n’estoit du temps de sainct Grégoire et de sainct Bernard. Et néantmoins ces saincts personnages ont esté fort faschez de veoir ce qu’ils voyoyent desjà lors. Sainct Grégoire se complaind par-ci par-là, qu’il est distrait d’occupations indécentes à son office, et que sous couleur d’estre fait Evesque, il est retourné au monde : et qu’il est plus enveloppé en solicitudes terriennes, qu’il n’avoit jamais esté du temps qu’il estoit lay[c] : qu’il est suffoqué d’affaires séculiers, tellement que son esprit ne se peut lever en haut : qu’il est agité de diverses vagues comme en une tempeste, et qu’il peut bien dire qu’il est venu au profond de la mer. Certes quelques occupations terriennes qu’il eust, si pouvoit-il prescher en l’Eglise son peuple, admonester en particulier ceux qui en avoyent mestier, mettre ordre à son Eglise, donner conseil aux Evesques voisins, et les exhorter à faire leur devoir : avec cela il luy restoit quelque temps pour escrire des livres, comme il a fait. Et toutesfois il se complaind de sa calamité, de ce qu’il est plongé au profond de la mer[d] Ps. 69.3. Si le gouvernement de ce temps-là a esté une mer, que sera-ce de la Papauté qui est à présent ? Car combien de distance y a-il ? Que le Pape maintenant presche, on le réputeroit pour un monstre : d’avoir soin de la discipline, de prendre la charge des Eglises, de faire quelque office spirituel, il n’en est nouvelles. Brief, ce n’est rien que monde : et toutesfois les Romanisques louent autant ce labyrinthe, comme si on ne pouvoit rien imaginer de mieux ordonné. Et quelles quérimonies fait sainct Bernard, et quels souspirs jette-il, quand il considère les vices de son temps ? Que diroit-il doncques s’il voyoit ce qui se fait de ce temps auquel la meschanceté s’est desbordée du tout comme en un déluge ? Quelle impudence est-ce, je vous prie, non-seulement de maintenir avec obstination un estat estre sainct et divin, lequel a esté réprouvé d’un consentement de tous les anciens Pères : mais mesmes d’abuser du tesmoignage d’iceux, pour maintenir ce qui leur a esté du tout incognu ? Combien que quant au temps de sainct Bernard, je confesse que desjà tout estoit si dépravé, qu’il n’y a pas grande différence entre la corruption qui est à présent et celle qui estoit alors : mais ceux qui prenent couverture du temps de Léon et de sainct Grégoire pour excuser la Papauté présente, n’ont nulle honte ne vergongne. Car ils font tout ainsi comme si quelqu’un pour approuver la Monarchie des Empereurs, louoit l’estat ancien de la police romaine : c’est-à-dire, qu’il empruntast les louanges de la liberté, pour orner la tyrannie Psa.69.3.
[c] Epist. V, lib. I, Ad Theotist.
[d] Epist. VII, Ad Anastasium ; item, XXV, et alibi.
4.7.23
Finalement, encores qu’on leur concédast tout ce que nous avons dit jusques à ceste heure, si n’ont-ils encores rien gaigné. Car nous leur faisons un nouveau procès, quand nous nions qu’il y ait Eglise à Rome, laquelle soit capable de ce que Dieu a donné à sainct Pierre : quand nous nions qu’il y ait un Evesque qui soit capable d’user d’aucun privilège. Pourtant encores que tout ce que nous avons ci-dessus réfuté fust vray, asçavoir que Pierre a esté constitué par la bouche de Christ, chef de l’Eglise universelle, et qu’il a résigné au siège romain ceste dignité : item, que cela a esté confermé par l’authorité de l’Eglise ancienne et par long usage : item, que tous d’un consentement ont permis tousjours la jurisdiction souveraine au Pape de Rome : item, qu’il a esté juge de toutes les causes et de tous les hommes de la terre, n’estant sujet au jugement d’aucun : quand, di-je, je leur auray donné tout cela, et beaucoup plus s’ils veulent, néantmoins je leur respon en un mot que rien n’a lieu, sinon qu’il y ait à Rome une Eglise et un Evesque. Vueillent-ils ou non, il faut qu’ils me confessent que Rome ne peut autrement estre mère des Eglises, sinon qu’elle soit aussi Eglise : et que nul ne peut estre prince des Evesques, qu’il ne soit Evesque. Veulent- ils doncques avoir à Rome le siège apostolique ? qu’ils me monstrent qu’il y ait vray Apostolat et légitime. Veulent-ils là avoir le Prélat souverain de tout le monde ? qu’ils me monstrent qu’il y ait un vray Evesque. Or comment me monstreront-ils aucune face ny apparence d’Eglise ? Ils le disent bien, et ont tousjours ceste vanterie en la bouche : mais je di pour réplique, qu’une Eglise a ses marques pour estre cognue, et qu’Evesché est un nom d’office. Il n’est point yci question du peuple, mais du régime qui doit tousjours apparoistre en l’Eglise. Où est-ce qu’est le ministère tel qu’il a esté ordonné de Christ ? Qu’il nous souviene de ce qui a esté dit au paravant touchant l’office des Prestres et d’un Evesque. Si nous réduisons l’office des Cardinaux à ceste reigle-là, c’est-à-dire à l’institution de nostre Seigneur, nous dirons qu’ils ne sont rien moins que Prestres. Touchant du Pape, je voudroye bien sçavoir que c’est qu’il a de semblable à un Evesque. Le principal point de l’office épiscopal, est de prescher la Parole de Dieu au peuple. Le second, prochain à iceluy, d’administrer les Sacremens. Le troisième, d’admonester et de reprendre, et mesmes corriger par excommunication ceux qui faillent. Qu’est-ce qu’il fait de tout cela ? Qui plus est, fait-il semblant d’y attoucher ? Que ses flatteurs doncques me disent comment ils veulent qu’on le tiene pour Evescque : veu qu’il ne donne nulle apparence d’attoucher, mesmes du petit doigt, la moindre portion qui soit de son office.
4.7.24
Ce n’est point d’un Evesque comme d’un Roy. Car un Roy, encores qu’il ne s’acquitte point de son devoir, retient néantmoins le nom et le tiltre royal. Mais en estimant un Evesque, on regarde la commission que nostre Seigneur leur a baillée à tous, laquelle doit tousjours demeurer en sa vigueur. Pourtant, que les Romanisques me soudent ceste question : Je di que leur Pape n’est point souverain entre les Evesques, veu que luy-mesme n’est point Evesque. Il faut qu’ils me prouvent ce second membre, s’ils veulent gaigner quant au premier. Et qu’est-ce, qu’il a non-seulement rien propre à un Evesque, mais toutes choses contraires ? Combien que je me trouve yci fort empesché : car par où commenceray-je ? par la doctrine, ou par les mœurs ? Que diray-je ? ou que tairay-je ? et où feray-je fin ? Je diray cela : comme ainsi soit que le monde soit aujourd’huy rempli de fausses et meschantes doctrines, plein de tant d’espèces de superstitions, aveuglé en tant d’erreurs, plongé en si grande idolâtrie, qu’il n’y a nul de tous ces maux qui ne soit sorty du siège romain, ou pour le moins n’ait prins de là sa confirmation. Et n’y a nulle autre cause pourquoy les Papes soyent si enragez contre la doctrine de l’Evangile, quand elle se remet maintenant au-dessus ; pourquoy ils employent toute leur force à la destruire, et pourquoy ils incitent tous les Rois et Princes à la persécuter, sinon d’autant qu’ils voyent bien que tout leur règne s’en va en décadence, si une fois l’Evangile est remis en son entier. Léon a bien esté cruel de nature : Clément fort adonné à espandre le sang humain : Paul est encores aujourd’huy enclin à une rage inhumaine. Mais leur nature ne les a pas tant poussez à impugner la vérité, que d’autant que c’est le seul moyen pour maintenir leur tyrannie. Pourtant comme ainsi soit qu’ils ne puissent consister sinon en destruisant Jésus-Christ, ils s’efforcent de ruiner l’Evangile, comme s’il estoit question de la défense de leur propre vie. Quoy doncques ? penserons-nous qu’il y ait là siège apostolique, où nous ne voyons qu’une horrible apostasie ? Celuy qui en persécutant furieusement l’Evangile, se démonstre apertement estre Antéchrist, sera-il réputé de nous vicaire de Christ ? Celuy qui machine par feu et par flambe de démolir tout ce que Pierre a édifié, doit-il estre tenu pour successeur de Pierre ? Tiendrons-nous pour chef d’Eglise, celuy qui la deschire par pièces, l’ayant premièrement retranchée de Jésus-Christ son vray chef, pour en faire comme un tronc tout mutilé ? Encores que j’accorde que Rome ait esté jadis mère de toutes les Eglises, depuis qu’elle a commencé d’estre le siège d’Antéchrist, elle a laissé d’estre ce qu’elle estoit.
4.7.25
Il semble advis à d’aucuns que nous soyons mesdisans et trop aigres en paroles, quand nous appelons le Pape Antéchrist : mais ceux qui ont telle opinion ne pensent point qu’ils accusent du mesme vice sainct Paul, après lequel nous parlons, voire de la bouche duquel nous parlons ainsi. Et afin que nul ne réplique que nous destournons mal à la Papauté les paroles de sainct Paul, comme si elles tendoyent à autre fin, je monstreray en brief qu’on ne les peut autrement prendre ny exposer, que de la Papauté. Sainct Paul dit que l’Antéchrist sera assis au Temple de Dieu 2Thess. 2.4. Et en un autre lieu le sainct Esprit tesmoigne que le règne d’iceluy sera situé en haut parler, et en blasphèmes contre Dieu Dan. 7.25. De là j’infère que c’est plustost une tyrannie sur les âmes que sur les corps, laquelle est dressée contre le règne spirituel de Christ. Secondement, que ceste tyrannie est telle, qu’elle n’abolit point le nom de Christ de son Eglise, mais plustost qu’elle est cachée sous l’ombre de Jésus-Christ, et sous couleur de son Eglise comme sous une masque. Or comme ainsi soit que toutes les hérésies et sectes qui ont esté depuis le commencement du monde, appartienent au règne d’Antéchrist, toutesfois quand sainct Paul prédit qu’une apostasie adviendra, ou un révoltement, par ceste description il dénote que le siège d’abomination dont il parle, sera lors eslevé, quand il y aura comme un révoltement universel en l’Eglise : combien que ce pendant plusieurs membres particuliers estans dispersez çà et là, ne laisseront point de persévérer en l’unité de foy. Quand il adjouste que de son temps l’Antéchrist avoit commencé à bastir l’œuvre d’iniquité en secret, pour le consommer puis après ouvertement : par cela nous entendons que ceste calamité ne devoit point procéder d’un seul homme, ne prendre fin avec la vie d’un homme. D’avantage, puis qu’il nous donne ceste marque pour nous donner à cognoistre l’Antéchrist, asçavoir qu’il ravira à Dieu son honneur pour le tirer à luy, c’est ci le principal indice qu’il nous convient ensuyvre pour trouver l’Antéchrist : principalement si nous voyons que cest orgueil viene jusques-là, de faire une dissipation publique en l’Eglise. Or maintenant puis que c’est chose notoire que le Pape a transféré impudemment à sa personne ce qui estoit propre à un seul Dieu et à Jésus-Christ, il ne faut douter qu’il ne soit capitaine de ce règne d’iniquité et abomination.
4.7.26
Que les Romanisques nous objectent maintenant l’ancienneté, comme si en un tel renversement de toutes choses, l’honneur du siège demeuroit là où il n’y a plus mesmes nul siège. Eusèbe récite que Dieu par une juste vengence transporta jadis l’Eglise de Jérusalem en une autre ville de Syrie, nommée Pella[e]. Ce que nous lisons avoir esté fait un coup, s’est peu faire souvent. Pourquoy de tellement attacher l’honneur de primauté à un lieu, que celuy qui de faict est ennemy mortel de Jésus-Christ, adversaire de l’Evangile jusques au bout, extrême dissipateur et destructeur de l’Eglise, bourreau et meurtrier très-cruel de tous les saincts, soit néantmoins réputé vicaire de Jésus-Christ, successeur de sainct Pierre, premier Prélat de l’Eglise, seulement pource qu’il occupe le siège qui anciennement a esté le premier, c’est une chose trop sotte et trop ridicule. Je me déporte de dire combien il y a de différence entre la chancellerie du Pape et un ordre légitime d’Eglise : combien que ce seul point suffiroit pour décider toute la difficulté de ceste matière. Car nul de cerveau rassis n’enclorra l’office d’Evesque en du plomb et en des bulles, et tant moins en ceste boutique de toutes tromperies et cautèles, ausquelles gist, comme on pense, tout le régime spirituel du Pape. C’a doncques esté bien dit à quelqu’un, que ceste Eglise romaine dont on parle, et dont les Escritures anciennes font mention, a esté desjà passé long temps convertie en la Cour qu’on voit maintenant à Rome. Je ne touche point encores les vices des personnes, mais je monstre que la Papauté est du tout directement contraire et répugnante au gouvernement de l’Eglise.
[e] Euseb., lib. III, cap. V.
4.7.27
Que si nous venons aux personnes, Dieu sçait quels vicaires de Christ nous trouverons : et tout le monde le cognoist. Asçavoir si nous tiendrons Jules et Léon, et Clément et Paul pour pilliers de la foy chrestienne, et principaux Docteurs de la religion, quand nous sçavons qu’ils n’ont jamais rien tenu de Jésus-Christ, sinon ce qu’ils en avoyent apprins en l’eschole de Lucian ? Mais qu’est-ce que j’en nomme trois ou quatre, comme si on estoit en doute quelle est la Chrestienté dont les Papes avec tout le Collège des Cardinaux ont fait profession desjà par longues années, et font encores à présent ? Le premier article de leur théologie, laquelle ils ont entre eux, est qu’il n’y a point de Dieu. Le second, que tout ce qui est escrit et tout ce qu’on presche de Jésus-Christ n’est que mensonge et abus. Le troisième, que tout ce qui est contenu en l’Escriture, touchant la vie éternelle et la résurrection de la chair, ne sont que fables. Je sçay bien que tous n’ont pas telle opinion, et qu’il y en a aussi peu d’entre eux qui osent ainsi parler : toutesfois il y a jà longtemps que ceste a esté la Chrestienté ordinaire des Papes, comme ainsi soit que cela soit plus que cognu à tous ceux qui cognoissent Rome. Toutesfois les théologiens romanisques ne laissent point de tenir tousjours ceste conclusion en leurs escholes, et de la publier en leurs Eglises, que ce privilège est donné au Pape de ne pouvoir errer d’autant qu’il fut dit par nostre Seigneur à sainct Pierre, J’ay prié pour toy, afin que ta foy ne défaille point Luc 22.32. Je vous prie, qu’est-ce qu’ils proufitent en badinant si impudemment, sinon que tout le monde cognoisse qu’ils sont du tout venus à une audace désespérée, jusques à ne craindre Dieu, et n’avoir nulle honte des hommes ?
4.7.28
Mais posons le cas que l’impiété des Papes que j’ay nommez soit incognue, d’autant qu’ils ne l’ont point publiée ne par sermons ne par livres, mais seulement l’ont descouverte en leur chambre, ou en leur table : ou pour le moins qu’ils ne sont pas montez en chaire pour la faire sçavoir à tout le monde. Toutesfois s’ils veulent que le privilège lequel ils prétendent, ait sa vigueur, si faut-il qu’ils tracent du nombre des Papes, Jehan XXII, lequel publiquement a tenu que les âmes estoyent mortelles, et qu’elles périssoyent avec les corps, jusques au jour de la résurrection. Et pour monstrer encores plus clairement que tout le siège avec ses principales jambes estoit renversé et décheut, il n’y eut nul des Cardinaux qui contredist à son erreur : mais seulement la faculté des théologiens de Paris induit le Roy à ce qu’il le contraignist de se desdire : et le Roy à leur instance interdit à son de trompe que nul de ses sujets ne fust de sa communion, s’il ne se repentoit incontinent : par laquelle nécessité il fut contraint de se rétracter et desdire, comme le récite maistre Jehan Gerson. Cest exemple est suffisant, à ce qu’il ne me soit mestier de disputer plus outre contre nos adversaires, touchant ce qu’ils disent, que le siège romain et les Papes qui y sont assis ne peuvent errer, pource qu’il a esté dit à sainct Pierre. J’ay prié pour toy que ta foy ne défaille point Luc 22.32. Certes celuy que nous venons d’alléguer, asçavoir Jehan XXII, est un tesmoignage notable pour tous temps, que tous ceux qui succèdent à sainct Pierre en son Evesché, ne sont pas tousjours Pierres. Combien que l’argument qu’ils font est si puérile de soy, qu’il n’est pas digne de response. Car s’ils veulent tirer aux successeurs de sainct Pierre tout ce qui a esté dit de sa personne, il s’ensuyvra que tous Papes sont Satan, veu que nostre Seigneur Jésus luy dit, Retire-toy, Satan : tu m’es scandale Matt. 16.23. Car d’un mesme droict qu’ils nous allèguent le passage précédent, nous leur pouvons mettre cestuy-ci en avant pour réplique.
4.7.29
Mais je ne pren point plaisir à estre inepte comme ils sont, et user de cavillations frivoles. Pourtant je revien à mon premier propos, c’est que d’attacher Jésus-Christ et son Eglise à un certain lieu, tellement que quiconques préside là, mesmes que ce fust un diable, soit néantmoins tenu pour vicaire de Christ et chef de l’Eglise, d’autant qu’il sera au siège où a esté jadis sainct Pierre, non-seulement c’est une impiété en laquelle Jésus-Christ est déshonoré, mais aussi une sottise trop lourde, et répugnante au sens commun des hommes. Il y a jà longtemps, comme jà nous avons dit, que les Papes sont sans Dieu et sans conscience, ou bien qu’ils sont ennemis mortels de la Chrestienté. Ils ne sont doncques non plus vicaires de Christ à cause du siège, qu’une idole est Dieu quand on la colloque au Temple de Dieu 2Thess. 2.4. S’il est question de juger des mœurs, que les Papes mesmes respondent pour eux : qu’est-ce qu’ils ont en quoy on les doyve tenir pour Evesques ? Premièrement, ce qu’on vit à Rome en la façon qui est cognue à chacun, eux non-seulement se faisans et faisans semblant de rien, mais aussi approuvans tacitement la meschanceté tant desbordée, c’est une chose trop indécente à bons Evesques, desquels l’office est de contenir le peuple en bonne discipline. Mais je ne leur seray point tant sévère, de les charger des fautes des autres : mais en ce que tant eux que leur famille, avec tout le collège des Cardinaux et toute la bande de leur Clergé sont tellement abandonnez à toute vilenie et ordure, à toute espèce de crime et de turpitude, qu’ils ressemblent plustost à des monstres qu’à des hommes : en cela certes ils déclairent qu’ils ne sont rien moins qu’Evesques. Combien qu’il ne faut pas qu’ils craignent que je descouvre plus avant leur infamie. Car il me fasche d’estre si long temps en une fange si puante, et je crain d’offenser les aureilles de ceux qui sont honnestes et pudiques. D’avantage, il me semble que j’ay démonstré plus que suffisamment ce que je vouloye : asçavoir que quand Rome auroit jadis esté chef de toutes les Eglises, toutesfois elle n’est pas aujourd’huy digne d’estre contée entre les petis doigts des pieds.
4.7.30
Quant est des Cardinaux, qu’on appelle, je m’esbahi comment cela s’est fait, que si soudainement ils sont parvenus en une si haute dignité. Ce nom, du temps de sainct Grégoire ne compétoit qu’aux Evesques seulement. Car quand il parle des Cardinaux, il n’entend point les Prestres de Rome, mais les Evesques de quelque lieu que ce soit : tellement que Prestre Cardinal, en somme, ne signifie autre chose en ses escrits, qu’Evesque[f]. Je ne trouve point que ce nom ait esté en usage au paravant en quelque signification que ce soit. Toutesfois je trouve que les Prestres de Rome ont esté le temps passé beaucoup moindres que les Evesques, au lieu que maintenant ils les précèdent de loing. Ceste sentence de sainct Augustin est commune. Combien que selon les tiltres d’honneur qui sont usitez en l’Eglise, le degré d’Evesque soit plus grand que celuy de Prestrise, toutesfois Augustin est moindre que Hiérosme en plusieurs choses[g]. Notons qu’il parle à un Prestre romain, lequel il ne discerne point d’avec les autres : mais les met indifféremment tous au-dessous des Evesques. Et cela a esté tellement observé, que quand l’Evesque de Rome envoya deux ambassadeurs au Concile de Carthage, dont l’un estoit Prestre de l’Eglise romaine, iceluy fut assis tout le dernier. Mais encores pour ne point chercher l’ancienneté trop loing, nous avons les Actes du Concile que teint sainct Grégoire[h] auquel les Prestres de l’Eglise romaine sont assis les derniers, et font leur souscription à part : les Diacres n’ont pas mesmes ce crédit de souscrire. Et certes les Prestres romains n’avoyent autre office de ce temps-là, sinon d’assister à l’Evesque, comme coadjuteurs à prescher et administrer les Sacremens. Maintenant la chance est tellement tournée, qu’ils sont devenus cousins des Rois et des Empereurs. Et n’y a doute qu’ils ne soyent creus petit à petit avec leur chef, jusques à ce qu’ils se sont eslevez au comble où ils sont à présent, pour en cheoir bien tost.
[f] Epist. XV, LXXVII, LXXIX ; lib. II, epist. VI, XXV, et multis aliis.
[g] Epist. XIX, Ad Hieronynium.
[h] Regist., lib. IV.
4.7.31
Il m’a semblé advis bon de toucher aussi ce point en passant, pour donner tant mieux à entendre aux lecteurs, que le siège Romain, tel qu’il est aujourd’huy, diffère beaucoup de l’ancien, lequel il prend pour ombre et couverture à fausses enseignes. Or quels qu’ils ayent esté au paravant (j’enten tousjours des Prestres romains), puis qu’ils n’ont à présent nulle charge légitime en l’Eglise, et que seulement ils retienent une masque vaine et frivole : qui plus est, puis qu’ils ont toutes choses contraires à vrais Prestres, il faut qu’il leur adviene ce que sainct Grégoire dit tant souvent, et de faict il leur est desjà advenu. Je dénonce, dit-il, avec souspirs, que quand l’estat des Prestres est descheut en soy-mesme, qu’il ne se peut long temps maintenir debout avec les autres. Ou plustost il a falu que ce que dit le Prophète Malachie soit accomply en eux. Vous avez laissé le droict chemin, et avez fait achopper plusieurs, et avez violé l’alliance de Lévi, dit le Seigneur. Pour ceste cause, voyci je vous rendray contemptibles à tout le peuple[i] Malach. 2.8-9. Maintenant je laisse à penser à un chacun quel est le bastiment de la Hiérarchie romaine, depuis le pied jusques au sommet : le bastiment, di-je, auquel les Papistes ne doutent point d’assujetir par une impudence exécrable, la pure Parole de Dieu, laquelle doit estre en révérence et honneur au ciel et en la terre, aux hommes et aux Anges.
[i] Lib. IV, epist. LII, LV ; lib. V, epist. VII et alibi.
Chapitre VIII
De la puissance de l’Eglise quant à déterminer des articles de la foy : et
comment on l’a tirée en la Papauté pour pervertir toute pureté de doctrine.
4.8.1
S’ensuyt maintenant le troisième point, qui est de la puissance de l’Eglise : laquelle est à considérer partie en chacun Evesque, partie aux Conciles, desquels les uns sont généraux, les autres provinciaux. Je parle seulement de la puissance spirituelle, laquelle est propre à l’Eglise. Or icelle consiste en trois membres : asçavoir en la doctrine, ou en la jurisdiction, ou en la faculté d’ordonner loix et statuts. Le point de la doctrine contient deux parties : la première est, de faire des articles de foy : la seconde est l’authorité d’exposer ce qui est contenu en l’Escriture. Or devant que commencer à entrer plus spécialement en matière, je prie et exhorte tous fidèles lecteurs qu’ils ayent ceste considération, de réduire tout ce qui est dit de la puissance de l’Eglise, à la fin pour laquelle sainct Paul dit qu’elle a esté donnée : c’est asçavoir en édification, et non point en destruction 2Cor. 10.8 ; 13.10. Ainsi tous ceux qui en veulent droictement user, ne doyvent point estre en autre réputation, que d’estre tenus pour ministres de Christ, et semblablement du peuple chrestien, comme dit sainct Paul 1Cor. 4.1. Or ceste est la seule façon d’édifier l’Eglise, si les ministres s’estudient et mettent peine de garder à Jésus-Christ son authorité entière : laquelle ne peut autrement estre sauve, sinon qu’on luy réserve ce qu’il a receu du Père : c’est-à-dire qu’il soit seul Maistre en l’Eglise. Car c’est de luy, et sinon point de nul autre, qu’il est escrit, Escoutez-le Matt. 17.5. Pourtant la Puissance ecclésiastique mérite bien d’estre prisée et estimée, moyennant qu’elle soit enclose en ces limites : c’est qu’on ne la tire point çà et là en plaisir des hommes. Pour ceste cause il est besoin d’observer comment elle est descrite et des Prophètes et des Apostres. Car si nous concédons simplement aux hommes telle puissance que bon leur semblera de demander, chacun voit par ce moyen que la porte seroit ouverte à une tyrannie désordonnée, laquelle ne doit avoir nulle entrée en l’Eglise de Dieu.
4.8.2
Pourtant il convient noter que tout ce qui est attribué par l’Escriture de dignité ou authorité tant aux Prophètes et Prestres de l’ancienne Loy, qu’aux Apostres et leurs successeurs, n’est point attribué à leurs personnes, mais au ministère et office ausquels ils sont constituez : ou pour dire plus clairement, à la Parole de Dieu, à l’administration de laquelle ils sont appelez. Car si nous les regardons tous par ordre, tant Prophètes et Prestres qu’Apostres et disciples, nous trouverons qu’il ne leur a esté jamais donné puissance aucune de commander ou enseigner, sinon au nom et en la parole du Seigneur. Car quand ils sont envoyez, il leur est quant et quant enjoinct de ne rien apporter du leur, mais de parler par la bouche du Seigneur. Dieu aussi ne les met pas en avant au peuple, pour commander qu’on leur donne audience, jusques à ce qu’il leur eust baillé leur charge et comme leur rolle de ce qu’ils devoyent dire. Il a bien voulu que Moyse, qui est le Prince des Prophètes, fust ouy par-dessus les autres : mais sa commission luy est donnée en premier lieu, à ce qu’il ne puisse rien annoncer sinon de par le Seigneur. Pourtant quand le peuple a receu sa doctrine, il est dit qu’il a creu à Dieu, et à Moyse son serviteur Exo. 14.31. Semblablement l’authorité des Prestres a esté establie avec grosses menaces, à ce qu’elle ne fust en mespris à personne Deut. 17.9-12. Mais le Seigneur démonstre de l’autre costé avec quelle condition on les devoit ouyr, disant qu’il a fait son alliance avec Lévi, afin que la Loy de vérité fust en sa bouche. Puis tantost après il adjouste, Que les lèvres du Prestre garderont la science : et qu’on cherchera la Loy en sa bouche, d’autant qu’il est messager du Seigneur Malach. 2.4-7. Pourtant si le Prestre veut estre escouté, il faut qu’il face comme bon messager de Dieu : c’est de fidèlement réciter ce qui luy est donné en charge. Et de faict, quand il est parlé de les escouter, nommément il leur est enjoinct de respondre selon la Loy du Seigneur Deut. 17.11.
4.8.3
Touchant des Prophètes, nous avons une belle description en Ezéchiel, laquelle nous monstre quelle a esté en somme toute leur puissance : Homme, dit le Seigneur, je t’ay ordonné guide sur la maison d’Israël : tu orras doncques la parole de ma bouche, et leur annonceras de par moy Ezéch. 3.17. Quand nostre Seigneur luy commande d’escouter de sa bouche, ne luy défend-il pas d’inventer quelque chose de soy-mesme ? Et qu’est-ce, Annoncer de par le Seigneur, sinon qu’il parlast tellement, qu’il s’osast hardiment vanter que la parole qu’il apportoit n’estoit pas siene, mais du Seigneur ? Il en est autant dit en Jérémie sous autres mots. Le Prophète auquel est révélé le songe, qu’il raconte le songe : et celuy qui a ma parole, qu’il dise ma parole véritable Jér. 23.28. Certes il leur impose yci loy à tous : c’est qu’il ne souffre point que nul parle outre ce qu’il luy aura commandé. Puis conséquemment il nomme Paille, tout ce qui n’est point procédé de luy seul. Pourtant il n’y en a pas un de tous les Prophètes qui ait ouvert la bouche, sinon ayant receu en premier lieu la Parole de Dieu. Dont si souvent sont par eux répétez ces mots, Parole du Seigneur, Charge du Seigneur, La bouche du Seigneur a parlé, Vision receue du Seigneur, Le Seigneur des armées l’a dit : et ce à bon droict. Car Isaïe confessoit ses lèvres estre pollues Esaïe 6.5 : Jérémie disoit qu’il ne sçavoit parler, pource qu’il estoit enfant Jér. 1.6. Que pouvoit-il sortir de leurs bouches pollues et puériles, sinon choses folles ou immondes, s’ils eussent parlé leurs paroles mesmes ? Mais quand leurs bouches ont commencé à estre organes du sainct Esprit, elles ont esté pures et sainctes. Après que nostre Seigneur a restreint les Prophètes de ceste bride, qu’ils ne puissent rien enseigner ne dire, sinon ce qu’ils auront receu de luy : il les orne lors de tiltres magnifiques. Car après qu’il a testifié qu’il les a constituez sur les peuples et sur les royaumes, pour arracher et abatre, édifier et planter : il adjouste incontinent la cause. Pourtant qu’il avoit mis sa parole en leur bouche Jér. 1.9-10.
4.8.4
Si nous venons aux Apostres, il est vray que Dieu les a honorez de plusieurs beaux tiltres : c’est asçavoir, qu’ils sont la lumière du monde, le sel de la terre : qu’ils doyvent estre escoutez comme Jésus-Christ : que ce qu’ils auront lié ou deslié en terre, sera lié et deslié au ciel Matt. 5.13-14 ; Luc 10.16 ; Jean 20.23 ; Matt. 18.18 : mais par leur nom mesme, ils monstrent combien il leur est permis en leur office. Ils doyvent estre Apostres, c’est-à-dire envoyez, pour ne babiller point ce que bon leur semblera, mais fidèlement apporter le mandement de celuy duquel ils ont esté envoyez. Et les paroles de nostre Seigneur sont assez claires, où il leur commande d’aller, et enseigner ce qu’il leur avoit ordonné Matt. 28.19. Mesmes il s’est aussi submis à ceste condition, afin que nul ne refusast d’y estre sujet : Ma doctrine, dit-il, n’est pas miene, mais du Père qui m’a envoyé Jean 7.16. Celuy qui a tousjours esté le conseiller éternel et unique du Père, et a esté constitué de luy Maistre de tous, néantmoins entant qu’il est venu au monde pour enseigner, il démonstre par son exemple à tous ministres quelle reigle ils doyvent suyvre et tenir en leur doctrine. Par ainsi, la puissance de l’Eglise n’est pas infinie, mais sujette à la Parole de Dieu, et quasi enclose en icelle.
4.8.5
Or comme ainsi soit que tousjours cela ait eu lieu et ait deu valoir en l’Eglise de Dieu, comme encores y doit valoir de présent, asçavoir que les Docteurs qu’il envoye n’enseignent rien sinon ce qu’ils auront apprins de luy : toutesfois il y a eu diverses façons d’apprendre, selon la diversité des temps : et celle qui est maintenant, diffère de celle qu’ont eue les Prophètes et Apostres. Premièrement, si ce que dit le Seigneur Jésus est vray, que nul n’a veu le Père sinon le Fils, et celuy auquel le Fils le veut révéler Matt. 11.27, il a falu que ceux qui ont voulu dés le commencement parvenir à la cognoissance de Dieu, ayent esté addressez par luy qui est la sagesse éternelle. Car comment eussent-ils comprins du commencement les secrets de Dieu, ou comment les eussent-ils annoncez, sinon estans instruits par celuy qui seul les cognoist ? Pourtant les Saincts du temps passé n’ont jamais autrement cognu Dieu, sinon le regardant en son Fils comme en un miroir. Quand je di cela, j’enten que Dieu ne s’est jamais manifesté aux hommes que par son Fils : c’est-à-dire par sa vérité, sagesse et lumière unique. De ceste fontaine ont puisé Adam, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, fout ce qu’ils ont eu de la cognoissance spirituelle. D’icelle mesme ont puisé les Prophètes tout ce qu’ils ont enseigné et laissé par escrit de doctrine. Toutesfois ceste sagesse de Dieu ne s’est point tousjours communiquée aux hommes d’une mesme sorte. Car Dieu a parlé aux Patriarches par révélations secrètes, en telle sorte néantmoins qu’il leur donnoit quant et quant des signes pour la confirmation d’icelles, à ce qu’ils ne fussent point en doute que c’estoit Dieu qui parloit. Les Patriarches ont laissé de main en main à leurs successeurs ce qu’ils avoyent receu. Car aussi Dieu leur avoit commis sa Parole à tel si, qu’ils l’enseignassent aux autres, afin qu’elle fust tousjours entretenue. Les successeurs avoyent tesmoignage de Dieu en leur cœur, que ce qu’ils oyoyent estoit venu du ciel, et non pas de la terre.
4.8.6
Or quand Il a pieu à Dieu d’ordonner et dresser une forme d’Eglise plus apparente, il a quant et quant voulu que sa Parole fust couchée par escrit, afin que les Prestres prinssent de là ce qu’ils voudroyent enseigner au peuple : et que toute doctrine laquelle on prescheroit, fust compassée et examinée à ceste reigle. Et pourtant, quand après la publication de la Loy il est commandé aux Prestres d’enseigner de la bouche du Seigneur Malach. 2.7 : le sens est, qu’ils n’enseignent rien estrange ou divers de la doctrine que Dieu avoit comprinse en sa Loy. Car d’adjouster à icelle, ou d’en rien diminuer, il ne leur estoit licite. Les Prophètes sont venus après, par lesquels Dieu a publié des nouveaux oracles, qui fussent adjoustez à la Loy : non pas toutesfois tellement nouveaux, qu’ils ne procédassent de la Loy, et qu’ils ne tendissent à icelle comme à leur but. Car quant à la doctrine, les Prophètes n’ont esté sinon expositeurs de la Loy : et n’ont rien adjousté à icelle, que les révélations des choses à venir. Cela excepté, ils n’ont rien mis en avant qu’une pure explication de la Loy. Toutesfois d’autant qu’il plaisoit à Dieu qu’il y eust une doctrine plus évidente et plus ample, pour satisfaire tant mieux aux consciences infirmes, il a ordonné que les Prophéties fussent aussi bien réduites par escrit, et qu’elles fussent portion de sa Parole. Les Histoires ont esté aussi bien adjoinctes avec, lesquelles ont esté composées par les Prophètes, le sainct Esprit les inspirant et dressant à cela. Je mets les Pseaumes en un mesme rang avec les Prophéties, pource que l’argument est commun et semblable. Parquoy tout ce corps d’Escriture composé de la Loy, des Prophéties, Pseaumes, et Histoires, a esté la Parole de Dieu au peuple ancien, ou l’Eglise d’Israël : et a falu que les Prestres et Docteurs ayent réduit et compassé à ceste reigle tout ce qu’ils ont enseigné jusques à l’advénement de Christ, sans qu’il leur fust licite de décliner on à dextre ou à gauche. Car toute leur authorité estoit enclose en ces bornes, qu’ils respondissent au peuple par la bouche du Seigneur ; ce qu’on peut recueillir de ce passage notable de Malachie, où il commande aux Juifs d’avoir mémoire de la Loy, et estre attentifs à icelle jusques à la prédication de l’Evangile Malach. 4.4. Car par cela il les retire de toutes doctrines estranges, et ne leur permet de décliner tant peu que ce soit du chemin que Moyse leur avoit fidèlement monstré. Et c’est pourquoy David magnifie tant l’excellence de la Loy, et luy attribue de si hauts tiltres Ps. 19.8 ; 119.89, 105 : asçavoir pour destourner les Juifs de n’appéter rien de nouveau, ou aucune addition, veu que tout ce qui estoit requis à leur salut leur estoit desjà déclairé.
4.8.7
Mais quand finalement la sagesse de Dieu a esté manifestée en chair, elle nous a déclairé à bouche ouverte tout ce qui peut entrer de Dieu en l’humain esprit, et tout ce qui s’en peut penser. Puis, di-je, que nous avons Jésus-Christ le Soleil de justice luisant sur nous, il nous donne parfaite clairté de la vérité de son Père, comme en plein midi : au lieu qu’elle n’estoit pas au paravant du tout descouverte, mais aucunement obscure. Car certes l’Apostre n’a pas voulu signifier une chose vulgaire, quand il a dit que Dieu avoit parlé aux anciens Pères par ses Prophètes en plusieurs sortes et en plusieurs manières : mais qu’en ces derniers jours il a parlé à nous par son cher Fils Héb. 1.1-2. Car par ceci il déclaire que ci-après Dieu ne parlera point comme paravant, par les uns ou les autres : et qu’il n’adjoustera point prophéties sur prophéties, ne révélations sur révélations : mais que tellement il a accomply toute perfection d’enseignemens en son Fils, qu’il nous faut sçavoir que cestuy-ci est le dernier et éternel tesmoignage que nous aurons de luy. Pour laquelle raison tout ce temps du Nouveau Testament, depuis que Jésus-Christ nous est apparu avec la prédication de son Evangile, jusques au jour du jugement, nous est dénoté par La dernière heure, les derniers temps, les derniers jours : afin qu’estans contens de la perfection de la doctrine de Jésus-Christ, nous apprenions de ne nous en forger d’autre nouvelle, n’en recevoir de forgée par homme. Et pourtant non sans cause le Père nous envoyant son Fils par un privilège singulier, nous l’a ordonné Docteur et Précepteur, nous commandant de l’escouter, et non aucun des hommes. Certes il nous a recommandé sa maistrise en peu de paroles, quand il a dit, Escoutez-le Matt. 17.5. Mais en ce peu de paroles il y a plus de force et d’importance qu’il ne semble ; car cela vaut autant comme si nous ayant retirez et révoquez de la doctrine de tous les hommes, il nous eust arrestez à son seul Fils, et nous eust commandé de prendre de luy toute doctrine de salut, de dépendre de luy seul, d’estre fichez en luy seul : brief (ce que le mot porte) d’obéir à luy seul. Et pour dire vray, que sçaurions-nous plus attendre ou souhaiter des hommes, puis que la Parole de vie mesme a familièrement conversé en chair avec nous ? si quelqu’un d’adventure n’avoit espérance que la Sapience de Dieu peust estre surmontée par l’homme. Plustost il faut que toute bouche d’homme soit close, depuis que celuy a parlé, auquel par la volonté du Père sont cachez tous les thrésors de science et sapience Col. 2.3 : et a parlé en telle sorte qu’il appartenoit à la Sapience de Dieu (laquelle ne défaut en nulle part) et au Messias, duquel on attendoit la révélation de toutes choses Jean 4.25 : c’est-à-dire qu’il a tellement parlé, qu’il n’a rien laissé à dire aux autres après soy.
4.8.8
Pourtant que ce nous soit une conclusion résolue, que nous ne devons point tenir en l’Eglise pour Parole de Dieu, sinon ce qui est contenu en la Loy et aux Prophètes, puis après aux escrits des Apostres : et qu’il n’y a nulle autre façon de bien et deuement enseigner en l’Eglise, que de rapporter toute doctrine à ceste reigle. De là aussi nous avons à inférer, qu’il n’a rien esté permis d’avantage aux Apostres, que ce que les Prophètes avoyent eu anciennement, asçavoir d’exposer l’Escriture jà donnée, et monstrer toutes les choses qui sont jà dites, estre accomplies en Jésus-Christ : combien encores qu’ils n’ont point fait cela, et ne l’ont deu faire, sinon de par le Seigneur, c’est-à-dire, ayans l’Esprit de Jésus-Christ, leur dictant ce qu’ils avoyent à dire. Car le Seigneur Jésus a limité toute leur ambassade en ceste sorte, leur commandant d’aller et enseigner : non point ce qu’ils auroyent forgé à la volée d’eux-mesmes, mais seulement tout ce qu’il leur avoit enjoint Matt. 28.20. D’avantage, on ne pourroit souhaiter sentence plus claire, que quand il leur dit, Ne soyez point appelez Maistres : car vous avez vous tous un Ministre au ciel, asçavoir moy Matt. 23.8. Et afin de leur ficher ceste parole plus avant au cœur, il la répète en un mesme lieu deux fois. Or pource que leur rudesse les empeschoit de comprendre ce qu’ils avoyent ouy et apprins de leur Maistre, il leur promet l’esprit de vérité pour les addresser en la vraye intelligence de toutes choses Jean 14.26 ; 16.13. Car ceste restriction est bien notable, quand il assigne au sainct Esprit cest office, de suggérer ce qu’il avoit desjà enseigné de sa bouche.
4.8.9
Pourtant sainct Pierre estant très-bien enseigné de son Maistre quel estoit son office, ne réserve ny à soy ny aux autres sinon de dispenser ce qui luy estoit commis. Celuy qui parle, dit-il, qu’il parle comme les paroles de Dieu 1Pi. 4.11 : c’est-à-dire hardiment, et non pas en chancelant, comme font ceux qui ne sont pas authoritez d’en haut, et n’ont pas la magnanimité qui est requise en bons serviteurs de Dieu. Qu’est-ce là autre chose, sinon rejetter toutes inventions de l’esprit humain, de quelque cerveau qu’elles soyent procédées, afin que la pure Parole de Dieu soit enseignée et apprinse en l’Eglise des fidèles ? et subvertir tous décrets d’hommes, de quelque estat qu’ils soyent, afin que les seules ordonnances de Dieu soyent tenues ? Voylà les armes spirituelles, puissantes à Dieu pour la démolition des munitions : par lesquelles les bons gendarmes de Dieu destruisent les conseils et toute hautesse qui s’eslève à l’encontre de la cognoissance de Dieu et meinent toute cogitation captive à l’obéissance de Christ, et ont vengence preste contre toute désobéissance 2Cor. 10.4-6. Voylà la puissance ecclésiastique clairement déclairée, laquelle est donnée aux Pasteurs de l’Eglise, de quelque nom qu’ils soyent appelez : c’est asçavoir que par la Parole de Dieu, de laquelle ils sont constituez administrateurs, hardiment ils osent toutes choses, et contraignent toute gloire, hautesse et vertu de ce monde, d’obéir et succomber à la majesté divine : que par icelle Parole ils ayent commandement sur tout le monde : qu’ils édifient la maison de Christ, subvertissent le règne de Satan : qu’ils paissent les brebis et exterminent les loups : qu’ils conduisent par enseignemens et exhortations ceux qui sont dociles : qu’ils contraignent et corrigent les rebelles et obstinez : qu’ils lient, et deslient, tonnent et foudroyent, si mestier est : mais tout en la Parole de Dieu. Combien qu’entre les Apostres et leurs successeurs il y a ceste différence, comme j’ay dit, que les Apostres ont esté comme Notaires jurez du sainct Esprit, à ce que leurs Escritures soyent tenues comme authentiques : les successeurs n’ont autre commission que d’enseigner ce qu’ils trouvent estre contenu aux sainctes Escritures. (Concluons doncques qu’il n’est point permis à tous ministres fidèles de forger de nouveau quelque article de foy : mais qu’il faut simplement adhérer à la doctrine à laquelle Dieu nous a tous assujetis sans exception. Quand je di cela, mon intention est non-seulement de monstrer ce qui est licite à chacun particulier, mais aussi à toute l’Eglise universelle. Quant est des personnes, nous sçavons que sainct Paul estoit ordonné Apostre sur les Corinthiens : toutesfois il dit qu’il ne domine point sur leur foy 2Cor. 1.24. Qui sera celuy qui osera maintenant usurper domination, laquelle sainct Paul testifie ne compéter point à sa personne ? Que s’il eust approuvé ceste licence desbridée, qu’un Pasteur peust demander qu’on adjoustast certaine foy à tout ce qu’il luy plaira d’enseigner, jamais il n’eust estably ceste police entre les Corinthiens, que deux ou trois Prophètes parlassent, et que les autres jugeassent : que si quelqu’un des autres avoit meilleure révélation, qu’il parlast, et que le premier se teust 1Cor. 14.29-30. Car par ces paroles, sans nul espargner, il a assujeti l’authorité de tous hommes à la censure et jugement de la Parole de Dieu. Mais quelqu’un me dira que c’est autre chose de l’Eglise universelle. Je respon que sainct Paul a aussi bien prévenu ceste doute, quand il dit en un autre passage, que la foy est par l’ouye, voire l’ouye de la Parole de Dieu Rom. 10.17. Je vous prie, si la foy dépend de la seule Parole de Dieu, et regarde à icelle seule, et sur icelle seule se repose, que reste-il plus à la parole de tout le monde ? Et de cela, nul qui sçaura bien que c’est de foy, n’en pourra douter ny hésiter. Car il faut qu’elle soit fondée en une telle fermeté, qu’elle puisse consister invincible et sans s’estonner à l’encontre de Satan, toutes les machinations d’enfer, et toutes les tentations du monde. Or ceste fermeté ne se trouvera qu’en la seule Parole de Dieu. D’avantage, il y a une raison universelle, laquelle il nous faut yci considérer : c’est que Dieu oste aux hommes la faculté de forger aucun article nouveau, afin que luy seul nous soit pour Maistre et Docteur en la doctrine spirituelle : comme il est luy seul véritable, ne pouvant mentir ne tromper. Ceste raison n’appartient pas moins à toute l’Eglise qu’à chacun fidèle.
4.8.10
Or si ceste puissance est comparée avec celle de laquelle se vantent les tyrans spirituels, qui contrefont les Evesques et recteurs des âmes, il n’y aura nulle meilleure similitude qu’entre Christ et Bélial. Mon intention n’est pas d’exposer comment et en quel désordre ils ont exercé leur tyrannie : seulement je réciteray la doctrine laquelle ils défendent, premièrement par livres et prédication, puis après par feu et par glaive. D’autant qu’ils tienent pour une résolution certaine, qu’un Concile universel représente vrayement l’Eglise : se fondans sur ce principe, ils concluent sans aucune doute, que tous Conciles universels sont régis directement du sainct Esprit : et pourtant qu’ils ne peuvent errer. Or comme ainsi soit qu’eux-mesmes régissent les Conciles, et mesmes qu’ils les facent : tout ce qu’ils leur attribuent d’authorité, ils le prenent à la vérité pour eux. Ils veulent doncques que nostre foy se tiene debout, ou qu’elle tombe bas à leur plaisir : tellement que tout ce qu’ils auront arresté d’une part ou d’autre, nous soit ferme et résolu. S’ils ont rien approuvé, que nous le recevions sans aucun scrupule : s’ils ont rien condamné, que nous le tenions aussi pour condamné ; ce pendant ils forgent à leur poste, et sans avoir esgard à la Parole de Dieu telles doctrines qu’ils veulent : ausquelles pour ceste seule raison ils entendent qu’on doit adjouster foy. Car ils n’estiment point qu’un homme soit Chrestien, sinon qu’il s’accorde à toutes leurs déterminations, tant affirmatives que négatives : pour le moins de foy implicite, comme ils appellent : se fondans là-dessus, qu’il est en l’authorité de l’Eglise de faire nouveaux articles de foy.
4.8.11
Premièrement voyons de quels argumens ils s’aident, pour monstrer que ceste puissance ait esté donnée à l’Eglise : puis après nous verrons de quoy leur proufite ce qu’ils allèguent, touchant l’Eglise. L’Eglise, disent-ils, est garnie de belles et excellentes promesses, de n’estre jamais abandonnée de Christ son espoux, qu’il ne la conduise par son Esprit à toute vérité. Mais des promesses qu’ils ont coustume d’alléguer, il y en a une grande partie qui ne sont pas moins données à un chacun fidèle en particulier, qu’à toute l’Eglise ensemble. Car combien que Jésus-Christ parloit aux douze Apostres, en leur disant, Je seray avec vous jusques à la fin du monde Matt. 28.20. Item, Je prieray le Père, et il vous donnera un autre consolateur, asçavoir l’Esprit de vérité Jean 14.16-17 : toutesfois il ne promettoit point cela seulement au nombre des douze, mais à chacun d’eux, voire mesmes à ses disciples, lesquels il avoit desjà esleus, ou devoit eslire après. Or quand ils interprètent tellement ces promesses plenes de singulière consolation, comme si elles n’estoyent données à nul des Chrestiens, mais à toute l’Eglise ensemble, que font-ils autre chose qu’oster à chacun Chrestien la consolation qui luy en devoit venir pour luy donner tant plus de fiance ? Je ne nie pas yci, que la compagnie des fidèles garnie de ceste diversité de grâces ne soit ensemble beaucoup plus riche de toute sapience céleste que chacun n’est à part : mais je veux seulement débatre, que perversement ils tirent les paroles de nostre Seigneur en autre sens qu’elles n’ont esté dites. Nous confessons doncques (comme la vérité est) que le Seigneur éternellement assiste aux siens, et qu’il les conduit de son Esprit : que cest Esprit n’est pas d’erreur, ignorance, mensonge ou ténèbres : mais de révélation, vérité, sapience et lumière : duquel ils puissent sans tromperie apprendre quelles choses leur sont données de Dieu 1Cor. 2.12 : c’est-à-dire : quelle est l’espérance de leur vocation, et quelles sont les richesses de la gloire de l’héritage de Dieu, et combien est excellente la grandeur de sa vertu sur tous les croyans Eph. 1.18-19. Mais comme ainsi soit que les fidèles reçoyvent seulement quelque goust et commencement de cest Esprit en ceste chair, mesmes ceux qui par-dessus les autres sont pleins de richesses et grâces de Dieu : il ne reste rien meilleur, sinon qu’en recognoissant leur imbécillité, ils se contienent songneusement sous les termes de la Parole de Dieu : de peur que s’ils vouloyent procéder outre par leurs sens, ils ne se desvoyent incontinent de la droicte voye. Et à dire vray, il ne faut douter, que s’ils venoyent à décliner le moins du monde de ceste Parole, qu’ils ne s’abusassent à chacun coup : c’est asçavoir d’autant qu’ils sont encores en partie vuides de cest Esprit, par le seul enseignement duquel on discerne la vérité du mensonge. Car tous confessent avec sainct Paul, qu’ils ne sont pas encores venus au but Phil. 3.12 : pourtant ils continuent de jour en jour à proufiter, plustost que de se glorifier en perfection.
4.8.12
Mais ils répliqueront que ce qui est attribué en partie à chacun des saincts, compète du tout entièrement à l’Eglise. La response. Combien qu’il semble advis que cela ait apparence de vérité : toutesfois je nie qu’il soit vray. Je confesse bien que nostre Seigneur distribue par mesure les dons de son Esprit à chacun membre de son corps, en sorte que rien ne défaut au corps universel, quand tous les dons sont conférez ensemble. Mais les richesses de l’Eglise sont tousjours telles, qu’elles sont bien loing de ceste souveraine perfection, laquelle prétendent nos adversaires. Combien que l’Eglise n’est pas destituée en rien, qu’elle n’ait tousjours ce dont elle a besoin : car le Seigneur cognoist ce qui est requis pour sa nécessité. Mais afin de l’entretenir en humilité et modestie, il ne luy donne pas plus que ce qu’il cognoist luy estre expédient. Je sçay aussi qu’ils ont accoustumé d’objecter ce que dit sainct Paul, que Christ a purgé son Eglise au Baptesme d’eau en la Parole de vie, pour se la rendre glorieuse espouse, n’ayant tache ne ride : mais afin qu’elle soit saincte et immaculée Eph. 5.25-27 : et que pour ceste raison il la nomme en un autre lieu, Pillier et firmament de vérité 1Tim. 3.15. Quant au premier, il monstre plus ce que continue de faire tous les jours Christ en ses esleus, que ce qu’il a desjà parfait. Car si de jour en jour il les sanctifie, purge, polit et nettoye de leurs taches, certainement il appert qu’ils sont encores ridez et maculez, et qu’il défaut quelque chose à leur sanctification. D’avantage, estimer l’Eglise desjà saincte et immaculée, de laquelle les membres, soyent encores souillez et immondes, n’est-ce pas pure mocquerie ? Il est doncques vray que Christ a lavé son Eglise au Baptesme d’eau par la Parole de vie : c’est-à-dire, qu’il l’a purgée par la rémission des péchez : de laquelle purgation le Baptesme est enseigne : et l’a purgée pour la sanctifier ; mais de ceste sanctification, le commencement tant seulement en apparoist yci : la fin et l’accomplissement en sera entier, quand Christ le sainct des saincts l’aura remplie du tout de sa saincteté. Il est vray aussi que les rides et macules d’icelle sont effacées : mais c’est tellement, que de jour en jour elles s’effacent encores, jusques à ce que Christ par son advénement oste entièrement ce qui en reste. Car si nous ne confessons cela, il nous sera nécessaire de consentir avec les Pélagiens, que la justice des fidèles est parfaite en ce monde : item, de dire avec les Cathares et Donatistes, que ce n’est point Eglise, où il y a quelque infirmité ; or nos adversaires mesmes tienent tous ceux-là pour hérétiques. L’autre passage, comme nous avons veu ailleurs, a un sens tout divers de celuy qu’ils prétendent. Car après que sainct Paul a instruit Timothée en office d’Evesque, il adjouste qu’il luy a monstré une telle leçon, afin qu’il sçache comme il luy faut converser en l’Eglise de Dieu. Et afin de monstrer mieux l’importance de la chose, il dit aussi qu’icelle Eglise est Pillier et firmament de la vérité. Or que signifient ces paroles autre chose, sinon que la vérité de Dieu est conservée en l’Eglise par le ministère de la prédication ? comme il le déclaire en autre lieu en disant, Jésus-Christ a donné des Apostres, des Pasteurs et Docteurs, afin que nous ne soyons plus esbranlez et transportez à tout vent de doctrine, ou déceus par l’astuce des hommes : mais qu’estans illuminez à la cognoissance du Fils de Dieu, nous soyons tous réduits en unité de foy Eph. 4.11-15. Pourtant ce que la vérité n’est point esteinte au monde, mais qu’elle demeure en vigueur, cela se fait d’autant que l’Eglise est gardienne seure et fidèle pour la maintenir, à ce qu’elle ne déchée point. Or si ceste garde que l’Eglise en fait, est située au ministère des Prophètes et Apostres, il s’ensuyt que le tout dépend de là, que la Parole de Dieu, soit entretenue en sa pureté.
4.8.13
Et afin que les Lecteurs entendent mieux quel est le nœud de la matière, j’exposeray en brief ce que demandent nos adversaires, et en quoy c’est que nous leur résistons. Quand ils disent que l’Eglise ne peut errer, voyci comment ils l’entendent : que d’autant qu’elle est gouvernée par l’Esprit de Dieu : elle peut cheminer seurement sans la Parole : et comment qu’elle aille, qu’elle ne peut sentir ne parler que vray : et par ainsi encores qu’elle détermine de quelque chose outre la Parole de Dieu, qu’il faut tenir sa sentence comme un certain oracle venant du ciel. De nous, si nous leur concédons ce point, que l’Eglise ne puisse errer aux choses nécessaires à salut : c’est avec tel sens, qu’elle ne peut faillir, d’autant qu’en se démettant de sa propre sagesse elle souffre d’estre enseignée du sainct Esprit par la Parole de Dieu. Voyci doncques le différent qui est entre nous : ils attribuent authorité à l’Eglise hors la Parole : nous au contraire conjoignons l’un avec l’autre inséparablement. Or ce n’est point de merveille si l’espouse et l’escholière de Christ est sujette à son Maistre et à son Mari, pour s’arrester entièrement à ce qu’il dit et commande : car la façon d’une maison bien reiglée requiert cela, que la femme obtempère à son mari, et le tiene pour son supérieur. C’est aussi l’ordre d’une bonne eschole, que le seul maistre ait là l’authorité d’enseigner, et qu’il soit escouté. Pourtant, que l’Eglise ne soit point sage de soy-mesme, et qu’elle ne songe rien de soy : mais qu’elle constitue le but de sa sagesse là où Jésus-Christ fait fin de parler : En ceste manière elle se desfiera de toutes les inventions de sa raison : et au contraire, estant appuyée sur la Parole de Dieu, elle ne chancellera ne doutera aucunement : mais avec plene certitude et constance elle se reposera sur icelle. Pareillement se confiant des promesses qui luy sont données, elle aura sur quoy s’appuyer seurement, afin de ne point douter que le sainct Esprit ne luy assiste tousjours, pour luy estre bon conducteur et guide. Mais d’autre part elle se souviendra à quelle fin et à quel usage le Seigneur veut qu’on reçoyve son Esprit. L’Esprit, dit-il, que je vous envoyeray du Père, vous conduira en toute vérité. Mais comment cela ? Il adjouste conséquemment, Car il vous suggérera toutes les choses que je vous ay enseignées Jean 16.13. Il dénonce doncques qu’il ne faut rien d’avantage attendre de son Esprit, sinon qu’en illuminant nos entendemens, il nous face recevoir la vérité de sa doctrine. Pourtant la sentence de Chrysostome est notable : Plusieurs, dit-il, se vantent de l’Esprit : mais ceux qui apportent du leur, le prétendent faussement. Comme Christ testifioit qu’il ne parloit point de soy-mesme, d’autant que sa doctrine estoit prinse de la Loy et des Prophètes : en telle manière, si on nous apporte sous le tiltre de l’Esprit, quelque chose qui ne soit contenue en l’Evangile, ne la croyons pas. Car comme Christ est l’accomplissement de la Loy et des Prophètes : aussi est l’Esprit, de l’Evangile[j] Jean 12.49 ; 14.10. Voylà les paroles de sainct Chrysostome. Maintenant il est facile de veoir combien nos adversaires s’esgarent du droict chemin, quand ils n’allèguent que le sainct Esprit, et ne le mettent en avant à autre fin, que pour conserver, sous ombre d’iceluy, des doctrines estranges et diverses de la Parole de Dieu : comme ainsi soit qu’il vueille estre conjoinct avec icelle Parole, comme d’un lien indissoluble : et que Jésus-Christ proteste cela de luy, en le promettant à ses Apostres. Et de faict, il est ainsi. Car telle sobriété que Dieu a une fois recommandée à son Eglise, il veut qu’elle soit gardée jusques en la fin. Or il luy a défendu de ne rien adjouster à sa Parole, ny en rien diminuer. Voylà un décret inviolable de Dieu et de son Esprit, lequel nos adversaires veulent casser, quand ils feignent que l’Eglise est gouvernée par le sainct Esprit, sans la Parole de Dieu.
[j] Serm. De sancto et adorando Spiritu.
4.8.14
Derechef ils cavillent, qu’il a falu que l’Eglise ait adjousté aux escrits des Apostres : ou bien qu’eux-mesmes ayent ordonné plusieurs choses par vive voix, pour suppléer à leurs escrits, ausquels ils n’avoyent point clairement tout exposé. Pour prouver cela, ils allèguent ce que Jésus-Christ leur dit, J’ay beaucoup de choses à vous dire, lesquelles vous ne pouvez encore porter Jean 16.12. Ils exposent doncques, que ces choses-là sont les ordonnances lesquelles ont esté receues par usage sans Escriture. Mais quelle est ceste impudence ? Je confesse que les Apostres estoyent encores rudes et grossiers, quand nostre Seigneur disoit cela. Mais ceste ignorance estoit-elle encores en eux quand ils ont réduit leur doctrine par escrit : en sorte qu’il ait falu après suppléer de vive voix ce qu’ils avoyent oublié, ou laissé arrière par faute d’intelligence ? Mais au contraire, puis que nous sçavons qu’ils estoyent desjà menez par l’Esprit en toute vérité, quand ils ont composé ce que nous avons de leurs escrits, qu’est-ce qui a empesché qu’ils n’ayent là comprins une parfaite cognoissance de la doctrine évangélique ? Mais encores donnons-leur ce qu’ils demandent, que les Apostres ayent laissé par vive voix à l’Eglise plus qu’ils n’ont point escrit : je demande maintenant qu’ils m’en facent le dénombrement. S’ils osent attenter cela, je répliqueray à l’encontre par la bouche de sainct Augustin, Puis que le Seigneur n’a point exprimé quelles estoyent ces choses, qui sera celuy de nous qui dira, Ce sont celles-ci, ou celles-là ? ou s’il l’ose dire, comment le prouvera-il[k] ? Toutesfois c’est folie à moy de plus débatre d’une chose superflue : car les petis enfans mesmes sçavent bien, que ce que nostre Seigneur promit de révéler aux Apostres les choses qu’ils ne pouvoyent adoncques porter, cela a esté accomply quand il leur a envoyé le sainct Esprit, et que nous en avons le fruit en leurs Escritures.
[k] Homil. in Joan., XCVI.
4.8.15
Quoy doncques ? disent-ils, Jésus-Christ n’a-il point mis hors de doute tout ce que l’Eglise enseigne et décrète, quand il a voulu estre tenu pour Publicain et Payen celuy qui y contreviendroit Matt. 18.17 ? Premièrement, il n’est point là fait mention de la doctrine, mais Jésus-Christ veut que les censures qui se font pour corriger les vices, ayent plene authorité : afin que ceux qui seront admonestez et corrigez, ne se rebecquent point à l’encontre. Mais laissant cela, c’est merveille comment ces trompeurs sont si effrontez, qu’ils s’osent glorifier de ce tesmoignage. Car que peuvent-ils conclurre de ce, sinon qu’il n’est pas licite de contemner le consentement de l’Eglise, laquelle n’accorde jamais sinon en la vérité de Dieu ? Il faut escouter l’Eglise, disent-ils. Qui le nie, d’autant qu’elle ne prononce rien, sinon de la Parole de Dieu ? S’ils demandent quelque chose d’avantage, qu’ils entendent que ces paroles de Christ ne leur favorisent en rien. Et ne faut qu’on m’estime trop contentieux, de ce que j’insiste si fort sur ce point, qu’il n’est licite à l’Eglise de forger aucune doctrine nouvelle : c’est-à-dire de plus enseigner que Dieu n’a révélé par sa Parole. Car tout homme de sens rassis voit bien quel danger il s’en ensuyvroit, si on donnoit une fois aux hommes tant de puissance. On voit comment la fenestre seroit ouverte à tous blasphémateurs pour se mocquer de la Chrestienté, si on disoit que les Chrestiens deussent tenir comme article de foy ce que les hommes auroyent déterminé. Il y a aussi ce point à noter, que Jésus Christ selon l’ordre accoustumé en son temps donne ce nom-là au consistoire qui estoit estably entre les Juifs : voulant par ceste similitude induire ses disciples à porter révérence aux superintendans, de l’Eglise. Or si on veut croire nos adversaires, il s’ensuyvroit que chacune ville et village auroit pareille authorité à forger des articles de foy.
4.8.16
Ces exemples dont ils se veulent servir, ne font rien à leur propos. Ils disent que le Baptesme des petis enfans est fondé plus sur le décret de l’Eglise, que sur quelque commandement exprès de l’Escriture. Mais ce seroit un très-povre et malheureux refuge, si pour défendre le Baptesme des petis enfans, nous estions contraints de recourir à la pure et simple authorité de l’Eglise ; mais il apparoistra en un autre lieu qu’il n’est pas ainsi. Semblablement ce qu’ils allèguent, que l’on ne trouve point aux Escritures la détermination faite au Concile de Nice, que le Fils de Dieu est d’une mesme substance avec le Père : en cela ils font une grosse injure aux saincts Evesques du Concile : comme s’ils eussent témérairement condamné Arrius de ce qu’il ne vouloit point s’astreindre à leurs mots, combien qu’il confessast toute la doctrine laquelle est comprinse aux Escritures des Prophètes et Apostres : je confesse bien que ce mot de Consubstantiel n’est point en l’Escriture : mais puis que tant de fois il nous est montré en icelle qu’il n’y a qu’un seul Dieu : et derechef que Jésus-Christ y est appelé vray Dieu et éternel, un avec le Père : qu’ont fait autre chose les saincts Evesques, en déclairant qu’il estoit d’une mesme essence, sinon qu’ils ont simplement exposé le sens naturel de l’Escriture ? Et de faict, Théodorite historien raconte que Constantin l’Empereur usa de ceste préface au Concile, de première entrée : Il y a la doctrine du sainct Esprit, à laquelle il nous faut tenir en disputant des choses divines : les livres des Apostres et Prophètes nous monstrent plenement la volonté de Dieu. Pourtant en laissant toutes contentions, prenons des paroles du sainct Esprit, la décision et vuidange de la question qui est à présent[l]. Il n’y eut nul qui contredist à ces sainctes admonitions : nul ne répliqua que l’Eglise pouvoit adjouster quelque chose du sien : que le sainct Esprit n’avoit point tout révélé aux Apostres, ou pour le moins qu’ils n’avoyent pas tout laissé par escrit ; rien de tout cela. Si ce que nos adversaires prétendent est vray : premièrement l’Empereur Constantin eust mal fait en ostant à l’Eglise sa puissance. Secondement, c’eust esté une dissimulation meschante et desloyale aux Evesques, que nul d’eux ne se leva pour maintenir l’authorité de l’Eglise. Mais au contraire, Théodorite réfère que tous receurent volontiers l’admonition de l’Empereur, et l’approuvèrent. Dont il appert que ce que maintenant disent nos adversaires, est nouveau, et qu’il n’estoit point encores cognu adoncques.
[l] Histor. Ecclesiastic., lib. I, cap. V.
Chapitre IX
Des conciles et de leur authorité.
4.9.1
Mais encores que nous leur ottroyons tout ce qu’ils prétendent de l’Eglise, cela toutesfois ne leur proufitera de guères pour leur intention : car tout ce qui se dit de l’Eglise : ils le transfèrent puis après aux Conciles lesquels selon leur fantasie représentent l’Eglise. Qui plus est, ce qu’ils sont si grans zélateurs à maintenir la puissance de l’Eglise, ils ne le font à autre fin, sinon pour attribuer au Pape et à sa séquelle tout ce qu’ils auront peu obtenir. Or devant que je commence à despescher ceste question, je veux briefvement protester deux choses. La première est que si je tien yci la bride roide pour ne lascher rien facilement à nos adversaires, ce n’est pas à dire pourtant que je prise les Conciles anciens moins que je ne doy. Car je les honore de bonne affection, et désire que chacun les estime et les ait en révérence : mais il faut yci tenir mesure, que par cela il ne soit en rien dérogué à Jésus-Christ. Or voyci le droict et l’authorité qui appartient à Jésus-Christ : c’est de présider en tous Conciles, et n’avoir homme mortel, pour compagnon en ceste dignité. Or je di que lors il préside, quand il gouverne toute l’assemblée par son Esprit et par sa Parole. La seconde protestation est, que si j’attribue moins au Concile que nos adversaires ne voudroyent, je ne le feray point pour crainte que j’aye, comme si les Conciles favorisoyent à nos adversaires, et nous estoyent contraires. Car comme nous avons suffisamment en la Parole de Dieu, tout ce qui est requis pour l’approbation de nostre doctrine, et pour ruiner toute la Papauté, tellement qu’il n’est point mestier de chercher secours d’ailleurs, aussi d’autre part, quand il seroit besoin, nous pourrions bien nous armer des Conciles anciens, pour faire l’un et l’autre.
4.9.2
Maintenant venons au point : si on demande quelle est l’authorité des Conciles selon la Parole de Dieu, il n’y a nulle promesse plus ample ou plus claire pour la fonder, qu’en ceste sentence de Jésus-Christ, Par tout ou deux ou trois seront assemblez en mon nom, je seray au milieu d’eux Matt. 18.20. Mais ceste promesse compète tout aussi bien à une petite compagnie qu’à un Concile universel : combien que le nœud de la question ne gist point en cela, mais en ce qu’il y a une condition adjoustée, que lors Jésus-Christ sera au milieu d’une compagnie, si elle est assemblée en son nom. Parquoy que nos adversaires allèguent tant qu’ils voudront les Conciles des Evesques, ils ne proufiteront de guères, et ne nous feront point à croire ce qu’ils prétendent : c’est qu’ils sont gouvernez du sainct Esprit : jusques à ce qu’ils ayent prouvé qu’ils sont congrégez au nom de Christ. Car aussi bien peuvent conspirer à l’encontre de Christ les meschans Evesques, que les bons convenir en son nom. De laquelle chose nous peuvent faire foy plusieurs Décrets qui sont sortis de tels Conciles : desquels je pourroye facilement par argumens évidens faire apparoistre l’impiété : mais de cela nous en verrons puis après. Pour le présent je leur respon en un mot, que Christ ne promet rien en ce passage, sinon à ceux qui sont congrégez en son nom. Il nous faut définir que cela veut dire. Or je nie que ceux soyent congrégez au nom de Christ, lesquels en rejettant le commandement de Dieu : par lequel il défend de rien adjouster à sa Parole, ou diminuer d’icelle, ordonnent à leur plaisir ce que bon leur semble : lesquels non contens de ce qui est en la saincte Escriture, c’est-à-dire, en la reigle unique de vraye et parfaite sagesse, forgent de leur teste quelque nouveauté. Certes puis que Jésus-Christ ne promet point d’assister indifféremment à tous Conciles, mais adjouste une marque spéciale pour discerner les Conciles légitimes d’avec les autres : il ne nous faut point mespriser ceste différence. Dieu a fait une fois ceste alliance et paction avec les Prestres lévitiques, qu’ils enseignassent de sa bouche Malach. 2.7 : il a tousjours requis cela, mesmes de ses Prophètes. Nous voyons qu’il a imposé ceste mesme loi aux Apostres. Pourtant il ne recognoist point pour ses Prestres ne serviteurs ceux qui transgressent et violent ceste paction, et ne leur donne aucune authorité. Que nos adversaires me soudent ceste difficulté, s’ils veulent assujetir ma foy aux Décrets des hommes, qui seront faits outre la Parole de Dieu.
4.9.3
Car touchant ce qu’ils ne pensent point que la vérité demeure en l’Eglise, si elle ne consiste entre les Pasteurs : ne que l’Eglise mesme puisse consister, si elle ne se monstre aux Conciles généraux, il y a bien à dire que cela ait esté tousjours vray, si les tesmoignages que nous ont laissez les Prophètes de leur temps sont véritables. Il y avoit encores du temps d’Isaïe Eglise en Jérusalem, laquelle Dieu n’avoit point délaissée : toutesfois il dit des Pasteurs, Toutes ses gardes sont aveugles, et ne cognoissent rien. Tous sont chiens muets, ne sçachans abbayer. Ils dorment, et aiment le dormir Esaïe 56.10. Tous les Pasteurs n’ont nulle cognoissance, ny intelligence, et universellement ont décliné chacun en sa voye. Pareillement Osée, Le spéculateur d’Ephraïm se couvrant de Dieu, est un laqs de chasseur, et abomination au temple de Dieu Osée 9.8. Nous voyons qu’il se mocque des tiltres honorables desquels les Sacrificateurs se vantoyent. Ceste Eglise dura jusques au temps de Jérémie. Or oyons ce qu’il dit des Pasteurs : Depuis le Prophète jusques aux Prestres, chacun forge mensonge Jér. 6.13. Item, Les Prophètes ont prophétisé mensonge en mon nom, combien que je ne les eusse point envoyez, et ne leur eusse donné mandement Jér. 14.14. Et afin que nous ne soyons trop longs à réciter toutes ces sentences, qu’on lise ce qui en est escrit au XXIIIe et XLe chapitre Jér. 23.1. De ce temps-là mesme, Ezéchiel les traittoit bien aussi asprement de l’autre costé : La conjuration, dit-il, de ses Prophètes au milieu d’elle, est comme un lion rugissant et qui ravit sa proye. Ils ont dévoré la vie, et ont ravy ce qui estoit précieux : et ont fait beaucoup de vefves. Ses Prestres ont violé ma Loy, et ont pollu mes lieux saincts : et n’ont fait différence entre choses profanes, et celles qui me sont dédiées. Les Prophètes ont édifié de mauvais ciment, voyans choses vaines, devinans mensonges, disans que le Seigneur a parlé quand il n’a point parlé Ezéch. 22.25-28. Ces quérimonies sont si fréquentes en tous les Prophètes, qu’il n’y a rien qui y soit plus réitéré.
4.9.4
Ces choses, dira quelqu’un, ont eu lieu entre les Juifs, mais elles n’appartienent de rien à nostre temps. Pleust à Dieu que cela fust vray : mais sainct Pierre a dénoncé que tout le contraire adviendroit : Comme il y a eu, dit-il, au peuple d’Israël des faux Prophètes, ainsi entre vous il y aura faux Docteurs, induisans sectes de perdition 2Pi. 2.1. Voyez-vous comment il advertit que le danger ne sera point des idiots d’entre le populaire, mais de ceux qui se tiendront fiers du tiltre de Docteurs et de Pasteurs ? D’avantage, combien de fois a-il esté prédit par Christ et ses Apostres, en combien grand danger l’Eglise seroit mise par ses Pasteurs Matt. 24.11, 24 ? Mesmes sainct Paul dénonce ouvertement, que l’Antéchrist n’aura autre part son siège qu’au temple de Dieu 2Thess. 2.4 : en quoy il signifie que l’horrible calamité dont il parle là, ne viendra d’ailleurs que de ceux qui seront assis en l’Eglise comme Pasteurs. Et en un autre passage, il démonstre que cela commençoit desjà de son temps. Car en parlant aux Evesques d’Ephèse, il leur dit entre autres choses. Je sçay qu’après mon départ il y surviendra des loups ravissans entre vous, n’espargnans point le troupeau : et d’entre vous il y en aura qui diront choses perverses pour attirer à eux le peuple Actes 20.29-30. Puis que les Pasteurs se sont peu corrompre en si peu de temps, combien la corruption a-elle peu croistre par longues successions d’années ? Et afin qu’en continuant ce propos, je ne remplisse pas beaucoup de papier, nous sommes advertis par les exemples de tous les aages qui ont esté jusques à ceste heure, que la vérité n’est pas tousjours nourrie au sein des Pasteurs, et que le salut de l’Eglise ne dépend pas du tout de leur bon gouvernement. Il convenoit certes qu’ils fussent bons gardiens de la paix et salut de l’Eglise : car ils sont destinez pour les conserver. Mais c’est autre chose d’accomplir ce qu’on doit, et de devoir faire ce qu’on ne fait point.
4.9.5
Toutesfois je ne veux point que ces propos soient entendus comme si je vouloye amoindrir l’authorité des Pasteurs, et induire le peuple à la mespriser légèrement. Seulement mon intention est d’advertir qu’il faudroit qu’il y eust quelque chois entre les Pasteurs, afin qu’on n’estime point incontinent Pasteurs, tous ceux qui sont ainsi appelez. Or le Pape et tous les Evesques de sa bande n’ont autre raison de remuer et renverser tout à leur poste, sans avoir esgard à la Parole de Dieu, sinon qu’ils ont le tiltre de Pasteurs. Et pour ceste mesme raison ils veulent persuader qu’ils ne peuvent estre destituez de la lumière de vérité, que le sainct Esprit réside en eux, mesmes que l’Eglise vit et meurt avec eux. Comme s’il n’y avoit plus nul jugement de Dieu pour chastier le monde d’une mesme punition dont il a usé envers le peuple ancien ; asçavoir de frapper d’aveuglement et stupidité les Pasteurs Zach. 12.4. Sont-ils pas bien insensez, de ne considérer qu’ils chantent une mesme chanson qu’avoyent anciennement en la bouche les meschans Prestres qui faisoyent la guerre à Dieu ? Car voyci comme ils s’armoyent contre la vérité et les Prophètes, Venez, et faisons consultation contre Jérémie. Car la Loy ne périra point des Prestres, ne le conseil des Sages, ne la doctrine des Prophètes Jér. 18.18.
4.9.6
Par cela mesme il est facile à respondre à l’autre point, touchant les Conciles généraux. On ne peut nier que les Juifs n’ayent eu vraye Eglise du temps des Prophètes. Si lors il se fust tenu un Concile général, quelle apparence d’Eglise y eust-on cognue ? Nous oyons ce que nostre Seigneur leur dénonce, non point à un ou à deux, mais à tous ensemble : c’est que les Prestres seront eslourdis, et les Prophètes seront estonnez Jér. 4.9. Item, La Loy périra des Prophètes, et le conseil des Anciens Ezéch. 7.26. Item, La nuict vous sera au lieu de vision, et les ténèbres au lieu de révélation ; car le soleil sera caché pour les Prophètes, et le jour sera obscurcy Mich. 3.6. Je vous prie, s’ils se fussent tous assemblez en un, quel esprit eust présidé en leur compagnie ? De cela nous en avons un bel exemple et notable au Concile qu’assembla Achab. Il y avoit là quatre cens Prophètes : mais pource qu’ils n’estoyent là venus à autre fin, sinon pour flatter ce meschant Roy et infidèle, Satan est envoyé de Dieu pour estre un esprit menteur en la bouche de tous. Ainsi la vérité est là condamnée d’un commun accord : Michée fidèle serviteur de Dieu, réprouvé comme hérétique, batu et mis en prison 1Rois 22.6, 22, 27. Autant en fut-il fait à Jérémie Jér. 20.2 : autant en est-il advenu aux autres Prophètes.
4.9.7
Mais un seul exemple nous suffira pour tous, d’autant qu’il est notable entre les autres. Au concile qu’assemblèrent les Sacrificateurs et Pharisiens en Jérusalem contre Jésus-Christ, qu’y peut-on reprendre quant à l’apparence extérieure ? Car s’il n’y eust eu lors Eglise en Jérusalem, jamais nostre Seigneur Jésus n’eust assisté aux sacrifices ny autres cérémonies. La convocation se fait solennellement, le grand Prestre y préside, tout le Clergé s’y trouve Jean 11.47 : toutesfois Jésus-Christ y est condamné, et sa doctrine mise au bas. Cest acte-là nous monstre que l’Eglise n’est point enclose en ce Concile. Mais il ne faut point craindre, diront-ils, que cela nous puisse advenir. Mais qui est-ce qui nous en fera foy ? Car d’estre nonchalans en une chose de si grosse importance, c’est trop grande sottise. Qui plus est, puis que le sainct Esprit a clairement prophétisé par la bouche de sainct Paul, qu’il se feroit un révoltement, lequel ne peut advenir que les Pasteurs ne se destornent de Dieu les premiers 2Thess. 2.3 : pourquoy fermons-nous les yeux de propos délibéré, pour ne point regarder nostre ruine ? Pourtant il ne faut nullement concéder que l’Eglise consiste en l’assemblée des Prélats, lesquels Dieu n’a jamais promis devoir estre bons à tousjours : mais au contraire, a prononcé qu’ils seront quelquesfois mauvais. Or quand il nous advertit d’un danger, il le fait pour nous rendre plus sages et mieux advisez.
4.9.8
Quoy doncques, dira quelqu’un : les résolutions des Conciles n’auront-elles nulle authorité ? Je respon que si. Car je ne dispute point qu’il fale rejetter tous les Conciles, et rescinder les actes de tous, ou canceler depuis un bout jusques à l’autre. Mais on répliquera que je les mets trop bas, jusques à permettre à chacun de recevoir ou rejetter ce qui aura esté déterminé en un Concile. Je di que non. Mais toutes fois et quantes qu’on met en avant un Décret de quelque Concile, je voudroye qu’on poisast diligemment en quel temps il a esté tenu, pour quelle cause, et à quelle fin, et quelles gens y ont assisté : puis après qu’on examinast à la reigle de l’Escriture, le point dont il est question, et que le tout se feist en sorte que la détermination du Concile eust son poids, et qu’elle fust comme un advertissement : toutesfois qu’elle n’empeschast point l’examen que j’ay dit. Je voudroye bien qu’on gardast ce qu’enseigne sainct Augustin au troisième livre contre Maximin. Car pour clorre la bouche à cest hérétique, qui débatoit touchant les Décrets des Conciles : Je ne doy pas, dit-il, mettre en avant le Concile de Nice : et tu ne me dois pas aussi alléguer celuy d’Ariminie, comme pour oster la liberté de juger : car tu n’y es pas sujet, ne moy au second. Que la chose soit débatue par bonne cognoissance de cause et par raison, et que le tout soit fondé en l’authorité de l’Escriture, laquelle est commune à foutes les deux parties. Si cela se faisoit, les Conciles retiendroyent leur authorité qu’ils doyvent avoir : et toutesfois l’Escriture demeureroit en sa prééminence, à ce que le tout fust assujeti à la reigle d’icelle. Suyvant cela nous recevons volontiers les anciens Conciles, comme de Nice, de Constantinoble, le premier d’Ephèse, Chalcédoine, et les semblables qu’on a tenus pour condamner les erreurs et opinions meschantes des hérétiques : nous leur portons, di-je, honneur et révérence, entant qu’il appartient aux articles là définis. Car iceux Conciles ne contienent rien qu’une pure et naturelle interprétation de l’Escriture, laquelle les saincts Pères par bonne prudence ont accomodée, pour renverser les ennemis de la Chrestienté. Semblablement en d’aucuns de ceux qui ont esté tenus depuis, nous appercevons un bon zèle et signes évidens de doctrine, de prudence et d’esprit : mais selon que le monde a accoustumé de décliner en empirant, il est facile de veoir combien l’Eglise petit à petit a décliné de sa droicte pureté. Je ne doute pas que mesmes en ces temps qui ont esté fort corrompus, il n’y ait assisté des Evesques de bonne sorte aux Conciles : mais il en est advenu comme les Sénateurs romains se sont autresfois complaints qu’il en advenoit à leur Sénat, c’est asçavoir que quand on a conté les voix sans considérer les raisons, pour conclurre selon la pluralité, la plus grande partie a souvent emporté la meilleure. Certes il en est sorti de meschantes conclusions : et n’est jà mestier d’amener yci les exemples en particulier, tant pource que ce seroit un trop long procès, que pource que des autres l’ont desjà fait si diligemment, que je n’ay que faire d’y rien adjouster.
4.9.9
D’avantage, qu’est-il besoin de raconter la répugnance des Conciles, et comme ce qui a esté fait en l’un, a esté desfait en l’autre ? Et ne faut pas qu’on m’allègue que quand il y a ainsi deux Conciles répugnans, l’un n’est pas légitime. Car d’où est-ce que nous estimerons cela ? Je pense qu’il n’y a point d’autre moyen sinon que de juger par l’Escriture lequel c’est qui a mal résolu : car il n’y a point d’autre loy certaine pour discerner. Il y a environ neuf cens ans qu’il se feit un Concile à Constantinoble du temps de Léon Empereur, où il fui ordonné qu’on abatroit et qu’on romproit toutes les images qu’on avoit aux Eglises. Tantost après, Irène, mère de l’Empereur, assembla un autre Concile à Nice, lequel ordonna qu’on les remeist. Lequel des deux tiendrons-nous pour légitime ? Le second a gaigné le jeu : car les images ont tenu bon aux Eglises. Mais sainct Augustin dit que cela ne se peut faire sans péril éminent d’idolâtrie. Epiphanius plus ancien Docteur, parle encores plus rudement : car il dit que c’est meschanceté et abomination, de veoir des images aux temples des Chrestiens. Puis qu’ils ont ainsi parlé de leur temps, approuveroyent-ils un tel Concile, s’ils vivoyent aujourd’huy ? Qui pis est, si les Historiens disent vray, ce Concile-là non-seulement a receu les images, mais aussi a conclud qu’on les devoit honorer. Or c’est chose notoire qu’un tel Décret est procédé de Satan. Que dirons-nous de ce qu’ils ont si vilenement dépravé, falsifié et deschiré par pièces toute l’Escriture ? qui monstre bien qu’ils ne s’en sont faits que mocquer : ce que j’ay descouvert ci-dessus autant qu’il estoit besoin. Quoy qu’il en soit nous ne pourrons autrement discerner entre les Conciles qui se contrarient l’un à l’autre, comme il y en a plusieurs, sinon en les examinant tous par la Parole de Dieu, qui est la balance à laquelle sont sujets non-seulement les hommes, mais aussi les Anges. Pour ceste cause nous rejetions le Concile second d’Ephèse, et approuvons celuy de Chalcédoine, pource qu’au premier l’impiété d’Eutyches a esté confermée, laquelle a esté condamnée au second. Et de faict les Pères qui ont assisté au Concile de Chalcédoine, n’ont prins leur jugement que de la Parole de Dieu. Pourtant nous les ensuyvons avec telle condition que nous avons la Parole de Dieu pour nous esclairer : selon laquelle ils se sont aussi conduits. Voysent maintenant les Romanisques ; et qu’ils se vantent, comme ils ont accoustumé, que le sainct Esprit soit lié et attaché à leurs Conciles.
4.9.10
Combien que mesmes aux anciens Conciles qui sont les plus purs, il y a quelque chose à redire : ou à cause que les Evesques qui estoyent pour lors, combien, qu’ils fussent gens sçavans et prudens, toutesfois estans empeschez aux matières pour lesquelles ils estoyent assemblez, ne regardoyent pas beaucoup d’autres choses : ou qu’estans occupez en grans affaires, ils ne prenoyent esgard à ceux qui estoyent de moindre importance : ou qu’ils pouvoyent faillir par ignorance : ou bien qu’aucunesfois ils estoyent trop ardens en leurs affections. Ceste dernière raison pourroit sembler la plus dure ; toutesfois nous en avons un exemple notable au premier Concile de Nice, duquel la dignité a esté prisée par-dessus tous autres. Car les Evesques qui estoyent là venus pour défendre le principal point de nostre foy, combien qu’ils veissent Arrius en leurs présences prest de batailler, et que pour le convaincre il leur fust nécessaire de bien accorder ensemble : néantmoins comme s’ils fussent là venus de propos délibéré pour luy faire plaisir, ne se soucians point en quel danger estoit l’Eglise, commencèrent à se mordre, accuser et injurier l’un l’autre, à présenter libelles diffamatoires, ausquels toute leur vie estoit traduite : brief, ils laissoyent Arrius pour se desfaire eux-mesmes. Et estoyent d’une telle intempérance acharnez ensemble, qu’il n’y eust jamais eu fin à leurs contentions, si Constantin Empereur, protestant qu’il ne vouloit point estre le juge, n’eust réprimé leurs débats. Combien est-il plus vray-semblable, que les autres Conciles qui depuis se sont ensuyvis, ayent peu avoir quelque faute ? Cela n’a point mestier de longue probation : car quiconques lira les actes des Conciles anciens, y trouvera beaucoup d’infirmité ; je ne di non plus.
4.9.11
Et de faict, Léon Evesque de Rome n’a point douté d’arguer le Concile de Chalcédoine d’ambition et de témérité inconsidérée, combien qu’il le confesse estre sainct et chrestien quant à la doctrine. Il ne nie pas que ce soit un Concile légitime : mais il dit plat et court, qu’il a peu errer. Il semblera advis à quelqu’un que je soye mal advisé, de mettre peine à monstrer tels erreurs, veu que les Papistes mesmes confessent que les Conciles peuvent errer aux choses qui ne sont point nécessaires à salut. Mais ce que je di n’est point superflu. Car combien que les Papistes, quand on les contraint par vives raisons, confessent cela de bouche : toutesfois puis qu’ils veulent que nous recevions indifféremment et sans exception, pour révélation du sainct Esprit tout ce qui aura esté déterminé aux Conciles, en quelque affaire que ce soit, ils requièrent de faict plus qu’ils ne disent de paroles. En faisant ainsi où tendent-ils, sinon d’obtenir que les Conciles ne peuvent errer ? ou bien s’ils errent, qu’il n’est point licite de veoir la vérité, ou ne point consentir aux erreurs ? La fin de mon intention est de monstrer que le sainct Esprit a tellement gouverné les bons Conciles et chrestiens, qu’il a néantmoins permis qu’il y eust quelque infirmité humaine meslée : afin de nous apprendre qu’il ne nous faut point trop fier aux hommes. Ceste sentence est beaucoup plus douce que le dire de Grégoire Nazianzène, asçavoir que jamais il n’a veu bonne issue d’aucun Concile. Car en affermant que tous sans exception ont eu mauvaise fin, il ne leur laisse guères d’authorité. Il n’est jà mestier de faire plus mention à part des Conciles provinciaux, d’autant qu’il est aisé de juger par ce qui a esté dit, quelle authorité ils doyvent avoir pour bastir articles de foy, et faire recevoir telle doctrine qu’il semblera bon à quelque nombre d’Evesques, si tost qu’ils seront assemblez en un lieu.
4.9.12
Or nos Romanisques se voyans destituez de toute aide de raison, recourent finalement à ce dernier et malheureux refuge : c’est qu’encores qu’ils soyent ignorans et pervers, néantmoins la Parole de Dieu demeure, laquelle commande d’obéir à nos supérieurs. Mais que sera-ce, si je nie que ceux qui sont tels soyent nos supérieurs ? Car ils ne doyvent point plus usurper de dignité qu’en a eu Josué, lequel estoit Prophète de Dieu, et excellent Pasteur. Or oyons avec quelles paroles il a esté ordonné en son office de par le Seigneur : Que le livre de la Loy, dit-il, ne soit jamais eslongné de tes yeux : mais que tu médites en iceluy nuict et jour. Tu ne déclineras ni à dextre ni à senestre, et lors tu chemineras droictement Jos. 1.7-8. Nous tiendrons doncques pour nos Prélats spirituels ceux qui ne déclineront de la Loy de Dieu ne d’un costé ne d’autre. Que s’il faloit indifféremment recevoir la doctrine de tous Pasteurs, quel mestier estoit-il que fussions si souvent et tant songneusement advertis par la Parole de Dieu, de n’escouter la doctrine des faux Prophètes et des faux Pasteurs ? N’escoutez point, dit-il par Jérémie, les paroles des Prophètes qui vous prophétisent : car ils vous enseignent mensonges, et vous annoncent la vision de leur cœur, non pas ce qui est procédé de la bouche de Dieu Jér. 23.16. Item, Gardez-vous des faux Prophètes qui vienent à vous en habits de brebis : mais par dedans sont loups ravissans Mat. 7.15. Sans propos sainct Jehan nous eust admonestez d’esprouver les esprits, pour sçavoir s’ils sont de Dieu 1Jean 4.1. De laquelle espreuve ne doyvent estre exempts les mensonges du diable, puis que les Anges mesmes de Paradis y sont sujets. D’avantage, ceste parole de nostre Seigneur, c’est asçavoir que si un aveugle meine l’autre, tous deux chéent en la fosse Matt. 15.14 : ne nous monstre-elle point assez qu’il y a bien à regarder quels Pasteurs on escoute, et qu’il n’est pas bon de légèrement les escouter tous Gal. 1.8. Parquoy ils ne nous peuvent estonner de leurs tiltres d’authorité, pour nous attirer en leur aveuglement : puis que nous voyons au contraire le soin qu’a nostre Seigneur de nous donner terreur, à ce que ne nous laissions point aisément mener par l’erreur d’autruy, sous quelque masque et grand nom qu’il soit caché. Car si la response de Jésus-Christ est véritable, tous les conducteurs aveugles, soit qu’ils soyent nommez Evesques, Prélats ou Pontifes, ne pourroyent autre chose que tirer en une mesme ruine tous ceux qui les suyvront. Pourtant, que d’oresenvant ces noms de Conciles, d’Evesques et de Prélats, lesquels se peuvent aussi tost faussement prétendre qu’usurper à bon droict, ne nous empeschent point que nous n’examinions tous esprits à la reigle de la Parole de Dieu, pour esprouver s’ils sont de Dieu.
4.9.13
Puis que nous avons monstré que l’Eglise n’a pas puissance de forger doctrine nouvelle, disons maintenant de la puissance que luy attribuent les Papistes en l’interprétation de l’Escriture. Certes nous confessons très-volontiers, que s’il se lève dispute de quelque article, il n’y a meilleur remède ne plus certain, que d’assembler un Concile de vrais Evesques pour en faire la discussion. Car une telle décision, qui aura esté faite en commun et d’un accord par les Pasteurs des Eglises, après avoir demandé la grâce du sainct Esprit, aura beaucoup plus de poids, que si chacun d’eux à part en prenoit sa résolution pour la prescher au peuple : combien que seulement deux ou trois la feissent. D’avantage, quand les Evesques sont ensemble, ils ont plus de commodité de conférer et regarder que c’est qu’ils doyvent enseigner, et en quelle forme, pour avoir conformité, afin que la diversité n’engendre scandale. Tiercement, sainct Paul nous monstre que c’est l’ordre qu’il faut tenir pour juger des doctrines 1Cor. 14.29. Car entant qu’il attribue à chacune Eglise l’office de juger, il démonstre bien par cela comment on y doit procéder si la chose vient plus avant : asçavoir que les Eglises se conjoignent pour en cognoistre. Et la raison aussi nous meine là, que si quelqu’un trouble une Eglise en semant une doctrine incognue et qui ne soit point en usage, et que la chose viene jusques-là, qu’on craigne qu’une plus grosse dissension ne s’ensuyve, les Eglises s’assemblent pour examiner la question : et après en avoir débatu, qu’elles donnent une résolution prinse de l’Escriture, laquelle oste toute doute au populaire, et ferme la bouche à ceux qui demandent d’esmouvoir noise et troubles par leur ambition ou orgueil. En ceste manière, quand Arrius se leva, le Concile de Nice fut tenu : afin que par l’authorité commune de tous les Evesques, l’audace de ce meschant homme fust réprouvée, et que les Eglises qu’il avoit troublées fussent remises en leur estat, et que son hérésie fust exterminée, comme il en adveint, quelque temps après pource qu’Eunome et Macédone autres hérétiques esmouvoyent autre contention, on leur résista par un semblable remède en assemblant le Concile de Constantinoble. Le Concile premier d’Ephèse fut tenu pour destruire l’erreur de Nestorius. Brief, c’a esté la façon ordinaire de conserver l’unité des Eglises, depuis le commencement, toutes fois et quantes que le diable avoit commencé de machiner quelque chose. Mais nous avons à noter qu’on n’a point en tous lieux ni en tous temps des Athanases, des Basiles, et des Cyrilles, et autres semblables défenseurs de la vraye doctrine comme nostre Seigneur les avoit adoncques suscitez. Mesmes qu’il nous souviene de ce qui adveint au Concile second d’Ephèse, où l’hérésie eutychienne fut receue, et Flavien sainct Evesque banny avec ses adhérens, d’autant qu’il y résistoit : et beaucoup d’autres méchancetez commises : asçavoir, d’autant que Dioscore homme séditieux et de mauvais courage présidoit là, et non point l’Esprit de Dieu. Mais quelqu’un me dira que ce n’estoit point l’Eglise, Je le confesse ; car j’ay cela tout persuadé, que la vérité ne meurt point, et n’est pas esteinte en l’Eglise, encores qu’elle soit oppressée en un Concile : mais qu’elle est miraculeusement conservée de Dieu, afin de se remettre au-dessus en son temps. Mais je nie que cela soit perpétuel, de dire que toute interprétation qui aura esté approuvée en un Concile, soit pourtant vraye et convenante à l’Escriture.
4.9.14
Mais les Romanisques tendent à autre fin, en voulant que les Conciles ayent puissance souveraine d’interpréter l’Escriture, et sans appel : car ils abusent de ceste couverture pour appeler Interprétation de l’Escriture, tout ce qui a esté déterminé en un Concile. Touchant du purgatoire, de l’intercession des saints, de la confession secrète, et de toutes telles fariboles, on n’en trouvera point une seule syllabe en l’Escriture. Mais pource que toutes ces choses ont esté définies par l’authorité de l’Eglise, comme ils le disent, c’est-à-dire, pour parler plus à la vérité, qu’elles ont esté receues par opinion et par usage, il les faudra tenir pour interprétations de l’Escriture. Et non-seulement cela, mais si un Concile a rien ordonné directement répugnant à l’Escriture, cela mesmes aura le tiltre d’interprétation. Jésus-Christ commande à tous de boire du calice en sa Cène Matt. 26.27 : le Concile de Constance a défendu de le donner au peuple, et a voulu que le seul prestre qui célèbre la Messe en beust. Ils veulent que nous tenions pour interprétation de l’Escriture, une chose qui est si évidemment contraire à l’institution de Jésus-Christ. Sainct Paul appelle la défense du mariage, Hypocrisie des diables 1Tim. 4.1-3 : et en un autre lieu le sainct Esprit prononce que le mariage est sainct et honorable en tous estats Héb. 13.4 : Ce que le mariage a esté depuis défendu aux Prestres, ils veulent que cela soit pour interprétation de l’Escriture, combien qu’on ne puisse rien imaginer plus contraire. Si quelqu’un ose ouvrir la bouche pour sonner mot, il est jugé hérétique, d’autant que la détermination de l’Eglise est sans appel : et qu’on ne doit douter que toute interprétation qu’elle fait ne soit vraye. Qu’est-ce que je crierai contre une telle impudence ? Car il suffit de l’avoir démonstrée. Touchant ce qu’ils babillent, que l’Eglise a puissance d’approuver l’Escriture : je me déporte d’en traitter, pour cause. Car d’assujetir ainsi la sagesse de Dieu à la censure des hommes, qu’elle n’ait authorité sinon entant qu’il leur plaist, c’est un blasphème indigne d’estre mentionné. D’avantage, j’en ay touché ci-dessus au premier livre. Seulement je leur demanderay une question : Si l’authorité de l’Escriture est fondée en l’approbation de l’Eglise, quel décret de Concile ils me peuvent alléguer de cela. Je pense qu’ils n’en ont nul. Comment doncques Arrius souffroit-il d’estre vaincu à Nice par les tesmoignages qu’on luy alléguoit de l’Evangile de sainct Jehan ? Car selon ceste raison des papistes, il les pouvoit répudier, veu qu’il n’y en avoit encores approbation aucune de Concile universel. Ils allèguent un rolle ancien, qui se nomme le Canon de l’Escriture, lequel ils disent estre procédé de la définition de l’Eglise. Mais je demande derechef, en quel Concile ce Canon-là a esté composé. Yci il faut qu’ils demeurent muets. Combien que je voudroye encores sçavoir plus outre, quel ils pensent que soit ce Canon : car je voy que cela n’estoit point arresté entre les Anciens. Si ce que dit sainct Hiérosme a lieu[a] nous tiendrons pour Apocryphes les livres des Machabées, l’histoire de Tobie, l’Ecclésiastique, et autres livres semblables. Ce que toutesfois ces bonnes gens ne veulent point permettre.
[a] Praefat. in libros Salom.
Chapitre X
De la puissance de l’Eglise à faire et ordonner loy : en quoy le Pape avec les
siens ont exercé une cruelle tyrannie et géhenne sur les âmes.
4.10.1
S’ensuyt la seconde partie de l’authorité de l’Eglise, laquelle les Papistes veulent estre située à imposer loix à leur poste. De ceste source sont venues infinies traditions, lesquelles ont esté autant de cordeaux pour estrangler les povres âmes. Car ils ne font point plus de scrupule que les Scribes et Pharisiens, de mettre sur les espaules du peuple fardeaux importables, lesquels ils ne voudroyent toucher d’un doigt Matt. 23.4 ; Luc 11.46. J’ay desjà remonstré ailleurs quelle et combien cruelle torture contient ce qu’ils commandent à chacun, de confesser tous ses péchez à l’aureille d’un Prestre. Il n’y apparoist pas en toutes leurs autres loix une violence si énorme. Mais celles qui semblent les plus supportables ne laissent point d’opprimer tyranniquement les consciences. Je me déporte de dire qu’elles abastardissent le service de Dieu, et ravissent à Dieu mesme le droict qui luy appartient d’estre seul Législateur. Voyci doncques l’argument que nous avons maintenant à traitter, S’il est licite à l’Eglise d’astreindre les consciences aux loix qu’elle voudra faire. En ceste dispute nous ne touchons point à l’ordre qui sert à la police : mais seulement il est question que Dieu soit purement et deuement servi selon qu’il a commandé, et que la liberté spirituelle nous demeure sauve. L’usage commun de parler est tel, que tous édits procédez des hommes touchant le service de Dieu, soyent nommez traditions humaines. C’est contre telles loix que nous avons à combatre, non pas contre les sainctes ordonnances et utiles, qui servent à garder modestie et honnesteté, ou nourrir la paix. La fin de combatre est de refréner l’empire tant excessif et barbare, que ceux qui veulent estre réputez Pasteurs ont usurpé sur les povres âmes, desquelles ils sont vileins bourreaux. Car ils veulent que les loix qu’ils font soyent spirituelles, et qu’elles appartienent à l’âme : affermans qu’elles sont nécessaires à la vie éternelle. En quoy est assailly et violé le royaume de Christ : et la liberté donnée de luy aux consciences des fidèles, opprimée et abatue. Je laisse maintenant à dire sur quelle impiété ils fondent l’observance de leurs loix, disans que par là nous acquérons rémission des péchez et justice : en mettant en icelles toute la somme de religion. Pour le présent je débatray seulement ce point, qu’on ne doit imposer nécessité aux consciences és choses desquelles elles sont affranchies par Jésus-Christ : et sans laquelle franchise (comme nous avons ci-devant enseigné) elles ne peuvent avoir repos envers Dieu. Il faut qu’elles recognoissent pour leur Roy un seul Christ, et pour libérateur : et qu’elles soyent gouvernées par la seule loy de liberté, qui est la sacrée parole de l’Evangile, si elles veulent retenir la grâce qu’elles ont une fois obtenue en Jésus-Christ : et qu’elles ne soyent assujeties à servitude aucune, ne captivées sous quelques liens.
4.10.2
Ces législateurs font bien semblant que leurs constitutions sont loix de liberté, un joug gracieux et fardeau léger. Mais qui est-ce qui ne voit que ce sont purs mensonges ? Touchant d’eux, ils n’ont garde de sentir la pesanteur de leurs loix : veu qu’ayans rejetté toute crainte de Dieu, ils contemnent aussi hardiment leurs loix que celles de Dieu. Mais ceux qui sont touchez de quelque soin de leur salut, sont bien loing de s’estimer libres ce pendant qu’ils sont estreints de leurs liens. Nous voyons combien songneusement a évité sainct Paul de charger les consciences, jusques à n’oser en une seule chose les lier 1Cor. 7.35. Et non sans cause. Certes il cognoissoit que c’estoit une playe mortelle faite aux consciences, si on leur imposoit nécessité des choses desquelles la liberté leur avoit esté laissée de Dieu. Au contraire, à grand’peine pourroit-on nombrer les constitutions que ceux-ci ont rigoureusement publiées sur peine de damnation éternelle, et lesquelles ils exigent en toute extrémité comme nécessaires à salut. Or il y en a beaucoup fort difficiles à garder : mais si on les amasse en un, l’observation en sera du tout impossible : telle en est la quantité. Comment doncques se pourra-il faire, que ceux qui sont chargez d’un si gros fais et pesant, ne soyent tormentez d’horribles angoisses et perplexité ? Je di doncques derechef que mon intention est de combatre yci contre telles loix qui se bastissent et se mettent sus, pour lier les âmes devant Dieu, et les envelopper de scrupules : comme si tout ce qu’elles contienent devoit estre observé de nécessité.
4.10.3
Plusieurs se trouvent empeschez en ceste question, pource qu’ils ne distinguent pas assez subtilement entre le siège judicial de Dieu, qui est spirituel, et la justice terrestre des hommes. La difficulté leur est encores augmentée, de ce que sainct Paul commande d’obéir aux Magistrats, non-seulement pour crainte d’estre puny, mais aussi pour la conscience Rom. 13.1-5. Dont il s’ensuyt que les consciences sont aussi bien sujettes aux loix civiles. Si ainsi est, ce que nous avons desjà dit au chapitre prochain, et ce qui nous reste à dire touchant le régime spirituel, seroit mis à néant. Pour soudre ce nœud, il nous est besoin de sçavoir en premier lieu, que c’est que Conscience. Ce qui se peut en partie tirer du mot. Car Science est l’appréhension ou notice de ce que les hommes cognoissent, selon l’esprit qui leur est donné. Quand doncques ils ont un sentiment et remors du jugement de Dieu, comme un tesmoin qui leur est apposé pour ne point souffrir qu’ils cachent leurs péchez, mais les attirer et soliciter au jugement de Dieu, cela est nommé Conscience. Car c’est une cognoissance moyenne entre Dieu et l’homme, laquelle ne permet point à celuy qui voudroit supprimer ses fautes, de s’oublier : mais le poursuyt à luy faire sentir qu’il est coulpable. C’est ce qu’entend sainct Paul, en disant que la conscience atteste aussi avec les hommes quand leurs pensées les condamnent ou absoudent devant Dieu Rom. 2.15. Une simple cognoissance et nue pourroit estre en un homme comme estouffée. Parquoy ce sentiment qui adjourne et attire l’homme au siège judicial de Dieu, est comme une garde qui luy est donnée pour l’esveiller et espier, et pour descouvrir tout ce qu’il seroit bien aise de cacher s’il pouvoit. Et voylà dont est venu le proverbe ancien, Que la conscience est comme mille tesmoins. Par une mesme raison sainct Pierre met la response de bonne conscience 1Pi. 3.21 pour un repos et tranquillité d’esprit, quand l’homme fidèle s’appuyant en la grâce de Christ, se présente hardiment devant la face de Dieu. Et l’Apostre en l’Epistre aux Hébrieux, disant que les fidèles n’ont plus de conscience de péché Héb. 10.2, signifie qu’ils en sont délivrez et absous, pour n’avoir plus de remors qui les rédargue.
4.10.4
Parquoy comme les œuvres ont leur regard aux hommes, aussi la conscience a Dieu pour son but : tellement que bonne conscience n’est sinon une intégrité intérieure du cœur. Et c’est à ce propos que sainct Paul dit que l’accomplissement de la Loy est charité, de conscience pure et de foy non feinte 1Tim. 1.5. En un autre lieu il monstre en quoy elle diffère de simple sçavoir, disant qu’aucuns sont décheus de la foy, pource qu’ils s’estoyent destournez de bonne conscience. Car par ces mots il signifie que c’est une affection vive d’honorer Dieu, et un droict zèle de vivre purement et sainctement. Quelquesfois le nom de Conscience s’approprie à ce qui concerne les hommes : comme quand sainct Paul dit aux Actes, qu’il a mis peine de cheminer tant envers Dieu qu’envers les hommes en bonne conscience Actes 24.16 : mais cela s’entend d’autant que les fruits extérieurs qui en procèdent parvienent jusques aux hommes. Mais à parler proprement, la conscience, comme j’ay dit, a son but et addresse à Dieu. Parquoy nous disons qu’une loy lie les consciences, quand elle oblige simplement et du tout l’homme, sans avoir regard aux prochains, mais comme s’il n’avait affaire qu’à Dieu. Exemple : Dieu nous commande non-seulement d’avoir le cœur pur de toute impudicité, mais aussi de nous garder de toutes paroles vilenes et dissolutions tendantes à incontinence. Quand il n’y auroit homme vivant sur la terre, je suis tenu en ma conscience de garder telle loy. Parquoy si je me desborde à quelque impudicité, je ne pèche pas seulement en ce que je donne scandale à mes frères, mais je suis coulpable devant Dieu, comme ayant transgressé ce qu’il m’avoit détendu entre luy et moy. Il y a une autre considération quant aux choses indifférentes : car il nous en faut abstenir entant que nous pourrions offenser nos frères, mais c’est avec conscience franche et libre. Comme sainct Paul le monstre, parlant de la chair consacrée aux Idoles : Si quelqu’un, dit-il, en fait scrupule, n’en mange point à cause de la conscience : non pas de la tiene, mais de celle de ton prochain 1Cor. 10.28-29. L’homme fidèle qui seroit adverty, pécheroit, scandalisant son prochain par son manger : mais combien que Dieu luy commande de s’abstenir pour l’amour de son prochain de manger de telle viande, et qu’il luy soit nécessaire de s’y assujetir, toutesfois la conscience ne laisse pas d’estre tousjours en liberté. Nous voyons doncques comme ceste loy n’impose sujétion sinon à l’œuvre extérieure : et ce pendant laisse la conscience libre.
4.10.5
Revenons maintenant aux loix humaines. Si elles tendent à ceste fin de nous assujetir, comme s’il estoit nécessaire de les observer, voire d’une nécessité simple et précise : nous disons que les consciences sont chargées outre raison, d’autant qu’elles doyvent estre régies et reiglées par la seule Parole de Dieu, comme elles ont à faire à luy et non pas aux hommes. Et de faict, tel a esté le sens de ceste distinction vulgaire qu’on a tenue par toutes les escholes : que c’est autre chose des jurisdictions humaines et politiques, que de celles qui touchent à la conscience. Combien que le monde ait esté plongé en horribles ténèbres d’ignorance, si est-ce que tousjours ceste petite estincelle est demeurée de reste, qu’il y avoit une jurisdiction à part pour la conscience, qui estoit pardessus les hommes. Vray est que ceux qui confessoyent cela en un mot, le renversoyent puis après : si est-ce toutesfois que Dieu a voulu qu’il y demeurast tousjours quelque tesmoignage de la liberté chrestienne, pour exempter les consciences de la tyrannie des hommes. Mais la difficulté que nous avons esmeue ci-dessus n’est point encores solue. Car s’il faut obéir aux Princes non-seulement pour la punition, mais pour la conscience : il s’ensuyt de là, comme il semble, que les loix des Princes dominent sur les consciences pour les tenir bridées. Or si cela est vray, il en faudra autant dire des loix ecclésiastiques. Je respon qu’en premier lieu il convient distinguer entre le genre et les espèces. Car combien que chacune loy en particulier n’oblige point la conscience, toutesfois nous sommes tenus de les garder en général par le commandement de Dieu, qui a approuvé et estably l’authorité des Magistrats. Et voylà sur quoy sainct Paul insiste en toute sa dispute ; c’est qu’il nous faut honorer les Magistrats, d’autant qu’ils sont ordonnez de Dieu Rom. 13.1. Ce pendant il n’enseigne pas que les loix ou statuts qu’ils font appartienent au régime spirituel des âmes, veu que par tout il maintient que le service de Dieu est la reigle de bien et sainctement vivre. Quant à la spiritualité, qu’on appelle, elle est pardessus tout décret et statut des hommes. Il y a un autre second point à noter, qui dépend du premier : c’est que toutes loix humaines (j’enten celles qui sont droictes et justes) ne lient point la conscience, pource que la nécessité de les observer ne gist point aux choses qu’elles commandent, comme si c’estoit péché de soy, faire ceci ou cela : mais que le tout se doit rapporter à la fin générale, c’est qu’il y ait bon ordre et police entre nous. Or toutes loix qui déterminent quelque façon de servir à Dieu outre sa Parole, ou celles qui imposent une nécessité précise, quant aux choses libres et indifférentes, sont bien loing d’une telle fin.
4.10.6
Or telles sont toutes les constitutions qui sont aujourd’huy nommées en la Papauté, Ecclésiastiques, lesquelles ils disent estre nécessaires pour bien honorer et servir Dieu. Et selon qu’elles sont innumérables, aussi ce sont autant de liens pour captiver les âmes. Combien que nous en ayons briefvement touché en exposant la Loy, toutesfois pource que ce lieu est plus propre à en traitter tout au long, je m’estudieray de recueillir en somme ce qui en est, et le déduire par le meilleur ordre que faire se pourra. Et pource que nous avons aussi n’aguères suffisamment parlé de la licence que s’attribuent les faux Evesques, touchant d’enseigner telle doctrine et forger tels articles de foy que bon leur semble : je laisseray pour le présent toute ceste matière, et insisteray seulement à parler de la puissance qu’ils se vantent avoir pour faire loix et constitutions. Voylà doncques la couleur qu’a eue le Pape et tous ses Evesques cornus, de charger les consciences de nouvelles loix : c’est qu’ils sont ordonnez du Seigneur législateurs spirituels, entant que le gouvernement de l’Eglise leur est commis. Et pourtant tout ce qu’ils commandent et ordonnent, ils disent qu’il doit estre nécessairement observé par tout le peuple chrestien. Pourtant que celuy qui y aura contrevenu est coulpable de double désobéissance, entant qu’il est rebelle à Dieu et à l’Eglise. S’ils estoyent vrais Evesques, je leur concéderoye bien quelque authorité en cest endroict : non pas tant qu’ils en demandent, mais autant qu’il en seroit mestier pour entretenir la police de l’Eglise. Mais puis qu’ils ne sont rien moins que ce qu’ils veulent qu’on les répute, ils n’en sçauroyent si peu demander que ce ne soit trop. Toutesfois pource que nous avons jà démonstré quels ils sont, et en quelle estime on les doit avoir, ottroyons-leur pour le présent que tout ce qu’ont les vrais Evesques de puissance leur compète. Mettant ce cas, je nie toutesfois qu’ils soyent ordonnez comme législateurs sur les fidèles, pour constituer reigle de vivre à leur plaisir, ou contraindre le peuple à garder leurs statuts et décrets. Quand je di cela, j’enten qu’il ne leur est nullement licite de commander à l’Eglise d’observer ce qu’ils auront d’eux-mesmes estably sans la Parole de Dieu, en y mettant nécessité. Puis que ceste puissance a esté incognue des Apostres, et que si souvent Dieu l’a interdite par sa propre bouche aux ministres de son Eglise Esaïe 29.14, je m’esbahi comment ils l’ont osée usurper contre la défense de Dieu si manifeste, et encores plus de ce qu’ils l’osent aujourd’hui maintenir.
4.10.7
Le Seigneur a tellement comprins en sa Loy tout ce qui appartenoit à la reigle parfaite de bien vivre, qu’il n’a rien laissé aux hommes à y adjouster : ce qu’il a fait pour deux causes. La première est, que d’autant que toute saincteté et justice est située en cela, que nostre vie soit rangée à sa volonté, comme à une reigle unique de toute droicture, c’est bien raison que luy seul ait la maistrise et le gouvernement sur nous. La seconde est qu’il a voulu monstrer qu’il ne requiert rien de nous plus qu’obéissance. Suyvant ceste raison sainct Jaques dit, Qui juge son frère, il juge la Loy : et qui juge la Loy, il n’en est point observateur, mais en est supérieur. Or il y a un seul Législateur qui peut sauver et damner Jacq. 4.11-12. Nous oyons comment Dieu s’attribue cela comme un privilège particulier, de nous régir sous son empire et par ses loix. Ceste sentence mesme avoit esté dite au paravant d’Isaïe, Le Seigneur est nostre Roy, le Seigneur est nostre Législateur, le Seigneur est nostre Juge, il nous sauvera Esaïe 33.22. Certes en tous les deux passages il est monstré que Dieu seul a la vie et la mort en sa main, d’autant qu’il a l’authorité sur l’âme. Et mesmes sainct Jaques le prononce ainsi tout clairement. Pourtant nul homme ne peut usurper un tel droict. Dont il s’ensuyt qu’il faut tenir Dieu pour le seul Roy de nos âmes, lequel seul ait la puissance de sauver et damner : ou comme chantent les paroles d’Isaïe, il le faut recognoistre pour Roy, Juge, Législateur et Sauveur. Pourtant sainct Pierre en advertissant les Pasteurs de leur office, les exhorte de tellement paistre le troupeau, qu’ils n’exercent point domination sur les héritages 1Pi. 5.2-3. Par lequel mot il signifie le peuple de Dieu, qu’il a acquis comme sa propre possession. Si nous considérons bien ce point, qu’il n’est point licite de transférer à l’homme mortel ce que Dieu s’approprie à soy, nous entendrons que toute l’authorité que s’attribuent ceux qui se veulent eslever pour assujetir l’Eglise à leurs propres statuts, est retranchée par ce moyen.
4.10.8
Or pource que toute ceste question dépend de là, que si Dieu seul est nostre Législateur, il n’est pas licite à l’homme mortel d’usurper ceste dignité, il nous faut avoir en mémoire les deux raisons que nous avons amenées, pourquoy c’est que Dieu s’attribue cela à luy seul. La première est, à ce que sa volonté soit tenue comme une reigle parfaite de toute justice et saincteté : et pourtant, que la science de bien vivre soit de cognoistre ce qu’il luy plaist. La seconde est, que touchant la façon de le bien et deuement servir, il soit recognu pour seul supérieur de nos âmes, ayant l’authorité de commander, et que nostre devoir soit de luy obéir. Quand ces deux raisons seront imprimées en nostre mémoire, il nous sera facile de discerner quelles constitutions des hommes sont contraires à la Parole de Dieu : asçavoir toutes celles lesquelles on dit appartenir à vrayement servir Dieu, et ausquelles garder on astreint les consciences, comme si elles estoyent nécessaires. Qu’il nous souviene doncques de poiser tous les statuts et décrets des hommes en ceste balance, si nous voulons avoir un certain examen et infallible. Sainct Paul en l’Epistre aux Colossiens s’arme de la première raison, combatant contre les faux prophètes qui vouloyent imposer nouvelles charges sur les Eglises Col. 2.8. En l’Epistre aux Galatiens, il insiste plus en la seconde, ayant toutesfois une semblable cause à démener. Il dispute doncques en l’Epistre aux Colossiens qu’il ne faut point prendre des hommes la doctrine du vray service de Dieu, veu qu’il nous a fidèlement et suffisamment instruit comment nous le devons servir. Pour démonstrer cela, il traitte au chapitre Ier comment toute la sagesse laquelle ameine l’homme à perfection devant Dieu, est contenue en l’Evangile. Au commencement du chapitre II, il testifie que tous les thrésors de sagesse et intelligence sont cachez en Christ Col. 2.3. De là il conclud que les fidèles se doyvent bien gardey d’estre distraits du troupeau de Christ par une vaine philosophie, selon les constitutions des hommes. Puis en la fin du chapitre il passe encores outre, condamnant tous services de Dieu volontaires, comme il les appelle, c’est-à-dire que les hommes auront controuvez d’eux-mesmes, ou prins des autres : et en général tous commandemens inventez des hommes pour servir Dieu. Nous avons doncques ce point gaigné, que toutes constitutions : en l’observation desquelles ont fait à croire que le service de Dieu est situé, sont meschantes. Touchant des argumens dont il use en l’Epistre aux Galatiens, pour monstrer qu’il n’est pas licite d’assujetir les consciences, lesquelles doyvent estre gouvernées de Dieu seul Gal. 5.1, chacun les peut entendre en les lisant : principalement je renvoyé les lecteurs au chapitre V.
4.10.9
Mais pource que toute ceste matière sera mieux liquidée par exemples, il sera bon devant que procéder outre, d’accomoder ceste doctrine à nostre temps. Nous disons que les constitutions desquelles le Pape avec sa bande charge l’Eglise, sont pernicieuses et meschantes. Les Papistes les maintienent estre sainctes et utiles. Or il y en a deux espèces : car les unes sont des cérémonies, les autres regardent plus à la discipline. Advisons doncques si nous avons juste cause qui nous meine à les réprouver tant les unes que les autres. Certes il y en a plus que je ne voudroye : premièrement ceux qui les font ne maintienent-ils pas haut et clair que le vray service de Dieu y est comprins ? A quelle fin rapportent-ils leurs cérémonies, sinon à ce que Dieu soit servy par icelles ? Et cela ne se fait point seulement par les idiots et commun populaire, mais par l’approbation de ceux qui sont les gouverneurs et prélats. Je ne touche point encores aux énormes abominations, par lesquelles ils se sont efforcez de renverser toute piété : mais il est certain qu’ils ne feroyent pas des crimes mortels et irrémissibles, d’estre contrevenu à la moindre tradition de celles qu’ils ont forgées, s’ils n’assujetissoyent le service de Dieu à leurs inventions propres. En quoy doncques faillons-nous, si nous ne pouvons aujourd’huy porter ce que sainct Paul dit n’estre point tolérable : asçavoir qu’il ne faut point compasser le service de Dieu au plaisir des hommes : principalement quand ils commandent qu’on le serve en rudimens puériles, c’est-à-dire en choses extérieures Col. 2.20 : ce que sainct Paul dit estre répugnant à Christ. D’avantage, il est assez notoire comment ils astreignent les consciences à observer d’une rigueur extrême tout ce qu’ils commandent. Quand nous contredisons à cela, nous avons sainct Paul adjoinct avec nous en la mesme cause : lequel ne permet nullement que les consciences des fidèles soyent submises à la servitude des hommes Gal. 5.1.
4.10.10
D’avantage il y a encores pis, c’est que depuis qu’on a une fois commencé de constituer la religion en ces vaines traditions, il s’ensuyt incontinent après ceste perversité une autre malédiction exécrable, laquelle Christ reprochoit aux Pharisiens ; c’est asçavoir que le commandement de Dieu est mesprisé et anéanty pour garder les préceptes des hommes Matt. 15.3. Je ne combatray point de mes paroles contre nos législateurs qui sont à présent. Je leur donne la victoire, s’ils se peuvent excuser que ceste accusation de Christ ne s’addresse point à eux. Mais comment s’en excuseroyent-ils, veu que c’est cent fois plus horrible péché en eux, de ne s’estre confessé une fois l’an en l’aureille d’un Prestre, que d’avoir mené meschante vie tout au long de l’année ? avoir touché de la chair au bout de la langue au vendredi, que d’avoir souillé tous ses membres chacun jour par paillardise ? avoir mis la main à quelque ouvrage utile et honneste de soy en un jour de feste dédié à quelqu’un de leurs saints canonisez à leur poste, que d’avoir tout au long de la sepmaine employé tout son corps à meschans actes ? un Prestre estre conjoinct en mariage légitime, que d’estre entaché de mille adultères ? de ne s’estre point acquitté d’un vœu de pèlerinage, que de rompre sa foy en toutes promesses ? n’avoir point employé son argent aux pompes désordonnées de leurs Eglises, que d’avoir délaissé un povre en une extrême nécessité ? avoir passé par-devant une idole sans oster son bonnet, que d’avoir contemné tous les hommes du monde ? n’avoir point barboté à certaines heures longues paroles sans sens, que de n’avoir jamais prié en vraye affection ? Qu’est-ce anéantir le commandement de Dieu pour ses traditions, si cela ne l’est ? c’est asçavoir quand froidement et comme par acquit recommandans l’observance des commandemens de Dieu, ils requièrent une entière obéissance des leurs avec un si grand soin : comme si toute la venu de piété y estoit située ? Quand punissans la transgression de la Loy de Dieu par amendes de légères satisfactions, ils ne punissent de moindre peine la trangression d’un de leurs décrets que par prison, feu, ou glaive ? Quand estans assez faciles à pardonner aux contempteurs de Dieu, ils poursuyvent leurs contempteurs d’une haine inexorable jusqu’à la mort ? Et quand ils instruisent tellement ceux lesquels ils tienent captifs en ignorance, qu’ils aimeroyent mieux veoir toute la Loy de Dieu estre renversée, qu’un seul point des commandemens de l’Eglise, comme ils les appellent ? Premièrement, c’est trop desvoyé du droict chemin, que pour choses légères et (si on s’arrestoit au jugement de Dieu) indifférentes, l’un contemne, condamne et rejette l’autre. Maintenant (comme s’il n’y avoit point assez grand mal en cela) tels élémens frivoles de ce monde (comme sainct Paul les nomme Gal. 4.9) sont plus estimez, que les ordonnances célestes de Dieu. Celuy qui est absous en adultère, est condamné en son manger. Une femme légitime est défendue à celuy auquel est permise une paillarde. Voylà le fruit de ceste obéissance plene de prévarication, laquelle se recule autant de Dieu, qu’elle s’encline aux hommes.
4.10.11
Il y a encores deux autres vices â réprouver en ces constitutions, lesquels ne sont pas petis. Le premier est, qu’elles nous amusent à des observations pour la plus grand’part inutiles, et mesmes quelquesfois sottes et contre raison. Le second est, que la multitude en est si grande, que les consciences fidèles en sont oppressées et estans réduites à une espèce de Juifverie, s’arrestent tellement aux ombres, quelles ne peuvent venir à Christ. Ce que je les appelle inutiles et ineptes, je sçay bien que cela ne sera point croyable à la prudence charnelle. Car le sens naturel de l’homme y prend si grand plaisir, que quand on les oste il luy semble que toute l’Eglise est desfigurée : mais c’est ce que sainct Paul dit, qu’elles ont apparence de sagesse, à cause qu’il semble que Dieu y soit servy, et qu’elles nous exercent à humilité et à discipline Col. 2.23. Par cela il nous donne une admonition très utile, laquelle doit bien estre imprimée en nostre mémoire. Les constitutions humaines, dit-il, ont couleur de sagesse pour nous tromper. Si nous demandons quelle, il respond qu’entant qu’elles sont forgées des hommes, l’entendement humain recognoissant là ce qui est sien, le reçoit plus volontiers que ce qui seroit autrement très-bon, mais ne s’accorderoit pas si bien à sa folie et vanité. Il nous respond secondement, que c’est d’autant que nous pensons avoir en icelles une bonne instruction à humilité. Il respond finalement, que c’est d’autant qu’elles semblent advis appartenir à refréner les délices de la chair, d’autant qu’elles contienent quelque forme d’austérité. Mais quand il a tout dit, les accepte-il ? ou bien use-il de raisons pour descouvrir ceste fausse apparence ? Au contraire, pource qu’il estimoit que ce seul mot estoit suffisant pour les réprouver, que ce sont inventions controuvées des hommes, il ne daigne point les rédarguer plus amplement : ou bien, pource qu’il sçavoit que tous services de Dieu forgez à l’appétit des hommes, sont à rejetter en l’Eglise, et qu’ils doyvent estre d’autant plus suspects aux fidèles, qu’ils ont accoustumé de délecter les hommes : pource aussi qu’il sçavoit qu’il y a telle différence entre la vraye humilité et la fausse imitation d’icelle, qu’il est facile de discerner l’une de l’autre : finalement, pource qu’il sçavoit que ceste austérité dont il parle, ne doit estre tenue que pour un exercice corporel, il a nommé ces choses pour réfuter les traditions humaines entre les fidèles, combien que de là elles prenent toute leur dignité entre les hommes.
4.10.12
En ceste manière aujourd’huy non-seulement le commun populaire, mais ceux qui pensent estre bien sages selon le monde, prenent un merveilleux plaisir à user d’une grande pompe de cérémonies. Touchant des hypocrites et des sottes femmes qui sont bigotes de nature, il leur semble advis qu’il n’y a rien de plus beau ne de meilleur. Mais ceux qui espluchent de plus près, et considèrent mieux à la droicte reigle que c’est que tout cela vaut, entendent que tout cela n’est que fatras, d’autant qu’il n’en vient nul proufit. Secondement que ce sont abus et tromperies, d’autant que les yeux en sont esblouis pour mener l’homme en tout erreur. Je parle des cérémonies ausquelles les Romanisques font à croire qu’il y a de grans mystères cachez. Or nous expérimentons que ce n’est que dérision : et n’est point de merveilles que ceux qui les ont mises sus, sont tombez en ceste folie de s’amuser et décevoir les autres en tels badinages frivoles, veu qu’ils ont prins pour leur patron en partie les folles resveries des Payens, en partie les observations de la Loy mosaïque, lesquelles ne nous appartenoyent non plus que les sacrifices des bestes brutes, et les choses semblables, lesquelles ils ont ensuyvies sans discrétion, comme singes. Certes quand il n’y auroit nul autre argument, si est-ce que d’une fripperie tant mal cousue, on n’en sçauroit rien attendre qui vaille. Et la chose est toute évidente, qu’il y a la pluspart des cérémonies papistiques qui n’ont autre usage que de rendre le peuple stupide, plustost que de l’enseigner. Semblablement les hypocrites ont en grande révérence ces canons nouveaux, et les tienent comme de grande importance, combien qu’ils soyent plus pour renverser la discipline que pour la conserver ; car si on les regarde bien de près, on trouvera que ce ne sont que masques sans vérité.
4.10.13
Pour venir à l’autre point que j’ay mis, qui est-ce qui ne voit qu’il y a eu tant de traditions amassées les unes sur les autres, que la multitude en est creue sans nombre, tellement qu’elle est intolérable à l’Eglise chrestienne ? Car aux cérémonies il y apparoist un vray Judaïsme. Les autres observations sont comme géhennes pour tormenter cruellement les povres consciences. Sainct Augustin se plaignoit de son temps, que desjà pour lors tout estoit si plein de présomption en mesprisant les commandemens de Dieu, que celuy qui avoit marché à pied nud durant l’octave de son Baptesme, estoit plus griefvement reprins que celuy qui s’estoit enyvré. Il se plaignoit semblablement que l’Eglise, laquelle Dieu a voulu estre libre, estoit tellement foullée et grevée d’ordonnances et statuts, que la condition des Juifs avoit esté plus aisée[b]. Si ce sainct personnage vivoit aujourd’huy, quelles quérimonies feroit-il de la malheureuse servitude où nous sommes ? Car le nombre en est augmenté jusques à dix fois autant qu’il y en avoit adoncques : et on insiste cent fois plus rudement en chacun point qu’on en faisoit. Et de faict il en advient tousjours ainsi : c’est que quand les hommes ont une fois occupé l’empire sur les âmes, ils ne cessent de faire nouveaux commandemens et nouvelles défenses, jusques à ce qu’ils se soyent desbordez en toute extrémité. Ce que sainct Paul signifie très-bien quand il dit, Si vous estes morts au monde, comment vous astreint-on par décrets, comme si vous y estiez vivans ? Ne mange point de cela, n’en gouste point, n’y attouche point Col. 2.20-21. Il descrit yci fort bien la procédure des séducteurs, qui commencent par superstition, défendans de manger d’une viande, voire mesmes bien peu. Après avoir gaigné ce point, ils défendent aussi mesmes d’en gouster. Leur a-on accordé cela, ils font à croire qu’il n’est pas licite d’y toucher.
[b] Ad Januar. epist CXIX.
4.10.14
Nous reprenons doncques aujourd’huy à bon droict ceste tyrannie aux traditions humaines : asçavoir que les povres consciences sont merveilleusement tormentées par statuts infinis, à l’observation desquels on oblige estroitement le monde. Touchant des Canons qui appartienent à la discipline, il en a esté dit ci-dessus. Des cérémonies, qu’en diray-je ? lesquelles n’apportent autre proufit, sinon de nous faire revenir aux figures judaïques, ensevelissans à demi nostre Seigneur Jésus ? Le Seigneur, dit sainct Augustin, nous a ordonné peu de Sacremens, excellens en signification, faciles à observer[c]. Or combien répugne à ceste simplicité la multitude et variété des observations dont l’Eglise est enveloppée ? Je sçay bien sous quelle couleur aucuns excusent ceste perversité. Ils allèguent qu’il y en a plusieurs entre nous d’aussi rudes qu’il y en avoit au peuple d’Israël : que pour iceux ceste forme puérile a esté introduite : de laquelle combien que les sçavans et robustes se puissent passer, ils ne la doyvent toutesfois mespriser, puis qu’ils voyent qu’elle est utile à leurs frères. Je respon que nous sçavons bien que c’est que doit un chacun Chrestien à l’infirmité de ses prochains : mais ce n’est pas la façon de s’accomoder à l’infirmité des rudes, en leur imposant un grand tas de cérémonies pour les oppresser. Dieu n’a pas mis sans cause ceste différence entre le peuple ancien et nous, qu’il a voulu instruire iceluy par signes et figures à la façon des petis enfans : et qu’envers nous il use d’une autre simplicité, ayant aboly ceste pompe extérieure : Comme un enfant, dit sainct Paul, est gouverné et tenu en discipline par son pédagogue selon la capacité de son aage : ainsi les Juifs ont esté conduits sous la Loy Gal. 4.1-3. Mais nous, nous sommes semblables aux jeunes gens qui sont sortis d’enfance, et n’ont plus besoin d’estre en curatèle ny en discipline puérile. Certes le Seigneur prévoyoit bien quel seroit le commun peuple de l’Eglise chrestienne, et comment il seroit mestier de le régir selon sa rudesse : toutesfois il a mis ceste discrétion que nous avons dite, entre nous et les Juifs. Ainsi c’est une folle raison à nous de vouloir redresser la façon judaïque pour subvenir aux rudes, laquelle a esté cassée et abolie par Jésus-Christ. Ceste diversité de nous et du peuple ancien est aussi déclairée par les paroles qu’eut le Seigneur Jésus avec la Samaritaine, quanti il luy dit que le temps estoit venu, que les vrais serviteurs de Dieu l’adoreroyent en esprit et vérité Jean 14.23. Cela certes avoit bien esté tousjours fait : mais les fidèles du Nouveau Testament diffèrent en cela des anciens Pères, que l’adoration spirituelle de Dieu estoit couverte du temps de la Loy, de cérémonies, et comme cachée dedans : maintenant nous adorons Dieu simplement, d’autant que le voile du Temple est rompu avec toutes ses appartenances. Pourtant ceux qui confondent ceste différence, renversent l’ordre institué et estably par Jésus-Christ. Quelqu’un demandera, Les rudes doncques n’auront-ils nulles cérémonies pour soulager leur ignorance ? Je confesse qu’il n’est que bon et utile de les aider par ce moyen : mais je di qu’il faut user de mesure, asçavoir que le tout serve à esclarcir la cognoissance de Jésus-Christ, et non pas l’obscurcir. Dieu doncques nous a donné peu de cérémonies et aisées, pour nous représenter Jésus-Christ depuis qu’il nous a esté exhibé. Les Juifs en ont eu d’avantage pour le figurer en son absence. Or je di qu’il leur estoit absent pour lors : non pas quant à sa vertu, mais quant à la façon de le représenter. Pourtant si nous voulons tenir bon moyen en cest endroict, il nous faut garder de multiplier le nombre des cérémonies, lequel doit estre petit selon l’ordonnance de Dieu. Il faut adviser que celles que nous aurons soyent aisées, pour ne point grever les consciences : et qu’en leur signification elles ayent une majesté et évidence telle que dit a esté. Que cela n’ait pas esté fait, qu’est-il mestier de le monstrer plus au long ? car il est notoire à chacun.
[c] Epist. CXVIII, Ad Januar.
4.10.15
Je laisse à dire les fantasies pernicieuses dont on a abruvé le povre monde luy faisant à croire que les cérémonies inventées des hommes sont sacrifices plaisans à Dieu, par lesquels les péchez sont effacez, et par lesquels on acquiert justice et salut. Quelqu’un me dira que si ce sont choses bonnes d’elles-mesmes, elles ne peuvent estre corrompues par ces erreurs survenans, veu qu’il en advient bien autant aux œuvres que Dieu a commandées. Mais cela est plus intolérable, de faire tel honneur aux œuvres controuvées au plaisir des hommes, que de les réputer méritoires de la vie éternelle. Car les œuvres commandées de Dieu, prenent le fondement de leur rémunération, de ce que Dieu les a agréables à cause de l’obéissance. Elles ne sont point doncques estimées pour leur propre dignité ou mérite, mais d’autant que Dieu prise l’obéissance que nous luy rendons. J’enten si quelqu’un faisoit en perfection ce que Dieu commande. Car les œuvres que nous faisons ne sont plaisantes à Dieu que par sa bonté gratuite, d’autant que l’obéissance n’y est qu’à demi. Mais d’autant que nous ne disputons pas yci dont procède nostre justice, laissons ceste question. Quant est de la matière présente, je di derechef que tout ce que les œuvres ont de valeur et estime, elles l’ont au regard de l’obéissance que nous rendons à Dieu, laquelle seule il regarde : comme il dit par son Prophète, Je ne vous ay rien, dit-il, commandé des hosties et sacrifices : mais seulement d’escouter ma voix Jér. 7.22-23. Touchant des œuvres que les hommes font à leur dévotion il en est dit ainsi en un autre passage : Vous employez vostre argent sans acheter du pain Esaïe 55.2 : signifiant que c’est peine perdue. Item, C’est en vain qu’ils m’honorent selon les commandemens des hommes Esaïe 29.13 ; Matt. 15.9. Pourtant nos adversaires ne s’excuseront jamais, en ce qu’ils souffrent que le povre populaire cherche sa justice en ces fatras de traditions humaines, pour pouvoir consister devant Dieu, et obtenir salut. D’avantage, n’est-ce pas un vice digne de grande répréhension, qu’ils usent de beaucoup de cérémonies non entendues, pour amuser le monde comme à une bastellerie et jeu de farce, ou à quelque conjuration d’enchanteurs ? Car il est certain que toutes cérémonies sont perverses et nuisibles, sinon qu’elles meinent les hommes à Christ. Or toutes les cérémonies dont on use en la Papauté, n’ont ne doctrine ne signification, mais sont amusemens de petis enfans. Finalement, comme le ventre est subtil pour inventer choses qui luy soyent à proufit, il y en a eu la pluspart controuvées par les Prestres par pure avarice, pour amener la farine au molin. Mais encores de quelque origine qu’elles procèdent, si on veut purger l’Eglise d’une turpitude manifeste, et qu’il ne s’y exerce point foire ne marchandise vilene, on ne peut autrement faire que d’en retrancher la pluspart, d’autant que ce sont comme attrapes pour attirer l’argent du peuple.
4.10.16
Combien qu’il semble advis que ce que j’ay dit jusques yci des traditions humaines, soit seulement pour nostre temps, afin de réprouver les superstitions papistiques, si est-ce toutesfois qu’on en peut recueillir une doctrine utile pour tous temps. Car toutes fois et quantes que ceste folie pullule, de vouloir servir Dieu par inventions humaines, toutes les ordonnances qu’on fait à ceste fin vienent incontinent à ces abus que nous avons dit. Car ce n’est point pour un temps, mais pour tousjours, que Dieu a dénoncé ceste malédiction, de frapper d’aveuglement et bestise tous ceux qui le serviront par doctrines humaines Esaïe 29.13-14. Cest aveuglement est cause que ceux qui se desvoyent du droict chemin, en mesprisant tant d’admonitions de Dieu, tombent d’une absurdité en l’autre. Toutesfois si quelqu’un désire d’avoir une doctrine générale, sans avoir esgard à la Papauté, quelles sont les traditions humaines, lesquelles doyvent estre en tout temps répudiées de l’Eglise, la détermination que nous en avons mise ci-dessus, est claire et certaine, asçavoir qu’il nous faut mettre en ce rang toutes les loix qui seront faites des hommes sans la Parole de Dieu, à ceste fin d’establir quelque façon de servir à Dieu, ou de lier les consciences par nécessité. S’il y a encores d’autres abus qui s’en ensuyvent, comme quand par la multitude des cérémonies la clairté de l’Evangile est obscurcie, ou bien que ce sont folles observations et inutiles qui ne peuvent édifier, ou bien que ce sont amorses pour escumer l’argent des bourses, ou bien que le peuple en soit grevé outre mesure, ou qu’il y ait des autres meschantes superstitions : tout cela nous devra aider pour facilement discerner combien de mal et de nuisance il y a.
4.10.17
J’enten bien que c’est qu’ils respondent pour eux, asçavoir que leurs traditions ne sont pas d’eux-mesmes, mais de Dieu, d’autant que l’Eglise est régie par le sainct Esprit à ce qu’elle ne puisse errer. Or ils présupposent que l’authorité de l’Eglise réside par-devers eux. Ce point gaigné, il s’ensuyt que toutes leurs traditions sont révélations du sainct Esprit, lesquelles on ne peut mespriser sans mespriser Dieu. Et afin qu’il ne semble advis qu’ils ayent rien follement attenté de leurs testes, ils font à croire que la plus grand’part de leurs ordonnances est venue des Apostres. D’avantage, ils disent qu’un seul exemple peut démonstrer ce que les Apostres ont fait en général : asçavoir quand estans assemblez ils ont déterminé en leur Concile, que les Gentils se deussent abstenir de manger du sang ou de la chair d’une beste suffoquée ou de ce qui auroit esté sacrifié aux idoles Actes 15.20, 29. Nous avons amplement déclairé autre part, combien faussement ils abusent du tiltre de l’Eglise pour approuver leur authorité. Quant à la cause présente, si en rejettant toute feintise et fausseté nous considérons ce qui nous est mestier de regarder, c’est asçavoir quelle Eglise requiert Jésus-Christ, afin de nous ranger, et conformer à sa reigle : il nous sera assez évident que ceste n’est point l’Eglise, laquelle en outrepassant les limites de la Parole de Dieu, s’esbat à faire nouvelles loix, et inventer nouvelle façon de servir Dieu. Car ceste loy qui a esté une fois enjoincte à l’Eglise ne demeure-elle point éternellement ? Tu prendras garde de faire ce que je te commande : tu n’y adjousteras rien et n’en diminueras. Et derechef, Tu n’adjousteras à la Parole du Seigneur, et n’en diminueras : afin qu’il ne t’accuse et que tu ne sois trouvé mensonger Deut. 12.32 ; Prov. 30.6. Puis qu’on ne peut nier que ces choses ne soyent dites à l’Eglise, qu’est-ce que font autre chose ceux qui disent que nonobstant telles défenses elle a osé entreprendre d’adjouster du sien à la Parole de Dieu, sinon qu’ils l’arguent de rébellion contre Dieu ? Mais n’escoutons point leurs mensonges, par lesquels ils font si grande injure à l’Eglise. Plustost cognoissons que le nom de l’Eglise est faussement prétendu, quand on en veut couvrir la folle témérité des hommes qui rompt les limites de la Parole de Dieu pour donner lieu à ses inventions. Ces paroles ne sont pas difficiles ny ambiguës, ny incertaines, par lesquelles il est défendu à l’Eglise universelle d’adjouster ou diminuer de la Parole de Dieu, quand il est question de son service. Ils diront que cela est dit de la Loy seule, après laquelle sont venues les Prophéties : ce que je confesse, moyennant qu’ils entendent qu’icelles tendent plus à accomplir la Loy, qu’à y adjouster ou en retrancher. Or si le Seigneur ne souffre point qu’on adjouste au ministère de Moyse, ou qu’on en diminue, combien qu’il fust plein d’obscureté, jusques à ce qu’il donne plus claire doctrine par les Prophètes ses serviteurs, et finalement par son Fils bien-aimé : pourquoy n’estimerons-nous estre plus rigoureusement défendu d’adjouster à la Loy, aux Prophéties, aux Pseaumes et à l’Evangile ? Le Seigneur certes n’a point changé de vouloir : lequel a jadis déclairé qu’il ne peut estre plus griefvement offensé, que quand les hommes le veulent servir par leurs inventions propres. Comme nous en avons les excellens tesmoignages aux Prophètes, qui nous devoyent estre assiduellement devant les yeux. En Jérémie, quand j’ay conduit vos Pères hors de la terre d’Egypte, je ne leur ay point commandé de m’offrir hosties et sacrifices : mais je leur ay donné ce mandement, disant, Escoutez ma parole, et je seray vostre Dieu, et vous serez mon peuple, et cheminerez aux voyes que je vous monstreray Jér. 7.23. Item, En adjurant j’ay adjuré vos Pères, Escoutez ma Parole Jér. 11.7. Il s’en lit plusieurs autres semblables : mais principalement cestuy-ci qui s’ensuyt est notable, lequel est escrit en Samuel : Le Seigneur demande-il hosties et sacrifices, et non pas plustost qu’on obéisse à sa voix ? car obéissance est meilleure que sacrifice : et, vaut mieux escouter que d’offrir hosties bien grasses. Car répugner à Dieu est comme sorcellerie : et n’acquiescer point à luy, est comme idolâtrie 1Sam. 15.22-23.
4.10.18
Parquoy puis qu’on ne peut excuser d’impiété toutes les inventions qu’on défend sous l’authorité de l’Eglise : il est facile d’inférer que faussement elles sont imputées à l’Eglise. A ceste cause nous combatons hardiment contre ceste tyrannie des traditions humaines, qui sont obtenues sous le tiltre de l’Eglise. Car nous ne mesprisons point l’Eglise, comme nos adversaires pour nous rendre odieux nous reprochent faussement : mais nous luy attribuons la louange d’obéissance, laquelle est la plus grande qu’elle sçauroit désirer. Eux-mesmes sont outrageusement injurieux contre l’Eglise, la faisant rebelle contre son Seigneur : d’autant que selon leur dire, elle a transgressé le commandement de Dieu. Encores que je ne mette en avant que c’est une grande impudence et malice à eux, d’objecter continuellement la puissance de l’Eglise, et ce pendant laisser derrière et dissimuler quel mandement elle a de Dieu, et quelle obéissance elle luy doit. Mais si nous désirons comme il appartient de consentir avec l’Eglise, il nous faut plustost regarder et considérer ce qui nous est commandé de Dieu, et à toute l’Eglise pareillement, afin que d’un commun accord nous luy obéissions. Car il ne faut aucunement douter que n’accordions très-bien avec l’Eglise, si en tout et par tout nous nous rendons obéissans à Dieu. Touchant ce qu’ils disent l’origine de leurs traditions estre descendue des Apostres, ce sont pures tromperies : veu que toute la doctrine des Apostres tend à ce but, que les consciences ne soyent chargées de nouvelles traditions : et que la religion chrestienne ne soit contaminée par nos inventions. Et s’il faut croire aux histoires anciennes, ce qu’ils attribuent aux Apostres ne leur a pas seulement esté incognu, mais jamais n’en ouyrent parler. Et ne faut qu’ils babillent, que beaucoup de constitutions des Apostres ont esté receues par usage, qui ne furent jamais escrites, c’est asçavoir des choses qu’ils ne pouvoyent entendre devant la mort de Jésus-Christ, lesquelles ils ayent apprinses depuis son ascension par révélation du sainct Esprit nous avons desjà ci-dessus exposé ce passage. Quant est pour le propos que nous traitions, ils se font bien ridicules, quand en voulant déclairer quels sont ces grans mystères qui ont si long temps esté incognus aux Apostres, ils proposent en partie des cérémonies prinses et meslées de celles lesquelles au paravant avoyent esté vulgaires entre les Juifs et Gentils, en partie des folles singeries et sottes cérémonies, lesquelles des asnes de Prestres, qui ne sçavent n’aller ne parler, sçavent toutes par cœur : et mesmes lesquelles les fols et les enfans contrefont si proprement, qu’on diroit qu’ils en ont toute la science en leur teste. Si nous n’avions nulles histoires, toutesfois il n’y a homme de sain jugement qui ne jugeast qu’une telle multitude de cérémonies n’est point venue tout d’un coup en l’Eglise, mais que petit à petit elle a esté introduite. Car comme ainsi soit que les bons Evesques preschans du temps des Apostres, eussent fait aucunes sainctes ordonnances appartenantes à l’ordre et à la police, leurs successeurs estans gens inconsidérez et convoiteux de choses nouvelles, y ont voulu adjouster chacun son loppin l’un après l’autre : les derniers ont tousjours voulu surmonter leurs prédécesseurs. D’avantage, pource qu’il y avoit danger que leurs inventions, par lesquelles ils vouloyent acquérir bruit et renommée, ne s’en allassent incontinent à val l’eau, ils ont usé de grande rigueur que ne faisoyent point les premiers, pour contraindre le peuple à les observer. Ceste folle imitation et perverse, où chacun a voulu estre aussi vaillant que son compagnon à forger quelque nouveauté, nous a engendré la plus grand’ part des cérémonies que nos Papistes du jourd’huy veulent qu’on tiene pour ordonnances apostoliques. Mais, comme nous avons dit, les histoires nous en rendent suffisant tesmoignage.
4.10.19
Afin que nous ne soyons trop longs à en faire un long récit, contentons-nous d’un exemple. Les Apostres ont usé d’une grande simplicité en administrant la Cène de nostre Seigneur : les prochains successeurs, pour orner la dignité du mystère ont adjousté quelques façons de faire, lesquelles n’estoyent point du tout à condamner. Mais depuis sont survenus d’autres singes, qui ont eu une folle affectation de coudre pièce sur pièce : et ainsi ont composé tant les accoustremens du Prestre que les paremens de l’autel, et le badinage et jeu de farce que nous voyons à présent à la Messe avec tout le reste du bagage. Mais les Papistes ont encores une objection, que de toute ancienneté on a eu cela pour résolu, que ce qu’on tenoit en l’Eglise universelle d’un commun accord, estoit procédé des Apostres, comme sainct Augustin le testifie. Je ne leur bailleray autre solution que de la bouche de sainct Augustin : Toutes les choses, dit-il, qu’on garde en tout le monde, il est à juger qu’elles ont esté ordonnées par les Apostres ou par les Conciles universels, desquels l’authorité est très-utile en l’Eglise : comme ce qu’on célèbre annuellement la mémoire de la passion et résurrection de nostre Seigneur : Item, son ascension au ciel, et la Pentecoste : et s’il y a encores quelque chose semblable qui se garde en toute l’Eglise, par tout où elle a son estendue au monde[d]. Puis qu’il allègue tant peu d’exemples, n’est-il pas facile de veoir qu’il n’a pas voulu authoriser les observations qui estoyent pour lors, sinon celles qui estoyent sobrement instituées et en petit nombre, et lesquelles estoyent utiles pour conserver l’ordre de l’Eglise avec simplicité ? Or c’est bien loing de ce que prétendent les Romanisques, qu’il n’y ait si petit fatras de cérémonies entre eux, qui n’ait esté estably par l’authorité des Apostres.
[d] Epist. CXVIII.
4.10.20
Pour cause de briefveté je produiray seulement un exemple. Si quelqu’un leur demande dont ils ont leur eau bénite : ils respondront incontinent, que c’est des Apostres. Comme si les histoires ne racontoyent point que çà esté un Pape qui en a esté le premier inventeur : lequel s’il eust appelé les Apostres à son conseil, n’eust jamais contaminé le Baptesme par ceste ordure, voulant faire un mémorial du Sacrement, qui n’a point esté ordonné sans cause pour estre une fois receu. Combien que ce ne m’est pas chose vray-semblable que l’origine en soit si ancienne que les histoires en font mention. Car sainct Augustin dit qu’aucunes Eglises de son temps réprouvoyent la cérémonie de laver les pieds le jour de la Cène, de peur qu’il ne semblast que cela apparteinst au Baptesme. En quoy il signifie qu’il n’y avoit lors nulle espèce de lavement laquelle eust quelque similitude avec le Baptesme[e]. Quoy qu’il en soit, je n’ay garde de concéder que cela soit jamais procédé de l’esprit des Apostres, d’user d’ablution quotidienne pour réduire en mémoire le Baptesme, qui vaut autant à dire comme le réitérer. Et ne me chaut de ce que sainct Augustin en un autre passage attribue aussi bien aux Apostres d’autres observations. Car puis qu’il ne fait que deviner par conjectures, quel jugement pourroit-on asseoir là-dessus, mesmes de choses si grandes ? Finalement, encores que j’accorde que les choses qu’il dit soyent descendues du temps des Apostres, si est-ce qu’il y a grande différence entre ordonner quelques exercices dont les fidèles puissent user en liberté ou s’en abstenir, et faire des statuts pour lier estroitement les consciences. Toutesfois quiconques en ait esté l’autheur, puis qu’elles ont esté tirées en si grand abus, nous ne faisons nul déshonneur à iceluy en les abatant, à cause de la corruption qui y est survenue : d’autant qu’elles n’ont jamais esté instituées à ceste intention qu’elles fussent perpétuelles.
[e] Epist. CXVIII, Ad Januarium.
4.10.21
L’exemple des Apostres qu’ils allèguent pour donner authorité à leur tyrannie, ne fait de rien mieux à propos. Les Apostres, disent-ils, et les Anciens de l’Eglise primitive ont fait une ordonnance outre le mandement de Christ : par laquelle ils défendoyent aux Gentils de ne manger des choses immolées aux idoles, de la chair de beste suffoquée, ne du sang Actes 15.20. S’ils ont eu raison de ce faire, pourquoy ne pourroyent leurs successeurs les ensuyvre toutes les fois que mestier est ? Je voudroye qu’ils les ensuyvissent tant en ceci qu’en autres choses. Car je nie que les Apostres en cela ayent institué ou ordonné rien de nouveau ; comme il m’est facile de prouver. Car puis qu’en ce lieu là mesme sainct Pierre afferme que c’est tenter Dieu d’imposer quelque charge sur les disciples : il renverseroit après sa sentence, s’il souffroit que quelque charge leur fust imposée. Or ce seroit certainement une charge, si les Apostres décernoyent par leur authorité, qu’il fust défendu aux Gentils de ne manger des sacrifices des idoles, ne de la chair de beste suffoquée, ne de sang. Néantmoins il demeure tousjours un scrupule : c’est qu’il semble advis qu’ils l’ayent défendu. Mais quand on regardera de près au sens de leur ordonnance, la solution sera facile. Le premier et principal point est, qu’il faut laisser aux Gentils leur liberté : sans leur faire fascherie, ne les inquiéter des observations de la Loy. Jusques yci elle nous favorise directement. L’exception qui s’ensuyt après touchant les sacrifices, la chair estouffée, et le sang, n’est pas une nouvelle loy faite par les Apostres : mais c’est le commandement éternel de Dieu de garder charité. Et ne diminue en rien la liberté des Gentils : mais seulement les advertit comment ils se doyvent accomoder à leurs frères, pour ne les scandaliser en l’usage de leur liberté. Notons doncques que ceci est le second point : c’est asçavoir que la liberté des Gentils ne soit nuisante, ny en scandale à leurs frères. Si quelqu’un persiste encores, disant qu’ils ordonnent quelque certaine chose : je respon que seulement ils monstrent, selon qu’il estoit expédient pour le temps, en quelles choses les Gentils pouvoyent scandaliser leurs frères, afin qu’ils s’en gardent : toutesfois ils n’adjoustent du leur rien de nouveau à la Loy de Dieu éternelle, laquelle défend le scandale.
4.10.22
Comme si aujourd’huy és pays où les Eglises ne sont pas encores bien ordonnées, les bons Pasteurs dénonçoyent à ceux qui sont desjà bien instruits, qu’ils n’ayent à manger chair au Vendredi, ou labourer en jour de feste publiquement, jusques à tant que les débiles en la foy, par plus certaine doctrine devienent plus fermes. Car combien que ces choses, la superstition ostée, soyent de soy indifférentes : toutesfois quand elles se commettent avec scandale des frères infirmes, elles ne sont sans péché. Et le temps est aujourd’huy tel, que les fidèles ne sçauroyent faire ces choses en présence de leurs frères infirmes, sans navrer griefvement leurs consciences. Qui seroit celuy qui oseroit dire, s’il ne vouloit grandement calomnier, qu’en ceste manière tels bons Pasteurs feroyent une nouvelle loy, veu qu’il appert qu’ils ne feroyent sinon obvier aux scandales, lesquels sont assez clairement défendus de Dieu ? On en peut autant dire des Apostres, desquels l’intention n’a esté autre que de maintenir la Loy de Dieu, laquelle est d’éviter les scandales ; comme s’ils eussent dit, Le commandement de Dieu est, que vous n’offensiez point vos frères infirmes. Vous ne pouvez manger les choses offertes aux idoles, ne de la chair estouffee, ne du sang, sans les offenser : nous vous commandons doncques par la Parole de Dieu, de n’en manger avec scandale. Que telle ait esté l’intention des Apostres, sainct Paul en est tesmoin : lequel accordant à leur ordonnance escrit ainsi : Touchant des viandes qui sont sacrifiées aux idoles, nous sçavons bien qu’il n’y a idole au monde qui soit rien. Mais aucuns en mangent avec ceste conscience, comme si elles estoyent dédiées aux idoles, et leur conscience infirme est violée ; voyez que ceste vostre liberté ne tourne en scandale aux imbécilles 1Cor. 8.1, 9. Celuy qui considérera ces choses, ne sera point ci-après facilement abusé par ces trompeurs, qui veulent faire à croire que les Apostres par ceste ordonnance ont commencé à restreindre la liberté de l’Eglise. Mais encores afin qu’ils ne puissent plus fuir ne caviller que ce que je di ne soit la pure vérité : qu’ils me respondent en quelle authorité ils ont cassé et anéanty ce décret des Apostres. Ils ne peuvent autre chose alléguer, sinon qu’il n’y a plus de danger touchant les scandales et dissentions, ausquelles les Apostres vouloyent remédier. Et ainsi, puis que la cause est ostée, que la loy ne doit plus durer ny avoir sa vigueur. Puis doncques que ceste loy a esté faite en considération de charité, selon leur confession mesme, et qu’on ne la transgresse point, sinon en contrevenant à charité : par cela ils confessent que ce n’a point esté une addition nouvelle faite à la Loy de Dieu, faite de la teste des Apostres : mais qu’ils ont purement et simplement accomodé à leur temps, ce que nostre Seigneur nous commande à tous par sa Parole.
4.10.23
Mais jà soit, disent-ils, que les loix ecclésiastiques soyent cent fois iniques et injustes, si est-ce qu’il y faut obéir d’autant qu’il n’est pas yci question que consentions aux erreurs, mais seulement que nous, qui sommes sujets, obéissions aux commandemens rigoureux de nos supérieurs, lesquels il ne nous est pas licite de rejetter. Mais nostre Seigneur par la vérité de sa Parole nous défend très-bien contre ceste cavillation, et nous délivre de servitude, pour nous maintenir en la liberté laquelle il nous a acquise de son sacré sang. Car il n’est pas vray (comme malicieusement ils veulent faire à croire) qu’il ne soit yci question sinon de porter quelque dure oppression en nostre corps mais leur fin est de priver nos consciences de leur liberté : c’est-à-dire du fruit qu’elles reçoivent par le sang de Christ, et de les tormenter servilement et misérablement. Toutesfois nous laisserons ce point, comme s’il estoit de petite importance. Mais pensons-nous que ce soit chose de petite conséquence, de ravir à Dieu son royaume, lequel il se veut sur toute chose est reconservé ? Or il luy est ravy toutes fois et quantes qu’il est servy par loix d’inventions humaines : veu qu’il veut estre le seul Législateur de son honneur et service. Et afin qu’aucun ne pense que ce soit chose de légère importance, qu’il escoute combien nostre Seigneur l’estime : Pourtant, dit-il, que ce peuple-ci m’a servy selon les mandemens et doctrines des hommes : voyci, je le feray esmerveiller par un miracle grand et merveilleux : car la sapience périra des sages, et l’entendement des prudens sera anéanty Esaïe 29.13-14. En un autre passage, ils me servent en vain, enseignans pour doctrines commandemens d’hommes Matt. 15.9. Et de faict, ce que les enfans d’Israël se sont contaminez en plusieurs idolâtries, la cause de tout le mal est assignée à ce meslinge, qu’en transgressant les commandemens de Dieu, ils se sont forgé des services estranges. Et à ce propos l’histoire saincte récite, que les nouveaux habitans de Samarie qui avoyent là esté envoyez par le Roy de Babylone, estoyent journellement dévorez par les bestes sauvages, pource qu’ils ne savoyent point les statuts du Dieu de la terre. Encores qu’ils n’eussent commis nulles fautes aux cérémonies, si est-ce que Dieu n’eust point approuvé toutes leurs vaines pompes : mais ce pendant, si a-il voulu punir ceste profanation de son service : c’est que les incrédules et Payens le vouloyent servir à leur poste. Et pourtant, il eut adjouté puis après, qu’ils apprindrent de suyvre, quant à l’extériorité, ce que Dieu avoit ordonné en sa Loy : mais pource qu’ils n’adoroyent pas encores purement Dieu, il est répété par deux fois, qu’ils l’ont craint et qu’ils ne l’ont pas craint 2Rois 17.24-34. Dont nous avons à conclurre, qu’une partie de la révérence que nous luy portons, gist à ne rien mesler de nos inventions propres parmi le service qu’il a commandé en sa Parole. Dont les bons Rois et fidèles sont louez souvent en l’Escriture, d’avoir observé quant à la religion, ce qui estoit enjoinct en la Loy, sans décliner à dextre ny à gauche 2Rois 22.1-2. Je passe encores plus outre ; combien qu’en un service controuvé, l’impiété n’apparust pas du premier coup, qu’elle ne laisse point d’estre asprement condamnée, puis qu’on a décliné du commandement de Dieu. L’autel d’Achaz duquel il avoit fait apporter le patron de Samarie, pouvoit estre estimé un bel ornement pour augmenter la dignité du Temple 2Rois 16.10 : veu mesmes que l’intention de ce meschant Roy n’estoit autre, que de sacrifier là au Dieu vivant : ce qu’il pensoit faire plus magnifiquement qu’en l’autel ancien. Nous voyons néantmoins comment le sainct Esprit déteste une telle audace, voire pour ceste seule raison, que toutes inventions humaines, quelque belle apparence qu’elles ayent, ne font qu’infecter et corrompre le service de Dieu. Et d’autant plus que la volonté de Dieu nous est clairement monstrée, tant moins l’outrecuidance de rien attenter par-dessus est excusable. Aussi le crime de Manassé est fort aggravé par ceste circonstance, d’avoir édifié un autel en Jérusalem, duquel lieu Dieu avoit prononcé qu’il y mettroit son nom 2Rois 21.4. Car quand on ne se contente point de ce qu’il approuve, c’est rejetter son authorité comme de propos délibéré.
4.10.24
Plusieurs trouvent estrange pourquoy nostre Seigneur menace si asprement de faire choses merveilleuses sur le peuple, duquel il estoit servy par mandemens et doctrines des hommes ; et pourquoy il déclaire que tel honneur est vain. Mais s’ils regardoyent que c’est dépendre de la seule bouche de Dieu en matière de religion, c’est-à-dire en matière de sapience céleste : semblablement ils verroyent que la raison n’est pas petite, pourquoy nostre Seigneur a en telle abomination les services mal reiglez, qui luy sont faits selon le sot appétit des hommes. Car combien que ceux qui le servent ayent quelque espèce d’humilité, s’assujetissans aux loix des hommes à cause de luy, toutesfois ils ne sont nullement humbles devant Dieu, auquel mesme ils imposent ces mesmes loix qu’ils observent. C’est la raison pourquoy sainct Paul requiert tant diligemment que nous nous gardions d’estre abusez par les traditions des hommes Col. 2.23, 8 : usant d’un mot grec bien propre, qui nous signifie un service volontaire ; c’est-à-dire inventé du vouloir des hommes sans la Parole de Dieu. Certainement il est ainsi, qu’il faut que tant la sapience de tous les hommes que la nostre nous soit faite folle, afin que permettions un seul Dieu estre sage. De laquelle voye sont bien loing ceux qui luy pensent complaire par observations forgées au plaisir des hommes : et luy jettent au visage, comme par force et maugré qu’il en ait, une obéissance perverse, laquelle ils rendent aux hommes non à luy. Comme il a esté fait longtemps par ci-devant, et de nostre mémoire mesmes : et se fait encores aujourd’huy aux pays où la créature est en plus grande authorité que le Créateur. Lesquels pays ont une religion (si digne elle est d’estre appelée Religion) brouillée de plus de superstitions et plus folles qu’idolâtrie payenne qui fut oncques. Car que sçauroit les sens de l’homme produire, sinon choses charnelles et folles, et qui vrayement monstrent de quel autheur elles sont venues ?
4.10.25
Quant à ce que les advocats des superstitions allèguent ce que Samuel a sacrifié en Ramalha 1Sam. 7.17, et combien que cela se feist contre la Loy, que l’acte a pleu à Dieu : la solution est facile, asçavoir qu’il n’a point basty un second autel pour l’opposer au premier qui estoit fondé sur la Parole de Dieu : mais pource qu’il n’y avoit point encores de lieu certain destiné au tabernacle, qu’il a mieux aimé dédier aux sacrifices la ville de sa demeure, comme le lieu le plus commode. Pour certain l’intention du sainct Prophète n’a pas esté de rien changer à la façon du service divin, où Dieu avoit si estroitement défendu de ne rien adjouster ne diminuer. Quant à l’exemple de Menoha père de Sanson Jug. 13.19 je di qu’il a esté extraordinaire et singulier. Car il estoit homme privé : ainsi il ne luy estoit pas licite de sacrifier sans inspiration secrette de Dieu. Ce qui ne s’estend pas plus loing qu’à luy, d’autant que les autres ne seroyent pas approuvez de mesmes. A l’opposite, Dieu a donné un enseignement notable pour tout jamais en la personne de Gédéon, combien il déteste les services que les hommes luy controuvent de leur propre sens : car l’Ephod qu’il appéta d’une folle dévotion, tourna à ruine non-seulement à luy et à sa famille, mais à tout le peuple Jug. 8.27. En somme toute invention estrange par laquelle les hommes prétendent de servir à Dieu, n’est autre chose que pollution de la vraye saincteté.
4.10.26
Pourquoy doncques, disent-ils, Christ a-il voulu qu’on portast les charges importables qu’imposent les Scribes et Pharisiens Matt. 23.4 ? Mais je leur demande au contraire, Pourquoy luy-mesme en un autre lieu a-il voulu qu’on se gardast du levain des Pharisiens, appelant leur levain (comme l’interprète l’Evangéliste saint Mathieu Matt. 16.6, 12) tout ce qu’ils mesloyent de leur doctrine propre, à la pure Parole de Dieu ? Que voulons-nous d’avantage, quand il nous est commandé de fuir, et de nous garder de toute leur doctrine ? Dont il nous est très-manifeste, qu’en l’autre passage nostre Seigneur n’a pas voulu que les consciences des siens fussent chargées des propres traditions des Pharisiens. Et les paroles mesmes (si on ne les cavilloit point) n’approchent en rien de ce sens. Car par icelles nostre Seigneur n’a voulu autre chose, sinon que proposant de parler aigrement contre la mauvaise vie des Pharisiens, il enseignoit paravant ses auditeurs, que combien qu’ils ne veissent rien aux mœurs des Pharisiens digne d’estre ensuyvy, toutesfois qu’ils ne délaissassent point ce qu’ils enseignoyent par parole, quand ils estoyent assis en la chaire de Moyse, c’est-à-dire quand ils exposoyent la loy. Il n’a doncques voulu autre chose, sinon de prévenir ce danger, que le peuple ne fust point induit par la mauvaise vie de ses gouverneurs, à mespriser la doctrine de Dieu. Mais pource qu’aucuns ne s’esmeuvent pas beaucoup pour quelque raison qu’on leur ameine, mais cherchent tousjours authorité : j’allégueray les paroles de sainct Augustin, ausquelles il donne une mesme interprétation que j’ay fait. Le bercail du Seigneur, dit-il, a des Pasteurs, partie ses enfans, partie mercenaires. Les Pasteurs qui sont enfans de Dieu, sont les vrais Pasteurs : toutesfois escoute comme les mercenaires aussi sont utiles. Car plusieurs ministres en l’Eglise cherchans leur proufit terrien preschent Jésus-Christ, et la voix de Christ est ouye de leur bouche : et les brebis suyvent non point le mercenaire, mais le Pasteur par le mercenaire. Escoutez comment le Seigneur nous a démonstré les mercenaires. Les Scribes, dit-il, et Pharisiens sont assis en la chaire de Moyse : faites ce qu’ils vous disent, mais ce qu’ils font, ne le faites point. C’est autant comme s’il disoit : Escoutez la voix du Pasteur par les mercenaires : car estans assis en ceste chaire, ils enseignent la Loy de Dieu. Pourtant Dieu enseigne par eux : mais s’ils veulent rien amener de leur propre, ne les oyez point, et ne faites pas ce qu’ils vous disent[f].
[f] August. In Joan. tract., XLVI.
4.10.27
Mais pourtant qu’aucuns simples, quand ils entendent que les consciences des fidèles ne se doyvent lier par traditions humaines, et que Dieu est en vain par icelles servy, pensent que ce soit une mesme raison des reigles qui sont mises pour tenir ordre en l’Eglise : il faut yci obvier à leur erreur. Certes il est facile de s’abuser en cest endroict, pourtant qu’il n’appert pas de prime face quelle différence il y a entre ces deux espèces : mais nous despescherons le tout si clairement que nul ne sera d’oresenavant déceu par la similitude. Ayons premièrement ceste considération, c’est que si nous voyons estre nécessaire qu’en toutes compagnies des hommes il y ait quelque police pour entretenir paix et concorde entre eux : si en toutes choses il faut qu’il y ait quelque ordre pour conserver une honnesteté publique, et mesmes une humanité entre les hommes, que ces choses se doyvent principalement observer aux Eglises, lesquelles premièrement sont maintenues par bon ordre, et par discorde sont du tout dissipées. Parquoy si nous voulons très-bien prouvoir à la conservation de l’Eglise, il faut mettre diligence, que tout se face décentement et avec bon ordre, ainsi que le commande sainct Paul 1Cor. 14.40. Or puis qu’il y a si grandes répugnances d’esprits et de jugement entre les hommes, nulle police ne sauroit consister en eux, si elle n’est arrestée par quelques certaines loix, et nul ordre ne s’y pourroit bien conserver, sans quelque certaine forme. Tant s’en faut que nous réprouvions les loix qui tendent à ceste fin, que mesmes nous affermons que sans icelles les Eglises seroyent incontinent dissipées et déformées. Car autrement il ne se pourroit faire (ce que sainct Paul requiert) que tout s’y feist décentement et par ordre, si l’ordre et l’honnesteté n’estoit conservée par quelque certaine forme. Néantmoins il faut tousjours songneusement prendre garde en telles observances, qu’elles ne soyent estimées nécessaires à salut, pour lier les consciences : ou qu’on n’y constitue l’honneur et service de Dieu, comme si la vraye piété y estoit située.
4.10.28
Nous avons doncques une bonne marque et certaine, pour discerner entre les maudites constitutions, desquelles nous avons dit que la vraye religion est obscurcie, et les consciences abysmées, et entre les sainctes ordonnances de l’Eglise, lesquelles tendent tousjours à l’un de ces buts, ou de garder quelque honnesteté en la compagnie des fidèles, ou d’entretenir paix et concorde entre eux. Or depuis qu’on a une fois cognu qu’une loy est mise pour reigle d’honnesteté, la superstition en est desjà ostée, en laquelle trébuschent ceux qui constituent le service de Dieu aux inventions humaines. D’avantage, puis qu’on a entendu qu’elle ne tend sinon au commun usage des hommes, et pour conserver entre eux charité : la fausse opinion d’obligation et de nécessité est renversée, laquelle tormente horriblement les consciences : quand on estime les traditions estre nécessaires à salut. Car pour avoir ceste cognoissance que venons de dire, on voit qu’il n’est question sinon de nourrir entre nous charité, en servant les uns aux autres. Mais il est expédient d’exposer encores plus clairement que c’est qu’emporte ceste honnesteté : item cest ordre dont parle sainct Paul. La fin de l’honnesteté tend à cela, que quand on institue des cérémonies pour donner révérence et majesté aux Sacremens le peuple soit esmeu comme par une aide, à honorer Dieu. Secondement, qu’il y apparoisse une gravité et modestie. Quant à l’ordre, le premier point est, que les Prélats et Pasteurs sçachent quelle est la reigle de bien gouverner, et que le peuple soit exercé à obéissance et discipline. Le second est d’entretenir l’Eglise en bonne concorde, l’ayant disposée en bon estat.
4.10.29
Nous n’appellerons doncques Honnesteté, quand il n’y a qu’un spectacle frivole pour donner plaisir aux hommes, comme nous en avons l’exemple en toute la pompe dont usent les Papistes en tout le service de Dieu, qu’ils appellent. Car ils n’ont qu’une masque d’une belle apparence, laquelle est inutile et une superfluité sans fruit. Mais nous tiendrons pour honnesteté ce qui sera tellement reiglé pour donner révérence aux saincts mystères de Dieu, que le peuple en soit exercé à dévotion vrayement chrestienne, ou bien que l’acte auquel cela doit servir, en soit orné décentement : et qu’en tout on regarde l’édification, c’est asçavoir que les fidèles soyent admonestez par ce moyen en quelle modestie, crainte et révérence ils se doyvent disposer à servir Dieu. Or les cérémonies ne sont point autrement exercices de piété, sinon qu’elles conduisent le peuple comme par la main à Jésus-Christ. Semblablement il ne nous faut point constituer l’ordre en ces pompes inutiles, qui n’ont rien qu’une vaine apparence : mais en une bonne police, laquelle oste confusion, contemnement et tous débats. De la première espèce nous en avons les exemples en sainct Paul, quand il défend de mesler des banquets profanes avec la sacrée Cène de nostre Seigneur. Item, que les femmes ne se monstrent point en public à teste descouverte 1Cor. 11.22, 5. Et en avons beaucoup d’autres quotidiens entre nous : comme de prier publiquement à genoux, de ne traitter les Sacremens de nostre Seigneur irrévéremment, et d’une façon sordide et déshonneste, de ne jetter les corps des hommes trespassez comme charongnes de bestes, mais les enterrer honnestement, après les avoir ensevelis. Les exemples de la seconde espèce sont, d’avoir heures arrestées pour les prédications et oraisons publiques, et Sacremens : d’avoir aussi les lieux destinez à cela : les chants ou Pseaumes : item, le silence qui doit estre pour donner audience à la Parole, et que les femmes, suyvant la défense de sainct Paul, ne présument d’enseigner 1Cor. 14.34, et autres semblables. Principalement il nous faut mettre en ce rang les ordonnances qui concernent la discipline : comme le Catéchisme, les corrections, la façon d’excommunier, les jusnes communs, et autres telles. Et ainsi toutes constitutions de l’Eglise qu’on doit recevoir pour bonnes et sainctes, se peuvent rapporter à deux articles : c’est que les unes appartienent aux cérémonies, les autres à la discipline et concorde.
4.10.30
Mais pource qu’yci il y a danger d’un costé, que les Evesques cornus ne prenent occasion d’excuser leurs loix meschantes et tyranniques, comme ayans quelque couleur par ce que nous avons dit : de l’autre costé, qu’il n’y en ait d’aucuns, lesquels de peur de retomber en la malheureuse servitude où nous avons esté, ne rejettent clairement toutes ordonnances ecclésiastiques, quelques bonnes et sainctes qu’elles soyent : il me faut protester que je n’enten point d’approuver autres constitutions que celles qui sont fondées en l’authorité de Dieu, et tirées de l’Escriture, tellement qu’on les puisse totalement appeler Divines. Prenons exemple en la coustume de nous agenouiller quand on fait les prières solennelles : sçavoir est si nous devons tenir cela pour tradition humaine, laquelle il soit loisible à chacun de mespriser ou rejetter. Je di qu’elle est tellement humaine, qu’elle est aussi divine. Elle est de Dieu, entant qu’elle est partie de ceste honnesteté laquelle l’Apostre nous recommande 1Cor. 14.40 : elle est des hommes, en tant qu’elle nous monstre spécialement et par exprès, ce qui avoit seulement esté touché en général par l’Apostre. Par cest exemple nous pouvons estimer ce que nous devons juger de tout le reste. La somme est, Puis que Dieu a fidèlement comprins en sa Parole, et nous a plenement déclairé quelle est toute la vraye reigle de justice, toute la façon de le bien servir, et tout ce qui estoit nécessaire pour nostre salut, il le faut avoir pour nostre seul Maistre en cela. Quant à la discipline externe et aux cérémonies, il ne nous a point voulu ordonner en particulier, et comme de mot à mot comment il nous faut gouverner : d’autant que cela dépendoit de la diversité des temps, et qu’une mesme forme n’eust pas esté propre ny utile à tous aages. Doucques il nous faut avoir recours à ces reigles générales que j’ay dites : c’est asçavoir que tout se face honnestement et par ordre en l’Eglise. Finalement, pource que Dieu n’en a rien dit par exprès, d’autant que ce n’estoyent point choses nécessaires à nostre salut, et qu’il est mestier d’en user en diverses sortes selon la nécessité, pour édification : nous avons à conclurre qu’on les peut changer, et en instituer de nouvelles, et abolir celles qui ont esté, selon qu’il est expédient pour l’utilité de l’Eglise. Je confesse bien qu’il ne faut pas innouver tout ce qu’on voudroit bien à chacunes fois ny à tout propos pour légère cause : mais la charité nous monstrera très-bien ce qui pourra nuire ou édifier, par laquelle si nous souffrons d’estre gouvernez, tout ira bien.
4.10.31
Or l’office du peuple chrestien est, de garder les ordonnances qui auront esté faites à ceste fin, et compassées à ceste reigle, non point par superstition, mais en liberté de conscience, et toutes fois se submettant volontiers à l’observation d’icelles. Or si c’est mal fait de les mespriser par nonchalance, ce seroit beaucoup pis de les violer par contumace et rébellion. Mais quelle liberté de conscience, dira quelqu’un, pourra-on avoir quand on sera ainsi tenu de les observer ? Je di que la conscience ne laissera point d’estre libre et franche, quand on réputera que ce ne sont point ordonnances perpétuelles, ausquelles on soit astreint, mais que ce sont aides externes de l’infirmité humaine : desquelles combien que nous n’ayons pas tous besoin, toutesfois il nous en faut tous user, d’autant que nous sommes tous obligez les uns aux autres mutuellement d’entretenir charité : ce qui se pourra bien appercevoir aux exemples ci-dessus mis. Quoy ? y a-il quelque si grand mystère en la coiffure d’une femme, que ce soit un grand crime de sortir en la rue nue teste ? Le silence luy est-il tellement commandé, qu’elle ne puisse parler sans grande offense ? Y a-il une telle religion à fleschir le genouil, ou envelopper un corps mort, qu’on ne puisse laisser ces choses sans crime ? Non certes : car si la nécessité de son prochain la pressoit tellement qu’elle n’eust le loisir de se coiffer, elle ne pèche en rien si elle accourt nue teste pour luy aider : et l’heure arrive quelquesfois, qu’il luy vaudroit mieux parler que se taire. Et n’y a nul empeschement qu’un malade qui ne se peut agenouiller, ne prie tout droict. Finalement, s’il n’y a point de drap pour ensevelir un mort, il vaut mieux l’enterrer nud, que de le laisser sans enterrer. Néantmoins pour nous gouverner bien en ces choses, nous avons à suyvre la coustume et les loix du pays où nous vivons, et une certaine reigle de modestie, laquelle nous monstre que c’est qu’il faut suyvre ou éviter. En quoy si quelqu’un faut par oubliance ou inadvertance, il n’y a nul péché : si c’est par contemnement, son obstination est à réprouver. Pareillement il ne peut chaloir quels sont les jours et les heures, quel est le bastiment de l’édifice, lesquels Pseaumes on chante en un jour ou en l’autre : mais il convient néantmoins que les jours et les heures soyent certaines, et le lieu capable pour recevoir tout le monde, si on a esgard à entretenir paix et concorde. Car quelles noises engendreroit la confusion de ces choses, s’il estoit loisible à chacun de changer à son plaisir les choses qui appartienent à l’ordre publique ? veu que jamais n’adviendroit qu’une mesme sentence pleust à tous, si les choses estoyent laissées incertaines au vouloir d’un chacun. Si quelqu’un vient répliquer, et veut estre plus sage qu’il ne faut, qu’il regarde s’il peut avoir raison devant Dieu. Touchant de nous, la parole de sainct Paul nous doit contenter, que nous ne sommes point adonnez à contention, ne les Eglises de Dieu 1Cor. 11.16.
4.10.32
Il faut doncques avec bonne diligence prendre garde que quelque erreur ne surviene qui obscurcisse ou pollue la pureté de cest usage. Ce qui se pourra faire, si toutes les cérémonies desquelles on usera, emportent quelque utilité manifeste : si on n’en reçoit guères, et principalement si le Pasteur veille à fermer la voye par bonne doctrine à toutes fausses opinions. Or ceste cognoissance fera, que chacun de nous aura sa liberté entière en toutes ces choses : et néantmoins que chacun volontairement imposera quelque nécessité à sa liberté, d’autant que l’honnesteté de laquelle nous avons parlé, ou la charité le requerra. D’avantage, elle sera cause que nous observerons lesdites choses sans quelque superstition : et ne contraindrons les autres trop rigoureusement à les observer, que nous n’estimerons point le service de Dieu mieux valoir pour la multitude des cérémonies : qu’une Eglise ne contemnera point l’autre, pour la diversité de l’extérieure forme de faire : finalement qu’en ne nous establissant point une loy perpétuelle, nous rapporterons à l’édification de l’Eglise toute la fin et usage des cérémonies : selon l’exigence de laquelle édification nous soyons prests d’endurer, non-seulement que quelque cérémonie soit changée, mais que toutes celles qu’aurions eues au paravant, soyent ostées et abolies. Car le temps présent nous donne expérience certaine, que selon l’opportunité du temps il est très-bon de mettre bas aucunes observations, lesquelles de soy n’estoyent ne mal convenables, ne meschantes. Car il y a eu au temps passé tel aveuglement et ignorance, que les Eglises se sont arrestées aux cérémonies avec une opinion si corrompue et un zèle si obstiné, qu’à grand’peine on les pourroit bien purger des horribles superstitions ausquelles elles ont esté ensevelies, sans que beaucoup de cérémonies ne soyent ostées, lesquelles possible n’avoyent pas esté jadis instituées sans cause, et lesquelles de soy ne sont point à condamner d’impiété notable.
Chapitre XI
De la jurisdiction de l’Eglise, et de l’abus qui s’y commet en la Papauté.
4.11.1
S’ensuyt la troisième partie de la puissance et authorité de l’Eglise, voire qui est bien la principale en un Estat bien reiglé : c’est de la jurisdiction, laquelle totalement se rapporte à la discipline, dont il nous conviendra tantost traitter. Car comme nulle ville ne village ne peut estre sans gouverneur et sans police, ainsi l’Eglise de Dieu, comme j’ay desjà dit ailleurs, a mestier d’une certaine police spirituelle, laquelle néantmoins est toute différente de la police terrienne : et tant s’en faut qu’elle l’empesche ou amoindrisse, que plustost elle aide à la conserver et advancer. Pourtant ceste puissance de jurisdiction ne sera en somme autre chose, qu’un ordre institué pour conserver la police spirituelle. Et pour ceste fin ont esté anciennement ordonnées par les Eglises certaines compagnies de gouverneurs, lesquels eussent le regard sur les mœurs, corrigeassent les vices, et usassent d’excommunication quand mestier seroit. C’est ce qu’entend sainct Paul, quand en l’Epistre aux Corinthiens il nomme les gouvernemens 1Cor. 12.28. Item en l’Epistre aux Romains, quand il dit, Celuy qui préside, qu’il le face avec solicitude Rom. 12.8. Car il ne parle point aux Magistrats ou gouverneurs terriens, veu qu’il n’y avoit nuls de Chrestiens pour lors : mais à ceux qui estoyent adjoincts aux Pasteurs pour le régime spirituel de l’Eglise. Semblablement à Timothée, il met deux espèces de Prestres : les uns qui travaillent en la Parole, les autres qui ne font point l’office de prédication, et toutesfois sont fidèles à s’acquitter de leur devoir 1Tim. 5.17. Par ceste seconde espèce il n’y a doute qu’il n’entende ceux qui estoyent députez pour avoir esgard sur les mœurs, et corriger les délinquans par excommunication. Or ceste puissance de laquelle nous parlons, dépend toute des clefs, lesquelles Jésus-Christ a données à son Eglise, au dix-huitième de sainct Matthieu Matt. 18.17. Car là il commande qu’on admoneste au nom commun de tous, celuy qui aura mesprisé les admonitions privées de son frère : et s’il persévère en sa contumace, qu’un le bannisse de la compagnie des fidèles. Or telles admonitions et corrections ne se peuvent faire sans cognoissance de cause. Pourtant il est requis qu’il y ait quelcque jugement et quelque ordre. Ainsi doncques, si nous ne voulons casser et anéantir la promesse des clefs, et rejetter tant l’excommunication que les remonstrances, et tout le reste qui s’ensuyt, il est nécessaire que nous donnions quelque jurisdiction à l’Eglise. Que les lecteurs observent bien qu’il n’est point là parlé en général de l’authorité de la doctrine qui devoit estre preschée par les Apostres, comme au seizième de sainct Matthieu, et au vingt-unième de sainct Jehan Matt. 16.19 ; Jean 21.15 : mais que Jésus-Christ transfère pour l’advenir à son Eglise le droict et superintendance qui avoit esté jusques alors en la synagogue des Juifs. Car ce peuple-là avoit eu tousjours sa façon de gouverner, de laquelle Jésus-Christ veut qu’on use en la compagnie des siens, moyennant qu’on retiene la pure institution. Or il use de menace estroite contre les contredisans, pource que le jugement de son Eglise, laquelle devoit estre contemptible : et sans nulle monstre, pouvoit estre autrement mesprisé par gens téméraires et orgueilleux. Et afin que les lecteurs ne se troublent de ce que Jésus-Christ parlant de choses diverses, use de mesmes mots, il sera expédient de soudre ce nœud. Il y a doncques deux passages qui parlent de lier et deslier. Le premier est au seizième de sainct Matthieu, où nostre Seigneur Jésus, après avoir promis à sainct Pierre de luy donner les clefs du Royaume des cieux, adjouste incontinent. Tout ce que tu auras lié en terre, sera lié au ciel : et pareillement, ce que tu auras deslié, sera deslié : par lesquelles paroles il ne signifie autre chose que ce qu’il dit en sainct Jehan, quand il envoyé prescher ses disciples. Car après avoir soufflé sur eux, il leur dit, Les péchez seront remis à ceux ausquels vous les aurez remis : et ceux ausquels vous les aurez retenus, ils seront retenus Jean 20.23. J’amèneray une interprétation de ce passage, qui ne sera pas trop subtile, ne contrainte ou forcée, mais simple, vraye et convenable. Ce mandement de remettre et retenir les péchez, et la promesse faite à sainct Pierre de lier et deslier, ne se doyvent rapporter à autre fin qu’au ministère de la Parole, lequel nostre Seigneur ordonnant à ses Apostres, pareillement leur commettoit l’office de lier ou deslier. Car quelle est la somme de l’Evangile, sinon que nous tous estans serfs de péché et de mort, sommes délivrez et affranchis par la rédemption qui est en Jésus Christ ? Au contraire, que ceux qui ne recognoissent et ne reçoyvent Christ pour leur libérateur et rédempteur, sont condamnez à éternelle prison ? Nostre Seigneur baillant à ses Apostres ceste ambassade à porter par toutes les nations de la terre, pour monstrer qu’elle estoit siene, procédante et ordonnée de soy, l’a honorée de ce noble tesmoignage : et ce pour une singulière consolation, tant des Apostres que des auditeurs, ausquels ceste ambassade devoit estre apportée. Il convenoit certes que les Apostres eussent une grande et ferme asseurance de leur prédication, laquelle ils avoyent non-seulement à entreprendre et exécuter avec infinis labeurs, solicitudes, travaux et dangers, mais finalement à signer et sceller de leur propre sang. C’estoit doncques raison qu’ils eussent ceste certitude, qu’elle n’estoit pas vaine ne frivole : mais plene de vertu et puissance. Et estoit bien besoin qu’en telles angoisses, difficultez et périls ils fussent asseurez qu’ils faisoyent l’œuvre de Dieu : afin que tout le monde leur contrevenant et résistant, ils cognussent que Dieu estoit pour eux : et que n’ayant point l’autheur de leur doctrine Christ présent à l’œil en terre, ils entendissent qu’il estoit au ciel pour confermer la vérité d’icelle. D’autre part, il faloit qu’il fust très-certainement testifié aux auditeurs, qu’icelle doctrine n’estoit pas parole des Apostres, mais de Dieu mesme : et que ce n’estoit pas une voix née en terre, mais procédante du ciel. Car ces choses ne peuvent estre en la puissance de l’homme, c’est asçavoir la rémission des péchez, promesse de vie éternelle, message de salut. Christ doncques testifie qu’il n’y avoit en la prédication évangélique rien des Apostres, sinon le ministère : que c’estoit-il, lequel par leurs bouches, comme par instrumens, parloit et promettoit tout : que la rémission des péchez, laquelle ils annonçoyent, estoit vraye promesse de Dieu, la damnation laquelle ils dénonçoyent, estoit certain jugement de Dieu. Or ceste testification a esté donnée pour tous temps, et demeure encores ferme, pour nous rendre tous certains et asseurez, que la parole de l’Evangile, de qui qu’elle soit preschée, est la propre sentence de Dieu, publiée en son siège, escrite au livre de vie, passée, ratifiée et confermée au ciel. Ainsi, nous entendons que la puissance des clefs est simplement la prédication de l’Evangile : et mesmes n’est pas tant puissance que ministère, si nous avons esgard aux hommes. Car Christ n’a pas donné proprement aux hommes ceste puissance, mais à sa Parole, de laquelle il a fait les hommes ministres.
4.11.2
L’autre passage est escrit en sainct Matthieu, où il est dit, Si aucun de tes frères ne veut escouter l’Eglise, qu’il te soit comme Gentil et profane Matt. 18.17. En vérité, en vérité je vous di, que tout ce que vous aurez lié en terre, sera lié au ciel : et ce que vous aurez deslié, sera deslié. Ce lieu n’est pas du tout semblable au premier, mais a quelque différence : toutesfois nous ne les faisons pas tellement divers, qu’ils n’ayent grande affinité et similitude ensemble. Premièrement, cela est semblable en tous les deux, que l’une sentence et l’autre sont générales, et la puissance de lier et deslier est par tout une, c’est asçavoir par la Parole de Dieu : un mesme mandement de lier et deslier, une mesme promesse. Mais en cela ils diffèrent, que le premier spécialement appartient à la prédication, à laquelle sont ordonnez les ministres de la Parole : le second s’entend de la discipline des excommunications, laquelle est permise à l’Eglise. Or l’Eglise de celuy qu’elle excommunie : non pas qu’elle le jette en ruine et désespoir perpétuel : mais pourtant qu’elle condamne sa vie et ses mœurs, et desjà l’advertit de sa damnation, s’il ne retourne en la voye. Elle deslie celuy qu’elle reçoit en sa communion, d’autant qu’elle le fait comme participant de l’unité qu’elle a en Jésus-Christ. Afin doncques que nul ne contemne le jugement de l’Eglise, et estime chose légère d’estre condamné par la sentence des fidèles, nostre Seigneur testifie que tel jugement n’est autre chose que la publication de sa sentence, et que tout ce qu’ils auront fait en terre, sera ratifié au ciel. Car ils ont la Parole de Dieu, par laquelle ils condamnent les mauvais et pervers : et ils ont la mesme Parole, pour recevoir en grâce ceux qui retournent à amendement : et ne peuvent faillir ne discorder du jugement de Dieu, puis qu’ils ne jugent que par sa Loy : laquelle n’est pas opinion incertaine ou terrienne, mais sa saincte volonté et oracle céleste. De ces deux passages, ces furieux selon leur phrénésie, sans quelque discrétion s’efforcent d’approuver maintenant leur confession, maintenant leurs excommunications, maintenant leur jurisdiction, maintenant la puissance d’imposer loix, maintenant leurs indulgences. Le premier, ils l’allèguent pour establir la primauté du siège romain. Ainsi ils sçavent tant bien approprier leurs clefs à toutes serrures et à tous huis, qu’on diroit qu’ils ont exercé l’art de serruriers toute leur vie.
4.11.3
Car ce qu’aucuns imaginent que c’a esté un ordre temporel que cestuy-là, pour le temps que les Princes et Seigneurs et gens de justice estoyent encores contraires à la Chrestienté, ils s’abusent, en ce qu’ils ne considèrent point combien il y a de différence, et quelle est la diversité entre la puissance ecclésiastique et la puissance terrienne. Car l’Eglise n’a point de glaive pour punir les malfaiteurs, ne commandement pour les contraindre, ne prisons, ny amendes, ne les autres punitions dont les Magistrats ont accoustumé d’user. D’avantage, elle n’est point à cela, que celuy qui a péché soit puny maugré soy : mais que par un chastiment volontaire il face profession de sa pénitence. Il y a doncques grande différence, d’autant que l’Eglise n’attente et n’usurpe rien de ce qui est propre au Magistrat : et le Magistrat ne peut faire ce qui est fait par l’Eglise. Cela sera mieux entendu par exemple. Si quelqu’un s’enyvre, il sera puni par prison en une ville bien policée : s’il paillarde, d’une mesme punition, ou bien plus rigoureuse, comme la raison le veut : en ceste sorte il sera satisfait et aux loix, et aux Magistrats, et au jugement terrien. Mais il se pourra faire que ce malfaiteur ne donnera nul signe de repentance, mais plustost murmurera et se despitera. Faut-il que l’Eglise cesse en cest endroict ? Or est-il ainsi qu’on ne peut recevoir telles gens à la Cène, sans faire injure à Jésus-Christ et à sa saincte institution. D’avantage, la raison requiert cela, que celuy qui a scandalisé l’Eglise par mauvais exemple, oste le scandale qu’il a esmeu, en faisant solennelle déclaration de sa repentance. La raison qu’ameinent ceux qui sont d’opinion contraire, est trop froide. Jésus Christ, disent-ils, donnoit ceste charge à son Eglise, du temps qu’il n’y avoit point de Magistrat pour l’exécuter. Mais je respon que souventesfois il advient qu’un Magistrat est nonchalant, ou bien que luy-mesme mérite d’estre chastié, comme il adveint à l’Empereur Théodose. D’avantage, on en pourroit autant dire quasi de tout le ministère de la Parole : c’est que les Pasteurs n’auroyent que faire de reprendre maintenant les crimes notoires, ne crier à l’encontre, ny arguer, ne menacer, d’autant qu’il y a des Magistrats chrestiens, qui sont pour corriger telles fautes. Mais je di au contraire, que comme le Magistrat en punissant les mauvais actuellement, doit purger l’Eglise des scandales, ainsi le Ministre de la Parole doit de son costé aider au Magistrat, à ce qu’il n’y ait pas tant de malfaiteurs. Voylà comment leurs administrations doyvent estre conjoinctes, que l’une soit pour soulager l’autre et non pas pour l’empescher.
4.11.4
Et pour vray, si on regarde de près les paroles de Christ, il est tout évident qu’il ne parle point là d’un estat temporel mais perpétuel. Car il ne seroit pas convenable d’accuser par-devant la justice terrienne celuy qui ne voudroit point obtempérer à nos admonitions : ce qu’il faudroit faire néantmoins, si le Magistrat eust succédé à l’Eglise. Et que dirons-nous de ceste promesse ? En vérité, en vérité je vous di que ce que vous aurez lié en terre sera lié au ciel. A-elle seulement esté donnée pour un an, ou pour peu de temps ? Outreplus, Jésus-Christ n’a rien institué de nouveau en ce passage, mais a suyvy la coustume ancienne, qui avoit tousjours esté observée au peuple judaïque. Et en cela il a démonstré que l’Eglise ne se pouvoit passer de jurisdiction spirituelle, laquelle avoit esté dés le commencement : ce qui a esté confermé par un commun accord de tout temps. Car quand les Empereurs et gens de justice sont venus à la Chrestienté, on n’a point pourtant aboly la jurisdiction spirituelle, mais seulement on l’a ordonnée en sorte, qu’elle ne déroguast en rien à la justice terrienne, et qu’elle ne fust point meslée avec : et à bon droict. Car si un Magistrat est fidèle, il ne se voudra point exempter de la sujétion commune des enfans de Dieu, sous laquelle ceste partie est comprinse, qu’il se submette à l’Eglise, entant qu’elle juge par la Parole de Dieu : tant s’en faut qu’il doyve oster un tel jugement. Car qu’y a-il plus honorable à l’Empereur, dit sainct Ambroise, que d’estre fils de l’Eglise, veu qu’un bon Empereur est au nombre de l’Eglise, et non point par-dessus icelle[a] ? Pourtant ceux qui despouillent l’Eglise de ceste puissance pour exalter le Magistrat ou la justice terrienne, non-seulement corrompent le sens des paroles de Christ par fausse interprétation, mais aussi accusent d’un grand vice les saincts Evescques, qui ont esté en grand nombre depuis le temps des Apostres, comme s’ils eussent usurpé la dignité et office du Magistrat sous fausse couverture.
[a] Epist. Ad Valentianum.
4.11.5
Mais il faut aussi bien veoir d’autre part, quel a esté jadis le vray usage de la jurisdiction de l’Eglise, et combien grand abus il y est survenu : afin que nous sçachions ce qui doit estre cassé et mis bas, et ce qui doit estre remis en son entier, si nous voulons destruire le règne de l’Antéchrist, pour restituer derechef le règne de Christ. Premièrement, ayons ce but de prévenir les scandales, et s’il y en a desjà quelqu’un, de l’abolir. Il y a deux choses à considérer en l’usage : c’est que ceste puissance spirituelle soit du tout séparée du glaive et de la puissance terrienne. Secondement, qu’elle ne s’exerce point au plaisir d’un seul homme, mais par une bonne compagnie députée à cela. L’une et l’autre a esté observée en l’Eglise ancienne. Car les saincts Evesques n’ont point exercé leur authorité ou par amendes, ou par prisons, ou par autres punitions civiles : mais ont usé, comme il appartenoit, de la seule Parole de Dieu 1Cor. 5.4. Car la vengence extrême de l’Eglise est l’excommunication, de laquelle elle n’use qu’en grande nécessité. Or l’excommunication ne requiert point force de mains, mais se contente de la seule vertu de la Parole. Somme, la jurisdiction de l’Eglise primitive n’a esté autre chose qu’une prattique de ce que dit sainct Paul, touchant l’authorité spirituelle des Pasteurs. La puissance spirituelle, dit-il, nous est donnée, pour démolir toute forteresse, et pour abaisser toute hautesse qui se dresse contre la cognoissance de Dieu : pour assujetir tout entendement, et l’amener comme prisonnier en l’obéissance de Christ 2Cor. 10.4-5, ayans en main la vengence contre toute désobéissance. Comme ce qu’il dit là se fait par la prédication, aussi à ce que la doctrine ne soit en mespris, ceux qui se disent domestiques de la foy, doyvent estre jugez selon le contenu d’icelle. Or cela ne se peut faire, qu’avec la prédication l’Eglise n’ait l’authorité d’appeler ceux qui méritent d’estre admonestez en privé, ou reprins plus asprement : semblablement l’authorité d’interdire la communion de la Cène à ceux qu’on n’y peut recevoir sans profaner le mystère et Sacrement. Parquoy ce qu’il dit ailleurs, que ce n’est pas à nous de juger les estrangers 1Cor. 5.12, monstre qu’il assujetti les enfans et domestiques de l’Eglise aux censures et répréhensions qui sont pour chastier les vices, et qu’alors on exerçoit discipline de laquelle nul des fidèles n’estoit exempté.
4.11.6
Ceste puissance, comme nous avons récité, n’estoit point en la main d’un homme seul, à ce qu’il feist à sa guise tout ce qu’il luy plairoit : mais il y avoit la compagnie des Anciens, laquelle estoit en l’Eglise comme le Sénat ou Conseil est en une ville. Sainct Cyprien faisant mention de la coustume de son temps, monstre que tout le Clergé assistoit en cela à l’Evesque pour consulter en commun : mais en d’autres passages il démonstre aussi que le Clergé présidoit tellement en cest affaire, que le peuple n’estoit point forclos de telle cognoissance. Car voyci ses paroles : Depuis que je suis fait Evesque, j’ay tousjours conclu cela, de ne rien faire sans le conseil du Clergé et le consentement du peuple[b]. Mais c’estoit-ci la façon commune et usitée, que la jurisdiction de l’Eglise fust exercée par la compagnie des Prestres, descquels, comme j’ay dit, il y en avoit deux espèces : c’est que les uns avoyent l’office d’enseigner, les autres n’estoyent que députez pour avoir esgard sur la vie de tous. Ceste ordonnance petit à petit, se corrompit, tellement que desjà du temps de sainct Ambroise le Clergé seul exerçoit les jugemens en l’Eglise : de quoy luy-mesme se complaind, en disant, La Synagogue ancienne, et puis après l’Eglise a eu des Anciens, sans le conseil desquels rien ne se faisoit. Je ne sçay par quelle négligence cela s’en est allé en décadence, sinon que par la nonchalance des sçavans, ou plustost par leur orgueil, d’autant qu’ils ont voulu dominer tous seuls[c]. Nous voyons combien ce sainct personnage est fasché de ce qu’on avoit aucunement décliné de la pureté : combien que de ce temps-là ils eussent encore un ordre, pour le moins, passible. S’il voyoit doncques maintenant les horribles ruines, ausquelles à grand’peine il y apparoist une petite trace de l’édifice ancien, quelles quérimonies en feroit-il ? Premièrement, ce qui estoit donné à toute l’Eglise, les Evesques l’ont usurpé à eux seulement. C’est tout ainsi que si en un Parlement ou en un Conseil de ville, un Président, un Consul ou Maire déchassoit les Conseillers pour régner luy seul. Or comme l’Evesque est supérieur en degré à chacun des autres, aussi d’autre part il faut que toute l’assemblée ou congrégation ait plus d’authorité qu’un seul homme. Ç’a esté doncques un acte trop téméraire et désordonné, qu’un homme seul attirant à soy la puissance commune, a premièrement ouvert la porte à une tyrannie desbordée. Secondement, a ravi à l’Eglise ce qui luy appartenoit. Tiercement, a renversé et aboly l’ordre institué par Christ.
[b] Epist. XIV, lib. III, et esjusdem lib. epist. XIX, et alibi ; epist. X, lib. III.
[c] In quint. cap. I ad Tim.
4.11.7
Mais encores, comme un mal attire tousjours l’autre, les Evesques avec le temps ne daignans point s’empescher de ceste charge, comme si elle n’estoit pas digne de leurs personnes, l’ont commise à des autres. De là sont venus les Officiaux, qui ont esté faits pour tenir la jurisdiction ecclésiastique. Je ne di pas encores quelles gens : seulement je di qu’ils ne diffèrent en rien des juges séculiers, et toutesfois ils appellent encores leur jurisdiction. Spirituelle : combien qu’on n’y plaidoye quasi que de chose terrienne. Encores qu’il n’y eust autre mal, quelle honte est-ce à eux, d’appeler une justice contentieuse, la justice de l’Eglise ? Mais on y fait, disent-ils les monitions et les excommuniemens. Est-ce ainsi qu’on se joue de Dieu ? Un povre homme doit de l’argent, il est cité par-devant monsieur l’Official : s’il comparoist, il est condamné : après la sentence, s’il ne paye on l’admoneste : après la seconde monition, on l’excommunie : s’il ne comparoist à la citation, on l’admoneste aussi bien de se représenter : s’il ne le fait au jour, on l’admoneste pour la seconde fois, et incontinent on l’excommunie. Je vous prie, qu’y a-il là de semblable ou à l’institution de Christ, ou à l’usage ancien, ou à la façon de l’Eglise ? Ils répliqueront qu’on y corrige aussi bien les vices. C’est bien dit : non-seulement ils souffrent paillardises, insolences, yvrongneries et toutes telles vilenies, mais les approuvent quasi, et entretienent par leur consentement : et non-seulement au peuple : mais au Clergé. Seulement ils en appellent quelques-uns, ou afin qu’il ne semble point advis qu’ils soyent du tout sans souci, ou afin de les punir par la bourse. Je laisse là les pillages, rapines, larrecins et sacrilèges qui s’en recueillent. Je ne di pas aussi quelle manière de gens on eslit le plus souvent à cest office. Ce seul point nous est plus qu’assez, que quand les Romanisques se vantent de leur jurisdiction spirituelle, il nous est aisé de leur remonstrer qu’il n’y a rien plus contraire à la façon que Jésus-Christ nous a baillée, et qu’elle est autant semblable à la coustume ancienne, que les ténèbres ressemblent à la clairté.
4.11.8
Combien que nous n’ayons tout dit ce qui se pouvoit yci amener et qu’encores ce qu’avons dit ait seulement esté touché en peu de paroles : toutesfois je pense tellement avoir abatu nos adversaires, que nul n’aura plus à douter que la puissance spirituelle, de laquelle le Pape avec tout son règne se glorifie, ne soit une tyrannie profane contre la Parole de Dieu, et injuste sur son Eglise. Or sous ce nom de Puissance spirituelle, je compren tant la hardiesse qu’ils ont entreprinse à semer nouvelles doctrines, pour destourner le povre peuple de la pure simplicité de la Parole de Dieu, que les traditions iniques dont ils ont enlacé les povres âmes, et toute leur jurisdiction ecclésiastique, qu’ils appellent : laquelle ils exercent par leurs suffragans, vicaires, pénitenciers, et officiaux. Car si nous souffrons que Christ règne entre nous, toute ceste domination est quant et quant abatue et ruinée. Il n’appartient pas à ce présent propos de traitter l’autre espèce de leurs seigneuries, qui gist en possessions et patrimoines, puis qu’elle n’est point exercée sur les consciences. Combien qu’en cela aussi on peut appercevoir qu’ils sont tousjours semblables à eux-mesmes : c’est-à-dire rien moins que Pasteurs de l’Eglise, comme ils veulent estre appelez. Je ne touche point yci les propres vices des hommes, mais une peste commune de tout leur estat : veu qu’il ne leur semble point advis qu’il soit bien ordonné, s’il n’est eslevé en richesses et orgueil. Si nous demandons l’authorité de Jésus-Christ sur cela, il n’y a doute qu’il n’ait voulu exclurre les ministres de sa Parole de seigneurie terrienne, quand il a dit. Les Roys dominent sur les peuples : mais il n’est pas ainsi de vous Matt. 20.25-26 ; Luc 22.25-26. Car par ces paroles non-seulement il signifie que l’office d’un Pasteur est différent de l’office d’un Prince : mais que ce sont choses tant diverses, qu’elles ne peuvent convenir toutes deux à une seule personne. Car ce que Moyse a eu toutes les deux charges ensemble Exo. 18.16, cela premièrement s’est fait par miracle ; secondement il n’a esté que pour un temps, jusques à ce que les choses fussent mieux establies. Mais depuis que Dieu eut ordonné une forme telle qu’il la vouloit, il ne demeura à Moyse que le gouvernement civil. Touchant de la Prestrise, il falut qu’il la résignast à son frère Aaron : et à bon droict. Car cela passe la faculté de nature, qu’un seul homme puisse soustenir les deux charges. Et a esté ainsi diligemment observé de tout temps en l’Eglise : et n’y a jamais eu nul Evesque, durant qu’il y avoit encores quelque forme apparente d’Eglise, qui se soit advisé d’usurper la puissance du glaive : tellement que c’estoit un proverbe commun du temps de sainct Ambroise, que les Empereurs avoyent tousjours plus appéter la dignité sacerdotale, que les Prestres n’avoyent affecté l’Empire ou seigneurie. Car ceste persuasion estoit enracinée au cœur de tous. Que les palais appartenoyent aux Empereurs, et les Eglises aux Evesques, comme luy-mesme le dit un peu après[d].
[d] Refert. hoc Homil. de basilic.
4.11.9
Mais depuis qu’on a trouvé ce moyen, que les Evesques reteinssent le tiltre, l’honneur, et le proufit de leur office, sans charge ne solicitude : afin de ne les point laisser du tout oisifs, la puissance du glaive leur a esté donnée, ou plustost ils l’ont prinse d’eux-mesmes. Sous quelle couleur défendront-ils une telle impudence ? Premièrement, estoit-ce à faire aux Evesques de s’empescher des justices, d’entreprendre les gouvernemens des villes et pays, et autres charges qui ne leur appartienent de rien ? veu que la charge de leur office est si grande, que s’ils estoyent continuellement après, à grand’peine s’en pourroyent-ils acquitter. Mais selon leur hardiesse accoustumée, ils n’ont point de honte d’alléguer qu’en ceste manière la gloire de Christ est exaltée comme il appartient : et ce pendant qu’ils ne sont pas trop distraits de leur vocation. Quant au premier, si c’est un ornement convenable à la dignité épiscopale, que les Evesques avec leur Pape soyent si hauts montez, qu’ils facent mesmes peur aux Princes de leur force : il faut qu’ils se plaignent de Jésus-Christ, par lequel leur honneur a esté grandement blessé, si ainsi est. Car suyvant leur opinion, quel plus grand outrage leur pouvoit-il faire, qu’en disant, Les Roys et Seigneurs dominent sur leurs peuples, mais il ne sera pas ainsi de vous Matt. 20.25 ; Luc 22.25 ? Combien que par ces paroles il n’a point imposé une condition plus dure à ses serviteurs, que luy-mesme l’a prinse pour luy. Car voyci ses paroles, Qui est-ce qui m’a constitué Juge entre vous, ou faiseur de partage Luc 12.14 ? Par lesquelles nous voyons qu’il proteste qu’il n’est pas en authorité de Juge terrien : ce qu’il ne feroit si c’estoit chose convenable à son office. Les serviteurs ne se laisseront-ils pas réduire à la raison et au point auquel le Maistre s’est volontairement submis ? Touchant du second, je voudroye qu’il le prouvassent aussi bien par expérience, comme il leur est facile d’en babiller. Mais s’il n’a pas semblé bon aux Apostres, de vacquer à distribuer les aumosnes en délaissant la Parole de Dieu Actes 6.2 : par cela ils sont convaincus qu’il n’est pas en un homme seul, de faire l’office, d’un bon Prince et d’un bon Evesque ensemble. Car si iceux Apostres, lesquels selon l’excellence des grâces qu’ils avoyent receues de Dieu, estoyent beaucoup plus suffisans pour satisfaire à grandes charges, que nul qui ait esté depuis eux, ont néantmoins confessé qu’ils ne pouvoyent ensemble vacquer à l’administration de la Parole et des aumosnes, qu’ils ne défaillissent sous le fais : comment ceux-ci, qui au pris des Apostres ne sont rien, pourroyent-ils au centuple surmonter leur diligence ? Certes c’estoit une hardiesse trop téméraire d’attenter une telle entreprinse : toutesfois il a esté fait ; comment il en est prins : chacun le voit. Et certes l’issue n’en pouvoit estre autre, sinon que tels entrepreneurs, renonçans à leur propre charge, feissent le mestier des autres.
4.11.10
Il n’y a doute qu’ils ne soyent parvenus de petit commencement là où nous les voyons, s’avançans par succession de temps, comme pas à pas. Car ils ne pouvoyent pas sauter si haut du premier coup : mais en partie par fraudes et prattiques couvertes, ils se sont eslevez comme à la desrobée, tellement que nul n’appercevoit le larrecin, jusques à ce qu’il fust fait : en partie selon que l’occasion s’y adonnoit, ils ont arraché des mains des Princes par crainte et par menaces quelque augmentation : en partie aussi voyans les Princes estre prompts et enclins à leur donner, ils ont abusé de leur facilité inconsidérée. Ceste coustume estoit jadis entre les fidèles, que s’ils avoyent quelque différent, pour éviter plaidoyer ils constituoyent leur Evesque arbitre, d’autant qu’ils ne doutoyent point de sa preud’hommie : et faloit que les Evesques fussent enveloppez souvent en ces arbitrages, combien qu’il leur despleust. Mais afin que les parties n’entrassent en contention de procès, ils estoyent contens de soustenir ceste fascherie, comme sainct Augustin le tesmoigne. Les successeurs ont fait de ces arbitrages volontaires, qui estoyent seulement pour retirer les hommes de procès, une jurisdiction ordinaire. Semblablement, pource que les villes et pais se sentoyent fouliez, et qu’on les molestoit, ils ont prins leurs Evesques pour patrons, afin d’estre en leur sauvegarde et tutelle. Les successeurs par subtil moyen se sont faits de protecteurs, seigneurs et maistres. D’avantage, nul ne peut nier qu’ils n’ayent envahi une grande portion de ce qu’ils ont, par force ou par meschantes brigues. Touchant des Princes qui ont de leur bon gré ottroyé jurisdiction aux Evesques, ils ont esté induits à cela pour diverses raisons. Toutesfois quelque apparence de dévotion qu’ail eue leur libéralité, si ont-ils mal regardé au proufit de l’Eglise, de laquelle ils ont par ce moyen corrompu, ou plustost anéanty la vraye et ancienne intégrité. D’autre part, les Evesques qui ont abusé à leur proufit de ceste sotte facilité des Princes, ont bien monstré en ce seul acte qu’ils n’estoyent nullement Evesques. Car s’ils eussent eu une seule estincelle de bon esprit, et tel qu’ont eu les Apostres, ils eussent respondu par la bouche de sainct Paul, Les armes de nostre gendarmerie ne sont point charnelles, mais spirituelles 2Cor. 10.4. Au contraire, estans transportez d’une cupidité aveugle, ils ont perdu eux et leurs successeurs, et l’Eglise.
4.11.11
Finalement, le Pape ne se contentant plus desjà des contez ou duchez moyennes, a mis la patte premièrement sur les royaumes, et en la fin mesme sur l’Empire d’Occident. Et afin de s’entretenir par quelque couleur en la possession d’iceluy, laquelle il a acquise par brigandages, quelquesfois il se glorifie de l’avoir par droict divin, maintenant il prétend la donation de Constantin, maintenant quelque autre tiltre. Premièrement, je luy respon avec sainct Bernard, que quelque raison qu’il ait de se nommer Empereur, toutesfois ce n’est point selon le droict apostolique. Car sainct Pierre ne pouvoit, dit-il, donner ce qu’il n’avoit point : mais il a laissé à ses successeurs ce qu’il avoit, asçavoir la solicitude des Eglises[e]. Puis il adjouste, Veu que le Seigneur et le Maistre dit, qu’il n’est pas constitué juge entre deux Luc 12.14 : le serviteur et disciple ne doit point trouver estrange, s’il n’est pas juge de tous. Or il parle en ce lieu-là des jugemens terriens. Car il adjouste encores, parlant au Pape, Vostre puissance doncques n’est point sur les possessions, mais sur les péchez : d’autant que vous avez receu les clefs du royaume céleste, non point pour estre grand seigneur, mais pour avoir la correction des vices. Laquelle dignité vous semble advis plus grande, de remettre les péchez, ou de diviser les possessions ? Il n’y a point de comparaison. Ceste supériorité terrienne a ses juges, qui sont les Rois et Princes de la terre. Pourquoy envahissez-vous les limites d’autruy ? Item, Vous estes fait supérieur : mais non point pour dominer, comme je pense. Pourtant quelque réputation que vous ayez de vous, qu’il vous souviene que vostre estat emporte ministère et service, non point seigneurie. Apprenez qu’il vous faut avoir une besche pour cultiver la vigne du Seigneur, et non point porter un sceptre. Item, C’est chose claire que toute seigneurie est interdite aux Apostres : comment doncques toy, oseras-tu usurper le tiltre d’Apostre en seigneuriant : ou seigneurie, estant assis au siège apostolique ? Finalement il conclud : La forme apostolique est telle, que toute seigneurie leur est interdicte, et leur est enjoinct de ministrer et servir[f]. Comme ainsi soit que tout ce que dit là sainct Bernard, soit une certaine et pure vérité de Dieu, tellement que quand il ne l’auroit point dit, chacun cognoist qu’ainsi est : toutesfois le Pape n’a point eu de honte de décréter en un Concile d’Arles, que la puissance souveraine des deux glaives luy compétoit par droict divin.
[e] De consider., lib. II.
[f] De consider., lib. II.
4.11.12
Quant est de la donation de Constantin, dont ils se vantent, ceux qui ont aucunement leu les histoires de ce temps-là, sçavent combien cela est non-seulement faux et controuvé, mais aussi sot et ridicule. Mais encores que nous laissions là les histoires : sainct Grégoire, qui a esté environ quatre cens ans après, nous en peut estre tesmoin suffisant. Or toutes fois et quantes qu’il parle de l’Empereur, il l’appelle son gracieux seigneur, et se nomme serviteur indigne d’iceluy[g]. Item, en quelque passage il dit, Que vous qui estes nostre Prince et Seigneur, ne soyez point courroucé contre les Evesques, d’autant que vous avez la puissance terrienne sur eux, mais que vous ayez ceste bonne considération, de dominer tellement sur eux, qu’à cause de celuy duquel ils sont ministres, vous les ayez en révérence[h]. Nous voyons comme il se met au rang du commun peuple, pour estre sujet avec les autres : car là il traitte son propre affaire. Item, en un autre passage, J’ay confiance en Dieu tout-puissant, qu’il vous donnera longue vie, et nous gouvernera selon sa grâce sous vostre main[i]. Je n’allègue point ces choses comme voulant deschiffrer au long la question de la donation de Constantin : mais c’est seulement pour monstrer en passant aux lecteurs, combien c’est une fable puérile de vouloir faire le Pape Empereur. Et d’autant plus grande a esté la vilenie du bibliothécaire du Pape, Augustin Steuche, lequel a esté si effronté de se faire advocat d’une cause si désespérée, pour gratifier à son maistre. Laurent Valle avoit desjà assez réfuté ceste fable, comme il estoit aisé à un homme docte et d’esprit aigu, combien qu’il n’eust pas dit tout ce qui pouvoit servir à l’argument, d’autant qu’il n’estoit pas fort exercé, ny en l’Escriture, ny en ce qui concerne la religion et l’estat de l’Eglise. Voyci Steuchus qui se jette aux champs, et apporte des badinages sans goust ne saveur, pour esblouir les yeux du monde en une chose si claire. Au reste, il démeine si froidement ceste cause, que quelque plaisant qui se voudroit mocquer parleroit un mesme langage. Mais la cause mérite bien que le Pape achète tels procureurs pour la défendre. Et ces vileins qui loent leurs langues à blasphémer, sont dignes d’estre frustrez du gain qu’ils ont prétendu.
[g] Epist V, lib. II.
[h] Epist. XX, lib. III.
[i] Epist. LXI, lib. II ; epist. XXXI, lib. IV ; epist. XXXIV, lib. IV.
4.11.13
Au reste, si quelqu’un désire de sçavoir de quelle source est procédé cest Empire controuvé : il est à noter qu’il n’y a pas encores cinq cens ans que les Papes estoyent sujets des Empereurs, et jamais Pape n’estoit créé sans l’authorité de l’Empereur. Le changement vint du temps de Grégoire VII : lequel estant desjà disposé de soy-mesme à ce faire, print occasion par la folie de l’Empereur Henri IVe de ce nom. Car ce Henri, avec beaucoup d’autres insolences et actes désordonnés qu’il faisoit : vendoit communément les Eveschez d’Alemagne, ou bien les distribuoit en sa cour comme proye. Parquoy Hildebrand, c’est-à-dire le Pape Grégoire, lequel avoit esté picqué de luy, print une couverture honneste et favorable pour s’en venger. Car d’aillant qu’il sembloit advis qu’il avoit bonne cause et licite, de vouloir corriger les sacrilèges de l’Empereur, plusieurs s’adjoignirent à luy pour luy aider. D’autre costé l’Empereur Henri, à cause de son mauvais gouvernement n’estoit guères aimé de la plus grande partie des Princes. En la fin Hildebrand, qui se nommoit Grégoire, monstre sa malice, comme c’estoit un meschant et lasche vilein. Parquoy, ceux qui avoyent conspiré avec luy, l’abandonnèrent. Toutesfois si feit-il tant que ses successeurs non-seulement peussent s’exempter de sujétion, mais tenir les Empereurs en leurs liens. Depuis, il est advenu que plusieurs Empereurs ont esté plus semblables à Henri qu’à Jules César. Ainsi, il n’a point esté difficile de les douter et matter : veu qu’ils se reposoyent à leur aise en leur maison, et sans souci, pendant qu’il eust esté besoin de réprimer vertueusement la convoitise des Papes, laquelle s’augmentoit de jour en jour. Nous voyons de quelle couleur est phalerée ceste belle donation de Constantin, par laquelle le Pape fait à croire que l’Empire d’Occident luy est acquis.
4.11.14
Depuis ce temps-là les Papes n’ont jamais cessé de chasser tousjours, pour prendre en leurs filets seigneuries et jurisdictions, et occuper le bien d’autruy, maintenant par fines cautèles, maintenant par desloyauté, maintenant par guerres : mesmes en la fin ils ont réduit en leur sujétion la ville de Rome, laquelle estoit tousjours demeurée en sa liberté : et cela fut fait il n’y a encores que cent et trente ans, ou environ. Brief, ils ont tousjours continué à s’augmenter, jusques à ce qu’ils ont monté en la puissance laquelle ils obtienent aujourd’huy : pour laquelle maintenir et augmenter, ils ont jà par l’espace de deux cens ans (car ils avoyent commencé devant qu’usurper la domination sur la ville) tellement troublé la Chrestienté, qu’ils l’ont quasi du tout destruite. Il adveint du temps de sainct Grégoire, que les gouverneurs des biens ecclésiastiques se mirent par force en possession actuelle de quelques biens qui appartenoyent à l’Eglise, mettans l’armoirie en signe de vendication, à la coustume des Princes : sainct Grégoire ayant assemblé un Concile provincial reprint asprement ceste façon profane. Il demanda aux assistans s’ils ne tenoyent point pour excommunié un homme d’Eglise qui attenteroit de ce faire, ou bien un Evesque qui le commanderoit, ou qui le souffriroit sans en faire punition : tous respondirent que c’estoit un acte méritant excommunication[j]. Or maintenant je demande, Si c’est un si grand crime d’avoir vendiqué une possession appartenante de droict à l’Eglise, seulement quand le Clergé s’entremet de ce faire par sa propre authorité, combien faudroit il d’excommunications pour suffisamment punir les Papes, qui desjà par l’espace de cinq cens ans ne machinent autre chose que guerres, effusion de sang, meurtres d’armées, pillages, ou saccagemens de villes, destructions de peuples, ruines de royaumes, seulement pour attraper à eux les biens d’autruy ? Certes c’est chose claire qu’ils ne cherchent rien moins que la gloire de Christ : Car quand ils résigneroyent de leur bon gré toute la puissance séculière qu’ils ont, et s’en démettroyent, cela n’emporteroit nul préjudice ny à la gloire de Dieu, ny à la vraye doctrine, ny au salut de l’Eglise. Mais ils sont enragez d’une cupidité desbridée de dominer : et pour ceste cause pensent que tout soit perdu, sinon qu’ils dominent en rigueur et se faisans craindre, comme dit le Prophète Ezéchiel Ezéch. 34.4.
[j] Regist., lib. IV, cap. LXXXVIII.
4.11.15
A la jurisdiction est conjoincte l’immunité, de laquelle se glorifie le Clergé romain. Car il leur semble advis qu’on leur feroit tort et injure, de les faire venir devant un juge terrien en causes personnelles : et pensent que tant la liberté que l’honneur de l’Eglise gist en cela, qu’ils soyent exempts de la justice commune. Or les Evesques anciens, qui autrement estoyent assez grans zélateurs à maintenir le droict de l’Eglise, n’ont point estimé que leur droict fust aucunement amoindry, s’ils estoyent sujets aux juges laïcs, quant aux causes civiles. Et de faict, les Empereurs chrestiens ont tousjours usé sans contredit, de leur puissance sur le Clergé. Car voyci comme parle Constantin aux Evesques de Nicomédie, Si quelqu’un des Evesques fait quelque trouble par sa folie, son audace sera réprimée par la main du ministre de Dieu : c’est-à-dire par la miene[k]. Et Valentinien dit ainsi en quelque épistre : Les bons Evesques ne détractent point de la puissance de l’Empereur : mais de bon cœur gardent les commandemens de Dieu souverain Roy, et obéissent à nos ordonnances[l]. Brief, cela estoit persuadé à chacun de ce temps-là sans aucune difficulté. Il est bien vray que les causes ecclésiastiques estoyent réservées au jugement de l’Evesque et des Prestres : Comme pour exemple, si quelque clerc n’eust rien commis contre les loix, mais seulement eust délinqué en son office, il n’estoit point adjourné au tribunal commun, mais avoit son Evesque pour juge. Semblablement s’il y avoit quelque controversie et quelque question de la foy, ou autre qui apparteinst proprement à l’Eglise, icelle en cognoissoit. Et faut ainsi entendre ce qu’escrit sainct Ambroise à l’Empereur Valentinien : Feu vostre Père, dit il, de bonne mémoire, non-seulement a respondu de bouche, mais a aussi ordonné par édits, que des différens de la foy, ceux en devoyent juger qui auroyent l’office et la dignité. Item, Si nous regardons tant l’Escriture que les exemples anciens, qui est-ce qui niera qu’en cause de la foy les Evesques doyvent juger des Empereurs chrestiens, et non pas les Empereurs des Evescques ? Item, Je fusse venu à vostre Consistoire, Sire, si les Prestres et le peuple l’eussent permis, disans qu’une cause de la foy se doit traitter en l’Eglise en la présence du peuple[m]. En ces passages il maintient bien qu’une cause spirituelle, c’est-à-dire touchant la Chrestienté, ne se doit point tirer en justice terrienne, où se débatent les causes profanes du monde : et en cela il n’y a nui qui ne loue et ne prise sa constance. Toutesfois encores qu’il ait bon droict, si est-ce qu’il proteste que quand l’Empereur y viendroit par force, il voudroit céder ; Je ne quitteray, dit-il, jamais de mon gré le lieu qui m’est commis : mais si je suis contraint, je ne sçay que c’est de répugner. Car nos armes sont prières et larmes[n]. Notons comment ce sainct personnage use d’une singulière prudence et modération, avec sa constance et hardiesse. Justine mère de l’Empereur, d’autant qu’elle ne le pouvoit attirer à l’hérésie des Arriens, s’efforçoit de le faire déposer : et fust venue au bout de son entreprinse, s’il fust venu au palais impérial pour démener là sa cause. Il nie doncques que l’Empereur soit juge compétent d’une si haute matière : ce que la nécessité du temps requéroit, et comme aussi la vérité est. Car il avoit ce jugement, que plustost il devoit mourir, que de souffrir qu’un tel exemple fust introduit en l’Eglise par son consentement : et toutesfois si on y eust procédé par violence, il n’eust point voulu résister. Car il dit qu’il n’appartient point à un Evesque de maintenir par armes la foy et le droict de l’Eglise. Quant est des autres affaires séculiers, il proteste d’estre prest à faire ce que l’Empereur luy voudra commander : S’il demande quelque tribut, dit-il, nous ne luy refusons point : les possessions de l’Eglise payent tribut. S’il demande mesmes le fond, il a puissance de le prendre : nul de nous ne s’y opposera. Sainct Grégoire aussi parle en semblable manière : Je sçay bien, dit-il, l’affection de nostre très-bon seigneur l’Empereur, qu’il n’a point accoustumé de s’entremettre des causes appartenantes aux Prestres, de peur d’estre chargé de nos péchez[o]. Il n’exclud pas du tout l’Empereur qu’il n’ait à juger sur les Prestres : mais seulement remonstre qu’il y a quelques causes, lesquelles il doit réserver au jugement ecclésiastique.
[k] Refertur. Theodorit., lib. I, cap XX.
[l] Theodorit., lib. IV, cap VIII.
[m] Epist. XXXII.
[n] Homil. de Basilic. tradend.
[o] Lib. III, epist. XX.
4.11.16
Et mesmes par ceste exemption les saincts personnages n’ont cherché autre chose, sinon de prévenir à ce que les Princes, qui ne seroyent pas trop bien affectionnez à la Chrestienté, n’empeschassent l’Eglise à faire son office. Car ils n’estoyent point marris si quelquesfois les Princes interposoyent leur authorité en choses ecclésiastiques, moyennant qu’ils le feissent pour conserver l’ordre de l’Eglise, non pas le troubler : et pour establir la discipline, non pas la ruiner. Car d’autant que l’Eglise n’a point authorité de contraindre, et mesmes ne la doit appéter (je parle de contrainte actuelle) c’est l’office des bons Princes, de maintenir la Chrestienté par bonnes loix, statuts et corrections. Suyvant ceste raison, sainct Grégoire conferme le commandement de l’Empereur Maurice, qu’il ’avoit fait à quelques Evesques, leur enjoignant de recevoir leurs voisins Evesques, qui avoyent esté déchassez de leurs sièges par les Barbares. Saint Grégoire doncques exhorte iceux Evesques à luy obéir. Et de faict, quand le mesme Empereur l’admoneste de se réconcilier avec l’Evesque de Constantinoble, il rendit bien la raison pourquoy il ne le devoit faire, sinon avec bonne condition : mais il n’allégua point son immunité, pour dire qu’il fust exempt de l’authorité impériale : au contraire il confesse en son épistre, que Maurice avoit fait ce qui convenoit à un bon Prince, en commandant aux Evesques d’estre unis ensemble : et promet de faire tout ce qu’il pourra en bonne conscience[p].
[p] Lib. I, epist. XLIII ; lib. IV, epist. XXXII, XXXIV ; lib. VII, epist. XXXIX.
Chapitre XII
De la discipline de l’Eglise, dont le principal usage est aux censures et en
l’excommunication.
4.12.1
Il faut maintenant briefvement expédier la discipline de l’Eglise, de laquelle nous avons différé de traitter jusques yci. Or icelle dépend pour la pluspart de la puissance des clefs et de la jurisdiction spirituelle. Pour avoir facile intelligence de cela, divisons l’Eglise en deux estats : asçavoir, qu’elle contiene le Clergé et le peuple. J’use de ce mot de Clercs, pource qu’il est commun, combien qu’il soit impropre : par lequel j’enten ceux qui ont office et ministère en l’Eglise. Nous parlerons en premier lieu de la discipline commune à laquelle tous doyvent estre submis : puis nous viendrons au Clergé, lequel a sa discipline propre outre celle que nous avons dite. Mais pource que d’aucuns hayssent tant la discipline qu’ils en ont mesmes le nom en horreur, il est besoin de leur remonstrer leur faute. S’il n’y a nulle compagnie, ny mesmes nulle maison, quelque petite qu’elle soit, qui se puisse maintenir en son estat sans discipline, il est certain qu’il est beaucoup plus requis d’en avoir en l’Eglise, laquelle doit estre ordonnée mieux que nulle maison ny autre assemblée. Pourtant, comme la doctrine de nostre Seigneur Jésus est l’âme de l’Eglise : aussi la discipline est en icelle comme les nerfs sont en un corps, pour unir les membres et les tenir chacun en son lieu et en son ordre. Pourtant, tous ceux qui désirent que la discipline soit abatue, ou qui empeschent qu’elle ne soit remise au-dessus, soit qu’ils le facent à leur escient, ou par inconsidération, cherchent d’amener l’Eglise à une dissipation extrême. Car que sera-ce en la fin, s’il est loisible à chacun de vivre comme il voudra ? Or il y auroit une telle liberté, sinon qu’avec la prédication de la doctrine on use d’admonitions privées, de correction et autres aides, lesquelles sont pour tenir la main à la doctrine, à ce qu’elle ne soit point oisive. La discipline doncques est comme une bride pour retenir et donter ceux qui sont rebelles à la doctrine, et comme un esperon pour picquer ceux qui d’eux-mesmes sont tardifs et nonchalans : ou bien quelquesfois comme une verge paternelle, pour chastier doucement et avec mansuétude chrestienne, ceux qui ont failly plus griefvement. Ainsi, puis que nous voyons que l’Eglise s’en va déserte et désolée, s’il n’y a autre solicitude et moyen d’entretenir le peuple en l’obéissance de nostre Seigneur, la nécessité crie qu’on a mestier de remède. Or le remède unique est celuy que Jésus-Christ commande, et qui a esté tousjours en usage entre les fidèles.
4.12.2
Le premier fondement de la discipline est, que les admonitions privées ayent lieu : c’est-à-dire, que si quelqu’un ne fait point son devoir de bon gré, ou qu’il se desborde en insolence, ou qu’il ne vive pas honnestement, ou qu’il ait commis chose digne de répréhension, qu’il souffre d’estre admonesté, et qu’un chacun mette peine d’admonester ses prochains quand il en sera mestier : mais que sur tous les autres, les Pasteurs et Prestres veillent sur cela, d’autant que leur office est non-seulement de prescher en chaire, mais aussi admonester et exhorter en particulier par les maisons, ceux envers lesquels la doctrine générale n’aura point assez d’efficace : comme sainct Paul le monstre, quand il récite qu’il a enseigné les Ephésiens tant par les maisons comme en public, protestant qu’il est pur du sang de tous, d’autant qu’il n’a cessé d’admonester un chacun nuict et jour avec larmes Actes 20.20, 26, 31. Car lors la doctrine a sa plene authorité et produit son fruit, quand le ministre non-seulement déclaire à tous ensemble comment ils doyvent vivre, mais aussi a moyen et entrée d’inciter en particulier ceux lesquels il voit estre nonchalans, ou mal obéissans à la doctrine, et les soliciter à s’acquitter : Si quelqu’un rejette avec rébellion telles remonstrances, ou bien en persévérant à mal faire, monstre qu’il n’en tient conte après avoir esté pour la seconde fois admonesté en la présence de deux ou trois tesmoins, il doit, selon le commandement de Jésus-Christ, estre remis au jugement de l’Eglise, et là estre admonesté plus à bon escient par l’authorité publique, d’escouter l’Eglise, se submettre à icelle en humilité, et obéir. Si on n’en peut chevir par ce moyen, mais qu’il continue en sa meschanceté, lors on le doit exclurre et bannir de la compagnie des Chrestiens, comme contempteur de l’Eglise Matt. 18.15, 17.
4.12.3
Mais pource que Jésus-Christ en ce passage-là ne parle que des vices occultes et cachez, il nous faut mettre ceste distinction entre les péchez, qu’aucuns sont cachez, et les autres publiques ou notoires. Quant aux premiers, Jésus-Christ parlant à un chacun particulier dit. Argue celuy qui aura failly, entre toy et luy secrettement Matt. 18.15. De ceux qui sont notoires, sainct Paul dit à Timothée, Argue-le devant tous, afin que les autres craignent 1Tim. 5.20. Car Jésus-Christ avoit dit au paravant, Si ton frère a péché contre toy, ou envers toy : lequel mot on ne peut autrement exposer, que comme s’il disoit, Si quelqu’un a péché, et que tu le sçaches toy seul, sans qu’il y ait d’autres tesmoins. Ce que sainct Paul commande à Timothée, de rédarguer ceux qui auront fait faute manifeste, il l’a suyvy et gardé envers Pierre, Car pource que la faute d’iceluy estoit scandaleuse, il ne l’admonesta point à part, mais l’amena devant toute l’Eglise Gal. 2.14. Ceste façon de procéder sera droicte et légitime, si en corrigeant les fautes secrettes nous suyvons les degrez que Jésus-Christ a mis : et en corrigeant celles qui sont manifestes, nous venons du premier coup devant l’Eglise, mesmement si elles emportent scandale publique.
4.12.4
Il nous faut aussi avoir une autre distinction entre les péchez : c’est que les uns sont fautes moindres, et à pardonner plus facilement : les autres sont crimes, ou actes vileins et meschans. Pour corriger les crimes, il ne suffit point d’user d’admonition ou remonstrance, mais de remède plus sévère : comme sainct Paul le démonstre, quand non-seulement il reprend de parole l’inceste de Corinthe, mais le chastie par excommunication, estant bien informé du cas 1Cor. 5.4-5. Nous commençons doncques jà d’appercevoir plus clairement comment la jurisdiction spirituelle d’Eglise, laquelle selon la Parole de Dieu corrige les fautes, est une très-bonne aide pour la conservation de l’Eglise, fondement de l’ordre d’icelle, et lien d’unité. Parquoy l’Eglise, quand elle déboute de sa compagnie tous manifestes adultères, paillards, larrons, abuseurs, voleurs, rapineurs, homicides, séditieux, batteurs, noiseux, faux tesmoins et autres semblables : item, ceux qui n’auront pas commis crimes si énormes, mais ne se seront voulu amender de leurs fautes, et se seront monstrez rebelles : elle n’entreprend rien outre raison, mais seulement elle exécute la jurisdiction que Dieu luy a baillée. Et afin que nul ne mesprise un tel jugement de l’Eglise, ou estime petite chose d’estre condamné par la sentence des fidèles, le Seigneur a testifié que cela n’est autre chose qu’une déclaration de sa propre sentence : et que ce qu’ils auront prononcé en terre, sera ratifié au ciel Matt. 16.19 ; 18.18 ; Jean 20.23. Car ils ont la Parole de Dieu pour condamner les pervers, ils ont la mesme Parole pour recevoir à merci tous vrais repentans. Ceux qui pensent que les Eglises puissent longuement consister sans estre liées et conjoinctes par ceste discipline, s’abusent grandement, veu qu’il n’y a doute que nous ne nous pouvons passer du remède que le Seigneur a préveu nous estre nécessaire. Et de faict, l’utilité qui en vient monstre mieux quelle nécessité nous en avons.
4.12.5
Or il y a trois fins que l’Eglise regarde en ces corrections et en l’excommuniement. La première est, que gens de mauvais gouvernement ne soyent avec grand opprobre de Dieu contez au nombre des Chrestiens, comme si l’Eglise estoit un réceptacle de meschans et mal vivans. Car puis que l’Eglise est le corps de Christ Col. 1.24, elle ne peut estre contaminée par membres pourris, qu’une partie de la honte n’en reviene au Chef. Afin doncques qu’il n’y ait rien en l’Eglise dont le Nom de Dieu reçoyve quelque ignominie, il en faut déchasser tous ceux qui par leur turpitude diffament et déshonorent la Chrestienté. Il faut aussi avoir en cest endroict esgard à la Cène du Seigneur, qu’elle ne soit point profanée en la baillant indifféremment à tous. Car il est certain que celuy auquel la dispensation en est commise, s’il y admet quelqu’un lequel il en doyve et puisse repousser, est coulpable de sacrilège, comme s’il donnoit aux chiens le corps du Seigneur. Pourtant sainct Chrysostome se courrouce contre les Prestres, lesquels pour crainte des grans et des riches n’osoyent rejetter nul d’eux quand ils s’y présentoyent. Le sang, dit-il, en sera requis de vos mains : si vous craignez l’homme mortel, il se mocquera de vous : si vous craignez Dieu, les hommes mesmes vous auront en honneur. Que nous ne soyons point estonnez ne de sceptres, ne de diadème, ne de pourpre, nous avons yci une plus grande puissance. Quant à moy, je présenteray plustost mon corps à la mort, et souffriray que mon sang soit espandu plustost que d’estre participant de ceste pollution[q] Ezéch. 18.18 ; 33.8. Afin doncques que ce sainct mystère ne soit en opprobre, il est bien requis qu’on l’administre avec discrétion : laquelle requiert qu’il y ait jurisdiction en l’Eglise. La seconde fin est, que les bons ne soyent corrompus par la conversation des mauvais, comme il advient souventesfois. Car selon que nous sommes enclins à nous desvoyer, il ne nous est rien plus facile que de suyvre mauvais exemple. Ceste utilité a esté notée par l’Apostre, quand il commandoit aux Corinthiens de bannir de leur compagnie celuy qui avoit commis inceste : Un petit de levain, dit-il, aigrit toute la paste. Et mesmes le sainct Apostre voyoit un si grand danger en cela, qu’il défendoit aux bons toute compagnie et familiarité des meschans : Si celuy, dit-il, qui se renomme frère entre vous, est paillard, ou avaricieux, ou idolâtre : ou mal disant, ou yvrongne, ou rapineur, je ne vous permets point de manger avec luy 1Cor. 5.6, 11. La troisième fin est, que ceux qu’on chastie par excommunication, estans confus de leur honte se repentent, et par telle repentance vienent à amendement. Et ainsi il est expédient, mesmes pour leur salut, que leur meschanceté soit punie, afin qu’estans advertis par la verge de l’Eglise, ils recognoissent leurs fautes esquelles ils se nourrissent et endurcissent, quand on les traitte doucement. C’est ce que veut dire l’Apostre en ce qui s’ensuyt : Si quelqu’un n’obéit point à nostre doctrine, notez le : et ne vous meslez point avec luy, afin qu’il ait vergongne 2Thess. 3.14. Item en un autre passage, quand il dit qu’il a livré l’inceste de Corinthe à Satan, en perdition de la chair, afin que l’esprit fust sauvé au jour du Seigneur 1Cor. 5.5 : c’est à dire, selon mon advis, qu’il l’a chastié d’une condamnation temporelle, afin que l’esprit fust éternellement sauvé. Il nomme cela, Livrer à Satan : pource que hors l’Eglise le diable a son règne, comme Jésus-Christ en l’Eglise. Car ce qu’aucuns entendent cela de quelque certain torment temporel qui se faisoit par le diable, cela me semble advis fort incertain : mais plustost se doit ainsi entendre comme je di[r].
[q] Homil. in Matt. III
[r] August. De verb. Apost., serm. LXVIII.
4.12.6
Puis que nous avons ces trois fins, il reste de veoir comment c’est que l’Eglise exerce ceste partie de discipline, laquelle est située en jurisdiction. Pour le premier, il nous faut tousjours retenir ceste distinction que nous avons mise ci-dessus : asçavoir, qu’il y a d’aucuns péchez qui sont publiques, les autres sont plus occultes. Les péchez publiques, sont ceux qui ne sont pas seulement cognus à un ou à deux tesmoins, mais ont esté commis manifestement, et avec scandale de toute l’Eglise. J’appelle péchez occultes, non pas ceux qui sont du tout incognus des hommes, comme sont ceux des hypocrites (car ceux-là ne vienent point en la cognoissance de l’Eglise) mais ceux qui sont tellement secrets, que quelques-uns les cognoissent. La première espèce ne requiert point qu’on y procède par les degrez que Jésus-Christ met au chapitre XVIII de sainct Matthieu : mais quand il advient ainsi quelque scandale notoire, l’Eglise doit du premier coup faire son office en appelant le pécheur, et le corrigeant selon la mesure de sa faute. Quant aux péchez secrets, on ne les doit point attirer du premier coup à l’Eglise, sinon qu’il y ait coutumace et rébellion, que l’homme ne vueille point obéir aux remonstrances qu’on luy fait, selon ceste reigle. S’il ne veut point escouter, di-le à l’Eglise. Or quand on est venu jusques là, il faut lors observer l’autre distinction entre les crimes et fautes plus légères. Car ce n’est point raison d’user d’une mesme sévérité envers un délict moindre, qu’envers un crime : mais il suffit d’user de répréhension de paroles, voire douce et paternelle, laquelle ne soit pas pour rompre et aigrir le pécheur, mais le réduire à soy-mesme, afin qu’il se resjouisse plus d’estre corrigé, qu’il ne s’en contriste. Des crimes, il les faut chastier plus rudement. Car ce n’est point assez de corriger de paroles celuy qui a offensé l’Eglise par mauvais exemple : mais il mérite d’estre privé de la communion de la Cène, jusques à ce qu’il ait donné signe de repentance. Car sainct Paul n’use point seulement de répréhension de paroles contre le Corinthien, mais il le rejette de l’Eglise 1Cor. 5.5 : tançant les Corinthiens de ce qu’ils l’avoyent si long temps souffert. Ceste façon a esté tenue en l’Eglise ancienne ce pendant qu’il y avoit encores bon gouvernement. Car si quelqu’un avoit commis un crime dont il fust sorty scandale, premièrement on luy commandoit, de s’abstenir de la Cène, puis après de s’humilier devant Dieu, et testifier sa repentance devant l’Eglise. Et de faict, il y avoit certaines choses qu’on enjoignoit aux pénitens, pour estre signes de leur repentance. Quand le pécheur avoit ainsi satisfait à l’Eglise, on le recevoit en la communion avec imposition des mains. Laquelle réception est nommée souvent Paix par sainct Cyprien : comme quand il dit, Ceux qui ont commis quelque scandale, font pénitence pour le temps qui leur est ordonné : puis ils vienent faire confession de leur faute, et par imposition des mains de l’Evesque et du Clergé obtienent paix et communion[s]. Combien que l’Evesque avec le Clergé réconcilioit tellement les pécheurs à l’Eglise, que le consentement du peuple y estoit requis, comme il le dit en un autre lieu.
[s] Epist. II, lib. I ; epist. XIV, lib. III, et ejusdem lib. epist. XXVI.
4.12.7
Ceste discipline estoit tellement commune sans exemption de personne, que les Princes mesmes se submettoyent à icelle, comme les autres : et à bon droict, veu qu’ils sçavoyent qu’elle estoit de Christ, auquel c’est bien raison que tous sceptres et diadèmes des Roys soyent sujets. En ceste manière l’Empereur Théodose estant excommunié par sainct Ambroise, à cause du sang innocent espandu par son commandement, se desvestit de tous ses ornemens royaux, et pleura publiquement son péché en l’Eglise, combien qu’il l’eust commis à la suggestion d’aucuns et demanda pardon avec larmes et souspirs[t]. Ce fut un acte à luy digne de grand’louange : car les grans Roys ne doyvent point prendre cela à déshonneur de s’humilier et ployer le genouil devant Jésus-Christ leur Prince souverain, et ne leur doit point faire mal d’estre jugez de l’Eglise. Car comme ainsi soit qu’en leurs cours ils n’oyent rien que pures flatteries, il leur est trop plus que nécessaire d’estre corrigez de Dieu par la bouche des Pasteurs : mesmes ils doyvent désirer que leur Pasteur ne les espargne point, afin que Dieu les espargne. Je laisse yci à dire qui sont ceux qui doyvent exercer ceste jurisdiction, pource que j’en ay desjà traitté ailleurs : j’adjousteray toutesfois ce point à ce que j’en ay dit, que ceste est la procédure légitime à excommunier les pécheurs, que les Prestres ne le facent point seuls, mais avec le sceu et consentement de l’Eglise : en sorte que le commun peuple n’ait point la chose en main pour dominer et aller devant, mais qu’il en soit tesmoin, pour prendre garde que rien ne se face par convoitise désordonnée. Or en cela, outre l’invocation du nom de Dieu, il est requis d’user d’une gravité, laquelle démonstre la présence de Jésus-Christ, c’est-à-dire qu’on apperçoyve qu’il préside en cest acte.
[t] Ambrosus, lib. I, epist. III, In orat. funeb. Theod.
4.12.8
Toutesfois il ne nous faut point oublier que la sévérité de l’Eglise doit estre telle, que tousjours elle soit conjoincte avec douceur et humanité. Car ce danger est tousjours à éviter, comme sainct Paul commande, que celuy qu’on chastie ne soit englouty de tristesse 2Cor. 2.7. Car par ce moyen, du remède on en feroit une poison. Combien que la reigle de modération se pourra mieux prendre de la fin d’icelle. Car puis que l’excommunication tend à ce but, que le pécheur soit amené à repentance, et qu’on oste tous mauvais exemples, à ce que le nom de Jésus-Christ ne soit point blasphémé, et que les autres ne soyent induits à mal faire en les ensuyvant : si nous regardons à ces choses, il sera facile de juger jusques à où la sévérité doit procéder, et où elle doit superséder. Ainsi quand le pécheur donne tesmoignage de repentance à l’Eglise, et, par cela oste, entant qu’en luy est, le scandale et l’efface, il ne doit estre pressé plus outre. Que si on le presse, la rigueur passe mesure. Et en cest endroict on ne peut excuser que les Anciens n’ayent esté trop austères, veu que leur façon n’a pas esté accordante à la reigle du Seigneur, et estoit merveilleusement périlleuse. Car comme ainsi soit qu’ils privassent les pécheurs de la Cène, maintenant pour trois ans, quelquesfois pour sept, quelquesfois jusques à la mort, que s’en pouvoit-il ensuyvre sinon une grande hypocrisie, ou un désespoir extrême ? Semblablement, ce que nul auquel il fust advenu de tomber derechef, n’estoit admis à pénitence pour la seconde fois, mais estoit pour toute sa vie banny de l’Eglise, cela n’estoit ny utile ne raisonnable. Quiconque doncques estimera le tout avec bon jugement, cognoistra qu’ils ont esté mal conseillez. Combien qu’en cela je réprouve plus la coustume que je n’accuse tous ceux qui en ont usé : entre lesquels il est certain qu’il y en a eu ausquels cela a despleu, mais ils la supportoyent d’autant qu’ils ne la pouvoyent corriger. Certes sainct Cyprien déclaire comment il n’a point esté aspre ne rigoureux de son vouloir : Nostre patience, dit-il, et douceur et humanité est appareillée à tous ceux qui vienent. Je désire que tous rentrent en l’Eglise. Je désire que tous nos compagnons d’armes soyent dedans le camp de Jésus-Christ, et que tous nos frères soyent en la maison de Dieu nostre Père. Je remets toutes fautes : j’en dissimule beaucoup, et de zèle que j’ay de recueillir tous nos frères en un, je n’examine point à la rigueur les fautes mesmes qui sont commises contre Dieu : et ne s’en faut guères que moy-mesme ne pèche, en pardonnant les péchez plus facilement qu’il ne seroit de mestier. J’embrasse d’une dilection prompte et entière ceux qui retournent avec pénitence, et confessent leur péché avec satisfaction humble[u]. Sainct Chrysostome estoit un petit plus rude, néantmoins si parle-il ainsi : Puis que Dieu est tant bénin, pourquoy est-ce que son ministre veut estre veu austère ? Nous sçavons aussi de quelle gracieuseté sainct Augustin usa envers les Donatistes, tellement qu’il ne douta point de recevoir au degré d’Evesque ceux qui avoyent renoncé à leur erreur, mesmes tantost après leur conversion. Mais d’autant que la façon estoit au contraire, ces bons personnages ont esté contraints de se déporter de leur jugement propre, pour suyvre la coustume receue.
[u] Ad Cornelium, epist. III, lib. I.
4.12.9
Or comme ceste douceur et humanité est requise en tout le corps de l’Eglise, qu’on ne chastie point ceux qui auront failly, jusques au bout, mais par mesure et en douceur, et plustost, selon le précepte de sainct Paul, faire valoir charité envers eux 2Cor. 2.8, ainsi un chacun particulier en son endroict se doit accomoder à ceste mansuétude et humanité. Nous ne devons point doncques effacer du nombre des esleus les excommuniez, ou en désespérer comme s’ils estoyent desjà perdus. Bien est-il licite de les juger estrangers de l’Eglise, selon la reigle que j’ay mise ci-dessus : encores cela se doit faire pour le temps de leur séparation seulement. Et encores que nous appercevions en eux plus d’orgueil et d’obstination que d’humilité : si les devons-nous encores remettre en la main de Dieu, et recommander à sa bonté, espérans mieux pour le futur que nous n’y voyons de présent. Et pour plus briefvement parler, il ne nous faut point ; condamner à mort éternelle la personne qui est en la main d’un seul Dieu : mais nous devons estimer par la Loy de Dieu, quelles sont les œuvres d’un chacun. Quand nous suyvons ceste reigle, cela est plustost se tenir au jugement que Dieu nous a déclairé, que de mettre en avant le nostre. Il ne nous faut point entreprendre plus de licence à juger, sinon que nous vueillions limiter la vertu de Dieu, et assujetir à nostre fantasie sa miséricorde, à laquelle toutes fois et quantes qu’il semble bon, les plus meschans sont convertis en gens de bien, les estrangers sont receus en l’Eglise : à ce que l’opinion des hommes soit frustrée, et leur audace réprimée : laquelle ose tousjours s’attribuer plus qu’il n’appartient, si elle n’est corrigée.
4.12.10
Touchant de ce que Christ dit, que ce que les ministres de sa Parole auront lié ou deslié en terre, sera lié et deslié au ciel Matt. 18.18, en ces paroles il limite l’authorité de lier à la censure ecclésiastique : par laquelle ceux qui sont excommuniez, ne sont point jettez en ruine éternelle et en désespoir, mais seulement en ce que leur vie est condamnée, ils sont advertis que la damnation éternelle les attend, s’ils ne se repentent. Car c’est la différence qui est entre excommunication, et l’exécration que les Docteurs ecclésiastiques appellent Anathema : qu’en anathématizant un homme (ce qui ne se doit faire guères souvent, ou du tout point) on luy oste toute espérance de pardon, et le donneon au diable : en l’excommuniant, on punit plustost ses mœurs. Et combien qu’on punisse aussi sa personne, toutesfois cela se fait en telle sorte, qu’en luy dénonçant sa damnation future, on le retire en voye de salut. S’il obéit, l’Eglise est preste de le recevoir en amitié, et le faire participant de sa communion. Parquoy, combien qu’il ne soit point loisible, si nous voulons deuement observer la discipline ecclésiastique, de hanter privément, et avoir grande familiarité avec les excommuniez, néantmoins si nous devons nous efforcer, entant qu’en nous est, soit par exhortation et doctrine, soit par clémence et douceur, soit par nos prières envers Dieu, de faire qu’ils se réduisent en bonne voye, et estans réduits, revienent en la communion de l’Eglise : comme aussi l’Apostre nous enseigne. Ne les réputez point, dit-il, comme ennemis, mais reprenez-les comme frères 2Thess. 3.15. Il requiert aussi une telle mansuétude en toute l’Eglise, quant est de recevoir ceux qui monstrent quelque signe d’amendement. Car il ne veut point qu’elle exerce une sévérité trop rigoureuse, qu’elle procède estroitement jusques au bout, et soit comme inexorable : mais plustost qu’elle viene au-devant, et se présente volontairement à les recevoir, afin qu’ils ne soyent accablez de trop grande tristesse. Si ceste modération n’est diligemment gardée, il y a danger que de discipline nous ne tombions en une manière de géhenne, et que de correcteurs nous ne devenions bourreaux.
4.12.11
Il y a aussi un autre point qui appartient et bien requis à modérer la discipline comme il faut : asçavoir ce que sainct Augustin dit en disputant contre les Donatistes, Que si les particuliers apperçoyvent que les Prestres soyent aucunement négligens à corriger les vices, qu’il ne faut pas pourtant qu’ils se séparent de l’Eglise pour faire une sédition. Semblablement, si les Pasteurs ne peuvent purger et amender toutes les fautes qui sont en leurs peuples, comme ils le désireroyent, qu’ils ne doyvent pas pourtant quitter leur estat, ou troubler l’Eglise par une rigueur désespérée. Car ce qu’il dit est très-vray, asçavoir que quiconques corrige ce qu’il peut en le rédarguant, ou ce qu’il ne peut corriger, l’exclud sans rompre l’unité : ou ce qu’il ne peut exclurre sans faire dissention, le réprouve, et néantmoins le supporte, cestuy-là est libre de malédiction, et n’est point coulpable du mal[v]. Il rend la raison en un autre passage : c’est que la façon et reigle de maintenir bonne police en l’Eglise, doit tousjours regarder unité d’esprit en lien de paix. L’Apostre, dit-il, nous commande d’ainsi faire : et quand on fait autrement, le remède des chastimens non-seulement est superflu, mais aussi pernicieux, et par conséquent n’est plus remède[w] Eph. 4.2, 3. Puis il adjouste : Qui pensera diligemment en ces choses, il ne laissera point d’user de sévérité, combien qu’il vueille conserver l’union : et ne rompra point le lien de concorde, par estre intempérant en correction[x]. Il confesse bien que non seulement les Pasteurs doyvent mettre peine que l’Eglise soit purgée de tous vices : mais aussi que chacun en son endroict se doit efforcer de ce faire. Et ne dissimule pas que celuy qui ne tient conte d’admonester, arguer et corriger les mauvais, encores qu’il ne leur favorise point, et qu’il ne pèche point comme eux, est coulpable devant Dieu : adjoustant mesmes que celuy qui est en office publique, pouvant excommunier les mauvais, s’il ne le fait point, qu’il pèche à sa condamnation : seulement il veut que cela se face avec prudence, laquelle aussi nostre Seigneur requiert, asçavoir qu’on n’arrache point le bon grain avec l’yvroye Matt. 13.29. Finalement il conclud ainsi avec sainct Cyprien, lequel il allègue, Que l’homme doncques corrige en miséricorde ce qu’il peut : ce qu’il ne peut, qu’il le souffre en patience, et qu’il en gémisse avec dilection.
[v] Contra Parmenian, lib. II, cap. I.
[w] Lib. III, cap. I.
[x] Cap. II.
4.12.12
Or ce sainct personnage dit ces choses, à cause de la trop grande rigueur des Donatistes : lesquels voyans des vices en l’Eglise, que les Evesques reprenoyent bien de paroles, mais ne les punissoyent point par excommunication (d’autant qu’ils n’espéroyent d’y proufiter par ce moyen) crioyent contre les Evesques, les blasmans courageusement comme traistres de la discipline : et qui pis est, se séparoyent par schisme de la compagnie des fidèles : comme font aujourd’huy les Anabaptistes, qui ne pensent point qu’il y ait compagnie chrestienne, sinon où il apparoisse une perfection totalement Angélique. Et pour ceste cause, sous couverture de zèle, destruisent toute l’édification qui est en l’Eglise. Telle manière de gens, dit sainct Augustin, convoitent et appètent d’attirer à eux les povres peuples, ou bien les diviser, en les séduisant par leur apparence : non point par haine qu’ils ont des péchez des autres, mais par cupidité de leurs contentions, estans enflez d’orgueil, transportez d’obstination, cauteleux à calomnier, bouillans en sédition. Et afin qu’on n’apperçoyve qu’ils sont vuides de la lumière de vérité, ils se couvrent de l’ombre de sévérité et rigueur : et ce qui nous est commandé en l’Escriture de faire, pour corriger les vices de nos frères en gardant unité et dilection, et en usant de médecine douce, ils en abusent à faire schisme et division meschante en l’Eglise. Voylà comment Satan se transfigure en Ange de lumière, induisant les hommes à cruauté inhumaine sous ombre de les faire sévères : pource qu’il ne cherche autre chose que de rompre le lien de paix et union : et de faict, c’est le seul moyen qu’il a de nous mal faire[y] 2Cor. 11.14.
[y] Cap. I.
4.12.13
Toutes ces paroles sont de sainct Augustin : mais ayant dit toutes ces choses, il recommande singulièrement, que si tout un peuple est infecté d’un vice, comme d’une maladie contagieuse, qu’on modère la sévérité par miséricorde. Car de faire séparation, dit-il, c’est un mauvais conseil et pernicieux, et vient tousjours à meschante issue : d’autant que cela est plus pour troubler les bons qui sont infirmes, que pour corriger les meschans qui sont courageux en leur mal. Or le conseil qu’il donne là aux autres, luy-mesme l’a suyvy quand mestier estoit. Car en escrivant à Aurélius Evesque de Carthage[a], il se complaind bien de l’yvrongnerie qui régnoit alors fort en Afrique, comme ainsi soit que l’Escriture la condamne tant : et exhorte ledit Evesque d’assembler un Concile provincial, pour y mettre remède. Mais il adjouste conséquemment : Je croy bien, dit-il, que ces choses se doyvent oster non point avec une rigueur trop aspre, mais par bon moyen, en enseignant plustost qu’en commandant, en admonestant plus qu’en menaçant : car il y faut ainsi besongner quand un vice est commun en tout le peuple : mais il se doit exercer plus grande sévérité quand le nombre des pécheurs n’est pas si grand. Il n’entend pas toutesfois qu’un Evesque doyve dissimuler ou se taire, quand il ne peut punir les péchez communs, comme aussi il l’expose tantost après, mais il veut que la correction soit tellement modérée, qu’elle soit une médecine plustost qu’une poison. Pourtant au troisième livre contre Parménien, après avoir longtemps disputé de ce propos, il conclud ainsi : Il ne nous faut doncques nullement négliger le précepte de l’Apostre touchant de séparer les mauvais, quand cela se peut faire sans danger de trouble et sédition, comme aussi l’intention de l’Apostre a esté : et faut aussi adviser qu’en supportant l’un l’autre, nous mettions peine de garder unité[b] 1Cor. 5.7 ; Eph. 4.2.
[a] Epist. LXIV.
[b] Contra Parmenian., lib. III, cap. II.
4.12.14
L’autre partie de la discipline, laquelle ne consiste pas proprement en la puissance des clefs, est que les Pasteurs, selon la nécessité du temps, exhortent leurs peuples ou à jusnes, ou à prières solennelles, ou à autres exercices d’humilité et repentance : desquelles choses il n’y a point reigle certaine en la Parole de Dieu, d’autant qu’il les a voulu laisser au jugement de son Eglise. Toutesfois l’observation d’icelles, comme elle est utile, a esté tousjours prattiquée en l’Eglise ancienne, depuis le temps des Apostres : combien que les Apostres mesmes n’en ont pas esté les premiers autheurs, mais en ont eu l’exemple de la Loy et des Prophètes. Car nous voyons là, que quand il survenoit quelque chose, incontinent on assembloit le peuple, et luy dénonçoit-on qu’il priast Dieu avec jusnes Joël 2.15 ; Actes 13.2-3. Les Apostres doncques ont suyvy ce qu’ils sçavoyent n’estre point nouveau au peuple de Dieu, et prévoyoyent estre utile. Il y a une semblable raison de tous les autres moyens et exercices qui tendent à inciter le peuple à faire son devoir, ou à l’entretenir en obéissance. Nous en avons les exemples çà et là aux histoires, et n’est pas mestier d’en faire yci un recueil : mais voyci la somme de ce qu’il nous en faut tenir : Quand il advient quelque différent en la Chrestienté, qui tire grande conséquence ; quand il est question d’eslire un Ministre, ou quand il y a quelque affaire difficile ou de grande importance : ou bien quand il apparoist quelque signe de l’ire de Dieu, comme peste, guerre ou famine : c’est un ordre sainct et utile en tout temps, que les Pasteurs induisent leurs peuples à jusnes et prières extraordinaires. Si quelqu’un ne reçoit point les tesmoignages qui se peuvent amener du vieil Testament à ce propos, comme s’ils ne convenoyent point à l’Eglise chrestienne, il appert que les Apostres mesmes en ont ainsi fait. Combien que des prières, je ne pense point qu’il se trouve personne qui en face difficulté. Disons doncques quelque chose du jusne. Car plusieurs, d’autant qu’ils n’entendent point à quoy il est utile, ne pensent pas qu’il soit fort nécessaire : les autres, qui pis est, le rejettent comme du tout superflu. D’autre costé, quand on n’en cognoist pas bien l’usage, il est facile de tomber en superstition.
4.12.15
Le jusne sainct et droict regarde à trois fins : c’est asçavoir pour donter la chair, à ce qu’elle ne s’esgaye par trop : ou pour nous disposer à prières et oraisons, et autres méditations sainctes : ou pour estre tesmoignage de nostre humilité devant Dieu, quand nous voulons confesser nostre péché devant luy. La première fin n’a pas souvent lieu au jusne publique, d’autant que tous ne sont pas d’une mesme complexion n’en semblable disposition de leur santé : cela doncques convient plus au jusne particulier. La seconde fin est commune à l’un et à l’autre. Car toute l’Eglise a aussi bien mestier de se disposer par jusne à prier Dieu, qu’a un chacun particulier en son endroict. Autant en est-il de la troisième fin : car quelquesfois il adviendra que Dieu frappera tout un peuple par guerre, ou par peste, ou par quelque autre calamité : en ceste verge qui est commune à tous, c’est bien raison que tout le peuple se rende coulpable. Mais si Dieu chastie quelque particulier, cestuy-là doit recognoistre sa faute avec sa famille. Il est bien vray que ceste recognoissance gist principalement en l’affection du cœur : mais quand le cœur est touché comme il doit, il ne se peut faire qu’il ne se déclaire par tesmoignage extérieur : et principalement quand cela tourne en édification des autres : afin que tous ensemble en confessant leurs péchez, rendent louange à Dieu, et s’exhortent mutuellement par bon exemple.
4.12.16
Parquoy le jusne, quand il est signe d’humiliation, convient plus à tout un peuple en public, qu’il ne fait à un homme seul en privé : combien qu’il soit commun à l’un et à l’autre, comme nous avons dit. Et tant qu’il touche la discipline, de laquelle nous traitions à présent, toutes fois et quantes que nous avons à prier Dieu en commun de quelque chose d’importance, il seroit expédient de remonstrer qu’on jusnast. En ceste sorte quand les fidèles d’Antioche voulurent imposer les mains à Paul et à Barnabas afin de mieux recommander le ministère d’iceux à Dieu ils conjoignirent le jusne avec oraison Actes 13.3. En ceste manière aussi Paul et Barnabas, voulans ordonner Ministres par les Eglises, avoyent de coustume de jusner pour mieux prier, comme sainct Luc récite Actes 14.23. En ceste espèce de jusne ils n’ont regardé autre chose, sinon afin de se mieux disposer, et se rendre plus alaigres à prier. Et de faict nous expérimentons que quand le ventre est plein, l’esprit ne se peut pas si bien eslever à Dieu, pour estre incité d’une affection ardente à prières, et persévérer en icelles. Et faut ainsi prendre ce que dit sainct Luc d’Anne la Prophétesse, qu’elle servoit à Dieu en jusnes et prières Luc 2.37. Car il ne constitue pas le service de Dieu à jusner : mais il dénote que ceste saincte femme s’exerçoit par jusnes à prier continuellement. Tel estoit aussi le jusne de Néhémie, quand il pria Dieu d’un zèle véhément pour la délivrance de son peuple Néh. 1.4. Voylà aussi en quel sens sainct Paul dit, que le mari et la femme fidèle font bien, si pour quelque temps ils s’abstienent de la compagnie du lict pour vacquer plus librement à jusne et oraison 1Cor. 7.5. Car en conjoignant le jusne à la prière, comme une aide et renfort, il signifie que de soy il seroit inutile : ainsi, qu’il le faut rapporter à ceste fin. D’avantage, en commandant aux maris et aux femmes de rendre devoir mutuel l’un à l’autre 1Cor. 7.3, il appert qu’il ne les sépare point pour faire prières ordinaires, mais quand il est question de quelque nécessité spéciale.
4.12.17
Semblablement, si quelque peste, ou famine, ou guerre commence entre nous, ou s’il y a apparence qu’il doyve advenir quelque calamité sur un peuple ou sur un pays, l’office des Pasteurs est d’exhorter l’Eglise à jusner, pour prier Dieu avec humilité qu’il destourne son ire : lequel dénonce qu’il s’appreste et s’arme à faire vengence, quand il nous monstre quelque apparence de danger. Pourtant, comme les malfaiteurs jadis avoyent de coustume de se vestir de noir, nourrir leurs barbes, et user d’autres signes de dueil pour fleschir leurs juges à miséricorde : aussi quand Dieu nous adjourne devant son siège judicial, il nous est expédient et salutaire de requérir merci avec démonstrances extérieures de nostre tristesse : et cela aussi sert à sa gloire, et à l’édification de chacun. Que tel ait esté l’usage du peuple d’Israël, il est aisé de le tirer des paroles du Prophète Joël. Car quand il commande qu’on sonne la trompette, qu’on assemble le peuple, qu’on dénonce le jusne Joël 2.15 et tout le reste qui s’ensuyt, il parle de choses tout accoustumées de son temps. Or un peu au paravant il avoit dit que desjà Dieu faisoit le procès du peuple, et que le jour de leur sentence estoit prochain, les citant à respondre. Puis après il les exhorte de courir au sac et à la cendre, à pleurs et à jusnes : c’est-à-dire il les admoneste de s’abatre et humilier devant Dieu, mesmes par tesmoignages extérieurs. Il est vray que le sac et la cendre convenoyent plus à ce temps-là qu’au nostre : mais quant est d’assembler le peuple, de pleurer, de jusner et faire les choses semblables, il n’y a doute que cela n’appartiene aussi bien à nous, toutes fois et quantes que la condition de nostre estat le requiert. Car puis que c’est un sainct exercice pour les fidèles, tant pour les humilier que pour confesser leur humilité, pourquoy n’en userions nous aussi bien comme les anciens, en nécessité semblable ? L’Escriture nous monstre que non-seulement l’Eglise d’Israël, qui estoit instruite en la Parole de Dieu, a jusné en signe de tristesse 1Sam. 7.6 ; 31.13 ; 1Rois 21.12 : mais aussi le peuple de Ninive, lequel n’avoit ouy nulle doctrine outre la prédication de Jonas Jon. 3.5. Pourquoy doncques n’en ferions-nous autant en cas pareil ? Quelqu’un me dira que c’est une cérémonie externe, laquelle a prins fin en Christ avec les autres. Je respon que c’est aussi bien aujourd’huy une très-bonne aide aux fidèles, comme c’a tousjours esté : et une admonition utile pour les resveiller, afin de ne provoquer point d’avantage l’ire de Dieu pour leur nonchalance et dureté, quand ils sont chastiez de ses verges. Pourtant Jésus-Christ excusant ses Apostres de ce qu’ils ne jusnoyent point, ne dit pas que le jusne soit aboly, mais il dit qu’il convient au temps d’affliction, et le conjoinct avec pleur et tristesse. Le temps viendra, dit- il, que l’Espoux leur sera osté Luc 5.34 ; Matt. 9.15.
4.12.18
Mais afin qu’il n’y ait point d’erreur quant au nom, il est mestier de définir que c’est que jusne. Car nous n’entendons point seulement par ce mot une simple tempérance et sobriété au boire et au manger, mais quelque chose d’avantage. Il est bien vray que la vie des fidèles doit estre attrempée d’une sobriété perpétuelle, en sorte qu’il y ait comme une espèce de jusne en l’homme chrestien, pendant qu’il vit en ce monde : mais outre cela, il y a un autre jusne temporel, quand nous restreignons nostre vivre outre ce que nous avons accoustumé d’en prendre : et cela ou pour un jour, ou pour un certain temps : et usons d’une tempérance plus estroite que d’ordinaire. Ceste restriction gist en trois choses, au temps, en la qualité des viandes, et en la mesure. J’enten par le temps, que nous soyons à jun quand nous avons à faire ce pourquoy nous jusnons. Comme pour exemple : si quelqu’un jusne à cause d’une prière solennelle, qu’il demeure à jun jusques à ce qu’elle soit faite. La qualité gist en cela que nous n’ayons pas des viandes friandes et délicates pour provoquer le palais à manger, mais que nous soyons contens de viandes simples, communes et vulgaires. La mesure est, que nous mangions moins et plus légèrement que de coustume : seulement pour la nécessité, et non point pour plaisir et volupté.
4.12.19
Toutesfois il nous faut tousjours donner garde de tomber en quelque superstition, comme il en est advenu par ci-devant avec grand dommage de l’Eglise. Car il vaudroit beaucoup mieux de n’user point de jusnes, que de les observer diligemment avec mauvaises opinions et pernicieuses, telles que le monde les conçoit volontiers, si les pasteurs ne vont au-devant songneusement et avec grande prudence. Voyci doncques les remonstrances qui nous sont nécessaires pour bien user du jusne. La première est, qu’il nous souviene de ce que dit Joël, qu’il faut rompre les cœurs, et non point les habillemens Joël 2.13 : c’est-à-dire, que nous soyons advertis que le jusne n’est pas fort estimé en soy devant Dieu, sinon qu’il se face d’affection intérieure du cœur, et que l’homme ait un vray desplaisir de soy-mesme et de ses péchez, et une vraye humilité, et une vraye douleur procédante de la crainte de Dieu. Oui plus est, que nous sçachions que le jusne n’est utile pour autre raison, que d’autant qu’il est conjoinct avec ces choses, comme une aide moindre et inférieure. Car Dieu n’a rien en plus grande exécration que ceste hypocrisie, quand les hommes en luy présentant des signes et apparence extérieure, au lieu d’un cœur pur et net, le veulent abuser de mines. Et pourtant Isaïe crie asprement contre ceste feintise, que les Juifs pensoyent avoir bien contenté Dieu quand ils avoyent jusné : jà soit que ce pendant leur cœur feust plein d’impiété et de meschantes affections. Est-ce là le jusne que j’ay esleu ? dit le Seigneur Esaïe 58.5. Pourquoy le jusne des hypocrites n’est pas seulement une peine perdue et inutile, mais une très-grande abomination. Il se faut aussi donner garde d’un autre mal prochain à cestuy-là : c’est de réputer le jusne estre une œuvre méritoire, ou un service de Dieu. Car puis que c’est une chose indifférente de soy, et qu’il n’est d’aucune importance, sinon entant qu’il regarde à ces fins que nous avons dites, c’est une superstition très-dangereuse de le mesler simplement avec les œuvres commandées de Dieu, et nécessaires de soy, sans autre regard. Les Manichéens hérétiques anciens ont esté en ceste folie, lesquels sainct Augustin rédarguant monstre bien qu’il ne faut estimer les jusnes que selon les fins que nous avons dites : et que Dieu ne les approuve point, sinon qu’on les y rapporte[c]. Le troisième erreur n’est pas du tout si meschant, toutesfois il ne laisse point d’estre dangereux : c’est de requérir et commander estroitement le jusne, comme si c’estoit une des œuvres principales de l’homme chrestien. Item de le priser tant, qu’il semble advis aux gens qu’ils ayent fait une œuvre bien digne et excellente, quand ils auront jusné. En quoy je n’ose point du tout excuser les anciens Pères, qu’ils n’ayent jetté quelque semence de superstition, et donné occasion à la tyrannie qui est survenue depuis. Il est vray qu’il y a de bonnes sentences en leurs livres touchant le jusne : mais il y a aussi des louanges excessives pour le magnifier comme une vertu singulière entre les autres.
[c] De moribus Manic., lib. II, cap. XIII, et Contra Faust., lib. XXXX.
4.12.20
D’avantage, on observoit desjà de leur temps le Quaresme, et y avoit quelque superstition en cela : d’autant que le commun populaire pensoit faire un beau service à Dieu, en quaresmant : et les Pasteurs prisoyent ceste observation, comme si elle se fust faite à l’exemple de Jésus-Christ Matt. 4.2. Or il est certain que Jésus-Christ n’a point jusné pour donner exemple aux autres, afin qu’on l’ensuyvist : mais voulant commencer la prédication de son Evangile, a voulu approuver par ceste œuvre miraculeuse, que c’estoit une doctrine venue du ciel, et non pas des hommes. C’est merveille comment un abus si lourd a peu tomber en la teste des anciens Docteurs, veu que ç’ont esté gens de bon jugement, et qu’il y avoit beaucoup de raisons au contraire à ce qu’ils ne s’abusassent point ainsi. Car Jésus-Christ n’a point jusné plusieurs fois, comme il faloit qu’il le feist s’il eust voulu constituer une loy de jusne annuel : mais une fois tant seulement, quand il s’est voulu mettre à prescher. Secondement, il n’a pas jusné en façon humaine, comme il convenoit de faire, s’il eust voulu induire les hommes à son exemple : mais plustost par cest acte il a voulu se rendre admirable à tout le monde, que d’exhorter les autres à faire le semblable. Finalement il n’y a autre raison de ce jusne, que de celuy de Moyse, quand il receut la Loy de la main de Dieu. Car comme Moyse avoit miraculeusement jusné quarante jours et quarante nuicts Exo. 24.18 ; 34.28, afin que par ce moyen l’authorité de la Loy fust confermée : c’estoit bien raison qu’il y eust un mesme miracle, fait en Jésus-Christ à ce qu’il ne semblast advis que l’Evangile fust moindre que la Loy. Or est-il ainsi que jamais nul ne s’est advisé d’introduire au peuple d’Israël une telle forme de jusne sous couleur de l’imitation de Moyse : et nul des Prophètes ne des fidèles ne l’a ensuyvy en cest endroict : combien que tous eussent assez de zèle et de courage à s’exercer en toutes bonnes choses. Car ce que nous lisons d’Elie, qu’il a aussi passé quarante jours sans boire et sans manger 1Rois 19.8, cela ne se faisoit à autre fin, sinon à ce que le peuple recognust qu’il estoit vray Prophète, suscité de Dieu pour maintenir la Loy, de laquelle quasi tout le peuple d’Israël s’estoit destourné. Ç’a esté doncques une fausse imitation et frivole, et plene de superstition, que les anciens ont appelé le jusne de Quaresme. Une ordonnance faite à l’exemple de Christ. Combien que la façon de jusner estoit diverse en ce temps-là, comme le raconte Cassiodore au livre neufième de son Histoire. Les Romains, dit-il, n’avoyent que trois sepmaines pour le Quaresme, mais ils jusnoyent tous les jours excepté le Dimanche et le Samedi. Les Illyriens et les Grecs en avoyent six, les autres sept : mais ils jusnoyent par intervalles. Il y avoit aussi bien différence quant au manger : car les uns ne se nourrissoyent que de pain et d’eau, les autres mangeoyent des herbes, aucuns usoyent de poissons et de volailles, les autres ne s’abstenoyent de nulle viande, comme sainct Augustin le tesmoigne en la seconde Epistre à Januarius.
4.12.21
Depuis, le temps s’est tousjours empiré : avec la folle dévotion du peuple, il y a eu un autre mal du costé des Evesques, qu’en partie ils ont esté rudes et ignorans, en partie ils ont appété de dominer et tyranniser sans raison. Sur cela ils ont fait des loix perverses et iniques, desquelles on a lié les consciences pour les traisner en enfer. On a défendu de manger chair, comme si c’eust esté une viande pollue, et qui eust contaminé les hommes. Après on a adjousté des opinions meschantes les unes sur les autres, jusques à ce qu’on est venu comme en un profond abysme d’erreur. Et afin de ne rien laisser que tout ne fust dépravé, on s’est joué de Dieu comme d’un petit enfant. Car quand il a esté question de jusner, il y a eu une table apprestée plus somptueusement que les autres fois : on a assemblé toutes les friandises et délices qu’on pouvoit, on a redoublé la quantité des viandes, et a-on usé de variété plus que de coustume : puis on a appelé un tel appareil, Jusne, et a-on pensé bien servir à Dieu par ce moyen. Je laisse à dire que ceux qui veulent estre veus les plus saincts, ne remplissent jamais leur ventre si bien qu’en jusnant. En somme, toute la saincteté du jusne commun est, de s’abstenir seulement de manger chair, et au reste abonder en toutes délices, et gourmander à plaisir, moyennant que ce ne soit qu’une fois le jour. Combien que la pluspart se dispense de faire collation morcelloire, comme ils disent. Au contraire, c’est une impiété extrême, ce leur semble, et un crime digne de mort, de manger un morceau de lard, ou un lopin de chair salée avec du pain bis : voire mesmes si un povre homme qui n’a autre chose, le fait. Sainct Hiérosme raconte que desjà de son temps il y en avoit quelques-uns qui vouloyent contenter Dieu de tels fatras et badinages[d] : car afin de s’abstenir de manger huile, ils se faisoyent apporter de pays lointains des viandes les plus exquises qu’on pouvoit : mesmes afin de faire force à nature, ils ne beuvoyent point d’eau, mais usoyent de je ne sçay quelles liqueurs précieuses et friandes au goust, lesquelles ils humoyent non point en verre, ou en un gobelet, mais en une coquille. Ce qui estoit pour lors un vice de peu de gens, règne aujourd’huy communément entre tous les riches : asçavoir qu’ils ne jusnent point à autre fin, sinon pour se traitter mieux et plus délicatement que de coustume. Mais je ne veux point user de long propos en une chose tant notoire : seulement je di ce mot, qu’il ne faut point que les Papistes prenent occasion de s’enorgueillir, ny en leurs jusnes, ny en tout le reste de leur discipline, comme s’il y avoit rien digne de louange, veu que tout y est corrompu et perverty.
[d] Ad Nepotianum.
4.12.22
S’ensuyt la seconde partie de la discipline, laquelle appartient proprement au Clergé : c’est asçavoir que les gens d’Eglise se gouvernent selon les Canons qui ont esté anciennement faits pour les entretenir en toute honnesteté, comme sont ceux qui s’ensuyvent : Qu’un homme d’Eglise ne soit point adonné à la chasse, au jeu de dez, à gourmandise ou banquets : que nul d’eux ne se mesle d’usure ou de marchandise, qu’il ne soit présent à danses et autres dissolutions. Or afin que nul ne transgressast ces ordonnances, les Conciles anciens ont advisé de punir et chastier ceux qui ne se voudroyent rendre obéissans en tout ce qui appartenoit à l’honnesteté du Clergé. Et pour ceste cause chacun Evesque avoit la charge et authorité de gouverner son Clergé, pour contraindre chacun à faire son devoir. Pour ceste mesme raison ont esté instituées les visitations et les synodes : afin que si quelqu’un estoit nonchalant en son office, il fust admonesté : et si quelqu’un avoit failly, qu’il fust chastié selon son démérite. Les Evesques aussi avoyent entre eux tous les ans un Concile en chacune Province, et mesmes au paravant de six mois en six mois : afin que si quelque Evesque s’estoit mal porté, il fust là jugé. Car si quelque Evesque estoit trop rude à son Clergé, et le traittoit trop inhumainement, celuy qui se vouloit plaindre de luy, venoit là, et la cause s’y démenoit. Or on usoit d’une grande sévérité : Car si on trouvoit que quelqu’un eust abusé de son authorité, ou mal versé en son estat, on le déposoit : et quelquesfois mesmes on l’excommunioit pour certain temps. D’avantage, pource que ceste police estoit ordinaire, jamais ils ne se partoyent d’un Concile provincial, qu’ils n’eussent assigné le lieu et le temps auquel l’autre se devoit tenir. Car touchant d’un Concile universel c’estoit à l’Empereur de le commander et publier, et de dénoncer que chacun y comparust, comme les histoires anciennes le monstrent. Cependant que ceste sévérité a duré, les gens d’Eglise n’ont point astreint le peuple, sinon à ce dont ils leur monstroyent l’exemple par effect : car ils estoyent beaucoup plus sévères envers eux qu’envers les autres. Et de faict, c’est bien la raison que le peuple ait plus de liberté, et ne soit pas si court tenu que le Clergé. Je n’ay jà mestier de raconter par le menu comment ceste police a esté mise bas, et s’en est allée à val l’eau : tant y a que chacun voit qu’il n’y a estat plus dissolu ne plus desbordé que l’estat ecclésiastique, tellement que tout le monde en crie sans que nous en parlions. Je confesse qu’afin qu’il ne semble que toute l’ancienneté soit ensevelie entre eux, ils abusent les yeux des simples de quelques ombres : mais tout ce qu’ils font n’approche non plus de ce qu’ils font semblant d’ensuyvre, que les mines d’un singe ressemblent à ce que les hommes font par bonne raison. Il y a un passage bien notable en Xénophon[e]. Il récite que les Perses s’estans desvoyez et abastardis des vertus de leurs ancestres en ce qu’ayans laissé leur façon austère de vivre, ils s’estoyent desbordez en délices, et efféminez : toutesfois pour couvrir leur honte ne laissoyent pas de garder les statuts anciens quant à la formalité. Car comme ainsi soit que du temps de Cyrus la sobriété et tempérance fust telle, qu’il n’estoit licite de se moucher, et que cela estoit tenu pour vilein et déshonneste, ceste cérémonie a duré long temps après, de ne s’oser moucher : mais de retirer l’ordure au dedans, et les humeurs corrompues qu’ils avoyent amassées par leur intempérance : voire jusques à s’empunaiser, il estoit licite. Pareillement, selon le précepte ancien, ces bons imitateurs eussent fait scrupule comme d’un grand crime, d’apporter sur table des couppes : mais il ne leur chaloit d’entonner le vin en leurs estomachs, en tel excès qu’il les faloit emporter yvres. Il avoit esté jadis ordonné en leur nation, de ne manger qu’une fois le jour : ces bons successeurs n’avoyent point cassé ceste loy, mais c’estoit pour continuer leurs banquets depuis midi jusques à minuit. Pource que la loy ancienne portoit, qu’en guerre une armée ne marchast qu’à jun : ceste coustume a bien esté permanente : mais les bons successeurs avoyent restreint toute leur journée à deux heures. Toutes fois et quantes que les Papistes prétendront leurs belles reigles, pour faire à croire qu’ils sont aucunement semblables aux saincts Pères, cest exemple suffira pour rédarguer leur folle imitation et ridicule, autant que si un bon peintre la peignoit.
[e] Paed. Cyri., lib. VIII.
4.12.23
Ils sont tant et plus rigoureux, voire du tout inexorables à ne permettre le mariage aux Prestres. Quelle licence de paillarder ils prenent et donnent : il n’est jà besoin de le dire. Et sous ombre de ceste saincteté infecte et puante de s’abstenir de mariage, ils se sont endurcis à toutes vilenies. Tant y a que ceste défense monstre assez combien les traditions humaines sont nuisibles, veu que non-seulement elle a privé et desnué l’Eglise de bons Pasteurs et idoines, et qui se fussent bien acquittez de leur charge, mais aussi elle a apporté un horrible amas et bourbier de beaucoup d’énormitez, et a plongé beaucoup d’âmes au gouffre de désespoir. Quant est de la défense qu’on a faite aux Prestres de se marier, je di qu’en cela il y a eu une meschante tyrannie, non-seulement contre la Parole de Dieu, mais aussi contre toute équité. Pour le premier, il n’estoit nullement licite aux hommes de défendre ce que Dieu avoit mis en nostre liberté. Secondement c’est une chose notoire, et laquelle n’a point mestier de probation, que nostre Seigneur a expressément ordonné que ceste liberté ne fust point violée. Outreplus, sainct Paul tant à Tite qu’à Timothée, ordonne qu’un Evesque soit mari d’une seule femme 1Tim. 3.2 ; Tite 1.6. Mais comment eust-il peu parler avec plus grande véhémence, que quand il dénonce qu’il y aura des meschans lesquels défendront le mariage 1Tim. 4.3, protestant que le sainct Esprit les révèle, afin qu’on s’en donne de garde, et nomme telle manière de gens non-seulement séducteurs, mais diables ? Voylà doncques la prophétie et le tesmoignage du sainct Esprit, par lequel il a voulu dés le commencement prémunir les Eglises : c’est que la défense du mariage est doctrine diabolique. Mais nos adversaires pensent avoir trouvé une belle eschappatoire, quand ils exposent cela estre dit des sectes anciennes d’hérétiques, comme de Montanus, des Tatiens et des Encratites : Ce sont, disent-ils, ceux-là qui ont réprouvé le mariage, et non pas nous : mais seulement le défendons au Clergé, comme ne luy estant point convenable. Comme si ceste prophétie, encores qu’elle eust esté une fois accomplie aux Tatiens et autres semblables, ne pouvoit aussi bien convenir à eux. Mais nous ne condamnons point, disent-ils, le mariage du tout, seulement nous le défendons au Clergé. Comme si une cavillation tant puérile, estoit digne d’estre receue, de dire qu’ils ne défendent point le mariage, d’autant qu’ils ne le défendent point à tous. Cela est autant comme si quelque tyran disoit, une loy qu’il auroit faite n’estre point inique, d’autant qu’elle ne grèveroit qu’une partie du peuple.
4.12.24
Ils objectent qu’il y doit avoir quelque marque pour discerner le Clergé d’avec les laïcs. Comme si Dieu n’avoit point préveu quels sont les vrais ornemens qui doyvent estre aux gens d’Eglise. En parlant ainsi ils blasment l’Apostre, comme s’il avoit confondu l’ordre de l’Eglise, et renversé l’honnesteté d’icelle : veu qu’en donnant comme un patron d’un vray Evesque, entre les vertus qu’il y requiert, il y met le mariage 1Tim. 3.2. Je sçay bien comment ils exposent cela : c’est qu’il ne faut point eslire pour Evesque celuy qui aura esté marié pour la seconde fois. Et de faict, je confesse que ceste interprétation n’est pas nouvelle : toufesfois il appert par la procédure qu’elle est fausse : d’autant qu’incontinent après il ordonne quelles doyvent estre les femmes des Prestres et Diacres. Voylà doncques sainct Paul qui met le mariage entre les vertus d’un bon Evesque : ceux-ci disent que c’est un vice intolérable en l’estat ecclésiastique ; qui pis est, n’estans point contens de l’avoir blasmé en général, ils l’appellent souilleure et pollution charnelle : qui sont les paroles de Syricius Pape, récitées en leurs canons[f]. Qu’un chacun pense en soy-mesme de quelle boutique cela est party. Nostre Seigneur Jésus fait cest honneur au mariage, de le nommer image et représentation de l’unité saincte et sacrée qu’il a avec l’Eglise. Que pourroit-on dire plus pour exalter la dignité du mariage ? Quelle impudence doncques est-ce, de l’appeler immonde et pollu, quand il nous démonstre la grâce spirituelle de Jésus-Christ ?
[f] Syricius, Pape, aux Evesques d’Espagne.
4.12.25
Or comme ainsi soit que leur prohibition répugne ainsi clairement à la Parole de Dieu, toutesfois ils ont encores une couverture pour monstrer que les Prestres ne se doyvent point marier : c’est que s’il a falu que les Prestres lévitiques, quand ils approchoyent de l’autel, ne cohabitassent point avec leurs femmes, afin de faire plus purement leurs sacrifices, ce ne seroit point raison que les Sacremens de Chrestienté, qui sont plus nobles et plus excellens, fussent administrez par gens mariez. Comme si c’estoit un mesme office du ministère évangélique, et de la prestrise lévitique. Au contraire, les prestres lévitiques représentoyent la personne de Jésus-Christ : lequel estant Médiateur de Dieu et des hommes 1Tim. 2.5, nous devoit réconcilier au Père par sa pureté très-accomplie. Or comme ainsi soit qu’iceux estans pécheurs ne peussent respondre en toute manière à sa saincteté : afin de la représenter aucunement en figure, il leur estoit commandé de se purifier outre la coustume humaine, quand ils approchoyent du Sanctuaire : d’autant que lors proprement ils portoyent la figure de Christ, en ce que comme moyenneurs ils apparoissoyent devant Dieu au nom du peuple au Tabernacle, qui estoit comme image du Throne céleste. Or puis que les Pasteurs ecclésiastiques n’ont point cest office et personne, la comparaison n’est point à propos. Pourtant l’Apostre sans aucune exception afferme que le mariage est honorable entre tous : mais que Dieu punira les paillars et adultères Héb. 13.4. Et de faict, les apostres ont approuvé par leur exemple, que le mariage ne déroguoit à la saincteté d’aucun estat, de quelque excellence qu’il fust. Car sainct Paul tesmoigne que non-seulement ils ont retenu leurs femmes, mais aussi qu’ils les ont menées en leur compagnie 1Cor. 9.5.
4.12.26
D’avantage, c’a esté une grande impudence, qu’ils ont exigé une telle masque de chasteté pour chose nécessaire. En quoy ils ont fait grand opprobre à l’Eglise ancienne : laquelle combien qu’elle ait esté excellente en pure doctrine, néantmoins a encores plus flory en saincteté. Car s’il ne leur chaut des Apostres, que diront-ils, je vous prie, de tous les Pères anciens, lesquels on voit non-seulement avoir toléré le mariage entre les Evesques, mais aussi l’avoir approuvé ? il s’ensuyvroit qu’ils ont entretenu une profanation des mystères de Dieu, puis que selon l’opinion de ceux-ci, ils ne les traittoyent point purement. Bien est vray que ceste matière fut agitée au Concile de Nice : et (comme il s’en trouve tousjours quelques superstitieux, qui songent quelque resverie nouvelle pour se rendre admirables) il y en avoit qui eussent voulu le mariage estre interdit aux Prestres. Mais qu’est-ce qu’il y fut constitué ? C’est que la sentence de Paphnutius fut receue : lequel déclaira que c’estoit chasteté, cohabitation de l’homme avec la femme[g]. Parquoy le sainct mariage demeura en son entier, et ne fut point réputé à déshonneur aux Evesques qui estoient mariez : et ne jugea-on point que cela tournast à quelque macule au ministère.
[g] Hist. trip., lib II, cap. XIV.
4.12.27
Depuis surveindrent d’autres temps, ausquels s’augmenta ceste folle superstition, d’avoir en estime excessive l’abstinence de mariage. Car la virginité estoit tellement prisée, qu’à grand’peine estimoit-on qu’il y eust vertu digne d’accomparer à icelle. Et combien que le mariage ne fust pas du tout condamné comme pollution, toutesfois la dignité d’iceluy estoit tellement obscurcie, qu’on n’estimoit point qu’un homme aspirast droictement à perfection, sinon qu’il s’en absteinst. De là sont venus les canons, par lesquels il a esté ordonné que ceux qui estoyent desjà en l’estat de Prestrise, ne se mariassent plus. Puis après d’autres, par lesquels il a esté défendu d’en recevoir qui fussent mariez, sinon que par le consentement de leurs femmes ils promissent chasteté perpétuelle. Pource qu’il sembloit advis que cela servoit à rendre la Prestrise plus honorable, on l’a favorablement receu. Toutesfois si nos adversaires nous objectoyent l’ancienneté, je respon premièrement que ceste liberté a esté du temps des Apostres, et a duré assez longuement après, que les Prestres pouvoyent estre mariez : mesmes que les Apostres et les autres saincts Pères de l’Eglise primitive n’ont point fait scrupule d’en user. Je di secondement, que nous devons avoir en estime leur exemple : que c’est mal jugé à nous de tenir pour illicite ou déshonneste ce qui a esté lors non-seulement usité, mais aussi prisé. Je di d’avantage, que mesmes du temps que le mariage n’a plus esté en telle révérence qu’il appartenoit, par l’opinion superstitieuse qu’on avoit de la virginité, si est-ce qu’on n’a point du premier coup défendu aux Prestres de se marier, comme si c’estoit une chose nécessaire, mais pource qu’on préféroit au mariage l’estat de continence. Finalement, je di que ceste loy n’a pas tellement esté requise lors, qu’on contraignist à continence ceux qui ne la pouvoyent garder. Qu’ainsi soit, les Canons anciens ont ordonné griefves peines sur les Prestres qui auroyent paillarde : ceux qui avoyent prins femmes, ils les ont seulement desmis de l’office.
4.12.28
Parquoy, toutes fois et quantes que nos adversaires, pour maintenir ceste nouvelle tyrannie dont ils usent, nous allégueront l’Eglise ancienne, nous répliquerons au contraire, qu’ils démonstrent en leurs Prestres une telle chasteté qu’estoit celle des Prestres anciens : qu’ils ostent tous paillars et adultères qu’ils ne permettent point que ceux lesquels ils ne peuvent souffrir habiter avec une femme en mariage, s’abandonnent à toute vilenie, qu’ils remettent au-dessus la discipline ancienne, laquelle est abolie entre eux, pour réprimer la déshonnesteté qui se commet entre eux : et qu’ils délivrent l’Eglise de ceste honte et turpitude, par laquelle elle a esté jà long temps desfigurée. Quand ils nous auront ottroyé tout cela, nous aurons encores une autre réplique à leur faire, qu’ils n’imposent point nécessité en une chose laquelle de soy-mesme est libre, et se doit accomoder à l’unité de l’Eglise. Je ne di pas ces choses pour accorder qu’on doyve aucunement donner lieu aux Canons qui ont astreint les gens d’Eglise à l’estat de continence : mais afin que toutes gens de bon esprit cognoissent quelle impudence c’est à nos adversaires, de tant diffamer le sainct mariage sous couleur de l’Eglise ancienne. Quant est des Pères desquels nous avons les livres, excepté Hiérosme, ils n’ont point détracté si fort, de l’honnesteté du mariage, mesmes quand ils déclairent privément ce qu’ils en pensoyent. Nous serons contens d’un tesmoignage de sainct Chrysostome, veu qu’il n’est point suspect d’avoir trop favorisé au mariage, mais au contraire a trop encliné à priser et magnifier la virginité. Or il parle en ceste manière : Le premier degré de chasteté est virginité immaculée : le second est mariage loyalement gardé. C’est doncques une seconde espèce de virginité, que l’amour du mari et de la femme, quand, ils vivent bien en mariage[h].
[h] Homil. de Inventione Crucis.
Chapitre XIII
Des vœus : et combien ils ont esté faits à la volée en la Papauté, pour enlacer
misérablement les âmes.
4.13.1
C’est une chose bien à déplorer, que l’Eglise, après que sa liberté luy a esté acquise d’un pris inestimable, asçavoir par le sang de Jésus-Christ, ait esté ainsi opprimée de cruelle tyrannie, et accablée d’un amas infini et importable de traditions humaines. Mais ce pendant la bestise de chacun particulier monstre que Dieu n’a pas lasché en telle sorte la bride à Satan et ses ministres, sans très-juste cause. Car il n’a pas suffi à ceux qui vouloyent estre veus dévots, de mespriser le joug de Christ et ce pendant recevoir et porter tels fardeaux qu’il a semblé bon aux faux Docteurs, sinon que chacun se filast quelque corde à part, mesmes que chacun se fouist quelque puits pour s’y plonger jusques au profond. Cela s’est fait quand chacun a voulu estre le plus habile à se forger des vœus, pour s’estreindre d’une obligation plus forte qu’il n’y avoit en un si grand nombre de loix et si excessif. Puis doncques que nous avons monstré ci-dessus que le service de Dieu a esté corrompu par l’arrogance de ceux qui ont dominé sous le tiltre de Pasteurs, quand ils ont enveloppé les povres âmes en leurs loix iniques, ce ne sera pas chose hors de propos, de remonstrer yci un autre vice prochain à cestuy-là, auquel on peut appercevoir que le monde est d’esprit si pervers, que tousjours il a tasché par tous obstacles qu’il a peu, de repousser les aides que Dieu luy donnoit. Mais afin qu’il soit plus aisé de comprendre quels malheurs les vœus ont apportez, il est besoin que les lecteurs se souvienent des principes qui ont esté mis ci-dessus. Car nous avons dit premièrement, que tout ce qui est requis à bien et sainctement vivre, est comprins en la Loy. Nous avons dit outreplus, que le Seigneur, afin de nous retirer de ceste curiosité de forger une façon nouvelle de le servir à nostre poste, a enclos toute la louange de justice en la simple obéissance de sa volonté. Si cela est vray, il faut conclurre que tous les services que nous aurons inventez de nous-mesmes pour plaire à Dieu, ne luy seront point agréables, quelque plaisir que nous y prenions. Et de faict, le Seigneur en plusieurs passages non-seulement les rejette, mais les a fort en abomination. Cela doncques nous engendre une dispute touchant les vœus qui se font outre la Parole de Dieu expresse, asçavoir en quelle estime on les doit avoir : et si un homme chrestien en peut faire quelqu’un tel : et s’il en a fait, combien il en est obligé. Car ce que nous appelons Promesse entre les hommes, est nommé Vœu au regard de Dieu. Or nous promettons aux hommes les choses lesquelles nous pensons qu’ils auront à gré, ou lesquelles nous leur devons selon raison et équité. Il faut doncques que nous usions encores d’une plus grande discrétion aux vœus, veu qu’ils s’addressent à Dieu, avec lequel il n’est point question de se jouer. Or il y a eu une merveilleuse superstition de tout temps au monde en cest endroict, c’est que les hommes ont voué à Dieu à la volée, sans jugement et sans propos, tout ce qui leur venoit en la fantasie et à la bouche. De là sont venues les folies des vœus, dont les Payens se sont jouez avec leurs dieux : et non-seulement folies, mais absurditez monstrueuses. Et pleust à Dieu que les Chrestiens n’eussent point ensuyvy une telle audace. Il ne se devoit point faire : mais nous voyons qu’il n’y a rien eu de long temps plus commun que ceste outrecuidance : c’est que le peuple laissant et mesprisant la Loy de Dieu, a bruslé d’une folle cupidité et insensée après tout ce qu’il avoit songé. Je ne veux point aggraver ce mal : ne mesmes deschiffrer par le menu de quelle énormité on a offensé, et en combien de sorte on a failly en ceste matière : mais j’ay voulu toucher ceci en brief, afin qu’on sçache qu’en traittant des vœus, nous n’esmouvons pas question superflue et vaine.
4.13.2
Or si nous ne voulons point errer en jugeant quels vœus sont légitimes et pervers, il nous convient observer trois choses. Premièrement, qui est celuy auquel le vœu s’addresse. Secondement, qui nous sommes, nous qui vouons. Tiercement, de quelle intention c’est que nous vouons. Le premier tend à ce but, que nous pensions que c’est Dieu à qui nous avons à faire, lequel prend tellement plaisir à nostre obéissance, qu’il prononce tous services volontaires, c’est-à-dire que nous inventons de nostre teste, estre maudits, quelque belle apparence qu’ils ayent devant les hommes Col. 2.23. Si tous les services de Dieu que nous controuvons outre son commandement luy sont en abomination, ils’ensuyt qu’il n’y en a nul qui luy soit agréable, sinon qu’il l’ait approuvé par sa Parole. Pourtant que nous ne prenions point ceste licence d’oser rien vouer à Dieu, qui n’ait tesmoignage aucun de luy. Car ce que dit sainct Paul, que tout ce qui se fait sans foy est péché Rom. 14.23, comme ainsi soit qu’il s’estende à toutes œuvres, toutesfois lors il a principalement lieu, quand l’homme addresse directement sa pensée à Dieu. Mesmes si nous errons ou trébuschons quant aux moindres choses du monde où il n’y a point certitude de foy, et que nous ne sommes point esclairez par la Parole de Dieu, combien nous convient-il estre plus modestes, quand il est question d’entreprendre chose de si grande importance ? Car il n’y a rien de plus grande importance, que ce qui appartient à servir Dieu. Pourtant que ceste soit la première reigle quant aux vœus, que nous n’entreprenions de rien vouer que nous n’ayons ceste résolution en nostre conscience, que nous n’attentons pas cela témérairement. Or nous serons adoncques hors du danger de témérité, quand nous aurons Dieu pour nous guider, nous dictant quasi par sa Parole ce qui est bon de faire, ou mauvais.
4.13.3
Le contenu de la seconde considération que nous avons dite, revient à ce point, que nous mesurions nos forces, et que nous regardions nostre vocation, et que nous ne mesprisions point la liberté que Dieu nous a donnée. Car celuy qui voue ce qui n’est point en sa puissance ou qui répugne à sa vocation, est téméraire : et celuy qui mesprise la grâce de Dieu, par laquelle il est constitué seigneur et maistre de toutes choses, est ingrat. En disant cela, je n’enten pas que nous ayons rien en nostre main, pour le pouvoir promettre à Dieu en fiance de nostre vertu : car c’est à bon droict qu’il a esté décrété au Concile d’Arausique[i], que nous ne pouvons rien vouer deuement à Dieu, sinon ce que nous aurons receu de sa main : veu que toutes choses que nous luy pouvons offrir, sont dons procédans de luy. Mais comme ainsi soit que Dieu par sa bénignité nous ait mis certaines choses en nostre faculté, et qu’il nous ait dénié les autres : qu’un chacun suyvant l’admonition de sainct Paul, regarde la mesure de la grâce qui luy est donnée Rom. 12.3 ; 1Cor. 12.11. Mon intention est de dire qu’il faut compasser nos vœus à la mesure que Dieu nous ordonne par le don qu’il nous fait, n’attentans point plus qu’il ne nous permet, de peur de nous précipiter en nous attribuant trop. Exemple : Quand ces bateurs de pavé, desquels sainct Luc fait mention aux Actes, vouèrent de ne manger jamais un morceau de pain, jusques à ce qu’ils eussent tué sainct Paul Actes 23.12 : encores le cas posé que leur intention n’eust pas esté si meschante, leur témérité estoit insupportable, entant qu’ils assujetissoyent à leur pouvoir la vie et la mort d’un homme. Pareillement Jephthé a receu payement digne de sa folie, quand il luy a falu sacrifier sa fille pour avoir fait un vœu inconsidéré en son ardeur Jug. 11.30. Mais on voit un comble de rage, en ce que tant de gens vouent de ne se marier jamais. Les Prestres, Moynes et Nonnains ayans oublié leur infirmité, cuident qu’ils se pourront bien passer pour toute leur vie de se marier. Et qui leur a révélé qu’ils pourront garder chasteté toute leur vie, à laquelle ils s’obligent à tousjours ? Ils oyent la sentence de Dieu, touchant la condition universelle des hommes : c’est qu’il n’est point bon à l’homme d’estre seul Gen. 2.13. Ils entendent (et pleust à Dieu qu’ils ne le sentissent point) combien les aiguillons d’incontinence sont aspres en leur chair. De quelle hardiesse osent-ils rejetter pour toute leur vie ceste vocation générale, veu que le don de continence est le plus souvent donné à certains temps, selon que l’opportunité le requiert ? En telle obstination qu’ils n’attendent point que Dieu leur doyve aider ; mais plustost qu’ils se souvienent de ce qui est escrit, Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu Deut. 6.16. Or cela est tenter Dieu, de s’efforcer contre la nature qu’il nous a donnée, et contemner les moyens qu’il nous présente, comme s’ils ne nous appartenoyent de rien. Ce que ceux-ci non-seulement font, mais n’ont point honte d’appeler le mariage, Pollution, duquel nostre Seigneur n’a point pensé l’institution estre indigne de sa majesté : lequel il a prononcé estre honorable en tous Héb. 13.4 : lequel Jésus-Christ a sanctifié par sa présence, et honoré par son premier miracle Jean 2.1, 9. Et font cela seulement pour magnifier l’estat qu’ils tienent, c’est de s’abstenir de mariage : comme s’il n’apparoissoit point par leur vie mesme, que c’est bien autre chose d’abstinence de mariage, que de virginité. Et néantmoins ils sont si effrontez, que d’appeler leur vie, Angélique, En quoy certes ils font trop grande injure aux Anges de Dieu, ausquels ils accomparagent paillars et adultères, et encores beaucoup pires. Et de faict, il ne faut pas yci grans argumens, veu qu’ils sont convaincus par la vérité. Car nous voyons à l’œil, combien par horribles punitions nostre Seigneur punit une telle arrogance et contemnement de ses dons ; et ay vergongne de descouvrir ce qui est plus occulte combien qu’on en sçait trop la moitié, tellement que l’air en put. Qu’il ne nous soit loisible de rien vouer qui nous empesche de servir à Dieu en nostre vocation, il n’y a nulle doute. Comme si un père de famille vouoit de quitter sa femme, et ses enfans, pour prendre quelque autre charge, ou celuy qui est propre à exercer office de Magistrat, estant esleu, vouoit de vivre en personne privée. Touchant ce que nous avons dit, qu’il ne faut point mespriser nostre liberté, cela seroit un peu obscur à entendre, si nous ne le déclairions. Or le sens est tel : comme ainsi soit que Dieu nous ait constituez maistres de toutes choses, et qu’il les nous ait tellement assujeties que nous en puissions user, pour nostre commodité, il ne nous faut point espérer que nous facions un service agréable à Dieu en nous assujetissant en servitude aux choses externes, lesquelles nous doyvent estre en aide. Je di cela, pource que plusieurs pensent que ce soit une vertu d’humilité, de s’astreindre à plusieurs observations desquelles le Seigneur non sans cause a voulu que nous fussions libres. Pourtant si nous voulons éviter un tel danger, il ne nous faut jamais eslongner de l’ordre que le Seigneur nous a institué en l’Eglise chrestienne.
[i] Chap. II.
4.13.4
Je vien maintenant à la troisième considération que j’ay mise : c’est que pour approuver nos vœus à Dieu, il faut bien adviser à quelle intention nous les faisons. Car d’autant que Dieu regarde le cœur, et non pas l’apparence extérieure, de là il advient qu’une mesme chose, selon que le propos sera divers, luy sera quelquesfois agréable, et quelquesfois luy desplaira grandement. Si quelqu’un voue de s’abstenir de boire vin, comme si en cela il y avoit quelque saincteté, il sera à bon droict condamné de superstition. S’il regarde à une autre fin qui ne soit point mauvaise, nul ne le pourra réprouver. Or selon que je puis juger, il y a quatre fins ausquelles se doyvent rapporter tous nos vœus. Pour donner plus claire intelligence de cela, nous dirons que les deux appartienent au temps passé : les deux autres au temps à venir. Les vœus, di-je, regardent au temps passé, quand par iceux nous faisons à Dieu recognoissance des bénéfices que nous tenons de luy ou par lesquels nous chastions les vices que nous avons commis, afin d’en obtenir pardon. Les premiers, nous les pourrons appeler, Vœus d’action de grâce : les seconds, nous les pourrons appeler, Vœus de pénitence. Quant est du premier genre, nous en avons un exemple au vœu que feit Jacob, en promettant à Dieu les décimes qu’il acquerroit en la terre d’Orient, s’il luy faisoit la grâce de retouner en la terre de sa nativité Gen. 28.22. Nous en avons aussi un exemple commun aux sacrifices qu’on appeloit Des pacifiques, que les saincts Roys ou gouverneurs allans à la guerre promettoyent à Dieu de luy rendre, s’il leur donnoit la victoire contre leurs ennemis : ou bien que le peuple estant en quelque affliction, vouoit à Dieu, s’il en estoit délivré par sa grâce. Et en ce sens faut prendre tous les passages des Pseaumes qui parlent des vœus Ps. 22.25 ; 56.12 ; 116.14, 18. Nous pouvons aujourd’huy aussi bien user de telle espèce de vœus, toutes fois et quantes que Dieu nous délivre de quelque calamité ou maladie dangereuse, ou autre péril. Car cela n’est pas répugnant à l’office d’un bon Chrestien, de présenter en tel cas à Dieu quelque oblation qu’il aura vouée, seulement pour recognoissance du bénéfice qu’il a receu, pour n’estre point ingrat à sa bonté. Quant à la seconde espèce, il suffira de démonstrer par un exemple familier quelle elle est. Prenons le cas que quelqu’un par son intempérance et gourmandise soit tombé en quelque péché : il ne nuira de rien quand il renoncera pour un temps à toutes délices, pour corriger ce vice d’intempérance auquel il se sent autrement enclin. Il n’y a aussi nul inconvénient qu’il face vœu sur cela, afin de se lier plus estroitement. Toutesfois je n’impose point loy à ceux qui auront failly en quelque sorte, de faire tous un semblable vœu : mais seulement je démonstre ce qui seroit licite à quelqu’un de faire, quand il penseroit que cela luy seroit utile. Parquoy je di qu’un tel vœu est sainct et légitime, sans préjudicier à la liberté d’un chacun d’en faire comme il voudra.
4.13.5
Quant aux vœus, qui regardent le temps à venir, les uns, comme j’ay dit, tendent à nous rendre plus songneux à éviter les dangers : les autres sont pour nous inciter à faire nostre devoir. Exemple : Quelqu’un se verra tellement enclin à un vice, qu’il ne pourra pas tenir moyen ni attrempance en une chose laquelle de soy ne sera que bonne : il ne fera point mal, renonçant par vœu à en user à certain temps. Comme si quelqu’un voit qu’il ne puisse user d’un accoustrement sans vaine gloire ou autre vanité, et néantmoins qu’il convoite et appète fort d’en user, il ne peut mieux faire que de se brider, s’imposant la nécessité de s’en abstenir, pour couper broche à sa convoitise. Semblablement, si quelqu’un est oublieux ou nonchalant à s’acquitter de ce qui est de l’office d’un Chrestien, pourquoy ne pourra-il corriger sa nonchalance, s’astreignant par vœu à faire ce qu’il a accoustumé d’oublier ? Je confesse bien qu’en l’un et en l’autre il y a comme une instruction puérile : mais par cela nous pouvons dire que ce sont aides à l’infirmité des rudes et imparfaits, dont ils se peuvent servir licitement. Pourtant tous les vœus qui regarderont à l’une de ces fins, principalement les vœus des choses externes, nous les tiendrons pour bons, moyennant qu’ils ayent approbation de Dieu pour leur appuy, et qu’ils convienent à nostre vocation, et qu’ils soyent compassez à la grâce que Dieu nous a faite.
4.13.6
Maintenant il n’est pas difficile de conclurre que c’est qu’il faut généralement sentir des vœus. Il y a un vœu commun entre les fidèles, lequel a esté fait pour nous au Baptesme, et le confermons en faisant protestation de nostre foy, et en recevant la Cène. Car les Sacremens sont comme instrumens de contracts, par lesquels Dieu nous promet sa miséricorde, et par icelle la vie éternelle : nous d’autre costé luy promettons obéissance. Or le contenu ou la somme de ce vœu que nous faisons au Baptesme, est de renoncer à Satan, pour nous adonner au service de Dieu, afin que nous soyons obéissans à ses saincts commandemens, n’obtempérans point aux désirs pervers de nostre chair. Il ne faut douter que ce vœu ne soit sainct et utile, veu que Dieu l’approuve en l’Escriture, et mesmes qu’il le requiert de tous ses enfans. Et à cela ne contrevient point, que nul n’accomplit en la vie présente une telle obéissance que Dieu requiert de nous. Car d’autant que la stipulation que Dieu fait en exigeant de nous que nous le servions, est enclose sous l’alliance de grâce, laquelle contient rémission des péchez, et régénération pour nous faire nouvelles créatures, la promesse que nous faisons là présuppose que nous requérons à Dieu tousjours pardon de nos fautes, et qu’il subviene à nostre foiblesse par son sainct Esprit. Touchant les vœus particuliers, quand il nous souviendra des trois reigles que nous avons mises ci-dessus, nous pourrons bien discerner aisément quels ils seront. Toutesfois que nul ne pense que je vueille tellement priser les vœus, mesmes ceux que je di estre bons, que je conseille d’en user journellement. Car combien que je n’ose rien déterminer du nombre ne du temps, toutesfois quiconques me voudra croire, en usera fort sobrement. Car si quelqu’un est léger à beaucoup vouer et souvent, cela sera cause qu’il n’observera pas tant diligemment ses vœus, et y a grand danger qu’il ne décline à superstition. Si quelqu’un se lie de vœu perpétuel, il ne s’en acquittera point sans grand’peine et fascherie : ou estant lassé à la longue, il quittera tout.
4.13.7
D’avantage, on sçait quelle superstition a régné longtemps au monde en cest endroict. L’un vouoit de ne point boire de vin, comme si ceste abstinence estoit un service de soy agréable à Dieu : l’autre s’obligeoit à jusner, l’autre à ne point manger chair en certains jours, ausquels il imaginoit faussement qu’il y avoit plus grande saincteté qu’aux autres. Il y avoit encores d’autres vœus plus infantiles : jà soit qu’ils ne se feissent pas des petis enfans. Car on a estimé pour grande sagesse, de vouer des pèlerinages çà et là, voire de faire le chemin à pied, ou y aller à demi nud, pour acquérir plus de mérite par le travail. Si on examine aux reigles que nous avons mises ci-dessus, toutes ces choses, ausquelles le monde a esté merveilleusement addonné, on trouvera que non-seulement elles sont vaines et folles, mais qu’il y a impiété manifeste. Car comment qu’en juge le sens humain, Dieu n’a rien en plus grande abomination, que les services qu’on luy forge à plaisir. Il y a puis après les meschantes opinions et damnables qui sont en la pluspart, c’est que les hypocrites s’estans acquittez de tels fatras, se font à croire qu’ils se sont acquis une justice excellente, pensans que la substance de la Chrestienté soit située en ces choses extérieures, et mesprisent tous ceux qui n’en tienent pas si grand conte qu’ils voudroyent.
4.13.8
Il n’est jà mestier de deschiffrer par le menu toutes les espèces : mais pource qu’on a en plus grande réputation les vœus monastiques, d’autant qu’ils semblent estre approuvez par l’authorité commune de l’Eglise, j’en traitteray yci briefvement. Pour le premier, afin que nul ne maintiene la moinerie telle qu’elle est aujourd’huy, sous couleur d’ancienneté et de longue possession, il faut noter qu’il y avoit bien une autre façon de vivre anciennement aux monastères. Ceux qui se vouloyent exercer en grande austérité de vie, se retiroyent là. Et tout ainsi que nous lisons aux histoires des Lacédémoniens, qu’ils avoyent une discipline en leur vie fort dure et aspre : aussi avoyent les moines de ce temps-là, voire mesmes plus rigoureuse et estroite. Ils dormoyent à terre sans lict ne couche : ils ne beuvoyent, que de l’eau, et ne mangeoyent autre viande que pain bis, des herbes et racines : leurs plus grandes friandises estoyent de l’huile, ou des poix et des fèves : ils n’usoyent d’aucunes viandes délicates, et s’abstenoyent tant qu’il estoit possible de tout ce qui appartenoit à l’aisance et soulagement du corps. Ces choses sembleront advis incroyables, sinon que ceux qui les ont veues et expérimentées en rendissent tesmoignage, comme Grégoire Nazanzien, Basile et sainct Chrysostome. C’estoyent les rudimens, par lesquels ils se préparoyent à un estat plus excellent. Car les collèges ou assemblées de moines estoyent lors comme semence, pour fournir l’Eglise de bons ministres : de laquelle chose ces trois que j’ay nommez sont tesmoins : veu que de la vie monastique ils ont esté appelez pour estre Evesques : et aussi plusieurs autres notables personnages de leur temps. Pareillement, sainct Augustin monstre qu’encores de son temps ceste coustume duroit, qu’on prenoit gens des monastères pour servir à l’Eglise : car il escrit en ceste sorte à un collège de moines : Nous vous exhortons en nostre Seigneur, frères, de garder vostre propos, et de persévérer jusques en la fin, et si l’Eglise vostre mère a quelquesfois besoin de vous, ne soyez point convoiteux par outrecuidance de recevoir la charge qu’elle vous imposera, et ne la refusez aussi par paresse, mais obéissez à Dieu gracieusement : ne préférez point vostre loisir aux nécessitez de l’Eglise à laquelle, si les saincts qui ont esté devant vous n’eussent servy pour luy aider à enfanter ses enfans, elle ne vous eust point enfantez[j]. Or il parle du ministère, par lequel les fidèles renaissent spirituellement. Il escrit aussi à Aurélius en une autre épistre : Quand on reçoit en l’ordre de clergé les moines qui se sont desbauchez de leur monastère, on donne occasion aux autres de faire le semblable, et fait-on grand’injure à l’estat ecclésiastique : veu mesmes que de ceux qui persévèrent au monastère, nous n’avons accoustumé de prendre que les meilleurs et les plus approuvez. Et le faut ainsi faire, sinon que nous vueillions estre en proverbe du peuple : c’est, comme on dit qu’un mauvais ménestrier sera bon musicien, aussi qu’on dise qu’un meschant moine sera bon ministre. C’est une chose trop désordonnée, d’eslever les moines en tel orgueil, et de faire si grand opprobre au clergé : veu mesmes que quelquesfois à grand’peine un bon moine est suffisant pour estre en l’ordre ecclésiastique, asçavoir s’il a tempérance de vie, et s’il n’a point la doctrine requise à tel office[k]. Il appert de ces passages que plusieurs bons personnages se préparoyent en la vie monastique pour venir au gouvernement de l’Eglise, afin d’estre plus aptes et mieux disposez pour s’acquitter de leur devoir : non pas que tous parveinssent à tel but, voire mesmes qu’ils y tendissent : veu qu’au contraire, pour la plus grand’part c’estoyent des gens simples et sans lettres : mais on eslisoit ceux qui estoyent idoines.
[j] Epist. LXXXI.
[k] Epist. LXXVI.
4.13.9
Or sainct Augustin nous descrit quasi en une peinture, la forme de la moinerie ancienne, principalement en deux lieux, assavoir au livre qu’il a intitulé, Des mœurs de l’Eglise catholique : où il défend les moines chrestiens contre les calomnies et fausses accusations des Manichées. Item, en un autre livre qu’il a intitulé, Du labeur des moines : où il reprend et corrige les moines qui avoyent corrompu leur estat. Je cueilleray yci tellement la somme de ce qu’il dit là, que j’useray mesmes de ces mots tant qu’il me sera possible : Contemnans, dit-il, les délices et plaisirs mondains, ils meinent ensemble une vie très-saincte et très-chaste, vivans en oraisons, en lectures et en conférences, sans enfleure d’orgueil, sans rébellion ne noise, sans envie : nul ne possède rien de propre, et nul n’est en charge à ses prochains : ils travaillent de leurs mains au labeur qui peut entretenir leurs corps, sans empescher leur esprit qu’il ne soit attentif à Dieu. Puis mettent leurs ouvrages entre les mains de ceux qu’ils appellent Doyens : et iceux ayans retiré argent de cela, en rendent conte à celuy qui est nommé Père entre eux. Or les Pères sont personnages non-seulement saincts quant à la vie, mais excellens en la doctrine de Dieu, et ayans prééminence en vertu aussi bien qu’en puissance, ils gouvernent leurs fils sans aucun orgueil, et comme ils ont authorité à leur commander, aussi leurs fils sont fort volontaires à leur obéir. Or sur le vespre chacun sort de sa celle, et s’assemblent tous en un estans encores à jun, afin d’ouyr leur Père (et adjouste quant et quant, qu’en Egypte et au pais d’Orient chacun Père avoit environ trois mille Moines en sa charge) ; après ils prenent leur réfection corporelle entant qu’il est requis pour la santé : et chacun restreint sa concupiscence, afin de n’user sinon sobrement mesmes des viandes qui leur sont mises au-devant, lesquelles ne sont point en grande quantité, ne guères friandes. Ainsi, non-seulement ils s’abstienent de chair et de vin, pour donter leur concupiscence charnelle, mais aussi des autres choses lesquelles provoquent d’autant plus l’appétit à gourmandise et friandise, qu’elles semblent advis plus pures et plus sainctes à d’aucuns : en quoy ils se font ridicules, d’autant qu’ils prisent qu’on mange viandes exquises, moyennant qu’ils s’abstienent de manger chair. Le surplus qui leur demeure outre leur nourriture (car il leur en demeure beaucoup, tant pource qu’ils travaillent diligemment, qu’à cause de leur sobriété) ils le distribuent plus diligemment aux povres qu’ils ne sont songneux à le gaigner. Car il ne leur chaut d’avoir abondance, mais toute leur solicitude est de ne rien réserver de ce qui leur abonde[l]. Puis après ayant récité l’austérité qu’il avoit veue tant à Milan qu’ailleurs : En telle rigueur de vie, dit-il, nul n’est contraint à porter un fardeau plus pesant qu’il ne peut, ou qu’il refuse de porter : et celuy qui est plus débile que les autres, n’est point pourtant condamné d’eux. Ils sçavent bien tous combien la charité est recommandée : ils sçavent bien que toutes viandes sont nettes à ceux qui sont nets. Pourtant toute leur industrie est, non pas de rejetter aucunes viandes comme pollues, mais à donter leur concupiscence, et s’entretenir en bonne dilection. Ils ont souvenance de ceste sentence, que le ventre est pour les viandes, et les viandes pour le ventre. Toutesfois plusieurs qui sont fermes s’abstienent à cause des infirmes : plusieurs ont une autre raison, asçavoir pource qu’ils aiment de se nourrir de viandes grossières et non somptueuses. Pourtant ceux qui en santé s’abstienent d’une viande, n’en font point difficulté d’en manger estans malades. Plusieurs ne boyvent point de vin : toutesfois ils n’en penseroyent point estre contaminez. Car eux-mesmes ordonnent qu’on en baille à ceux qui sont de complexion débile, et ne peuvent autrement entretenir leur santé. S’il y a quelques-uns qui refusent d’en boire, ils les admonestent fraternellement qu’ils ne se facent point par vaines superstitions plus débiles que saincts. Ainsi ils s’exercent songneusement à la crainte de Dieu. Quant à l’exercice du corps, ils sçavent bien qu’il proufite pour un petit de temps seulement. La charité est principalement gardée : à icelle on accomode les vivres, les paroles, les accoustremens et les contenances : chacun conspire là en une charité, et a-on en horreur de la violer, autant que Dieu. Si quelqu’un résiste à icelle, il est jetté hors : si quelqu’un contrevient à icelle, on ne l’endure pas un seul jour[m] Tite 1.15 ; 1Cor. 6.13. Jusques yci j’ay raconté les paroles de sainct Augustin, ausquelles pource qu’il est représenté comme en une peinture quelle estoit la moinerie du temps passé, je les ay bien voulu produire yci : pource aussi que si j’eusse voulu recueillir ceste somme de divers autheurs, j’eusse esté beaucoup plus long, encores que j’eusse estudié à briefveté.
[l] De moribus. cath., cap. XXXI.
[m] De moribus. cath., cap. XXXIII.
4.13.10
Or mon intention n’est pas de poursuyvre au long cest argument, mais de monstrer en brief quels ont esté les Moines en l’Eglise ancienne : et non-seulement cela, mais quelle a esté la profession de moinerie : afin que les lecteurs de bon jugement, en faisant comparaison de l’une à l’autre, puissent juger quelle impudence c’est à d’aucuns, d’alléguer l’ancienneté pour maintenir la moinerie telle qu’elle est de présent. Sainct Augustin en descrivant quelle est la moinerie saincte et bonne, rejette loing d’icelle toute rigueur de commander ou exiger les choses lesquelles Dieu nous laisse en liberté par sa Parole. Or il n’y a rien qu’on exige aujourd’huy plus estroitement. Car ils tienent cela quasi pour un crime irrémissible, si quelqu’un décline tant petit que ce soit de leurs ordonnances, ou en habillement, ou en viandes, ou en autres cérémonies frivoles. Sainct Augustin débat fort et ferme, qu’il n’est pas licite aux Moines de vivre en oisiveté aux despens d’autruy : et dit que de son temps il n’y avoit nul monastère bien policé, où les Moines ne vesquissent de leur labeur[n]. Ceux de maintenant mettent la principale partie de leur saincteté en oisiveté. Car si on leur oste leur oisiveté, que deviendra la vie contemplative, pour laquelle ils pensent estre excellens par-dessus les autres, et mesmes s’estiment prochains des Anges ? Finalement, sainct Augustin requiert une forme de moinerie, qui ne soit sinon comme un exercice et aide, pour entretenir les hommes en la crainte de Dieu et en la vraye Chrestienté. D’avantage, quand il dit que la charité est la principale reigle : et quasi seule qu’ils doyvent observer, il ne prise pas une conspiration que feront quelques-uns à part pour se lier ensemble, en se séparant du corps de l’Eglise : mais au contraire, il veut que les Moines monstrent exemple aux autres de garder unité chrestienne entre tous. Or la façon de la moinerie du temps présent est tant loing de ces choses, qu’à grand’peine trouveroit-on rien plus contraire. Car nos moines n’estans point contens de la saincteté, à laquelle Jésus-Christ veut que tous ses serviteurs appliquant du tout et entièrement leur estude, ils en imaginent une nouvelle, par laquelle ils se font plus parfaits que tous les autres.
[n] De opere monachorum.
4.13.11
S’ils me nient cela, je leur demande, Pourquoy est-ce qu’ils appellent leur ordre estat de perfection, ostant ce tiltre à toutes les vocations ordonnées de Dieu ? Je n’ignore pas leur solution sophistique : asçavoir qu’ils ne l’appellent pas ainsi, d’autant qu’il contiene en soy perfection, mais pource qu’il est le plus propre pour acquérir perfection. Quand ils veulent en se prisant décevoir le simple peuple, quand ils veulent attirer en leur rets les povres enfans, quand ils veulent recommander leurs privilèges, quand ils veulent magnifier leur dignité en mesprisant les autres, ils se vantent d’estre en estat de perfection. Quand on les presse de près, en sorte qu’ils ne peuvent maintenir une telle arrogance, ils recourent à ce subterfuge, disans qu’ils ne sont point encores parvenus à perfection, mais qu’ils sont en un estat pour y aspirer par-dessus les autres. Ce pendant ils s’entretienent en ceste réputation vers le peuple que leur vie est angélique, parfaite et nette de tous vices : et par ce moyen ils attirent la farine au moulin, et vendent leur saincteté bien chèrement ; cependant ceste glose est cachée, et comme ensevelie en peu de livres. Qui est-ce qui ne voit qu’ils se mocquent de Dieu et du monde, en ce faisant ? Toutesfois prenons le cas qu’ils attribuent seulement cela à leur estat, qu’il est pour aspirer à perfection, si est-ce encores qu’en luy attribuant un tel honneur, ils le distinguent comme par une marque spéciale d’entre toutes les autres façons de vivre. Et qui est-ce qui pourra porter cela : qu’un tel honneur soit donné à un estat qui ne fut jamais approuvé de Dieu par une seule syllabe : et que les sainctes vocations de Dieu lesquelles non-seulement il a commandées de sa bouche, mais aussi ornées de tiltres excellens, en soyent privées et excluses comme indignes ? Je vous prie combien grande injure fait-on à Dieu, quand on préfère à tous les estats qu’il a ordonnez et approuvez par son tesmoignage, un qui soit forgé des hommes, et dont on n’ait nulle approbation ?
4.13.12
Qu’ils réprouvent, s’ils peuvent, cela comme une calomnie : c’est qu’ils ne sont point contens de la reigle que Dieu a donnée aux siens. Or quand je ne le diroye pas, ils s’accusent d’eux-mesmes ; car ils enseignent ouvertement, qu’ils se chargent d’un plus pesant fardeau que Jésus-Christ n’a imposé à ses disciples, entant qu’ils promettent de garder les conseils évangéliques, ausquels les Chrestiens ne sont point communément astreints. Or ils appellent Conseils quand Jésus-Christ dit que nous aimions nos ennemis, que nous n’appétions point vengence, que nous ne jurions point Matt. 5.34-44 etc. Mais quelle ancienneté nous allègueront-ils en ce point ? car cela ne veint jamais en pensée à nul des Anciens. Tous ensemble protestent d’un commun consentement, que Jésus-Christ n’a jamais dit un seul mot auquel nous ne soyons tenus d’obtempérer : mesmes nommément ils tienent sans aucune difficulté, que ces sentences dont il est question, sont vrais commandemens. Mais pource que nous avons jà monstré ci-dessus que c’est un erreur pestilent, qu’une telle opinion qu’ils ont, en appelant simples conseils les choses qui nous sont du tout commandées, il suffira d’avoir yci briefvement touché que la moinerie, telle qu’elle est à présent, est fondée sur une opinion laquelle à bon droict doit estre en exécration à tous fidèles, c’est d’imaginer qu’il y ait une reigle plus parfaite de bien vivre, que celle que Jésus-Christ a donnée en commun à toute son Eglise, Tout ce qui est édifié sur un tel fondement, ne peut estre qu’abominable.
4.13.13
Toutesfois ils ameinent un autre argument de leur perfection, lequel ils pensent estre très-ferme : Asçavoir que nostre Seigneur dit au jeune homme qui l’interroguoit quelle estoit la parfaite justice, Va, et si tu veux estre parfait, vend tout ce que tu as, et donne-le aux povres Matt. 19.21. Je ne dispute point encores s’ils font cela : prenons le cas pour maintenant, qu’ils le facent. Ils se vantent doncques d’estre parfaits en quittant tout leur bien : mais si la perfection gist en ce seul point, qu’est-ce que veut dire ceste sentence de sainct Paul, que celuy qui aura distribué tous ses biens aux povres, n’est rien sinon qu’il ait charité 1Cor. 13.3. Quelle est ceste perfection, laquelle est réduite à néant avec son homme quand charité n’est point conjoincte avec ? Il leur convient respondre yci, vueillent-ils ou non, que de quitter tous ces biens, encores que ce soit le principal œuvre de perfection, toutesfois que ce n’est pas le tout. Mais encores sainct Paul contredit à cela, testifiant que la charité est le lien de perfection Col. 3.14, sans qu’on renonce à ses biens en telle sorte. S’il n’y a point de différent entre le Maistre et le disciple, puis que sainct Paul ouvertement proteste que la perfection de l’homme ne consiste point en cela, qu’il renonce à tous ses biens, et d’autre part dit qu’elle peut estre sans qu’on face un tel renoncement, il faut veoir comment se doit exposer ceste sentence de Jésus-Christ, Va, et si tu veux estre parfait, vend tout ce que tu as. Or le sens ne sera point obscur, si nous considérons à qui c’est que ces paroles s’addressent : ce qui se doit considérer en toutes les responses de nostre Seigneur. Le jeune homme interrogue ce qu’il fera pour entrer en la vie éternelle Luc 10.25. Jésus-Christ, pource que la question est touchant les œuvres, le renvoye à la Loy : et ce à bon droict. Car si on la considère en soy, c’est la voye de vie : et ce qu’elle n’est pas suffisante pour nous donner salut, cela provient de nostre perversité. Par ceste response Jésus-Christ déclaire qu’il n’estoit pas venu pour enseigner autre façon de bien vivre, que celle que Dieu avoit anciennement baillée en la Loy. Et en ce faisant il rendoit tesmoignage à la Loy de Dieu, qu’elle monstroit quelle est la parfaite justice : et obvioit par un mesme moyen aux calomnies, à ce qu’on ne luy imposast qu’il vousist induire le peuple par une nouvelle reigle, à se révolter de l’obéissance de la Loy. Le jeune homme n’estant pas autrement de mauvais cœur, mais estant enflé d’une vaine outrecuidance, réplique qu’il a fait tous les commandemens dés son enfance. Or il est très-certain qu’il estoit encores bien loing du but là où il se vantoit d’estre parvenu : et si son dire eust esté vray, il ne luy eust rien défailly à la souveraine perfection. Car il a esté démonstré ci-dessus, que la Loy contient en soy une parfaite justice : et il appert de ce passage, où l’observation d’icelle est nommée l’entrée à la vie éternelle. Mais pour enseigner ce jeune homme, combien peu il avoit proufité en la justice laquelle il se vantoit si hardiment avoir accomplie, il faloit sonder le vice qui estoit caché en son cœur. Car comme ainsi soit qu’il fust riche, il avoit son affection cachée en ses richesses. Parquoy entant qu’il ne sentoit point ce mal secret, Jésus-Christ le touche où il le faut toucher, en luy disant qu’il vende tous ses biens. S’il eust esté tant bon observateur de la Loy qu’il pensoit, il ne s’en fust pas allé triste après avoir ouy ceste response. Car celuy qui aime Dieu de tout son cœur, non-seulement estime pour fiente tout ce qui répugne à l’amour de luy, mais le fuit comme pernicieux. Pourtant quand Jésus-Christ commande à ce riche avaricieux de vendre tous ses biens, c’est autant comme s’il commandoit à un ambitieux de renoncer à tous honneurs : à un homme voluptueux de renoncer à toutes délices : à un paillard, de renoncer à toutes choses qui le peuvent induire à mal faire. C’est ainsi qu’il faut ramener les consciences à un sentiment particulier de leurs vices, quand on n’y proufite de rien par admonitions générales. Nos gens doncques qui allèguent ce passage pour priser l’estat de moinerie, s’abusent en prenant un cas particulier pour doctrine générale, comme si Jésus-Christ constituoit la perfection en cela, qu’un homme renonce à ses biens : comme ainsi soit qu’il ait seulement prétendu de contraindre ce jeune homme, qui se plaisoit par trop, de sentir son mal : asçavoir qu’il entendist combien il estoit encores loing de la parfaite obéissance de la Loy, laquelle il s’attribuoit faussement. Je confesse que ce lieu a esté mal entendu par aucuns des Pères, et que de là est venu qu’on estimoit une grande vertu, d’appéter une povreté volontaire : d’autant qu’on tenoit pour bienheureux ceux qui se démettoyent de toutes choses terriennes pour se vouer tous nuds à Christ. Mais j’espère que tous lecteurs débonnaires et non contentieux seront satisfaits de l’exposition que j’ay donnée, tellement qu’ils ne douteront point que c’est le vray sens.
4.13.14
Combien qu’il s’en fale beaucoup que ce fust l’intention des Pères, d’establir une telle perfection qu’ont depuis forgée les Moines en leur cahute, pour constituer une double Chrestienté. Car ceste meschante doctrine n’estoit point encores née, laquelle fait comparaison entre le Baptesme et la moinerie : et mesmes afferme que la moinerie est une espèce de second Baptesme. Qui est-ce qui ne cognoist que les saincts Pères ont du tout en horreur un tel blasphème ? Touchant de la charité à laquelle sainct Augustin dit que les anciens moines ont rapporté toute leur vie, qu’est-il question de monstrer que cela est du tout contraire à la profession des Moines de nostre temps ? La chose est toute patente, que ceux qui entrent en un cloistre pour se faire Moines, se séparent et aliènent de l’Eglise. Qu’ainsi soit, ils font un gouvernement à part, et une administration des sacremens séparée des autres. Si cela n’est dissiper la communion de l’Eglise, je ne sçay plus quelle grande dissipation il y peut avoir. Et afin de suyvre la comparaison que nous avons commencé de faire, et de venir à la fin en telle conclusion, qu’est-ce qu’ils ont de semblable en cest endroict avec les Moines anciens ? Car anciennement les Moines, encores qu’ils habitassent arrière des autres, n’avoyent pas pourtant une Eglise séparée : ils recevoyent les Sacremens avec les autres : ils venoyent aux jours solennels ouyr le sermon et faire les prières en la compagnie des fidèles, et estoyent là comme une portion du peuple. Ceux-ci du temps présent, en se dressant un autel à part ont rompu le lien d’unité. Car ils se sont excommuniez du corps de l’Eglise : ils ont contemné le ministère ordinaire, par lequel Dieu a voulu que paix et charité fust entretenue entre les siens. Parquoy autant qu’il y a aujourd’huy de monastères au monde, je di que ce sont autant de conventicules de schismatiques, qui ont troublé l’ordre de l’Eglise, pour se retrancher de la compagnie légitime des fidèles. Et pour monstrer encores plus ouvertement un tel divorce qu’ils faisoyent, ils se sont imposé divers noms de sectes : et n’ont point eu honte de se glorifier en ce que sainct Paul a en si grande exécration que rien plus : sinon qu’on vousist dire que Jésus-Christ eust esté divisé entre les Corinthiens, quand chacun se glorifioit en son propre Docteur 1Cor. 1.12 ; 3.4, et que maintenant il ne soit rien dérogué à l’honneur de Jésus-Christ, quand les uns se nomment Franciscains, les autres de sainct Dominique, et les autres de sainct Benoist : mesmes qu’ils usurpent ces tiltres pour faire une profession spéciale, en laquelle ils soyent distinguez de la reste des Chrestiens.
4.13.15
Les différences que j’ay notées jusques yci entre les Moines anciens et ceux de nostre temps, ne sont point quant aux mœurs, mais en la profession. Pourtant que les lecteurs notent que j’ay plustost parlé de l’estat de moinerie, que des Moines : que les vices que j’ay taxez ne sont pas seulement en la vie d’aucuns particuliers, mais sont conjoincts inséparablement à la façon de vivre telle qu’elle est aujourd’huy. Combien est grande la diversité entre les mœurs, il n’est jà mestier le déchiffrer par le menu : tant y a que chacun voit qu’il n’y a estat aujourd’huy au monde tant dépravé en toutes sortes, ne tant desbordé en toute corruption : où il y ait tant de bandes, tant de haines, tant de brigues, tant d’ambition, avec les prattiques qui la suyvent. Il est vray qu’en quelque peu de convens on vit chastement, si on doit nommer Chasteté, quand la concupiscence est réprimée devant les hommes, tellement que la turpitude n’apparoisse point. Toutesfois je di une chose, qu’à grand’peine trouvera-on de dix cloistres l’un, qui ne soit plustost un bordeau qu’un domicile de chasteté. Quant au vivre, quelle sobriété y a-il ? On n’engraisse point autrement les pourceaux en l’auge. Mais afin qu’ils ne se plaignent que je les traitte trop rudement, je ne passeray point outre. Combien qu’en ce petit que j’ay touché ; chacun qui sçait que c’est, verra bien que je n’ay rien adjousté à la simple vérité. Nous avons veu quel tesmoignage sainct Augustin rend aux Moines de son temps, d’avoir esté d’une saincteté excellente. Toutesfois il se complaind qu’il y en avoit entre eux des coureurs et affronteurs, qui sucçoyent la substance du simple peuple par leurs finesses : qu’il y en avoit aussi de porteurs de rogatons, qui exerçoyent foires déshonnestes, en portant çà et là des reliques des Martyrs, ou bien, comme il dit, en monstrant des os tels quels, pour os de Martyrs : et d’autres semblables qui par leurs meschancetez diffamoyent l’ordre de moinerie. Item, comme il confesse qu’il n’a point veu de meilleurs personnages que ceux qui avoyent bien proufité aux monastères : aussi il se complaind qu’il n’en a jamais veu de pires que ceux qui y avoyent esté corrompus[o]. Que diroit-il s’il voyoit quasi tous les convens pleins de tant de vices et si énormes, tellement qu’ils ne peuvent plus s’ils n’en crèvent ? Je ne di rien qui ne soit notoire à chacun. Toutesfois je n’enten pas que ce blasme soit sur tous sans exception aucune. Car comme la reigle et police de bien vivre n’a jamais si bien esté ordonnée aux monastères, qu’il n’y eust tousjours quelques canailles meslez parmi les bons : aussi faut-il entendre que les Moines de présent n’ont pas du tout tellement dégénéré de la saincteté des anciens, qu’il n’y en ait encores quelques bons meslez parmi la troupe des meschans : mais le nombre en est bien petit, et sont si clair semez, qu’ils sont cachez en la multitude infinie des mauvais. D’avantage, non-seulement ils sont mesprisez, mais injuriez et molestez, voire mesmes cruellement traittez : d’autant que c’est une conspiration entre eux, de ne souffrir point un homme de bien en leur compagnie.
[o] De opere monachor., in fine.
4.13.16
Je pense avoir fait par ceste comparaison de la Moinerie ancienne et de celle du temps présent : ce que je prétendoye : c’est qu’il apparoisse que c’est faussement que nos cafars allèguent l’exemple de l’Eglise primitive, pour couverture et défense de leur estat : veu qu’il n’y a point moins de différence entre eux et les Moines anciens, qu’entre les hommes et les singes. Cependant, je ne nie pas que mesmes en ceste description que fait sainct Augustin, il n’y ait quelque chose qui me desplaise. J’accorde bien que les Moines n’estoyent pas superstitieux en ceste austérité externe qu’ils tenoyent : mais je di qu’en cela il y avoit une affectation folle, et une folle cupidité d’ensuyvre les uns les autres. Il semble advis une belle chose de quitter tous ses biens, pour estre à délivre de toute solicitude terrienne : mais Dieu estime plus, qu’un homme estant pur de toute avarice, ambition et autres concupiscences charnelles, ait le soin de bien et sainctement gouverner sa famille, ayant ce but et ce propos de servir à Dieu en une vocation juste et approuvée. C’est une chose de belle apparence, qu’un homme se retire des compagnies communes pour philosopher en son secret : mais cela ne convient point à la dilection chrestienne, qu’un homme, comme par haine du genre humain, s’enfuye en un désert pour là demeurer solitaire, en s’abstenant des choses que nostre Seigneur requiert principalement de nous tous : c’est-à-dire d’aider l’un à l’autre. Encores que nous concédions qu’il n’y ait eu autre mal en telle profession de vivre, cestuy-là sans autre a esté assez grand, qu’elle a introduit un exemple en l’Eglise dangereux et nuisible.
4.13.17
Voyons maintenant quels sont les vœus par lesquels les Moines de nostre temps entrent en leur estat. Premièrement, d’autant que leur intention est de forger un nouveau service de Dieu à leur poste, pour luy complaire et acquérir sa grâce : je conclu, suyvant ce qui a esté dit, que tout ce qu’ils vouent n’est qu’abomination devant Dieu. Secondement, puis qu’ils controuvent une façon de vivre, sans avoir aucun esgard à la vocation de Dieu, et sans en chercher aucune approbation de luy, je di que c’est une hardiesse téméraire, et par ce moyen illicite, d’autant que leur conscience n’a sur quoy s’appuyer devant Dieu : et tout ce qui est sans foy, est péché Rom. 14.23. Tiercement, veu qu’ils s’astreignent à plusieurs façons de faire perverses et meschantes, comme sont les idolâtries qui se commettent en tous les convens, je di que par cela ils ne se consacrent point à Dieu, mais au diable. Car puis que le Prophète reprend les Israélites d’avoir immolé leurs enfans aux diables, non pas à Dieu Deut. 32.17 ; Ps. 106.37, seulement pour ceste raison qu’ils avoyent corrompu le vray service de Dieu par cérémonies vicieuses, pourquoy ne me sera-il licite d’en dire autant des Moines, lesquels en vestant leur froc s’enveloppent en mille superstitions ? Mais encores, quel est le contenu des vœus ? Ils promettent à Dieu de garder virginité perpétuelle, comme s’ils avoyent jà en paction avec luy qu’ils les doyvent exempter de la nécessité de se marier. Et ne faut pas qu’ils répliquent qu’ils ne font ce vœu sinon qu’en se confiant de la grâce de Dieu, Car puis que luy-mesme prononce que cela n’est point donné à tous Matt. 19.11, ce n’est point à nous à faire de concevoir qu’il nous fera ce don. Que ceux qui l’ont en usent. S’ils se sentent molestez des aiguillons de leur chair, qu’ils recourent à l’aide de celuy par la vertu seule duquel ils peuvent résister. S’ils ne proufitent de rien en ce faisant, qu’ils ne rejettent point le remède qui leur est offert. Car tous ceux à qui la faculté de se contenir est desniée, sont clairement appelez de Dieu au mariage. J’appelle Continence, non pas quand le corps seulement est gardé pur et net de paillardise, mais quand l’âme se maintient en chasteté impollue. Car sainct Paul ne défend pas seulement l’impudicité externe, mais aussi la bruslure intérieure du cœur 1Cor. 7.9. Cela, disent-ils, a esté de tout temps en usage, que ceux qui se vouloyent du tout dédier à Dieu, se sont astreints par vœu à garder continence. Je confesse certes que ceste coustume est fort ancienne : mais je n’accorde pas que les Anciens mesmes ayent esté si purs de tout vice, qu’il fale recevoir et tenir pour reigle tout ce qu’ils ont fait. D’avantage, ceste rigueur tant extrême, de ne permettre nullement à ceux qui ont voué, de s’en repentir, est venue petit à petit par succession de temps : ce qui appert par sainct Cyprien, lequel dit ainsi : Si les vierges se sont dédiées d’un bon cœur à Christ, qu’elles persévèrent en chasteté sans feintise, estans ainsi fortes et constantes, qu’elles attendent le loyer de leur virginité. Si elles ne veulent, ou ne peuvent persévérer, il vaut mieux qu’elles se marient, que d’estre, précipitées au feu par leurs délices[p]. Si quelqu’un vouloit ainsi modérer le vœu de virginité, quelles vilenies luy diroit-on ? ne seroit-il point deschiré par pièces ? Parquoy la façon de nostre temps est bien loing de la coustume ancienne : veu que non-seulement le Pape et toute sa séquelle n’admettent nulle modération ne relasche, si quelqu’un se trouve n’avoir point la faculté d’accomplir son vœu : mais n’ont point de honte de prononcer que celuy qui se marie pour remédier à l’intempérance de sa chair, pèche plus griefvement que s’il se contaminoit et corps et âme par paillardise.
[p] Epist. XI.
4.13.18
Mais ils ont encores une autre réplique, s’efforçans de monstrer qu’une telle manière de vœu a esté en usage, mesmes du temps des Apostres : d’autant que sainct Paul dit que les vefves, lesquelles après avoir esté receues au service publique de l’Eglise, se marioyent, rompoyent leur première foy ou promesse 1Tim. 5.12. Je ne nie pas que les vefves, lesquelles ils prenoyent pour servir à l’Eglise, se submettoyent quant et quant à ceste condition de ne se point marier : non point pour mettre quelque saincteté en cela, comme on a depuis fait : mais pource qu’elles ne se pouvoyent point acquitter d’une telle charge, sinon estans en liberté, et non liées par mariage. Que si après avoir fait telle promesse à l’Eglise elles pensoyent à se marier, elles renonçoyent par ce moyen à la vocation de Dieu. Ce n’est point doncques de merveille que l’Apostre dit qu’icelles, en convoitant de se marier, regimboyent contre Christ. Après, pour amplifier encores d’avantage, il adjouste que tant s’en faloit qu’elles accomplissent ce qu’elles avoyent promis à l’Eglise, qu’elles rompoyent mesmes la première promesse faite au Baptesme : en laquelle est contenu ce point, que chacun doit servir à Dieu en l’estat où il est appelé : sinon que quelqu’un aimast mieux entendre, qu’ayans quasi perdu toute honte, elles ne se soucioyent plus d’honnesteté, et s’abandonnoyent à toutes dissolutions : tellement qu’elles ne ressembloyent nullement à femmes chrestiennes. Lequel sens me plaist très-bien. Pourtant je respon à nos adversaires, que les vefves qu’on recevoit lors au service de l’Eglise, s’astreignoyent bien à ceste nécessité de ne se plus marier. S’il advenoit qu’elles se mariassent, nous pouvons bien penser qu’elles se monstroyent telles que dit sainct Paul : c’est qu’ayans rejetté toute honte, elles s’abandonnoyent à une insolence non convenable à femmes chrestiennes. Et ainsi, que non-seulement elles péchoyent en rompant leur promesse faite à l’Eglise, mais en délaissant la condition de femmes chrestiennes. Mais je nie pour le premier, que les vefves vouassent pour lors de vivre en estat de continence pour autre cause, sinon d’autant que le mariage ne convenoit point à l’office auquel elles se présentoyent. Mesmes je nie qu’elles eussent autre considération, que de s’acquitter de la charge que portoit leur estat. Secondement, je nie qu’elles ayent esté astreintes en telle sorte, qu’il ne leur fust encores plustost permis de se marier que d’estre bruslées de concupiscence, ou de tomber en quelque vilenie. Tiercement, je di que sainct Paul détermine un aage, lequel est communément hors du danger d’incontinence, défendant d’en recevoir qu’elles n’ayent soixante ans : mesmement quand il adjouste encores plus, que celles qu’on reçoit n’ayent point esté mariées qu’une fois, et que par ce moyen elles ayent desjà donné une approbation de leur continence. Or nous ne réprouvons point le vœu de s’abstenir de mariage, que pour ces deux causes : c’est que faussement on l’estime un service agréable à Dieu : item, qu’il se fait témérairement de ceux qui n’ont point la puissance de le garder.
4.13.19
Mais encores de quoy appartient ce passage de sainct Paul aux Nonnains ? Car on eslisoit les vefves au service de l’Eglise, non pas pour resjouir Dieu de chansons ou de barbotemens non entendus, vivans le reste du temps en oisiveté : mais pour servir aux povres au nom de toute l’Eglise, et s’employer du tout à offices de charité. Elles ne vouoyent point de vivre hors l’estat de mariage, pource qu’elles pensassent que ce fust un service plaisant à Dieu, que de s’abstenir de se marier, mais seulement pour estre plus à délivre à faire leur devoir à la charge qu’elles prenoyent. Finalement, elles ne faisoyent point un tel vœu ou en leur première jeunesse, ou estans encores en fleur d’aage, pour expérimenter puis après quand il eust esté trop tard, en quel abysme elles s’estoyent précipitées : mais quand il estoit vray-semblable qu’elles estoyent jà hors du danger d’incontinence, elles faisoyent le vœu de se contenir. Toutesfois, encores que je ne m’arreste point au reste, ce seul point suffira : c’est qu’il n’estoit point licite de recevoir une femme à faire vœu de continence devant l’aage de soixante ans, puis que l’Apostre l’avoit défendu, commandant aux plus jeunes de se marier 1Tim. 5.9. Pourtant, ce qu’on est depuis venu à quarante-huit ans, et après à quarante, et conséquemment à trente, pour assigner un nouveau terme de faire un tel vœu, ne se peut nullement excuser. C’est doncques une chose encores moins tolérable, que les povres fillettes, devant qu’elles ayent eu le loisir de se cognoistre, et devant qu’elles ayent expérimenté leur portée, non-seulement sont induites par finesses et prattiques cauteleuses, mais aussi contraintes par force de se mettre au col ce malheureux lien. Quant est des autres deux vœus que font les Moines et Nonnains, asçavoir de povreté et d’obéissance, je n’en feray plus long procès : je diray seulement ce mot, qu’outre ce qu’ils sont enveloppez avec beaucoup de superstitions, selon que les choses sont aujourd’huy disposées, il semble proprement advis qu’ils soyent faits pour se mocquer de Dieu et des hommes. Mais afin qu’il ne semble que je soye trop rigoureux en espluchant par le menu toutes les parties, contentons-nous de la réfutation générale que j’ay mise ci-dessus.
4.13.20
Je pense avoir suffisamment déclairé quels sont les vœus légitimes et agréables à Dieu : mais pource qu’il y a quelquesfois des consciences craintives, lesquelles encores qu’un vœu leur desplaise, et qu’elles cognoissent qu’il mérite d’estre réprouvé, sont néantmoins en doute, asçavoir si elles ne sont point tenues à le garder, et que cela leur est cause d’un grand torment, quand d’un costé elles craignent de fausser une promesse faite à Dieu, et de l’autre costé elles ont peur de pécher plus griefvement en la gardant qu’en la rompant : il est besoin de leur subvenir en cest endroict, afin de les despescher d’une telle difficulté. Or pour leur oster briefvement tout scrupule, je di que tous vœus illicites, et faits contre droict et raison, tout ainsi que devant Dieu ils sont de nulle valeur, aussi qu’on les doit tenir pour non faits. Car si aux contracts qui se font entre les hommes, il n’y a autres promesses obligatoires, que celles ausquelles celuy avec lequel on contracte se veut tenir pour les advouer : c’est chose absurde et contre toute raison, de dire que nous soyons contraints à observer ce que Dieu ne demande point de nous : mesmement veu que nos œuvres ne sont autrement bonnes, sinon entant qu’elles plaisent à Dieu, et ont ce tesmoignage de la conscience de l’homme, que Dieu les accepte. Car ceste conclusion demeure tousjours, que ce qui se fait sans foy, est péché Rom. 14.23. En quoy sainct Paul entend que tout ce qui s’entreprend avec conscience douteuse, est vicieux, d’autant que la seule foy est la racine de toutes bonnes œuvres : la foy, di-je, par laquelle nous sommes certains qu’elles sont agréables à Dieu. S’il n’est doncques licite à l’homme chrestien de rien attenter sinon avec telle certitude, qui empeschera que celuy qui aura fait un vœu par ignorance, ayant cognu son erreur, désiste de le garder ? Puis qu’ainsi est, les vœus faits inconsidérément, non-seulement n’obligent point, mais nécessairement doyvent estre rescindez. Or il y a encores plus, c’est que non-seulement ils sont de nulle estime devant Dieu : mais luy sont en abomination, comme il a esté monstré par ci-devant. Ce seroit une dispute superflue d’en traitter plus au long. Cest argument seul me semble bien advis suffisant pour appaiser toutes consciences fidèles, et les délivrer de tout scrupule : c’est que toutes les œuvres qui ne procèdent point d’une pure fontaine, et ne sont point réduites à leur droicte fin, sont rejettées de Dieu : et tellement rejettées, qu’il ne nous défend pas moins d’y persévérer que de les entreprendre du commencement. Car de cela il faut conclurre que tous vœus qui sont produits d’erreur et superstition, ne sont d’aucune valeur devant Dieu, et que nous les devons laisser là.
4.13.21
Ceste solution sera aussi pour respondre aux calomnies des meschans qui accusent ceux qui sont sortis de la moinerie pour se mettre en quelque honneste estat. ils leur imposent d’avoir rompu leur foy et de s’estre perjurez : d’autant qu’ils ont rompu, comme ils disent, un lien indissoluble, par lequel ils estoyent astreints envers Dieu et son Eglise. Or je di qu’il n’y a nul lien : quand Dieu casse et rescinde ce que l’homme conferme. Secondement, encores que je concède qu’ils fussent obligez pour le temps qu’ils vivoyent en erreur et ignorance de Dieu, je di que par la grâce de Jésus-Christ ils ont esté délivrez de telle obligation, quand Dieu les a illuminez en leur faisant cognoistre sa vérité. Car si la mort de nostre Seigneur Jésus a telle efficace, qu’elle nous rachète de la malédiction de la Loy de Dieu, en laquelle nous estions Gal. 3.13 : combien plus nous doit-elle délivrer et absoudre des liens humains, qui ne sont que filets de Satan pour nous surprendre ? Pourtant, quiconques a receu ceste grâce d’estre illuminé par la clairté de l’Evangile, il n’y a nulle doute qu’il ne soit despestré de tous les liens ausquels il estoit enveloppé par superstition. Combien que ceux qui ont esté Moines ont encores une autre excuse quant au mariage, s’ils n’avoyent point la puissance de se contenir : et autant en est-il des Nonnains. Car si un vœu impossible est la ruine et perdition des âmes, lesquelles Dieu veut sauver, et non point perdre : il s’ensuyt qu’il ne faut point persévérer en iceux. Or que le vœu de continence soit impossible à garder à ceux qui n’ont point grâce spéciale de Dieu pour ce faire, nous l’avons desjà déclairé ci-dessus : et l’expérience en crie, encores que je m’en teusse. Car chacun sçait bien de quelles ordures sont pleins tous les cloistres. Et s’il y en a quelques-uns qui semblent un petit plus honnestes que les autres, si ne sont-ils pourtant plus chastes, d’autant que l’impudicité est cachée au dedans. Voylà comment Dieu se venge par horribles punitions de l’audace des hommes, quand mescognoissans leur infirmité ils appètent de parvenir maugré nature à ce qui leur est desnié, et quand en mesprisant les remèdes que Dieu leur donnoit à la main, ils se confient de surmonter le vice d’incontinence par leur contumace et obstination. Car comment appellerons-nous cela sinon Contumace, quand quelqu’un estant adverty de Dieu qu’il a besoin de se marier, et que le mariage luy est donné de Dieu comme un remède, non-seulement il le mesprise, mais aussi s’oblige par serment à le rejetter ?
Chapitre XIV
Des Sacremens.
4.14.1
Il y a une autre aide prochaine et semblable à la prédication de l’Evangile, pour soustenir et confermer la foy, asçavoir les Sacremens : desquels il nous est grandement utile d’avoir certaine déclaration, dont nous apprenions à quelle fin ils ont esté instituez, et comment on en doit user. Premièrement, il nous faut entendre que c’est que Sacrement. Or je pense que ceste définition sera propre et simple, si nous disons que Sacrement est un signe extérieur par lequel Dieu scelle en nos consciences les promesses de sa bonne volonté envers nous, pour confermer l’imbécillité de nostre foy : et nous mutuellement rendons tesmoignage tant devant luy et les Anges que devant les hommes, que nous le tenons pour nostre Dieu. On pourra encores plus briefvement définir que c’est que Sacrement, disant que c’est un tesmoignage de la grâce de Dieu envers nous, confermé par signe extérieur, avec attestation mutuelle de l’honneur que luy portons. Que l’on choisisse laquelle qu’on voudra de ces deux définitions, elle s’accordera quant au sens à ce que dit sainct Augustin, que Sacrement est un signe visible de chose sacrée, ou une forme visible de la grâce invisible. Mais j’ay tasché d’en donner plus claire intelligence, déclairant plus à plein ce que sainct Augustin avoit plus obscurément touché à cause de la briefveté.
4.14.2
Or il est facile de juger pour quelle raison les anciens Pères ont usé de ce mot en telle signification. Car par tout où le translateur commun du Nouveau Testament a voulu exposer en latin ce mot grec, Mystère, il a dit Sacrement, comme en l’Epistre aux Ephésiens, Afin de manifester le Sacrement de sa volonté Eph. 1.9. Item, Si vous avez entendu la dispensation de la grâce de Dieu qui m’a esté commise : c’est que par révélation il m’a déclairé son Sacrement Eph. 3.2-3. Item aux Colossiens, Le mystère qui avoit esté caché depuis le commencement, maintenant a esté révélé aux Saincts, ausquels Dieu a voulu démonstrer les richesses de ce Sacrement Col. 1.26-27. Item à Timothée, C’est un grand Sacrement, que Dieu a esté manifesté en chair 1Tim. 3.16. Nous voyons doncques que le translateur a usé de ce mot pour Secret des choses sacrées et divines. Et en telle signification l’ont souvent prins les anciens Docteurs de l’Eglise. Et de faict, c’est chose notoire que le Baptesme et la Cène sont appelez Mystères en grec, tellement qu’il ne faut faire doute que ce ne soyent deux mots d’une mesme signification. Et de là est advenu qu’on l’a aussi prins pour les signes ou cérémonies qui contenoyent représentation des choses hautes et spirituelles. Ce qu’aussi sainct Augustin dénote en quelque passage, disant, Il seroit long de disputer de la diversité des signes, lesquels quand ils appartienent aux choses célestes se nomment Sacremens[a].
[a] Epist. V, Ad Marcellin.
4.14.3
En quoy nous voyons que Sacrement n’est jamais sans que la Parole de Dieu précède : mais est à icelle adjousté comme une appendance ordonnée pour la signer, la confermer, et de plus fort certifier envers nous : comme nostre Seigneur voit qu’il est de mestier à l’ignorance de nostre sens, puis à la tardiveté et infirmité de nostre chair. Or ce n’est pas pource que la Parole ne soit assez ferme de soy-mesme, ou qu’elle en puisse avoir meilleure confirmation quant à soy (car la vérité de Dieu est par soy seule tant seure et certaine, qu’elle ne peut d’autre part avoir meilleure confirmation que de soy-mesme) : mais c’est pour nous confermer en elle. Car nostre foy est tant petite et débile, que si elle n’est appuyée de tous costez, et soustenue par tous moyens, soudain elle est esbranlée en toutes pars, agitée, et vacillante. Et d’autant que nous sommes tant ignorans, et tant adonnez et fichez aux choses terriennes et charnelles, que nous ne pensons ny ne pouvons comprendre ne concevoir rien qui soit spirituel : ainsi le Seigneur miséricordieux s’accomode en ceci à la rudesse de nostre sens, que mesmes par ces élémens terrestres il nous meine à soy, et nous fait contempler mesmes en la chair comme en un miroir ses dons spirituels. Car si nous n’estions sensuels et enveloppez de nos corps, comme dit Chrysostome, ces choses nous seroyent données sans figure corporelle : mais pource que nous habitons en nos corps, Dieu nous donne les choses spirituelles sous signes visibles. Non pas pource que les choses qui nous sont proposées pour Sacremens, ayent de leur nature telle qualité et vertu : mais pource qu’elles sont signées et marquées de Dieu pour avoir celle signification[b].
[b] Homil. LX, Ad populum.
4.14.4
C’est ce qu’on dit communément, que Sacrement consiste en la Parole et au signe extérieur. Car par la Parole il ne faut pas entendre un murmure qui se face sans sens et intelligence, en barbotant à la façon des enchanteurs, comme si par cela se faisoit la consécration : mais il nous faut entendre la Parole qui nous soit preschée, pour nous enseigner et nous faire sçavoir que veut dire le signe visible. Pourtant ce qui se fait sous la tyrannie du Pape, est une meschante profanation des Sacremens. Car il leur semble advis que c’est assez si le Prestre fait la consécration en murmurant sans sens, le peuple estant là tout esbahy et la gueule bée. Et mesmes ils font un mystère de cela, que le peuple n’entende rien à ce qui se dit. Pourtant ils ont composé toutes leurs consécrations en latin. Puis la superstition est venue jusques-là, qu’il leur semble advis que la consécration n’est point deuement faite : sinon en subsillant tout bas, tellement qu’on n’oye pas mesmes le son. Or sainct Augustin parle bien autrement des Paroles sacramentales : Que la Parole, dit-il, soit conjoincte au signe terrien, et il sera fait Sacrement. Car dont vient telle vertu à l’eau, qu’en touchant le corps elle lave le cœur, sinon en vertu de la Parole ? non point en tant qu’on la prononce, mais qu’on la croit. Car c’est autre chose du son qui passe, et de la vertu qui demeure. C’est la Parole de foy qui est preschée, dit l’Apostre. Pourtant il est dit aux Actes, que Dieu purifie les cœurs par foy : et sainct Pierre dit, que le Baptesme nous sauve, non point en despouillant les ordures de la chair, mais entant que nous avons bonne conscience pour respondre à Dieu. C’est doncques la Parole de foy que nous preschons, par laquelle le Baptesme est consacré pour pouvoir nettoyer[c] Rom. 10.8 ; Actes 15.9 ; 1Pi. 3.21. Voylà les mots de sainct Augustin. Or nous voyons qu’il requiert prédication aux Sacremens, de laquelle la foy s’ensuyve. Et ne faut point yci user de plus longue probation : veu qu’il est tout notoire que c’est que Jésus-Christ a fait, que c’est qu’il nous a commandé de faire, que c’est qu’ont suyvy les Apostres, et que l’Eglise ancienne a observé. Mesmes on sçait que depuis le commencement du monde, quand Dieu a donné quelque signe aux Pères, il l’a conjoinct d’un lien inséparable avec doctrine : pource que sans icelle le regard muet ne peut sinon estonner nos sens. Quand doncques il se fait mention des paroles sacramentales, par cela entendons la promesse, laquelle doit estre preschée haut et clair du Ministre, pour mener le peuple où le signe tend.
[c] Homil. in Joan. XIII.
4.14.5
Et ne sont à escouter aucuns qui arguent par ceste cavillation : Ou nous sçavons, disent-ils, que la Parole de Dieu, laquelle précède le Sacrement, est la vraye volonté de Dieu : ou nous ne le sçavons pas. Si nous le sçavons bien, nous n’apprenons rien de nouveau par le Sacrement subséquent. Si nous ne le sçavons point, le Sacrement ne le nous pourra pas enseigner, duquel toute la vertu et efficace ne gist qu’en la Parole. Qu’il leur soit en brief respondu, que les seaux qui sont mis et apposez aux lettres et instrumens publiques, prins en soy ne sont rien : car s’il n’y avoit rien escrit au parchemin, ils ne serviroyent à aucune chose et en vain y seroyent attachez. Et néantmoins pourtant ils ne laissent point de confermer, acertener et rendre plus authentique l’escriture qui est contenue dedans les lettres, quand ils sont à icelles adjoustez. Et ne peuvent dire que ceste similitude soit puis n’aguères controuvée par nous, et faite à plaisir : car sainct Paul en a usé, en appelant le Sacrement de la Circoncision par un mot grec, sprhagida, c’est-à-dire Seel. Auquel passage il démonstre que la Circoncision n’a pas esté à Abraham pour justice, mais un seau de la paction, en fiance de laquelle il estoit jà au paravant justifié Rom. 4.11. Et pourquoy, je vous prie, cela nous doit-il offenser si nous enseignons la promesse estre scellée par les Sacremens, veu qu’il est manifeste qu’entre les promesses l’une est confermée par l’autre ? Car celle qui est la plus manifeste, est la plus propre pour asseurer la foy. Or les Sacremens nous apportent promesses très-claires, et ont cela particulier outre la Parole, qu’ils nous les représentent au vif, comme en peincture. Et ne nous doit point esmouvoir la diversité qu’on ameine entre les Sacremens et les seaux des lettres patentes : asçavoir que veu que les uns et les autres consistent en élémens charnels de ce monde, les Sacremens ne peuvent pas servir à sceller les promesses de Dieu qui sont spirituelles, comme sont les seaux pour sceller les escrits des Princes, quant aux choses transitoires et caduques. Car l’homme fidèle en voyant le Sacrement ne s’arreste point à l’extériorité, mais d’une saincte considération s’eslève à contempler les hauts mystères qui y sont cachez, selon la convenance de la figure charnelle avec la chose spirituelle.
4.14.6
Et puis que nostre Seigneur appelle ses promesses. Convenances et Appointemens Gen. 6.18 ; 9.9 ; 17.21 : et les Sacremens, Marques et Enseignemens de convenances : on peut tirer et prendre une similitude des convenances et appointemens des hommes. Les Anciens pour confirmation de leurs appointemens, avoyent accoustumé de tuer une truye. Qu’eust fait une truye tuée, si les mots de l’appointement ne fussent quant et quant intervenus, et mesmes au paravant n’eussent précédé ? Car on tue bien souvent des truyes sans signifier autre mystère. Pareillement, qu’est-ce par soy que de toucher en la main, veu que bien souvent plusieurs touchent aux mains de leurs ennemis pour leur mal faire ? et toutesfois quand les paroles d’amitié et convenance ont esté prémises, elles sont confermées par tel signe, encores qu’au paravant elles ayent esté proposées, faites et arrestées. Les Sacremens doncques nous sont des exercices pour nous rendre plus certains de la Parole et des promesses de Dieu. Et par ce que nous sommes charnels, aussi ils nous sont donnez en choses charnelles, afin qu’ainsi ils nous instruisent selon la capacité de nostre rudesse, et nous addressent et conduisent comme pédagogues font les petis enfans. A ceste cause Sacrement est appelé par sainct Augustin, Parole visible, pour autant qu’il nous démonstre comme en une peincture les promesses de Dieu, et nous les représente au vif[d]. Nous pouvons aussi user d’autres similitudes, pour plenement désigner les Sacremens, comme en les appelant Pilliers de nostre foy. Car ainsi qu’un édifice se porte et se soustient sur son fondement : et toutesfois quand on y adjouste par-dessous les Pilliers, il en est rendu plus seur et plus ferme : en ceste manière aussi nostre foy se repose et soustient sur la Parole de Dieu, comme sur son fondement : mais quand les Sacremens y sont adjoustez, ils luy servent ainsi que de pilliers, sur lesquels elle s’appuye plus fort, et s’y conferme encores mieux. Ou autrement en les appelant Miroirs, ausquels nous puissions contempler les richesses de la grâce de Dieu, lesquelles il nous eslargit. Car par iceux Sacremens (comme desjà devant a esté dit) il se manifeste à nous selon qu’il est donné à nostre sens hébété de le pouvoir cognoistre, et nous testifie son bon vouloir envers nous plus expressément que par la Parole.
[d] In Joann., LXXXIX ; Contra Faust., lib. XIX.
4.14.7
C’est aussi mal argué à ceux qui prétendent les Sacremens n’estre point tesmoignages de la grâce de Dieu, pourtant que bien souvent ils sont receus des mauvais, qui toutesfois pour cela n’en sentent de rien plus Dieu leur estre favorable, mais en acquièrent tousjours plus griefve damnation. Car par mesme raison l’Evangile ne seroit point aussi tesmoignage de la grâce de Dieu : car elle est ouye de plusieurs qui la mesprisent : ne finalement Jésus-Christ mesmes, lequel a esté veu et cognu de plusieurs, desquels bien peu l’ont receu. Le semblable se peut veoir aux lettres patentes des Princes. Car une grande partie du peuple, combien qu’elle sçache que le seau authentique qui est apposé, est venu du Prince, néantmoins ne laisse point de le contemner. Les uns le laissent là comme une chose n’appartenant de rien à soy, les autres mesmes l’ont en exécration : tellement qu’en réputant une telle convenance, il ne se peut faire que nous n’approuvions la similitude ci-dessus mise. Parquoy il est certain que nostre Seigneur, tant en sa saincte Parole qu’en ses Sacremens, nous présente à tous sa miséricorde, et la grâce de sa bonne volonté : mais elle n’est acceptée que de ceux qui reçoyvent et la Parole et les Sacremens en certaine foy ; comme nostre Seigneur Jésus-Christ a esté du Père offert et présenté à tous pour salut, mais il n’a pas esté recognu et receu de tous. Sainct Augustin en quelque lieu voulant dénoter cela, a dit que la vertu de la Parole qui est au Sacrement, gist non pas en ce qu’elle est prononcée : mais en ce qu’elle est creue et receue[e]. Pourtant sainct Paul parlant des Sacremens entre les fidèles, en dispute tellement qu’il enclost en iceux la communion de Jésus-Christ, comme quand il dit : Vous tous qui avez esté baptizez, avez vestu Christ Gal. 3.27. Item, Nous sommes un corps et un esprit, d’autant que nous avons esté baptizez en Christ 1Cor. 12.13. Au contraire, quand il taxe l’usage mauvais et pervers des Sacremens, il ne leur attribue non plus qu’à des figures vaines et inutiles. En quoy il signifie que combien que les meschans et les hypocrites anéantissent ou empeschent la vertu et l’effect de la grâce de Dieu aux Sacremens, néantmoins que cela ne répugne point que les Sacremens, toutes fois et quantes qu’il plaist à Dieu, n’apportent vray tesmoignage de la communion de Jésus-Christ, et que le sainct Esprit n’exhibe à la vérité ce qu’ils promettent. Nous concluons doncques que les Sacremens sont vrayement nommez tesmoignages de la grâce de Dieu, et comme seaux de la faveur qu’il nous porte, lesquels la signans en nous, consolent par ce moyen nostre foy, la nourrissent, conferment et augmentent. Et les raisons qu’aucuns ont voulu alléguer au contraire, sont trop frivoles et débiles. Les uns disent que si nostre foy est bonne, elle ne se pourroit faire meilleure : car ce n’est point foy, sinon qu’elle s’appuye et arreste sur la miséricorde de Dieu si fermement, qu’elle n’en puisse estre desmeue ne distraite. Ausquels il estoit beaucoup meilleur de prier avec les Apostres, que le Seigneur leur augmentast la foy Luc 17.5, que nullement se vanter d’une telle perfection de foy, laquelle jamais nul des hommes n’a eue, ny aura en ceste vie. Qu’ils respondent quelle foy ils pensent avoir esté en celuy qui disoit. Je croy, Seigneur, aide mon incrédulité Marc 9.24. Car ceste foy aucunement encommencée estoit bonne, et pouvoit encores estre faite meilleure par la diminution de l’incrédulité. Mais ils ne peuvent estre réfutez par nuls plus certains argumens, que par leur propre conscience. Car s’ils se confessent pécheurs (ce que vueillent ou non ils ne peuvent nier) nécessairement il faut qu’ils en imputent la faute à l’imperfection de leur foy.
[e] Sur sainct Jean.
4.14.8
Mais ils disent, Philippe respondit à l’Eunuque, que s’il croyoit de tout son cœur, il luy estoit licite d’estre baptizé Actes 8.37. Et quel lieu doit yci avoir la confirmation du Baptesme, où la foy occupe et emplit tout le cœur ? Pour respondre, d’autre part je leur demande. Ne sentent-ils point une bonne partie de leur cœur estre desnuée et vuide de foy ? Ne cognoissent-ils point en eux tous les jours quelque nouveau accroissement de foy ? Un Payen se glorifioit qu’il devenoit vieil en apprenant. Nous Chrestiens doncques sommes plus que misérables, si nous vieillissons sans rien proufiter, desquels la foy doit avoir ses aages par lesquels elle aille toujours en avant, jusques à ce qu’elle grandisse en homme parfait Eph. 4.13. Pourtant en ce lieu, Croire de tout son cœur, n’est pas estre parfaitement fiché à Jésus-Christ : mais est seulement l’embrasser de bon courage, et de zèle non feint : n’estre point comme saoulé de luy, mais d’ardente affection en avoir comme faim et soif, et souspirer après luy. C’est une manière tant et plus commune de parler de l’Escriture, qu’elle dit estre fait de tout le cœur, ce qu’elle veut signifier estre fait de bon courage et sans feintise. Tels sont ces passages, En tout mon cœur je t’ay cherché. Item, Je te loueray en tout mon cœur : et autres semblables Ps. 119.10 ; 111.1 ; 138.1. Comme au contraire, reprenant les hypocrites et trompeurs, elle a coustume de leur reprocher qu’ils ont cœur et cœur, c’est-à-dire le cœur double Ps. 12.2. Ils adjoustent en après, que si la foy estoit augmentée par les Sacremens, le sainct Esprit auroit esté donné en vain, duquel l’œuvre et la vertu est de commencer, confermer et parfaire la foy. Je leur confesse que la foy est propre et entière œuvre du sainct Esprit, par lequel estans illuminez, nous recognoissons Dieu et les grans thrésors de sa bénignité et sans la lumière duquel nostre esprit est tellement aveuglé, qu’il ne peut rien veoir : tellement desprouveu de tout sentiment, qu’il ne peut rien flairer des choses spirituelles. Mais pour une grâce de Dieu qu’ils considèrent, nous en recognoissons trois. Car premièrement, nostre Seigneur nous enseigne et instruit par sa Parole. Secondement, il nous conferme par ses Sacremens. Tiercement, par la lumière de son sainct Esprit il esclaire nostre entendement, et donne entrée en nos cœurs et à la Parole et aux Sacremens, lesquels autrement batroyent seulement les aureilles, et se présenteroyent aux yeux, mais ils ne pénétreroyent et n’esmouveroyent point le dedans.
4.14.9
Pourtant je veux que les lecteurs soyent advertis que ce que j’attribue aux Sacremens l’office de confermer et augmenter la foy, n’est pas que j’estime qu’ils ayent une vertu perpétuelle de ce faire : mais pource qu’ils sont instituez de Dieu à ceste fin. Au reste, ils produisent lors leur efficace, quand le Maistre intérieur des âmes y adjouste sa vertu : par laquelle seule les cœurs sont percez, et les affections touchées pour y donner entrée aux Sacremens. Si cestuy-là défaut, ils ne peuvent non plus apporter aux esprits, que la lumière du soleil aux aveugles, ou une voix sonnante à sourdes aureilles. Pourtant je mets ceste différence entre l’Esprit et les Sacremens, que je recognoy la vertu résider en l’Esprit, ne laissant rien d’avantage aux Sacremens, sinon qu’ils soyent instrumens dont le Seigneur use envers nous : et tels instrumens, qui seroient inutiles et vains sans l’opération de l’Esprit : néantmoins qu’ils sont pleins d’efficace quand l’Esprit besongne par dedans. Maintenant il est évident comment, selon mon opinion, la foy est par les Sacremens confermée : asçavoir comme les yeux voyent par la lueur du soleil, et les aureilles oyent par le son de la voix. Certes la lumière ne feroit rien envers les yeux, sinon que la faculté de voir y fust pour la recevoir : ne la clameur aux aureilles, sinon que l’ouye leur fust donnée de nature. Or si c’est chose véritable (comme elle doit estre résolue entre nous) que l’opération du sainct Esprit pour engendrer, entretenir, conserver et establir la foy, est pareille à la veue de l’œil, à l’ouye de l’aureille, l’un et l’autre s’ensuyt très-bien, Que les Sacremens ne proufitent de rien sans la vertu d’iceluy : et néantmoins que cela n’empesche rien, qu’aux cœurs jà par luy enseignez, la foy ne soit corroborée et augmentée par les Sacremens. Il y a seulement ceste différence, que nos yeux et nos aureilles ont naturellement la faculté de veoir et ouyr : mais le sainct Esprit a ce mesme office en nos âmes d’une grâce spéciale outre le cours de nature.
4.14.10
Par laquelle raison sont aussi solues les objections qu’ont accoustumé aucuns de faire : c’est si nous attribuons l’accroissement ou confirmation de foy aux créatures, qu’en cela nous faisons injure à l’Esprit de Dieu, lequel seul il faut recognoistre autheur d’icelle. Car nous ne luy ravissons point en ce faisant, la louange qui luy appartient, veu que mesmes ce qui est dit confermer et augmenter, n’est autre chose qu’appareiller par son illumination nostre esprit à recevoir la confirmation qui est proposée aux Sacremens. Et si cela est encores trop obscurément dit, il sera esclarcy par ceste similitude. Si on veut persuader quelqu’un à faire une chose, on méditera toutes les raisons par lescquelles il soit attiré à celle sentence, et quasi soit contraint d’obtempérer. Mais encores il n’y a rien de fait, si le personnage auquel on a affaire, n’est d’un jugement vif et aigu, pouvant comprendre quel poids il y a aux raisons qu’on luy ameine : s’il n’est pareillement de nature docile, et enclin à obéir à bonne doctrine : si finalement il n’a conceu une telle opinion de la loyauté et prudence de celuy qui luy donne conseil, qu’elle luy forme un demi-jugement pour recevoir ce qui luy sera baillé. Car il y a plusieurs dures testes qu’on ne pourroit jamais fleschir par aucune raison. Quand la preud’hommie est suspecte, ou l’authorité contemptible, on ne proufite de rien, voire envers ceux qui sont aisez à mener : au contraire, que toutes ces choses soyent ensemble conjoinctes, elles feront que le conseil qu’on baille sera volontairement receu, lequel autrement eust esté mesprisé. L’opération du sainct Esprit est pareille en eux. Car afin que la Parole ne bâte point en vain les aureilles, ou que les Sacremens ne soyent point en vain présentez aux yeux, il déclaire que c’est Dieu qui parle là, et amolit la dureté de nostre cœur, pour nous apprester à l’obéissance, laquelle est deue à sa Parole. Finalement, il transfère aux aureilles de l’esprit, tant les paroles que les Sacremens. Il n’y a doncques nulle doute que tant la Parole que les Sacremens ne conferment nostre foy, en nous remonstrant à veue d’œil la bonne volonté de nostre Père céleste envers nous : en l’intelligence de laquelle consiste la fermeté de nostre foy, et toute la force repose. L’Esprit aussi conferme la foy, entant qu’il imprime en nostre cœur icelle confirmation pour luy donner efficace. Ce pendant le Père des clairtez Jacq. 1.17 n’est pas empesché qu’il ne puisse esclairer nos âmes par le moyen des Sacremens, comme il esclaire nos yeux corporels par les rayons du soleil.
4.14.11
Que ceste propriété soit en la parole extérieure, le Seigneur Jésus le démonstre quand il l’appelle Semence. Car comme la semence, si elle tombe en quelque endroict désert, et qui ne soit point labouré se perd sans rien produire : au contraire, si elle est jettée en un champ bien labouré, rapporte son fruit en abondance, ainsi la Parole de Dieu, si elle tombe en quelque dure cervelle et rebelle, demeure stérile, comme la semence jettée au gravier de la mer : mais si elle trouve une âme bien apprestée par l’opération du sainct Esprit, elle est féconde et fertile en fruit Matt. 13.4 ; Luc 8.15. Or s’il y a bonne similitude entre la semence et la Parole, comme nous disons que le bled croist, procède et vient en perfection de la semence, pourquoy ne dirons-nous aussi bien que la foy prend son commencement, accroissement et perfection de la Parole ? Sainct Paul exprime très-bien l’un et l’autre en divers passages. Quand il réduit en mémoire aux Corinthiens, en quelle efficace Dieu s’est servi de sa prédication il se glorifie que son ministère a esté spirituel, comme si la vertu du sainct Esprit eust esté conjoincte avec sa prédication, pour leur illuminer les entendemens et esmouvoir leurs cœurs 1Cor. 2.4. Mais en un autre passage, les voulant admonester que c’est que vaut la Parole de Dieu, quand elle est preschée par un homme, il accompare les prescheurs à des laboureurs, lesquels après avoir travaillé et prins peine à cultiver la terre, ne peuvent faire autre chose. Or que seroit-ce d’avoir cultivé, semé et arrousé : ou que proufiteroit tout cela, si Dieu ne donnoit sa vertu d’en haut ? Pourtant il conclud que celuy qui plante n’est rien, ne celuy qui arrouse : mais qu’il faut tout attribuer à Dieu, qui donne l’accroissement 1Cor. 3.6. Les Apostres doncques preschent avec efficace du sainct Esprit, entant que Dieu s’en sert comme d’instrumens. Mais il faut tousjours tenir ceste distinction : c’est qu’il nous souviene que c’est que l’homme peut de soy, et ce qui est propre à Dieu.
4.14.12
Or il est si vray que les Sacremens sont confirmation de nostre foy, qu’aucunesfois Dieu, quand il veut oster la fiance des choses qui estoyent promises aux Sacremens, oste mesmes les Sacremens. Quand il despouille et rejette Adam du don d’immortalité, il dit, qu’Adam ne recueille point du fruit de vie, afin qu’il ne vive éternellement Gen. 3.22. Qu’est-ce que nous oyons ? Ce fruit pouvoit-il rendre et restituer à Adam l’incorruption, de laquelle il estoit desjà décheut ? Nenny : mais cela est autant comme s’il eust dit, Le signe de ma promesse qui luy peut faire quelque espérance d’immortalité, luy soit osté, afin qu’il ne prene plus vaine confiance. Par une mesme raison aussi l’Apostre, quand il exhortoit les Ephésiens qu’ils eussent souvenance d’avoir esté estrangers des promesses, eslongnez de la compagnie d’Israël, sans Dieu, sans Christ, il dit qu’ils n’ont point esté participans de la Circoncision Eph. 2.11-12. En quoy il signifie qu’ils estoyent exclus de la promesse, puis qu’ils n’en avoyent point eu le mereau. ils font une autre objection : que la gloire de Dieu est transférée aux créatures, ausquelles on attribue tant de vertu : et qu’ainsi elle est d’autant diminuée. Il est facile d’y respondre, Que nous ne mettons point aucune vertu aux créatures, mais seulement disons que Dieu use de tels moyens et instrumens qu’il voit luy-mesme estre convenables : afin que toutes choses servent à sa gloire, puis qu’il est de toutes choses Seigneur et Maistre. Comme doncques il nourrit nos corps de pain et autres viandes, comme il esclaire le monde par le soleil, comme il l’eschauffe par le feu, et néantmoins ne le pain, ne le soleil, ne le feu ne font rien, sinon entant que sous tels moyens il nous eslargit ses bénédictions : ainsi pareillement il repaist et nourrit spirituellement la foy par les Sacremens, lesquels n’ont autre office que de nous représenter les promesses d’iceluy devant nos yeux, et mesmes nous en estre gage. Et comme nous ne devons mettre aucune fiance aux autres créatures, lesquelles par la bonne volonté de Dieu sont destinées à nos usages, et par le service desquelles il nous eslargit les dons de sa bonté, et ne les devons avoir en admiration ne glorifier comme causes de nostre bien : ainsi nostre confiance ne se doit arrester aux Sacremens, et la gloire de Dieu ne leur doit point estre transférée : mais en délaissant et nous destournant de toutes choses, et nostre foy et nostre confession doyvent s’eslever et s’addresser à celuy qui est autheur et des Sacremens et de tous autres biens.
4.14.13
Et ce que finalement du nom mesme de Sacrement ils cherchent couverture à leur erreur, c’est une raison trop débile. Car ils disent que combien que Sacrement és autheurs latins ait beaucoup de significations, toutesfois il n’en a qu’une qui soit convenante, ne qui appartiene aux signes : c’est asçavoir qu’il signifie le solennel jurement que le gendarme fait à son Prince ou Capitaine, quand il est enrollé et receu en bande. Car comme par ce jurement les nouveaux gendarmes obligent leur foy à leur Prince ou Capitaine, et se promettent à luy, s’advouans estre de sa gendarmerie : ainsi nous aussi par nos signes confessons Jésus-Christ estre nostre Capitaine, et testifions que nous guerroyons sous son enseigne. Ils adjoustent des similitudes pour rendre leur dire plus clair et plus évident. Comme en la guerre on recognoist les François et les Anglois les uns des autres, parce que les François portent la croix blanche, et les Anglois la croix rouge : comme aussi les Romains estoyent discernez des Grecs par diversité d’accoustremens : et d’avantage, comme les estats de Rome estoyent distinguez l’un de l’autre par leurs propres signes, c’est asçavoir les Sénateurs des Chevaliers par les habits de pourpre et les souliers rons, et d’autre part, les Chevaliers du populaire par un anneau : ainsi nous avons nos signes par lesquels nous sommes distinguez et discernez des infidèles et estrangers de nostre religion. Mais il appert par ce qui a esté dit, que les Anciens qui ont donné le nom de Sacrement à nos signes, n’ont point regardé en quelle signification les escrivains latins avoyent usé de ceste diction : ains pour leur commodité luy ont attribué ceste nouvelle, par laquelle simplement ils ont voulu désigner les signes sacrez. Et si nous le voulons subtiliser plus haut, il est à penser qu’ils ont transféré ce nom à ceste signification, par mesme raison et similitude qu’ils ont fait le nom de Foy à celle signification en laquelle maintenant nous en usons. Car combien que Foy proprement signifie la vérité qu’on a à tenir sa promesse, toutesfois ils l’ont prinse pour signifier la certitude ou certaine persuasion qu’on a de celle vérité. En ceste manière, combien que Sacrement soit le jurement par lequel le gendarme se promet et s’oblige à son Capitaine, ils l’ont prins pour signifier le signe dont le Capitaine use pour recevoir ses gendarmes en sa bande et solde. Car le Seigneur par ses Sacremens nous promet qu’il sera nostre Dieu, et que nous luy serons son peuple. Mais nous délaissons telles subtilitez, puisque par bien clairs argumens je pense avoir monstré que les Anciens n’ont eu autre esgard en appelant nos signes, Sacremens, que de signifier que ce sont signes de choses sainctes et spirituelles. Nous recevons bien les similitudes qu’ils proposent, estans tirées des marques ou livrées des gendarmes : mais nous n’endurons point que ce qui est le moindre és Sacremens, soit par eux constitué en premier lieu, et mesmes qu’ils n’y recognoissent autre chose. Or ceste considération doit estre principale aux Sacremens, qu’ils sont pour servir à nostre foy envers Dieu : la seconde, qu’ils sont pour tesmoigner nostre confession envers les hommes. Et selon ceste dernière raison sont bonnes et bien convenantes lesdites similitudes, moyennant que le premier nous demeure. Car autrement les Sacremens n’auroyent guères de vigueur, s’ils ne servoyent à soustenir nostre foy, et qu’ils ne fussent accessoires de la doctrine.
4.14.14
D’autre part, il nous faut estre advertis que comme ceux-ci destruisent l’efficace des Sacremens, et en abolissent l’usage : aussi il y en a au contraire qui attribuent aux Sacremens quelques je ne sçay quelles vertus secrettes, qu’on ne lit point jamais leur avoir esté données de Dieu. Par lequel erreur sont déceus et trompez les simples et ignorans, d’autant qu’ils s’accoustument de chercher les dons et grâces de Dieu où elles ne se peuvent nullement trouver, et sont peu à peu destournez et retirez de luy, pour suyvre pures vanitez au lieu de la vérité d’iceluy. Car les escholes des Sophistes d’un commun consentement ont déterminé que les Sacremens de la nouvelle Loy, c’est-à-dire ceux desquels l’Eglise chrestienne use maintenant, justifient et confèrent grâce, si nous n’y mettons object ou empeschement de péché mortel. On ne pourroit assez déclairer combien est pernicieuse ceste opinion : et ce d’autant plus que par si longues années au grand détriment de l’Eglise elle a esté receue, et dure encores en une bien grande partie du monde. Certes elle est plenement diabolique. Car d’autant qu’elle promet justice sans la foy, elle envoye et déjette les consciences, en confusion et damnation. D’avantage, faisant le Sacrement comme cause de justice, elle lie et enveloppe les entendemens humains en ceste superstition, qu’ils se reposent plustost en une chose corporelle qu’en Dieu : veu qu’ils sont naturellement trop plus enclins en la terre qu’il ne faudroit. Desquels deux vices il seroit à désirer que nous n’eussions pas si grande expérience : tant s’en faut qu’il y ait mestier de grande probation. Et qu’est-ce que Sacrement prins sans foy, sinon la ruine de l’Eglise ? Car puis qu’il faut rien attendre sinon en vertu de la promesse, laquelle ne dénonce pas moins l’ire de Dieu aux incrédules, qu’elle présente sa grâce aux fidèles, celuy qui pense recevoir des Sacremens autre bien que celuy qu’il accepte par foy, comme il luy est présenté de la Parole, s’abuse grandement. Dont aussi se peut inférer le reste, que la fiance de salut ne dépend point de la participation des Sacremens, comme si la justice y estoit colloquée, laquelle nous sçavons estre située en Jésus-Christ seul, et ne nous estre pas moins communiquée par la prédication de l’Evangile que par la testification des Sacremens, sans laquelle elle peut entièrement consister. Tellement est véritable ce que dit sainct Augustin, que le signe visible souvent apparoist sans la sanctification invisible : et derechef, la sanctification sans le signe visible[f]. Car comme luy-mesme dit en un autre lieu, les hommes reçoyvent aucunesfois Jésus-Christ jusques à la seule réception des Sacremens, aucunesfois jusques à la sanctification de vie[g]. Le premier de ces deux est commun aux bons et aux mauvais : le second est propre et particulier seulement aux fidèles.
[f] De quaest. veter. Testam., lib. III.
[g] Lib. De Baptismo, contra Donatist., cap. XXVI.
4.14.15
A quoy se rapporte la distinction que met aussi le mesme Docteur entre Sacrement et la chose, moyennant qu’on l’entende bien. Car il ne signifie pas seulement que la figure et la vérité sont comprinses au Sacrement, mais qu’elles ne sont pas tellement liées ensemble, que l’un ne puisse estre sans l’autre. Et mesmes quand elles sont conjoinctes, qu’il faut tellement discerner la chose du signe, qu’on ne transfère point à l’un ce qui est propre à l’autre. Touchant de la séparation, il en parle, quand il dit que les Sacremens n’ont leur effect sinon aux esleus[h]. Item en un autre passage parlant des Juifs : Combien, dit-il, que les Sacremens fussent communs à tous, la grâce toutesfois n’estoit pas commune, laquelle est la vertu des Sacremens. Ainsi maintenant le Sacrement de régénération est commun à tous : mais la grâce par laquelle nous sommes faits membres de Christ pour estre régénérez, n’est pas commune à tous[i]. Item parlant de la Cène du Seigneur, Nous avons bien aujourd’huy receu tous la viande visible : mais c’est autre chose du Sacrement, et autre chose de la vertu d’iceluy. Dont vient cela, que plusieurs vienent à l’autel, et prenent à leur condamnation ce qu’ils reçoyvent ? Car le morceau de pain que donna nostre Seigneur à Judas, luy fut poison : non pas qu’il fust mauvais, mais d’autant que l’homme qui le prenait estant mauvais, le prenoit mal. Un peu après, Le Sacrement de ceci, c’est-à-dire de l’unité spirituelle que nous avons avec Christ, nous est présenté à la table du Seigneur aux uns à vie, aux autres à mort : mais la chose dont il est figure, est à vie à tous, et ne peut estre à mort. Or il avoit dit un peu auparavant, Celuy qui en aura mangé, ne mourra point : mais j’enten celuy qui aura la vérité du Sacrement, et non pas le Sacrement visible : qui l’aura mangé au dedans, et non pas dehors : qui l’aura mangé du cœur, et non point masché des dents[j]. Nous voyons en tous ces passages, comme il testifie que la vérité du Sacrement est tellement séparée de la figure par l’indignité de ceux qui le reçoyvent mal, qu’il n’y demeure que la figure vuide et inutile. Celuy doncques qui veut avoir le signe avec la chose, et non pas vuide de sa vérité, doit appréhender par foy la Parole qui est là enclose. Et ainsi, d’autant que l’homme proufitera par les Sacremens en la communication de Christ, il recevra autant de proufit d’iceux.
[h] De baptismo parvulorum.
[i] In Psalm. LXXVIII.
[j] In Joann., homil. XXVI.
4.14.16
Si cela est obscur à cause de la briefveté, je le déclaireray plus au long, Je di que Jésus-Christ est la matière ou la substance de tous les Sacremens, d’autant que tous ont en luy fermeté, et ne promettent rien hors luy. Et d’autant moins est supportable l’erreur du maistre des Sentences, à quel nommément les tient pour cause de justice et salut[k]. Comme ainsi soit qu’ils ne tendent sinon à exclurre toutes causes que se forge l’entendement humain, pour nous retenir en Jésus-Christ, D’autant doncques que nous sommes aidez par iceux, soit pour nourrir, confermer et augmenter en nous la cognoissance de Jésus-Christ, soit pour le nous faire posséder plus plenement, et jouir de ses biens, autant ont-ils d’efficace envers nous, et non plus. Cela se fait quand nous recevons en vraye foy ce qui nous y est offert. Quelqu’un demandera, Comment doncques les meschans peuvent-ils faire par leur ingratitude, que l’ordonnance de Dieu soit vaine, et qu’elle perde sa vertu ? Je respon que je n’enten pas ce que j’ay dit, comme si la force et la vérité du Sacrement dépendoit de la condition ou nature de celuy qui les reçoit : car ce que Dieu a institué une fois demeure ferme, et retient toujours sa propriété, comment que ce soit que les hommes varient. Mais d’autant que c’est autre chose d’offrir que de recevoir, il n’y a nul inconvénient qu’un Sacrement de nostre Seigneur ne soit vrayement ce qu’il est dit et récité estre, et qu’il ne retiene sa vertu, et toutesfois qu’un homme meschant n’en sente nulle utilité. Mais sainct Augustin soud très-bien ceste question en peu de paroles : Si tu le reçois, dit-il, charnellement, il ne laisse point d’estre spirituel, mais ce n’est pas à toy[l]. Or comme ce sainct Docteur a monstré au passage que nous avons allégué, que le Sacrement n’est rien quand il est séparé de sa vérité : aussi il admoneste autre part, qu’en conjoignant l’un avec l’autre, il nous faut bien adviser de ne nous point amuser par trop au signe externe. Comme, dit-il, c’est un vice d’infirmité servile, de suyvre la lettre, et prendre les signes au lieu des choses : aussi c’est un erreur, de prendre les signes en sorte qu’il n’en reviene nulle utilité[m]. Il met deux vices desquels il nous faut garder : l’un est, quand nous prenons les signes comme s’ils avoyent esté donnez en vain, et qu’en anéantissant la vertu par nostre fausse interprétation, nous faisons périr le fruit qui nous en devoit venir : l’autre est, quand n’eslevans point nos entendemens plus haut qu’au signe visible, nous leur donnons la gloire des grâces lesquelles nous sont conférées de Jésus-Christ seulement : voire par son Esprit, lequel, nous fait participans de luy : voire avec l’aide des signes externes : lesquels, s’ils nous convient à Jésus-Christ, quand on les tire ailleurs, toute leur utilité est mise bas.
[k] Sentent., lib. IV, dist. I.
[l] Homil. in Joann., XXVI.
[m] De doctrina christiana, lib. II, cap. IX.
4.14.17
Pourtant retenons, ceste conclusion, que les Sacremens n’ont autre office que la Parole de Dieu : c’est de nous offrir et présenter Jésus-Christ : et en luy les thrésors de sa grâce céleste. Et ne servent ou proufitent de rien sinon à ceux desquels ils sont prins et receus par foy : tout ainsi que du vin, ou de l’huile, ou quelque autre liqueur s’espanchera à terre quand on la jettera sur un vaisseau, sinon que la bouche soit ouverte : et le vaisseau estant mouillé dehors, demeurera sec et vuide dedans. En outre, il nous faut donner de garde que nous ne tombions en un autre erreur prochain, en lisant ce que les Anciens, pour amplifier la dignité des Sacremens, en ont honorablement parlé : tellement que nous pensions quelque vertu secrette y estre annexée et attachée jusques-là, qu’en iceux les grâces du sainct Esprit soyent distribuées et administrées, comme le vin est donné en une couppe ou tasse : où seulement tout leur office est de nous tesmoigner et confermer la bénévolence et faveur de Dieu envers nous, et ne proufitent à rien plus outre si le sainct Esprit ne vient, qui ouvre nos entendemens et nos cœurs, et nous rende capables de ce tesmoignage. En quoy aussi clairement apparoissent diverses grâces de Dieu, et distinctes. Car les Sacremens, comme nous avons touché ci-dessus, nous servent de la part de Dieu d’une mesme chose, que les messagers de bonnes nouvelles de par les hommes : c’est asçavoir non pas pour nous conférer le bien, mais seulement nous annoncer et démonstrer les choses qui nous sont données par la libéralité de Dieu : ou bien nous sont arres pour les ratifier. Le sainct Esprit, qui n’est pas à tous indifféremment apporté par les Sacremens, mais lequel Dieu donne péculièrement aux siens est celuy qui apporte les grâces de Dieu avec soy, qui donne lieu en nous aux Sacremens, et les y fait fructifier. Or combien que nous ne niions pas que le Seigneur assiste à son institution par une vertu très-présente de son Esprit, à ce que l’administration des Sacremens qu’il a ordonnée, ne soit vaine et infructueuse : toutesfois nous enseignons que la grâce intérieure de l’Esprit, comme elle est distincte du ministère extérieur, aussi doit estre considérée séparément d’iceluy. Dieu doncques accomplit ce qu’il promet és figures, et les signes ne sont pas sans leur effect, pour monstrer entant que besoin est que l’autheur d’iceux est véritable et fidèle : seulement il est question de sçavoir si Dieu besongne par sa vertu propre et intrinsèque, comme on dit, ou s’il résigne son office aux signes externes. Or j’ay ceci pour résolu, que quelques instrumens qu’il applique à son usage, ce n’est point pour déroguer en façon qui soit à sa vertu souveraine. Quand telle doctrine est baillée des Sacremens, leur dignité est suffisamment esclarcie, et l’usage démonstré, et l’utilité recommandée. Cependant il y a une bonne modération gardée en tout et par tout, de ne leur point déférer plus qu’il ne faut, et ne leur rien oster de ce qui leur convient. Cependant, ceste fausse imagination est abatue, d’enfermer dedans les Sacremens la vertu de nous justifier, et les grâces du sainct Esprit, comme s’ils en estoyent des vaisseaux, et ce qui a esté omis par les autres, est clairement exprimé : asçavoir qu’ils sont instrumens par lesquels Dieu besongne selon qu’il luy plaist. Il nous convient aussi noter, que c’est Dieu qui accomplit au dedans ce que le ministre figure et testifie par l’acte extérieur : afin que nous ne tirions point à un homme mortel ce que Dieu se réserve. Et de cela sainct Augustin nous advertit prudemment : Comment, dit-il, Dieu et Moyse sanctifient-ils tous deux ? Or Moyse ne sanctifie point au lieu de Dieu, mais seulement en signes visibles selon son ministère : mais Dieu sanctifie de grâce invisible par son Esprit. En quoy aussi gist toute la vertu des Sacremens visibles. Car de quoy proufiteroyent-ils, si ce n’estoit ceste sanctification invisible[n] ?
[n] De quaest. veter. Testam., lib. III, cap. LXXXIV.
4.14.18
Le nom de Sacrement, comme nous en avons parlé jusques yci, comprend généralement tous les signes que Dieu a jamais assignez et donnez aux hommes, afin de les acertener et asseurer de la vérité de ses promesses. Et aucunesfois il les a voulu estre en choses naturelles, aucunesfois il les a voulu présenter en miracles. De la première forme les exemples sont, comme quand il donna l’arbre de vie à Adam et Eve, pour arre d’immortalité, afin qu’ils se teinssent asseurez de l’avoir, tant qu’ils mangeroyent du fruit de cest arbre Gen. 2.9. Et quand il proposa l’arc du ciel à Noé pour signe et enseigne à luy et à sa postérité, qu’il ne perdroit jamais plus la terre par déluge Gen. 9.13. Adam et Noé ont eu ces choses pour Sacremens : non pas que l’arbre leur donnast immortalité, laquelle il ne se pouvoit donner à luy-mesme : ne que l’arc qui n’est seulement qu’une réverbération des rais du Soleil encontre les nuées, eust la vertu de retenir et arrester les eaux : mais par ce qu’ils avoyent la marque engravée en eux par la Parole de Dieu, pour estre enseignes et seaux de ses promesses. Et certes au paravant l’arbre estoit arbre, et l’arc estoit arc, mais après qu’ils ont esté marquez par la Parole de Dieu, il leur a esté baillé nouvelle forme pour commencer d’estre ce que devant ils n’estoyent pas. Et afin que quelqu’un n’estime pas ceci estre dit en vain, l’arc mesme nous est encores aujourd’huy tesmoin de cette promesse et convenance que Dieu accorda avec Noé : et toutes fois et quantes que nous le regardons, nous cognoissons en luy cette promesse de Dieu, que la terre jamais ne sera perdue par déluge. Parquoy si quelque Philosophe volant, pour se mocquer de la simplicité de nostre foy, dit que cette variété de couleurs qui fait l’arc, provient naturellement de la réverbération des rais du soleil et de la nuée opposite, nous aurons à luy confesser : mais nous pourrons reprendre son ignorance en ce, qu’il ne recognoist point Dieu estre le Seigneur de nature, qui selon sa volonté use de tous élémens pour s’en servir à sa gloire. Et si au soleil, aux estoiles, à la terre, aux pierres il eust engravé et donné telles marques et enseignes, tout cela nous seroit Sacremens. Car pour quelle cause ne sont d’un mesme pris et valeur l’argent en masse, et celuy qui est marqué et monnoyé, puis que c’est du tout un mesme métail ? c’est pource que le premier n’a rien outre sa nature : et l’autre, qui est frappé du coin publique, est fait argent monnoyé, et reçoit nouvelle taxe de valeur. Et Dieu ne pourra-il point par sa Parole signer et marquer ses créatures, afin qu’elles soyent faites Sacremens, où elles n’estoyent rien au paravant que nuds et purs élémens ? Les exemples de la seconde manière ont esté, comme quand il a donné la vision à Abraham d’une lampe ardente au milieu d’un four embrasé avec fumée espesse Gen. 15.17, et quand il arrousa la peau sans que la terre sentist quelque rousée : et quand au contraire il arrousa la terre, la peau demeurant sèche, pour promettre la victoire à Gédéon Jug. 6.37 : et quand il recula de dix lignes l’horologe, pour promettre santé à Ezéchias 2Rois 20.9 ; Esaïe 38.7-8. Puis que ces choses ostoyent faites pour soustenir, conforter et confermer l’imbécillité de la foy de ceux-là, elles leur estoyent aussi Sacremens.
4.14.19
Mais ce qu’avons proposé pour le présent, est de traitter spécialement, des Sacremens, lesquels nostre Seigneur a constituez et voulu estre ordinaires en son Eglise, pour nourrir et entretenir les siens en une foy, et en la confession d’icelle. Car comme dit sainct Augustin, les hommes ne se peuvent unir en quelque religion que ce soit, ou vraye ou fausse, sinon par le moyen de quelques Sacremens[o]. Dieu doncques voyant dés le commencement ceste nécessité, avoit ordonné à ses serviteurs certaines cérémonies, pour estre exercices de leur religion, lesquelles Satan a depuis dépravées et corrompues en plusieurs sortes, les transférant à des superstitions meschantes. De là sont venues toutes les façons de faire des Payens, dont ils ont usé en leur idolâtrie. Or combien qu’il n’y eust qu’erreur et pollution, toutesfois ils nous sont tesmoignages que les hommes ne se peuvent passer de signes externes, quand ils veulent protester d’avoir quelque religion. Or tous les signes qu’ont eus les Payens, d’autant qu’ils n’estoyent point fondez en la Parole de Dieu, et ne se rapportoyent point à la vérité, laquelle est le but de tous Sacremens, ne sont point dignes de venir en conte, ne qu’on en face mention aucune, quand il est question des Sacremens que nostre Seigneur a ordonnez, et qui sont demeurez en leur pureté, n’estans point retirez du vray fondement, pour estre aides de piété et religion. Or iceux consistent non-seulement en signes, mais en cérémonies : ou si quelqu’un aime mieux ainsi dire, Les signes qui y sont donnez, sont cérémonies. Or comme il a esté dit ci-dessus, qu’ils nous sont donnez de Dieu pour tesmoignages de sa grâce en nostre salut : aussi d’autre costé ce sont enseignes de nostre profession, par lesquelles nous nous advouons publiquement à Dieu, luy obligeans nostre foy. Pourtant Chrysostome parle très-bien, en les appelant Pactions, par lesquelles la cédulle de nostre dette est effacée : et d’autre part, Obligez, par lesquels nous nous rendons debteurs de vivre purement et sainctement, pource qu’il y a stipulation mutuelle interposée entre Dieu et nous. Car comme nostre Seigneur remet en iceux toute la debte, de laquelle nous sommes chargez pour les fautes et offenses par nous commises, et nous réconcilie à soy en son Fils unique ; aussi mutuellement nous nous obligeons à luy, de le servir en saincteté et innocence de vie. Tellement qu’on peut définir tels Sacremens estre cérémonies, par lesquelles le Seigneur veut exercer son peuple : premièrement à entretenir, exerciter et confermer la foy au dedans du cœur : en après, pour testifier la religion devant les hommes.
[o] Contra Faust. Manich., lib. XIX, cap. XI
4.14.20
Ces Sacremens mesmes aussi ont esté divers, selon la dispensation du temps, par laquelle il a pleu au Seigneur se révéler et manifester aux hommes en diverses manières. Car à Abraham et à sa postérité la Circoncision fut commandée, à laquelle après par la Loy mosaïque furent adjoustez les ablutions et sacrifices et autres figures Gen. 17.10 ; Lév. 1.2. Ç’ont esté les Sacremens des Juifs jusques à l’advénement de nostre Seigneur Jésus-Christ : auquel ceux-là ont esté abolis, et deux autres instituez, desquels l’Eglise chrestienne use maintenant : c’est asçavoir, le Baptesme et la Cène du Seigneur Matt. 28.19 ; 26.26. Je parle des Sacremens donnez pour l’usage commun de toute l’Eglise : car touchant de l’imposition des mains, par laquelle les Ministres ou Pasteurs sont receus en leur office, comme je permets bien volontiers qu’on la nomme Sacrement : aussi je ne la tien point entre les Sacremens ordinaires qui sont donnez pour tous. Touchant des autres qui ont esté tenus communément, il en sera traitté ci-après. Combien que les anciens Sacremens des Juifs ayent tendu à une mesme fin et à un mesme but que font aussi maintenant les deux nostres : c’est-à-dire, d’envoyer et conduire à Jésus-Christ : ou plustost comme images, pour le représenter et donner à cognoistre. Car puis que (comme nous avons desjà devant monstré) les Sacremens sont comme seaux, desquels les promesses de Dieu sont scellées, et qu’il est certain que nulle promesse de Dieu n’a esté faite aux hommes, sinon en Jésus-Christ 2Cor. 1.20 : il faut nécessairement que les Sacremens, pour nous enseigner et admonester des promesses de Dieu, nous monstrent Jésus-Christ. Ce qui a esté signifié par le patron du tabernacle et de tous ses ornemens, qui fut monstré à Moyse en la montagne Exo. 25.40. Il y a seulement une différence entre ces Sacremens anciens et nouveaux : c’est que ceux-là ont préfiguré le Christ promis, quand encores on l’attendoit à venir : et les nostres nouveaux tesmoignent et enseignent qu’il a desjà esté donné et exhibé.
4.14.21
Quand toutes ces choses auront esté déclairées chacune à part, elles en seront beaucoup plus clairement entendues. Premièrement, la Circoncision estoit aux Juifs un signe, pour les admonester que tout ce qui provient de la semence d’homme, c’est-à-dire toute la nature de l’homme, est corrompue : et qu’elle a besoin d’estre circoncise et taillée. D’avantage elle leur estoit une certification et souvenance pour les confermer en la promesse faite à Abraham de la semence bénite : en laquelle devoyent estre bénites toutes les nations de la terre, et de laquelle ils devoyent aussi attendre leur bénédiction Gen. 22.18. Or ceste semence salutaire, ainsi que nous enseigne sainct Paul, estoit Jésus-Christ Gal. 3.16 : auquel seul ils espéroyent recouvrer ce qu’ils avoyent perdu en Adam. Parquoy la Circoncision leur estoit ce que sainct Paul dit qu’elle avoit esté à Abraham, c’est-à-dire un seel de la Justice de foy Rom. 4.11, par lequel ils fussent de plus en plus confermez que leur foy, en laquelle ils attendoyent ceste semence bénite, leur estoit et seroit tousjours imputée de Dieu à justice. Mais nous poursuyvrons en un autre passage plus proprement la comparaison de la Circoncision et du Baptesme. Les ablutions et purifications leur démonstroyent leur immondicité, leur ordure, leur pollution, par laquelle ils estoyent en leur nature souillez, maculez et infects, et aussi leur promettoyent un autre lavement, par lequel ils seroyent purifiez et nettoyez de leurs macules et infections : et ce lavement estoit Jésus-Christ : par le sang duquel nous sommes purgez et mondifiez, par les playes duquel nous sommes guairis, tellement que nos souilleures sont cachées, afin que nous apportions une vraye pureté devant Dieu Héb. 9.1, 14 ; 1Jean 1.7 ; Apo. 1.6 ; 1Pi. 2.24. Les sacrifices les arguoyent et convainquoyent de leurs péchez et iniquité, et ensemble leur enseignoyent qu’il leur estoit nécessaire que quelque satisfaction en fust faite à la justice de Dieu : et que pource il seroit un grand Prestre et Evesque, Médiateur entre Dieu et les hommes, lequel contenteroit icelle justice de Dieu par effusion de sang et immolation d’un sacrifice lequel seroit acceptable pour la rémission des péchez. Ce grand Prestre a esté Jésus-Christ, l’effusion a esté de son sang, luy-mesme a esté le sacrifice Héb. 4.14 ; 5.5 ; 9.11. Car il s’est offert au Père, obéissant jusques à la mort : par laquelle obéissance il a aboly la désobéissance de l’homme Phil. 2.8 ; Rom. 5.19, qui avoit provoqué et irrité l’indignation de Dieu.
4.14.22
Quand à nos deux Sacremens, ils nous présentent d’autant plus clairement Jésus-Christ, qu’il a esté manifesté de plus près aux hommes, depuis que vrayement il a esté donné et révélé tel qu’il avoit esté promis du Père. Car le Baptesme nous rend tesmoignage que nous sommes purgez et lavez : et la Cène de l’Eucharistie, que nous sommes rachetez. En l’eau nous est figurée ablution : au sang, satisfaction. Ces deux choses sont trouvées en Jésus-Christ : lequel, comme dit sainct Jehan, est venu en eau et en sang 1Jean. 5.6, c’est-à dire, pour purger et racheter. De ce est tesmoin l’Esprit de Dieu : ou plustost trois en sont tesmoins ensemble, L’eau, le sang et l’Esprit. En l’eau et au sang nous avons le tesmoignage de nostre purgation et rédemption : et le sainct Esprit, qui est principal tesmoin, nous approuve certainement ce tesmoignage, nous le fait croire, entendre et recognoistre : car autrement ne le pourrions comprendre. Ce haut mystère nous a bien esté monstré, quand du sacré costé de Jésus-Christ pendant en la croix, est sailly sang et eau Jean 19.34. Lequel costé à ceste cause sainct Augustin a très-bien dit estre la source et fontaine dont sont issus nos Sacrements[p], desquels il nous faut encores un peu plus amplement traitter. D’avantage, il n’y a nulle doute, si on compare un temps avec l’autre, que la grâce du sainct Esprit ne se monstre yci plus amplement. Car cela est bien convenable pour magnifier la gloire du règne de Christ : comme il appert de plusieurs passages, et surtout du chapitre VII de sainct Jehan. Il faut prendre en ce sens le dire de sainct Paul, qu’il n’y a eu qu’ombre sous la Loy, et que le corps est en Christ Col. 2.17. Car son intention n’est pas d’anéantir l’effect des signes anciens, ausquels Dieu s’est voulu monstrer véritable envers les Pères, comme aujourd’huy envers nous au Baptesme et en la Cène : mais il a voulu magnifier par comparaison ce qui nous est donné, afin que nul ne s’esbahist de ce que les cérémonies de la Loy ont esté abolies à l’advénement de Christ.
[p] Homil. in Joann., XX, et sæpe alias.
4.14.23
Au surplus, ce que les Docteurs de l’eschole mettent une grande différence entre les Sacremens de la vieille et nouvelle Loy, comme si les premiers n’eussent que figuré en l’air la grâce de Dieu, les seconds la donnoyent présentement : ceste doctrine est du tout à rejetter. Car l’Apostre ne parle point plus hautement des uns que des autres, enseignant que nos Pères de l’Ancien Testament ont mangé une mesme viande spirituelle que nous 1Cor. 10.3 : et expose que ceste viande a esté Christ. Qui est-ce qui osera dire le signe vuide et sans substance, qui démonstroit aux Juifs la vraye communion de Jésus-Christ ? Et à ceci aide la circonstance de la cause que démeine l’Apostre en ce passage-là. Car afin qu’aucuns sous ombre de la grâce de Dieu ne contemnent sa justice, il propose les exemples de sa rigueur et sévérité, comme il l’a déclairée sur les Juifs. Et afin que nul ne se peust préférer, comme s’il avoit quelque privilège d’avantage, il prévient ceste objection, les rendant du tout pareils à nous. Et notamment il monstre ceste équalité aux Sacremens, qu’ils sont communs tant aux uns comme aux autres. Et de faict, il n’est pas licite d’attribuer plus au Baptesme, que le mesme Apostre attribue en un autre lieu à la Circoncision, l’appelant Seel de la justice de foy Rom. 4.11. Pourtant tout ce que nous avons aujourd’huy en nos Sacremens, les Juifs l’avoyent anciennement aux leurs, asçavoir Jésus-Christ avec ses richesses spirituelles. Et la vertu qu’ont nos Sacremens a esté aux anciens, asçavoir d’estre signes et confirmations de la bonne volonté de Dieu pour le salut des hommes. S’ils eussent bien entendu la dispute démenée en l’Epistre aux Hébrieux, ils ne se fussent pas ainsi trompez : mais pource qu’ils lisoyent que les péchez n’ont point esté effacez par les cérémonies légales, mesmes qu’il n’y a point eu vertu aux ombres anciennes pour apporter justice Héb. 10.1, laissans la comparaison qu’ils devoyent bien noter, ils se sont attachez à ce mot, que la Loy n’a de rien proufité à ses observateurs. Ainsi ont pensé qu’il n’y eust que des figures vaines et vuides de substance. Or l’intention de l’Apostre est simplement d’anéantir la Loy cérémoniale, sinon d’autant qu’elle est réduite à Christ, duquel elle prend toute son efficace.
4.14.24
Mais on pourra alléguer ce qu’il dit aux Romains, de la Circoncision : asçavoir, qu’elle n’est en aucune réputation par soy, et ne proufite à rien devant Dieu Rom. 2.25 ; 1Cor. 7.19 ; Gal. 6.15 : où il semble qu’il la face beaucoup inférieure au Baptesme : ce qui n’est pas vray. Car toutes les choses qui sont là contenues, se pourroyent aussi à bon droict dire du Baptesme : mesmes en sont dites premièrement par sainct Paul, quand il enseigne que Dieu ne se soucie point de l’ablution externe 1Cor. 10.5, sinon que le courage soit purgé par dedans, et persévère en pureté jusques en la fin. Secondement par sainct Pierre, quand il tesmoigne que la vérité du Baptesme ne gist pas en la purgation extérieure, mais en la bonne conscience 1Pi. 3.21. Mais on répliquera, qu’il semble bien advis qu’en un autre lieu il mesprise du tout la Circoncision faite de main d’homme, la comparant à la Circoncision spirituelle de Christ Col. 2.11. Je respon que ce passage-là ne dérogue non plus à sa dignité. Sainct Paul dispute là contre ceux qui contraignoyent les fidèles à se circoncir, comme si c’eust esté chose nécessaire, combien que la Circoncision estoit desjà abolie. Il admoneste doncques les fidèles de ne s’amuser plus à ces ombres anciennes, mais à la vérité : Ces Docteurs, dit-il, vous pressent que vous soyez circoncis en vos corps. Or vous estes circoncis spirituellement tant selon le corps que selon l’âme : vous avez doncques une fermeté qui est beaucoup meilleure que l’ombre. Or quelqu’un pourroit répliquer à l’encontre, qu’il ne faloit point pourtant mespriser la figure, combien qu’on eust la chose : veu que les Pères de l’Ancien Testament avoyent esté circoncis d’esprit et de cœur, et toutesfois le Sacrement ne leur avoit point esté superflu. Il anticipe doncques ceste objection, en disant que nous sommes ensevelis avec Christ par le Baptesme. En quoy il dénote que le Baptesme est aujourd’huy aux Chrestiens, ce qu’estoit aux anciens la Circoncision : et par ainsi qu’on ne peut contraindre les Chrestiens à estre circoncis, sans faire injure au Baptesme.
4.14.25
Mais on fera encores un autre argument, que puis après il adjouste que toutes les cérémonies judaïques ont esté ombres des choses advenir, et que le corps est en Christ mesme. Ce qui est traitté depuis le chapitre VII de l’Epistre aux Hébrieux jusques en la fin du Xe est encores plus apparent à ce propos : veu que là il est dit que le sang des bestes brutes n’attouchoit point à la conscience. Item que la Loy avoit seulement l’ombre des biens advenir, non pas l’effigie expresse. Item, que les observateurs de la Loy mosaïque ne pouvoyent par icelle obtenir perfection Héb. 9.9 ; 10.2, 4. Je respon, comme desjà ci-dessus, que sainct Paul n’appelle point les cérémonies, Ombres, comme si elles n’eussent rien eu de ferme ne de solide : mais pource que l’acccomplissement d’icelles estoit suspendu jusques à la manifestation de Christ. Je di d’avantage, qu’il ne traitte point de l’efficace ou vertu des cérémonies, mais plustost de la façon de signifier. Car jusques à ce que Christ a esté révélé en chair, les Sacremens du Vieil Testament l’ont figuré comme absent : combien qu’il ne laissast point de faire sentir en iceux la présence de sa grâce et de soy-mesme à ses fidèles. Mais le principal qui est à noter, c’est que sainct Paul ne parle pas simplement de la chose, mais a esgard à ceux contre lesquels il dispute. Pource doncques qu’il combatoit contre les faux apostres, qui constituoyent la Chrestienté aux seules Cérémonies, sans avoir esgard à Christ, il suffisoit pour les réfuter, de déduire que c’est que valent les cérémonies par soy. C’est aussi le but qu’a regardé l’autheur de l’Epistre aux Hébrieux. Qu’il nous souviene doncques qu’il n’est point yci question des cérémonies prinses en leur signification vraye et naturelle, mais destournées en une fausse interprétation et perverse : que la dispute n’est point de l’usage légitime d’icelles, mais de l’abus de la superstition. Ce n’est pas doncques de merveille si les cérémonies estans ainsi séparées de Christ, sont despouillées de toute vertu : car tous les signes sont réduits à néant, quand la chose signifiée en est ostée. En ceste manière Jésus-Christ ayant affaire avec ceux qui n’estimoyent autre chose de la Manne, sinon que ç’avoit esté une viande pour repaistre le ventre, accomode et conforme sa parole à leur rudesse, disant qu’il leur donnera une meilleure viande pour les nourrir en l’espérance d’immortalité Jean 6.27. Si quelqu’un veut avoir la solution plus clairement, voyci où revient la somme. Pour le premier, toutes les cérémonies qui ont esté en la Loy de Moyse, ne sont que fumée et vanité, si on ne les rapporte à Christ. Secondement, que Christ en a tellement esté le but et la fin, que quand il a esté révélé en chair, elles ont deu cesser et estre cachées. Finalement, qu’il faloit qu’elles fussent abolies à l’advénement de Christ : tout ainsi que l’ombre s’esvanouit quand la plene clairté du soleil domine. Toutesfois pource que je diffère à tenir plus long propos de ceste matière au lieu où j’ay délibéré de comparer le Baptesme avec la Circoncision, je la touche maintenant plus briefvement.
4.14.26
Possible est que ce que ces povres Sophistes sont tombez en cest erreur, est qu’ils ont esté trompez et abusez par les excessives louanges des Sacremens, qu’on lit és anciens Docteurs : comme est ce que dit sainct Augustin, que les Sacremens de la vieille Loy promettoyent seulement salut : mais que les nostres le donnent[q]. Or n’appercevans point que telles manières de parler estoyent hyperbolique, c’est-à-dire excessives, ils ont aussi de leur part semé et divulgué leurs conclusions hyperboliques : mais ce du tout en autre sens que les Anciens ne l’avoyent prins en leurs escrits. Car en ce lieu-là sainct Augustin n’a pas voulu dire autre chose, que ce que luy-mesme en un autre passage escrit : c’est asçavoir, les sacremens de la Loy mosaïque avoir préannoncé Jésus-Christ, et les nostres annoncé[r]. Item contre Faustus Manichéen, Qu’iceux contenoyent promesses des choses à venir, ceux-ci sont enseignes des choses accomplies[s], comme s’il disoit que ceux-là ont figuré Jésus-Christ quand encores on l’attendoit à venir : mais que les nostres le monstrent présent, après qu’il est desjà venu et nous a esté donné[t]. Or il parle de la façon de signifier, comme on le peut cognoistre par un autre lieu, quand il dit, La Loy et les Prophètes ont eu des Sacremens pour dénoncer au paravant ce qui estoit à venir, nos Sacremens annoncent que ce qui estoit lors promis est advenu[u]. Touchant de l’efficace et de la vérité, il démonstre bien en plusieurs passages ce qu’il en a senty : comme quand il dit les Sacremens des Juifs en signes avoir esté divers : mais en la chose qui est signifiée, avoir esté pareils : divers en visible apparence, pareils et uns en vertu et efficace spirituelle. Item, nostre foy et celle des Pères est une en signes divers, voire en signes divers comme en paroles diverses : car les mots changent leurs sens selon la diversité des temps : et les paroles n’ont autre effect que les signes. Les Pères doncques anciens ont beu un mesme bruvage spirituel que nous, combien que leur bruvage corporel fust autre. Ainsi les signes ont esté changez, sans le changement de foy. La pierre leur estoit adoncques Jésus-Christ : et ce qui nous est présenté à l’autel, c’est Jésus-Christ. Ce leur a esté un grand mystère que l’eau qu’ils ont beue venant de la pierre, les fidèles sçavent ce que nous beuvons. Si on regarde l’apparence visible, il y a différence : si on regarde la signification intérieure, c’est tout un. Item, nostre viande et nostre bruvage est un avec celuy des Pères anciens, quant au Mystère : c’est-à-dire, quant à ce qui est signifié, non pas quant au signe apparent. Car c’est un mesme Jésus-Christ qui leur a esté figuré en la pierre, et qui nous a esté manifesté en chair[v] 1Cor. 10.4. Jusques yci j’ay récité les tesmoignages de sainct Augustin. Au reste, je confesse bien qu’il y a quelque différence quant à ce point, entre les Sacremens anciens et les nostres. Car comme ainsi soit que tant les uns que les autres testifient que l’amour paternelle de Dieu nous est otferte en Christ, avec les grâces du sainct Esprit, les nostres en rendent un tesmoignage plus clair et évident. Semblablement Jésus-Christ s’est bien communiqué aux Pères par les signes anciens, mais il se communique plus plenement à nous par ceux qu’il nous donne, selon que le requiert la nature du Nouveau Testament, au pris du Vieil. Et c’est ce que le mesme Docteur a voulu dire, lequel j’allègue volontiers entre les autres, comme le plus fidèle et le plus certain : asçavoir, que depuis la révélation de Jésus-Christ Dieu nous a donné des Sacremens moins en nombre qu’il n’avoit fait au peuple d’Israël, plus éminens en signification, et plus excellens en vertu[w]. Il est bon que les lecteurs soyent advertis en passant encores d’un point : c’est que tout ce que les Sophistes ont gazouillé de l’œuvre œuvrée, qu’ils appellent en leur gergon, non-seulement est faux, mais répugnant à la nature des Sacremens : lesquels Dieu a instituez, afin que nous estans desprouveus de tous biens, venions vers luy pour mendier, n’apportans rien qui soit qu’une simple confession de nostre disette. Dont il s’ensuyt qu’en recevant les Sacremens nous ne méritons aucune louange : et mesmes, pource que c’est un acte passif au regard de nous, qu’il n’est licite de nous y rien attribuer. J’appelle Acte passif, pource que Dieu fait le tout, et seulement nous recevons. Or les Sorbonistes veulent que nous y ouvrions de nostre costé, afin que nous ne soyons pas sans mériter en partie.
[q] In proœmio enarrationis Psalm LXXIII.
[r] Quaest. sup. Num. cap XXXIII, lib. XIX, cap XIV.
[s] Contra lit Petil, lib. II cap XXXVII.
[t] Homil. in Joann., XXVI.
[u] Homil. in Joann., XLV.
[v] In Psalm. LXXVII ; Contra Faust., lib XIX, cap. XIII
[w] De doctrin. christiana, lib III ; Epist. ad Januar.
Chapitre XV
Du Baptesme.
4.15.1
Le Baptesme est la marque de nostre Chrestienté, et le signe par lequel nous sommes receus en la compagnie de l’Eglise, afin qu’estans incorporez en Christ, nous soyons réputez du nombre des enfans de Dieu. Or il nous a esté donné de Dieu, premièrement pour servir à nostre foy envers luy : secondement, pour servir à nostre confession envers les hommes : ce que j’ay desjà dit estre commun à tous Sacremens. Nous traitterons par ordre ces deux fins et causes de son institution. Quant à la première, le Baptesme apporte trois choses à nostre foy, lesquelles aussi il nous faut veoir chacune à part. Premièrement, il nous est proposé de Dieu pour nous estre signe et enseigne de nostre purgation : ou pour le mieux expliquer, il nous est envoyé de luy comme une lettre patente signée et seellée, par laquelle il nous mande, conferme et asseure que tous nos péchez nous sont tellement remis, couverts, abolis et effacez, qu’ils ne viendront jamais à estre regardez de luy, ne seront jamais remis en sa souvenance, et ne nous seront jamais de luy imputez. Car il veut que tous ceux qui auront creu soyent baptisez en la rémission de leurs péchez. Parquoy ceux qui ont osé escrire que le baptesme n’est autre chose qu’une marque et enseigne, par laquelle nous protestons devant les hommes nostre religion, ainsi qu’un homme d’armes porte la livrée de son Prince, pour s’advouer de luy, n’ont pas considéré ce qui est le principal au Baptesme, c’est que nous le devons prendre avec ceste promesse, que tous ceux qui auront creu et seront baptisez, auront salut Marc 16.16.
4.15.2
Il faut entendre en ce sens ce qui a esté escrit de sainct Paul : que l’Eglise a esté sanctifiée et mondifiée par son Espoux Jésus-Christ, par le Baptesme d’eau, en la parole de vie Eph. 5.26. Et en un autre lieu, que selon sa miséricorde nous avons esté sauvez par le lavement de régénération et rénovation du sainct Esprit Tite 3.5. Et ce aussi qui a esté escrit par sainct Pierre, que le Baptesme nous sauve 1Pi. 3.21. Car sainct Paul n’a pas voulu signifier nostre ablution et nostre salut estre parfait par le moyen de l’eau, ou l’eau contenir la vertu pour purger, régénérer ou renouveler : ne sainct Pierre aussi n’a pas voulu dire que l’eau soit la cause de nostre salut, mais seulement ils ont voulu signifier, qu’on reçoit en ce Sacrement asseurance de telles grâces : ce qui est assez évidemment expliqué par leurs paroles mesmes. Car sainct Paul conjoinct ensemble la parole de vie, qui est l’Evangile, et le Baptesme de l’eau : comme s’il disoit, par l’Evangile nostre ablution et nostre sanctification nous estre annoncée : et par le Baptesme ce message estre signé et scellé. Et sainct Pierre après avoir dit que le Baptesme nous sauve, adjouste incontinent, ce Baptesme n’estre pas le nettoyement des ordures du corps, mais la bonne conscience envers Dieu, laquelle vient de foy. Mais au contraire, le Baptesme ne nous promet autre purification que par l’aspersion du sang de Christ, lequel est figuré par l’eau, pour la similitude qu’il a avec icelle de laver et nettoyer. Qui est-ce doncques qui dira que nous sommes purifiez par ceste eau, laquelle testifie le sang de Christ estre nostre vray lavement et unique 1Pi. 1.2 ? Tellement qu’on ne pourroit trouver meilleur argument pour réfuter l’erreur de ceux qui rapportent tout à la vertu de l’eau, qu’en remonstrant quelle est la signification du Baptesme, laquelle nous retire tant de l’élément visible que nous voyons à l’œil, que de tous moyens d’acquérir salut, pour nous faire plenement arrester à Jésus-Christ.
4.15.3
Et ne devons estimer que le Baptesme nous soit donné seulement pour le temps passé, tellement que pour les péchez ausquels nous rechéons après le Baptesme, il nous fale chercher autre nouveau remède. Je sçay que de cest erreur est provenu qu’aucuns anciennement ne vouloyent estre baptisez, sinon en la fin de leur vie et à l’heure de leur mort : afin qu’ainsi ils obteinssent rémission plénière pour toute leur vie : laquelle folle fantasie est souvent reprinse des Evesques en leurs escrits. Mais il nous faut sçavoir qu’en quelque temps que nous soyons baptisez, nous sommes une fois lavez et purgez pour tout le temps de nostre vie. Pourtant toutes les fois que nous serons recheus en péchez, il nous faut recourir à la mémoire du Baptesme, et par icelle nous confermer en icelle foy, que nous soyons tousjours certains et asseurez de la rémission de nos péchez. Car combien que nous ayant esté une fois administré, il semble qu’il soit desjà passé, toutesfois il n’est pas effacé par les péchez subséquens. Car la pureté dé Jésus-Christ nous y est offerte, et elle à tousjours vigueur, tousjours dure, et ne peut estre surmontée d’aucune macule, ains elle abolit et nettoyé toutes nos souilleures et immondicitez. Or de ce nous ne devons pas prendre occasion ne licence de plus facilement pécher à l’advenir. Car par ceci nous ne sommes point incitez à telle hardiesse : mais ceste doctrine est seulement donnée à ceux lesquels après avoir péché sont désolez et se plaignent, estans lassez et grevez sous le fais de leurs péchez : afin qu’ils ayent de quoy se relever et consoler, pour ne tomber point en confusion et désespoir. A ceste cause sainct Paul dit que Jésus-Christ nous a esté fait propiciateur en la rémission des péchez précédens Rom. 3.24. En quoy il ne veut pas dire que n’ayons en luy rémission des péchez perpétuelle et continuelle jusques à la mort : mais il veut signifier qu’il a esté donné du Père aux povres pécheurs, lesquels blessez du cautère de conscience, souspirent après le médecin. A ceux-ci est offerte la miséricorde de Dieu : au contraire, ceux qui s’attendans à impunité, en cherchent et prenent matière et liberté de pécher, ils ne font qu’irriter contre eux l’ire et le jugement de Dieu.
4.15.4
Je sçay bien que l’opinion commune est que la rémission des péchez qui nous est donnée en nostre première régénération par le Baptesme, se reçoit puis après par pénitence et par le bénéfice des clefs : mais ceux qui parlent ainsi, faillent en ce qu’ils ne considèrent point que la puissance des clefs, dont ils font mention, dépend tellement du Baptesme, qu’elle ne s’en peut en nulle façon séparer. Il est bien vray que le pécheur obtient pardon de ses péchez par le ministère de l’Eglise, mais c’est en vertu de la prédication de l’Evangile. Et quelle est cette prédication ? Asçavoir que nous sommes nettoyez de nos péchez par le sang de Christ. Or quel est le signe et tesmoignage de ce lavement, sinon le Baptesme ? Nous voyons doncques comment ceste absolution se rapporte au Baptesme. Cest erreur nous a enfanté le Sacrement imaginaire de Pénitence, qu’on tient en la Papauté, duquel j’ay touché quelque mot ailleurs : et ce qui reste à en dire, je le réserve en lieu plus opportun. Or il ne se faut esbahir si ces docteurs de mensonges, lesquels selon leur bestise sont excessivement attachez à choses externes, se sont ainsi monstrez lourds en cest endroict : c’est qu’en ne se contentant point des signes ordonnez de Dieu, ils en ont forgé à leur poste : comme si le Baptesme, à parler proprement n’estoit point Sacrement de pénitence. Or si nous devons continuer la pénitence que Dieu nous commande, toute nostre vie, il faut bien que la vertu du Baptesme s’estende jusques à ces limites-là. Pourtant il n’y a doute que les fidèles tout le temps de leur vie ne doyvent avoir recours à la souvenance de leur Baptesme, toutes fois et quantes que leur conscience les rédargue, afin d’avoir ferme fiance d’estre participans de l’ablution unique et perpétuelle, laquelle gist au sang de Jésus-Christ.
4.15.5
La seconde consolation que nous apporte le Baptesme est, qu’il nous monstre nostre mortification en Jésus-Christ, et aussi nostre nouvelle vie en luy. Car, comme dit sainct Paul, nous sommes baptisez en sa mort, ensevelis avec luy en similitude de sa mort, afin que nous cheminions en nouveauté de vie Rom. 6.3-4. Par lesquelles paroles il ne nous exhorte pas seulement à une imitation de luy, comme s’il disoit que nous sommes admonestez par le Baptesme, afin qu’à quelque similitude et exemple de la mort de Jésus-Christ, nous mourions à nos concupiscences, et qu’à l’exemple de sa résurrection nous soyons ressuscitez à justice : mais il le prend bien plus haut, c’est asçavoir que Jésus-Christ par le Baptesme nous a fait participans de sa mort, afin que nous soyons entez en elle. Et comme une ente tire sa substance et nourriture de la racine où elle est entée, ainsi ceux qui reçoyvent le Baptesme en telle foy qu’ils doyvent, sentent vrayement l’efficace de la mort de Jésus-Christ en la mortification de leur chair : semblablement aussi de sa résurrection en leur vivification d’esprit. Et de ce il prend après occasion et matière d’exhorter que si nous sommes Chrestiens, nous devons estre morts à péchez, et vivre à justice. Il use de ce mesme argument en un autre lieu, où il dit que nous sommes circoncis, et avons despouillé le vieil homme, puis que nous sommes ensevelis avec Christ par le Baptesme Col. 2.12. En ce sens il l’a appelé au passage que nous avons au paravant allégué, Lavement de régénération et rénovation Tite 3.5. Ainsi Dieu nous y promet pardon gratuit de nos péchez pour nous accepter comme justes, et secondement la grâce de son Esprit, pour nous reformer en nouveauté de vie.
4.15.6
Finalement nostre foy reçoit aussi ceste utilité du Baptesme, que non-seulement il nous certifie que nous sommes entez en la mort et en la vie de Christ : mais que nous sommes tellement, unis à luy, qu’il nous fait participans de tous ses biens. Car pour ceste cause il a dédié et sanctifié le Baptesme en son corps Matt. 3.13, afin que ce fust un ferme lien de la société et union laquelle il a voulu avoir avec nous : tellement que sainct Paul prouve que nous sommes enfans de Dieu, d’autant que par le Baptesme nous avons vestu Christ Gal. 3.27. Ainsi voyons-nous que l’accomplissement du Baptesme est en luy. Pour laquelle raison nous le nommons, Le propre object et le but auquel le Baptesme regarde. Parquoy ce n’est point de merveille si les Apostres ont baptisé en son nom Act. 8.16 ; 19.5 : combien qu’ils eussent eu le commandement de baptiser aussi au nom du Père et du sainct Esprit. Car tout ce qui est proposé au Baptesme des dons de Dieu, est trouvé en un seul Christ. Néantmoins il ne se peut faire que celuy qui baptise au nom de Christ, n’invoque pareillement le nom du Père et du sainct Esprit Matt. 28.19. Car ce que nous avons nostre purgation au sang de Christ, c’est pourtant que le Père de miséricorde nous voulant selon sa bonté incomparable recevoir à merci, nous met au-devant ce Médiateur, pour nous acquérir faveur envers luy. Et lors nous obtenons nostre régénération en sa mort et en sa vie Jean 3.6, si parla sanctification de l’Esprit il y a une nouvelle nature spirituelle édifiée en nous. Parquoy la cause tant de nostre purgation que de nostre régénération, se doit recognoistre estre en Dieu le Père : la matière au Fils : l’efficace au sainct Esprit. Ainsi premièrement sainct Jehan et puis les Apostres ont baptisé du Baptesme de pénitence en la rémission des péchez : entendans par ce mot de Pénitence, la régénération : et par la rémission des péchez, l’ablution Matt. 3.6, 11 ; Luc 3.16 ; Jean 3.23 ; 4.1.
4.15.7
Parquoy aussi il nous est fait très-certain que c’a esté entièrement une mesme administration du baptesme, celle de sainct Jehan, et celle qui depuis fut donnée aux Apostres. Car le Baptesme n’est point fait divers, pource qu’il est administré de diverses mains, mais une mesme doctrine fait que le Baptesme est un Actes 2.38, 41. Sainct Jehan et les Apostres ont consenty et accordé en une mesme doctrine. Ils ont tous baptisé en pénitence, tous en la rémission des péchez, tous au nom de Christ, duquel est la pénitence et la rémission des péchez. Sainct Jehan appelle Jésus-Christ l’Agneau de Dieu, par lequel estoyent ostez et effacez les péchez du monde Jean 1.28-29. En quoy il l’a confessé, advoué et tesmoigné estre le sacrifice agréable au Père, estre Propiciateur, estre Sauveur. Que pouvoyent les Apostres plus adjouster à ceste confession ? Certes rien : car elle est plene, et entière. Pourtant que nul ne se trouble de ce que les Anciens s’efforcent de distinguer un Baptesme de l’autre. Car leur authorité ne nous doit point estre de si grande foy, qu’elle face vaciller la raison de l’Escriture. Qui est-ce qui accordera plustost avec Chrysostome, niant que la rémission des péchez ait esté comprinse sous le Baptesme de sainct Jehan, qu’avec sainct Luc affermant le contraire, que Jehan a presché le Baptesme de pénitence en la rémission des péchez[a] Luc 3.3. Ceste subtilité de sainct Augustin n’est non plus à recevoir, quand il dit que par le Baptesme de Jehan les péchez ont esté remis en espérance, mais qu’au Baptesme de Christ ils sont remis de faict[b]. Car puis que l’Evangéliste tesmoigne clairement que Jehan a baptisé en la rémission des péchez, quel mestier est-il d’amoindrir la grâce de son Baptesme, quand nulle nécessité n’y contraint ? Que si quelqu’un y cherche différence par la Parole de Dieu, il n’y en trouvera nulle autre, sinon que Jehan baptisoit au nom de celuy qui devait venir : les Apostres au nom de celuy qui s’estoit desjà manifesté Jean 3.16.
[a] Homil. in Matth., XIV.
[b] De Baptismo, contra Donatist., lib. V, cap X.
4.15.8
Ce que les grâces du sainct Esprit ont esté plus abondamment eslargies après la résurrection de Jésus-Christ, cela ne fait rien pour establir quelque diversité entre les Baptesmes. Car le Baptesme que distribuoyent les Apostres du temps qu’ils conversoyent encores en terre, estoit renommé de luy : et néantmoins n’avait point plus grande abondance de l’Esprit, que le Baptesme de Jehan Actes 8.14, 17. Et mesmes après l’Ascension, les Samaritains, combien qu’ils soyent baptisez au nom de Jésus, ne reçoyvent point autres grâces qu’avoyent receu les fidèles au temps précédent, jusques à ce que Pierre et Jehan leur sont envoyez, pour leur imposer les mains. Ce que les Anciens ont estimé que le Baptesme de Jehan n’estoit qu’une préparation à celuy de Christ, je pense qu’ils se sont abusez de ce qu’ils lisoyent ceux qui avoyent receu le Baptesme de Jehan avoir esté derechef baptisez par sainct Paul Actes 19.3, 5. Mais combien leur intelligence a esté fausse, il apparoistra ci-après. Qu’est-ce doncques que Jehan dit, que luy il baptise en eau, mais que Jésus-Christ devoit venir, qui baptiseroit au sainct Esprit et en feu Matt. 3.11 ? Ceci peut estre briefvement déclairé. Car il n’a pas voulu distinguer l’un des Baptesmes de l’autre : mais il a fait comparaison de sa personne à celle de Jésus-Christ. Et s’est dit estre ministre de l’eau, et Jésus estre le donateur du sainct Esprit : et qu’il déclaireroit ceste vertu par miracle visible au jour qu’il envoyeroit le sainct Esprit à ses Apostres sous langues de feu. Que se sont peu attribuer les Apostres outre cela ? et que se pourroyent attribuer d’avantage ceux qui baptisent encores aujourd’huy ? Car ils sont tous seulement ministres du signe extérieur : mais Jésus-Christ est autheur de la grâce intérieure. Comme aussi les anciens Docteurs le confessent, et principalement sainct Augustin, lequel use de ce principal appuy contre les Donatistes, que quels que soyent les ministres du Baptesme, Jésus-Christ néantmoins y préside.
4.15.9
Ces choses que nous avons desjà dites de la mortification, et puis de l’ablution ou purgation, ont esté figurées au peuple d’Israël : lequel à ceste cause sainct Paul dit avoir esté baptisé en la nuée et en la mer 1Cor. 10.2. La mortification a esté figurée, quand en les délivrant de la puissance et de la cruelle servitude de Pharaon, il leur feit voye par la mer Rouge, et submergea Pharaon et les Egyptiens leurs ennemis qui les poursuyvoyent. Car en ceste manière : au Baptesme il nous promet, et par signe nous démonstre et asseure que par sa vertu et puissance nous sommes délivrez de la captivité d’Egypte, c’est-à-dire de la servitude de péché Exo. 14.21, 26 : et que nostre Pharaon, qui est le diable, est submergé : combien qu’encores ainsi il ne cesse point de nous exercer et fascher. Mais comme cest Egyptien noyé ne demeura point au profond de la mer, ains estant rejette au rivage faisoit peur aux enfans d’Israël, qui le voyoyent si espovantable, combien qu’il ne leur pouvoit nuire, ainsi certes cest ennemi infernal monstre ses armes, et se fait sentir, mais il ne peut vaincre. En la nuée a esté figurée la purgation. Car comme lors nostre Seigneur les couvrit d’une nuée Nomb. 9.18, leur donnant rafraîchissement, afin qu’ils ne défaillissent et fussent corrompus par la trop aspre et véhémente ardeur du soleil : ains au Baptesme nous est démonstré que nous sommes couvers et préservez par le sang de Jésus-Christ, afin que la rigueur du jugement de Dieu, laquelle est vrayement un feu et ardeur intolérable, ne tombe sur nous. Or combien que ce mystère ait esté pour lors obscur et cognu de peu de gens, toutesfois puis qu’il n’y a moyen d’obtenir salut qu’en ces deux grâces, Dieu n’a point voulu que les Pères anciens qu’il avoit adoptez pour héritiers, fussent privez des marques et Sacrements tant de l’un que de l’autre.
4.15.10
Nous pouvons desjà appercevoir clairement combien est faux ce qu’aucuns ont enseigné, en quoy plusieurs persistent, que par le Baptesme nous sommes desliez et délivrez du péché originel, et de la corruption qui est descendue d’Adam sur toute sa postérité, et que nous sommes restituez en une mesme justice originelle et pureté de nature, qu’eust eu Adam, s’il eust toujours demeuré en l’intégrité en laquelle il avoit premièrement esté créé. Car telle manière de Docteurs n’ont jamais entendu que c’est que péché originel, que c’est que justice originelle, que c’est que la grâce du Baptesme. Or il a esté ci-dessus disputé, que le péché originel est une perversité et corruption de nostre nature, laquelle corruption premièrement nous rend coulpables de l’ire de Dieu et de damnation : et d’avantage elle produit aussi en nous les œuvres que l’Escriture appelle œuvres de la chair Gal. 5.19. Dont ces deux choses sont à considérer distinctement : c’est asçavoir premièrement, qu’ainsi estans vicieux et pervertis en toutes les parties de nostre nature, nous sommes desjà à bon droict, à cause seulement de telle corruption, condamnez et convaincus devant Dieu, auquel rien n’est acceptable, sinon justice, innocence et pureté. Et pourtant les enfans mesmes apportent du ventre de leur mère avec eux leur damnation, lesquels combien qu’ils n’ayent encores produit les fruits de leur iniquité, toutesfois ils eu ont la semence enclose en eux : et plustost toute leur nature est une semence de péché. A ceste cause il ne se peut faire qu’elle ne soit odieuse et abominable à Dieu. Les fidèles sont faits certains par le Baptesme, que ceste damnation leur est ostée et déchassée hors d’eux, puis que, comme nous avons dit, nostre Seigneur nous promet par ce signe, que plene et entière rémission de péchez nous est faite tant de la coulpe qui nous devoit estre imputée, que de la peine, que pour la coulpe il nous faloit porter et souffrir. Et aussi ils reçoivent justice, mais telle que le peuple de Dieu peut obtenir en ceste vie, c’est asçavoir par imputation seulement, parce que nostre Seigneur par sa miséricorde les tient pour justes et innocens.
4.15.11
La seconde chose qui est à considérer, c’est que ceste perversité ne cesse jamais en nous, mais assiduellement produit nouveaux fruits, c’est asçavoir les œuvres de la chair que dessus nous avons descrites : tout ainsi comme une fournaise ardente tousjours jette feu et flammettes : ou comme une source coulante, continuellement envoye son eau. Car la concupiscence ne meurt et n’est jamais esteinte plenement és hommes, jusques à ce que par la mort estans délivrez du corps de mort, ils se soyent entièrement despouillez d’eux-mesmes. Le Baptesme certes nous promet que nostre Pharaon est submergé, et que nostre chair est mortifiée : non pas toutesfois en telle sorte qu’il ne nous face plus d’ennuy, mais seulement plus à ce qu’il ne nous surmonte point. Car tant que nous vivrons enfermez en ceste prison de nostre corps, les restes et reliques de péché habiteront en nous ; mais si nous retenons par foy la promesse qui nous a esté donnée de Dieu au Baptesme, elles ne domineront et ne régneront point. Toutesfois que personne ne se trompe, que personne ne se flatte en son mal, quand il oit dire que le péché habite tousjours en nous. Cela n’est pas dit, afin que ceux qui desjà ne sont que par trop enclins à mal, s’endorment asseurément en leurs péchez : mais seulement afin que ceux qui sont chastouillez, exercez et picquez de leur chair, ne se désolent, perdent courage et espérance : mais que plustost ils se considèrent encores estre au chemin, et se pensent avoir proufité, quand ils sentiront leurs concupiscences se diminuer aucunement de jour en jour, jusques à ce qu’ils seront parvenus où ils tendent : c’est asçavoir au dernier abolissement de leur chair, qui sera parfait en la fin de ceste vie mortelle. Ce pendant, qu’ils ne cessent de batailler vertueusernent, prendre courage à s’advancer, et s’inciter et soliciter à la victoire. Car quand ils voyent qu’après s’estre bien efforcez, il leur reste encores grande difficulté, tant plus ont-ils d’occasion à s’esvertuer de plus en plus. Il nous faut doncques sçavoir et retenir que nous sommes baptisez en la mortification de nostre chair, laquelle dés le Baptesme est commencée en nous, et tous les jours de ceste vie la poursuyvons : mais elle sera parfaite, quand nous serons allez de ceste vie à nostre Seigneur.
4.15.12
En ceci nous ne disons autre chose que ce que dit sainct Paul aux VIe et VIIe des Romains. Car après avoir disputé de la justice gratuite, d’autant qu’aucuns meschans concluoyent de sa doctrine, que nous pouvons bien vivre à nostre plaisir, puisque nous ne sommes point agréables à Dieu par le mérite de nos œuvres, il adjouste que tous ceux qui sont vestus de la justice de Christ, sont quant et quant régénérez de son Esprit, et que nous avons au Baptesme l’arre de ceste régénération. De là il exhorte les fidèles de ne point laisser dominer le péché en leurs membres. Mais pource qu’il cognoissoit que les fidèles ont tousjours beaucoup d’infirmité, de peur de les descourager il adjouste une consolation, qu’ils ne sont plus sous la Loy Rom. 6.14. D’autre part, pource qu’aucuns eussent peu prendre occasion de se desbaucher, sous ombre qu’il disoit que les Chrestiens ne sont plus sous le joug de la Loy : il monstre quelle est l’abolition de la Loy : et aussi quel est l’usage d’icelle. Or la somme de ce qu’il en traitte, c’est que nous sommes délivrez de la rigueur de la Loy, pour adhérer à Christ : et que l’office de la Loy est de nous rendre convaincus de nostre perversité, pour nous faire confesser nostre foiblesse et misère. Or pource que la malice de nostre nature n’apparoist pas si aisément en un homme charnel, lequel est mené de ses concupiscences sans avoir crainte de Dieu : il prend exemple en sa personne, d’autant qu’il estoit régénéré par l’Esprit de Dieu. Il dit donccques qu’il a à lutter continuellement contre les reliques de sa chair, et qu’il est tenu comme prisonnier, pour ne pouvoir du tout obéir à la Loy de Dieu, tellement qu’il est contraint de s’escrier qu’il est malheureux, et demander qui le délivrera Rom. 7.24. Si les enfans de Dieu sont en prison et captivité durant ceste vie mortelle, il ne se peut faire qu’ils ne soyent en grande angoisse, pensans au danger où ils sont. Il adjouste doncques une consolation pour cela : c’est qu’il n’y a plus de condamnation sur ceux qui sont en Jésus-Christ Rom. 8.1. En quoy il signifie que ceux que Dieu a receus une fois en grâce, et incorporez en la communion de Jésus-Christ, et adoptez en la compagnie des fidèles par le Baptesme, moyennant qu’ils persévèrent en l’obéissance de la foy, sont absous, et ne sont point tenus coulpables devant le jugement de Dieu, combien que le péché leur face tousjours la guerre, et mesmes qu’ils l’ayent et le portent en eux-mesmes. Nous suyvons doncques de mot à mot la doctrine de sainct Paul, en ce que nous disons que le péché est remis au Baptesme quant à la coulpe, mais qu’il demeure tousjours quant à la matière, en tous Chrestiens jusques à la mort.
4.15.13
Le Baptesme sert à nostre confession devant les hommes, en ceste manière : c’est qu’il est une marque et enseigne, par laquelle nous protestons que nous voulons estre annombrez au peuple de Dieu : par laquelle nous testifions que nous consentons et accordons au service d’un seul Dieu, et en une religion avec tous les Chrestiens : par laquelle finalement nous déclairons et asseurons publiquement quelle est nostre foy, afin que non-seulement Dieu soit glorifié en nos cœurs, mais aussi que nos langues et tous les membres de nostre corps, entant qu’ils peuvent, au dehors résonnent ses louanges. Car en ce faisant, tout ce qui est nostre est employé comme il appartient à servir à la gloire de Dieu, de laquelle nulle chose ne doit estre vuide : et les autres à nostre exemple, sont incitez de pareillement s’y employer. A quoy regardoit sainct Paul quand il demandoit aux Corinthiens, s’ils n’avoyent pas esté baptisez au nom de Christ 1Cor. 1.13. En quoy il signifie qu’ils s’estoyent donnez et dédiez à luy, qu’ils l’avoyent advoué pour Seigneur et Maistre, et luy avoyent obligé leur foy devant les hommes : tellement qu’ils ne pourroyent plus confesser autre que luy seul, s’ils ne vouloyent renier leur confession qu’ils avoyent faite au Baptesme.
4.15.14
Maintenant puis que nous avons déclairé la fin et la cause pour laquelle nostre Seigneur a institué et ordonné le Baptesme, il sera facile de monstrer comment nous en devons user, et comment le devons prendre. Car entant qu’il nous est donné pour conforter, consoler et confermer nostre foy, il le faut prendre comme de la main de l’autheur propre : et avoir pour certain et indubitable que c’est luy qui parle à nous par ce signe : que c’est luy qui nous purge, qui nous nettoye, et abolit la mémoire de nos péchez : que c’est luy qui nous fait participans de sa mort : que c’est luy qui destruit et amortit les forces du diable et de nostre concupiscence : mesmes qui se fait un avec nous, à ce que par telle union nous soyons aussi bien réputez enfans de Dieu. Il nous faut doncques croire et estre asseurez qu’aussi véritablement et certainement il fait toutes ces choses intérieurement à nostre âme, comme nous voyons nostre corps par le dehors estre lavé, submergé et circuy d’eau. Car ceste ou analogie ou similitude est une très-certaine reigle des Sacremens, qu’aux choses corporelles nous contemplions et pensions les choses spirituelles, comme si elles nous estoyent mises devant les yeux, puis qu’il a pleu au Seigneur nous les représenter en telles figures. Non pas que telles grâces soyent liées ou encloses au Sacrement, ou qu’en la vertu d’iceluy elles nous soyent conférées : mais seulement pource que par signe et marque le Seigneur nous testifie sa volonté, c’est asçavoir qu’il nous veut donner toutes ces choses : et ne repaist pas seulement nos yeux d’un spectacle nud et vuide, mais nous meine présentement à la chose, et accomplit de faict ce qu’il figure.
4.15.15
Ceci se voit en l’exemple du Centenier Corneille, lequel après avoir receu rémission de ses péchez, et les grâces visibles du sainct Esprit, fut depuis néantmoins baptisé Actes 10.48 : non point pour avoir plus ample rémission par le Baptesme, mais pour plus certain exercice de sa foy, mesme accroissement par le gage qui luy en estoit donné. Quelqu’un (peut-estre) fera une objection : Si les péchez ne sont pardonnez par le Baptesme, pourquoy doncques disoit Ananias à sainct Paul, que par le Baptesme il purgeast ses péchez Actes 9.17 ; 22.16 ? Je respon qu’il est dit que nous recevons, obtenons, ou impétrons ce que nous croyons nous estre donné de Dieu, soit que nous commencions lors premièrement à le cognoistre, soit que l’ayans au paravant cognu, nous venions à en avoir plus certaine persuasion. Pourtant Ananias en ces paroles a seulement voulu dire cela : Paul, afin que tu sois certain que tes péchez te sont remis, sois baptisé, car le Seigneur promet au Baptesme la rémission des péchez : reçoy-la, et tien-toy asseuré. Combien que je n’entende pas de nullement amoindrir la force du Baptesme, que la chose et la vérité ne soit conjoincte au signe : selon que Dieu besongne par moyens externes. Au reste, nous n’avons autre chose de ce Sacrement, sinon autant que nous en recevons par foy. Et si la foy nous défaut, il nous sera en tesmoignage d’ingratitude, pour nous accuser devant Dieu que nous aurons esté incrédules à la promesse qui y estoit donnée : mais entant que le Baptesme est un signe et enseigne de nostre confession, nous devons par iceluy testifier que nostre fiance est en la miséricorde de Dieu, que nostre pureté est en la rémission des péchez qu’on a par Jésus Christ, et que nous entrons en l’Eglise de Dieu, afin qu’en union et consentement de foy et de charité nous vivions d’un mesme courage avec tous les fidèles. C’est ce qu’a voulu sainct Paul, quand il a dit que nous sommes tous baptisez en un mesme Esprit, pour estre faits un mesme corps 1Cor. 12.13.
4.15.16
Or si ce qu’avons arresté est véritable, que le Sacrement ne doit pas estre prins comme de la main de celuy par lequel il est administré, mais comme de la main mesme de Dieu, duquel sans doute il est envoyé, on peut de cela conclurre que rien n’y est adjousté ny osté pour la dignité de celuy par la main duquel il est administré. Et comme entre les hommes si quelque lettre est envoyée, pourveu que la main et le signe de l’escrivain soit bien cognu, c’est tout un qui ou quel en soit le messager : ainsi ce nous doit estre assez que de cognoistre la main et le signe de nostre Seigneur en ses Sacremens, par quelconque messager qu’ils soyent apportez. Par ceci est bien réfuté et destruit l’erreur des Donatistes, lesquels mesuroyent et prisoyent la vertu et valeur du Sacrement, selon la dignité et la valeur du Ministre. Tels sont aujourd’huy nos Anabaptistes, qui nient que nous ayons bien esté baptisez, par ce que nous avons esté baptisez des infidèles et idolâtres au royaume du Pape : pourtant ils requièrent furieusement qu’on soit rebaptisé. Contre les folies desquels nous sommes garnis d’assez forte raison, si nous pensons qu’avons esté baptisez, non pas au nom de quelque homme, mais au nom du Père, et du Fils et du sainct Esprit Matt. 28.19 : et pourtant que le Baptesme n’est point d’homme, mais de Dieu, par quelconques il ait esté administré. Quelque ignorance doncque ? ou contemnement de Dieu qui ait esté en ceux qui baptisoyent, ils ne nous ont pas baptisez en la communion de leur ignorance et impiété, mais en la foy de Jésus-Christ. Car ils n’y ont pas invoqué leur nom, mais celuy de Dieu : et ne nous ont point baptisez en autre nom. Or si le Baptesme estoit de Dieu il a certainement eu la promesse de rémission des péchez, de mortification de la chair, de vivification spirituelle, de participation de Christ. En ceste manière quand les Juifs ont esté circoncis par leurs sacrificateurs, qui s’estoyent desbauchez jusques à estre de vileins apostats, cela toutesfois ne leur a point nuit, et le signe n’en a pas esté inutile, pour dire qu’il le falust réitérer, mais a suffit qu’on recourust tousjours à la pure origine. Ce qu’ils objectent, que le Baptesme se doit faire en la compagnie des fidèles, n’emporte pas que s’il est vicieux en un endroict, toute sa force soit esteinte. Car quand nous enseignons ce qui se doit faire, afin que le Baptesme soit pur et entier et sans aucune souilleure, nous n’abolissons point l’institution de Dieu, combien que les idolâtres la corrompent. Et de faict, combien que jadis la Circoncision fust souillée de beaucoup de superstitions, si n’a-elle pas laissé d’estre tenue pour marque de la grâce de Dieu : comme aussi les saincts Rois Josias et Ezéchias, en ramassant de tout Israël ceux qui s’estoyent révoltez de Dieu, ne les ont pas contraints ny induits à une Circoncision nouvelle.
4.15.17
D’avantage, pource qu’ils nous interroguent quelle foy en nous a ensuyvy le Baptesme par quelques années, afin que de là ils puissent conclurre que nostre Baptesme a esté vain, lequel ne nous est point sanctifié, sinon que la Parole de la promesse soit receue par foy : nous respondons à ceste demande, que certes nous avons esté par long temps aveugles et incrédules, et n’avons point prins la promesse laquelle nous estoit donnée au Baptesme : toutesfois que ceste promesse, puis qu’elle estoit de Dieu, dés lors incontinent et tousjours est demeurée ferme et vraye. Encores que tous les hommes fussent mensongers et infidèles, toutesfois Dieu ne laisse point d’estre véritable Rom. 3.4 : encores que tous fussent perdus et damnez, toutesfois Jésus-Christ demeure salut. Nous confessons doncques le Baptesme pour ce temps-là ne nous avoir rien proufité, puis que la promesse demeuroit mesprisée, qui nous estoit en iceluy offerte, sans laquelle le Baptesme n’est rien. Maintenant puis que (grâces à Dieu) nous avons commencé à nous amender, nous accusons nostre aveuglement et dureté de cœur, entant qu’avons esté tant longuement ingrats à sa bonté : mais nous ne croyons pas pourtant que sa promesse se soit esvanouye, ains plustost considérons ainsi : Dieu par le Baptesme promet rémission des péchez, et sans doute tiendra promesse à tous croyans. Celle promesse nous a esté offerte au Baptesme : embrassons-la donccques par foy. Certes elle nous a long temps esté ensevelie, pour raison de nostre infidélité : maintenant doncques recouvrons-la par foy. Pour ceste raison, quand le Seigneur exhorte à repentance le peuple judaïcque, il ne commande pas à ceux qui avoyent esté circoncis par les mains des iniques et des sacrilèges, et avoyent aussi vescu quelque temps en mesme impiété, de se circoncir derechef : mais requiert la seule conversion du cœur. Car comment que ce fust que son alliance eust esté violée par eux, toutesfois le signe d’icelle, comme il l’avoit institué, demeuroit tousjours ferme et inviolable. Doncques il les recevoit par ceste seule condition, qu’ils reveinssent à amendement : leur confermant l’alliance laquelle il avoit une fois faite avec eux par la Circoncision, combien qu’elle leur eust esté baillée par meschans sacrificateurs, et qu’elle leur eust esté faussée par leur propre iniquité, entant qu’en eux estoit, jusques à en esteindre l’effect.
4.15.18
Mais il leur semble advis qu’ils nous jettent un dard de feu, quand ils allèguent sainct Paul avoir rebaptisé ceux qui avoyent une fois esté baptisez du Baptesme de sainct Jehan Actes 19.3, 5. Car si selon nostre confession, le Baptesme de sainct Jehan a esté du tout un mesme Baptesme qu’est maintenant le nostre : comme ceux-là estans au paravant mal instituez, après avoir esté enseignez de la droicte foy, ont en icelle este rebaptisez : ainsi le Baptesme qui a esté sans vraye doctrine, doit estre réputé pour rien : et devons estre baptisez de nouveau en la vraye religion, laquelle maintenant nous avons tout premièrement goustée. Il semble advis à d’aucuns que ç’avoit esté quelque fol imitateur de sainct Jehan, qui les avoit au paravant baptisez plustost en quelques vaines superstitions, qu’en la vérité. Et ont pour raison ceste conjecture, qu’iceux confessent qu’ils ne sçavent que c’est du sainct Esprit : en laquelle ignorance sainct Jehan ne les eust pas laissez. Mais il n’est pas non plus vray-semblable que des Juifs mesmes qui n’eussent point esté baptisez, n’eussent eu aucune cognoissance de l’Esprit, duquel il leur estoit fait souvent mention en l’Escriture. La response doncques qu’ils font, asçavoir qu’ils ne sçavent si l’Esprit est se doit entendre qu’ils n’avoyent rien entendu, asçavoir si les grâces du sainct Esprit, desquelles sainct Paul les interroguoit, estoyent distribuées aux disciples de Christ. Quant à moy, j’accorde le premier Baptesme qui fut donné à ceux-là, avoir esté le vray Baptesme de sainct Jehan, et un mesme avec celuy de Jésus-Christ : mais je nie qu’ils ayent esté rebaptisez. Que veulent doncques dire ces paroles, Ils ont esté baptisez au nom de Jésus ? Aucuns l’interprètent, que seulement c’est à dire qu’ils furent par sainct Paul instruits de pure et bonne doctrine : mais je l’aime mieux entendre plus simplement, qu’il parle du Baptesme du sainct Esprit : c’est-à-dire que les grâces visibles du sainct Esprit leur furent données par l’imposition des mains. Lesquelles grâces sont assez souvent en l’Escriture nommées Baptesme. Comme il est dit, qu’au jour de Pentecoste les apostres se souveindrent des Paroles du Seigneur touchant le Baptesme de l’Esprit et du feu Actes 1.5 ; 11.16. Et sainct Pierre récite que les grâces qu’il voyoit espandues sur Corneille et sur sa famille, luy avoyent aussi réduit en mémoire les mesmes paroles. Et ne répugne point ce qui est après escrit, Quand il leur eut imposé les mains, le sainct Esprit descendit sur eux. Car sainct Luc ne récite pas deux choses diverses, mais il poursuyt une forme de narration familière aux Hébrieux : lesquels proposent premièrement la chose en somme, après ils la déclairent plus amplement. Ce qu’un chacun peut appercevoir de la déduction mesme des paroles. Car il est dit, Ces choses ouyes ils ont esté baptisez au nom de Jésus : et quand sainct Paul leur eut imposé les mains, le sainct Esprit descendit sur eux. Par ceste dernière locution est descrit quel fut ce Baptesme-là. Que si le premier Baptesme estoit cassé et annuité par l’ignorance de ceux qui l’auroyent receu, tellement qu’il en fausist reprendre un autre, les Apostres devoyent estre rebaptisez les premiers : lesquels après leur Baptesme ont esté trois ans qu’ils n’avoyent pas grande cognoissance de la vraye doctrine. Et entre nous, quelles mers pourroyent suffire à réitérer tant de Baptesmes, que nostre Seigneur corrige journellement en nous d’ignorances ?
4.15.19
La vertu, dignité, utilité, et la fin de ce mystère doyvent estre assez esclarcies, comme je pense. Quant est du signe extérieur, il seroit bien à désirer que la pure institution de Jésus-Christ eust eu telle révérence qu’elle méritoit, pour réprimer l’audace des hommes. Car comme si c’eust esté chose contemptible et de petite valeur, de baptiser en eau selon le précepte de Jésus-Christ, on a controuvé une bénédiction solennelle, ou plustost une conjuration et enchantement, pour polluer la vraye consécration de l’eau. On a puis adjonsté le cierge avec le chresme. Il a semblé que le souffle pour conjurer le diable ouvroit la porte au Baptesme. Or combien que je n’ignore pas combien l’origine de ces fatras estranges est ancienne, toutesfois il nous est licite de rejetter tout ce que les hommes ont osé adjouster à l’institution de Jésus-Christ. Au reste, le diable voyant que ses tromperies avoyent esté dés le commencement de l’Evangile si aisément receues et sans difficulté par la folle crédulité du monde, s’est enhardy à se desborder à des mocqueries plus lourdes. Et de là est venu leur crachat, leur sel, et tels badinages, qui ont esté mis en avant avec une horrible licence, en opprobre et vitupère du Baptesme. Apprenons doncques par telles expériences, qu’il n’y a saincteté ne meilleure ne plus asseurée, que de nous arrester du tout à l’authorité de Jésus-Christ. Ainsi il eust beaucoup mieux valu, laissant ces pompes de farces qui esblouissent les yeux des simples, et abestissent leurs sens, quand il y a quelqu’un à baptiser, qu’il fust représenté devant l’Eglise pour estre offert à Dieu de tous avec prières : que là fust récitée la confession de foy, et ce qui est de l’usage du Baptesme : et ainsi que l’action fust simple, comme l’Escriture le porte : que les promesses qui sont au Baptesme fussent là proposées et déclairées : qu’il fust après baptisé au nom du Père et du Fils et du sainct Esprit, que finalement avec prières et action de grâces il fust renvoyé. Ainsi rien n’y seroit omis de ce qui y sert, et celle unique cérémonie de laquelle Dieu est autheur reluiroit très-clairement sans estre opprimée de nulles estranges ordures. Au reste, c’est une chose de nulle importance, si on baptise en plongeant du tout dedans l’eau celuy qui est baptisé, ou en respandant seulement de l’eau sur luy : mais selon la diversité des régions, cela doit demeurer en la liberté des Eglises. Car le signe est représenté et en l’un et en l’autre. Combien que le mot mesme de Baptiser, signifie du tout plonger : et qu’il soit certain que la coustume d’ainsi totalement plonger, ait esté anciennement observée en l’Eglise.
4.15.20
Il est mestier d’advertir yci que c’est une chose perverse qu’un privé entreprene d’administrer ne le Baptesme ne la Cène. Car la dispensation de l’un et de l’autre, est une partie du ministère publique. Qu’ainsi soit, Jésus-Christ n’a point commandé aux femmes ny à personnes privées de baptiser : mais a commis ceste charge à ceux qu’il avoit ordonnez Apostres. Et quand il a commandé à ses disciples de faire en célébrant la Cène, ce qu’il avoit fait, il les a sans doute voulu instruire, qu’à son exemple il y en eust un qui dispensast le Sacrement aux autres Matt. 28.19 ; Luc.22.19. Touchant ce que de long temps, et quasi du commencement de l’Eglise, ceste coustume a esté introduite, qu’en l’absence du ministre un homme particulier peut baptiser un enfant qui fust en danger de mort, cela n’est fondé en nulle raison. Et mesmes les Anciens qui observoyent ceste coustume, ou la toléroyent, n’estoyent point certains si c’estoit bien fait ou non : car sainct Augustin en parle avec doute, et ne peut pas déterminer si cela se fait sans péché<[c]. Touchant des femmes, il fut résolu de son temps au Concile de Cartilage, qu’elles n’eussent à baptiser sur peine d’excommunication[d]. Ils allèguent, que si un enfant décédoit sans Baptesme, il seroit privé de la grâce de régénération. Je respon que c’est folie. Dieu prononce qu’il adopte nos enfans, et les retient pour siens devant qu’ils soyent nais, en nous disant qu’il sera le Dieu de nostre semence après nous Gen. 17.7. C’est en ceste parole que leur salut consiste et est comprins : et ce seroit faire trop grande injure à Dieu, de nier que sa promesse ne suffise à mettre en effect ce qu’elle contient. Peu de gens se sont advisez combien ceste sentence mal entendue et mal exposée estoit pernicieuse : asçavoir que le Baptesme est requis à salut de nécessité. Et voylà pourquoy ils la laissent couler trop facilement. Car si ceste opinion a lieu que tous ceux qui n’auront peu estre plongez en l’eau sont damnez, nostre condition sera pire que celle du peuple ancien : d’autant que la grâce de Dieu sera plus restreinte qu’elle n’estoit sous la Loy. Et par ainsi on estimera que Jésus-Christ est venu, non pas pour accomplir les promesses, mais pour les anéantir. Veu que la promesse de salut avoit assez de vertu devant le huitième jour, encores que la Circoncision ne fust point receue : maintenant elle n’auroit nulle fermeté sans estre aidée du signe.
[c] Cont. epist. parmen., lib. II, cap. XIII.
[d] Cap. C.
4.15.21
Or il appert par les plus anciens Docteurs quelle a esté la coustume de l’Eglise devant que sainct Augustin fust nay. En premier lieu de Tertullien quand il dit qu’il n’est point permis à une femme de parler, ne d’enseigner, ne baptiser, ny offrir : afin qu’elle n’usurpe nul estat propre à l’homme, et tant moins au Prestre[e]. Nous avons aussi un bon tesmoin et authentique en Epiphane, quand il reproche à Marcion comme une lourde faute, qu’il donnoit licence aux femmes de baptiser. Je sçay bien ce qu’on allègue au contraire, que l’usage est différent de ce qui se fait par nécessité urgente. Mais puis qu’Epiphane prononçant que c’est une mocquerie de donner congé aux femmes de baptiser, n’adjouste nulle exception, il appert que cest abus est tellement condamné de luy, qu’il n’admet nulle excuse au contraire. Pareillement au livre troisième, disant qu’il n’a pas esté licite mesme à la vierge Marie de baptiser, il n’est pas question de restreindre aucunement son propos.
[e] Contr. haeres., lib. I.
4.15.22
L’exemple de Séphora est yci tiré inconsidérément : car ce qu’ils allèguent qu’elle a circoncy son fils, et que l’Ange de Dieu par ce moyen a esté appaisé Exo. 4.25 : de là ils infèrent sottement que l’acte ait esté approuvé de Dieu. Car par une mesme raison il faudroit dire, que le service meslé que dressèrent en Samarie ceux qui estoyent là envoyez d’Orient, eust esté agréable à Dieu : veu que depuis ils ne furent plus molestez des bestes sauvages 2Rois 17.32. Mais il est aisé à prouver par beaucoup d’autres bonnes raisons, qu c’est une bestise de vouloir tirer en exemple pour imiter, le fait de ceste folle femme. Si je disoye que c’a esté un acte singulier qui ne doit point estre tiré en reigle : item, Puis que nous ne lisons point qu’il y eust eu jadis mandement exprès donné aux Prestres pour circoncir : qu’il y a quelque diversité entre l’estat d’aujourd’huy et celuy d’alors, cela possible suffiroit pour clorre la bouche à ceux qui introduisent les femmes à baptiser. Car les paroles de Jésus-Christ sont claires. Allez, enseignez tous peuples et les baptisez Matt. 28.19. Puis qu’il n’ordonne point d’autres ministres du Baptesme, que ceux-là mesmes ausquels il donne la charge de prescher l’Evangile : et que tesmoin l’Apostre, nul ne doit usurper honneur en l’Eglise sinon qu’il soit appelé, comme Aaron Héb. 5.4 : quiconques baptise sans vocation légitime, fait mal et perversement de s’ingérer en la charge d’autruy. Sainct Paul déclaire que tout ce qu’on entreprend sans certitude de foy, voire aux choses les plus petites, comme au boire et au manger, est péché Rom. 14.23. Il y a bien doncques faute plus lourde et énorme au baptesme des femmes, où il est tout évident qu’on viole la reigle donnée de Christ, d’autant que nous sçavons que c’est un sacrilège de distraire les choses que Dieu a conjoinctes Matt. 19.6. Mais encores que je laisse tout cela, j’adverty seulement les lecteurs qu’ils considèrent bien que la femme de Moyse n’a rien moins cherché que d’offrir son service à Dieu. Voyant son enfant en danger de mort, elle se despite et murmure : et jette le prépuce en terre non sans cholère : et en injuriant son mari, elle s’aigrit et se rebecque contre Dieu. Brief, tout ce qu’elle fait procède d’une impétuosité désordonnée, d’autant qu’elle se fasche et se desgorge contre Dieu et son mari, à cause qu’elle est contrainte d’espandre le sang de son fils. Et encores qu’elle se fust bien portée en tout le reste c’est une témérité inexcusable de ce qu’elle présume de circoncir son enfant en la présence de Moyse si excellent Prophète de Dieu, qui n’a point eu son pareil en Israël : ce qui ne luy estoit pas plus loisible : qu’il est aujourd’huy à une femme de baptiser présent un Evesque. Au reste, toutes ces questions seront décidées, quand ceste fantasie sera arrachée des esprits des hommes : c’est que les enfans sont forclos du royaume de Paradis, s’ils n’ont receu le Baptesme. Or comme nous avons dit, on fait grand tort et injure à la vérité de Dieu, si on ne s’y repose du tout, tellement que de soy elle ait plene et entière vertu de sauver. Le Sacrement est puis après adjousté comme un seau, non pas pour donner vertu à la promesse, comme si elle estoit débile de soy, mais seulement pour la ratifier envers nous : afin que nous la tenions tant plus certaine. De là il s’ensuyt que les petis enfans engendrez des Chrestiens ne sont point baptisez pour commencer d’estre enfans de Dieu, comme si au paravant ils ne luy eussent en rien appartenu, et eussent esté estrangers de l’Eglise : mais plustost afin que par ce signe solennel il soit déclairé qu’on les reçoit en l’Eglise, comme estant desjà du corps d’icelle. Car quand il n’y a ne contemnement, ne nonchalance, nous sommes hors de tout danger. Parquoy le meilleur est de porter cest honneur à l’ordonnance de Dieu, que nous ne prenions point les Sacremens d’ailleurs que du lieu où il les a mis. Or il en a donné la dispensation à l’Eglise. Quand doncques nous ne les pouvons recevoir d’icelle, n’estimons pas que la grâce du sainct Esprit soit tellement liée à iceux, que nous ne l’obtenions en vertu de la seule Parole de Dieu.
Chapitre XVI
Que le Baptesme des petis enfans convient très-bien à l’institution de Jésus-Christ
et à la nature du signe.
4.16.1
Or d’autant que nous voyons l’observation que nous tenons de baptiser les petis enfans, estre impugnée et débatue par aucuns esprits malins, comme si elle n’avait point esté instituée de Dieu, mais inventée nouvellement des hommes, ou pour le moins quelques années après le temps des Apostres : j’estime qu’il viendra bien à propos, de confermer en cest endroict les consciences imbécilles, et réfuter les objections mensongères que pourroyent faire tels séducteurs, pour renverser la vérité de Dieu aux cœurs des simples, qui ne seroyent pas fort exercitez pour respondre à leurs cautèles et cavillations. Car ils usent communément d’un argument assez favorable en première apparence : c’est qu’ils ne désirent autre chose, sinon que la Parole de Dieu soit purement gardée et maintenue on son entier, sans y rien adjouster ne diminuer, comme ceux qui premièrement ont esté inventeurs de baptiser les petis enfans y ont adjousté, y allentans ceste chose sans en avoir aucun commandement. Laquelle raison nous concéderions estre assez suffisante, s’ils pouvoyent prouver leur intention, que ce Baptesme soit procédé de l’invention des hommes, et non pas de l’ordonnance de Dieu. Mais quand au contraire, nous aurons clairement monstré que faussement et à tort ils imposent ceste calomnie, d’appeler Tradition humaine ceste institution très bien fondée sur la Parole de Dieu, que reste-il plus sinon que ceste couleur laquelle ils prétendent en vain, s’en aille en fumée ? Ainsi cherchons l’origine première du Baptesme des petis enfans. Car s’il appert qu’il ait esté controuvé par la témérité des hommes, je confesse qu’il le faut là laisser, pour en prendre la vraye reigle de ce que le Seigneur en a ordonné : d’autant que les Sacremens ne pendroyent que d’un filet, s’ils n’estoyent fondez en la Parole de Dieu. Mais si nous trouvons que les petis enfans sont baptisez en l’authorité de Dieu, gardons bien de luy faire outrage, en réprouvant son ordonnance.
4.16.2
Pour le premier, ce doit bien estre une chose résolue entre les fidèles : que la droicte considération des signes ou Sacremens que le Seigneur a laissez et recommandez à son Eglise, ne gist point en l’extériorité ou cérémonie externe seulement : mais principalement dépend des promesses et mystères spirituels que nostre Seigneur a voulu représenter par telles cérémonies. Parquoy pour bien recognoistre que c’est que du Baptesme, et qu’il emporte, il n’est pas question de s’arrester du tout à l’eau et ce qui se fait extérieurement : mais il est besoin d’eslever nos pensées aux promesses de Dieu qui nous y sont données, et aux choses intérieures et spirituelles qui nous y sont démonstrées. Si nous avons cela, nous tenons la substance et la vérité du Baptesme : et mesmes de là viendrons à comprendre à quelle fin a esté ordonnée ceste aspersion d’eau qui se fait, et de quoy elle nous sert. D’autre part, si ces choses mesprisées et laissées, nous avons l’esprit fiché seulement et du tout en l’observation extérieure, nous ne comprendrons jamais sa vertu, ne l’importance du Baptesme, ne mesmes que veut dire ceste eau de laquelle on y use, ne qu’elle signifie. Nous ne poursuyvrons pas ceci par longues paroles, veu que c’est une chose tant clairement et si souvent démonstrée en l’Escriture, qu’elle ne peut estre aucunement douteuse ny obscure entre les Chrestiens. Il reste doncques au surplus de chercher és promesses données au Baptesme, quelle est la propre substance d’iceluy. L’Escriture nous enseigne que la rémission et purgation de nos péchés, que nous avons par l’effusion du sang de Jésus-Christ, nous y est premièrement représentée : après, la mortification de nostre chair, que nous obtenons pareillement en communiquant à sa mort, pour ressusciter à nouveauté de vie : c’est asçavoir à innocence, saincteté et pureté. En quoy nous comprenons premièrement, que le signe visible et matériel n’est sinon représentation des choses plus hautes et plus excellentes : pour lesquelles comprendre il nous faut avoir nostre recours à la Parole de Dieu, en laquelle gist toute la vertu du signe. Or par icelle nous voyons les choses signifiées et représentées, estre la purgation de nos péchez, la mortification de nostre chair, pour estre faits participans de la régénération spirituelle, laquelle doit estre en tous les enfans de Dieu. D’avantage, elle monstre que toutes ces choses sont causées en Jésus-Christ, comme en estant le fondement. Voylà en somme la déclaration du Baptesme, à laquelle se peut réduire et référer tout ce qui en est dit en l’Escriture : excepté un point qui n’a pas esté touché, c’est qu’il est aussi bien comme une marque, par laquelle nous advouons devant les hommes le Seigneur pour nostre Dieu, et sommes enrollez au nombre de son peuple.
4.16.3
Pourtant que devant l’institution du Baptesme le peuple de Dieu avoit au lieu la Circoncision, laquelle a servy sous le Vieil Testament, il nous faut yci regarder quelle similitude et quelle différence il y a entre ces deux signes : afin que de cela nous comprenions semblablement que c’est qu’on peut déduire de l’un à l’autre. Quand nostre Seigneur ordonne la Circoncision à Abraham, il use de ceste préface, qu’il veut estre son Dieu, et le Dieu de sa semence Gen. 17.7, 10 : se déclairant estre tout-puissant, et avoir toutes choses en sa main, pour luy estre en plénitude et fontaine de tous biens. Sous lescquelles paroles est comprinse la promesse de la vie éternelle : ainsi que nostre Seigneur Jésus-Christ l’a exposé, tirant un argument de ce que son Père s’estoit appelé le Dieu d’Abraham, pour convaincre les Sadducéens de l’immortalité et résurrection des fidèles : Car il n’est point, dit-il, Dieu des morts, mais des vivans Matt. 22.32 ; Luc 20.38. Parquoy aussi sainct Paul au IIe des Ephésiens, leur monstrant de quelle confusion nostre Seigneur les avoit retirez, il déduit de ce qu’ils n’avoyent point la Circoncision, qu’ils estoyent sans Christ, estrangers des promesses, sans Dieu et sans espérance Eph. 2.12 ; d’autant qu’icelle estoit le tesmoignage de toutes ces choses. Or le premier degré que nous avons pour approcher de Dieu, et entrer en la vie éternelle, c’est la rémission de nos péchez. Dont il s’ensuyt que ceste promesse est correspondante à celle du Baptesme, qui est de nostre purgation et ablution. Après, nostre Seigneur déclaire à Abraham comment il veut qu’il chemine devant soy en intégrité et innocence. Qui n’est autre chose que la mortification, pour ressusciter à nouveauté de vie. Et afin qu’il n’y eust nulle doute que la Circoncision ne fust signe et figure de la mortification, Moyse l’expose plus clairement au chapitre X du Deutéronome, quand il exhorte le peuple d’Israël de circoncir son cœur au Seigneur : pource qu’il est le peuple esleu de luy, entre toutes les nations de la terre Deut. 10.16 ; 30.6. Comme nostre Seigneur en recevant la lignée d’Abraham pour son peuple ordonne qu’ils soyent circoncis : ainsi Moyse déclaire qu’ils doyvent estre circoncis de cœur, comme voulant monstrer quelle est la vérité de ceste Circoncision charnelle. D’avantage, afin que le peuple n’aspirast à ceste mortification par sa propre puissance, il luy enseigne comment c’est une œuvre de la grâce de Dieu en nous. Toutes ces choses ont esté tant souvent répétées aux Prophètes, qu’il n’est jà besoin en faire long propos. Nous avons doncques que la Circoncision a eu promesse spirituelle envers les pères, telle mesmes que le Baptesme : en leur signifiant la rémission de leurs péchez, et mortification de leur chair, pour vivre à justice. Outre plus, comme nous avons dit que Christ, entant qu’il est l’accomplissement de ces choses, est le fondement du Baptesme : aussi est-il de la Circoncision. Parquoy il est promis à Abraham, et en luy la bénédiction de tous peuples de la terre : comme si nostre Seigneur disoit que toute la terre estant en soy maudite, recevra bénédiction par luy. Et le signe de la Circoncision est adjousté pour seeler et confermer ceste grâce.
4.16.4
Il est à ceste heure bien aisé de juger et discerner en quoy convienent ensemble, ou en quoy diffèrent ces deux signes, la Circoncision et le Baptesme. La promesse que nous avons dite estre la vertu des Sacremens, est une en tous deux : c’est asçavoir de la miséricorde de Dieu, de la rémission des péchez, et de la vie éternelle. La chose représentée y est toujours une, c’est nostre purgation et mortification. La cause et le fondement de ces choses, qui est Christ, est tant en l’un comme en l’autre, pour confirmation et accomplissement. Il s’ensuyt qu’il n’y a rien de différence quant au mystère intérieur, où gist toute la substance des Sacremens, comme dit a esté. Toute la diversité qui s’y trouve, n’est sinon quant à la cérémonie extérieure, qui est la moindre partie des Sacremens, puis que la considération principale dépend de la Parole et de la chose signifiée et représentée. Parquoy nous pouvons conclurre que tout ce qui appartient à la Circoncision, est aussi commun au Baptesme : excepté de la cérémonie externe et visible. Et à ceste déduction nous meine la reigle de sainct Paul : c’est que toute l’Escriture se doit mesurer selon la proportion et similitude de la foy Rom. 12.3, 6, laquelle regarde tousjours les promesses. Et de faict, la vérité se laisse en cest endroict quasi toucher à la main. Car comme la Circoncision a esté une marque aux Juifs, en recognoissance que Dieu les recevoit pour son peuple, et qu’ils l’advouoyent pour leur Dieu, et ainsi leur estoit comme la première entrée extérieure en l’Eglise de Dieu : aussi par le Baptesme nous sommes premièrement receus en l’Eglise de nostre Seigneur, pour estre recognus de son peuple : et faisons protestation de le vouloir advouer pour nostre Dieu. Dont appert que le Baptesme a succédé à la Circoncision.
4.16.5
Maintenant si quelqu’un demande, si le Baptesme doit estre communiqué aux petits enfants, comme leur appartenant selon l’ordonnance de Dieu : qui sera celuy tant desprouveu de sens, lequel se vueille arrester, pour en donner bonne résolution, seulement à l’eau et à l’observation visible, et non plustost considérer le mystère spirituel ? auquel si nous avons esgard, il n’y aura nulle doute que le Baptesme n’appartiene à bon droict aux enfants. Car par ce que nostre Seigneur a ordonné anciennement la Circoncision aux enfans, il a monstré évidemment qu’il les faisoit participans de tout ce qui y estoit représenté. Autrement il faudroit dire que telle institution n’auroit esté que mensonge et feintise, et mesmes belle tromperie : ce qui ne peut estre ouy ny enduré entre les fidèles. Car le Seigneur dit notamment, que la Circoncision donnée au petit enfant, luy sera en confirmation de l’alliance laquelle a esté récitée. Si doncques l’alliance demeure tousjours une, il est très-certain que les enfans des Chrestiens n’en sont pas moins participans, qu’ont esté les enfans des Juifs sous le Vieil Testament. Et s’ils sont participans de la chose signifiée, pourquoy ne leur sera communiqué le Sacrement, qui n’est sinon figure et représentation ? S’il est question de discerner le signe extérieur de la Parole, lequel sera estimé le plus grand et le plus excellent ? Certes d’autant que le signe sert à la parole, on voit bien qu’il est inférieur et de moindre estime. Or il est ainsi que la parole du Baptesme s’addresse aux petis enfans : pourquoy doncques en destournera-on le signe, lequel est comme une dépendance d’icelle ? S’il n’y avoit que ceste seule raison, elle est bien assez suffisante pour fermer la bouche à tous contredisans. La raison qu’on ameine touchant le jour préfix à la Circoncision Gen. 17.12 ; 21.4, n’est aucunement de mise. Bien est vray que le Seigneur ne nous a pas liez à certains jours, comme il a fait les Juifs : mais nous laissant liberté en cela, il nous a toutesfois déclairé comment les petis enfans doyvent estre solennellement receus en son alliance. Qu’est-ce que nous demandons d’avantage ?
4.16.6
Toutesfois l’Escriture encores nous ameine à plus évidente cognoissance de vérité. Car il est certain que l’alliance qu’a faite une fois le Seigneur avec Abraham, disant qu’il vouloit estre son Dieu, et le Dieu de sa semence, n’est pas moins aujourd’huy entre les Chrestiens, qu’elle a esté lors entre le peuple judaïque, et que ceste parole ne s’addresse pas moins aujourd’huy aux Chrestiens, qu’elle s’addressoit aux Pères du Vieil Testament. Autrement il s’ensuyvroit que la venue de Jésus-Christ auroit amoindry et accourcy la grâce et miséricorde de Dieu : qui est un horrible blasphème à dire et à ouyr. Et de faict, comme les enfans des Juifs ont esté appelez Lignée saincte, à cause qu’ils estoyent héritiers de ceste alliance, et estoyent ségrégez des enfans des infidèles et idolâtres : aussi les enfans des Chrestiens sont dits par mesme raison, Saincts, encore qu’ils ne soyent engendrez sinon de père fidèle ou de mère, et sont discernez des autres par le tesmoignage de l’Escriture 1Cor. 7.14. Or est-il ainsi que le Seigneur, après avoir promis à Abraham ceste alliance, veut qu’elle soit testifiée et seellée aux petis enfans par le Sacrement extérieur Gen. 17.12. Quelle excuse doncques avons-nous, que nous ne la testifiions et scellions aujourd’huy, comme de ce temps-là ? Et ne peut-on alléguer qu’il n’y a eu autre Sacrement ordonné pour la testifier que la Circoncision, laquelle est abolie, car la response est preste, Que pour le temps nostre Seigneur a lors ordonné la Circoncision : néantmoins qu’après la Circoncision abroguée, la raison de la confermer demeure tousjours, veu qu’elle nous est autant commune comme aux Juifs. Et pourtant il faut tousjours diligemment regarder ce que nous avons commun avec eux et semblable, et ce qui est divers. L’alliance est commune, la raison de la confermer est semblable : la diversité est seulement en cela, qu’ils ont eu la Circoncision pour confirmation, de quoy le Baptesme aujourd’hui nous sert. Autrement la venue de Christ auroit fait que la miséricorde de Dieu devroit moins estre sur nous déclairée qu’elle n’a esté sur les Juifs, si le tesmoignage qu’ils ont eu pour leurs enfans nous estoit osté. Si cela ne se peut dire sans déshonorer grandement Jésus-Christ, par lequel la bonté infinie du Seigneur a esté plus amplement et richement que jamais espandue et manifestée sur la terre, il faut concéder que la grâce de Dieu ne doit pas estre plus cachée, ne moins asseurée qu’elle n’a esté sous les ombres de la Loy.
4.16.7
A ceste cause nostre Seigneur Jésus, voulant monstrer qu’il estoit plustost venu pour augmenter et multiplier les grâces de son Père que pour les restreindre, reçoit bénignement, et embrasse les enfans qui luy sont présentez, reprenant ses Apostres de ce qu’ils y vouloyent mettre empeschement, pource qu’ils destournoyent ceux auxquels le Royaume des cieux appartient, de venir à luy qui en est la voye et l’accès Matt. 19.13-14. Mais quelle similitude, dira quelqu’un a cest embrassement de Jésus avec le Baptesme ? Car il n’est pas dit qu’il les ait baptisez, mais seulement qu’il les a receus et embrassez, et prié pour eux. Pour bien doncques ensuyvre cest exemple de nostre Seigneur, il faudroit prier pour les petis enfans, et non pas les baptiser, ce qui n’a pas esté fait de luy. Or il nous faut un petit mieux poiser la doctrine de l’Escriture, que ne font telles gens. Car ce n’est pas une chose légère, que Jésus-Christ veut les enfans luy estre présentez : adjoustant la raison, Pource qu’à tels est le royaume des cieux. Et encores après il déclaire sa volonté par effect, entant qu’il les embrasse et prie pour eux. Si c’est une chose raisonnable d’amener les enfans à Jésus-Christ, pourquoy ne sera-il loisible de les recevoir au Baptesme, qui est le signe extérieur par lequel Jésus-Christ nous déclaire la communion et société que nous avons avec luy ? Si le Royaume des cieux leur appartient, pourquoy leur sera desnié le signe, par lequel nous est donné comme une entrée en l’Eglise, pour nous déclairer héritiers du Royaume de Dieu ? Ne serions-nous pas bien iniques de repousser ceux que nostre Seigneur appelle à soy ? de leur refuser ce qu’il leur donne ? de leur fermer la porte quand il leur ouvre ? Et s’il est question de séparer du Baptesme ce qu’a fait Jésus-Christ : toutesfois lequel doit estre estimé le plus grand, ou que Jésus-Christ les reçoyve, leur impose les mains pour signe de sanctification, et prie pour eux, démonstrant qu’ils sont siens, ou que nous par le Baptesme testifiions qu’ils appartienent à son alliance ? Les autres cavillations qu’on ameine pour soudre ce passage, sont trop frivoles. Car de vouloir prouver que c’estoyent enfans desjà grans, pource que Jésus dit qu’on les laisse venir, cela répugne trop évidemment à l’Escriture, laquelle les appelle petis enfantelets, qu’il falloit porter ; tellement que ce mot, Venir, doit estre interprété pour Approcher simplement. Voylà comment ceux qui s’opiniastrent contre la vérité, cherchent en chacune syllabe matière de tergiverser. Ce que d’autres objectent qu’il n’est pas dit que le Royaume céleste appartient aux enfans, mais à tels qu’eux est aussi bien une évasion eschappatoire. Car si cela avoit lieu, quelle seroit la raison de nostre Seigneur, par laquelle il veut monstrer que les enfans doyvent approcher de luy ? Quand il dit : Laissez les enfans venir à moy, il n’est rien plus certain qu’il parle des petis enfans d’aage. Et pour donner à entendre qu’il est raisonnable, il adjouste, Car à tels est le Royaume des cieux, En quoy il faut nécessairement qu’ils soyent comprins. Et pourtant faut exposer le mot de Tels, en ceste manière, Qu’à eux et leurs semblables appartient le Royaume des cieux.
4.16.8
Il n’y a desjà celuy qui ne voye, le Baptesme des petis enfants n’avoir esté forgé témérairement des hommes, veu qu’il a si évidente approbation des Escritures. Et n’y a aucune apparence en l’objection que font aucuns : c’est asçavoir qu’on ne sçauroit monstrer par l’Escriture, que jamais enfant ait esté baptisé par les Apostres, Car combien que nous confessons qu’il n’est point expressément monstré, toutesfois ce n’est pas à dire qu’ils ne les ayent baptisez, veu que jamais n’en sont exclus, quand il est fait mention que quelque famille a esté baptisée ? Par un tel argument nous pourrions prétendre que les femmes ne doyvent estre admises à la Cène de nostre Seigneur, puisqu’il n’est jamais parlé en l’Escriture qu’elles y ayent communié du temps des Apostres. Mais en cela nous suyvons, comme il appartient, la reigle de la foy, regardans seulement si l’institution de la Cène leur convient ; et si selon l’intention de nostre Seigneur, elle leur doit estre baillée : comme aussi nous faisons en ce Baptesme. Car en considérant pour qui il a esté ordonné, nous trouvons qu’il n’appartient pas moins aux petis enfans, qu’aux grans d’aage. Parquoy ce seroit frauder l’intention du Seigneur, s’ils en estoyent rejettez. Tant y a que ce qu’ils sèment est une pure menterie, de dire que long temps après les Apostres il a esté mis sus. Car nous n’avons histoire tant ancienne depuis l’Eglise primitive, laquelle ne rende tesmoignage qu’en ce temps-là mesme il estoit en usage Actes 16.15, 33.
4.16.9
Il reste de monstrer quel proufit revient aux fidèles de ceste observation de baptiser leurs enfans : et aux enfans mesmes d’estre baptisez en tel aage. Car il y en a quelques-uns qui la rejettent comme inutile et de nulle importance. En quoy ils sont grandement abusez : et quand il n’y auroit autre chose qu’en ce faisant ils se mocquent de l’ordonnance qu’a faite le Seigneur de la Circoncision, laquelle est de mesme estime et considération, il y auroit assez de matière pour réprimer leur témérité et outrecuidance, de ce que follement et desraisonnablement ils condamnent tout ce qu’ils ne peuvent comprendre en leur sens charnel. Mais nostre Seigneur a encores mieux prouveu pour abatre leur folle arrogance. Car il n’a pas laissé sa volonté si cachée qu’il n’ait monstré évidente utilité de son institution : c’est que le signe donné aux petis enfans est un seel, pour confermer et comme ratifier la promesse qu’a faite nostre Seigneur à ses fidèles, qu’il espandroit sa miséricorde non-seulement sur eux, mais sur leur postérité, jusques en mille générations. En quoy premièrement la bonté de Dieu est testifiée, pour magnifier et exalter son Nom : secondement pour consoler l’homme fidèle, et luy donner meilleur courage de s’addonner du tout à Dieu quand il voit ce bon Seigneur n’avoir point seulement cure de luy, mais aussi de ses enfans et de sa postérité. Et ne faut dire que la promesse suffiroit pour nous asseurer du salut de nos enfans. Car il a semblé advis autrement à Dieu, lequel cognoissant l’infirmité de nostre foy, l’a voulu en cest endroict supporter. Pourtant quiconques par certaine fiance se reposent sur ceste promesse, que Dieu veut faire miséricorde à leur lignée, leur office est de présenter leurs enfans pour recevoir le signe de la miséricorde : et en cela se consoler et corroborer, quand ils voyent à l’œil l’alliance du Seigneur signée aux corps de leurs enfans. Ce proufit en revient à l’enfant, que l’Eglise chrestienne le recognoissant membre de son corps, l’a en plus singulière recommandation : et luy quand il vient en aage, a occasion d’estre plus enclin de servir au Seigneur, lequel s’est déclairé à luy pour Père, devant qu’il le cogneust, le recevant au nombre de son peuple dés le ventre de sa mère. Finalement, il nous faut tousjours craindre ceste menace, que si nous mesprisons de marquer nos enfans du signe de l’alliance, que le Seigneur en fera la vengence Gen. 17.14 : d’autant qu’en ce faisant nous renonçons au bénéfice qu’il nous présente.
4.16.10
Venons aux argumens, desquels le malin esprit a tasché d’envelopper plusieurs en erreur et déception, sous ombre de se vouloir arrester à la Parole de Dieu : et considérons quelle force il y a en toutes les machines de Satan, par lesquelles il a tasché de renverser ceste saincte ordonnance du Seigneur : laquelle a tousjours, comme il estoit convenable, esté révéremment observée en son Eglise. Ceux doncques que le diable pousse de contredire en cest endroict à la Parole de Dieu tant certaine, pource qu’ils se voyent fort pressez et trop puissamment convaincus par la similitude que nous avons mise de la Circoncision avec le Baptesme, s’efforcent de monstrer quelque grande diversité entre ces deux signes, tellement qu’il n’y a rien commun de l’un à l’autre. Premièrement, en disant que la chose figurée est diverse. Secondement, que l’alliance est toute autre. Tiercement que les enfans doyvent estre entendus en diverses manières. Mais quand ils veulent prouver le premier point, ils allèguent que la Circoncision a esté figure de la mortification, et non pas du Baptesme. Ce que certes nous leur concédons très-volontiers : car cela fait pour nous. Et mesmes, pour bien prouver nostre intention, n’usons point d’autres mots, sinon que la Circoncision et le Baptesme représentent pareillement la mortification. Et de cela concluons que le Baptesme a succédé à la Circoncision, pource qu’il signifie une mesme chose aux Chrestiens qu’icelle faisoit aux Juifs. Quant au second article, ils monstrent combien ils sont transportez d’esprit : non pas en renversant seulement un passage par fausse interprétation, mais toute l’Escriture universellement. Car ils nous font les Juifs comme un peuple charnel et brutal, qui n’ait eu autre alliance de Dieu que pour la vie temporelle, ny autre promesse, que pour les biens présens et corruptibles. Si ainsi estoit, que reste-il plus sinon que l’on estime ceste nation-là comme un troupeau de porceaux, lequel nostre Seigneur ait voulu nourrir en l’auge, pour les laisser après périr éternellement ? Car toutesfois et quantes que nous objectons la Circoncision et les promesses qui y sont données, ils ont incontinent en la bouche, que c’est un signe litéral, et des promesses charnelles.
4.16.11
Certes si la Circoncision a esté un signe litéral, aussi bien est le Baptesme : veu que sainct Paul au chapitre II des Colossiens n’en fait pas l’un plus spirituel que l’autre, disant qu’en Christ nous sommes circoncis de la Circoncision faite sans main, quand nous avons despouillé la masse de péché qui habite en nostre chair, laquelle est la Circoncision de Christ Col. 2.11. Puis après pour déclairer cela, il dit que nous avons esté ensevelis avec Christ au Baptesme. Qu’est-ce que veut dire ce passage autre chose, sinon que l’accomplissement du Baptesme est l’accomplissement de la Circoncision, d’autant que les deux figurent une mesme chose ? Car il veut monstrer que le Baptesme est aux Chrestiens, ce qu’avoit esté au paravant la Circoncision aux Juifs. Or pource que nous avons évidemment ci-dessus exposé, que les promesses de ces deux signes, et les mystères en iceux représentez, ne diffèrent en rien, nous ne nous y arresterons point de présent plus longuement. Seulement nous admonesterons les fidèles, de considérer si un signe doit estre estimé charnel et litéral, quand tout ce qu’il contient est spirituel et céleste. Mais pourtant qu’ils allèguent quelques passages pour donner apparence à leur mensonge, nous soudrons en trois mots, les objections qu’ils peuvent faire. Il est certain que les principales promesses que nostre Seigneur a données à son peuple en l’Ancien Testament, esquelles consistoit l’alliance qu’il faisoit avec eux, ont esté spirituelles, appartenantes à la vie éternelle : et pareillement ont esté spirituellement entendues des Pères, pour concevoir espérance de la gloire future, et estre ravis en icelle de toute leur affection. Néantmoins nous ne nions pas qu’il n’ait testifié envers eux sa bonne volonté par autres promesses charnelles et terriennes, voire pour confermer telles promesses spirituelles : comme nous voyons qu’après avoir promis la béatitude immortelle à son serviteur Abraham, il luy adjouste la promesse de la terre de Chanaan, pour luy déclairer sa grâce et faveur sur luy Gen. 15.1, 18. En telle sorte il faut prendre toutes les choses terriennes qu’il a promises au peuple judaïque, tellement que la promesse spirituelle précède tousjours comme fondement et chef, auquel tout le reste se rapporte. Ce que je touche plus légèrement, pource qu’il a esté déduit plus à plein au traitté du Vieil et Nouveau Testament.
4.16.12
La différence des enfans du Vieil Testament, qu’ils veulent mettre avec ceux du Nouveau, est telle : Que les enfans d’Abraham pour lors, ont esté sa lignée charnelle : maintenant ce sont ceux qui ensuyvent sa foy. Et pourtant, que les enfans d’aage, qui estoyent pour lors circoncis, ont figure les enfans spirituels, qui par la Parole de Dieu sont régénérez à vie incorruptible. En quoy nous recognoissons quelque petite estincelle de vérité : mais en cela s’abusent ces povres estourdis, qu’ayans leu quelque chose, ils n’ont point l’entendement de passer plus outre à considérer ce qui reste encores : ne le jugement pour discerner et accorder tout ce qui appartient à la matière. Nous confessons bien que la semence corporelle d’Abraham a tenu pour un temps le lieu des enfans spirituels, qui par foy sont incorporez avec luy : car nous sommes appelez ses enfans, combien que nous ne luy attouchions point de parentage charnel Gal. 4.28 ; Rom. 4.12. Mais s’ils entendent, comme certainement ils démonstrent : que nostre Seigneur n’eust point promis aussi sa bénédiction spirituelle à la semence charnelle d’Abraham, en cela ils s’abusent grandement. Pourtant voyci la droicte intelligence où nous meine l’Escriture : c’est que le Seigneur a donné la promesse à Abraham, que de luy sortiroit la semence dont toutes les nations de la terre seroyent bénites et sanctifiées : luy asseurant qu’il seroit son Dieu et le Dieu de sa semence. Tous ceux qui reçoyvent Jésus-Christ par foy, sont héritiers de ceste promesse : et pourtant sont nommez Enfans d’Abraham.
4.16.13
Or combien qu’après la résurrection de Jésus-Christ, le Royaume de Dieu a esté publié par tout indifféremment, pour y faire ouverture à tous peuples et nations : afin, comme il dit, que les fidèles veinssent d’Orient et d’Occident pour avoir place au Royaume céleste, en la compagnie d’Abraham, Isaac et Jacob Matt. 8.11 : toutesfois tout le temps qui avoit précédé nostre Seigneur avoit ordinairement tenu une telle miséricorde comme enclose entre les Juifs : lesquels il disoit estre son Royaume, son peuple péculier, sa propre possession Exo. 19.5. Or le Seigneur pour déclairer une telle grâce envers ceste nation, leur avoit ordonné la Circoncision : laquelle leur fust en signe qu’il se déclairoit pour leur Dieu, les recevant en sa protection, pour les conduire en la vie éternelle. Car quand Dieu nous prend en sa charge pour nous garder, que nous peut-il jamais défaillir ? A ceste cause sainct Paul, voulant monstrer que les Gentils sont enfans d’Abraham comme les Juifs, parle en ceste manière, Abraham a esté justifié par foy devant qu’estre circoncis : après il a receu la Circoncision pour seel de sa justice, afin qu’il fust père de tous croyans incirconcis, et aussi père des circoncis : non pas de ceux qui n’ont que la Circoncision, mais qui ensuyvent la Foy qu’il a eue Rom. 4.10-12. Ne voyons-nous pas bien comment il les fait pareils et d’égale dignité ? Car pour le temps que nostre Seigneur avoit disposé, il a esté Père des fidèles circoncis : quand la muraille a esté rompue, comme dit l’Apostre, pour donner entrée au Royaume de Dieu à ceux qui en estoyent forclos Eph. 2.14, il a esté fait aussi bien leur Père, jà soit qu’ils ne fussent circoncis : car le Baptesme leur est pour Circoncision. Et ce que sainct Paul met notamment, qu’il n’est pas père de ceux qui n’ont autre chose que la Circoncision, c’est pour rabatre la vaine confiance des Juifs qu’ils avoyent aux cérémonies extérieures. Comme on en pourroit autant dire du Baptesme, pour confuter l’erreur de ceux qui n’y cherchent que l’eau.
4.16.14
Qu’est-ce doncques que veut dire autre part l’Apostre, quand il enseigne que les vrais enfans d’Abraham ne sont point de la chair, mais que seulement ceux qui sont enfans de la promesse, sont réputez en la semence Rom. 9.7-8 ? Il semble bien que par ces mots il vueille conclurre que d’estre descendu de la semence charnelle d’Abraham ne proufite de rien. Il nous faut yci diligemment noter l’intention de sainct Paul. Car pour monstrer aux Juifs que la grâce de Dieu n’est pas liée à la semence d’Abraham : et mesmes que ceste cognation charnelle, par soy n’est d’aucune estime, il leur ameine au chapitre IX des Romains, Ismaël et Esaü, lesquels combien qu’ils descendissent d’Abraham, ont esté rejettez comme estrangers : et la bénédiction a esté mise en Isaac et Jacob : de quoy il s’ensuyt ce qu’il conclud après, c’est que le salut dépend de la miséricorde de Dieu, laquelle il fait à qui bon luy semble : et pourtant, que les Juifs n’ont pas à se glorifier d’estre l’Eglise de Dieu, s’ils n’obéissent à sa Parole. Néantmoins après avoir ainsi chastié leur vaine gloire, cognoissant d’autre part que l’alliance faite avec Abraham pour luy et sa semence n’estoit pas de nulle valeur, mais avoit tousjours son importance, en le chapitre XI il déclaire comment on ne doit point contemner icelle semence charnelle d’Abraham, et qu’ils sont les droicts et premiers héritiers de l’Evangile, sinon d’autant que par leur ingratitude ils s’en rendent indignes. Si ne laisse-il toutesfois, quelque incrédules qu’ils soyent de les appeler Saincts, à cause de la saincte progénie dont ils sont descendus : disant que nous au pris d’eux ne sommes qu’avortons, qui avons esté prins pour estre entez en leur racine, dont ils sont les rameaux naturels. C’est la cause pourquoy il a falu que l’Evangile leur fust présenté en premier lieu, comme aux enfans premiers-nais en la maison du Seigneur, ausquels telle prérogative estoit deue, jusques à ce qu’ils l’ont refusée. Et encores ne les devons-nous contemner, quelque rébellion que nous voyions en eux, espérans que la bonté du g Seigneur est encores sur eux à cause de la promesse. Car sainct Paul tesmoigne qu’elle n’en départira jamais, disant que les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance ne mutation Rom. 11.29.
4.16.15
Voylà de quelle importance est la promesse donnée à Abraham pour les siens. Pourtant, combien que la seule élection du Seigneur domine en cest endroict, pour discerner les héritiers du Royaume céleste, d’avec ceux qui n’y ont nulle part, si a voulu ce bon Dieu mettre spécialement sa miséricorde sur la lignée d’Abraham, et la testifier et sceller par la Circoncision. Or il y a maintenant une mesme raison entre les Chrestiens. Car comme sainct Paul en ce passage-là dit que les Juifs sont sanctifiez par leur souche et origine : aussi autre part il afferme que les enfans des Chrestiens sont maintenant sanctifiez par leurs parens 1Cor. 7.14 : pourtant ils doyvent estre ségrégez des autres, lesquels demeurent immondes. Parquoy on peut facilement juger, que ce qu’ils prétendent conséquemment, est faux : c’est que les enfans d’aage, qui ont esté circoncis, ont figure seulement les enfans spirituels, qui sont régénérez par la Parole de Dieu. Sainct Paul ne l’a pas prins si haut, quand il a escrit que Jésus-Christ estoit ministre de la nation judaïque, pour confermer les promesses faites à leurs Pères Rom. 15.8 : comme s’il disoit, Puis que les promesses données à Abraham et aux Pères, sont pour leur semence, Jésus-Christ, afin d’accomplir la vérité de son Père, est venu pour tirer ceste nation à salut. Voylà comment mesmes après la résurrection de Jésus-Christ, sainct Paul entend tousjours la promesse devoir estre accomplie litéralement. Autant en dit sainct Pierre au chapitre II des Actes, dénonçant aux Juifs que la promesse leur appartient, à eux et à leurs enfans Actes 2.39. Et au chapitre III, il les appelle Enfans, c’est à dire héritiers des Testamens Actes 3.25, regardant toujours à ceste promesse. Ce que démonstre bien aussi le passage de sainct Paul, que nous avons ci-dessus allégué : car il met la Circoncision donnée aux enfans petis d’aage, pour tesmoignage de la communication spirituelle avec Christ Eph. 2.11. Et de faict, que pourroit-on autrement respondre à la promesse que fait le Seigneur à ses fidèles par sa Loy, dénonçant qu’il fera miséricorde à leurs enfans pour l’amour d’eux, en mille générations ? Dirons-nous que ceste promesse est abolie ? Mais ce seroit destruire la Loy de Dieu, laquelle plustost est establie par Christ, entant qu’elle nous tourne à bien et salut. Que ce nous soit doncques un point résolu, que le Seigneur reçoit en son peuple les enfans de ceux ausquels il s’est monstré Sauveur, et qu’en faveur des premiers il accepte les successeurs.
4.16.16
Les autres diversitez qu’ils taschent de monstrer entre la Circoncision et le Baptesme, sont du tout ridicules et sans propos : et mesmes répugnantes ensemble. Car après qu’ils ont affermé que le Baptesme appartient au premier jour de la bataille chrestienne, la Circoncision au huitième, après que la mortification est totalement faite : ils disent incontinent après, que la Circoncision figure la mortification de péché : le Baptesme est l’ensevelissement, après que nous y sommes morts. Certes un phrénétique ne se contrediroit tant ouvertement : car par l’un des propos il s’ensuyvroit que le Baptesme devroit précéder la Circoncision : par l’autre, on pourroit déduire qu’il la doit suyvre. Or il ne se faut esmerveiller de telle répugnance : car l’esprit de l’homme s’adonnant à forger fables et imaginations semblables à songes, est enclin à trébuscher en telles absurditez. Nous disons doncques que la première de ces deux différences qu’ils veulent mettre, est une pure resverie. Ce n’est pas en ceste manière qu’il faut allégoriser sur le huitième jour. Encores vaudroit-il beaucoup mieux exposer avec les Anciens, que c’estoit pour démonstrer le renouvellement de vie estre dépendant de la résurrection de Christ, laquelle a esté faite au huitième jour : ou bien, qu’il faut que ceste Circoncision de cœur soit perpétuelle, tant que ceste vie-ci dure. Combien qu’il y ait apparence que nostre Seigneur en ce jour ait regardé à la fragilité des enfans. Car voulant son alliance estre imprimée en leur corps, il est vraysemblable qu’il a mis ce terme, afin qu’ils fussent tellement confermez, que leur vie n’en fust point en danger. La seconde différence n’est pas plus certaine ne solide : car de dire que par le Baptesme nous soyons ensevelis après la mortification, c’est une mocquerie, plustost nous sommes ensevelis pour estre mortifiez, comme l’Escriture l’enseigne Rom. 6.4. Finalement, ils allèguent que si nous prenons la Circoncision pour le fondement du Baptesme, qu’il ne faudroit point que les femelles fussent baptisées ; veu qu’il n’y avoit que les masles seulement circoncis. Mais s’ils considéroyent bien la convenance de la Circoncision, ils délaisseroyent ceste raison tant frivole. Car d’autant que par ce signe le Seigneur démonstroit la sanctification de la semence d’Israël, il est certain qu’il servoit aussi bien aux femelles qu’aux masles : mais il ne leur estoit appliqué, pource que la nature ne le porte pas. Le Seigneur doncques en ordonnant que le masle fust circoncy, a comprins sous iceluy la femelle, laquelle ne pouvant recevoir la Circoncision en son propre corps, communiquait aucunement à la Circoncision du masle. Ainsi toutes ces folles fantasies délaissées et rejettées, comme elles le méritent, nous avons tousjours la similitude qui demeure entre le Baptesme et la Circoncision, touchant le mystère intérieur, les promesses, l’usage et l’efficace.
4.16.17
Conséquemment ils prétendent que le Baptesme ne doit estre communiqué aux petis enfans, lesquels ne sont encores capables du mystère qui y est présenté. Car comme il appert, le Baptesme signifie la régénération spirituelle, laquelle ne peut estre en cest aage-là. Pourtant, ils concluent qu’il les faut laisser enfans d’Adam, jusques à ce qu’ils auront prins accroissement pour parvenir à la seconde nativité. Tout cela répugne meschamment à la vérité de Dieu. Car s’il est question de les laisser enfans d’Adam, on les laisse en la mort, veu qu’il est dit qu’en Adam nous ne pouvons que mourir. Au contraire, Jésus-Christ dit qu’on les laisse approcher de luy Matt. 19.14. Pourquoy ? Pourtant qu’il est la vie. Il les veut doncques faire participans de soy pour les vivifier : et ceux-ci bataillent contre sa volonté, disans qu’ils demeureront en la mort. Car s’ils veulent caviller, qu’ils n’entendent pas que les enfans périssent, combien qu’ils demeurent enfans d’Adam : leur erreur est assez convaincu par l’Escriture, quand il est dit qu’en Adam nous sommes tous morts, et n’avons espérance de vie que par Christ 1Cor. 15.22. Il nous faut doncques avoir part en luy, pour estre faits héritiers de la vie. Pareillement il est dit autre part, que de nature nous sommes tous sous l’ire de Dieu, conceus en péché Eph. 2.3 ; Ps. 51.7, lequel porte tousjours damnation avec soy. Il s’ensuyt doncques qu’il nous faut sortir de nostre nature, pour communiquer au Royaume de Dieu. Et sçauroit-on dire chose plus ouvertement que ceci ? La chair et le sang ne posséderont point le Royaume de Dieu 1Cor. 15.50. Il faut doncques que tout ce qui est de nous soit anéanty, pour estre faits héritiers de Dieu : ce qui ne se fait sans régénération. En somme, il faut que la Parole de Jésus-Christ demeure véritable, où il afferme qu’il est la vie Jean 11.25 ; 14.6. Pourtant il nous faut estre en luy, pour eschapper la servitude de la mort. Mais comment, disent-ils, pourroyent estre les petis enfans régénérez qui n’ont cognoissance de bien ne de mal ? A cela nous respondons, que combien que l’œuvre de Dieu nous soit secrette et incompréhensible, néantmoins qu’elle ne laisse point de se faire. Or que le Seigneur régénère les petis enfans qu’il veut sauver, comme il est certain qu’il en sauve aucuns, il est très-évident. Car s’ils naissent en corruption, il faut qu’ils en soyent purgez devant qu’entrer au royaume céleste, auquel il n’entre nulle chose souillée Apo. 21.27. S’ils naissent pécheurs, comme David et sainct Paul en rendent tesmoignage Ps. 51.7 ; Eph. 2.3 il faut, pour estre agréables à Dieu, qu’ils soyent justifiez. Et que demandons-nous tant, quand le Juge céleste nous dit, qu’il nous faut tous renaistre pour avoir entrée en son royaume Jean 3.3. Et pour fermer la bouche aux murmurateurs, il a monstré en sainct Jehan-Baptiste, que c’est qu’il peut faire és autres, quand il l’a sanctifié dés le ventre de sa mère Luc 1.15. Et n’est à recevoir ceste cavillation, que s’il a esté une fois ainsi fait, ce n’est pas à dire qu’il le doyve tousjours estre. Car nous n’arguons point en ceste manière, mais nous voulons seulement monstrer, qu’iniquement ils veulent restreindre la puissance de Dieu envers les petis enfans, laquelle il a une fois déclairée. L’autre évasion est autant inepte, quand ils allèguent que c’est une manière de parler de l’Escriture, de dire. Dés le ventre de la mère, pour dés la jeunesse. Car on voit bien que l’Ange en parlant à Zacharie luy a voulu affermer, qu’estant encores au ventre de la mère il seroit rempli du sainct Esprit. Le Seigneur doncques sanctifiera bien ceux que bon luy semblera, comme il a sanctifié sainct Jehan, puisque sa main n’est pas accourcie.
4.16.18
Comment, disent-ils, cela se feroit-il ? veu que la foy est par l’ouye, comme dit sainct Paul, et les enfans n’ont discrétion de bien ne de mal. Mais ils ne regardent point que sainct Paul parle seulement de la manière ordinaire dont le Seigneur besongne pour donner la foy aux siens : non pas qu’il n’en puisse autrement user, comme de faict il en a usé en beaucoup, lesquels sans jamais leur faire ouyr parole il a touchez intérieurement, pour les attirer à la cognoissance de son nom. Et pource qu’il leur semble que cela répugne à la nature des enfans, lesquels selon Moyse n’ont encores discrétion du bien et du mal : je leur demande pourquoy ils veulent restreindre la puissance de Dieu : de ne sçavoir maintenant faire en partie aux enfans, ce qu’elle fait en eux parfaitement un peu après. Car si la plénitude de vie est en la parfaite cognoissance de Dieu, puis que le Seigneur réserve à salut d’aucuns lesquels décèdent petis enfans de ce monde, il est certain qu’ils auront la plene manifestation de Dieu. Puis doncques qu’ils l’ont parfaitement en la vie future, pourquoy n’en pourront-ils avoir yci quelque petit goust, ou en appercevoir quelque estincelle : sur tout veu que nous ne disons pas que Dieu les despouille d’ignorance, jusques à ce qu’il les retire de la prison de leurs corps ? Non pas que nous vueillions affermer que les enfans ayent foy, d’autant que nous ne sçavons comment Dieu besongne en eux : mais nostre intention est de monstrer la témérité et présomption de ces gens, lesquels selon leur folle fantasie afferment et nient ce que bon leur semble, sans avoir nul esgard à toute raison qu’on sçauroit amener 1Pi. 1.13.
4.16.19
Comment, disent-ils, cela se feroit-il ? veu que la foy est par l’ouye, comme dit sainct Paul, et les enfans n’ont discrétion de bien ne de mal. Mais ils ne regardent point que sainct Paul parle seulement de la manière ordinaire dont le Seigneur besongne pour donner la foy aux siens : non pas qu’il n’en puisse autrement user, comme de faict il en a usé en beaucoup, lesquels sans jamais leur faire ouyr parole il a touchez intérieurement, pour les attirer à la cognoissance de son nom. Et pource qu’il leur semble que cela répugne à la nature des enfans, lesquels selon Moyse n’ont encores discrétion du bien et du mal : je leur demande pourquoy ils veulent restreindre la puissance de Dieu : de ne sçavoir maintenant faire en partie aux enfans, ce qu’elle fait en eux parfaitement un peu après. Car si la plénitude de vie est en la parfaite cognoissance de Dieu, puis que le Seigneur réserve à salut d’aucuns lesquels décèdent petis enfans de ce monde, il est certain qu’ils auront la plene manifestation de Dieu. Puis doncques qu’ils l’ont parfaitement en la vie future, pourquoy n’en pourront-ils avoir yci quelque petit goust, ou en appercevoir quelque estincelle : sur tout veu que nous ne disons pas que Dieu les despouille d’ignorance, jusques à ce qu’il les retire de la prison de leurs corps ? Non pas que nous vueillions affermer que les enfans ayent foy, d’autant que nous ne sçavons comment Dieu besongne en eux : mais nostre intention est de monstrer la témérité et présomption de ces gens, lesquels selon leur folle fantasie afferment et nient ce que bon leur semble, sans avoir nul esgard à toute raison qu’on sçauroit amener Deut. 1.39.
4.16.20
Mais ils pressent encores de plus près, disans que le Baptesme est Sacrement de pénitence et de foy, comme l’Escriture nous enseigne. Puis doncques que pénitence et foy ne peuvent estre en un petit enfant, c’est une chose mal convenable de leur appliquer le Sacrement, veu qu’en ce faisant sa signification est rendue vaine. Ces argumens combatent contre l’ordonnance de Dieu, plus que contre nous. Car que la Circoncision ait esté signe de pénitence, il appert par plusieurs tesmoignages de l’Escriture : principalement du chapitre IV de Jérémie : et sainct Paul le nomme Sacrement de la Justice de foy Rom. 4.11. Qu’on demande doncques raison à Dieu, pourquoy il l’a fait appliquer aux petis enfans. Car puis que c’est une mesme raison, si cela n’a esté fait desraisonnablement, il n’y a non plus d’inconvénient au Baptesme. S’ils cherchent leurs subterfuges accoustumez, que les enfans d’aage ont figuré les vrais enfans régénérez : cela desjà leur est osté. Voyci doncques que nous disons. Puis que nostre Seigneur a voulu que la Circoncision, combien qu’elle fust Sacrement de foy et pénitence, fust communiquée aux enfans, il n’y a nul inconvénient que le Baptesme leur soit communiqué. Si ces calomniateurs ne veulent d’adventure accuser Dieu, en ce qu’il a fait telle ordonnance. Mais la vérité, sapience et justice de Dieu, reluit assez clairement en tous ses faits, pour confondre leur folie, mensonge et iniquité. Car combien que les enfans ne comprinssent point pour lors que vouloit dire la Circoncision, si ne laissoyent-ils pas d’estre circoncis en la chair, à la mortification intérieure de leur nature corrompue, pour la méditer et s’y estudier quand l’aage le porteroit, estans à ce instruits dés leurs premières années. Brief, ceste objection est solue en un mot, quand nous disons qu’ils sont baptisez en foy et pénitence pour l’advenir : desquelles combien qu’on ne voye point d’apparence, toutesfois la semence y est plantée par l’opération secrette du sainct Esprit. Par ceste raison se peuvent soudre tous autres passages qu’ils ameinent, appartenans à la signification du Baptesme. Comme quand de ce que sainct Paul l’appelle Le lavement de régénération et rénovation Tite 3.5, ils prétendent qu’on ne le doit bailler sinon à ceux qui sont capables d’estre régénérez et renouvelez. Mais nous aurons tousjours à répliquer, La Circoncision est signe de régénération et rénovation : elle ne se doit doncques bailler sinon à ceux qui en sont jà de présent participans. Et par ainsi, selon leur intention, l’ordonnance de Dieu, de circoncir les petis enfans, seroit folle et desraisonnable. Pourtant toutes les raisons qui combatent aussi bien contre la Circoncision, ne sont à recevoir pour impugner le Baptesme. Et ne peuvent calomnier qu’il faut laisser pour fait ce qui est institué du Seigneur : et qu’il faut avoir pour résolu qu’il est bon et sainct, sans en enquérir : laquelle révérence n’est pas deue aux choses lesquelles ne sont expressément commandées de luy. Car il n’y a sinon à respondre à ceste question : Ou Dieu a institué la Circoncision pour les petis enfans à bonne raison, ou non. Si elle a esté bien instituée, tellement qu’on ne puisse alléguer aucune absurdité à l’encontre, autant en est-il du Baptesme.
4.16.21
Parquoy à ce qu’ils prétendent nous amener à quelque absurdité, nous respondons ainsi : Les enfans recevans le signe de régénération et rénovation, s’ils décèdent de ce monde devant que venir en aage de cognoissance, s’ils sont des esleus du Seigneur, ils sont régénérez et renouvelez par son Esprit comme bon luy semble, selon sa vertu à nous cachée et incompréhensible. S’ils vienent jusques à l’aage qu’ils puissent estre instruits de la doctrine du Baptesme, ils cognoistront comment en toute leur vie ils ne doyvent faire autre chose que méditer ceste régénération, dont ils portent la marque dés leur enfance. En telle manière aussi faut-il entendre ce que sainct Paul enseigne au chapitre VI des Romains et au chapitre II des Colossiens, que par le Baptesme nous sommes ensevelis avec Christ Rom. 6.4 ; Col. 2.12. Car en disant ces choses, il n’entend pas qu’elles doyvent précéder le Baptesme : mais seulement enseigne quelle est la doctrine du Baptesme, laquelle se peut aussi bien monstrer et apprendre après l’avoir receu, comme paravant. Comme pareillement Moyse et les Prophètes remonstroyent au peuple d’Israël que la Circoncision vouloit dire, jà soit qu’ils eussent esté circoncis jeunes Deut. 10.16 ; Jér. 4.4. Pourtant s’ils veulent conclurre que tout ce qui est représenté au Baptesme doit précéder iceluy, leur faute est en cela par trop lourde : veu mesmes que ces choses ont esté escrites aux personnes lesquelles avoyent jà esté baptisées. Autant en faut-il dire de ce qu’escrit sainct Paul aux Galatiens : que nous tous qui sommes baptisez, avons vestu Jésus-Christ Gal. 3.27. Ce qui est vray. Mais à quelle fin ? Pour vivre d’oresenavant en luy : non pas pource qu’au paravant nous y avons vescu. Et combien que les grans ne doyvent recevoir le signe, que premièrement ils n’ayent intelligence de la chose, il y a diverse raison aux petis enfans, comme il sera dit en un autre lieu. A une mesme fin tend le dire de sainct Pierre, que le Baptesme respondant à la figure de l’Arche de Noé, nous est donné à salut 1Pi. 3.21. Non point l’ablution extérieure des souilleures de la chair, mais response de bonne conscience envers Dieu, qui est par la foy en la résurrection de Jésus-Christ. Si la vérité du Baptesme est bon tesmoignage de la conscience devant Dieu : quand cela sera séparé, que reste-il plus qu’une chose vaine et de nulle importance ? Parquoy si les petis enfans ne peuvent avoir ceste bonne conscience, leur Baptesme n’est que vanité et fumée. En cela ils se trompent tousjours, qu’ils veulent précisément que la vérité sans quelque exception précède le signe. Lequel erreur nous avons abondamment ci-devant réfuté. Car la Circoncision, pourtant si elle estoit baillée aux petis enfans, ne laissoit point d’estre Sacrement de la justice de la foy, de pénitence et régénération. Si ces choses eussent esté incompatibles, Dieu n’eust pas fait telle ordonnance. Mais en nous enseignant que la substance de la Circoncision est telle, et cependant l’assignant aux petis enfans, il nous monstre assez que touchant ces points-là, elle leur est baillée pour le temps advenir. Doncques la vérité présente qu’il nous faut considérer au Baptesme, quand il est donné aux petis enfans, c’est qu’il est testification de leur salut en scellant et confermant l’alliance de Dieu sur eux. Pourtant, toutes telles raisons ainsi démenées, ne sont que dépravations de l’Escriture, comme chacun peut veoir.
4.16.22
Nous traitterons en brief les autres argumens, lesquels se peuvent démesler sans grande difficulté. Ils allèguent que le Baptesme est un tesmoignage de la rémission de nos péchez : ce que nous accordons, et disons que par ceste raison il appartient aux petis enfans. Car estans pécheurs comme ils sont, ils ont besoin de pardon et rémission de leurs macules. Or puis que le Seigneur testifie qu’il veut faire miséricorde à cest aage, pourquoy luy refuserons-nous le signe qui est moindre que la chose ? Parquoy nous retournons l’argument contre eux. Le Baptesme est signe de la rémission des péchez : les enfans ont rémission de leurs péchez. Le signe doncques, qui doit suyvre la chose, à bon droict leur est communiqué. Ils produisent ce qui est escrit au chapitre V des Ephésiens, que nostre Seigneur a purgé son Eglise par le lavement d’eau en la parole de vie Eph. 5.26. Ce qui fait encores contre eux : car de cela nous déduisons telle raison : Si nostre Seigneur veut que la purgation qu’il fait de son Eglise, soit testifiée et confermée par le signe du Baptesme, et les petis sont de l’Eglise, puis qu’ils sont contez au peuple de Dieu, et appartienent au royaume des cieux : il s’ensuyt doncques qu’ils doyvent recevoir le tesmoignage de leur purgation, comme le reste de l’Eglise. Car sainct Paul sans nulle exception comprend généralement toute l’Eglise, quand il dit que nostre Seigneur l’a purgée par le Baptesme. De ce qu’ils allèguent du chapitre XII de la première épistre aux Corinthiens, que par le Baptesme nous sommes incorporez en Christ 1Cor. 12.13, on en peut autant déduire. Car si les petis enfans appartienent au corps de Christ, comme il appert de ce qui a esté dit : il est doncques convenable qu’ils soyent baptisez, pour estre conjoincts à leurs membres. Voilà comme ils bataillent vivement contre nous avec tant de passages qu’ils accumulent sans sens, sans propos, sans intelligence.
4.16.23
Après, par la prattique des Apostres, ils veulent monstrer comment il n’y a que les grans qui soyent capables de recevoir le Baptesme. Car sainct Pierre, disent-ils, estant interrogué de ceux qui se vouloyent convertir à nostre Seigneur, que c’est qu’ils avoyent à faire : il leur respond qu’ils facent pénitence et qu’un chacun d’eux soit baptisé en la rémission de leurs péchez Actes 2.37-38. Semblablement, quand l’Eunuque demande à sainct Philippe, s’il n’est pas loisible qu’il soir, baptisé : il luy respond, Ouy bien, moyennant qu’il croye de tout son cœur Actes 8.36-37. De cela ils concluent que le Baptesme n’est ordonné sinon pour ceux qui ont foy et repentance, et qu’on ne le doit ottroyer à nuls autres. Mais s’il est question d’y aller en ceste sorte, par le premier passage on trouveroit que la repentance suffiroit seule, veu qu’il n’y est fait mention aucune de la foy : et par le second, que la foy seule seroit assez, veu que la repentance n’y est point requise. Ils me diront que l’un des passages aide à l’autre : et partant qu’il les faut joindre pour en avoir bonne intelligence. Et semblablement nous disons que pour bien tout accorder, il faut assembler les autres passages, lesquels nous peuvent despescher de ceste difficulté, d’autant que le droict sens de l’Escriture souventesfois dépend de la circonstance. Nous voyons doncques que ces personnages, lesquels interroguent de ce qu’ils ont à faire pour se réduire au Seigneur, sont en aage d’intelligence. De tels nous ne disons pas qu’ils doyvent estre baptisez, sinon que premièrement on ait tesmoignage de leur foy et repentance, telle qu’on peut avoir entre les hommes. Mais les petis enfans engendrez des Chrestiens, doyvent bien estre mis en un autre rang. Et qu’il soit ainsi, nous ne le forgeons pas au plaisir de nostre cerveau, mais avons certaine asseurance de l’Escriture, pour y mettre une telle différence. Nous voyons que si quelqu’un anciennement se rangeoit avec le peuple d’Israël, pour servir au Dieu vivant, il faloit que devant que recevoir la Circoncision, premièrement il receust la Loy, et fust endoctriné de l’alliance que nostre Seigneur avoit avec son peuple : pource qu’il n’estoit pas de sa nature comprins en la nation judaïque, à laquelle ce Sacrement appartenoit.
4.16.24
Comme mesmes le Seigneur envers Abraham ne commence point par là, de le faire circoncir sans sçavoir pourquoy, mais il l’instruit de l’alliance laquelle il veut confermer par la Circoncision : et après qu’il a creu à la promesse, lors il luy ordonne le Sacrement. Pourquoy est-ce doncques qu’Abraham ne reçoit point le signe, sinon après la foy, et Isaac son fils le reçoit devant que rien entendre ? Pource que l’homme d’aage n’estant encores participant de l’alliance du Seigneur, pour y entrer doit premièrement sçavoir quelle elle est. Le petit enfant engendré de luy, estant héritier de l’alliance par succession, comme la promesse faite au père le porte, à bon droict est capable du signe, sans entendre quelle est la signification. Or pour le dire plus briefvement et plus clairement, puis que l’enfant du fidèle est participant de l’alliance de Dieu sans intelligence, il ne doit point estre débouté du signe, mais en est capable sans que l’intelligence y soit requise. C’est la raison pourquoy nostre Seigneur dit, que les enfans sortis de la lignée d’Israël luy ont esté engendrez comme ses propres enfans Ezéch. 16.20 ; 23.37 : se réputant le Père de tous les enfans de ceux ausquels il avoit promis estre leur Dieu, et le Dieu de leur semence. Celuy qui est infidèle, nay d’infidèles, jusques à ce qu’il viene à cognoissance de Dieu est estranger de l’alliance. Et pourtant ce n’est pas de merveille s’il n’a communication au signe : car ce seroit à fausses enseignes. Ainsi dit sainct Paul, que les Gentils du temps de leur idolâtrie estoyent sans Testament ny alliance Eph. 2.12. La chose maintenant me semble bien assez claire : c’est que les grans d’aage, qui se veulent réduire à nostre Seigneur, ne doyvent estre receus au Baptesme sans foy et repentance : veu que c’est la seule entrée qu’ils ont en l’alliance, laquelle est marquée par le Baptesme. Les enfans descendus des Chrestiens, ausquels elle appartient en héritage par la vertu de la promesse, pour ceste seule cause sont idoines d’y estre admis. Autant faut-il dire de ceux qui confessoyent leurs fautes et offenses pour estre baptisez de Jehan Matt. 3.6, veu qu’en eux nous ne voyons autre exemple, sinon celuy que nous voudrions observer. Car s’il venoit quelque Juif, Turc, ou Payen, nous ne luy voudrions communiquer le Baptesme devant que l’avoir deuement instruit, et avoir sa confession telle qu’en pensissions estre satisfaits. Car combien qu’Abraham n’ait esté circoncy qu’après avoir esté instruit, cela ne porte point préjudice que les enfans après luy ne soyent circoncis sans instruction, jusques à tant qu’ils en seront capables.
4.16.25
Mais encores pour monstrer que la nature du Baptesme est telle qu’elle requiert une régénération présente, ils prenent tesmoignage de ce qui est dit au chapitre III de sainct Jehan, Quiconques ne sera régénéré d’eau et de l’Esprit, il n’entrera point au Royaume céleste Jean 3.5. Voylà, disent-ils, comment, nostre Seigneur appelle le Baptesme : Régénération. Si doncques ainsi est que les enfans soyent incapables d’estre régénérez, comment seront-ils idoines à recevoir le Baptesme, qui ne peut estre sans cela ? Premièrement, ils s’abusent en ce qu’ils réfèrent ce propos au Baptesme, pource qu’il est là fait mention d’eau. Car après que Jésus-Christ a déclairé à Nicodème la corruption de nostre nature, et a dit qu’il nous faloit renaistre : pource que Nicodème imaginoit une seconde nativité du corps, il démonstre la façon comment Dieu nous régénère, asçavoir en eau et en Esprit : comme s’il disoit, Par l’Esprit, qui en purgeant et arrousant les âmes, a l’office d’eau. Je pren doncques simplement l’eau et l’Esprit pour l’Esprit qui est eau. Et n’est point ceste forme de parler nouvelle : car elle convient avec une autre qui est au chapitre III de sainct Matthieu où Jehan-Baptiste dit, Celuy qui me suit, est celuy qui baptise au sainct Esprit et au feu Matt. 3.11. Comme doncques baptiser du sainct Esprit et de feu, est donner le sainct Esprit, lequel a la nature et propriété de feu, en régénérant les fidèles, ainsi Renaistre par l’eau et l’Esprit, n’est autre chose que recevoir la vertu du sainct Esprit, lequel fait en l’âme ce que l’eau fait au corps. Je sçay bien que les autres interprètent autrement ce passage : mais je ne doute pas que ce ne soit yci le vray sens et naturel, veu que l’intention de Christ n’est autre chose, que d’advertir qu’il nous faut desvestir de nostre propre nature, pour aspirer au royaume des cieux. Combien que si je vouloye en badinant caviller à leur façon, j’auroye à répliquer que quand nous leur aurons ottroyé tout ce qu’ils demandent, il s’ensuyvra que le Baptesme précède foy et repentance, veu qu’en la sentence de Christ il est mis en ordre devant le mot d’Esprit. Il n’y a doute qu’il ne soit là parlé des dons spirituels. Or s’ils suyvent le Baptesme, j’ay gaigné ce que je préten. Mais laissans tous subterfuges, contentons-nous de la simple interprétation que j’ay amenée : asçavoir que nul jusques à ce qu’il soit régénéré d’eau vive, n’entrera au Royaume des cieux.
4.16.26
D’avantage, il appert encores par autre raison, que leur glose ne doit estre admise : veu que tous ceux qui n’auroyent esté baptisez, seroyent exclus du royaume de Dieu. Or je présuppose que leur opinion fust tenue de ne point baptiser les petis enfans : que diroyent-ils d’un jeune enfant, qui auroit esté instruit droictement en nostre foy, s’il venoit à trespasser devant qu’on eust loisir de le baptiser ? Nostre Seigneur dit, que quiconques croit au Fils, il a la vie éternelle, et ne viendra en condamnation, mais est jà passé de mort à vie Jean 5.24. Nulle part il ne damne ceux qui n’auront point esté baptisez. Ce que n’entendons estre dit en contemnement du Baptesme comme si on le pouvoit négliger : mais seulement nous voulons monstrer qu’il n’est pas tellement nécessaire, que celuy ne soit excusable de ne l’avoir point receu, qui aura eu empeschement légitime. Au contraire, selon leur exposition, tous tels seroyent condamnez sans exception : jà soit qu’ils eussent la foy, par laquelle nous possédons Jésus-Christ. Mais encores sans cela ils condamnent tous les petis enfans, ausquels ils desment le Baptesme, qu’ils disent estre nécessaire à salut. Maintenant qu’ils accordent leur dire avec la Parole de Christ, par laquelle le Royaume céleste leur est adjugé Matt. 19.14. Et encores que nous leur concédions tout ce qu’ils demandent, si est leur illation fausse, et prinse d’une fausse et folle raison, que les enfans ne peuvent estre régénérez : comme il appert de la déduction ci-dessus traittée amplement : c’est, que sans la régénération il n’y a nulle entrée au royaume de Dieu, ne pour les petis ne pour les grans. Or puis qu’il y en a de ceux qui décèdent petis enfans, qui sont héritiers du royaume de Dieu, il s’ensuyt bien qu’ils sont paravant régénérez. Le reste des choses signifiées a lieu en eux, au temps que le Seigneur aura disposé pour leur en donner la cognoissance.
4.16.27
Surtout, pour faire leur grand bouclier, et comme la principale forteresse de leur opinion, ils allèguent la première institution du Baptesme laquelle ils disent avoir esté faite par les paroles escrites au dernier de sainct Matthieu, Allez : instruisez toutes nations, les baptisans au nom du Père et du Fils et du sainct Esprit : les enseignans de garder tout ce que je vous ay commandé Matt. 28.19. A quoy ils joignent ce passage du dernier de sainct Marc, Qui croira et sera baptisé, il sera sauvé Marc 16.16. Voylà, disent-ils, comment nostre Seigneur commande d’instruire devant que baptiser, et monstre que la foy doit précéder le Baptesme. Et de faict, nostre Seigneur a bien monstré cela par son exemple, lequel n’a point esté baptisé jusques en l’aage de trente ans Matt. 3.13 ; Luc 3.23. En cest endroict ils faillent en beaucoup de sortes. Car c’est un erreur trop évident, de dire que le Baptesme ait esté lors premièrement institué, lequel avoit duré tout le temps de la prédication de Jésus-Christ. Puis doncques qu’il avoit esté institué devant qu’estre en usage : comment dirons-nous que si long temps après, la première institution en ait esté faite ? Parquoy c’est en vain qu’ils taschent de prendre la première ordonnance, pour nous limiter la doctrine du Baptesme à ce passage précisément. Toutesfois, laissans là ceste faute, considérons combien sont fortes leurs raisons. Or elles ne serrent pas tant que n’en peussions bien eschapper, s’il estoit mestier de tergiverser. Car puis qu’ils se fondent si estroitement sur l’ordre et la disposition des mots, prétendans qu’il faut instruire premièrement que baptiser, et croire devant que recevoir le Baptesme, pource qu’il est dit, Instruisez et baptisez : item. Qui croira et sera baptisé : par mesme raison il nous seroit loisible de répliquer qu’il faut baptiser devant qu’enseigner à garder les choses que Jésus a commandées : veu qu’il est dit : Baptisez, les enseignans de garder tout ce que je vous ay commandé. Ce qu’aussi nous avons monstré en l’autre sentence n’aguères alléguée, touchant d’estre régénérez d’eau et d’Esprit : car nous leur prouverons bien ainsi, que le Baptesme devroit précéder la régénération spirituelle, puisqu’il est nommé devant : car il n’est pas dit. Qui sera régénéré d’Esprit et d’eau : mais d’eau et d’Esprit.
4.16.28
Leur argument semble desjà advis aucunement abatu. Encores néantmoins ne nous arrestons-nous pas là : ayans response pour défendre, la vérité, beaucoup plus certaine et solide : c’est que le principal mandement que baille yci nostre Seigneur à ses Apostres : est d’annoncer l’Evangile : auquel il adjouste le ministère de baptiser, comme une dépendance de leur propre commission et principale charge. Pourtant il n’est yci parlé du Baptesme, sinon d’autant qu’il est conjoinct à la doctrine et prédication : comme il se pourra mieux entendre par plus longue déduction. Le Seigneur doncques envoye ses Apostres pour instruire les hommes de toutes nations de la terre. Et lesquels ? il est certain qu’il n’entend sinon ceux qui sont capables de recevoir doctrine. Après il dit que tels, après avoir esté instruits, doyvent estre baptisez. Et en poursuyvant son propos, il dit que tels, en croyant et estant baptisez, seront sauvez. Est-il yci fait mention des petis enfans, ny en une part ny en l’autre ? Quelle forme doncques d’arguer est ceste-ci dont ils usent ? Les gens d’aage doyvent estre instruits, et croire devant qu’estre baptisez : le Baptesme doncques n’appartient point aux petis enfans. Qu’ils se tormentent tant qu’ils voudront : ils ne peuvent tirer autre chose de ce passage, sinon qu’on doit prescher l’Evangile à ceux qui sont capables d’ouyr, devant que les baptiser, puis que de tels seulement il est question. C’est doncques bien pervertir les paroles du Seigneur, sous ombre de cela exclurre les petis enfans du Baptesme.
4.16.29
Et afin que chacun puisse toucher au doigt leurs fallaces, je monstreray par similitude en quoy elles gisent. Quand sainct Paul dit que quiconques ne travaillera, qu’il ne mange 2Thess. 3.10 : si de cela quelqu’un vouloit inférer que les petis enfans ne doyvent point estre nourris, ne seroit-il point digne de la mocquerie de tout le monde ? Pourquoy ? Pourtant que ce qui est dit d’une partie, il le tireroit généralement à tous. Or ces bons personnages n’en font pas moins en ceste matière ; car ce qui est dit spécialement des grans, ils le rapportent aux petis, pour en faire une reigle générale. Touchant de l’exemple de nostre Seigneur, il ne les peut en rien favoriser. Il n’est baptisé que jusques à l’aage de trente ans Luc 3.23. Mais c’est pource que lors il veut commencer sa prédication, et par icelle fonder le Baptesme : lequel avoit desjà esté commencé par Jehan. Voulant doncques instituer le Baptesme en sa doctrine dés le commencement, pour le mieux authoriser il le sanctifie premièrement en son corps, voire au temps qu’il cognoissoit estre propre et convenable à ce faire : asçavoir voulant commencer à exécuter la charge à luy commise. En somme, ils n’arracheront autre chose, sinon que le Baptesme a eu son origine de la prédication de l’Evangile. Et si bon leur semble d’assigner le terme de trente ans, pourquoy doncques ne l’observent-ils, mais reçoyvent au Baptesme tous ceux qui ont desjà assez proufité comme il leur semble ? Mesmes Servet l’un de leurs maistres, pource qu’il insistoit opiniastrément sur les trente ans, fut descouvert s’estre vanté desjà en l’aage de vingt ans d’estre Prophète. Comme si c’estoit une chose supportable, qu’un homme se vante d’estre Docteur en l’Eglise, devant qu’il en soit membre pour y estre novice.
4.16.30
Ils nous objectent que par mesme raison la Cène devroit estre communiquée aux petis enfans, lesquels nous ne voulons recevoir à icelle. Comme si la diversité n’estoit pas assez expressément notée en l’Escriture, voire en toutes manières. Je confesse que cela s’est fait en l’Eglise ancienne, comme il appert par quelques passages des Docteurs. Mais ceste coustume a esté abolie justement et à bon droict. Car si nous considérons la nature et propriété du Baptesme, nous trouverons que le Baptesme est la première entrée que nous avons pour estre recognus membres de l’Eglise, et avoir lieu entre le peuple de Dieu. Pourtant il est le signe de nostre régénération et nativité spirituelle, par laquelle nous sommes faits enfans de Dieu. Au contraire, la Cène a esté ordonnée pour ceux qui ayans passé la première enfance, sont capables de viande solide, A quoy nous avons la parole du Seigneur fort évidente. Car quant au Baptesme, elle ne met nulle distinction d’aage : mais elle ne permet pas la Cène estre communiquée sinon à ceux qui peuvent discerner le corps du Seigneur, qui se peuvent examiner et esprouver, qui peuvent annoncer la mort du Seigneur Matt. 27.26 ; Luc 22.19. Voudrions-nous chose plus ouverte que cela ? Qu’un chacun s’esprouve soy-mesme, puis qu’il mange de ce pain, et boyve de ce calice 1Cor. 11.28. Il faut doncques que la probation précède, laquelle ne peut estre aux petis enfans. Item, Qui en mange indignement, il prend sa condamnation, ne discernant point le corps du Seigneur 1Cor. 11.29. S’ils n’en peuvent estre participans dignement, sinon avec approbation, ce ne seroit pas humainement fait à nous, de donner aux petis enfans de la poison, au lieu de nourriture. Item, Vous ferez ceci en commémoration de moy. Pourtant toutesfois que vous prendrez de ce pain, et beuvrez de ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. Comment pourroyent annoncer la mort du Seigneur les enfans qui ne peuvent encores parler ? Toutes ces choses ne sont pas requises au Baptesme : pourtant la différence est grande entre ces deux signes, laquelle mesmes a esté observée sous le Vieil Testament aux signes semblables et respondans à ceux-ci. Car la Circoncision, laquelle estoit au lieu du Baptesme, estoit destinée aux petis enfans : mais l’Agneau paschal, pour lequel maintenant nous avons la Cène, n’appartenoit à autres enfans, sinon à ceux qui pouvoyent interroguer quelle en estoit ceste signification Gen. 17.12 ; Exo. 12.26. Si ces povres gens avoyent un grain de bon sens ils ne seroyent pas tant aveugles, de n’appercevoir ces choses, lesquelles se monstrent d’elles-mesmes à l’œil.
4.16.31
Combien qu’il me fasche d’amasser tant de resveries frivoles qui pourront enyvrer les lecteurs, toutesfois pource que Servet se meslant aussi de mesdire du Baptesme des petis enfans, a cuidé amener de fort belles raisons, il sera besoin de les rabatre briefvement. Il prétend que les signes donnez par Christ estans parfaits, requièrent que ceux qui s’y présentent soyent aussi parfaits ou capables de perfection. La solution est aisée : puis que la perfection du Baptesme s’estend jusques à la mort, qu’il confond tout ordre, la restreignant à un jour et à une minute de temps. J’adjouste aussi qu’il se monstre trop sot, cherchant perfection en l’homme au premier jour de son Baptesme, où nous sommes conviez d’y tendre journellement tout le temps de nostre vie. Il objecte que les Sacremens de Jésus-Christ sont donnez pour mémoriaux, afin que chacun se souviene que nous sommes ensevelis avec luy. Je respon que ce qu’il a controuvé de sa teste n’a pas besoin d’estre réfuté. Qui plus est, il appert par les mots de sainct Paul, que ce qu’il veut tirer au Baptesme, est particulier à la Cène : asçavoir que chacun s’examine 1Cor. 11.26, 28. Car on ne trouvera pas que jamais il ait esté rien dit de semblable du Baptesme. Dont nous concluons que les petis enfans qui ne sont encores capables d’examen, ne laissent pas d’estre deuement baptisez. Quant à ce qu’il objecte, que tous ceux qui ne croyent point au Fils de Dieu demeurent en la mort, et que l’ire de Dieu demeure sur eux Jean 3.36, et par ainsi que les enfans qui ne peuvent croire, demeurent plongez en leur damnation : je respon qu’il n’est point parlé en ce passage de la coulpe générale, à laquelle Adam nous a tous obligez : mais que Jésus-Christ menace les contempteurs de l’Evangile, qui rejettent fièrement et avec rébellion la grâce qui leur est offerte : ce qui n’appartient de rien aux petis enfans. J’oppose aussi une raison contraire, c’est que tous ceux qui sont bénis de Christ, sont exemptez de la malédiction d’Adam, et de l’ire de Dieu. Or il a bénit les petis enfans, comme il est notoire : il s’ensuyt doncques qu’il les délivre de mort. Il allègue faussement ce qui ne se trouvera nulle part en l’Escriture, que celuy qui est nay de l’Esprit, oit la voix de l’Esprit. Mais encores que nous luy callions ceste faute, il ne pourra tirer autre chose, sinon que les fidèles sont induits à suyvre Dieu selon que l’Esprit besongne en eux. Or c’est un vice trop lourd, de tirer égualement à tous ce qui est dit de quelque nombre. Il objecte en quatrième lieu : puis que ce qui est sensuel précède 1Cor. 15.46, que le Baptesme qui est spirituel n’a pas son temps opportun jusques à ce que l’homme soit renouvelé. Or combien que je confesse que toute la lignée d’Adam estant charnelle apporte sa condamnation du ventre de la mère : toutesfois je nie que cela empesche que Dieu n’y remédie sitost que bon luy semble. Car Servet ne me monstrera pas qu’il y ait terme assigné, auquel la nouveauté de la vie spirituelle doyve commencer. Sainct Paul tesmoigne, combien que les enfans des fidèles soyent de nature en mesme perdition que les autres, que toutesfois ils sont sanctifiez par grâce supernaturelle 1Cor. 7.14. Il ameine puis après une allégorie : c’est que David montant en la forteresse de Sion, ne mena point avec soy les aveugles, ne les boiteux, mais des vaillans gendarmes 2Sam. 5.8. Mais si je luy rejette en barbe la parabole, où il est dit que Dieu convie à son banquet les aveugles et les boiteux Luc 14.21, comment se despestrera-il de ce nœud ? Je demande plus outre, si les boiteux et aveugles n’avoyent point combatu desjà au paravant avec David. Dont il s’ensuyt qu’ils estoyent de l’Eglise. Mais c’est chose superflue d’insister plus long temps yci, veu que ce n’est qu’une fausseté controuvée par luy. S’ensuyt une autre allégorie : c’est que les Apostres ont esté pescheurs des hommes Matt. 4.19, non pas des petis enfans. Je luy demande à l’opposite, que veut dire ceste sentence de Jésus-Christ, que l’Evangile est une rets pour attirer toute sorte de poissons Matt. 13.47. Mais pour ce que je ne pren point plaisir à me jouer des choses sainctes, je respon, quand la charge d’enseigner les grans a esté commise aux Apostres, qu’il ne leur a pas esté défendu de baptiser les petis. Combien que je voudroye encores sçavoir de luy, veu que le mot grec dont use l’Evangéliste, signifie toutes créatures humaines, pourquoy il en exclud les petis enfans. Il allègue, puisque les choses spirituelles se doyvent approprier aux spirituels 1Cor. 2.13, que les enfans qui ne sont point spirituels, ne sont non plus idoines à estre receus au Baptesme. Mais en premier lieu il corrompt meschamment la sentence de sainct Paul. Il est question de la doctrine. Pource que les Corinthiens se plaisoyent par trop en leur subtilité, sainct Paul rédargue leur bestise en ce qu’il leur faloit encores enseigner les rudimens de la Chrestienté. Qui est-ce qui inférera de là, qu’il fale refuser le Baptesme aux petis enfans, lesquels Dieu se dédie par son adoption gratuite, combien qu’ils soyent nais de la chair. Quant à ce qu’il objecte, que s’ils sont nouveaux hommes comme nous disons, ils devroyent estre nourris de viande spirituelle : la solution est facile, c’est qu’ils sont receus au troupeau de Jésus-Christ par le Baptesme, et que ceste marque de leur adoption suffit, jusques à ce qu’ils grandissent pour porter la viande ferme. Et ainsi, qu’il faut attendre le temps de l’examen, lequel Dieu requiert notamment en la Cène. Il objecte d’avantage, que Christ convie à la Cène tous ceux qui sont siens. Je respon au contraire, qu’il n’y admet sinon ceux qui sont desjà appareillez à célébrer la mémoire de sa mort. Dont il s’ensuyt que les enfans, lesquels il a bien daigné recevoir entre ses bras, ne laissent pas d’estre de l’Eglise, combien qu’ils demeurent en leur degré inférieur. A ce qu’il réplique que c’est une chose monstrueuse, qu’un homme estant nay ne mange point : je respon que les âmes sont autrement repeues qu’en mangeant le pain visible de la Cène : et pourtant que Jésus-Christ ne laisse pas d’estre pain des petis enfans, combien qu’ils s’abstienent du signe extérieur, qu’il y a autre raison au Baptesme, par lequel seulement la porte leur est ouverte en l’Eglise. Il ameine ceste sentence, qu’un bon mesnager distribue la portion à sa famille en temps opportun Matt. 24.45 : ce que je confesse. Mais de quelle authorité, et à quel tiltre nous déterminera-il le temps du Baptesme, pour prouver qu’on ne le puisse donner en temps opportun aux petis enfans ? Il ameine aussi le commandement que fait Jésus-Christ à ses Apostres, de courir à la moisson quand les champs blanchissent Jean 4.35 : mais à quel propos ? Nostre Seigneur Jésus pour mieux inciter ses Apostres, afin qu’ils s’esvertuent tant mieux à faire leur office, leur propose que le fruit de leur labeur est présent : peut-il inférer de là qu’il n’y ait temps meur ne propre pour le Baptesme, sinon en moisson ? L’onzième raison est, qu’en l’Eglise primitive tous Chrestiens estoyent nommez Disciples Actes 11.26 : et par ainsi, que les petis enfans ne peuvent estre du nombre. Mais nous avons desjà veu combien sa déduction est sotte, en concluant de tous, ce qui est seulement prononcé d’une partie. Sainct Luc appelle Disciples ceux qui avoyent esté desjà enseignez, et faisoyent profession de Chrestienté : comme sous la Loy les Juifs estoyent disciples de Moyse, voire ceux qui estoyent parvenus en aage : mais il ne s’ensuyt pas de là, que les petis enfans fussent estrangers, lesquels Dieu a testifié estre ses domestiques, et les a tenus pour tels. Il allègue que tous Chrestiens sont frères : et puis que nous ne donnons point la Cène aux petis enfans, que nous ne les tenons pas de ce rang. Pour response je revien tousjours à ce principe, que nul n’est héritier du royaume des cieux, qu’il ne soit membre de Jésus-Christ. Au reste, que l’embrassement dont il a honoré les petis enfans, a esté une vraye marque de leur adoption, par laquelle il les a conjoincts avec les grans. Ce que pour un temps ils sont forclos de la Cène, cela n’empesche pas qu’ils n’appartiennent au corps de l’Eglise. Et de faict, le brigand estant converti en la croix Luc 23.42, n’a pas laissé d’estre frère des fidèles, combien que jamais il ne soit approché de la Cène. Il adjouste que nul n’est fait nostre frère, que par l’Esprit d’adoption, lequel n’est donné que par l’ouye de la foy Rom. 10.17. Je respon que tousjours il retombe de son asne, appliquant mal et sottement aux petis enfans ce qui n’est dit que des gens aagez. Car sainct Paul monstre là, que Dieu use de ceste façon ordinaire pour appeler ses esleus à la foy : c’est de leur susciter des bons Docteurs, par le labeur et instruction desquels il leur tend la main. Mais qui est-ce qui luy osera imposer loy, qu’il n’incorpore en Jésus-Christ d’une autre façon secrette les petis enfans ? Ce qu’il allègue, que Corneille le Centenier a esté baptisé ayant desjà receu le sainct Esprit, c’est une sottise trop lourde, de faire une reigle générale d’un exemple singulier. Ce qui appert par l’Eunuque et les Samaritains Actes 10.44 ; 8.17, 38, ausquels Dieu a tenu un ordre divers, voulant qu’ils fussent baptisez devant que leur donner le sainct Esprit. La quinzième raison est de nulle saveur. Il dit que nous sommes faits dieux par régénération. Or est-il ainsi que ceux ausquels la Parole de Dieu est donnée, sont dieux Jean 10.33 : ce qui ne compète pas aux petis enfans. Ce qu’il forge une déité aux fidèles, est une de ses resveries, laquelle je ne débatray point pour ceste heure : mais c’est une impudence trop désespérée à luy, de tirer ainsi par les cheveux le passage du Pseaume. Jésus-Christ expose ce passage que les Roys et gens de justice sont nommez Dieux, pource qu’ils sont ordonnez de luy en leur estat. Ce Docteur subtil, pour surmonter le Fils de Dieu, tire à la doctrine de l’Evangile ce qui est dit de la charge particulière des Magistrats, pour exterminer de l’Eglise les petis enfans. Il objecte derechef, que les petis enfans ne peuvent estre réputez nouvelles créatures, d’autant qu’ils ne sont point engendrez par la Parole. Je n’ay point honte de réitérer ce que j’ay souvent dit : asçavoir que la doctrine de l’Evangile est semence incorruptible 1Pi. 1.23 pour régénérer ceux qui sont suffisans à la comprendre : mais quand l’aage n’est pas encores pour estre enseigné, que Dieu tient ses degrez pour régénérer ceux qu’il a adoptez. Il retourne encores à ses allégories, disant que sous la Loy les bestes n’estoyent pas offertes incontinent qu’elles estoyent sorties du ventre. S’il estoit licite de tirer ainsi les figures à nostre poste, je respon que tous premiers-nais ouvrans la matrice, estoyent de leur naissance consacrez à Dieu Exo. 13.2 : item, que notamment il estoit commandé d’offrir un agneau d’un an Exo. 12.5. Dont il s’ensuyt qu’il ne faut point attendre aage d’homme pour sanctifier les enfans à Dieu : mais qu’ils luy doyvent estre réservez et appropriez dés leur naissance. Il débat d’avantage, qu’on ne peut venir à Christ, qu’on n’ait esté préparé par Jehan-Baptiste. Voire, comme si l’office de Jehan-Baptiste n’eust pas esté temporel. Mais encores que je luy quitte cela, il n’y avoit nulle telle préparation aux petis enfans, lesquels Jésus-Christ embrasse et bénit. Pourtant, qu’il s’en aille avec son faux principe et controuvé. Finalement, il ameine pour advocat Mercure, surnommé Souverainement très-grand, et les Sibylles, lesquels disent [que les lavemens ne convienent qu’à ceux qui sont desjà grans. Voylà en quelle estime et révérence il a le Baptesme de Christ, lequel il range et assujetit aux cérémonies des gens profanes : tellement qu’il ne soit licite d’en user, sinon comme il plaira à un disciple de Platon. Mais l’authorité de Dieu nous est bien pardessus, auquel il a pleu de dédier à soy les petis enfans : voire les sanctifiant avec signe solennel, duquel ils ne comprenoyent point encores la force. Et n’estimons pas qu’il soit licite d’emprunter reigle des expiations des Payens, laquelle change en nostre Baptesme la loy inviolable que Dieu a establie en la Circoncision. Pour conclusion, il argue que s’il est licite de baptiser sans intelligence, le Baptesme que font les petis enfans en leurs jeux et badinages sera vallable. Mais je le renvoye à Dieu pour plaider contre luy, veu qu’il a ordonné que la Circoncision fust commune tant aux grans qu’aux petis, sans attendre que les enfans veinssent en aage d’homme. Puis que tel a esté le commandement de Dieu, malheur sur celuy qui sous telle couleur voudra renverser l’institution saincte et immuable de Dieu. Mais il ne se faut point esbahir si ces esprits réprouvez, comme estans transportez de phrénésie, desgorgent des absurditez tant énormes pour maintenir leurs erreurs, veu que Dieu punit justement par telle forcenerie leur orgueil et obstination. Certes je pense avoir assez évidemment monstré combien les raisons de Servet sont débiles, pour aider ses confrères en cest endroict Rom. 10.17.
4.16.32
Ce que nous avons dit est assez suffisant, comme on peut veoir, pour monstrer comment sans raison ne propos ceux-là troublent l’Eglise du Seigneur lesquels esmeuvent questions et débats, afin de réprouver l’observation saincte qui depuis les Apostres a esté gardée diligemment des fidèles, puis que nous avons évidemment prouvé qu’elle a certain et asseuré fondement sur la saincte Escriture : et au contraire, avons abondamment réfuté toutes les objections, lesquelles ont accoustumé de se faire à l’encontre. Tellement que nous ne doutons point que tous bons serviteurs de Dieu, après avoir leu ce traité, ne soyent plenement satisfaits, et n’apperçoyvent à l’œil que tous les assauts qui se font pour renverser et abolir ceste saincte ordonnance, ne soyent cauteleuses machinations du diable, afin de diminuer le fruict singulier de fiance et consolation que le Seigneur nous a voulu donner par sa promesse, et obscurcir d’autant la gloire de son nom : laquelle est d’autant plus exaltée, que les largesses de sa miséricorde sont amplement espandues sur les hommes. Car quand le Père céleste visiblement nous testifie par le signe du Baptesme, que pour l’amour de nous il veut avoir esgard à nostre postérité, et estre Dieu de nos enfans, n’avons-nous point bonne matière de nous resjouir, à l’exemple de David, réputans que Dieu prend envers nous la personne d’un bon père de famille, estendant non-seulement sur nous sa providence, mais sur les nostres après nostre mort. En laquelle resjouissance Dieu est singulièrement glorifié. Voylà pourquoy Satan s’efforce de priver nos enfans de la communication du Baptesme : c’est afin que ceste testification que le Seigneur a ordonnée pour nous confermer les grâces qu’il leur veut faire, estant effacée de devant nos yeux, petit à petit nous oubliions pareillement la promesse qu’il nous a donnée pour eux. Dont s’ensuyvroit non-seulement une ingratitude et mescognoissance de la miséricorde de Dieu envers nous, mais une négligence d’instruire nos enfans en crainte et discipline de sa Loy, et en la cognoissance de son Evangile. Car ce n’est pas petit aiguillon pour nous inciter à les nourrir en vraye piété et obéissance de Dieu, quand nous entendons que dés leur nativité le Seigneur les a receus entre son peuple, pour membres de son Eglise. Parquoy ne rejettans point la grande bénignité de nostre Seigneur, présentons-luy hardiment nos enfans, ausquels il a donné par sa promesse entrée en la compagnie de ceux qu’il advoue pour ses familiers et domestiques de sa maison, qui est l’Eglise chrestienne.
Chapitre XVII
De la sacrée Cène de Jésus-Christ, et que c’est qu’elle nous apporte.
4.17.1
Après que Dieu nous a une fois receus en sa famille, et non-seulement pour nous avoir pour serviteurs, mais pour nous tenir au rang de ses enfans : afin d’accomplir tout ce qui est convenable à un bon Père, et qui a le soin de sa lignée, quant et quant il prend la charge de nous sustenter et nourrir tout le cours de nostre vie. Mais encores ne se contentant point de cela, il nous a donné un gage pour nous mieux certifier de ceste libéralité, laquelle continue sans fin. Et c’est pourquoy il a donné par la main de son Fils à son Eglise le second Sacrement : asçavoir le banquet spirituel : où Jésus-Christ nous tesmoigne qu’il est pain vivifiant, dont nos âmes soyent nourries et repeues à l’immortalité bienheureuse. Or pource que la cognoissance de ce haut mystère est fort nécessaire, et à cause de sa grandeur requiert une singulière diligence : et à l’opposite que Satan, afin de priver l’Eglise de ce thrésor inestimable, l’a desjà de long temps obscurcy, premièrement par nioles et brouées, et puis après par ténèbres fort espesses : outreplus, a esmeu contentions et débats pour en desgouster les hommes : mesmes de nostre temps s’est servy de mesme ruse et artifice : je mettray peine en premier lieu d’exposer la somme de ce qu’il en faut cognoistre, selon la capacité des rudes et idiots : et puis je despescheray les difficultez dont Satan a tasché d’envelopper le monde. Premièrement, les signes sont du pain et du vin, qui nous représentent la nourriture spirituelle que nous recevons du corps et du sang de Jésus-Christ. Car comme Dieu nous régénérant par le Baptesme, nous incorpore en son Eglise, et fait siens par adoption : aussi, comme nous avons dit, il accomplit l’office d’un bon père de famille et prouvoyable, en nous eslargissant continuellement viande propre pour nous conserver et maintenir en la vie, à laquelle il nous a engendrez par sa Parole. Or la seule pasture des âmes, est Jésus-Christ. Parquoy le Père céleste nous convie à luy, afin qu’estans repeus de sa substance nous cueillions de jour en jour nouvelle vigueur, jusques à ce que nous parvenions à l’immortalité céleste. Et pource que ce mystère de communiquer à Jésus-Christ est incompréhensible de nature, il nous en monstre la figure et image en signes visibles fort propres à nostre petitesse : mesmes comme s’il nous en donnoit les arres, il nous le rend aussi asseuré que si nous le voyions à l’œil, d’autant que ceste similitude tant familière entre jusques aux esprits les plus lourds et grossiers : c’est que tout ainsi que le pain et le vin soustienent nos corps en ceste vie transitoire, aussi nos âmes sont nourries de Christ. Nous voyons doncques à quelle fin tend ce Sacrement : asçavoir pour nous asseurer que le corps du Seigneur a tellement esté une fois sacrifié pour nous, que maintenant nous le recevons : et en le recevant, sentons en nous l’efficace de ceste oblation unique qui en a esté faite. Item, que son sang a tellement esté une fois espandu pour nous, qu’il nous est en bruvage perpétuel. Et c’est ce que portent les paroles de la promesse, quand il est dit, Prenez, mangez : ceci est mon corps qui est livré pour vous Jean 6.51 ; Matt. 26.26 ; Marc 14.22 ; Luc 22.19 ; 1Cor. 11.24. Il nous est doncques commandé de prendre et manger le corps qui a esté une fois offert pour nostre salut, afin que voyans que nous en sommes faits participans, nous ayons certaine confiance que la vertu de ceste oblation se démonstrera en nous. Et pourtant il appelle le calice Alliance de son sang. Car entant qu’il appartient à la confirmation de nostre foy, toutes fois et quantes qu’il nous donne son sacré sang à boire, il renouvelle aucunement, ou plustost continue l’alliance avec nous, laquelle il a ratifiée en iceluy.
4.17.2
Nos âmes peuvent prendre et recueillir de ce Sacrement une grande douceur et fruict de confiance : c’est que nous recognoissions Jésus-Christ estre tellement incorporé en nous, et nous aussi en luy, que tout ce qui est sien nous le pouvons appeler nostre : et tout ce qui est nostre, nous le pouvons nommer sien. Parquoy, nous nous osons promettre asseurément que la vie éternelle est nostre, et que le Royaume des cieux ne nous peut faillir, non plus qu’à Jésus-Christ mesme. D’autre part, que par nos péchez ne pouvons estre damnez non plus que luy : puis qu’il nous en a absous, voulant qu’ils luy fussent imputez comme s’ils eussent esté siens. C’est l’eschange admirable que de sa bonté infinie il a voulu faire avec nous, qu’en recevant nostre povreté, il nous a transféré ses richesses : en portant nostre débilité sur soy, il nous a confirmez de sa vertu : en prenant nostre mortalité, il a fait son immortalité nostre : qu’en recevant le fardeau de nos iniquitez, duquel nous estions oppressez, il nous a donné sa justice pour nous appuyer sur icelle : en descendant en terre, il a fait voye au ciel : en se faisant fils d’homme, il nous a faits enfans de Dieu.
4.17.3
Toutes ces choses nous sont tant plenement promises de Dieu en ce Sacrement, qu’il nous faut estre certains et asseurez qu’aussi vrayement elles nous y sont démonstrées, que si Jésus-Christ mesme en personne nous y estoit visiblement à l’œil présenté, et sensiblement y estoit touché. Car ceste parole ne nous peut faillir ne mentir, Prenez, mangez et beuvez : ceci est mon corps qui est livré pour vous : ceci est mon sang qui est espandu pour la rémission de vos péchez. En commandant qu’on prene, il signifie qu’il est nostre : en commandant qu’on mange et boyve, il monstre qu’il est fait une mesme substance avec nous. Quand il dit, Ceci est mon corps qui est livré pour vous : ceci est mon sang qui est espandu pour vous : il nous déclaire et enseigne qu’ils ne sont pas tant siens que nostres, puis qu’il les a prins et laissez non pour sa commodité, mais pour l’amour de nous, et pour nostre proufit. Et nous faut diligemment observer que la principale et quasi totale force et saveur du Sacrement gist en ces mots, Qui est livré pour vous, Qui est espandu pour vous : car autrement il nous serviroit de bien peu que le corps et le sang de Jésus-Christ nous fussent maintenant distribuez s’ils n’avoyent esté une fois livrez pour nostre rédemption et salut. Et pourtant ils nous sont représentez sous pain et vin, pour nous apprendre et monstrer que non-seulement ils sont nostres, mais aussi qu’ils nous sont pour vie et nourriture. C’est ce qu’avons dit ci-devant, que par les choses corporelles qui nous sont proposées aux Sacremens, nous devons estre conduits selon quelque proportion et similitude aux choses spirituelles. Car quand nous voyons le pain nous estre présenté pour signe et Sacrement du corps de Jésus-Christ, il nous faut incontinent prendre ceste similitude, Qu’ainsi que le pain nourrit, sustente et conserve la vie de nostre corps, aussi le corps de Jésus-Christ est la viande et la nourriture pour conservation de nostre vie spirituelle. Et quand nous voyons le vin nous estre offert pour signe de son sang, il nous faut penser tout ce que fait et proufite le vin au corps humain, pour estimer que le sang de Jésus-Christ nous fait et proufite autant spirituellement : c’est qu’il conferme, conforte, récrée et resjouit. Car si nous considérons bien que nous a proufité ce que le corps très-sacré de Jésus a esté livré, et son sang espandu pour nous, nous verrons clairement que cela qu’on attribue au pain et au vin, selon ceste analogie et similitude, leur convient très-bien.
4.17.4
Ce n’est doncques pas le principal du Sacrement, de nous présenter simplement et sans plus haute considération le corps de Jésus-Christ : mais c’est plustost de signer et confermer celle promesse, par laquelle Jésus-Christ nous dit que sa chair est vrayement viande, et son sang bruvage, desquels nous sommes repeus à vie éternelle : et certifie qu’il est le pain de vie, duquel quiconques a mangé, vivra éternellement. Et pour ce faire, c’est asçavoir pour signer la promesse susdite, le Sacrement nous envoye à la croix de Jésus-Christ, où celle promesse a esté plenement vérifiée, et entièrement accomplie. Car nous ne recevons point Jésus-Christ avec fruit, sinon entant qu’il a esté crucifié, ayans une appréhension vive de la vertu de sa mort. Et de faict, ce que Jésus-Christ s’est appelé Pain de vie Jean 6.35, 48, n’a pas esté pour raison du Sacrement (comme plusieurs l’ont faussement interprété) mais pource qu’il nous avoit esté donné tel du Père : et s’est monstré tel, quand s’estant fait participant de nostre humaine mortalité, il nous a faits aussi participans de son immortalité divine : quand s’offrant en sacrifice, il s’est chargé de nostre malédiction, pour nous remplir de sa bénédiction : quand en sa mort il a dévoré et englouti la mort : quand en sa résurrection il a ressuscité en gloire et incorruption nostre chair corruptible, laquelle il avoit vestue.
4.17.5
Il reste que cela nous soit appliqué. Ce qui se fait quand le Seigneur Jésus s’offre à nous avec tous ses biens, premièrement par l’Evangile : mais plus clairement en la Cène, et que nous le recevons en vraye foy. Ainsi ce n’est pas le Sacrement qui fait que Jésus-Christ commence de nous estre pain de vie : mais nous réduisant en mémoire qu’il nous a esté une fois fait tel à ce que nous en soyons assiduellement nourris, il nous fait sentir le goust et saveur de ce pain afin que nous en prenions nourriture. Car il nous certifie que tout ce que Jésus-Christ a fait et souffert, est pour nous vivifier. Après, que ceste vie est perpétuelle. Car comme Jésus-Christ ne nous seroit pas pain de vie, si une fois il n’estoit nay et mort et ressuscité pour nous : aussi faut-il que la vertu de ces choses soit permanente, afin que le fruit nous en reviene. Ce qui est très-bien exprimé et clairement en ces paroles qu’il dit en sainct Jehan, Le pain que je donneray, est ma chair, laquelle je donneray pour la vie du monde Jean 6.51 : où sans doute il démonstroit que son corps seroit en pain, pour la vie spirituelle de nostre âme : à cause qu’il le devoit exposer pour nostre salut à la mort. Car il l’a donné une fois pour pain, quand il l’a livré pour estre crucifié en la rédemption du monde. Il le donne journellement, quand par la parole de son Evangile il s’offre, afin que nous y participions entant qu’il a esté crucifié pour nous : et conséquemment seelle une telle participation par le mystère de la Cène : et mesmes y accomplit au dedans ce qu’il y signifie au dehors. Or il nous convient yci garder de deux vices. L’un est, qu’en exténuant par trop les signes, on ne les sépare des mystères ausquels ils sont aucunement conjoincts : et par conséquent qu’on abbaisse l’efficace. L’autre, qu’en les magnifiant outre mesure, on n’obscurcisse la vertu intérieure. Il n’y a nul, sinon qu’il soit du tout sans religion, qui ne confesse Christ estre le pain de vie, duquel sont nourris les fidèles en salut éternel : mais cela n’est résolu entre tous, quelle est la manière d’en participer. Car il y en a qui définissent en un mot, que manger la chair de Christ et boire son sang, n’est autre chose que croire en luy. Mais il me semble que luy-mesme a voulu exprimer une chose plus haute en ceste prédication notable, où il nous recommande la manducation de son corps : c’est que nous sommes vivifiez par la vraye participation qu’il nous donne en soy : laquelle il a signifiée par les mots de Boire et Manger, afin que nul ne pensast que cela gist en simple cognoissance. Car comme manger le pain, non pas le regarder, administre au corps la nourriture : ainsi faut-il que l’âme soit vrayement faite participante de Christ, pour en estre soustenue en vie éternelle. Cependant nous confessons bien que ceste manducation ne se fait que par foy, comme nulle autre ne se peut imaginer : mais la différence que nous avons avec ceux qui font l’exposition que j’impugne, est qu’ils estiment que Manger n’est autre chose que croire. Je di qu’en croyant nous mangeons la chair de Christ et que ceste manducation est un fruit de foy. Ou si on le veut plus clairement, La manducation leur est la foy mesme : je di que plustost elle provient d’icelle. Il y a peu de différent aux paroles, mais il est grand en la chose. Car combien que l’Apostre enseigne que Jésus-Christ habite en nos cœurs par foy Eph. 3.17, néantmoins personne n’interprétera que ceste habitation est la foy mesme : mais tous cognoissent qu’il nous a voulu exprimer un singulier bénéfice de la foy, en tant que par icelle les fidèles obtienent que Christ habite en eux. En ceste manière le Seigneur se nommant Pain de vie Jean 6.48, non-seulement a voulu dénoter que nostre salut est colloque en la fiance de sa mort et résurrection, mais que par la vraye communication que nous avons en luy, sa vie est transférée en nous, et est faite nostre : tout ainsi que le pain, quand il est prins en nourriture, donne vigueur au corps.
4.17.6
Sainct Augustin, lequel ils ameinent pour leur advocat, n’a escrit en autre sens, que nous mangeons le corps de Christ en croyant en luy, que pour dénoter que ceste manducation vient de la foy. Laquelle chose je ne nie pas : mais j’adjouste que nous recevons Christ, non pas apparoissant de loing, mais s’unissant avec nous pour estre nostre chef, et nous faire ses membres. Combien que je ne réprouve pas du tout ceste façon de parler : mais je di que ce n’est pas une interprétation saine et entière, s’il est question de définir que c’est que manger le corps de Jésus-Christ. Car touchant de la forme de parler, sainct Augustin en use souvent. Comme quand il dit au troisième livre de la Doctrine chrestienne, en ceste sentence, Si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme, vous n’aurez point vie en vous Jean 6.53, il y a une figure : c’est qu’il nous faut communiquer à la passion du Seigneur Jésus, et avoir ceste cogitation bien imprimée en nostre mémoire, que sa chair a esté crucifiée pour nous[a]. Item, quand il dit en plusieurs Homélies sur sainct Jehan, que les trois mille hommes qui furent convertis par la prédication de sainct Pierre Actes 2.41, ont beu le sang de Jésus-Christ en croyant en luy, lequel ils avoyent espandu en le persécutant. Mais en plusieurs autres passages il magnifie tant qu’il peut ceste communion que nous avons avec Jésus-Christ par foy : asçavoir que nos âmes ne sont pas moins repeues par sa chair, que nos corps du pain que nous mangeons. Et c’est ce qu’entend Chrysostome en quelque passage, disant que Jésus-Christ nous fait estre son corps, non-seulement par foy, mais par effect[b]. Car il n’entend pas que nous obtenions un tel bien sinon par foy : mais il veut seulement exclurre cela, qu’on n’entende pas que nous communiquions par imagination nue. Je laisse à parler de ceux qui tienent la Cène pour quelque enseigne, pour laquelle nous protestions nostre Chrestienté devant les hommes : car il me semble que j’aye assez réfuté cest erreur, traittant des Sacremens en général. Pour ceste heure ce mot d’advertissement suffira : c’est, puis que le calice est appelé Alliance au sang de Jésus-Christ Luc 22.20, il faut bien qu’il y ait promesse servant à confermer la foy. Dont il s’ensuyt qu’on n’use point deuement de la Cène, sinon regardant en Dieu pour s’asseurer de sa bonté.
[a] Homil. in Joann., XXXI, XL, et alibi.
[b] Homil. LX, LXI, Ad popul. Antioch.
4.17.7
Ceux-là aussi ne satisfont point, lesquels après avoir confessé que nous avons aucune communication au corps de Christ, quand ils la veulent démonstrer, nous font seulement participans de son Esprit, laissans derrière toute la mémoire de la chair et du sang. Comme si ces choses estoyent dites pour néant, que sa chair est viande, son sang est bruvage : que nul n’aura vie sinon celuy qui aura mangé ceste chair et beu ce sang : et autres semblables sentences. Pourtant s’il est notoire que la communication dont il est question, passe outre ce qu’ils en disent, devant que parler de l’excès contraire, je despescheray en brief jusques où elle s’estend. Car il me faudra avoir plus longue dispute avec certains docteurs ou resveurs hyperboliques, lesquels en se forgeant selon leur sottise, une façon lourde et exorbitante de manger le corps de Jésus-Christ et boire son sang, despouillent Jésus-Christ de son corps, et le transfigurent en un fantosme. Si toutesfois il est loisible d’expliquer par paroles un si grand mystère, lequel je voy bien que je ne puis comprendre en mon esprit. Ce que je confesse volontiers, afin que nul ne mesure la grandeur d’iceluy à mes paroles, qui sont si débiles, qu’elles succombent beaucoup au-dessous. Plustost au contraire j’admoneste les Lecteurs de ne contenir point leur sens entre si estroites bornes et limites : mais qu’ils s’efforcent de monter plus haut que je ne les puis conduire. Car moy-mesme, toutes fois et quantes qu’il est question de ceste matière, après avoir tasché de tout dire, je voy bien qu’il s’en faut beaucoup que je n’atteinde à l’excellence. Et combien que l’entendement ait plus de vertu à penser et estimer, que la langue à exprimer, néantmoins iceluy mesmes est surmonté et accablé par une telle grandeur. Parquoy il ne me reste autre chose en la fin, que de tomber en admiration de ce mystère : auquel à droictement penser, l’entendement ne peut suffire, comme la langue aussi n’est capable de le déclairer. Néantmoins je proposeray yci la somme de ma doctrine : laquelle comme je ne doute pas estre véritable, aussi j’espère qu’elle sera prouvée à tous bons cœurs et craignans Dieu.
4.17.8
Premièrement, l’Escriture nous enseigne que Christ dés le commencement a esté la Parole du Père vivifiante, fontaine et origine de vie, dont toutes choses ont eu la vertu de subsister. Pourtant sainct Jehan aucunesfois l’appelle Parole de vie 1Jean 1.1-2 ; aucunesfois dit que la vie a esté tousjours en luy : voulant signifier qu’il a espandu tousjours sa force par toutes créatures, pour leur donner vie et vigueur. Toutesfois luy-mesme adjouste tantost après, que lors la vie a esté manifestée, quand le Fils de Dieu ayant prins nostre chair, s’est donné à veoir et à toucher Jean 1.4. Car combien qu’il espandist au paravant ses vertus sur les créatures, néantmoins pource que l’homme estant aliéné de Dieu par péché, avoit perdu la communication de vie, et estoit de toutes pars assiégé de la mort, il avoit besoin d’estre receu de nouveau en la communion de ceste Parole, pour recouvrer quelque espérance d’immortalité. Car combien y auroit-il petite matière d’espérer, si nous entendions que la Parole de Dieu contient en soy toute plénitude de vie, estans cependant eslongnez d’icelle, et ne voyans en nous ne tout à l’entour autre chose que la mort ? Mais depuis que celle fontaine de vie a commencé d’habiter en nostre chair, desjà elle n’est point cachée loing de nous, mais se baille et présente à ce qu’on en puisse jouir. Voylà comme Jésus-Christ a approché de nous le bénéfice de vie dont il est la source. D’avantage, il nous a rendu la chair qu’il a vestue et prinse, vivifiante : afin que par la participation d’icelle nous soyons nourris à immortalité : Je suis, dit-il, le pain de vie, qui suis descendu du ciel. Item, Le pain que je donneray, c’est ma chair, laquelle j’exposeray pour, la vie du monde Jean 6.48, 51. Esquelles paroles il démonstre que non-seulement il est la vie, entant qu’il est la Parole de Dieu éternelle, laquelle est descendue du ciel à nous : mais aussi qu’en descendant il a espandu ceste vertu en la chair qu’il a prinse, afin que la communication en parveinst jusques à nous. Dont s’ensuyvent ces sentences, Que sa chair est vrayement viande, son sang est vrayement bruvage, et que l’un et l’autre est substance pour nourrir les fidèles en vie éternelle. Nous avons doncques en cela une singulière consolation, qu’en nostre propre chair nous trouvons la vie. Car en telle manière non-seulement nous y parvenons, voire à la vie, di-je : mais elle vient au-devant pour se présenter à nous : seulement que nous luy donnions ouverture en nostre cœur pour la recevoir, et nous l’obtiendrons.
4.17.9
Or combien que la chair de Christ n’ait point tant de vertu de soy-mesme qu’elle nous puisse vivifier, veu qu’en sa première condition elle a esté sujette à mortalité, et estant faite immortelle, prend sa force d’ailleurs : toutesfois si est-elle à bon droict nommée Vivifiante, pource qu’elle a esté remplie de perfection de vie, pour en espandre sur nous ce qui est requis à nostre salut. Et en ce sens se doit prendre ce que dit nostre Seigneur, que comme le Père a la vie en soy, aussi il a ordonné que le Fils eust la vie en soy Jean 5.26. Car en ce passage-là il parle, non pas des propriétez qu’il a possédées éternellement en sa divinité, mais lesquelles luy ont esté données en la chair, en laquelle il nous est apparu. Parquoy il démonstre que la plénitude de vie habite mesmes en son humanité : tellement que quiconque communiquera à sa chair et à son sang, obtiendra la jouissance d’icelle ; ce que nous pouvons mieux expliquer par un exemple familier. Car comme l’eau d’une fontaine suffit pour en boire, pour en arrouser, et pour l’appliquer à autres usages, et néantmoins la fontaine n’a point de soy-mesme une telle abondance, mais de la source, laquelle descoule perpétuellement pour la remplir, à ce que jamais elle ne tairisse : en ceste sorte la chair de Christ est semblable à une fontaine, entant qu’elle reçoit la vie descoulante de la Divinité, pour la faire descouler en nous. Maintenant qui est-ce qui ne voit que la communication au corps et au sang de Christ est nécessaire à tous ceux qui aspirent à la vie céleste ? Et à cela tendent toutes ces sentences de l’Apostre, Que l’Eglise est le corps de Christ et son accomplissement : Que luy il est le Chef, dont tout le corps estant conjoinct, croist selon ses liaisons et joinctures : et Que nos corps sont membres de luy Eph. 1.23 ; 4.15-16 ; 1Co. 6.15. Lesquelles choses ne peuvent estre autrement accomplies sinon qu’entièrement de corps et d’esprit il adhère à nous. Mais encores l’Apostre esclarcit par un plus grand tesmoignage ceste société, par laquelle nous sommes unis à sa chair : en disant que nous sommes les membres de son corps, partie de ses os et de sa chair Eph. 5.30. Et finalement pour dénoter que la chose surmonte toutes paroles, il conclud le propos par admiration : C’est, dit-il, un grand secret. Parquoy ce seroit une folie désespérée, de ne recognoistre nulle communion en la chair et au sang du Seigneur : laquelle sainct Paul déclaire estre si grande, qu’il aime mieux s’en esmerveiller que l’expliquer par paroles.
4.17.10
La somme est telle, que nos âmes ne sont pas moins repeues de la chair et du sang de Jésus-Christ, que le pain et le vin entretienent la vie des corps. Car autrement la similitude du signe ne conviendroit point, si nos âmes ne trouvoyent en Jésus-Christ de quoy se rassasier. Ce qui ne se peut faire, sinon que Jésus-Christ s’unisse vrayement à nous, et nous repaisse de la nourriture de son corps et de son sang. Que s’il semble incroyable, que la chair de Jésus-Christ estant eslongnée de nous par si longue distance, parviene jusques à nous : pour nous estre viande, pensons de combien la vertu secrette du sainct Esprit surmonte en sa hautesse tous nos sens, et quelle folie ce seroit, de vouloir comprendre en nostre mesure l’infinité d’icelle. Pourtant, que la foy recoyve ce que nostre entendement ne peut concevoir : c’est que l’Esprit unit vrayement les choses qui sont séparées de lieu. Or Jésus-Christ nous testifie et scelle en la Cène ceste participation de sa chair et de son sang, par laquelle il fait descouler sa vie en nous, tout ainsi que s’il entroit en nos os et en nos moelles. Et ne nous y présente pas un signe vuide et frustratoire, mais en y desployant la vertu de son Esprit pour accomplir ce qu’il promet. Et de faict, il l’offre et baille à tous ceux qui vienent à ce convive spirituel : combien qu’il n’y ait que les seuls fidèles qui en participent, entant que par la vraye foy ils se rendent dignes d’avoir jouissance d’un tel bénéfice. Pour laquelle raison l’Apostre dit que le pain que nous rompons, est la communion du corps de Christ : et le calice que nous sanctifions par les paroles de l’Evangile et par prières, est la communion de son sang 1Cor. 10.16. Et ne faut pas que quelqu’un objecte que c’est une locution figurée, en laquelle le nom de la chose représentée soit attribué au signe. Car s’ils allèguent que c’est une chose notoire, que la fraction du pain n’est que signe extérieur de la substance spirituelle : jà soit que nous leur concédions d’exposer ainsi les paroles de sainct Paul, toutesfois nous pourrons inférer de ce que le signe nous est baillé, que la substance nous est aussi livrée en sa vérité. Car si quelqu’un ne vouloit appeler Dieu trompeur, il n’osera pas dire qu’un signe vain et vuide de sa vérité soit proposé par luy. Parquoy si le Seigneur nous représente au vray la participation de son corps sous la fraction du pain, il n’y a nulle doute qu’il ne la baille quant et quant. Et de faict, les fidèles ont du tout à tenir ceste reigle, que toutes fois et quantes qu’ils voyent les signes ordonnez de Dieu, ils conçoyvent pareillement pour certain la vérité de la chose représentée y estre conjoincte, et en ayent seure persuasion. Car à quel propos nostre Seigneur donneroit-il en la main le signe de son corps, si ce n’estoit pour nous rendre certains de la participation d’iceluy ? Or s’il est vray que le signe visible nous est baillé pour nous seeller la donation de la chose invisible, il nous faut avoir ceste confiance indubitable, qu’en prenant le signe du corps, nous prenons pareillement le corps.
4.17.11
Je di doncques, comme il a tousjours esté receu en l’Eglise, et comme parlent aujourd’huy ceux qui enseignent fidèlement, qu’il y a deux choses en la saincte Cène : asçavoir les signes visibles qui nous sont là donnez pour nostre infirmité : et la vérité spirituelle, laquelle nous est figurée par iceux, et pareillement exhibée. Or touchant de ceste vérité, quand je veux monstrer familièrement quelle elle est, je di qu’il y a trois points à considérer aux Sacremens, outre le signe extérieur, dont n’est pas maintenant question : asçavoir la signification, après, la matière ou substance : tiercement, la vertu ou l’effect qui procède de l’un et de l’autre. La signification est située aux promesses, lesquelles sont imprimées au signe. J’appelle la matière ou la substance, Jésus-Christ avec sa mort et résurrection. Par l’effect, j’enten la rédemption, justice, sanctification, la vie éternelle, et tous les bénéfices que Jésus-Christ nous apporte. Or combien que toutes ces choses se reçoyvent par foy, toutesfois je n’accepte point ceste cavillation : de dire que nous recevons Jésus-Christ seulement par intelligence et pensée, quand il est dit que nous le recevons par foy : car les promesses le nous offrent, non pas pour le nous faire seulement regarder en nous amusant à une simple contemplation et nue, mais pour nous faire jouir vrayement de sa communion. Et de faict, je ne voy point comment un homme se pourroit confier d’avoir sa rédemption et justice en la croix de Jésus-Christ, d’avoir vie en sa mort sinon qu’il ait premièrement vraye communication avec luy. Car ces biens-là ne viendroyent jamais jusques à nous, si Jésus-Christ ne se faisoit premièrement nostre. Je di doncques qu’en la Cène Jésus-Christ nous est vrayement donné sous les signes du pain et du vin, voire son corps et son sang, ausquels il a accomply toute justice pour nous acquérir salut. Et que cela se fait premièrement, afin que nous soyons unis en un corps : secondement, afin qu’estans faits participans de sa substance, nous sentions aussi sa vertu, en communiquant à tous ses biens.
4.17.12
Maintenant il convient parler des meslanges hyperboliques, c’est-à-dire excessifs, que la superstition a mis sus. Car Satan a yci brassé des illusions avec merveilleuses astuces, pour retirer du ciel les entendemens, et les appesantir yci-bas : leur faisant à croire que Jésus-Christ est attaché à l’élément du pain. Premièrement gardons-nous d’imaginer telle présence que les Sophistes l’ont songée : comme si le corps de Christ descendoit sur la table, et estoit là posé en présence locale pour estre touché des mains, masché des dents, et englouty du gosier. Car le Pape Nicolas dicta ceste belle formule à Bérengaire, pour l’approuver vray repentant. Or ce sont paroles si énormes et prodigieuses, que le glosateur du droict canon est contraint de dire, que si les lecteurs n’estoyent bien advisez et discrets, ils pourroyent estre induits par icelles en hérésie pire que celle de Bérengaire. Le Maistre des Sentences, combien qu’il travaille beaucoup d’excuser l’absurdité, toutesfois encline plustost à l’opposite. Car comme nous ne doutons point qu’il n’ait sa mesure comme requiert la nature d’un corps humain, et qu’il ne soit contenu au ciel, auquel il a esté receu jusques à tant qu’il viendra au jugement, aussi nous estimons que c’est une chose illicite de l’abbaisser entre les élémens corruptibles, ou imaginer qu’il soit par tout présent. Et de faict, cela n’est jà nécessaire pour en avoir la participation, veu que le Seigneur Jésus nous eslargit ce bénéfice par son Esprit, que nous sommes faits un avec luy de corps, d’esprit et d’âme[c]. Pourtant le lien de ceste conjonction est le sainct Esprit, par lequel nous sommes unis ensemble : et est comme canal ou conduit, par lequel tout ce que Christ est et possède, descend jusques à nous. Car si nous appercevons à l’œil, que le soleil luisant sur la terre envoye par ses rais aucunement sa substance pour engendrer, nourrir, et végéter les fruits d’icelle, pourquoy la lueur et irradiation de l’Esprit de Jésus-Christ seroit-elle moindre, pour nous apporter la communication de sa chair et de son sang ? Pourtant l’Escriture en parlant de la participation que nous avons avec Christ, réduit toute la vertu d’icelle à son Esprit. Toutesfois un lieu suffira pour tous les autres : Sainct Paul au chapitre VIII des Romains, déclaire que Christ n’habite autrement en nous que par son Esprit Rom. 8.9. En quoy faisant néantmoins il ne destruit point ceste communication de son corps et de son sang, dont il est maintenant question : mais il démonstre l’Esprit estre le seul moyen par lequel nous possédons Christ, et l’avons habitant en nous.
[c] Chrysos. sermone quodam de Spiritu sancto.
4.17.13
Les Théologiens scholastiques ayans horreur d’une impiété si barbare parlent un peu plus sobrement, ou en paroles couvertes : toutesfois ce n’est que pour évader plus subtilement. C’est qu’ils concèdent que Jésus-Christ n’est point enclos au pain et au vin localement, ne d’une façon corporelle : mais ils forgent une façon nouvelle, laquelle ils n’entendent point, et tant moins la peuvent-ils expliquer aux autres : toutesfois la somme revient là, qu’ils enseignent de chercher Jésus-Christ en l’espèce du pain, qu’ils appellent. Qu’ainsi soit, quand ils disent que la substance du pain est convertie en luy, n’attachent-ils point sa substance à la blancheur, laquelle ils disent seule rester là ? Mais ils disent qu’il est tellement contenu en l’espèce du pain qu’il demeure cependant au ciel, et nomment ceste présence, d’Habitude. Mais quelques mots qu’ils inventent pour couvrir leur mensonge et luy donner couleur, si revienent-ils tousjours à ceste fin, que ce qui estoit pain devient Christ : tellement qu’après la consécration, la substance de Jésus-Christ est cachée sous la couleur du pain. Ce qu’ils n’ont point honte de prononcer haut et clair. Car voyci les propres mots de leur Maistre des sentences, que le corps de Christ estant invisible en soy, est caché et couvert sous l’apparence du pain, après la consécration[d]. Et pourtant selon luy, la figure du pain n’est qu’une masque pour oster le regard du corps.
[d] Sentent., lib. IV, dist. XII.
4.17.14
De là est sortie ceste transsubstantiation fantastique, pour laquelle les Papistes combatent aujourd’huy plus asprement que pour tous les autres articles de leur foy. Les premiers inventeurs de ceste opinion ne se pouvoyent résoudre, comment le corps de Jésus-Christ fust meslé avec la substance du pain, que beaucoup d’absurditez ne leur veinssent incontinent devant les yeux. Ainsi, la nécessité les a contraints de courir à ce misérable refuge : c’est que le pain est converty au corps de Jésus-Christ : non pas qu’à proprement parler, le pain soit fait corps : mais pource que Jésus-Christ, pour se cacher sous la figure du pain, anéantit la substance d’iceluy. Or c’est merveille qu’ils soyent trébuschez en telle ignorance, voire stupidité, que non-seulement ils ayent osé contredire à toute l’Escriture saincte, mais aussi à ce qui avoit esté tousjours tenu en l’Eglise ancienne, pour mettre en avant un tel monstre. Je confesse bien qu’aucuns des Anciens ont quelquesfois usé du mot de Conversion : non pas pour abolir la substance des signes extérieurs, mais pour enseigner que le pain dédié à ce mystère, est différent du pain commun, et tout autre qu’il n’estoit au paravant. Ce pendant tous d’un accord ils afferment que la saincte Cène a deux choses : l’une terrestre, et l’autre céleste. Et ne font point de scrupule en cela, que le pain et le vin sont les signes terrestres. Certes quoy qu’ils babillent, il est tout notoire qu’en cest endroict ils ont les Anciens contraires, lesquels souvent ils osent bien opposer pour authorité à Dieu mesme. Car ceste imagination a esté controuvée depuis peu de temps : pour le moins elle a esté incognue non-seulement du temps que la pure doctrine estoit encores en vigueur, mais mesmes depuis que ceste pureté a esté infectée de beaucoup de souilleures. Quoy qu’il en soit, il n’y a nul des Anciens qui ne confesse ouvertement que le pain et le vin sont signes du corps et du sang de Jésus-Christ : combien que quelquesfois pour magnifier la dignité du mystère, ils leur donnent divers tiltres. Car ce qu’ils disent qu’en consacrant le pain il se fait une conversion secrette, tellement qu’il y a autre chose que du pain et du vin, ce n’est pas, comme j’ay desjà monstré, pour signifier que le pain et le vin s’esvanouissent, mais qu’on les doit avoir en autre estime que des viandes communes, qui sont seulement pour paistre le ventre : veu que là nous avons le boire et le manger spirituel pour nous nourrir nos âmes. Nous confessons doncques que ce que disent les Anciens Docteurs est vray : mais à ce que ces forgeurs d’opinion nouvelle arguent, que s’il y a conversion, il faut que le pain soit anéanty, et que le corps de Jésus-Christ y succède : je respon qu’il est bien vray que le pain est fait autre qu’il n’estoit pas : mais s’ils veulent tirer cela à leur resverie, je leur demande quel changement ils pensent qu’il se face au Baptesme. Car les Anciens recognoissent qu’il s’y fait aussi une conversion admirable, c’est qu’un élément corruptible est fait lavement spirituel des âmes : et toutesfois nul ne nie que l’eau ne demeure en sa substance. Ils répliquent qu’il n’y a point tel tesmoignage du Baptesme comme de la Cène, voyci mon corps. Mais il n’est point question encores de ces mots-là : ains seulement du mot de Conversion, lequel n’emporte non plus en un endroict qu’en l’autre. Ainsi, qu’ils se déportent d’amener tels menus fatras, lesquels monstrent combien ils sont desprouveus de bonnes raisons. Et de faict, la signification ne pourroit autrement consister, si la vérité qui est là figurée n’avoit son image vive au signe extérieur. Jésus-Christ a voulu déclairer visiblement que sa chair est viande. S’il ne proposoit qu’une apparence vuide du pain sans aucune substance, où seroit la similitude laquelle nous doit mener des choses visibles au bien invisible qui nous est représenté ? Car si on les veut croire, on ne seroit point conduit plus outre, et ne pourroit-on recueillir autre chose, sinon que nous sommes repeus d’une vaine apparence de la chair de Christ. Comme si au Baptesme il n’y avoit qu’une figure d’eau qui trompast nos yeux, ce ne nous seroit pas un certain gage de nostre lavement : qui pis est, par un tel spectacle frustratoire nous aurions occasion de chanceler : brief, la nature des Sacremens est renversée, si le signe terrien ne respond à la chose céleste, pour bien signifier ce qui doit estre là cognu. Et par ainsi la vérité de la Cène seroit mise sous le pied, sans qu’il y eust du vray pain pour représenter le vray corps de Jésus-Christ. Je di derechef, puis que la Cène n’est autre chose qu’une confirmation visible de ce qui est récité au chapitre VI de sainct Jehan, asçavoir que Jésus-Christ est le pain de vie qui est descendu du ciel Jean 6.51, qu’il est du tout requis qu’il y ait du pain matériel et visible, pour figurer celuy qui est spirituel : si nous ne voulons que le moyen que Dieu nous a donné pour supporter nostre faiblesse, périsse sans que nous en ayons aucun proufit. D’avantage, comment sainct Paul conclurroit-il, que nous qui participons d’un pain, sommes faits tous ensemble un pain et un corps 1Cor. 10.17, s’il n’y avoit qu’un fantosme de pain seulement, et non pas la propre vérité et substance ?
4.17.15
Et de faict, jamais n’eussent esté si vilenement abusez des illusions de Satan, s’ils n’eussent desjà esté ensorcelez de cest erreur, que le corps de Christ estant enclos sous le pain, se prenoit en la bouche pour estre envoyé au ventre. La cause d’une fantasie si brutale a esté, que ce mot de Consécration leur estoit comme un enchantement ou conjuration d’art magique. Ce principe leur estoit incognu, que le pain n’est point Sacrement, sinon au regard des hommes, ausquels la Parole est addressée : comme l’eau du Baptesme n’est point changée en soy : mais quand la promesse y est adjoustée, elle commence de nous estre ce qu’elle n’estoit pas. Ceci sera encores mieux liquidé par l’exemple d’un Sacrement semblable. L’eau qui descouloit du rocher au désert servoit aux Juifs pour estre signe et mereau d’une mesme chose que nous figurent aujourd’huy le pain et le vin en la Cène : car sainct Paul dit qu’ils ont beu un mesme bruvage spirituel Exo. 17.6 ; 1Cor. 10.4. Or cependant elle servoit d’abruvoir pour le bestial. Dont il est aisé de recueillir, quand les élémens terrestres sont appliquez à l’usage spirituel de la foy, qu’il ne s’y fait autre conversion, qu’au regard des hommes : d’autant que ce leur sont seaux des promesses de Dieu. D’avantage, puis que l’intention de Dieu est, comme j’ay desjà souvent réitéré, de nous eslever à soy par moyens qu’il cognoist propres, ceux qui en nous appelant à Christ, veulent que nous le cherchions estant invisiblement caché sous le pain, font tout au rebours. De monter à Christ il n’en estoit pas question entre eux : pource qu’il y avoit trop long intervalle. Parquoy ce qui leur estoit abatu de nature, ils ont tasché de le corriger par un remède plus pernicieux : c’est qu’en demeurant en terre nous n’ayons nul besoin d’approcher des cieux, pour estre conjoincts à Jésus-Christ. Voylà toute la nécessité qui les a contraints à transfigurer le corps de Christ. Du temps de sainct Bernard, combien qu’il y eust desjà un langage plus dur et plus lourd, toutesfois la transsubstantiation n’estoit pas encores cognue. Au paravant jamais n’avoit esté que ceste similitude ne fust en la bouche d’un chacun, que le corps et le sang de Jésus-Christ sont conjoincts en la Cène avec le pain et le vin. Il leur semble qu’ils ont de belles eschappatoires, quant au texte exprès qu’on leur allègue : où notamment les deux parties du Sacrement sont appelées pain et vin. Car ils répliquent que la verge de Moyse estant convertie en serpent Exo. 4.3 ; 7.10, combien qu’elle empruntast le nom de serpent, ne laissoit pas de retenir le sien naturel de verge. Dont ils concluent qu’il n’y a nul inconvénient que le pain, combien qu’il soit changé en autre substance, pource qu’il apparoist pain aux yeux, en retiene quant et quant le nom. Mais qu’est-ce qu’ils trouvent de semblable ou prochain entre le miracle de Moyse, qui est tout notoire, et leur illusion diabolique, de laquelle il n’y a œil en terre qui puisse estre tesmoin ? Les magiciens faisoyent leur sorcellerie pour persuader au peuple d’Egypte qu’ils estoyent garnis de vertu divine pour changer les créatures. Moyse vient à l’encontre : et après avoir rabatu leur fallace monstré que la puissance invincible de Dieu estoit de son costé, d’autant qu’il fait engloutir toutes les verges des autres par la siene Exo. 7.12. Mais puis que telle conversion s’est faite à veue d’œil, elle n’appartient point à la cause présente, comme j’ay dit. Et aussi un petit après, la verge retourna à sa première forme. Outre plus, on ne sçait si ceste conversion soudaine fut vrayement en la substance. Il faut aussi noter que Moyse a opposé sa verge à celle des magiciens, et pour ceste cause luy a laissé son nom naturel : afin qu’il ne semblast accorder à ces trompeurs une conversion qui estoit nulle, d’autant qu’ils avoyent esblouy les yeux des ignorans par leurs enchantemens. Or cela ne se peut tirer à des sentences toutes diverses, quand il est dit, Le pain que nous rompons est la communication du corps de Christ : Item, Quand vous mangerez de ce pain, il vous souviendra de la mort du Seigneur : Item, Ils communiquoyent à rompre le pain 1Cor. 10.16 ; 11.26 ; Actes 2.42. Tant y a qu’il est bien certain que les Magiciens par leur enchantement ne faisoyent que tromper la veue. Quant est de Moyse, il y a plus grande doute : par la main duquel il n’a point esté plus difficile à Dieu de faire d’une verge un serpent, et derechef d’un serpent une verge, que de vestir les Anges de corps charnels, et puis les en despouiller. S’il y avoit pareille raison en la Cène, ou qui en approchast, ces bonnes gens auroyent quelque couleur en leur solution. Mais puis qu’il n’est pas ainsi, que ce point nous demeure arresté, qu’il n’y auroit nulle raison ne fondement pour nous figurer en la Cène que la chair de Jésus-Christ est vrayement viande, sinon que la vraye substance du signe extérieur respondist à cela. Or comme un erreur est engendré de l’autre, ils ont si sottement tiré un passage de Jérémie pour approuver leur transsubstantiation, que j’ay honte de le réciter. Le Prophète se plaind qu’on a mis du bois en son pain[a] Jér. 11.19 : signifiant que ses ennemis luy ont cruellement osté le goust, de son manger. Comme David par semblable figure se lamente que son pain luy a esté corrompu de fiel, et son boire de vinaigre Ps. 69.22. Ces Docteurs subtils exposent par allégorie, que le corps de Jésus-Christ a esté pendu au bois. Ils allégueront qu’aucuns des Anciens l’ont ainsi entendu. A quoy je respon que c’est bien assez de pardonner à leur ignorance, et ensevelir leur déshonneur, sans adjouster ceste impudence, de les faire boucliers pour rebouter le sens naturel du Prophète.
[a] Dans la version des LXX ; le texte hébreu dit : Détruisons l’arbre avec son fruit… (ThéoTEX)
4.17.16
Les autres, qui voyent qu’on ne peut rompre la proportion qui est entre le signe et la chose signifiée, que la vérité du mystère n’aille bas, confessent bien que le pain de la Cène est vrayement substanciel, élément terrestre et corruptible, et qu’il ne reçoit aucun changement en soy : mais ils disent que néantmoins le corps de Jésus-Christ y est enclos. S’ils disoyent rondement, que quand le pain nous est présenté en la Cène, il y a vraye exhibition du corps, d’autant que la vérité est inséparable d’avec son signe, je ne contrediroye pas beaucoup, mais d’autant qu’en enfermant le corps dans le pain, ils imaginent qu’il est par tout, ce qui est contraire à sa nature : puis en adjoustant, qu’il est sous le pain, ils l’enserrent là comme en cachette, il est besoin de descouvrir telles astuces : non pas que pour ceste heure je vueille deschiffrer le tout, mais ce que j’en diray servira de fondement pour la dispute qui suyvra ci-après en son lieu. Ils veulent que le corps de Jésus-Christ soit invisible et infini pour estre caché sous le pain : d’autant qu’à leur opinion, ils ne le peuvent recevoir, sinon qu’il descende là. Or ils ne cognoissent point la façon de descendre dont nous avons parlé, qui est pour nous eslever au ciel. Vray est qu’ils prétendent beaucoup de belles couleurs : mais après qu’ils ont tout dit, il appert qu’ils s’amusent à une présence locale. Et dont vient cela, sinon qu’ils ne peuvent concevoir autre participation du corps de Jésus-Christ, sinon qu’ils le tienent yci-bas comme pour le manier à leur appétit ?
4.17.17
Et afin de maintenir avec opiniastreté l’erreur qu’ils se sont forgée à la volée, ils ne doutent point, au moins aucuns d’entre eux, d’affermer que le corps de Jésus-Christ n’a jamais eu autre mesure que toute l’estendue du ciel et de la terre. Quant à ce qu’il est nay petit enfant, qu’il est grandy, qu’il a esté crucifié et mis au sépulchre, ils disent que cela s’est fait par une forme de dispensation, pour accomplir en apparence ce qui estoit requis à nostre salut. Quant à ce qu’il est apparu après sa résurrection, et qu’il est monté au ciel, mesmes que depuis il a esté veu de sainct Estiene et de sainct Paul Actes 1.3, 9 ; 7.55 ; 9.3, que cela aussi s’est fait d’une mesme dispensation, à ce qu’il se monstrast à veue d’œil estre souverain Roy. Et qu’est-ce là, je vous prie, sinon rappeler Marcion des enfers ? Car nul ne doutera que le corps de Jésus-Christ ne soit fantastique ou fantosme, s’il a esté de ceste condition. Les autres eschappent un petit plus subtilement : c’est que ce corps qui est donné au Sacrement, est glorieux et immortel : et par ainsi qu’il n’y a nul inconvénient qu’il soit en plusieurs lieux, qu’il ne soit en nul lieu, et qu’il n’ait nulle forme. Mais je demande quel corps donnoit Jésus-Christ à ses disciples la nuict devant qu’il souffris ! Les mots qu’il prononce n’expriment-ils pas clairement, que c’estoit le corps mortel qui devoit estre tantost après livré ? Ils répliquent que desjà il avoit fait veoir sa gloire en la montagne à trois de ses disciples Matt. 17.2. Ce que je leur confesse : mais je di que ce n’estoit que pour leur donner quelque goust de son immortalité, Voire et pour un petit de temps. Mais ils ne trouveront pas là double corps : il n’y a que celuy mesme lequel est retourné sur l’heure à son naturel accoustumé. Or en distribuant son corps en la première Cène, l’heure approchoit qu’il devoit estre frappé et abatu pour estre desfiguré comme un ladre, n’ayant aucune dignité ne beauté en soy Esaïe 53.4 : tant s’en faut que pour lors il voulust faire monstre de la gloire de sa résurrection. Derechef, quelles fenestres ouvrent-ils à l’hérésie de Marcion, si le corps de Jésus-Christ estoit veu en un lieu, mortel et passible, et en l’autre lieu, immortel et glorieux ? Que si on reçoit leur opinion, autant en advient-il tous les jours. Car ils sont contraints de confesser que le corps de Jésus-Christ, lequel ils disent estre invisiblement caché sous l’espèce du pain, est néantmoins visible en soy. Et toutesfois ceux qui desgorgent des resveries si monstrueuses, non-seulement n’ont nulle honte de leur vilenie, mais nous injurient à toute outrance, d’autant que nous ne voulons respondre Amen.
4.17.18
D’avantage, si quelqu’un veut lier au pain et au vin le corps et le sang du Seigneur, il sera nécessaire que l’un soit séparé de l’autre. Car comme le pain est baillé séparément du calice, aussi faudra-il que le corps estant uny au pain, soit divisé du sang qui sera enclos dedans le calice. Car puis qu’ils afferment le corps estre au pain, le sang estre au calice : et il est ainsi que le pain et le vin sont divisez l’un de l’autre : ils ne peuvent eschapper par tergiversation quelconque, que le sang en ce faisant ne soit divisé du corps. Ce qu’ils ont accoustumé de prétendre, que le sang est au corps, et le corps pareillement dedans le sang, est par trop frivole, veu que les signes ausquels ils sont enclos, ont esté distinguez du Seigneur. Au reste, si nous dressons nostre veue et nostre cogitation au ciel, et sommes là transportez pour y chercher Christ en la gloire de son Royaume, comme les signes nous guident à venir à luy tout entier, en ceste manière nous serons distinctement repeus de sa chair sous le signe du pain, nourris de son sang sous le signe du vin, pour avoir jouissance entièrement de luy. Car combien qu’il ait transporté de nous sa chair, et soit en corps monté au ciel : néantmoins il est séant à la dextre du Père, c’est-à-dire, qu’il règne en la puissance, majesté et gloire du Père. Ce règne n’est point limité en aucunes espaces de lieux, et n’est point déterminé en aucunes mesures, que Jésus-Christ ne monstre sa vertu par tout où il luy plaist, au ciel et en la terre, qu’il ne se déclaire présent par puissance et vertu, qu’il n’assiste tousjours aux siens, leur inspirant sa vie vive en eux, les soustiene, les conferme, leur donne vigueur, et leur serve non pas moins que s’il estoit présent corporellement : en somme, qu’il ne les nourrisse de son propre corps, duquel il fait descouler la participation en eux par la vertu de son Esprit. Telle doncques est la façon de recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ au Sacrement.
4.17.19
Or il nous faut establir telle présence de Jésus-Christ en la Cène, laquelle ne l’attache point au pain, et ne l’enferme point là dedans : laquelle finalement ne le mette point yci-bas en ces élémens corruptibles, d’autant que tout cela dérogue à sa gloire céleste : laquelle aussi ne luy face point un corps infini pour le mettre en plusieurs lieux, ou pour faire à croire qu’il soit par tout au ciel et en la terre : d’autant que tout cela contrevient à la vérité de sa nature humaine. Tenons doncques ces exceptions fermes : asçavoir que nous ne permettions point qu’on dérogue à la gloire céleste de nostre Seigneur Jésus ; ce qui se fait quand on le tire yci-bas par imagination, ou qu’on le lie aux créatures terriennes. Que nous ne permettions point aussi qu’on attribue rien à son corps qui répugne à sa nature humaine : ce qui se fait quand on dit qu’il est infini, ou qu’on le met en plusieurs lieux. Ayant osté ces deux inconvéniens, je reçoy volontiers tout ce qui pourra servir à bien exprimer la vraye communication que Jésus-Christ nous donne par la Cène en son corps et en son sang, de l’exprimer, di-je, en sorte qu’on cognoisse que ce n’est point par imagination ou pensée que nous les recevons, mais que la substance nous est vrayement donnée. Il n’y a nulle raison pourquoy ceste doctrine soit tant odieuse au monde, et que la défense en soit forclose tant iniquement, sinon que Satan a ensorcelé plusieurs entendemens comme d’un horrible charme. Certes ce que nous enseignons convient très-bien en tout et par tout à l’Escriture, et ne contient en soy, n’attire, ou absurdité aucune, ou obscurcie, ou ambiguïté. D’avantage, ne répugne point à la reigle de foy, et ne contrevient à l’édification des âmes : brief, n’emporte rien qui puisse offenser, sinon d’autant que depuis la barbarie et bestise tant énorme des Sophistes, une clairté si patente et une vérité tant liquide a esté vilenement opprimée. Toutesfois puis que Satan s’efforce encores aujourd’huy la dénigrer de calomnies et vitupères par des esprits forcenez, et applique là toutes ses forces, il nous est besoin de la maintenir tant plus diligemment.
4.17.20
Or devant que procéder outre, nous avons à traitter l’institution de Jésus-Christ : et principalement à cause que nos adversaires n’ont rien plus favorable que ceste objection, que nous n’accordons point aux mots de Jésus-Christ. Parquoy pour nous descharger de ce blasme, lequel faussement ils nous mettent sus, ce sera un ordre bien convenable de commencer par l’interprétation de ce qui en est contenu en l’Escriture. Trois Evangélistes, asçavoir sainct Matthieu, sainct Marc et sainct Luc : Item, sainct Paul, récitent que Jésus-Christ ayant prins du pain le rompit, et ayant rendu grâces le donna à ses disciples, disant, Prenez, mangez, ceci est mon corps qui est livré, ou rompu pour vous. Du calice, sainct Matthieu et sainct Marc en parlent ainsi : Ce calice est le sang du Nouveau Testament, lequel sera espandu pour plusieurs en rémission de leurs péchez. Sainct Paul et sainct Luc changent un petit : Ce calice est le Nouveau Testament en mon sang Matt. 26.26 ; Marc 14.22 ; Luc 22.17, 19 ; 1Cor. 11.24-25. Les advocats de la transsubstantiation pensent que ce mot démonstratif, ceci, se rapporte à l’espèce du pain, pource que la consécration ne se fait pas que par toute la déduction des paroles : et il n’y a nulle substance visible, selon eux, qu’on puisse démonstrer. Mais si la révérence des paroles les tient si estroitement bridez, puis que Jésus-Christ tesmoigne que ce qu’il baille à ses disciples est son corps, ils s’eslongnent bien fort de cela, en glosant que ce qui estoit pain devient le corps de Jésus-Christ. Je di derechef, que Jésus-Christ afferme que ce qu’il avoit prins entre ses mains pour donner à ses disciples, est son corps. Or il avoit prins du pain. Oui est-ce doncques qui ne voit que c’est le mesme pain qu’il monstre ? Et par ainsi il n’y a rien plus desraisonnable, que d’appliquer à une vaine apparence ou fantosme, ce qui est notamment prononcé du pain. Ceux qui exposent le mot d’Estre, par transsubstantier, comme s’il estoit dit. Ceci est converty en mon corps, usent d’une subtilité encores plus contrainte et forcée. Et pourtant tous les deux n’ont nulle couleur de prétendre qu’ils se veulent tenir et arrester aux paroles de Jésus-Christ. Car cela ne fut jamais accoustumé ny ouy en nulle langue, que ce verbe substantiel, c’est, fust prins en tel sens, asçavoir pour estre converty en autre chose. Quant est de ceux qui confessent que le pain demeure, et néantmoins entendent que c’est le corps de Jésus-Christ, ils ont grande contrariété entre eux. Ceux qui parlent plus modestement, combien qu’ils insistent fort sur la lettre, disans que selon les mots de Jésus-Christ, le pain doit estre tenu pour son corps, toutesfois puis après ils amolissent telle rigueur, s’exposans comme s’il estoit dit que le corps de Jésus-Christ est avec le pain, au pain, et sous le pain. Nous avons desjà touché quelque chose de leur opinion : encores en faudra-il traitter d’avantage ci-après. Maintenant je dispute seulement des paroles de Jésus-Christ, desquelles ils se sentent liez, pour ne pouvoir accorder que le pain soit nommé Corps, pource qu’il en est signe. Or puis qu’ils fuyent toute exposition, comme s’il se faloit précisément tenir aux mois, pourquoy en délaissant ce que dit Jésus-Christ, se transportent-ils à des locutions si diverses ? Car ce sont choses bien différentes l’une de l’autre, que le pain soit corps : et que le corps soit avec le pain. Mais pource qu’ils voyent qu’il leur estoit impossible de maintenir ceste simple proposition, assavoir que le pain fust vrayement le corps de Jésus-Christ, ils ont essayé d’eschapper par voyes obliques, que le corps est donné sous le pain et avec le pain. Les autres estans plus hardis, n’ont point douté d’affermer qu’à parler proprement, le pain est corps : en quoy ils se monstrent estre du tout litéraux. Si on leur objecte que le pain est doncques Jésus-Christ et est Dieu, ils le nieront fort et ferme, pource qu’il n’est point exprimé en ces paroles, Voyci mon corps. Mais ils ne proufiteront rien en niant, veu que tous confessent que Jésus-Christ nous est offert en la Cène. Or ce seroit un blasphème insupportable, de dire sans aucune figure, qu’un élément caduque et corruptible soit Jésus-Christ. Je leur demande, asçavoir si ces deux propositions valent autant l’une que l’autre : Jésus-Christ est Fils de Dieu, et le pain est corps de Jésus-Christ. S’ils accordent qu’elles soyent diverses (comme cela leur sera arraché en despit de leurs dénis) qu’ils me respondent dont vient telle différence. Je croy qu’ils ne me la sçauront assigner autre, sinon que le pain est nommé Corps à la façon des Sacremens. Dont il s’ensuyt que les paroles de Jésus-Christ ne sont point sujettes à la reigle commune, et ne doyvent pas estre examinées selon la Grammaire. Je demande aussi à ces opiniastres qui ne peuvent souffrir qu’on expose les paroles de Jésus-Christ, quand sainct Luc et sainct Paul disent que le calice est le Nouveau Testament au sang Luc 22.20 ; 1Cor. 11.25, si cela ne vaut pas autant que ce qui avoit esté dit au premier membre, que le pain est corps. Certes on doit faire autant de scrupule en une partie qu’en l’autre : et pource que la briefveté est obscure, ce qui est dit plus au long, esclarcit mieux le sens. Par ainsi, quand ils débatront sous ombre d’un mot, que le pain est le corps de Jésus-Christ, je leur amèneray l’interprétation de sainct Paul et de sainct Luc, comme une chose déclairée plus à plein : ascavoir que le pain est testament ou ratification que le corps de Jésus-Christ nous est donné. Où trouveront-ils meilleure interprétation, ne plus certaine ? Et toutesfois je ne préten pas de diminuer tant peu que ce soit de la participation que j’ay cidessus confessé que nous avons au corps de Jésus-Christ : seulement je veux rabatre ceste folle opiniastreté qu’ils ont, en débatant si furieusement des paroles : J’enten suyvant le tesmoignage de sainct Paul et de sainct Luc, que le pain est le corps de Jésus-Christ, pource qu’il en est le Testament ou alliance. S’ils réprouvent cela, ce n’est pas contre moy qu’ils bataillent, mais contre l’Esprit de Dieu. Quoy qu’ils protestent qu’ils ont telle dévotion aux paroles de Jésus-Christ, qu’ils n’y oseroyent admettre aucune figure, ceste couverture ne suffit pas pour leur faire réprouver tant orgueilleusement toutes les raisons que nous amenons à l’opposite. Ce pendant nous avons à noter quel est ce Testament au corps et au sang de Jésus-Christ. Car il ne nous proufiteroit rien que l’alliance de grâce eust esté ratifiée par le sacrifice de sa mort, si ceste communication, par laquelle nous sommes faits un avec luy, n’estoit conjoincte quant et quant.
4.17.21
Il reste doncques que pour l’affinité qu’ont les choses signifiées avec leurs figures, nous confessions que ce nom de Corps a esté attribué au pain : non pas nuement, comme les mots chantent, mais par une similitude bien convenable. Je n’introdui yci nulles figures ne paraboles, afin qu’on ne me reproche point que je cherche des subterfuges, en m’eslongnant du texte. Je di que c’est une façon de parler qui se trouve par toute l’Escriture, quand il est question des Sacremens. Car on ne sçauroit autrement prendre, que la Circoncision ait esté l’alliance de Dieu, l’Agneau ait esté l’issue d’Egypte, les sacrifices de la Loy, satisfactions pour les péchez, finalement que le rocher dont l’eau sortit au désert Exo. 17.6, ait esté Jésus-Christ, sinon par translation. Et non-seulement le nom de la chose plus digne est transféré à celle qui est inférieure, mais aussi à l’opposite, le nom de la chose visible est approprié à celle qui est signifiée : comme quand il est dit que Dieu est apparu à Moyse au buisson Exo. 3.2 : quand le coffre de l’alliance est nommé Dieu, et la face de Dieu Ps. 84.7 ; 42.2 : et la colombe est dite, le sainct Esprit Matt. 3.16. Car combien que le signe diffère en substance de la vérité qu’il figure, d’autant qu’il est corporel, visible et terrestre, et icelle est spirituelle et invisible, toutesfois pource que non-seulement il figure la chose à laquelle il est dédié, comme s’il en estoit une simple remembrance et nue, mais aussi l’offre vrayement et de faict, pourquoy est-ce que le nom ne luy conviendra ? Car si les signes inventez des hommes, qui sont plustost images des choses absentes que marques des présentes, et ausquels souvent il n’y a que vaine représentation, néantmoins prenent quelquesfois le tiltre des choses qu’ils signifient, il y a bien plus de raison que ceux qui sont instituez de Dieu, puissent emprunter les noms de ce qu’ils testifient sans aucune fallace, et mesmes en ont l’effect et la vérité pour nous la communiquer. Brief, il y a telle affinité et similitude de l’un à l’autre, que telle translation mutuelle ne doit pas estre trouvée estrange ne rude. Parquoy ceux qui nous appellent Tropistes, se monstrent en leur sotte facétie du tout barbares, veu qu’en matière de Sacrement l’usage commun de l’Escriture est du tout pour nous. Car comme ainsi soit que les Sacremens ayent grande similitude ensemble, principalement ils convienent tous quant à ceste translation de nom. Comme doncques l’Apostre enseigne que la pierre dont provenoit aux Israélites le bruvage spirituel, avoit esté Christ 1Cor. 10.4, entant que c’estoit un symbole, sous lequel ce bruvage spirituel estoit receu non pas visiblement à l’œil, mais toutesfois à la vérité : en ceste manière le pain est aujourd’huy appelé corps de Christ, d’autant que c’est un symbole, sous lequel nostre Seigneur nous offre la vraye manducation de son corps. Et afin que nul ne réprouve mon dire comme nouveau, sainct Augustin n’a pas autrement senty ne parlé. Si les Sacremens, dit-il, n’avoyent quelque similitude avec les choses desquelles ils sont Sacremens, ce ne seroyent plus Sacremens. A cause de ceste similitude, ils ont mesmes souvent les noms des choses qu’ils figurent. Pourtant comme le Sacrement du corps de Christ est aucunement le corps mesme, et le Sacrement du sang est le sang mesme : aussi le Sacrement de la foy est nommé Foy[c]. Il y a beaucoup de sentences semblables en ses livres, lesquelles il seroit superflu d’amasser yci, veu que ceste seule que j’ay alléguée suffit : sinon que les lecteurs doyvent estre advertis que le mesme docteur conferme et réitère ce propos en l’épistre à Evodius. C’est une tergiversation frivole, de répliquer que quand sainct Augustin parle ainsi des Sacremens, il ne fait pas mention de la Cène ; car par ce moyen il ne seroit plus licite d’arguer du tout à une partie. Certes si on ne veut abolir toute raison, on ne peut dire que ce qui est commun à tous Sacremens n’appartiene aussi à la Cène : combien que le mesme Docteur coupe broche à toute dispute en un autre lieu, en disant que Jésus-Christ n’a point fait de difficulté de nommer son corps, quand il en donnoit le signe. Item, que c’a esté une patience admirable à Jésus-Christ, de recevoir Judas au convive, auquel il instituoit et donnoit à ses disciples la figure de son corps et son sang[d].
[c] Epist. XXIII, Ad Bonifac.
[d] Contra Adimantum Manich., cap. XII ; In Psalm. III.
4.17.22
Toutesfois si quelque opiniastre fermant les yeux à tout, se veut attacher à ce mot. Ceci est mon corps, comme si ce verbe séparoit la Cène d’avec tous autres Sacremens : la solution est facile. Ils prétendent qu’il y a une telle force au verbe substantif, qu’il ne reçoit nulle déclaration. Quand je leur auray accordé cela, je réplique que sainct Paul en disant, Le pain que nous rompons est la communication du corps de Christ 1Cor. 10.16, use aussi bien de verbe substantif. Or Communication est autre chose que le corps mesme. Qui plus est, quasi par toute l’Escriture ce verbe se trouvera en matière de Sacrement. Comme quand il est dit. Ceci vous sera pour alliance avec moy Gen. 17.13 ; Exo. 12.43 : L’Agneau est l’issue. Pour abréger, quand sainct Paul dit que la pierre estoit Christ 1Cor. 10.4, pourquoy le verbe substantif a-il moins de vertu selon eux en ce passage, qu’aux mots de la Cène ? Qu’ils me respondent, quand sainct Jehan dit, Le sainct Esprit n’estoit pas encores : car Jésus-Christ n’estoit pas glorifié Jean 7.39 : qu’emporte là ce verbe, estoit. Car s’ils demeurent attachez à leur reigle, l’essence éternelle du sainct Esprit sera abolie : comme si elle avoit prins son commencement en l’ascension de Jésus-Christ. Qu’ils me respondent finalement ce qu’ils entendent par le dire de sainct Paul, que le Baptesme est le lavement de régénération et renouvellement Tite 3.5, veu qu’il appert qu’il est inutile à plusieurs. Mais il n’y a rien plus propre à les réfuter, que l’autre sentence de sainct Paul, où il dit que l’Eglise est Jésus- Christ. Car, ayant amené la similitude du corps humain, il adjouste, Ainsi est Jésus-Christ 1Cor. 12.12. Par lesquels mots il ne signifie pas le Fils unique de Dieu en soy, mais en ses membres. Je pense avoir desjà gaigné ce point, que les calomnies de nos adversaires pueront et seront détestables à toutes gens de sens rassis et d’intégrité, en ce qu’ils publient que nous desmentons Jésus-Christ, n’adjoustans nulle foy à ses paroles, lesquelles nous recevons en plus grande obéissance qu’eux ; et les considérons plus attentivement. Mesmes leur nonchalance si lourde qu’on la voit, monstre qu’il ne leur chaut guères de ce que Jésus-Christ a voulu ou entendu, moyennant qu’il leur serve de bouclier pour couvrir leur obstination : comme la diligence que nous mettons à nous enquérir du vray sens, tesmoigne combien nous prisons l’authorité de ce souverain Maistre. Ils nous reprochent malicieusement, que le sens humain nous empesche de croire ce que Jésus-Christ a proféré de sa bouche sacrée. Mais j’ay desjà en partie déclairé, et encores feray-je tantost mieux apparoistre, combien ils sont pervers et effrontez en nous chargeant de tels blasmes. Rien doncques ne nous empesche de croire simplement à Jésus-Christ : et si tost qu’il a dit le mot, d’y acquiescer. Seulement il est question de sçavoir si c’est un crime, de nous enquérir quel est le vray sens et naturel de ses paroles.
4.17.23
Ces bons Docteurs pour apparoistre gens lettrez, défendent de se retirer de la lettre tant peu que ce soit. Je réplique à l’opposite. Quand l’Escriture nomme Dieu, Homme de guerre Exo. 15.3, pource que sans translation ce langage seroit trop dur et trop aspre, je ne doute pas le prendre comme une similitude tirée des hommes. Et de faict, les hérétiques qu’on a appelez anciennement Anthropomorphites, n’avoyent autre couleur de molester et troubler l’Eglise, sinon qu’en prenant ces mots comme à belles dents. Les yeux de Dieu voyent Prov. 15.3. Il est parvenu à ses aureilles Ps. 18.7. Sa main est estendue Esaïe 9.11, La terre est son marchepied Esaïe 66.1 : ils se tempestoyent de ce que les saincts Docteurs n’accordoyent point que Dieu fust corporel, veu qu’il semble que l’Escriture luy assigne un corps. Ceux-là avoyent bien la lettre pour eux : mais si tous passages estoyent prins si cruement et lourdement, toute la vraye religion seroit pervertie de resveries brutales. Car il n’y a monstre d’absurdité que les hérétiques ne puissent faire semblant de déduire de l’Escriture, s’il leur est permis sous ombre d’un mot mal entendu et non exposé, d’establir ce que bon leur semblera. Ce qu’ils allèguent qu’il n’est pas vray-semblable que Jésus-Christ voulant donner une singulière consolation à ses disciples, ait parlé obscurément comme par énigmes, fait pour nous. Car si les disciples n’eussent entendu que le pain estoit nommé corps par similitude, d’autant qu’il en estoit l’arre ou symbole, ils se fussent troublez d’une chose si prodigieuse. Sainct Jehan récite que sur la mesme heure ils doutoyent et faisoyent scrupule sur chacun mot. Ceux qui disputent comment Jésus-Christ s’en ira à son Père, et trouvent grande difficulté comment il partira du monde Jean 14.5, 8 ; 16.17 : brief, qui n’entendent rien de ce qui leur est dit des choses célestes, comment eussent-ils esté si prompts et aisez à croire une chose si répugnante à toute raison, asçavoir que Jésus-Christ, qui estoit assis à table devant leurs yeux, fust aussi enclos invisiblement dessous le pain ? Parquoy ce qu’ils s’accordent sans aucune réplique à ce qui leur a esté dit, et mangent le pain à telles enseignes, de là il appert qu’ils prenoyent les paroles de Jésus-Christ comme nous faisons, pource qu’ils considéroyent qu’en tous Sacremens l’usage est accoustumé d’attribuer au signe le nom de la chose signifiée. Les disciples doncques ont receu une consolation certaine et liquide, et non pas enveloppée d’énigme : comme aujourd’huy nous la sentons telle qu’eux. Et n’y a autre raison pourquoy ces outrecuidez nous résistent tant, sinon que le diable les a aveuglez par ses enchantemens, pour appeler Ténèbres et énigmes, une interprétation si facile et coulante. D’avantage, si on veut précisément insister sur les mots, ce que Jésus-Christ met son corps et son sang à part, ne pourroit consister. Il appelle le pain son corps, et le vin son sang : ou ce sera une répétition confuse, ou ce sera une division pour séparer l’un d’avec l’autre. Mesmes on pourra affermer du calice que c’est le corps : et derechef, que le pain est le sang : je di si Jésus-Christ est enclos sous chacun des deux signes. S’ils respondent qu’il faut regarder à quelle fin les Sacremens sont instituez, je leur confesse : mais ce pendant ils ne se despestreront point que leur erreur ne tire tousjours ceste queue, asçavoir que le pain est sang, et le vin est corps. D’avantage, je ne sçay comment ils entendent d’accorder leurs fleutes, en confessant que le pain et le corps sont choses diverses : et toutesfois en affermant que le pain est proprement corps sans nulle figure ; comme si quelqu’un disoit que la robbe est autre chose que l’homme : et toutesfois qu’elle est proprement nommée Homme. Toutesfois comme si leur victoire estoit en opiniastreté furieuse, et opprobres, ils crient qu’en cherchant la vraye interprétation des mots de Jésus-Christ, nous l’accusons de mensonge. Tant y a qu’il sera maintenant facile aux lecteurs de juger combien telles gens nous font grande injure, faisant à croire aux ignorans que nous abatons l’authorité des paroles de Jésus-Christ : lesquelles ils pervertissent et confondent aussi furieusement, que nous les exposons fidèlement et en telle dextérité qu’il est requis, comme je l’ay monstré quasi au doigt.
4.17.24
Mais ceste fausseté et mensonge ne se peut droictement purger, sinon en rabatant une autre calomnie : c’est qu’ils nous accusent d’estre tellement adonnez à la raison humaine, que nous mesurons la puissance de Dieu au corps de nature, et ne luy attribuons rien plus que le sens commun nous enseigne. En lisant nos escrits, on verra incontinent combien ces calomnies sont vilenes et puantes. J’appelle doncques de leurs fausses détractions à la doctrine que j’en ai donnée : laquelle certifie assez clairement que je ne restrein point ce mystère à la capacité de la raison humaine, et ne l’assujeti point à l’ordre de nature. Je vous prie, avons-nous apprins des Philosophes naturels, que Jésus-Christ repaist aussi bien nos âmes de sa chair et de son sang, que nos corps sont nourris et substantez de pain et de vin ? Dont vient ceste vertu à la chair, de vivifier les âmes ? Chacun dira qu’il ne se fait point naturellement. Ce ne sera chose non plus accordante au sens humain, que la chair de Christ entre jusques à nous pour nous servir d’aliment. Brief, quiconques aura gousté nostre doctrine, sera ravy en admiration de ceste vertu secrète de Dieu que nous preschons. Or ces bons zélateurs se forgent un miracle, sans lequel ils ne pensent pas que Dieu puisse rien. Je prie et adverti derechef les lecteurs, qu’ils pensent diligemment que porte nostre doctrine, si elle dépend du sens commun, ou bien si par foy elle surmonte le monde, et passe jusques au ciel. Nous disons que Jésus-Christ descend à nous tant par le signe extérieur que par son Esprit, pour vivifier vrayement nos âmes de la substance de sa chair et de son sang. Ceux qui n’entendent point que telle chose ne se peut faire sans plusieurs miracles, sont plus que stupides, veu qu’il n’y a rien plus contraire au sens naturel, que de dire que les âmes empruntent de la chair la vie spirituelle et céleste : voire de la chair qui aura eu son origine de la terre, et qui a esté mortelle. Il n’y a rien plus incroyable, que de dire que les choses distantes l’une de l’autre aussi loing que le ciel de la terre, non-seulement soyent conjoinctes, mais unies, tellement que nos âmes reçoyvent nourriture de la chair de Christ, sans qu’elle bouge du ciel. Parquoy que ces phrénétiques se déportent de nous charger et rendre odieux par ceste calomnie si vilene : c’est que nous retranchons de la puissance infinie de Dieu. Car en cela ou ils errent trop lourdement, ou ils mentent trop impudemment, veu qu’il n’est pas yci question que c’est que Dieu a peu, mais que c’est qu’il a voulu : Et nous affermons tout ce qui luy plaisoit avoir esté fait. Or il luy a pleu que Jésus-Christ fust fait semblable à ses frères en toutes choses, excepté péché Héb. 2.17 ; 4.15. Quel est nostre corps ? N’est-il pas tel qu’il a sa propre et certaine mesure, qu’il est contenu en lieu, qu’il est touché, qu’il est veu ? Et pourquoy, disent-ils, ne fera Dieu qu’un mesme corps occupe plusieurs et divers lieux, qu’il ne soit comprins en nul certain lieu, qu’il n’ait point de forme ne mesure aucune ? insensé ! que demandes-tu à la puissance de Dieu, qu’elle face qu’un corps soit ensemblement corps et non corps ? Comme si tu requerois qu’elle face la lumière estre tout en un coup lumière et ténèbres. Mais elle veut la lumière estre lumière, les ténèbres estre ténèbres, un corps estre un corps. Certes elle convertira bien, quand elle voudra, les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres. Mais quand tu demandes que la lumière et les ténèbres ne soyent point différentes, que veux-tu autre chose que pervertir l’ordre de la sapience de Dieu ? Il faut doncques que le corps soit corps, et que l’esprit soit esprit, un chacun en telle loy et condition qu’il a esté créé de Dieu. Et ceste est la condition du corps, qui consiste en un lieu certain, en sa propre et certaine mesure, et en sa forme. En celle condition Jésus-Christ a prins corps, auquel, tesmoin sainct Augustin, il a bien donné incorruption et gloire, mais il ne luy a point osté sa nature et sa vérité[e]. Car le tesmoignage de l’Escriture est clair et évident, Qu’il est monté au ciel, dont il doit ainsi revenir comme il y a esté veu monter Actes 1.11.
[e] Epistola ad Dardanum.
4.17.25
Ils répliquent qu’ils ont la Parole, par laquelle la volonté de Dieu est liquidée. Voire si on leur concède d’exterminer de l’Eglise le don d’interprétation, par lequel la Parole soit entendue comme elle doit. Je confesse qu’ils allèguent le texte de l’Escriture, mais tout ainsi que faisoyent jadis les Antropomorphites, en faisant Dieu corporel. Item, comme Marcion et Manichée, qui faisoyent le corps de Jésus-Christ céleste ou fantastique. Car ils alléguoyent ces tesmoignages : Le premier Adam estant de terre, est terrestre : le second Adam, asçavoir le Seigneur, est du ciel 1Cor. 15.47. Item, que Jésus s’est anéanty ayant prins forme de serf, et ayant esté trouvé ressembler aux hommes Phil. 2.7. Mais ces vanteurs semblables à joueurs de passe-passe, n’estiment, pas qu’il y ait nulle puissance de Dieu, sinon que par le monstre qu’ils forgent en leur cerveau, tout ordre de nature soit renversé. Ce qui est plustost borner Dieu, et luy assigner ses rayes, à ce qu’il soit contraint d’obéir à nos fantasies. Car de quelle parole ont-ils puisé, que le corps de Jésus-Christ soit visible au ciel, et cependant qu’il soit caché et invisible sous une infinité de morceaux de pain ? Ils allégueront que cela est requis de nécessité, à ce que le corps de Jésus-Christ soit donné à la Cène. Voire, pource qu’il leur a pleu de tirer des paroles de Jésus-Christ une façon charnelle de manger son corps : estans préoccupez de leurs fantasies, ils ont esté contraints de forger ceste subtilité, à laquelle toute l’Escriture contredit. Or tant s’en faut que nous amoindrissions en façon que ce soit la puissance de Dieu, qu’il n’y a rien plus propre à la magnifier, que ce que nous enseignons. Mais pource qu’ils ne nous cessent d’accuser que Dieu est fraudé de son honneur, quand nous rejettons ce qui est difficile à croire au sens commun, combien qu’il ait esté promis de Jésus-Christ : je respon derechef comme n’aguères, que nous ne prenons point conseil du sens naturel des mystères de la foy, mais que nous recevons en toute docilité et esprit de mansuétude (comme sainct Jaques nous exhorte Jacq. 1.21) tout ce qui procède de Dieu. Ce pendant nous ne laissons pas de suyvre une modération utile, pour ne point tomber en erreur si pernicieux, duquel ils sont aveuglez. Car en prenant ces paroles cruement et à la volée, Ceci est mon corps, ils se forgent un miracle du tout contraire à l’intention de Jésus-Christ. Là-dessus beaucoup d’absurditez énormes leur vienent devant les yeux : mais pource que par leur folle hastiveté ils se sont desjà jettez au filet, ils se fourrent en l’abysme de la puissance infinie de Dieu, pour estouffer et esteindre toute vérité. Et voylà dont procède ceste présomption avec un chagrin et desdain, quand ils disent qu’ils ne veulent point sçavoir comment le corps de Jésus-Christ est caché sous le pain : pource qu’ils se contentent de ce mot. Ceci est mon corps. Nous, de nostre costé, mettons peine d’avoir la vraye intelligence de ce passage, comme de tous autres : et y appliquons nostre estude songneusement et avec obéissance. Et ne concevons pas soudain à l’estourdie et sans discrétion ce qui se présente à nos sens : mais après avoir bien médité et considéré le tout, nous recevons le sens que le sainct Esprit nous suggère. Estans si bien fondez, nous mesprisons tout ce que la sagesse terrienne peut opposer à l’encontre : mesmes nous tenons nos entendemens captifs, et les humilions, à ce qu’ils n’entreprenent point de s’eslever ou gronder contre l’authorité de Dieu. C’est de là que nous est venue ceste exposition que nous tenons, laquelle tous ceux qui sont moyennement versez en l’Escriture, cognoissent et voyent estre commune à tous Sacremens. Aussi suyvans l’exemple de la saincte Vierge, nous n’estimons pas qu’il soit défendu en une chose haute, de demander comment elle se peut faire Luc 1.34.
4.17.26
Mais pource qu’il n’y aura rien plus propre à confermer la foy des enfans de Dieu, que quand il leur sera monstré que la doctrine que j’ay mise ci-dessus est purement tirée de l’Escriture, et appuyée sur l’authorité d’icelle, je liquideray ce point en brief. Ce n’est pas Aristote, mais le sainct Esprit qui enseigne que le corps de Jésus-Christ, après estre ressuscité des morts, demeure en sa mesure, et est receu au ciel jusques au dernier jour. Je n’ignore pas que nos adversaires ne font que hocher la teste de tous les passages que nous alléguons. Toutes fois et quantes que Jésus-Christ dit qu’il s’en ira en laissant le monde Jean 16.7, ils répliquent que tel département n’est autre chose qu’un changement de son estat mortel. Mais si ainsi estoit, Jésus-Christ ne substitueroit point le sainct Esprit pour suppléer au défaut de son absence, veu qu’il ne luy succède point. Comme aussi Jésus-Christ n’est pas descendu derechef de sa gloire céleste pour prendre condition mortelle. Certes l’advénement du sainct Esprit en ce monde, et l’ascension de Christ sont choses opposites. Et pourtant il est impossible qu’il habite en nous selon la chair en telle façon qu’il envoye son Esprit. D’avantage, il prononce clairement, qu’il ne sera pas tousjours avec ses disciples au monde Matt. 26.11. Il leur semble qu’ils feront escouter ceste sentence, en disant que Jésus-Christ a simplement entendu qu’il ne seroit pas tousjours povre et disetteux, pour avoir besoin de secours. Mais la circonstance du lieu leur contredit, veu qu’il n’est point là question de povreté ny indigence, ou d’autres misères de la vie terrienne, mais de luy faire honneur. L’onction faite par la femme ne plaisoit point aux disciples : pource qu’il leur sembloit que c’estoit une despense superflue et inutile, mesmes une pompe excessive et à condamner. Ainsi ils eussent mieux aimé qu’on eust distribué aux povres le pris de l’onguent, qui avoit esté mal espandu à leur advis. Jésus-Christ dit qu’il ne sera pas tousjours présent pour recevoir tel honneur. Et sainct Augustin n’expose point autrement ce passage duquel les paroles qui s’ensuyvent ne sont point obscures. Quand Jésus-Christ disoit, Vous ne m’aurez point tousjours avec vous : il parloit de la présence de son corps. Car selon sa majesté, selon sa providence, selon sa grâce invisible, ce qu’il a promis ailleurs est accomply, Je seray avec vous jusques à la fin du monde : mais selon la nature humaine qu’il a prinse, selon ce qu’il est nay de la Vierge, selon ce qu’il a esté crucifié et ensevely, selon ce qu’il est ressuscité, ceste sentence est accomplie, Vous ne m’aurez point tousjours avec vous. Pourquoy cela ? Pource que selon le corps il a conversé quarante jours avec ses disciples : et eux le suyvans de veue, et non point allans après, il est monté au ciel, et n’est plus yci. Et toutesfois il est toujours yci, d’autant qu’il ne s’est point retiré par la présence de sa majesté. Item, Nous avons tousjours Jésus-Christ avec nous selon la présence de sa majesté : selon la présence de sa chair, il a dit, Vous ne m’aurez point tousjours avec vous. Car l’Eglise l’a eu présent pour peu de jours selon le corps : maintenant elle le tient par foy, mais elle ne le voit point des yeux[f] Matt. 28.20. Nous voyons comment ce sainct Docteur constitue la présence de Jésus-Christ avec nous en trois choses : asçavoir, en sa majesté, en sa providence et en sa grâce indicible : sous laquelle grâce je compren la communion qu’il nous donne en son corps et en son sang. Ainsi nous voyons qu’il ne le faut point enclorre dedans le pain ; car il a tesmoigné qu’il avoit chair et os, qui pouvoyent estre touchez et veus. Et S’en aller et Monter, ne signifie pas faire semblant de s’en aller et monter : mais est vrayement faire ce que les paroles chantent. Mais quelqu’un demandera, s’il faut assigner quelque région du ciel à Christ. A quoy je respon avec sainct Augustin, que ceste question est trop curieuse et superflue : moyennant que nous croyons qu’il est au ciel, c’est assez[g].
[f] Tractat. in Joann., L.
[g] De fide et Symb., cap VI.
4.17.27
Quoy doncques ? le nom d’Ascension si souvent réitéré, ne signifie-il pas que Jésus-Christ soit bougé d’un lieu à l’autre ? Ils le nient, pource qu’à leur semblant, par la hautesse est seulement notée la majesté de son Empire. Mais je demande derechef. Quelle a esté la façon de monter ? N’a-il pas esté eslevé en haut à veue d’œil ? Les Evangélistes ne récitent-ils pas clairement qu’il a esté receu au ciel ? Ces opiniastres, pour se monstrer Sophistes bien aigus, disent qu’il a esté caché de la veue des hommes par la nuée : afin que les fidèles ne le cherchassent plus visible yci-bas Actes 1.9, 11 ; Marc 16.19 ; Luc 24.51. Comme s’il ne devoit pas plustost s’esvanouir en une minute, s’il vouloit faire foy d’une présence invisible : ou que la nuée ne le deust retirer à part, devant qu’il eust un pied levé. Mais quand il est porté haut en l’air, et puis mettant une nuée entre luy et ses disciples, monstre qu’il ne le faut plus chercher en terre : nous concluons seurement qu’il a maintenant son domicile au ciel. Comme aussi sainct Paul l’afferme, et nous commande de l’attendre jusques à ce qu’il viene de là. Pour ceste cause les Anges advertissent les disciples, qu’ils s’abusent regardans en l’air : pource que Jésus qui a esté receu au ciel, viendra comme ils l’ont veu monter Actes 1.11. Nos adversaires pour se monstrer habiles gens, apportent leur tergiversation accoustumée, que lors il viendra visible Phil. 3.20 : pource qu’il ne s’est pas tellement départy du monde, qu’il ne demeure invisible avec les siens. Voire comme si les Anges traittoyent là d’une double présence, et que leur intention ne fust pas d’oster toute doute de l’ascension de Jésus-Christ, dont les disciples estoyent tesmoins. Comme s’ils disoyent, Ayant esté receu au ciel à vostre propre veue, il a prins possession de l’Empire céleste : il reste que vous attendiez patiemment jusques à ce qu’il viene derechef pour estre Juge du monde : d’autant qu’il n’est pas entré au ciel pour occuper seul la place, mais pour vous recueillir avec soy, et pareillement tous croyans.
4.17.28
Or pource que telles gens, pour approuver leur fantasie bastarde n’ont point honte de la farder de l’authorité des Anciens, et sur tout de sainct Augustin, j’expédieray en brief combien ils se portent desloyaument en cest endroict. Pource que quelques-uns sçavans gens et fidèles serviteurs de Dieu ont assez approuvé la vérité que nous tenons, par le tesmoignage des anciens Docteurs, je ne seray point superflu en ramassant yci ce, qu’on peut trouver en leurs livres. Mesmes je n’amèneray point de sainct Augustin tout ce qui pourroit servir à la cause : mais je me contenteray en brief de monstrer qu’il est du tout de nostre costé. Quant à ce que nos adversaires, pour le nous arracher, prétendent que souvent ceste sentence se trouve en ses livres, que le corps et le sang de Jésus-Christ nous sont dispensez en la Cène, asçavoir le sacrifice qui a esté une fois offert en la croix[h] : c’est une couverture frivole, veu qu’il nomme aussi bien les signes, Sacremens du corps et du sang. Au reste, il n’est jà besoin de chercher par long circuit en quel sens il use de ces mots, veu qu’il s’explique assez, en disant que les Sacremens prenent leur nom de la similitude des choses qu’ils signifient : et ainsi, que selon quelque manière le Sacrement du corps est appelé Corps. Auquel passage respond aussi l’autre que nous avons allégué, que Jésus-Christ n’a point fait scrupule de dire, Voyci mon corps, donnant, le signe d’iceluy[i]. Ils objectent plus outre un autre dire du mesme Docteur, que le corps de Jésus-Christ tombe à terre, et entre en la bouche[j]. Je respon que c’est en tel sens, comme il adjouste conséquemment qu’il se consume au ventre. Il ne leur sert de rien ce qu’il dit ailleurs, que le pain se consume après que le mystère est parfait : d’autant qu’il avoit dit un peu au paravant. Veu que ce mystère est notoire, lequel s’administre par les hommes, il peut estre en dignité, et honneur comme chose saincte, mais non pas comme miracle[k]. A quoy se rapporte un autre passage, que nos adversaires tirent trop inconsidérément à eux : c’est que Jésus-Christ en distribuant le pain de la Cène à ses disciples, s’est aucunement, porté entre ses mains. Car en mettant cest adverbe de similitude, Aucunement, il déclaire que le corps n’a point esté réalement enclos sous le pain. Ce qui ne doit estre trouvé nouveau, veu qu’ailleurs il maintient haut et clair, que si on oste aux corps leur mesure et espace de lieu, ils ne seront nulle part : et par ainsi ils ne seront nullement[l]. Leur cavillation est trop maigre, qu’il ne traitte point là de la Cène, en laquelle Dieu desploye une vertu spéciale. Car notamment la conclusion avoit esté esmeue du corps de Jésus-Christ. Et ce sainct Docteur respondant de propos délibéré, dit qu’il luy a donné immortalité, mais il ne luy a pas osté sa nature. Parquoy, dit-il, selon le corps Jésus-Christ n’est point espandu par tout. Car il nous faut garder de tellement affermer la divinité du Médiateur qui a esté fait homme, que nous destruisions la vérité de son corps. Car il ne s’ensuyt pas, combien que Dieu soit par tout, que tout ce qui est en luy y soit aussi bien. La raison est adjoustée, que Jésus-Christ n’estant qu’un, est Dieu et homme en sa personne. Entant qu’il est Dieu, qu’il est par tout : entant qu’il est homme, qu’il est au ciel. Quelle sottise eust-ce esté, de ne point excepter pour le moins en un mot, le mystère qui est de si grande importance, s’il y eust eu contrariété aux propos qu’il tenoit ? Qui plus est, si on lit attentivement ce qui s’ensuyt, on trouvera que la Cène y est aussi bien comprinse. Car il dit que le Fils unique de Dieu, estant aussi homme, est par tout présent, voire tout entier : entant qu’il est Dieu, qu’il réside au temple de Dieu, c’est-à-dire en l’Eglise : et néantmoins qu’il est au ciel comme Dieu, pource qu’il faut qu’un vray corps ait sa mesure. Nous voyons que pour unir Jésus-Christ avec son Eglise, il ne retire pas son corps du ciel : ce qu’il eust fait, si ce corps ne nous pouvoit estre viande, qu’il ne fust enclos sous le pain. En un autre passage, voulant définir comment les fidèles possèdent Jésus-Christ : Nous l’avons, dit-il, par le signe de la croix, par le Sacrement du Baptesme, et par le manger et boire de l’autel[m]. Or je ne dispute point si c’a esté bien dit à luy, d’égaler une superstition folle aux vrais signes de la présence de Jésus-Christ : seulement je di qu’en faisant telle comparaison, il monstre assez qu’il n’imagine point deux corps en Jésus-Christ, pour le cacher au pain d’un costé, et le laisser visible au ciel de l’autre. Si on requiert plus ample exposition, il adjouste tantost après, que nous avons tousjours Jésus-Christ selon la présence de sa majesté, et non pas selon la présence de sa chair, veu que selon icelle il a esté dit. Vous ne m’aurez point tousjours Matt. 26.11. Nos adversaires répliquent qu’il entrelace aussi bien ces mots, que selon sa grâce indicible et invisible son dire s’accomplit, qu’il sera avec nous jusques en la fin du monde Matt. 28.20. Mais cela ne fait rien pour eux : d’autant que c’est une partie de ceste majesté laquelle il oppose au corps, mettant ces deux choses comme diverses, La chair, et La vertu ou grâce. Comme en un autre lieu il met ces deux choses opposites, que Jésus-Christ a laissé ses disciples quant à la présence corporelle, pour estre avec eux de présence spirituelle ; où il appert qu’il distingue notamment l’essence de la chair, d’avec la vertu de l’Esprit laquelle nous conjoinct à Christ : combien que nous en soyons séparez par distance de lieu. Il use plusieurs fois d’une mesme façon de parler : comme quand il dit. Il viendra en présence corporelle pour juger les vifs et les morts, selon la reigle de la foy. Car en présence spirituelle il est tousjours avec son Eglise. Ceste sentence doncques s’adresse aux croyans lesquels il avoit commencé de garder, leur estant présent de corps, et lesquels il devoit laisser par l’absence de son corps, afin de les garder par présence spirituelle. C’est une cavillation sotte, de prendre Corporel pour Visible, veu qu’il oppose le corps à la vertu divine : et en adjoustant qu’il garde avec le Père, il exprime clairement qu’il espand de sa grâce en nous du ciel par le sainct Esprit.
[h] Ad Bonif, epist. XXIII.
[i] Contra Adamantum Manichaeum, lib. XII.
[j] De Trinit., lib. III, cap. X.
[k] In Psalm, XXXIII.
[l] Epistola ad Dardanum.
[m] Tractat. in Joann., L.
4.17.29
Et pource qu’ils se confient tant en ceste cachette de Présence invisible, voyons un peu comment elle les couvre. Pour le premier, ils ne produiront point une seule syllabe de l’Escriture, par laquelle ils prouvent que Jésus-Christ soit invisible. Mais ils prenent pour une maxime infallible ce que nul ne leur concédera : c’est que le corps de Jésus-Christ ne peut estre donné en la Cène, sinon sous une masque de morceau de pain. Or c’est le point duquel ils ont à débatre avec nous : tant s’en faut qu’il doyve obtenir lieu du principe. D’avantage, en gazouillant ainsi : ils sont contraints de faire double corps en Jésus-Christ, pource que selon leur dire il est visible au Ciel en soy, en la Cène il est invisible par une dispensation spéciale. Or si cela est convenable ou non, on en peut juger par beaucoup de passages de l’Escriture : et sur tout par le tesmoignage de sainct Pierre, quand il dit qu’il faut que Jésus-Christ soit contenu au ciel, jusques à ce qu’il viene pour juger le monde Actes 3.21. Ces acariastres enseignent qu’il est par tout sans forme aucune : alléguans que c’est iniquement fait, d’assujetir la nature d’un corps glorieux aux loix de la nature commune. Orceste response traîne avec soy la resverie de Servet, laquelle à bon droict est détestable à toutes gens craignans Dieu : asçavoir que le corps de Jésus-Christ après l’ascension a esté englouty par sa divinité. Je ne di pas qu’ils tienent ceste opinion : mais si on conte entre les qualitez d’un corps glorifié, qu’il soit infini et remplisse tout, il est notoire que la substance en sera abolie, et qu’il ne restera nulle distinction entre la Divinité et la nature humaine. D’avantage, si le corps de Jésus-Christ est ainsi variable et de diverses sortes, d’apparoistre en un lieu, et d’estre invisible en l’autre : que deviendra la nature corporelle, laquelle doit avoir ses mesures ? que deviendra aussi l’unité ? Tertullien argue bien mieux, enseignant que Jésus-Christ a un vray corps et naturel, puis que la figure nous en est donnée en la Cène, en gage et certitude de la vie spirituelle. Car la figure seroit fausse, si ce qu’elle représente n’estoit vray. Et de faict, Jésus-Christ parloit de son corps glorieux, en disant, Voyez et tastez : car un esprit n’a point de chair ne d’os Luc 24.39. Voyci comment un corps sera approuvé vray corps par la bouche de Jésus-Christ : c’est quand il se voit et se manie. Qu’on oste ces choses, il ne sera plus corps. Ils ont tousjours leur refuge à leur dispensation qu’ils se sont forgée. Or nostre devoir est de recevoir en telle sorte ce que Jésus-Christ prononce absolument, que ce qu’il veut affermer soit tenu pour vallable sans exception. Il prouve qu’il n’est point un fantosme, comme les disciples cuidoyent : pource qu’il est visible en sa chair. Qu’on oste ce qu’il attribue à son corps comme propre, ne faudra-il pas trouver une définition nouvelle ? D’avantage, qu’ils se tournent et virent tant qu’ils voudront, ceste dispensation qu’ils ont songée n’a point de lieu, quand sainct Paul dit que nous attendons nostre Sauveur du ciel, lequel conformera nostre corps contemptible à son corps glorifié Phil. 3.20-21. Car nous ne devons point espérer une conformité aux qualitez qu’ils imaginent : asçavoir, que chacun ait un corps invisible et infini. Et ne se trouvera homme si lourdant, auquel ils persuadent une telle absurdité. Ainsi, qu’ils se déportent d’attribuer ceste propriété au corps glorieux de Jésus-Christ c’est qu’il soit ensemble en plusieurs lieux, et qu’il ne soit contenu en nulle espace : brief, ou qu’ils nient ouvertement la résurrection de la chair, ou qu’ils confessent que Jésus-Christ estant vestu de sa gloire céleste, ne s’est point despouillé de sa nature humaine : veu que la résurrection nous sera commune avec luy, en laquelle il nous fera participans et compagnons de la condition en laquelle il est. Car les Escritures n’enseignent rien plus clairement que cest article : c’est que comme Jésus-Christ a vestu nostre chair en naissant de la vierge Marie, et a souffert en icelle pour effacer nos péchez : aussi qu’il a reprins ceste mesme chair en ressuscitant. Car aussi toute l’espérance que nous avons de venir au ciel est là appuyée, que Jésus-Christ y est monté : et (comme dit Tertullien) qu’il y a porté avec soy l’arre de nostre résurrection. Or je vous prie, combien ceste fiance seroit-elle débile, sinon que la mesme chair que Jésus-Christ a prinse de nous, fust entrée au ciel ? Parquoy que ceste resverie qui attache au pain tant Jésus-Christ que les entendemens des hommes, soit mise bas. Car à quoy tend ceste présence invisible dont ils babillent, sinon afin que ceux qui désirent d’estre conjoincts à Jésus-Christ, s’amusent au signe extérieur ? Or le Seigneur Jésus a voulu retirer non-seulement nos yeux, mais aussi tous nos sens de la terre, défendant aux femmes qui estoyent venues au sépulchre, de le toucher : pource qu’il n’estoit pas encores monté à son Père Jean 20.17. Veu qu’il sçavoit que Marie avec ses compagnes venoit d’une affection saincte et en grande révérence luy baiser les pieds, il n’y avoit raison d’empescher et réprouver tel attouchement, jusques à ce qu’il fust monté au ciel, sinon qu’il ne vouloit estre cherché ailleurs que là. Ce qu’on objecte, que depuis il a esté veu de sainct Estiene Actes 7.55 : la solution est facile. Car il n’a pas esté requis que Jésus-Christ pour ce faire changeast de lieu, pouvant donner une veue supernaturelle aux yeux de son serviteur, laquelle transperçast les cieux. Autant en est-il de sainct Paul Actes 9.4. Ce qu’on allègue derechef, que Jésus-Christ est sorty du sépulchre sans l’ouvrir, et qu’il est entré à ses disciples les huis de la chambre estans clos Matt. 28.6 ; Jean 20.19, ne fait rien non plus à maintenir leur erreur. Car comme l’eau a servy à Jésus-Christ d’un pavé ferme, quand il cheminoit sur le lac Matt. 14.25, aussi on ne doit trouver estrange si la dureté de la pierre s’est amollie pour luy donner passage. Combien qu’il est aussi vray-semblable que la pierre se soit levée, et puis retornée en son lieu. Comme aussi d’entrer en une chambre les huis estans fermez, ce n’est pas à dire transpercer le bois, mais seulement qu’il s’est fait ouverture par sa vertu divine, en sorte que d’une façon miraculeuse il s’est trouvé au milieu de ses disciples, combien que les portes fussent serrées. Ce qu’ils ameinent de sainct Luc, asçavoir qu’il s’est esvanouy soudain des yeux des disciples qui alloyent en Emaüs Luc 24.31, ne leur sert de rien, et fait à nostre avantage. Car pour leur oster la veue de son corps, il ne s’est point fait invisible, mais seulement s’est disparu. Comme aussi, tesmoin le mesme Evangéliste, en cheminant il ne s’est point desguisé ou transfiguré pour estre mescognu, mais a tenu leurs yeux Luc 24.16. Or nos adversaires non-seulement transfigurent Jésus-Christ pour le faire estre au monde, mais le forgent divers à soy-mesme, et tout autre en terre qu’au ciel. Brief, selon leur resverie, combien qu’ils ne disent pas en un mot que la chair de Jésus-Christ soit esprit, toutesfois ils l’enseignent. Et ne se contentans point de cela, selon le lieu où ils la mettent, ils la vestent de qualitez toutes contraires. Dont il s’ensuyt nécessairement qu’elle soit double.
4.17.30
Mais encores que nous leur accordions ce qu’ils gazouillent de la présence invisible, si est-ce que l’immensité ne sera point prouvée, sans laquelle ils tendent en vain d’enclorre Jésus-Christ sous le pain. Jusques à ce qu’ils ayent prouvé qu’il est par tout sans distance ne pourpris, jamais ne feront à croire qu’il soit caché sous le pain de la Cène. Et c’est ce qui les a contraints d’introduire ceste opinion monstrueuse de corps infini. Or nous avons monstré par tesmoignages clairs et fermes de l’Escriture, que le corps de Jésus-Christ est aussi bien contenu que les autres en espace de lieu, selon que requiert la mesure d’un corps humain. D’avantage, que par son ascension au ciel, il a certifié qu’il n’estoit pas en tous lieux : mais qu’en allant en un lieu, il laissoit l’autre. La promesse qu’ils allèguent ne se doit pas estendre jusques au corps, asçavoir. Je suis avec vous jusques à la fin du siècle Matt. 28.20. Car si ainsi estoit, il faudroit que Jésus-Christ habitast en nous corporellement hors l’usage de la Cène : veu qu’il est là parlé d’une conjonction perpétuelle. Et ainsi, ils n’ont nulle raison de combatre si amèrement pour enclorre Jésus-Christ sous le pain, veu qu’ils confessent que nous l’avons aussi bien sans la Cène. D’avantage, le texte liquide que Jésus-Christ ne parle là nullement de sa chair : mais qu’il promet à ses disciples un secours invincible, par lequel il les défendra et maintiendra contre tous assauts de Satan et du monde. Car pource qu’il leur donnoit une charge difficile, afin qu’ils ne doutent point de la recevoir, ou qu’ils ne se sentent estonnez, il les conferme en leur promettant de leur estre tousjours présent : comme s’il disoit que son aide, qui est insupérable, ne leur défaudra jamais. Si ces gens ne prenoyent plaisir à tout mesler et confondre, ne faloit-il pas distinguer quelle est ceste manière de présence ? Et de faict, aucuns aiment mieux avec leur grand vitupère descouvrir leur ignorance, que de décliner tant peu que ce soit de leur erreur. Je ne parle point des Papistes, desquels la doctrine est plus supportable, ou pour le moins mieux colorée. Mais il y en a qui sont transportez de telle ardeur, qu’ils n’ont honte de dire, qu’à cause de l’union des deux natures, par tout où est la divinité de Jésus-Christ, sa chair y est aussi bien, laquelle ne s’en peut séparer. Comme si ceste union estoit une fonte, pour faire je ne sçay quel meslinge, qui ne soit ne Dieu ny homme. Eutyches l’a bien ainsi imaginé, et après luy Servet. Mais nous pouvons ouvertement recueillir de toute l’Escriture, qu’en la personne de Jésus-Christ les deux natures sont tellement unies, que chacune a sa propriété qui luy demeure sauve. Nos adversaires n’oseront pas dire qu’Eutyches n’ait esté condamné à bon droict. C’est merveille qu’ils ne regardent pas pour quelle cause : c’est asçavoir qu’en ostant la différence entre les deux natures, et insistant sur l’unité de la personne, il faisoit Jésus-Christ homme, entant qu’il est Dieu, et Dieu entant qu’il est homme. Quelle forcenerie doncques est-ce, de mesler plustost le ciel et la terre, que de quitter ceste fantasie de vouloir arracher Jésus-Christ du sanctuaire des cieux ? Quant à ce qu’ils allèguent pour eux ces tesmoignages. Que nul n’est monté au ciel sinon le Fils de l’homme qui y est Jean 3.13 : Item, Le Fils qui est au sein du Père nous l’a déclairé Jean 1.18 ; en cela ils monstrent leur stupidité, de mespriser la communication des propriétez ; laquelle non sans cause a esté inventée des Pères anciens. Certes quand il est dit que le Seigneur de gloire a esté crucifié 1Cor. 2.8, ce n’est pas qu’il ait rien souffert en sa divinité, mais pource que Jésus-Christ qui souffroit ceste mort ignominieuse en la chair, luy-mesme estoit le Seigneur de gloire. Par semblable raison le Fils de l’homme estoit au ciel et en terre, pource que Jésus-Christ selon la chair a conversé yci-bas durant sa vie mortelle, et cependant ne laissoit point d’habiter au ciel comme Dieu. Suyvant cela au mesme passage il est dit qu’il est descendu du ciel : non pas que sa divinité ait quitté le ciel pour s’enclorre en la chair comme en une loge : mais pource que luy qui remplit tout, a néantmoins habité corporellement et d’une façon indicible en son humanité, Il y a une distinction vulgaire entre les Théologiens sorboniques, laquelle je n’auray pas honte de réciter : c’est que Jésus-Christ est par tout en son entier : mais que tout ce qu’il a en soy, n’est point par tout. Pleust à Dieu que les povres gens poisassent bien que vaut ceste sentence : car par ce moyen leur sotte imagination de la présence charnelle de Jésus-Christ en la Cène seroit rabatue. Parquoy nostre médiateur estant entier par tout, est tousjours prochain des siens. Mesmes en la Cène il se monstre présent d’une façon spéciale : toutesfois c’est pour y estre, et non pas pour y apporter tout ce qu’il a en soy : veu que quant à la chair, il faut qu’il soit comprins au ciel, jusques à ce qu’il apparoisse en jugement.
4.17.31
Au reste, ceux qui ne conçoyvent nulle présence de la chair de Jésus-Christ en la Cène, si elle n’est attachée au pain, s’abusent grandement : car en ce faisant ils excluent l’opération secrette de l’Esprit, laquelle nous unit à Jésus-Christ. Il ne leur semble pas que Jésus-Christ nous soit présent s’il ne descend à nous. Voire, comme si en nous eslevant à soy, il ne nous faisoit pas aussi bien jouir de sa présence. Parquoy nostre question ou différent est seulement de la façon : pource que nos adversaires veulent loger Jésus-Christ au pain, et nous disons qu’il ne nous est pas licite de le retirer du ciel. Que les lecteurs jugent lesquels parlent plus sainement et droictement : moyennant que ceste calomnie soit mise sous le pied, qu’on arrache Jésus-Christ de sa Cène, si on ne l’enclost sous le pain. Car veu que ce mystère est céleste, il n’est pas requis que Jésus-Christ soit attiré ci-bas pour estre conjoinct à nous.
4.17.32
Au reste, si quelqu’un m’interrogue plus outre, comment cela se fait : je n’auray point de honte de confesser que c’est un secret trop haut pour le comprendre en mon esprit, ou pour l’expliquer de paroles. Et pour en dire briefvement ce qui en est, j’en sen plus par expérience, que je n’en puis entendre. Pourtant sans faire plus longue dispute, j’acquiesce à la promesse de Jésus-Christ. Il prononce que sa chair est la viande de mon âme, et son sang le bruvage : je luy offre doncques mon âme pour estre repeue de telle nourriture. Il me commande en sa saincte Cène, de prendre, manger et boire son corps et son sang sous les signes du pain et du vin : je ne doute pas qu’il ne me donne ce qu’il me promet, et que je ne le reçoyve. Seulement je rejette les absurditez et les folles imaginations contrevenantes à sa majesté, ou à la vérité de sa nature humaine, veu qu’elles sont aussi répugnantes à la Parole de Dieu, laquelle nous enseigne que Jésus-Christ estant receu en la gloire du ciel Luc 24.26, ne se doit plus chercher yci-bas, et attribue à son humanité tout ce qui est propre à l’homme. Or il ne faut pas qu’on s’estonne de ceci, comme de chose incroyable. Car comme tout le règne de Jésus-Christ est spirituel, aussi tout ce qu’il fait avec son Eglise, ne se doit point rapporter à l’ordre naturel du monde : et afin de respondre par la bouche de sainct Augustin, ce mystère se traitte par les hommes, mais c’est d’une façon divine : il s’administre en terre, mais c’est d’une façon céleste[n]. Telle est la présence du corps que requiert le Sacrement, laquelle nous y disons estre et apparoistre en si grande vertu et efficace, que non-seulement elle apporte à nos âmes une confiance indubitable de la vie éternelle, mais aussi elle nous rend certains et asseurez de l’immortalité de nostre chair, laquelle desjà vient à estre vivifiée par la chair de Jésus-Christ immortelle, et communique en quelque manière à son immortalité. Ceux qui par leurs façons de parler excessives se transportent outre ceci, ne font autre chose qu’obscurcir la vérité, laquelle autrement est simple et évidente. S’il y a quelqu’un qui ne soit pas encore content, qu’il considère un peu avec moy que nous sommes yci maintenant en propos du Sacrement, duquel le tout doit estre rapporté à la foy. Or nous ne repaissons pas moins la foy par ceste participation du corps laquelle nous avons récitée, que ceux qui pensent retirer Jésus-Christ du ciel. Cependant je confesse franchement que je rejette la mixtion qu’ils veulent faire de la chair de Jésus-Christ avec nos âmes, comme si elle descouloit par un alambic : pource qu’il nous doit suffire que Jésus-Christ inspire vie à nos âmes de la substance de sa chair : mesmes que sa chair distille sa vie en nous, combien qu’elle n’y entre pas. Notez aussi que la reigle de la foy, à laquelle sainct Paul commande de compasser toute interprétation de l’Escriture, fait très-bien pour nous en cest endroict, sans aucune doute. Au contraire, que ceux qui contredisent à une vérité si manifeste, regardent à quelle reigle ou mesure de la foy ils se veulent tenir Rom. 12.6. Car celuy n’est point de Dieu, qui ne confesse Jésus-Christ estre venu en chair 1Jean 4.3. Et telle manière de gens, quoy qu’ils dissimulent, le despouillent de la vérité de sa chair.
[n] Irenæus, lib. IV, cap. XXXIV.
4.17.33
Autant en faut-il juger de la communication, laquelle ils cuident estre nulle, sinon qu’ils engloutissent la chair de Jésus-Christ sous le pain. Mais on fait une injure trop énorme au sainct Esprit, si on ne croit que c’est par sa vertu incompréhensible que nous communiquons au corps et au sang de Jésus-Christ. Mesmes si la vertu de ce mystère, telle que nous l’enseignons, et qu’elle a esté privément cognue en l’Eglise ancienne, eust esté bien considérée selon qu’elle en est digne, depuis quatre cens ans, il y avoit assez de quoy se contenter, et la porte eust esté close à beaucoup d’absurditez énormes et vilenes, dont plusieurs dissensions horribles se sont esmeues, par lesquelles l’Eglise a esté agitée, tant de nostre aage que par ci-devant. Le mal est, que gens, escervelez veulent avoir une façon de présence lourde, laquelle ne nous est point monstrée en l’Escriture. Qui plus est, ils s’escarmouchent pour maintenir leur resverie qu’ils ont follement et témérairement conceue. Et en font aussi grand bruit, comme si toute la religion estoit périe et perdue, quand Jésus-Christ ne sera point enclos au pain. C’estoit le principal de cognoistre comment le corps de Jésus-Christ, selon qu’il a esté livré en sacrifice pour nous, est fait nostre : et comment nous sommes faits participans de son sang, lequel il a espandu ; car c’est le posséder tout entier pour jouir de tous ses biens. Maintenant ces escervelez laissans ces choses qui estoyent de telle importance, mesmes les mesprisans et quasi ensevelissans, ne prenent plaisir qu’à s’entortiller en ceste question, Comment le corps de Jésus-Christ est caché sous le pain, ou sous l’espèce du pain. C’est faussement qu’ils impropèrent que tout ce que nous enseignons de manger le corps de Jésus-Christ : est contraire à la manducation vraye et réale, qu’on appelle : veu que nous ne sommes que sur la façon, pource qu’ils la font charnelle, enfermans Jésus-Christ sous le pain : nous la mettons spirituelle, d’autant que la vertu secrette du sainct Esprit est le lien de nostre conjonction avec nostre Sauveur. Leur autre objection n’est non plus vraye : asçavoir que nous ne touchons qu’au fruit ou à l’effect que les fidèles reçoyvent de la chair de Jésus-Christ. Car j’ay desjà dit ci-dessus, que Jésus-Christ luy-mesme est la matière ou substance de la Cène, et que de là procède l’effect, que nous sommes absous de nos péchez par le sacrifice de sa mort, que nous sommes lavez de son sang, et que par sa résurrection nous sommes eslevez en l’espérance de la vie céleste. Mais la sotte imagination dont leur Maistre des Sentences les a abbruvez, leur a perverty l’entendement. Car voyci qu’il dit mot à mot : Que le Sacrement sans la chose sont les espèces du pain et du vin, le Sacrement et la chose sont la chair et le sang de Christ : la chose sans Sacrement est sa chair mystique. Item un peu après, La chose signifiée et contenue, c’est la propre chair de Jésus-Christ : signifiée et non contenue, c’est son corps mystique[o]. Quant à ce qu’il distingue entre la chair et la vertu qu’elle a de nourrir, je m’accorde avec luy : mais ce qu’il fantastique qu’elle est le Sacrement, voire d’autant qu’elle est enclose sous le pain, c’est un erreur insupportable. Et voylà dont est venu qu’ils ont faussement interprété le mot de Manducation sacramentale : pensans que les plus meschans, combien qu’ils soyent du tout estranges et eslongnez de Jésus-Christ, ne laissent pas de manger son corps. Or la chair de Jésus-Christ au mystère de la Cène, est chose autant spirituelle que nostre salut éternel. Dont je conclu que tous ceux qui sont vuides de l’Esprit de Christ, ne peuvent non plus manger sa chair, que boire du vin sans nulle saveur. Certes Jésus-Christ est trop vilenement deschiré, quand on luy forge un corps mort et sans vigueur, lequel on jette à l’abandon aux incrédules. Et ses paroles répugnent clairement à cela, Quiconques mangera ma chair, et beuvera mon sang, demeurera en moy, et moy en luy Jean 6.56. Ils répliquent qu’il n’est point là traitté du manger sacramental. Ce que je leur confesse, moyennant qu’ils ne heurtent point tousjours contre un mesme rocher : c’est qu’on peut manger la chair de Jésus-Christ sans aucun fruict. Or je voudroye bien sçavoir d’eux, combien ils la gardent en l’estomach après l’avoir mangée. Je croy qu’à grand’peine trouveront-ils nulle issue à ceste question. Ils objectent, que la vérité des promesses de Dieu ne peut estre amoindrie, et tant moins défaillir par l’ingratitude des hommes. Ce que je confesse : et mesmes je di que la vertu de ce mystère demeure en son entier, quoy que les meschans, entant qu’en eux est, s’efforcent de l’abolir. Mais c’est autre chose que la chair de Jésus-Christ nous soit offerte, ou que nous la recevions. Jésus-Christ nous présente à tous ce boire et manger spirituel : les uns s’en repaissent en grand appétit, les autres le desdaignent comme gens desgoustez. Le refus de ceux-ci fera-il que la viande et le bruvage perdent leur nature ? Ils diront que ceste similitude fait pour eux : asçavoir que la chair de Jésus-Christ, combien qu’elle n’ait ne goust ne saveur envers les incrédules, ne laisse pas d’estre chair. Mais je nie qu’elle se puisse manger sans quelque goust de foy, ou pour parler avec sainct Augustin, je nie qu’on puisse rien rapporter du Sacrement, sinon ce qu’on en puise par foy, comme par le propre vaisseau. Parquoy rien n’est osté et ne périt au Sacrement : mais sa vérité et efficace luy demeure, combien que les incrédules en y participant s’en retournent vuides et secs. Si nos adversaires allèguent derechef, que par ce moyen il est dérogué à ces paroles, C’est-ci mon corps, si les incrédules n’y reçoyvent que du pain corruptible : la solution est aisée, c’est que Dieu ne veut point estre recognu véritable en ce que les iniques reçoyvent ce qu’il leur donne, mais en la constance de sa bonté, quand il est prest, quelque indignité qu’il y ait en eux, de les faire participans de ce qu’ils rejettent, et mesmes qu’il leur offre libéralement. Voylà quelle est l’intégrité des Sacremens, laquelle tout le monde ne peut violer, asçavoir que la chair et le sang sont aussi vrayement donnez aux réprouvez, qu’aux esleus de Dieu et fidèles. Moyennant que nous sçachions que comme la pluye tombant sur une pierre dure s’escoule çà et là, n’y trouvant point d’entrée : aussi que leur incrédulité repousse la grâce de Dieu, à ce qu’elle n’entre point en eux. Mesmes il n’y a non plus de couleur que Jésus-Christ soit receu sans foy, que si on disoit qu’une semence peut germer au feu. Quant à ce qu’ils demandent, comment Jésus-Christ est venu en damnation à plusieurs, sinon qu’ils le receussent indignement : c’est une cavillation trop froide. Car nous ne lisons nulle part que les hommes en recevant Jésus-Christ indignement, s’acquièrent perdition : mais plustost en le rejettant. Et ne se peuvent aider de la parabole où Jésus-Christ dit qu’il se lève quelque semence entre les espines, laquelle puis après est suffoquée et corrompue Matt. 13.7. Car là il traitte de quelle valeur est la foy temporelle, laquelle nos adversaires ne pensent point estre requise pour manger la chair de Jésus-Christ et boire son sang : veu qu’ils font Judas également compagnon de sainct Pierre en cest endroict. Mesmes leur erreur est très-bien réfuté en la mesme parabole, quand il est dit qu’une partie de la semence tombe par le chemin, et l’autre sur des pierres, et que toutes les deux ne prenent nulle racine Matt. 13.4-5. Dont il s’ensuyt que l’incrédulité est un tel obstacle, que Jésus-Christ ne parvient point jusques à ceux qui n’ont nulle foy. Quiconques désire que nostre salut soit advancé par la saincte Cène, ne trouvera rien plus propre que de guider les fidèles à la fontaine de vie, qui est Jésus-Christ, pour là puiser de luy. La dignité en est deuement magnifiée, quand nous tenons que c’est une aide et moyen pour nous incorporer en Jésus-Christ, ou bien qu’y estans incorporez nous y soyons tant mieux affermis, jusques à ce qu’il nous unisse parfaitement à soy en la vie céleste. Quand ils objectent que si les incrédules ne participoyent au corps et au sang de Jésus-Christ, sainct Paul ne les en devoit point faire coulpables 1Cor. 11.29 : je respon qu’ils ne sont pas condamnez pour les avoir beus et mangez, mais seulement pour avoir profané le mystère, en foulant aux pieds le gage de la sacrée conjonction que nous avons avec Jésus-Christ, lequel méritoit d’estre exalté en toute révérence.
[o] Lib. IV, dist. VIII.
4.17.34
Or pource que sainct Augustin a esté le principal d’entre les anciens Docteurs à maintenir cest article, que rien ne décroist au Sacrement par l’infidélité ou malice des hommes, et que la grâce qu’ils figurent n’en est point tairie, il sera expédient de prouver clairement par ses paroles, que ceux qui veulent jetter aux chiens le corps de Jésus-Christ pour manger, abusent trop lourdement de son tesmoignage. La manducation sacramentale, si on les veut croire, est que les incrédules reçoyvent le corps et le sang de Jésus-Christ, sans la vertu de son Esprit, et sans aucun effect de sa grâce. Sainct Augustin à l’opposite examinant prudemment ces paroles, Qui aura mangé ma chair et beu mon sang, ne mourra jamais, met ceste exposition : Voire la vertu du Sacrement, non pas le Sacrement visible tout seul : et mesmes que ce soit au dedans, non pas au dehors : et qu’on le mange du cœur, et non pas des dents[p] Jean 6.50. Dont il conclud que le Sacrement de l’union que nous avons au corps et au sang de Jésus-Christ, est proposé en la Cène aux uns à vie, aux autres à damnation 1Cor. 11.29 : mais la chose signifiée ne peut estre donnée qu’à vie à tous ceux qui en sont participans. Si nos adversaires veulent caviller, que ce mot de Chose signifiée, ne se prend pas pour le corps, mais pour la grâce laquelle n’est pas tousjours conjoincte avec, ce subterfuge leur est osté par ces mots de Visible et Invisible. Car en despit qu’ils en ayent, il faudra selon leur resverie, qu’ils confessent que le corps de Jésus-Christ ne peut estre comprins sous ce mot de Visible : dont il s’ensuyt que les incrédules ne communiquent sinon au signe extérieur. Et pour en mieux oster toute difficulté, après avoir dit que ce pain requiert un appétit de l’homme intérieur, il adjouste que Moyse, et Aaron, et Phinées, et plusieurs autres qui ont mangé la Manne, ont pleu à Dieu. Et pourquoy ? C’est qu’ils prenoyent spirituellement la viande visible, ils l’appétoyent spirituellement, ils la goustoyent spirituellement, pour en estre spirituellement rassasiez. Car nous aussi avons aujourd’huy receu la viande visible : mais c’est autre chose du Sacrement autre chose de la vertu d’iceluy. Un petit après, Pourtant celuy qui ne demeure point en Christ, et celuy auquel Christ ne demeure point, ne mange pas sa chair spirituellement, et ne boit pas son sang : combien que charnellement et visiblement ils brisent des dents le signe du corps et du sang[q] Exo. 14.15. Nous oyons derechef, qu’il oppose le signe visible à la manducation spirituelle : dont cest erreur est plenement abatu, que le corps de Jésus-Christ estant invisible, est mangé réalement et de faict, combien que ce ne soit pas spirituellement. Nous oyons aussi qu’il ne laisse rien aux incrédules et profanes, sinon qu’ils reçoyvent le signe visible. Et de là vient son dire, qui est assez commun, asçavoir que les autres disciples ont mangé le pain, qui estoit Jésus-Christ, mais que Judas n’a mangé que le pain de Jésus-Christ[r]. En quoy il exclud les incrédules de la participation du corps et du sang. Ce qu’il dit ailleurs tend à un mesme but : Pourquoy t’esbahis-tu si le pain du Seigneur a esté donné à Judas, par lequel il fust asservy au diable, quand tu vois au contraire, que le messager du diable a esté donné à sainct Paul pour le parfaire en Jésus-Christ. Il dit bien en un autre passage, que le pain de la Cène n’a pas laissé d’estre le corps de Christ à ceux qui le mangeoyent indignement à leur condamnation : et s’ils l’ont mal prins, que ce n’est pas à dire qu’ils n’ayent rien prins : mais il explique en un autre passage, quelle est son intention[s] 2Cor. 12.7 ; 1Cor. 11.29. Car en déchirant au long comment les meschans et dissolus, qui font profession de chrestienté en leur bouche, et la renoncent en leur vie, mangent le corps de Jésus-Christ : voire et disputant contre l’opinion d’aucuns, qui pensoyent que non-seulement ils receussent le Sacrement, mais aussi le corps : Il ne faut pas, dit-il, estimer que telles gens mangent le corps de Christ : veu qu’ils ne doyvent pas estre contez entre les membres de Christ. Car encores que je laisse beaucoup d’autres raisons, ils ne peuvent estre membres de Christ, et membres d’une paillarde. D’avantage, le Seigneur en disant, Qui mange ma chair et boit mon sang, il demeure en moy, et moy en luy : monstre que c’est de manger son corps en vérité, et non pas en Sacrement : c’est de demeurer en Christ, afin qu’il demeure en nous : comme s’il disoit : Celuy qui ne demeure point en moy, et auquel je ne demeure point, n’estime pas et ne se vante de manger ma chair et boire mon sang[t] Jean 6.54. Que les lecteurs poisent bien ces mots, où il oppose Manger le Sacrement, et Manger en vérité : et il ne leur restera nulle obscureté ne doute. Il conferme encores mieux ce propos en disant, N’apprestez point vostre gosier, mais le cœur : car c’est pour cela que la Cène nous est ordonnée. Voyci, nous croyons en Jésus-Christ, et ainsi nous le recevons par foy : nous sçavons en le recevant ce que nous pensons : nous prenons un petit morceau de pain, et nous sommes rassasiez au cœur. Parquoy ce n’est pas ce qu’on voit qui repaist, mais ce qu’on croit[u]. Il restreint aussi bien en ce passage, comme cidessus, au signe visible ce que les incrédules recoyvent : et prononce que Jésus-Christ ne peut estre receu que par foy. Autant en dit-il ailleurs : c’est que tant les bons que les mauvais communiquent aux signes, et exclud les incrédules de la vraye communication de la chair de Christ ; ce qu’il n’eust pas fait, s’il eust eu ceste lourde fantasie, en laquelle nos adversaires le veulent envelopper. En un autre lieu traittant de la manducation et du fruit d’icelle, il conclud ainsi : Le corps et le sang de Jésus-Christ sont vie à chacun, si ce qu’on prend visiblement est spirituellement mangé et beu[v]. Parquoy ceux qui veulent faire les incrédules participans de la chair et du sang de Jésus-Christ : pour consentir avec sainct Augustin, qu’ils nous représentent le corps de Jésus-Christ visible, puis qu’il prononce que toute la vérité du Sacrement est spirituelle. Il est aisé de recueillir de ses paroles, que le manger sacramental n’emporte autre chose que le manger visible et extérieur du signe, quand l’incrédulité ferme la porte à la substance. Et de faict, si on pouvoit vrayement manger le corps de Jésus-Christ, sans le manger spirituellement, que deviendroit ceste sentence du mesme docteur, Vous ne mangerez point le corps que vous voyez, et ne beuverez point le sang qu’espandront ceux qui me crucifieront. Je vous ay ordonné un Sacrement lequel vous vivifiera estans spirituellement entendu[x]. Il n’a pas voulu nier que le mesme corps que Jésus-Christ a offert en sacrifice, ne nous soit donné en la Cène : mais il a noté la façon d’y participer : c’est que ce corps nous inspire vie par la vertu secrète du sainct Esprit, combien qu’il soit en la gloire céleste. Je confesse bien que ce bon Docteur dit souventesfois, que le corps de Jésus-Christ est prins des infidèles : mais il s’explique, en disant que c’est sacramentalement : et puis il déclaire que la manducation spirituelle est, quand nous ne consumons point la grâce de Dieu par nos morsures[x]. Et afin que les adversaires n’allèguent pas que je vueille vaincre en faisant grand amas de passages, je voudroye bien sçavoir comment ils se despestreront de ce qu’il dit, que les Sacremens ne donnent et n’apportent ce qu’ils figurent sinon aux esleus seulement. Ils n’oseront pas nier que le pain en la Cène ne figure le corps de Jésus-Christ : dont il s’ensuyt que les réprouvez sont forclos de la participation d’iceluy. Il y a aussi une sentence de Cyrille, qui monstre qu’il n’en a point autrement pensé : Comme si en une cire fondue (dit-il) on en jettoit d’autre, toutes les deux se meslent : aussi est-il nécessaire que si quelqu’un reçoit la chair et le sang du Seigneur, il soit conjoinct avec luy, afin qu’il soit trouvé en Christ, et Christ en luy[y]. Je pense avoir suffisamment prouvé et liquidé, que ceux qui ne reçoyvent le corps de Jésus-Christ sacramentalement, sont forclos du vray manger et réal d’autant que l’essence du corps ne se peut séparer de sa vertu : et que la vérité des promesses de Dieu n’est point esbranlée pour cela, veu qu’il ne laisse pas de plouvoir du ciel, combien que les pierres et rochers n’en reçoyvent au dedans nulle liqueur.
[p] Homil. in Joann., XXVI.
[q] Homil. in Joann., LIX.
[r] Homil. LXII.
[s] Contra Donatistas, lib. V.
[t] De civitate Dei, lib XXI, cap. XXV.
[u] Contra Faustum, lib. XIII, cap XV.
[v] Serm. II, De verbis Apostoli.
[w] In Psalm. XCVIII.
[x] Homil. in Joann. XXVII.
[y] In sextum cap. Joann., cap XVII.
4.17.35
Ces choses nous estans cognues, elles nous distrairont facilement de l’adoration charnelle, laquelle on a mis sus témérairement pource qu’on faisoit tel compte : Si le corps y est, aussi par conséquent et l’âme et la divinité y sont ensemble avec le corps : car ils n’en peuvent plus estre séparez ne divisez. Doncques Christ doit estre là adoré. Premièrement, si on leur nie ceste déduction, qu’ils appellent Concomitance, que feront-ils. Car quoy qu’ils allèguent qu’il y auroit grande absurdité de séparer l’âme et la divinité d’avec le corps, si est-ce qu’ils ne persuaderont à nul homme de sens rassis, que le corps de Jésus-Christ soit Jésus-Christ : mesmes il leur semble bien que cela s’ensuyt de leurs argumens. Mais puis que Jésus-Christ parle distinctement de son corps et de son sang, sans spécifier la façon de la présence, que conclurront-ils d’une chose douteuse ? Certes s’il advient que leurs consciences soyent agitées par quelque forte tentation, facilement avec leurs syllogismes ils seront estonnez, esperdus et confus, quand ils se verront ainsi destituez de certaine Parole de Dieu, par laquelle seule nos âmes consistent lors qu’elles sont appelées à rendre conte et raison, et sans laquelle en un chacun moment elles trébuschent et sont ruinées, quand ils verront que la doctrine et les exemples des Apostres leur contrarieront, et quand ils se trouveront avoir esté seuls autheurs de leurs fantasies. Avec tels assauts surviendront plusieurs autres aiguillons et remors de conscience : Quoy ? estoit-ce une chose de nulle conséquence, qu’adorer Dieu en ceste forme, sans qu’il nous en fust rien ordonné ? Faloit-il par si grande légèreté faire ce dont on n’avoit jamais eu aucune parole, quand il estoit question du service et de la gloire de Dieu ? Mais si en telle humilité qu’il faloit, les forgeurs de tels argumens eussent contenu sous la Parole de Dieu toutes les cogitations de leur sens, ils eussent certes escouté ce qu’il dit, Prenez, mangez, beuvez : et eussent obéy à ce commandement, par lequel il commande que le Sacrement soit prins et non pas adoré. Parquoy ceux qui le prenent sans adoration, ainsi qu’il a esté commandé du Seigneur, ils sont asseurez qu’ils ne se destournent point du commandement de Dieu. Laquelle asseurance est la meilleure consolation qui nous pourroit advenir, quand nous entreprenons et encommençons quelque chose. Ils ont l’exemple des Apostres, lesquels nous ne lisons point avoir à genoux adoré le Sacrement : mais comme ils estoyent assis, l’avoir prins et mangé. Ils ont l’usage de l’Eglise apostolique, laquelle sainct Luc raconte avoir communiqué, non en l’adoration, mais en la fraction du pain Actes 2.42. Ils ont la doctrine apostolique, par laquelle sainct Paul instruit l’Eglise des Corinthiens, après avoir protesté qu’il avoit prins du Seigneur ce qu’il leur enseignoit 1Cor. 11.23.
4.17.36
Toutes ces choses tendent à ce but, que les Chrestiens advisent bien quel danger c’est que d’extravaguer en nos fantasies outre la Parole de Dieu, quand il est question de choses si hautes et de telle importance. Or ce qui a esté traitté jusques à ceste heure, nous doit délivrer de tout scrupule. Car nous avons monstré que l’homme chrestien, pour bien recevoir Jésus-Christ en la Cène, doit eslever son esprit et son âme au ciel. Et de faict, si l’office du Sacrement est d’aider l’entendement de l’homme, qui autrement est infirme, à ce qu’il se puisse eslever pour parvenir à la hautesse des mystères célestes, ceux qui s’amusent au signe, se fourvoyent du droict chemin de bien chercher Jésus-Christ. Qui est-ce doncques qui niera que ce ne soit une superstition meschante, que les hommes s’agenouillent devant le pain, pour adorer là Jésus-Christ ? Il n’y a nulle doute que le Concile de Nice n’ait voulu obvier à un tel inconvénient, défendant aux Chrestiens de s’arrester et ficher leur entendement avec humilité aux signes visibles. Et n’y a point eu autre raison pourquoy on ait institué en l’Eglise ancienne, que le Diacre criast à haute voix et claire au peuple devant la consécration, que chacun eust le cœur en haut. Et mesmes l’Escriture, outre ce qu’elle nous expose diligemment l’ascension de nostre Seigneur Jésus, quand elle fait mention de luy, elle nous exhorte d’eslever nos cœurs en haut Col. 3.1 afin de nous retirer de toute cogitation charnelle. Suyvant doncques ceste reigle, il le nous faloit plustost adorer spirituellement en la gloire des cieux, qu’inventer ceste si dangereuse forme d’adoration, procédant d’une resverie lourde et plus que charnelle, que nous concevons de Dieu et de Jésus-Christ. Parquoy ceux qui ont controuvé l’adoration du Sacrement, ne l’ont pas seulement songé d’eux-mesmes outre l’Escriture, en laquelle il ne s’en peut trouver un seul mot, ce qui n’eust point esté oublié, si elle eust esté agréable à Dieu : mais aussi plenement contre l’Escriture ils se sont forgé un dieu nouveau à leur poste, en délaissant le Dieu vivant. Car quelle idolâtrie y a-il au monde, si ceste-là ne l’est, d’adorer les dons au lieu du donateur ? En quoy mesmes on a doublement failly. Car l’honneur a esté ravy à Dieu, pour le transférer à la créature. Et Dieu aussi a esté déshonoré en ce qu’on a pollu et profané son don et bénéfice, quand de son sainct Sacrement on a fait une idole exécrable. Nous au contraire, afin que ne tombions en mesme fosse, fichons entièrement nos aureilles, nos yeux, nos cœurs, nos pensées, nos langues en la très-sacrée doctrine de Dieu. Car elle est l’eschole du sainct Esprit très-bon maistre : en laquelle on proufite tellement, qu’il n’est mestier d’y rien adjouster d’ailleurs, et est à ignorer volontiers tout ce qu’en icelle n’est point enseigné.
4.17.37
Or comme la superstition après avoir une fois outrepassé les limites n’a nulle fin, on s’est esgaré encores plus loing. Car on a forgé des façons et cérémonies qui ne convenoyent nullement à l’institution de la Cène, afin seulement d’honorer le signe comme Dieu. Quand nous remonstrons cela à nos adversaires, ils disent que c’est à Jésus-Christ qu’ils font cest honneur. Premièrement, si cela se faisoit en la Cène, encores diroy-je que la vraye adoration ne se doit point addresser au signe, mais à Jésus-Christ estant au ciel. Maintenant, puis que hors la Cène ils font leurs fatras, quelles couleurs ont-ils, de dire qu’ils honorent Jésus-Christ dedans le pain, veu qu’ils n’ont nulle promesse pour eux ? Ils consacrent leur hostie pour la porter en procession, pour la monstrer en pompe, pour la tenir pendue au ciboire, afin qu’on l’adore et qu’on l’invoque. Je leur demande en quelle vertu ils pensent qu’elle soit consacrée. Ils m’allégueront ceste parole, Ceci est mon corps. Je leur répliqueray qu’il est quant et quant dit, Prenez et mangez : et auray bonne raison de ce faire. Car puis que la promesse est conjoincte avec le commandement, je di qu’elle est tellement enclose sous iceluy, que si on les sépare elle est nulle. Cela s’entendra plus aisément par un exemple semblable. Nostre Seigneur nous a donné un commandement, en disant, Invoque-moy : il a quant et quant adjousté la promesse, en disant. Je l’exauceray Ps. 50.15. Si quelqu’un en invoquant sainct Pierre ou sainct Paul, se glorifioit de ceste promesse, chacun ne diroit-il pas qu’il seroit fol et enragé ? Or, je vous prie, que font autre chose ceux qui retranchent ceste promesse de la Cène, où il est dit, Voyci mon corps, d’avec le commandement qui est annexé avec, pour user de façon de faire toutes estranges de l’institution de Christ ? Qu’il nous souviene doncques que ceste promesse est donnée à ceux qui font et observent ce que Jésus-Christ leur commande là : au contraire, que ceux qui transfèrent le commandement à autre usage, sont destituez de toute parole de Dieu. Jusques yci nous avons traitté comment ce Sacrement sert à nostre foy devant Dieu. Or puis que nostre Seigneur non-seulement nous y réduit en mémoire si grande largesse de sa bonté, mais nous la présente quasi de main en main, comme nous avons ci-dessus déclairé, et nous advertit de la recognoistre, pareillement il nous admoneste que ne soyons ingrats à une telle bénignité qu’il y desploye : mais que plustost nous la magnifiions par telles louanges qu’il est convenable, et la célébrions avec actions de grâces. Pourtant quand il donnoit l’institution de ce Sacrement à ses Apostres, il leur commanda de le faire ainsi en la mémoire de soy. Ce que sainct Paul interprète, Annoncer la mort du Seigneur Luc 22.19 ; 1Cor. 11.26 : c’est que publiquement et tous ensemble, comme d’une bouche, évidemment confessions toute nostre fiance de vie et de salut estre en la mort du Seigneur : afin que par nostre confession nous le glorifiions, et par nostre exemple exhortions les autres de luy donner aussi mesme gloire. Yci nous voyons derechef où tend le but du Sacrement : c’est asçavoir à nous exercer en la mémoire de la mort de Jésus-Christ. Car ce qui nous est commandé d’annoncer la mort du Seigneur jusques à ce qu’il viendra au jugement, n’est autre chose sinon que nous déclairions par confession de bouche, ce que nostre foy a recognu au Sacrement : c’est asçavoir que la mort de Jésus-Christ est nostre vie. C’est-ci le second usage de ce Sacrement, qui appartient à la confession extérieure.
4.17.38
Tiercement nostre Seigneur a voulu qu’il nous soit pour exhortation : qui est telle, que nul autre ne nous pourroit de plus grande véhémence inciter et enflamber à charité, paix et union. Car nostre Seigneur ainsi nous communique là son corps, qu’il est entièrement fait un avec nous, et nous avec luy. Or puis qu’il n’a qu’un corps, duquel il nous fait tous participans, il faut nécessairement que par ceste participation nous soyons faits aussi tous ensemble un corps, laquelle unité nous est représentée par le pain qui nous est offert au Sacrement. Car comme il est fait de plusieurs grains de blé, qui y sont tellement meslez et confus ensemble, qu’on ne pourroit discerner ne séparer l’un de l’autre : en ceste manière nous devons aussi estre par accord de volonté tellement conjoincts et assemblez entre nous, qu’il n’y ait aucune noise ne division. Ce que j’aime mieux estre expliqué par les paroles de sainct Paul : La coupe, dit-il, de bénédiction laquelle nous bénissons, est la communication du sang de Christ : et le pain de bénédiction que nous rompons, est la participation du corps de Christ 1Cor. 10.16. Doncques nous sommes un mesme corps, nous tous qui participons d’un mesme pain. Nous aurons beaucoup proufité au Sacrement, si ceste cognoissance est engravée et imprimée dedans nos cœurs, que nul des frères ne peut estre de nous mesprisé, rejetté, violé, blessé, ou en aucune manière offensé, que semblablement nous ne blessions, mesprisions, ou offensions en luy Jésus-Christ, et le violions par nos injures : que nous ne pouvons avoir discord ne division avec nos frères, que ne discordions et soyons divisez de Jésus-Christ : que Jésus-Christ ne peut estre aimé de nous, que nous ne l’aimions en nos frères : que telle solicitude et soin que nous avons de nostre propre corps, nous le devons aussi avoir de nos frères, qui sont membres de nostre corps : que comme nulle partie de nostre corps ne peut souffrir aucune douleur que le sentiment n’en soit espandu en toutes les autres : aussi nous ne devons endurer que nostre frère soit affligé de quelque mal, duquel nous ne portions pareillement nostre part par compassion. Et pourtant non sans cause sainct Augustin a si souvent appelé ce Sacrement, Lien de charité. Car quel aiguillon pourroit estre plus aspre et plus picquant à nous inciter d’avoir mutuelle charité entre nous, que quand Jésus-Christ, en se donnant à nous, non-seulement nous convie et nous monstre par son exemple que nous nous donnions et exposions mutuellement les uns pour les autres, mais d’autant qu’il se fait commun à tous, il nous fait aussi vrayement estre tous un en luy ?
4.17.39
Et de là appert très-bien ce que j’ay dit ci-dessus, que la vraye administration des Sacremens consiste en la Parole. Car toute l’utilité qui nous revient de la Cène, requiert que la Parole y soit quant et quant. S’il est question de nous confermer en foy, ou de nous exercer en la protestation de nostre Chrestienté, ou de nous exhorter à saincte vie, il faut que la Parole viene en avant. C’est doncques une chose plus que perverse, quand on convertit la Cène en une façon de faire muette et sans prédication, comme il en a esté fait sous la tyrannie du Pape. Car ils ont obtenu que toute la consécration dépendoit de l’intention du Prestre : comme si cela n’appartenoit rien au peuple, auquel le mystère devait estre exposé. Or l’erreur est venu de ce qu’on n’a point considéré que les promesses, desquelles la consécration dépend, ne s’addressent point aux signes, mais à ceux qui les reçoivent. Or Jésus-Christ ne parle point au pain, pour luy commander qu’il deviene son corps : mais il commande à ses disciples d’en manger, et leur promet que ce leur sera un tesmoignage de la communion de son corps. Et sainct Paul ne nous enseigne point autre ordre, que d’offrir et prononcer les promesses aux fidèles, en leur donnant le pain et le calice. Et de faict il est ainsi. Car il ne nous faut point yci imaginer un enchantement ou conjuration de Magiciens, comme s’il suffisoit d’avoir murmuré les paroles sur les créatures insensibles : mais il nous faut entendre que la Parole, par laquelle les Sacremens sont consacrez, est une prédication vive, qui édifie ceux qui l’oyent, qui entre en leurs entendemens, qui soit imprimée en leurs cœurs, et qui leur apporte son efficace en accomplissant ce qu’elle promet. De là aussi il appert que c’est une chose sotte et inutile, de réserver le Sacrement pour le donner aux malades extraordinairement. Car ou ils le recevront sans qu’on leur dise mot, ou le ministre, en leur donnant, leur déclairera la signification et usage. S’il ne s’y dit mot, c’est un abus et folie. S’il y a déclaration du mystère, afin que ceux qui le doyvent recevoir, le reçoivent en édification et avec fruit, c’est là où gist la vraye consécration. A quel propos doncques tiendra-on le pain pour Sacrement, quand il aura esté consacré en l’absence de ceux ausquels on le doit distribuer, veu que cela ne leur sert de rien ? On m’alléguera qu’on le fait à l’exemple de l’Eglise ancienne. Je le confesse. Mais en chose de si grande conséquence, il n’y a rien meilleur ne si seur, que de suyvre la pure vérité, veu qu’on n’y peut errer sans grand danger.
4.17.40
Mais comme nous voyons que ce sacré pain de la Cène de nostre Seigneur, est une viande spirituelle, douce et savoureuse, et aussi proufitable aux vrais serviteurs de Dieu, ausquels il donne à recognoistre Jésus-Christ estre leur vie, lesquels il induit à action de grâces, ausquels il est exhortation à charité mutuelle entre eux : aussi au contraire, il est tourné en poison mortelle à ceux desquels il n’enseigne, nourrit et ne conforte la foy, et lesquels il n’incite à confession de louange et à charité. Car tout ainsi qu’une viande corporelle, quand elle trouve un estomach occupé de mauvaises humeurs, se corrompt, et ainsi estant corrompue nuit plus qu’elle ne proufite : en telle sorte ceste viande spirituelle, si elle eschet en une âme pollue de malice et perversité, elle la précipite en plus grande ruine : non pas par sa faute, mais pource qu’il n’y a rien de pur à ceux qui sont souillez d’infidélité Tite 1.15, comment qu’il soit sanctifié parla bénédiction de Dieu. Car comme dit sainct Paul, ceux qui en mangent indignement, sont coulpables du corps et du sang du Seigneur : et mangent et boyvent leur jugement et condamnation, ne discernans point le corps du Seigneur 1Cor. 11.29. Car telle manière de gens, qui sans aucune scintille de foy, sans aucune affection de charité s’ingèrent comme porceaux à prendre la Cène du Seigneur, ne discernent point le corps du Seigneur. Car d’autant qu’ils ne croyent point qu’iceluy soit leur vie, ils le déshonorent en ce qu’il leur est possible, le despouillans de toute sa dignité : et le profanent et polluent, en le prenant ainsi. Et d’autant qu’estans discordans et aliénez de leurs frères, ils osent mesler le signe sacré du corps de Jésus-Christ avec leurs différens et discors, il ne tient point à eux que le corps de Jésus-Christ ne soit divisé et deschiré membre à membre. Pourtant non sans cause ils sont coulpables du corps et du sang du Seigneur, que par horrible impiété ils polluent si vilenement. Doncques par ceste indigne manducation ils prenent leur condamnation. Car combien qu’ils n’ayent nulle foy assise en Jésus-Christ : toutesfois par la réception du Sacrement ils protestent qu’ils n’ont point de salut ailleurs qu’en luy, et renoncent à toute autre fiance. Parquoy ils s’accusent eux-mesmes, ils proposent tesmoignage contre eux-mesmes, et signent leur condamnation. D’avantage, puis qu’estans par haine et malvueillance divisez et distraits de leurs frères, c’est-à-dire des membres de Jésus-Christ, ils n’ont nulle part en Jésus-Christ : toutesfois ils testifient ce estre le seul salut : c’est asçavoir de communiquer à Jésus-Christ, et d’estre à luy unis. Pour la raison susdite sainct Paul, commande que l’homme s’esprouve soy-mesme, devant qu’il mange de ce pain ou boyve de ceste coupe. En quoy, comme je l’interprète, il a voulu qu’un chacun regarde et pense en soy-mesme, si en fiance de cœur il recognoist Jésus-Christ estre son Sauveur, et l’advoue par sa confession de bouche : si à l’exemple de Jésus-Christ il est prest de se donner soy-mesme à ses frères, et de se communiquer à ceux ausquels il voit Jésus-Christ estre commun : si comme il advoue Jésus-Christ, ainsi pareillement il tient tous ses frères pour membres de son corps : s’il désire et est prest de les soulager, conserver et aider comme ses propres membres. Non pas que ces devoirs de foy et de charité puissent maintenant estre parfaits en nous : mais par ce qu’il nous faut efforcer, et souhaiter d’un désir ardent que nostre foy encommencée, de plus en plus tous les jours s’augmente et se fortifie : et nostre charité estant encores imbécille, se conferme.
4.17.41
Communément en voulant disposer les hommes à celle dignité de prendre le Sacrement, on a agité et tormenté cruellement les povres consciences, et n’a-on pas toutesfois enseigné rien de ce qu’il faloit. Ils ont dit que ceux qui estoyent en estat de grâce, mangeoyent dignement le Sacrement : et ont interprété qu’estre en estat de grâce, c’estoit estre net et purgé de tout péché, par laquelle doctrine tous les hommes qui ont jamais esté et sont en terre, estoyent exclus de l’usage de ce Sacrement. Car s’il est question que nous prenions nostre dignité en nous, c’est fait de nous. Nous ne pouvons avoir seulement que ruine, confusion et désespoir. Combien que nous nous esvertuions de toutes nos forces, nous ne proufiterons autre chose, sinon que lors finalement nous serons plus qu’indignes, quand nous aurons prins peine tant qu’il nous aura esté possible, à trouver aucune dignité. Pour cuider guairir ceste playe, ils ont inventé un moyen d’acquérir dignité : c’est que, ayans deuement examiné nostre conscience, nous purgions nostre indignité par contrition, confession et satisfaction. Nous avons dit ci-dessus quelle est la manière de ceste purgation, où le lieu estoit plus propre d’en traitter. Quant à ce qui appartient au présent propos, je di que ces remèdes et soulagemens sont trop maigres et frivoles pour les consciences troublées, abatues, affligées et espovantées de l’horreur de leur péché. Car si nostre Seigneur par sa défense ne reçoit nul à la participation de sa Cène, s’il n’est juste et innocent, il ne faut pas petite asseurance pour rendre quelqu’un certain qu’il ait ceste justice, laquelle il oit estre requise de Dieu. Et dont nous sera confermée ceste sécurité, que ceux se sont acquittez envers Dieu, qui auront fait ce qui est en eux ? Et encores qu’ainsi fust, quand sera-ce que quelqu’un s’osera promettre qu’il aura fait ce qui estoit en luy ? En ceste manière, puis que nulle certaine asseurance de nostre dignité ne nous seroit proposée : tousjours l’entrée à la réception du Sacrement nous demeureroit close par cest horrible prohibition, qui porte que ceux-là mangent et boyvent leur jugement, qui mangent et boyvent indignement du Sacrement.
4.17.42
Maintenant il est facile à juger quelle est ceste doctrine laquelle règne en la Papauté, et de quel autheur elle est issue : asçavoir de priver avec une cruelle austérité, et despouiller les povres pécheurs et qui desjà sont à demi transis, de toute la consolation de ce Sacrement, auquel toutesfois toutes les douceurs de l’Evangile nous estoyent proposées. Certes le diable, pour le plus court, n’eust sceu mieux perdre les hommes, que d’ainsi les décevoir et abestir, afin qu’ils ne prinssent point de goust ne saveur à telle nourriture, par laquelle le très-bon Père céleste les avoit voulu repaistre. Afin doncques que ne trébuschions en telle confusion et abysme, cognoissons que ces sainctes viandes sont médecine aux malades, confort aux pécheurs, aumosne aux povres, les quelles ne serviroyont de rien aux sains, justes et riches, s’il s’en pouvoit trouver aucuns. Car puis qu’en icelles Jésus-Christ nous est donné pour nourriture, nous entendons bien que sans luy nous défaillons et allons à néant, comme le corps s’escoule par faute de manger. D’avantage, puis qu’il est donné pour vie, nous entendons bien que sans luy nous sommes du tout morts en nous-mesmes. Parquoy la seule et très-bonne dignité que nous pouvons apporter à Dieu, est ceste-ci, que luy offrions nostre vilité et indignité, afin que par sa miséricorde il nous face dignes de soy : que nous soyons confus en nous-mesmes, afin d’estre consolez en luy : que nous nous humiliions en nous-mesmes, afin que soyons exaltez de luy, que nous accusions nous-mesmes, afin que soyons justifiez en luy, que soyons morts en nous-mesmes, afin d’estre vivifiez en luy. D’avantage, que nous désirions et tendions à telle unité, laquelle il nous recommande en sa Cène. Et comme il nous fait estre tous un en luy, qu’ainsi souhaitions qu’un mesme vouloir, un mesme cœur, une mesme langue soit en nous tous. Si nous avions bien pensé et considéré ces choses, jamais ces cogitations ne nous troubleroyent, ou pour le moins ne nous renverseroyent point : comment nous estans desprouveus et desnuez de tous biens, estans souillez et infects de taches et péchez, estans demi-morts, pourrions manger dignement le corps du Seigneur. Plustost nous penserions que nous venons povres à un bénin aumosnier, malades au médecin, pécheurs à l’autheur de justice, et povres trespassez à celuy qui vivifie : et que ceste dignité qui est demandée de Dieu, consiste premièrement et principalement en la foy, laquelle attribue tout à Christ, et se remet entièrement à luy sans rien colloquer en nous : secondement, en charité, laquelle mesmes il suffit présenter imparfaite à Dieu, afin qu’il l’augmente en mieux, veu qu’elle ne se peut offrir en perfection. Aucuns autres accordans avec nous en cela, que la dignité gist en foy et en charité, ont toutesfois grandement erré en la mesure de ceste dignité, requérans une perfection de foy, à laquelle rien entièrement ne se puisse adjouster : et une charité pareille à celle que nostre Seigneur Jésus-Christ a eue envers nous. Mais par cela mesme ils déchassent et reculent tous les hommes de la réception de ceste saincte Cène, non pas moins que font les autres devant dits. Car si leur opinion avoit lieu, nul ne la prendroit sinon indignement, puis que tous jusques à un seroyent détenus coulpables et convaincus de leur imperfection. Et certes ç’a esté une trop grande ignorance, afin que je ne die bestise, que de requérir telle perfection pour recevoir le Sacrement, laquelle le feroit vain et superflu. Car il n’est pas institué pour les parfaits, mais pour les imbécilles et débiles : afin d’esveiller, stimuler, inciter et exercer tant leur foy que leur charité, et corriger le défaut de toutes les deux.
4.17.43
Quant à la façon extérieure, que les fidèles prenent en la main le pain, ou ne le prenent pas : qu’ils en divisent entre eux, ou que chacun mange ce qui luy aura esté donné : qu’ils rendent la coupe en la main du Ministre, ou qu’ils la présentent à leur prochain suyvant : que le pain soit fait avec levain, ou sans levain ; que le vin soit rouge ou blanc : c’est tout un, et n’en peut chaloir. Car ces choses sont indifférentes, et laissées en la liberté de l’Eglise. Combien qu’il soit certain, la manière de l’ancienne Eglise avoir esté, que tous le prinssent en la main. Et Jésus-Christ a dit, Divisez-le entre vous Luc 22.17. Il appert par les histoires, que devant le temps d’Alexandre Evesque de Rome, on usoit en la Cène du pain fait de levain, et tel que celuy qu’on mange ordinairement. Ledit Alexandre se délecta le premier d’y avoir du pain fait sans levain. Et ne voy point pour quelle raison, sinon afin que par un nouveau spectacle il tirast les yeux du populaire en admiration, plustost que d’instruire leurs cœurs en vraye religion. J’adjure tous ceux qui sont touchez (encores que ce soit bien petitement) de quelque affection de piété, s’ils ne voyent pas évidemment combien plus clairement la gloire de Dieu reluit en tel usage de Sacremens, et combien plus grande douceur et consolation spirituelle en revient aux fidèles, que de ces folles et vaines bastelleries, qui ne servent à autre chose, sinon qu’elles déçoyvent le sens du peuple qui s’en esmerveille et espovante. Ils appellent cela, Le peuple estre maintenu en religion et crainte de Dieu, quand tout estourdy et abesty de superstition, il est mené par tout, ou plustost traisné où ils veulent. Si quelqu’un veut défendre par ancienneté ces inventions, je ne suis point ignorant combien est ancien l’usage du Chresme, et soufflement au Baptesme : combien peu après le temps des Apostres la Cène de nostre Seigneur a esté comme enrouillée par humaines inventions. Mais c’est la légèreté et folie avec la hardiesse de l’esprit humain, qui ne se peut contenir qu’il ne se joue aux mystères de Dieu. Nous au contraire, ayons souvenance que Dieu estime tant l’obéissance de sa Parole, qu’il veut qu’en icelle nous jugions et ses Anges et tout le monde. Laissant tous ces amas de pompes et cérémonies, la saincte Cène pouvoit ainsi estre administrée bien convenablement, si bien souvent, et pour le moins une fois en chacune sepmaine elle estoit proposée à l’Eglise en ceste manière : premièrement, qu’on commençast aux prières publiques : puis qu’on feist la prédication : et qu’après, le pain et le vin estant sur la table, le Ministre récitast l’institution de la Cène : conséquemment déclairast les promesses lesquelles sont laissées en icelle : ensemble qu’il en excommuniast tous ceux qui par l’interdiction de nostre Seigneur en sont exclus : après, qu’on priast que par telle bénignité que nostre Seigneur nous a eslargy ceste sacrée nourriture, aussi il luy pleust nous enseigner et disposer par foy et gratitude de cœur à la bien recevoir : et que par sa miséricorde il nous feist dignes de tel convive, puis que de nous-mesmes nous ne le sommes point. En cest endroict qu’on chantast des Pseaumes, ou qu’on leust quelque chose de l’Escriture : et en tel ordre qu’il est convenable, que les fidèles communiquassent de ces sainctes viandes : les Ministres rompans et distribuans le pain, et présentans la coupe. La Cène achevée, qu’on feist une exhortation à pure foy, et ferme confession d’icelle, à charité et mœurs dignes de Chrestiens. Finalement, qu’on rendist action de grâces, et que louanges fussent chantées à Dieu. Toutes lesquelles choses achevées, l’Eglise et la compagnie fust renvoyée en paix.
4.17.44
Ce que nous avons traitté de ce Sacrement jusques yci, monstre amplement qu’il n’a pas esté institué à ce qu’il fust prins une fois l’an, et ce par forme d’acquit : comme maintenant en est la coustume publique : mais afin qu’il fust en fréquent usage à tous Chrestiens ; pour leur réduire souvent en mémoire la passion de Jésus-Christ : par laquelle recordation et souvenance leur foy fust soustenue et confermée, et eux incitez et exhortez à faire confession de louange au Seigneur, et à magnifier et publier sa bonté : par laquelle finalement, charité mutuelle entre eux fust nourrie et entretenue : et aussi afin qu’ils se la testifiassent les uns aux autres, voyans la conjonction d’icelle en l’unité du corps de Jésus-Christ. Car toutes fois et quantes que nous communiquons au signe du corps du Seigneur, nous nous obligeons mutuellement l’un à l’autre comme par scédule, à tous offices de charité : à ce que nul de nous ne face rien par quoy il blesse son frère, et n’omette rien par quoy il le puisse aider et secourir, toutes fois et quantes que la nécessité le requerra, et que la faculté luy en sera donnée. Sainct Luc récite aux Actes, que l’usage de l’Eglise apostolique en estoit tel, quand il dit les fidèles avoir esté persévérans en la doctrine des Apostres, en communication, c’est-à-dire en aumosne, en fraction du pain, et oraisons Actes 2.42. Ainsi faloit-il entièrement faire, que nulle assemblée d’Eglise ne fust faite sans la Parole, ne sans aumosne, ne sans la participation de la Cène, ne sans oraisons. On peut bien aussi assez conjecturer des escrits de sainct Paul, que cest ordre estoit institué en l’Eglise des Corinthiens : et est notoire qu’on en a usé long temps après. Car de là vienent ces Canons anciens qu’on attribue à Anaclète et Calixte, où il est ordonné que sur peine d’excommuniement tous communiquent la Cène, après que la consécration sera faite. Semblablement ce qui est dit aux Canons qu’on intitule des Apostres, que tous ceux qui ne demeurent point jusques à la fin, et ne reçoyvent le Sacrement, doyvent estre corrigez comme turbateurs de l’Eglise. Suyvant cela, il fut déterminé au Concile d’Antioche, que ceux qui entrent en l’Eglise, oyent le sermon et se déportent de recevoir la Cène, doyvent estre excommuniez jusques à ce qu’ils se soyent corrigez de ce vice. Laquelle ordonnance, combien qu’elle ait esté adoucie au Concile de Tolose le premier, toutesfois quant en substance elle a esté suyvie. Car il est là dit, que ceux qu’on cognoistra ne point communiquer au Sacrement après avoir ouy le sermon, doyvent estre admonestez : et s’ils n’obéissent à l’admonition, qu’ils doyvent estre rejettez de l’Eglise.
4.17.45
Il est aisé à veoir que par ces statuts les saincts Pères ont voulu entretenir l’usage fréquent de la Cène, tel qu’il avoit esté institué depuis le temps des Apostres : d’autant qu’ils le voyoyent estre proufitable au peuple de Dieu, et néantmoins que par négligence on le délaissoit petit à petit. Sainct Augustin rend tesmoignage quant à son temps, parlant ainsi : Ce Sacrement de l’unité que nous avons au corps du Seigneur, se célèbre en quelques Eglises journellement, aux autres par certains jours : et les uns le prenent à leur salut, les autres à leur damnation. Item en l’Epistre première à Januarius, En quelques Eglises il ne se passe jour qu’on ne reçoyve le Sacrement du corps et du sang du Seigneur : aux autres on ne le reçoit que le samedi et le dimanche : aux autres on ne le reçoit que le dimanche seulement[a]. Or pource que le peuple ne s’acquittoit guères bien de son devoir, comme nous avons dit, les saincts Pères reprenoyent asprement une telle nonchalance : afin qu’il ne semblast point advis qu’ils l’approuvassent. Et de cela nous en avons un exemple de sainct Chrysostome en l’Epistre aux Ephésiens, où il dit, Il n’a pas esté dit à celuy qui faisoit déshonneur au banquet, Pourquoy t’es-tu assis ? mais, Pourquoy es-tu entré ? Celuy doncques qui assiste yci, et ne participe point au Sacrement, est audacieux et effronté. Je vous prie, si quelqu’un estoit appelé en un banquet, et qu’il se lavast, qu’il s’assist, et se disposast à manger, et puis ne goustast rien, ne feroit-il point déshonneur au banquet, et à celuy qui l’auroit convié ? Tu assistes yci entre ceux qui par oraison se préparent à recevoir le Sacrement, et entant que tu ne te retires point tu te confesses estre de leur nombre, et à la fin tu ne participes point avec eux : ne seroit-il point meilleur que tu n’y fusses point comparu ? Tu me diras que tu es indigne : je te respon que tu n’es pas doncques digne de prier, veu que c’est une préparation à recevoir ce sainct mystère[b] Matt. 22.12.
[a] In VI capitul. Joann., tractat. XXVI.
[b] In cap. I, homil. XXVI.
4.17.46
Sainct Augustin aussi et sainct Ambroise condamnent fort ce vice qui estoit survenu de leurs temps desjà aux Eglises orientales, que le peuple assistoit seulement pour veoir célébrer le Sacrement, et non pas pour y participer ; et certes ceste coustume, laquelle commande de communiquer une fois l’an, est une très-certaine invention du diable, par quiconques elle ait esté mise sus. On dit que Zépherin Evesque de Rome a esté autheur de ceste ordonnance, laquelle je ne croy point avoir esté telle de son temps que nous l’avons maintenant. Touchant de luy, possible est que par son institution il ne prouvoyoit pas mal à son Eglise, comme le temps estoit lors. Car il n’y a point de doute que lors la saincte Cène ne fust proposée aux fidèles, toutes fois et quantes qu’ils convenoyent ensemble en leur congrégation, et qu’une bonne partie d’eux ne communiquast : mais pource qu’à peine jamais il n’advenoit que tous ensemble à une fois communiquassent : et d’autre part qu’il fust nécessaire qu’eux, qui estoyent meslez entre les infidèles et idolâtres, tesmoignassent leur foy par quelque signe extérieur : à ceste cause le sainct homme avoit institué ce jour-là pour ordre et police, auquel tout le peuple des Chrestiens de Rome, par la participation de la Cène de nostre Seigneur, feist confession de sa foy. Au reste, pour cela ils ne laissoyent d’aussi souvent communiquer. Mais l’institution de Zépherin, laquelle estoit autrement bonne, a esté destournée à mal de longue main par les successeurs, quand une certaine loy a esté mise d’une communication en l’année : par laquelle il a esté fait que quasi tous, quand ils ont une fois communiqué, comme s’estans très-bien acquittez pour tout le reste de l’année, s’endorment. Or il faloit bien qu’on feist autrement. On devoit à tout le moins chacune sepmaine une fois proposer à la congrégation des Chrestiens, la Cène de nostre Seigneur : et devoyent estre déclairées les promesses lesquelles en icelle nous repaissent et nourrissent spirituellement. Nul certes n’estoit à contraindre de la prendre, mais tous en devoyent estre exhortez : et ceux qui en eussent esté négligens, reprins et corrigez. Lors tous ensemblement, comme affamez fussent convenus à tel repas. Non sans cause doncques dés le commencement j’ay par complainte dit, que ceste coustume laquelle en nous ordonnant un jour de l’année nous rend paresseux et endormis pour tout le reste du temps, a esté apportée par l’astuce du diable. Il est vray que desjà cest abus commençoit à venir en avant du temps de Chrysostome : mais on voit combien il le réprouve. Car il se plaind fort de ce que le peuple ne recevoit point le Sacrement au reste de l’année, encores qu’il y fust disposé : et qu’à Pasques ils le recevoyent mesmes sans préparation. Et sur cela il s’escrie, meschante coustume ! présomption ! c’est doncques en vain que nous sommes tous les jours à l’autel, veu qu’il n’y a nul qui participe de ce que nous offrons.
4.17.47
D’une mesme invention est procédée une autre constitution, laquelle a ravy et soustrait une moitié de la Cène à la meilleure partie du peuple de Dieu, c’est asçavoir le signe du sang : lequel pour estre réservé en propre à je ne sçay combien de tondus et graissez, a esté défendu aux laïcs et profanes. Car ils baillent tels tiltres et noms à l’héritage de Dieu. L’édict et ordonnance de Dieu éternel est, que tous en boyvent : l’homme l’ose casser et annuller par nouvelle loy et contraire, ordonnant que tous n’en boyvent. Et tels législateurs, afin qu’il ne semble qu’ils combatent contre Dieu sans raison, allèguent les inconvéniens qui pourroyent advenir, s’il estoit abandonné à tous : comme si cela n’eust point esté préveu ny apperceu par la sapience éternelle de Dieu. D’avantage, ils déduisent subtilement, que l’un suffit pour les deux. Car si c’est le corps, disent-ils, c’est tout Jésus-Christ, qui ne peut desjà plus estre disjoinct ne séparé de son corps : doncques, le corps contient le sang. Voylà l’accord de nostre sens avec Dieu, puis que tant peu que ce soit il commence comme à bride avallée de s’escarmoucher et voltiger. Nostre Seigneur monstrant le pain, le dit estre son corps : et monstrant la coupe, il l’appelle son sang. L’audace de la raison et sagesse humaine au contraire réplique, que le pain est le sang, et le vin est le corps : comme si sans cause et sans propos nostre Seigneur eust distingué et par paroles et par signes son corps de son sang : et comme s’il avoit jamais esté ouy, que le corps de Jésus-Christ ou son sang fust appelé Dieu et homme. Certes s’il eust voulu désigner toute sa personne, il eust dit. Ce suis-je, (comme il est accoustumé de parler en l’Escriture) et non pas, Ceci est mon corps, Cela est mon sang. Mais en voulant subvenir à l’infirmité de nostre foy, il a séparé le calice d’avec le pain pour monstrer que luy seul nous suffit, tant pour manger que pour boire. Maintenant quand l’une des parties en est ostée, nous n’y trouvons plus que la moitié de nostre nourriture. Parquoy encores que ce qu’ils prétendent fust vray, c’est que le sang est avec le pain, si est-ce qu’ils fraudent les âmes fidèles de ce que Jésus-Christ leur a donné comme nécessaire pour confirmation de leur foy. Ainsi laissans là leur sotte subtilité, gardons bien qu’on ne nous oste le proufit qui nous revient de la double arre que Jésus-Christ nous a ordonnée.
4.17.48
Je sçay bien que les ministres de Satan (comme leur bonne coustume est d’avoir l’Escriture en mocquerie) yci se mocquent et cavillent : premièrement, que d’un simple fait il ne faut pas tirer une reigle perpétuelle, pour astreindre l’Eglise à l’observer. Mais je di qu’ils mentent meschamment, alléguans que c’est un simple fait. Car Jésus-Christ n’a point seulement donné le calice à ses Apostres, mais leur a aussi commandé de faire ainsi pour l’advenir. Car ces paroles emportent ordonnance expresse, Beuvez tous de ce Calice : et sainct Paul ne raconte pas cela seulement comme ayant esté fait, mais pour une ordonnance certaine. Le second subterfuge est, que Jésus-Christ admeit seulement ses Apostres à la participation de ceste Cène : lesquels il avoit desjà ordonnez et consacrez en l’ordre de Sacrificateurs, qu’ils nomment ordre de Prestrise. Mais je voudroye qu’ils me respondissent à cinq demandes, desquelles ils ne pourront eschapper, qu’ils ne soyent facilement avec leurs mensonges convaincus. Premièrement, de quel oracle leur a esté révélée ceste solution tant eslongnée de la Parole de Dieu ? L’Escriture en récite douze qui furent assis avec Jésus-Christ : mais elle n’obscurcit pas tellement la dignité de Jésus-Christ, qu’elle les appelle Sacrificateurs : duquel nom nous parlerons après en son lieu. Et combien qu’il donnast lors le Sacrement à douze, toutesfois il leur commanda qu’ils feissent ainsi : asçavoir, qu’ils le distribuassent ainsi entre eux. Secondement, pourquoy au meilleur temps qui ait esté en l’Eglise, depuis le temps des Apostres jusques à mille ans après, sans exception tous estoyent faits participans des deux parties du Sacrement ? L’Église ancienne ignoroit-elle quelle compagnie Jésus-Christ eust admise à sa Cène ? Ce seroit une trop grande impudence de reculer yci, ou tergiverser. Les histoires ecclésiastiques, et les livres des Anciens se voyent qui donnent bien aperts tesmoignages de ceci. Nostre corps, dit Tertullien, est repeu de la chair et du sang de Jésus-Christ : ainsi que l’âme soit nourrie de Dieu[c]. Et sainct Ambroise disoit à l’empereur Théodose, Comment prendras-tu de tes mains sanglantes le corps du Seigneur ? Comment oseras-tu boire son sang[d]. Sainct Hiérosme : Les Prestres, dit-il, qui consacrent le pain de la Cène, et distribuent le sang du Seigneur au peuple[e]. Sainct Chrysostome : Nous ne sommes point comme en la vieille Loy, où le Prestre mangeoit sa portion, et le peuple avoit le reste : mais yci un mesme corps est donné à tous, et un mesme calice : et tout ce qui est en l’Eucharistie est commun au Prestre et au peuple[f]. Et de cela il y en a plusieurs tesmoignages en sainct Augustin.
[c] Lib. De resur. carn.
[d] Refer. Theod., lib. III, cap. XVIII.
[e] Hieron., In 2 Malach.
[f] Chrysost., In 2 ad Cor., cap VIII, homil. XVIII.
4.17.49
Mais qu’est-ce que je dispute d’une chose tant évidente ? Qu’on lise tous les Docteurs grecs et latins, il n’y a celuy qui n’en parle. Ceste coustume ne s’est point abolie ce pendant qu’il est demeuré en l’Eglise une seule goutte d’intégrité. Mesmes sainct Grégoire lequel à bon droict on peut nommer le dernier Evesque de Rome, monstre qu’on la tenoit encores de son temps, quand il dit, Vous avez apprins que c’est du sang de l’Agneau : non point en oyant parler d’iceluy, mais en le beuvant. Car il se boit de tous les fidèles en la Cène. Qui plus est, elle a duré quatre cens ans après : combien que tout fust desjà corrompu. Car on ne la tenoit point seulement comme coustume, mais comme une loy inviolable. L’institution de nostre Seigneur estoit adoncques encores en révérence, et ne doutoit-on point que ce fust un sacrilège, de séparer les choses que Dieu avoit conjoinctes : comme aussi les paroles de Gélasius Evesque de Rome le portent, Nous avons entendu, dit-il, qu’aucuns recevans seulement le corps du Seigneur, s’abstienent du calice : lesquels d’autant qu’ils pèchent par superstition, doyvent estre contraints de recevoir le Sacrement entier, ou qu’on les rejette du tout. Car la division de ce mystère ne peut estre sans un grand sacrilège[g]. On considéroit lors les raisons qu’ameine sainct Cyprien, comme de faict elles sont bien suffisantes pour esmouvoir tous cœurs chrestiens. Comment, dit-il, exhorterons-nous le peuple d’espandre son sang pour la confession de Christ, si nous luy desnions le sang d’iceluy quand il doit combatre ? ou comment le ferons-nous capable à boire le calice de martyre, sinon que l’admettions à boire premièrement le calice du Seigneur[h]. Touchant ce que les Canonistes glosent, qu’il est parlé des Prestres en la sentence de Gélasius, c’est une chose tant sotte et puérile, qu’il n’est jà mestier d’en parler.
[g] Refert. De consecr., dist. II cap. Comperimus.
[h] Sermo V, De lapsis.
4.17.50
Tiercement, Pourquoy dit Jésus-Christ simplement du pain, qu’ils en mangeassent : mais de la coupe, que tous universellement en beussent ? ce qu’ils feirent. Comme s’il eust voulu expressément prévenir et obvier à ceste malice diabolique. Quartement, Si nostre Seigneur, comme ils prétendent, a réputé dignes de sa Cène les seuls Sacrificateurs, qui eust jamais esté l’homme si hardi et audacieux, d’oser appeler en la participation d’icelle les autres, qui en eussent esté exclus par nostre Seigneur : attendu que celle participation est un don, sur lequel nul n’eust sceu avoir puissance, sans le mandement de celuy qui seul le pouvoit donner ? Mesmes en quelle audace entreprenent-ils aujourd’huy de distribuer au populaire le signe du corps de Jésus-Christ, s’ils n’en ont point ou commandement, ou exemple de nostre Seigneur ? Quintement, asçavoir si sainct Paul mentoit, quand il disoit aux Corinthiens, qu’il avoit apprins du Seigneur ce qu’il leur avoit enseigné 1Cor. 11.23 ? Car après il déclaire l’enseignement avoir esté, que tous indifféremment communiquassent des deux parties de la Cène. Et si sainct Paul avoit apprins de nostre Seigneur, que tous sans discrétion ou différence y devoyent estre admis : que ceux qui en déboutent et rejettent quasi tout le peuple de Dieu, regardent de qui ils l’ont apprins, puis que desjà ils ne peuvent alléguer Dieu pour autheur, auquel il n’y a point d’ouy et nenny 2Cor. 1.19 : c’est-à-dire, qui ne se change ne contredit point. Et encores on couvre telles abominations du nom et tiltre de l’Eglise : et sous telle couverture on les défend : comme si ces Antechrists estoyent l’Eglise, lesquels si facilement mettent sous le pied, dissipent et abolissent la doctrine et les institutions de Jésus-Christ : ou comme si l’Eglise apostolique, en laquelle a esté toute la fleur de Chrestienté, n’eust point esté Eglise.
Chapitre XVIII
De la Messe papale, qui est un sacrilège par lequel la Cène de Jésus-Christ non-seulement
a esté profanée, mais du tout abolie.
4.18.1
Par ces inventions et autres semblables, Satan s’est efforcé d’espandre et mesler ses ténèbres en la sacrée Cène de Jésus-Christ, pour la corrompre, dépraver et obscurcir : à tout le moins, afin que la pureté d’icelle ne fust retenue et gardée en l’Eglise. Mais le chef de l’horrible abomination a esté, quand il a dressé un signe par lequel ceste sacrée Cène non-seulement fust obscurcie et pervertie, mais estant du tout effacée et abolie, s’esvanouist et descheust de la mémoire des hommes : c’est asçavoir, quand il a aveuglé quasi tout le monde de cest erreur pestilentieux, qu’on creust la Messe estre sacrifice et oblation pour impétrer la rémission des péchez. Il ne me chaut en quel sens ceste opinion a esté prinse du commencement, et comment elle a esté traittée des Docteurs scolastiques, qui ont parlé un petit plus passablement que leurs successeurs qui sont venus depuis. Pourtant je laisse toutes les solutions qu’ils en baillent, veu que ce ne sont que subtilitez frivoles, qui ne servent que d’obscurcir la vérité de la Cène. Que les Lecteurs soyent advertis que mon intention est de combatre contre ceste maudite opinion, de laquelle l’Antéchrist de Rome avec tous ces supposts a enyvré le monde, en faisant à croire que la Messe est une œuvre méritoire, tant pour le Prestre qui offre Jésus-Christ, que pour ceux qui sont assistans à l’oblation qu’il fait : ou bien que c’est une hostie de satisfaction pour avoir Dieu propice. Ceste opinion n’est pas seulement receue du commun populaire, mais aussi l’acte qu’ils font est tellement composé, que c’est une espèce d’expiation, pour satisfaire à Dieu des offenses tant des vivans que des morts. Et de faict, les paroles dont ils usent chantent ainsi : et l’usage quotidien démonstre que la chose est telle. Je sçay combien ceste peste s’est enracinée avant, sous combien grande apparence de bien elle se cache, comment elle se couvre du nom de Jésus-Christ, comment plusieurs pensent comprendre toute la somme de la foy sous le seul nom de Messe. Mais où il aura esté prouvé très clairement par la Parole de Dieu, que ceste Messe, quoyqu’elle soit parée et fardée, fait très-grand déshonneur à Jésus-Christ, opprime et ensevelit sa croix, met en oubli sa mort, nous oste le fruit qui nous en provenoit, destruit et dissipe le Sacrement, auquel nous estoit laissée la mémoire d’icelle mort, aura-elles aucunes tant profondes racines, lesquelles ceste coignée très-puissante, c’est-à-dire la Parole de Dieu, ne coupe, tranche et abate ? Y aura-il aucune si belle couverture, sous laquelle le mal caché ne soit monstré par ceste lumière ?
4.18.2
Déclairons doncques ce qui a esté proposé en premier lieu, que là il se fait un blasphème et déshonneur intolérable à Jésus-Christ. Car il a esté constitué et consacré Prestre et Pontife de par son Père Héb. 5.5, 10 ; 7.17, 21 ; 9.11 ; 10.21 : non pas pour quelque temps, comme on lit de ceux qui fuient constituez au Vieil Testament, desquels puis que la vie estoit mortelle, la Prestrise et Prélature ne pouvoit estre immortelle : parquoy il estoit besoin qu’ils eussent des successeurs, qui fussent après subroguez au lieu d’eux, quand ils seroyent décédez : mais à Jésus-Christ, qui est immortel, il ne faut point substituer de vicaire. Il a donc esté désigné du Père, Prestre à tousjours selon l’ordre de Melchisédec Ps. 110.4 : afin qu’il feist l’office de Prestrise éternellement durante et permanente. Ce mystère avoit esté longtemps devant figuré en Melchisédec, duquel après qu’il a esté une fois introduit par l’Escriture Prestre du Dieu vivant Gen. 14.18, jamais après il n’en est fait mention, comme s’il eust toujours vescu sans fin. Par ceste similitude Jésus-Christ a esté dit Prestre selon son ordre. Or ceux qui tous les jours sacrifient il est nécessaire qu’ils ayent des Prestres pour faire leurs oblations, lesquels soyent subroguez à Jésus-Christ, comme successeurs et vicaires : par laquelle subrogation non-seulement ils despouillent Jésus-Christ de son honneur, et luy ravissent sa prérogative de Prestrise éternelle, mais ils s’efforcent de le déjetter de la dextre de son Père : en laquelle il ne peut estre assis immortel, qu’ensemblement il ne demeure Prestre éternel, afin d’intercéder pour nous. Et qu’ils n’allèguent point que leurs sacrificateurs ne sont point substituez vicaires à Jésus-Christ comme trespassé, mais que seulement ils sont suffragans de son éternelle Prestrise, laquelle ne laisse point pour cela de consister tousjours en son estat : car par les paroles de l’Apostre ils sont prins de trop près, pour ainsi eschapper. Il dit que plusieurs estoyent faits Prestres, pourtant qu’ils estoyent empeschez par mort de pouvoir tousjours durer Héb. 7.23. Jésus-Christ doncques, qui ne peut estre empesché par mort, est seul, et n’a besoin de compagnons. Or comme ils sont effrontez, ils s’osent bien armer de l’exemple de Melchisédec pour maintenir leur impiété. Car pource qu’il est dit qu’il a offert du pain et du vin. Ils infèrent que cela a esté préfiguratif de leur Messe. Voire comme si la similitude entre luy et Jésus-Christ estoit située en l’oblation du pain et du vin. C’est un badinage si maigre, qu’il ne vaut pas d’estre réfuté. Melchisédec a donné du pain et du vin à Abraham et à sa compagnie, pource qu’ils avoyent besoin d’estre repeus comme gens lassez qui retournoyent de la bataille. Moyse loue l’humanité et libéralité de ce sainct Roy. Ceux-ci se forgent un mystère à la volée, dont il n’est fait nulle mention. Toutesfois ils fardent leur erreur d’une autre couleur : c’est qu’il s’ensuyt tantost après au texte, qu’il estoit Sacrificateur du Dieu souverain. A quoy je respon, qu’ils sont trop bestes de tirer au pain et au vin ce que l’Apostre rapporte à la bénédiction : voulant signifier qu’en qualité de Sacrificateur de Dieu il a bénit Abraham. Parquoy le mesme Apostre, lequel est le meilleur expositeur que nous puissions trouver, monstre la dignité de Melchisédec, en ce qu’il faloit qu’il fust supérieur à Abraham pour le bénir Héb. 7.7. Et si l’oblation de Melchisédec eust esté figure du sacrifice de la Messe, je vous prie, l’Apostre eust-il mis en oubli une chose si haute, si grave et si précieuse, veu qu’il déduit par le menu les plus petites choses, qui devoyent plustost estre délaissées derrière ? Mais encores, quoy qu’ils babillent, ils ne gaigneront rien, en s’efforçant de renverser la raison qui est quant et quant amenée, asçavoir que le droict et honneur de sacrificature n’appartient plus aux hommes mortels, veu qu’il a esté translaté à Jésus-Christ, lequel est sans fin.
4.18.3
Pour la seconde vertu de la Messe, il a esté proposé qu’elle ensevelit et opprime la croix et passion de Jésus-Christ. Vrayement cela est très-certain, qu’en dressant un autel on met bas la croix de Jésus-Christ. Car s’il s’est offert soy-mesme en la croix en sacrifice, afin qu’il nous sanctifiast à perpétuité, et nous acquist éternelle rédemption Héb. 9.12, sans doute l’effect et efficace de ce sacrifice dure sans fin. Autrement nous ne l’aurions en plus grande estime que les bœufs et veaux, qui estoyent immolez en la Loy, desquels les oblations sont prouvées avoir esté imbécilles et de nul effect et vertu, par cela qu’elles estoyent souventesfois réitérées. Parquoy il faut confesser, ou bien qu’au sacrifice de Jésus-Christ qu’il a fait en la croix, la vertu d’éternelle purgation et sanctification a défailly, ou bien que Jésus-Christ a fait un seul sacrifice une fois pour toutes. C’est ce que dit l’Apostre, que ce grand Prestre ou Pontife Christ, par le sacrifice de soy-mesme s’est apparu une fois en la consommation des siècles, pour effacer, destruire et abolir le péché. Item, que la volonté de Dieu a esté de nous sanctifier par l’oblation de Jésus-Christ faicte une fois. Item, que par une seule oblation il a parfait à perpétuité ceux qui sont sanctifiez. Et adjouste une sentence notable, que puis que la rémission des péchez nous est une fois acquise il ne reste plus nulle oblation Héb. 9.26 ; 10.10. Cela aussi a esté signifié de Jésus-Christ par sa dernière parole, laquelle il prononça voulant rendre l’esprit, quand il dit, Il est consommé Jean 19.30. Nous avons coustume d’observer comme mandemens divins, les dernières paroles des mourans. Jésus-Christ en mourant nous testifie que par ce seul sien sacrifice est parfait et accomply tout ce qui appartenoit à nostre salut. Nous sera-il doncques licite d’en adjouster tous les jours d’autres innumérables, comme s’il estoit imparfait, combien que Jésus-Christ nous en ait si évidemment recommandé et déclairé la perfection ? Puis que la très-saincte Parole de Dieu ne nous afferme pas seulement, mais aussi crie et proteste ce sacrifice avoir esté une fois parfait, et sa vertu et efficace estre éternelle, ceux qui en cherchent et demandent d’autres, ne le rédarguent-ils pas d’imperfection et d’infirmité ? Et la Messe, qui a esté mise sus à ceste condition, que tous les jours se facent cent mille Sacrifices, à quoy tend-elle, sinon que la passion de Jésus-Christ, par laquelle il s’est offert soy-mesme un seul sacrifice au Père, demeure ensevelie et supprimée ? Y a-il quelqu’un, s’il n’est trop aveuglé, qui ne voye que c’a esté une trop grande hardiesse de Satan, pour résister et combatre contre la vérité de Dieu si aperte et si manifeste ? Il ne m’est point caché par quelles illusions ce père de mensonge a coustume de couvrir ceste siene astuce, voulant persuader que ce ne sont point plusieurs ne divers sacrifices, mais un seul et mesme sacrifice souventesfois réitéré. Mais telles fumées de ses ténèbres sont sans nulle peine facilement déchassées. Car l’Apostre en toute sa disputation ne prétend pas seulement qu’il n’y a nuls autres sacrifices, mais qu’iceluy seul a esté une seule fois offert, et qu’il ne se doit plus réitérer. Ceux qui y voit plus subtilement, ont encores une cachette plus secrette, disans que c’est seulement application du sacrifice, et non point réitération. Mais ceste sophisterie se peut aussi bien réfuter sans difficulté : car Jésus-Christ ne s’est pas une fois offert à telle condition que son sacrifice fust journellement ratifié par oblations nouvelles, mais afin que le fruit nous en soit communiqué par la prédication de l’Evangile et l’usage de la Cène. Pourtant sainct Paul, après avoir dit que Jésus-Christ nostre Agneau paschal a esté immolé, il nous commande d’en manger 1Cor. 5.7-8. Voylà doncques le moyen par lequel le sacrifice de la croix de nostre Seigneur Jésus nous est appliqué : c’est quand il se communique à nous, et nous le recevons en vraye foy.
4.18.4
Mais il est besoin d’ouyr sur quel fondement les Missotiers appuyent leurs sacrifices. Ils prenent la prophétie de Malachie : en laquelle nostre Seigneur dénonce qu’on offrira encensement par tout le monde à son nom, et oblation pure Malach. 1.11. Comme si c’estoit une chose nouvelle et inusitée aux Prophètes, quand ils ont à parler de la vocation des Gentils, de signifier le service de Dieu spirituel par les cérémonies de la Loy : pour plus facilement démonstrer aux hommes de leur aage, comment les Gentils devoyent estre introduits en la vraye participation de l’alliance de Dieu. Comme de faict universellement ils ont accoustumé de descrire les choses qui ont esté accomplies en l’Evangile, sous les figures de leur temps. Ceci s’entendra plus facilement par exemples. Au lieu de dire que tous peuples se convertiront à Dieu, ils disent qu’ils monteront en Jérusalem ; au lieu de dire que les peuples de Midi et d’Orient adoreront Dieu, ils disent qu’ils offriront en présent les richesses de leur pays. Pour monstrer la grande et ample cognoissance qui devoit estre donnée aux fidèles sous le règne de Christ, ils disent que les filles prophétiseront, les jeunes gens verront visions, et les anciens songeront songes Joël 2.28. Ce qu’ils ameinent est semblable à une autre prophétie d’Isaïe, où il dit qu’il y aura des autels dressez au Seigneur en Assyrie et Egypte, comme en Judée Esaïe 19.21-24. Premièrement, je demande aux Papistes, si cela n’a pas esté accomply en la Chrestienté. Secondement, qu’ils me respondent où sont ces autels, et quand ils ont esté bastis. Après, je voudroye sçavoir s’ils pensent que ces deux royaumes qui sont conjoincts avec Judée, deussent avoir chacun son temple, comme celuy de Jérusalem. S’ils poisent bien ces articles, ils seront contraints de confesser, comme la vérité est, que le Prophète descrit la vérité spirituelle sous les ombres et figures de son temps. Or c’est la solution que nous leur donnons. Mais pource que les exemples de ceste manière de parler sont assez fréquens, je ne veux point estre long à en réciter beaucoup. Combien que ces povres estourdis s’abusent lourdement, en ce qu’ils ne recognoissent autre sacrifice que de leur Messe : veu que les fidèles véritablement sacrifient maintenant à Dieu, et luy offrent oblation pure, de laquelle il sera tantost parlé.
4.18.5
Maintenant je viens au troisième office de la Messe, où il est à déclairer comment elle efface et oste de la mémoire des hommes la vraye et unique mort de Jésus-Christ. Car comme entre les hommes la confirmation du testament dépend de la mort du testateur : en ceste manière aussi nostre Seigneur a confermé par sa mort le Testament, par lequel il nous a asseurez de la rémission de nos péchez et d’éternelle justice. Ceux qui en ce Testament osent varier ou innover, ils désavouent sa mort, et la réputent comme de nulle valeur. Et qu’est-ce autre chose la Messe, sinon un testament nouveau et du tout divers ; car chacunes Messes ne promettent-elles point nouvelle rémission de péchez, et nouvelle acquisition de justice, tant que desjà il y a autant de testamens qu’il y a de Messes ? Que Jésus-Christ viene doncques derechef, et conferme par une autre mort ce nouveau testament, ou plustost par morts infinies les testamens qui sont infinis aux Messes. Pourtant n’ay-je pas dit sans cause au commencement, que par les Messes est effacée et oubliée la mort unique et vraye de Jésus-Christ. D’avantage, la Messe ne tend-elle pas directement à ce que derechef, s’il estoit possible, Jésus-Christ fust tué et occis ? Car comme dit l’Apostre, où il y a testament il est nécessaire que la mort du testateur entreviene Héb. 9.16. La Messe prétend un nouveau testament de Jésus-Christ : elle requiert doncques sa mort. D’avantage, il est nécessaire que le sacrifice qui est offert, soit tué et immolé. Si Jésus-Christ à chacune Messe est sacrifié, il faut qu’en chacun moment, en mille lieux il soit cruellement tué et occis. Ce n’est pas mon argument, mais de l’Apostre, disant, Si Jésus-Christ eust eu besoin de s’offrir soy-mesme souventesfois, il eust falu qu’il eust souffert souventesfois depuis le commencement du monde. Je sçay la response qu’ils ont en main, par laquelle mesme ils nous arguent de calomnie : car ils disent que nous leur imposons ce que jamais ils ne pensèrent, comme aussi ils ne le peuvent. Or je leur confesse bien que la vie ne la mort de Jésus-Christ n’est pas en leur puissance : je ne regarde point non plus, si leur propos délibéré est de tuer Christ : seulement, je monstre quelle absurdité il y a en leur meschante doctrine, quand elle seroit receue : et ne le monstre que par la bouche de l’Apostre. Qu’ils répliquent cent fois s’ils veulent, que ce sacrifice est sans sang : je leur nieray que les sacrifices changent de nature à l’appétit des hommes, ou soyent qualifiez à leur poste : car par ce moyen l’institution sacrée et inviolable de Dieu tomberoit bas. Dont il s’ensuyt que ce principe de l’Apostre ne peut estre esbranlé, asçavoir qu’il y a effusion de sang requise en tous sacrifices : pour y avoir ablution.
4.18.6
Il faut traitter le quatrième office de la Messe : c’est asçavoir qu’elle nous oste le fruit qui nous provenoit de la mort de Jésus-Christ : entant qu’elle fait que nous ne le cognoissons et considérons point. Car qui se pensera estre racheté par la mort de Jésus-Christ, quand il verra en la Messe une nouvelle rédemption ? Qui se confiera que ses péchez luy ayent esté remis, quand il verra une autre rémission ? Et n’eschappera point celuy qui dira, que nous n’obtenons point pour autre cause la rémission des péchez en la Messe, sinon pource qu’elle est desjà acquise par la mort de Jésus. Car il n’allègue autre chose, que s’il disoit que nous avons esté rachetez par Jésus-Christ à ceste condition, que nous-mesmes nous nous rachetions. Car telle doctrine a esté semée par les ministres de Satan, et telle aujourd’huy la défendent-ils par cri, par glaive et par feu. Que quand nous offrons Jésus-Christ au Père en la Messe, par l’œuvre de ceste oblation nous acquérons rémission des péchez, et sommes faits participans de la passion de Jésus-Christ. Que reste-il plus à la passion de Jésus-Christ, sinon qu’elle soit un exemple de rédemption, par lequel nous apprenons d’estre nous-mesmes nos rédempteurs ? Luy-mesme en nous voulant certifier en la Cène que nos fautes nous sont pardonnées, ne nous arreste point au Sacrement, mais nous renvoye au sacrifice de sa mort, signifiant que la Cène est un mémorial estably pour nous apprendre que l’hostie satisfactoire, par laquelle Dieu devoit estre appaisé, ne seroit offerte qu’une seule fois. Car ce n’est pas assez de sçavoir que Jésus-Christ soit la seule hostie pour nous appointer avec Dieu, sinon que nous adjoustions quant et quant, qu’il y a eu une oblation seule, tellement que nostre foy soit attachée à sa croix.
4.18.7
Or je vien au dernier bien de la Messe : qui est que la sacrée Cène, en laquelle nostre Seigneur avoit laissé la mémoire de sa passion engravée et imprimée, est ostée par la Messe, voire perdue et abolie. Car la Cène est un don de Dieu, lequel devoit estre prins et receu avec action de grâces : et au contraire, on feind que le sacrifice de la Messe est un payement qu’on fait à Dieu, lequel il reçoyve de nous en satisfaction. Autant qu’il y a à dire entre Prendre et Donner, autant il y a de différence entre le Sacrement de la Cène et Sacrifice. Et certes c’est ci une très-malheureuse ingratitude de l’homme, qu’où il devoit recognoistre la largesse et libéralité de la bonté divine avec action de grâces, il veut faire à croire à Dieu qu’il l’oblige à soy. Le Sacrement nous promettoit que nous estions par la mort de Jésus-Christ restituez en vie : non pas pour une fois seulement, mais qu’en estions assiduellement vivifiez : pource que lors tout ce qui appartenoit à nostre salut, a esté accomply. Le sacrifice de la Messe chante bien une autre chanson : c’est qu’il faut que Jésus-Christ soit tous les jours sacrifié, afin qu’il nous proufite quelque chose. La Cène devoit estre proposée et distribuée en congrégation publique de l’Eglise, pour nous instruire de la communion, par laquelle nous sommes tous conjoincts ensemble à Jésus-Christ. Le sacrifice de la Messe rompt et destruit ceste communité. Car après que cest erreur a eu lieu, qu’il faloit qu’il y eust des Prestres qui sacrifiassent pour le peuple : comme si la Cène eust esté réservée à eux, elle n’a plus esté communiquée à l’Eglise des fidèles, comme le commandement de nostre Seigneur le portoit. Et la voye a esté ouverte aux Messes privées, lesquelles représentassent plustost quelque excommunication que celle communité qui a esté instituée de nostre Seigneur : puis que le Prestre et sacrificateur, voulant dévorer son sacrifice, se sépare de tout le peuple des fidèles. Afin qu’aucun ne soit trompé, j’appelle Messes privées, toutes fois et quantes qu’il n’y a nulle participation de la Cène de nostre Seigneur entre les fidèles, quelque multitude qui y assiste pour regarder.
4.18.8
Quant au nom de Messe, jamais je ne me suis peu résoudre dont il estoit venu, sinon qu’il est vray-semblable, à mon advis, qu’il a esté prins des oblations qu’on faisoit à la Cène Deut. 16.10 ; Luc 22.17. Pour laquelle raison les anciens Docteurs n’en usent communément qu’au nombre pluriel. Mais laissons là le mot. Je di que les Messes privées répugnent à l’institution de Christ : et pourtant que c’est autant de profanation de la saincte Cène. Car qu’est-ce que nous a commandé le Seigneur ? asçavoir de prendre le pain, et le distribuer entre nous. Et quelle observation de cela nous enseigne sainct Paul ? c’est que la fraction du pain nous soit pour communion du corps de Christ 1Cor. 10.16. Quand doncques un homme mange tout luy seul, sans en faire part aux autres, qu’est-ce qu’il y a de semblable avec ceste ordonnance ? Mais ils allèguent qu’il le fait au nom de toute l’Eglise. Je demande en quelle authorité. N’est-ce point se mocquer ouvertement de Dieu, qu’un homme face à part ce qui devoit estre fait en commun en la compagnie des fidèles ? Mais d’autant que les paroles de Jésus-Christ et de sainct Paul sont assez claires, nous pouvons briefvement conclurre, que par tout où le pain ne se rompt point pour estre distribué entre les Chrestiens, il n’y a nulle Cène, mais une fausse fiction et perverse, pour la contrefaire. Or une telle fausse fiction, est corruption : et corruption d’un si grand mystère n’est pas sans impiété. Il y a doncques un abus meschant et damnable aux Messes privées. D’avantage, comme quand on est une fois décliné du droict chemin, un vice engendre tousjours l’autre : depuis que la coustume a esté introduite d’offrir sans communiquer, on a commencé petit à petit de chanter des Messes infinies par tous les anglets des temples. Ainsi on a distrait le peuple par-ci par-là, lequel devoit estre assemblé en un lieu pour recognoistre le Sacrement de son union. Que les Papistes nient maintenant, s’ils peuvent, que ce ne soit idolâtrie à eux de monstrer en leurs Messes le pain, pour le faire adorer. Car c’est en vain qu’ils prétendent ceste promesse, que le pain est tesmoignage du corps de Christ. En quelque sens que nous prenions ces paroles, Voyci mon corps : elles n’ont point esté dites à ce qu’un meschant sacrilège, sans Dieu, sans loy, sans foy et sans conscience, toutes fois et quantes que bon luy semblera, change et transmue le pain au corps de Jésus-Christ, pour en abuser à sa poste : mais à ce que les fidèles observans le commandement de leur Maistre Jésus-Christ, ayent vraye participation d’iceluy en la Cène.
4.18.9
Et de faict ceste perversité a esté incognue à toute l’Eglise ancienne. Car combien que ceux qui sont les plus effrontez entre les Papistes facent un bouclier des anciens Docteurs, abusans faussement de leurs tesmoignages, toutesfois c’est une chose claire comme le soleil en plein midi que ce qu’ils font est tout contraire à l’usage ancien : et que c’est un abus qui est venu en avant du temps que tout estoit dépravé et corrompu en l’Eglise. Mais devant que faire fin, j’interrogue nos docteurs de Messes. Puis qu’ils sçavent qu’obéissance à Dieu est meilleure que tous sacrifices, et qu’il demande plus qu’on obtempère à sa voix, qu’il ne fait qu’on luy offre sacrifices 1Sam. 15.22 : comment pensent-ils que ceste manière de sacrifices soit agréable à Dieu, de laquelle ils n’ont aucun commandement, et qu’ils voyent n’estre prouvée par une seule syllabe de l’Escriture ? D’avantage, puis qu’ils oyent l’Apostre disant que nul ne se doit attribuer et usurper le nom et honneur de Prestrise, sinon celuy qui est appelé de Dieu, comme Aaron : et que mesmes Jésus-Christ ne s’y est point ingéré soy-mesme, mais a obéy à la vocation de son Père Héb. 5.4-5 : ou il faut qu’ils monstrent que Dieu est autheur et instituteur de leur prestrise, ou qu’ils confessent leur ordre et estat n’estre point de Dieu : veu que sans y estre appelez, ils s’y sont de leur propre témérité introduits. Mais ils ne pourroyent monstrer un seul point de lettre qui favorise à leur prestrise. Que deviendront doncques les sacrifices, qui ne peuvent estre offerts sans Prestre ?
4.18.10
Si quelqu’un vouloit débatre par l’authorité des Anciens, qu’il faut autrement entendre le sacrifice qui est fait en la Cène, que nous ne l’exposons et pour ce faire ameine des sentences rompues et mutilées, je donneray à cela briefve response : c’est s’il est question d’approuver telle fantasie qu’ont forgée les Papistes du sacrifice de la Messe, que les Anciens ne se doyvent amener, pour y favoriser à cela. Ils usent bien du mot de Sacrifice : mais ils déclairent quant et quant, qu’ils n’entendent autre chose que la mémoire de ce vray et seul sacrifice qu’a parfait Jésus-Christ en la croix : lequel aussi ils appellent tousjours nostre Sacrificateur unique. Les Hébrieux, dit sainct Augustin, sacrifians les bestes brutes, s’exerçoyent en la prophétie du futur sacrifice que Jésus-Christ a offert : les Chrestiens, en l’oblation et communion du corps de Jésus-Christ célèbrent la mémoire du sacrifice desjà parfait[i]. Ceste sentence est couchée plus amplement au livre qui est intitulé, De la foy, à Pierre Diacre, qu’on attribue aussi à sainct Augustin ; les paroles sont telles : Tien pour certain et ne doute nullement, que le Fils de Dieu s’estant fait homme pour nous, s’est offert à Dieu son Père en hostie de bonne odeur : auquel on sacrifioit du temps de l’Ancien Testament des bestes brutes, mais maintenant on luy offre sacrifice de pain et vin. En ces hosties charnelles il y avoit une figure de la chair de Christ qu’il devoit offrir pour nous, et de son sang qu’il devoit espandre pour la rémission de nos péchez : en ce sacrifice dont nous usons, il y a action de grâces, et mémoire de la chair de Christ qu’il a offert pour nous et de son sang qu’il a espandu[j]. De là vient que le mesme Docteur, je di sainct Augustin, appelle souventesfois la Cène, Sacrifice de louange[k]. Et souvent on trouvera en ses livres, qu’elle n’est nommée Sacrifice pour autre raison, sinon entant qu’elle est mémoire, image et attestation du sacrifice singulier, vray et unique, par lequel Jésus-Christ nous a rachetez. Il y a encores un autre lieu notable au livre IV de la Trinité, auquel après avoir tenu propos d’un sacrifice unique, il conclud qu’il y a quatre choses à considérer : qui est celuy qui offre, et celuy auquel il offre : que c’est qu’il offre, et pour qui. Or nostre Médiateur luy-mesme et luy seul s’est offert à son Père pour le nous rendre propice[l]. Il nous a fait un en soy, s’offrant pour nous : luy-mesme a fait l’oblation, et a esté ce qu’il offroit : à quoy aussi s’accorde sainct Chrysostome.
[i] Contra Faust., lib XX, cap. XVIII.
[j] Epist. CXX, Ad Honoratum.
[k] Contra adversarium Legis, sæpius.
[l] Contra Parm., Lib. II, cap. 8.
4.18.11
Touchant de la Sacrificature de Jésus-Christ, les anciens Pères l’ont eue en telle recommandation, que sainct Augustin prononce que ce seroit une parole d’Antéchrist, si quelqu’un constituoit un Evesque ou Pasteur pour intercesseur entre Dieu et les hommes. Et de nostre part nous ne nions pas que l’oblation de Jésus-Christ ne nous y soit tellement présentée, que nous le pouvons quasi contempler à l’œil en sa croix, comme l’Apostre dit que Jésus-Christ avoit esté crucifié entre les Galatiens Gal. 3.1, quand la prédication de sa mort leur avoit esté déclairée. Mais d’autant que j’apperçoy les Anciens mesmes avoir destourné ceste mémoire à autre façon que ne requéroit l’institution du Seigneur, veu que leur Cène représentoit je ne sçay quel spectacle d’une immolation réitérée, ou pour le moins renouvelée, il n’y a rien plus seur aux fidèles, que de s’arrester à la pure et simple ordonnance du Seigneur, duquel aussi elle est nommée Cène, afin que la seule authorité d’iceluy en soit la reigle. Il est vray que d’autant que je voy qu’ils ont eu saine intelligence, et que leur intention ne fut jamais de déroguer aucunement au Sacrifice unique de Jésus-Christ, je ne les ose pas condamner d’impiété, toutesfois je ne pense pas qu’on les puisse excuser qu’ils n’ayent aucunement failly en la forme extérieure. Car ils ont ensuyvy de plus près la façon judaïque, que l’ordonnance de Jésus-Christ ne le portoit. C’est doncques le point où ils méritent d’estre rédarguez, qu’ils se sont trop conformez au Vieil Testament : et que ne se contentans point de la simple institution de Christ, ils ont trop décliné aux ombres de la Loy.
4.18.12
Il y a bien similitude entre les sacrifices de la Loy mosaïque et le Sacrement de l’Eucharistie : en ce qu’iceux ont représenté l’efficace de la mort de Christ, comme elle nous est aujourd’huy exhibée en l’Eucharistie Lév. 1.5. Mais il y a diversité quant à la manière de représenter. Car en l’Ancien Testament les Prestres figuroyent le sacrifice que Jésus-Christ devoit parfaire : l’hostie estoit là tenant le lieu de Jésus-Christ : il y avoit l’autel pour faire l’immolation : brief, le tout se faisoit tellement qu’on voyoit à l’œil une espèce de sacrifice pour obtenir pardon des péchez. Mais depuis que Jésus-Christ a accomply la vérité de toutes ces choses, le Père céleste nous a ordonné une autre façon : c’est de nous présenter la jouissance du sacrifice qui luy a esté offert par son Fils. Il nous a doncques donné une table pour manger sur icelle, et non pas un autel pour sacrifier dessus. Il n’a point consacré des Prestres pour immoler hosties : mais il a institué des Ministres pour distribuer la viande sacrée au peuple. D’autant que le mystère est haut et excellent, il se doit traitter avec plus grande révérence. Parquoy il n’y a rien de plus seur, que renoncer à l’audace du sens humain, pour nous arrester du tout à ce que l’Escriture nous enseigne. Et certes si nous réputons que c’est la Cène du Seigneur et non pas des hommes, il n’y a rien qui nous doyve démouvoir ne distraire de sa volonté, n’aucune authorité humaine, ne longueur de temps, ne toutes autres apparences. Pourtant l’Apostre voulant bien restituer la Cène en son entier entre les Corinthiens, où elle avoit esté corrompue de quelques vices, la meilleure voye et la plus briefve qu’il puisse trouver, c’est de les rappeler à ceste institution unique, dont il monstre qu’il faut prendre la reigle perpétuelle 1Cor. 11.20.
4.18.13
Or afin que quelque quereleux ne prene matière de combatre encores contre nous pour les noms de Sacrifice et de Prestre, j’expédieray en brief que c’est que j’ay entendu en toute ceste disputation par le mot de Sacrifice et par le nom de Prestre. Je ne voy point quelle raison peuvent avoir ceux qui estendent le nom de Sacrifice à toutes cérémonies et observations appartenantes au service de Dieu. Car nous voyons que par la coustume perpétuelle de l’Escriture, le nom de Sacrifice est prins pour ce que les Grecs appellent maintenant Thysia, maintenant Prosphora, maintenant Télétè, qui signifie généralement tout ce qui est offert à Dieu. Tellement néantmoins qu’il nous faut yci user de distinction : mais d’une telle distinction, qui se déduise des sacrifices de la Loy mosaïque, sous l’ombre desquels le Seigneur a voulu représenter à son peuple toute la vérité des sacrifices spirituels. Or combien qu’il y ait eu plusieurs espèces d’iceux, toutesfois elles se peuvent toutes rapporter à deux membres. Car ou l’oblation estoit faite pour le péché par une manière de satisfaction, dont la faute estoit rachetée devant Dieu : ou elle se faisoit pour un signe du service divin, et comme un tesmoignage de l’honneur qu’on luy rendoit. Et sous ce second membre estoyent comprins trois genres de sacrifice. Car fust qu’on demandast sa faveur et grâce par forme de supplication, fust qu’on luy rendist louange pour ses bénéfices, fust qu’on s’exercitast simplement à renouveler la mémoire de son alliance, cela appartenoit tousjours à testifier la révérence qu’on avoit à son Nom. Parquoy il faut rapporter à ce second membre ce qui est nommé en la Loy, Holocauste, Libation, Oblation, Premiers fruits, et les Hosties pacifiques. A ceste cause nous aussi diviserons les Sacrifices en deux parties : et en appellerons un genre, Destiné à l’honneur et révérence de Dieu, par lequel les fidèles le recognoissent estre celuy dont leur provient et procède tout bien : et à ceste cause luy rendent grâce comme elle luy est deue. Et l’autre, Sacrifice propitiatoire, ou d’expiation. Sacrifice d’expiation est celuy lequel est fait pour appaiser l’ire de Dieu, satisfaire à sa justice : et en ce faisant, purger les péchez et nettoyer, afin que le pécheur estant purifié des macules d’iceux, et estant restitué en pureté de justice, soit remis en grâce avec Dieu. Les Hosties qui estoyent offertes en la Loy pour effacer les péchez Exo. 29.36, estoyent ainsi appelées : non pas qu’elles fussent suffisantes pour abolir l’iniquité, ou réconcilier les hommes à Dieu, mais d’autant qu’elles figuroyent le vray sacrifice qui a finalement esté parfait à la vérité par Jésus-Christ : et par luy seul pource que nul autre ne le pouvoit faire : et a esté fait une seule fois, pource que de celuy seul fait par Jésus-Christ, la vertu et efficace est éternelle. Comme luy-mesme par sa voix l’a tesmoigné, quand il dit tout avoir esté parfait et accomply Jean 19.30, c’est-à-dire, que tout ce qui estoit nécessaire pour nous réconcilier en la grâce du Père, pour impétrer rémission des péchez, justice et salut, tout cela estoit par la siene seule oblation parachevé, consommé et accomply : et tellement rien ne défailloit, que nul autre sacrifice ne pouvoit après avoir lieu.
4.18.14
Pourtant nous avons à conclurre, que c’est opprobre et blasphème intolérable contre Jésus-Christ et son Sacrifice qu’il a fait pour nous par sa mort en la Croix, si aucun réitère quelque oblation, pensant en acquérir rémission de péchez, réconcilier Dieu, et obtenir justice. Toutesfois qu’est-il fait autre chose en la Messe, sinon que nous soyons par le mérite d’une nouvelle oblation faits participans de la passion de Jésus-Christ ? Et afin de ne mettre nulle fin à leur rage, ils ont pensé que ce seroit peu, s’ils disoyent que leur sacrifice estoit également en commun pour toute l’Eglise, sinon qu’ils adjoutassent qu’il est en leur puissance de l’appliquer péculièrement à l’un ou à l’autre, comme ils voudroyent : ou plustost, à quiconques voudroit, en bien payant, acheter leur marchandise. Et pourtant qu’ils ne pouvoyent la mettre à si haut pris que la taxe de Judas, toutesfois afin qu’en quelque marque ils représentassent l’exemple de leur autheur, ils ont retenu et gardé la similitude du nombre. Luy, il vendit Jésus-Christ trente pièces d’argent Matt. 26.15 : ceux-ci, entant qu’en eux est, le vendent trente deniers de cuyvre. Mais luy, il le vendit une fois seulement : ceux-ci, toutes fois et quantes qu’ils rencontrent acheteur. En ce sens je nie que les Prestres du Pape soyent sacrificateurs de droict : c’est, qu’ils intercèdent envers Dieu par telle oblation, et qu’ils appaisent son ire en purgeant les péchez. Car Jésus-Christ est le seul sacrificateur du Nouveau Testament, auquel tous les sacrifices anciens ont esté dévolus, comme c’est en luy qu’ils ont prins fin. Et encores ce que l’Escriture ne feist nulle mention de la sacrificature éternelle de Jésus-Christ, toutesfois puis que Dieu en abolissant celle qu’il avoit ordonnée du temps de la Loy, n’en a point estably de nouvelle, l’argument de l’Apostre est péremptoire, que nul ne s’attribue l’honneur sinon qu’il soit appelé Héb. 5.4. De quelle hardiesse doncques ces sacriléges-ci se nomment-ils Sacrificateurs du Dieu vivant, duquel ils n’ont nul adveu ? Et comment osent-ils usurper tel tiltre pour estre bourreaux de Christ ?
4.18.15
Il y a un beau passage de Platon, au second livre de la République, où il monstre qu’entre les Payens ceste perverse opinion régnoit. Car il dit que les usuriers, les paillars, les perjures et trompeurs, après avoir exercé beaucoup de cruautez, rapines, fraudes, extorsions et autres malices, pensoyent bien estre quittes s’ils fondoyent quelques anniversaires, pour effacer la mémoire de toute leur meschanceté. Et ainsi, ce Philosophe payen se mocque de leur folie, de ce qu’ils pensoyent payer Dieu en telle monnoye, comme en luy bandant les yeux à ce qu’il ne veist goutte en toutes leurs meschancetez, se donnans au reste tant plus grande licence de mal faire. En quoy il semble qu’il monstre au doigt la prattique de la Messe, telle qu’elle est aujourd’huy au monde. Chacun sçait que c’est chose détestable, de frauder son prochain. Chacun confesse que ce sont crimes énormes, de tormenter les vefves, piller les orphelins, affliger les povres, attirer à soy les biens d’autruy par mauvaises traffiques, attraper çà et là ce qu’on peut par perjures et fraudes, et usurper par violence et tyrannie ce qui n’est pas nostre. Comment doncques tant de gens l’osent-ils faire, comme le faisans sans crainte de punition ? Certes si nous considérons bien tout, ils ne prenent tant de hardiesse d’ailleurs, sinon qu’ils se consent de satisfaire à Dieu par le sacrifice de la Messe, comme en luy payant ce qu’ils luy doyvent, ou bien que c’est un moyen d’appointer avec luy. Platon en poursuyvant ce propos, se mocque de ceste sottise, qu’on cuide se racheter des peines qu’il faudroit endurer en l’autre monde. Et à quoy tendent, je vous prie, tant d’anniversaires, et la pluspart des Messes, sinon à ce que ceux qui ont esté toute leur vie des cruels tyrans, ou larrons et pilleurs, ou abandonnez à toute vilenie, se rachètent du Purgatoire ?
4.18.16
Sous l’autre espèce de sacrifice, qui est appelé Sacrifice d’action de grâces, ou de louange, sont contenus tous les offices de charité : lesquels quand ils se font à nos prochains, se rendent aucunement à Dieu, lequel est ainsi honoré en ses membres ; sont aussi contenues toutes nos prières, louanges, actions de grâces, et tout ce que nous faisons pour servir et honorer Dieu. Lesquelles oblations dépendent toutes d’un plus grand sacrifice, par lequel nous sommes en corps et âme consacrez et dédiez pour saincts temples à Dieu. Car ce n’est point assez si nos actions extérieures sont employées à son service : mais il est convenable que nous premièrement avec toutes nos œuvres luy soyons dédiez, afin que tout ce qui est en nous serve à sa gloire, et exalte sa magnificence. Ceste manière de sacrifice n’appartient rien à appaiser l’ire de Dieu, et impétrer rémission des péchez : ne pour mériter et acquérir justice : mais seulement tend à magnifier et glorifier Dieu. Car elle ne luy peut estre agréable, si elle ne procède de ceux, qui ayans obtenu rémission des péchez, sont desjà réconciliez à luy, et justifiez d’ailleurs. Et d’avantage, tel sacrifice est si nécessaire à l’Eglise, qu’il n’en peut estre hors : et pourtant il sera éternel, tant que durera le peuple de Dieu : comme aussi il a esté escrit par le Prophète. Car il faut ainsi prendre ce tesmoignage de Malachie, Depuis Orient jusques en Occident mon Nom est grand entre les Gens, et en tout lieu encensement est offert à mon Nom, et oblation nette et pure Malach. 1.11. Car mon Nom est terrible entre les Gens, dit le Seigneur ; tant s’en faut-il que nous l’en ostions. Ainsi sainct Paul nous commande, que nous offrions nos corps en sacrifice vivant, sainct, plaisant à Dieu, raisonnable service Rom. 12.1. Auquel lieu il a très-proprement parlé, quand il a adjousté que c’est là le service raisonnable que nous rendons à Dieu. Car il a entendu une forme spirituelle de servir et honorer Dieu : laquelle il a opposée tacitement aux sacrifices charnels de la Loy mosaïque. En ceste manière les aumosnes et bienfaits sont appelez Hosties esquelles Dieu prend plaisir Héb. 13.16. En ceste manière la libéralité des Philippiens, par laquelle ils avoyent subvenu à l’indigence de sainct Paul, est nommée Oblation de bonne odeur : toutes les œuvres des fidèles, Hosties spirituelles Phil. 4.18 ; 1Pi. 2.5.
4.18.17
Et qu’est-ce qu’il est mestier de faire longue poursuite, veu que ceste forme de parler est si souvent en l’Escriture ? Mesmes cependant que le peuple estoit encores mené sous la doctrine puérile de la Loy, néantmoins les Prophètes déclairoyent assez que les sacrifices extérieurs comprenoyent une substance et vérité, laquelle demeure aujourd’huy en l’Eglise chrestienne. Pour ceste raison David prioit que son oraison montast devant le Seigneur comme un encensement Ps. 141.2. Et Osée nomme les actions de grâce, Veaux des lèvres Osée 14.2. Comme David en un autre passage les nomme Sacrifices de louanges lequel l’Apostre a imité, en commandant d’offrir hosties de louanges à Dieu : ce qu’il interprète estre le fruit de lèvres glorifiantes son Nom Ps. 51.19 ; 50.23 ; Héb. 13.15. Il ne se peut faire que ceste espèce de sacrifice ne soit en la Cène de nostre Seigneur : en laquelle quand nous annonçons et remémorons sa mort, et rendons actions de grâces, nous ne faisons rien qu’offrir sacrifice de louange. A cause de cest office de sacrifier, nous tous Chrestiens sommes appelez Royale prestrise 1Pi. 2.9 : par ce que par Jésus-Christ nous offrons sacrifice de louange à Dieu : c’est-à-dire, le fruit des lèvres confessantes son Nom, comme nous avons ouy de l’Apostre. Car nous ne pourrions avec nos dons et présens apparoistre devant Dieu sans intercesseur. Et ce Médiateur est Jésus-Christ intercédant pour nous : par lequel nous offrons nous et tout ce qui est nostre, au Père. Il est nostre Pontife, lequel estant entré au Sanctuaire du ciel, nous y ouvre et baille accès. Il est nostre Autel, sur lequel nous mettons nos oblations ; en luy nous osons tout ce que nous osons. En somme, il est celuy qui nous a faits Roys et Prestres au père Apoc. 1.6.
4.18.18
Que reste-il sinon que les aveugles voyent, que les sourds oyent, que les petis enfans mesmes entendent ceste abomination de la Messe ? laquelle estant présentée en vaisseau d’or (c’est-à-dire sous le nom de la Parole de Dieu) a tellement enyvré, a tellement estourdy et abesty tous les Roys et peuples de la terre, depuis le plus grand jusques au plus petit, qu’estans plus bestes que les brutes, ils constituent le commencement et la fin de leur salut en ce seul gouffre mortel. Certes Satan ne dressa jamais une plus forte machine pour combatre et abatre le règne de Jésus-Christ. Ceste est comme une Héleine, pour laquelle les ennemis de la vérité aujourd’huy bataillent en si grande cruauté, en si grande fureur, en si grande rage. Et vrayement c’est une Héleine, avec laquelle ils paillardent ainsi par spirituelle fornication, qui est sur toutes la plus exécrable. Je ne touche point yci seulement du petit doigt les lourds et gros abus, par lesquels ils pourroyent alléguer la pureté de leur sacrée Messe avoir esté profanée et corrompue : c’est asçavoir, combien ils exercent de vilenes foires et marchez : quels et combien illicites et déshonnestes sont les gains que font tels sacrificateurs par leurs Missations : par combien grande pillerie ils remplissent leur avarice. Seulement je monstre, et ce en simples et peu de paroles, quelle est mesmes la sanctissime saincteté de la Messe, pour laquelle elle a mérité si long temps d’estre tant admirable, et d’estre tenue en si grande vénération. Car il faudroit plus grand livre pour bien esclarcir et annoblir si grans mystères selon leur dignité. Et je ne veux point yci mesler ces vilenes ordures, lesquelles se monstrent devant les yeux de tous : afin que chacun entende que la Messe, prinse en son intégrité la plus exquise, et par laquelle elle peut le mieux estre estimée, est depuis la racine jusques au sommet plene de toutes espèces d’impiété, de blasphème, d’idolâtrie, de sacrilège, sans considérer ses appendances et conséquences.
4.18.19
Les Lecteurs peuvent veoir yci en brief sommaire, tout ce que j’ay estimé qu’il faut sçavoir de ces deux Sacremens, desquels l’usage a esté donné à l’Eglise chrestienne dés le commencement du Nouveau Testament, jusques à la consommation du siècle : c’est asçavoir afin que le Baptesme soit quasi comme une entrée en icelle Eglise, et une première profession de foy : et la Cène, comme une nourriture assiduelle, par laquelle Jésus-Christ repaist spirituellement les fidèles. Parquoy comme il n’y a qu’un Dieu, une foy, un Christ, et une Eglise qui est son corps : ainsi le Baptesme n’est qu’un, et n’est jamais réitéré. Mais la Cène est souvent distribuée, afin que ceux qui sont une fois receus et insérez en l’Eglise, entendent qu’ils sont continuellement nourris et repeus de Jésus-Christ. Outre ces deux Sacremens, comme il n’y en a nul autre institué de Dieu, aussi l’Eglise des fidèles n’en doit recevoir nul autre. Car que ce ne soit chose qui appartiene à la puissance ou authorité des hommes, que de mettre sus n’instituer nouveaux Sacremens, il est facile à entendre, si nous avons souvenance de ce qui a esté assez plenement dessus déclairé, c’est asçavoir, que les Sacremens sont instituez de Dieu, à ce qu’ils nous enseignent de quelque siene promesse, et nous tesmoignent sa bonne volonté envers nous : si nous considérons aussi que nul n’a esté conseillier de Dieu Esaïe 40.13 ; Rom. 11.34, qui nous puisse rien promettre certain de sa bonne volonté, ne qui nous puisse rendre certains et asseurez de quelle affection il est envers nous, ne dire que c’est qu’il veut donner, ne que c’est qu’il veut desnier. Car de ce il s’ensuyt que nul ne peut ordonner ou instituer signe, qui soit tesmoignage d’aucune volonté et promesse de Dieu. C’est luy seul qui en baillant signe, peut tesmoigner de soy envers nous. Je diray plus briefvement, et par aventure plus rudement, mais aussi ce sera plus apertement, Sacrement ne peut jamais estre sans promesse de salut. Tous les hommes assemblez en un, ne nous sçauroyent d’eux-mesmes rien promettre de nostre salut. Pourtant aussi ne peuvent-ils d’eux-mesmes ordonner ne dresser aucun Sacrement.
4.18.20
Par ainsi, que l’Eglise chrestienne soit contente de ces deux : et non-seulement n’en admette, approuve, ou recognoisse pour le présent, mais n’en désire, n’attende jamais jusques à la consommation du siècle, nul autre troisième. Car ce qu’aucuns divers furent ordonnez aux Juifs, selon la succession des temps, outre ceux-là qu’ils avoyent ordinaires (comme la Manne, l’eau sortant de la pierre, le serpent d’airain et autres semblables Exo. 16.14 ; 17.6 ; 1Cor. 10.3 ; Nomb. 21.8 ; Jean 3.14) c’estoit afin que par celle variété ils fussent admonestez de ne se point arrester à telles figures desquelles l’estat n’estoit point de durée, mais qu’ils attendissent de Dieu quelque meilleure chose, qui demeureroit sans mutation et sans fin. Nous avons bien autre raison, nous ausquels Jésus-Christ est révélé et manifesté, qui a en soy tous les thrésors de science et sapience cachez et colloquez en si grande abondance et affluence Col. 2.3. Car d’espérer ou requérir quelque nouvelle augmentation à ces thrésors, ce seroit vrayement tenter Dieu, l’irriter et provoquer encontre nous. Il nous faut seulement avoir faim de Jésus-Christ, le chercher, le regarder, l’apprendre, le retenir, jusques à ce que ce grand jour viendra, auquel nostre Seigneur manifestera plenement la gloire de son Règne : et se monstrera à veoir à nous apertement quel il est 1Jean 3.2. Et pour ceste raison le temps où nous sommes est désigné et signifié aux Escritures, par la dernière heure, par les derniers jours, par les derniers temps 1Jean 2.18 ; 1Pi. 1.20 : afin que nul ne se trompe par aucune vaine attente de quelque nouvelle doctrine ou révélation. Car souventesfois et en plusieurs manières le Seigneur ayant au paravant parlé par les Prophètes, en ces derniers jours a parlé en son Fils bien-aimé Héb. 1.2, lequel seul nous peut manifester le Père Luc 10.22, et de faict le nous a manifesté entant qu’il nous estoit expédient, nous estant fait le miroir auquel nous avons à le contempler 1Cor. 13.12. Or comme cela est osté aux hommes, qu’ils ne puissent faire n’ordonner de nouveaux Sacremens en l’Eglise de Dieu, aussi il seroit à désirer qu’en ceux-ci mesmes qui sont instituez de Dieu, on ne meslast que le moins qu’il seroit possible d’invention humaine. Car comme le vin se perd et affadit par l’eau, et toute la farine s’aigrit par le levain, ainsi la pureté des mystères de Dieu n’est rien que souillée et gastée, quand l’homme y adjouste quelque chose du sien. Et toutesfois nous voyons combien les Sacremens ainsi qu’on en use aujourd’huy, sont dégénérez de leur nayve pureté. Il y a par tout trop plus qu’il ne faudroit de pompes, de cérémonies, de bastelleries : mais ce pendant on ne fait aucun conte ne mention de la Parole de Dieu, sans laquelle les Sacremens mesmes ne sont pas Sacremens. Et les cérémonies mesmes qui y ont esté instituées de Dieu, ne peuvent en si grande multitude d’autres apparoistre, mais sont mises bas comme opprimées. Combien peu voit-on au Baptesme cela qui seulement y devoit reluire et apparoistre, c’est asçavoir le Baptesme mesme ? La Cène a esté du tout ensevelie : quand elle a esté transformée et convertie en Messe : sinon qu’une seule fois l’an elle est aucunement veue, mais deschirée, découpée, despartie, brisée, divisée et toute difformée.
Chapitre XIX
Des cinq autres cérémonies, qu’on a faussement appelées Sacremens : où il est
monstré quels ils sont.
4.19.1
La disputation précédente des Sacremens pouvoit contenter toutes personnes sobres et dociles pour ne passer outre curieusement, et ne recevoir sans la Parole de Dieu autres Sacremens que les deux qu’ils eussent cognus estre instituez par le Seigneur : mais pour tant que l’opinion des sept Sacremens a esté tousjours tant commune entre les hommes, et tant démenée en disputes et sermons, que d’ancienneté elle est enracinée aux cœurs de tous, et y est encores maintenant fichée, il m’a semblé advis estre proufitable de considérer à part et de plus près les cinq autres, qui sont communément nombrez entre les Sacremens du Seigneur : et ayant descouvert toute fausseté, de donner à cognoistre aux simples quelles choses ce sont, et comment jusques yci ils ont esté prins sans propos pour Sacremens. Premièrement, je proteste que je n’entre point en ceste dispute du mot, pour désir que j’aye de combatre : mais pource que l’abus du mot emporte une mauvaise queue, je suis contraint de le réprouver, si je veux que la vérité de la chose soit cognue. Je sçay bien que les Chrestiens ne doyvent estre superstitieux aux mots, moyennant que le sens soit bon et sain. Je confesse doncques que pour un mot il ne faudroit point esmouvoir noise, encores qu’il fust mal usurpé, moyennant que la doctrine demeurast en son entier. Mais il y a autre raison en ce nom de Sacrement. Car ceux qui en mettent sept, leur attribuent à tous ceste définition, que ce sont signes visibles de la grâce de Dieu invisible : et les font vaisseaux du sainct Esprit, instrumens pour conférer justice, et causes de la rémission des péchez. Mesmes le Maistre des Sentences dit que les Sacremens du Vieil Testament ont esté improprement ainsi appelez, d’autant qu’ils ne conféroyent point ce qu’ils figuroyent. Je vous prie, cela est-il tolérable, que les signes que le Seigneur a consacrez de sa bouche, et ornez de si belles promesses, ne soyent point recognus pour Sacremens, et que ce pendant cest honneur soit transféré à des cérémonies, lesquelles ont esté inventées de la teste des hommes ? Parquoy ou que les Papistes changent leur définition, ou qu’ils s’abstienent de mal usurper ce mot, lequel engendre puis après des fausses opinions et perverses. L’Extrême-onction, disent-ils, est Sacrement : et ainsi elle est figure et cause de la grâce invisible. S’il ne leur faut nullement accorder la conclusion qu’ils infèrent du mot, il convient de les prévenir au mot mesme, et résister de bonne heure à ce qui est cause de l’erreur. Derechef, quand ils veulent prouver que l’Extrême onction est Sacrement, ils adjoustent la raison, pource qu’elle consiste au signe extérieur et en la Parole de Dieu. Si nous ne trouvons ne commandement, ne promesse appartenante à cela, que pouvons-nous autre chose faire que contredire ?
4.19.2
Maintenant il appert que nous ne plaidons pas du mot, mais que nostre dispute est de la chose : il appert aussi qu’elle n’est pas superflue, veu que la chose est de telle conséquence. Pourtant il nous faut retenir ce que nous avons paravant confermé par raison invincible, que la puissance d’instituer Sacremens, n’est qu’à un seul Dieu. Car Sacrement doit par certaine promesse de Dieu asseurer et consoler les consciences des fidèles, lesquelles ne pourroyent jamais prendre de quelque homme telle asseurance. Sacrement nous doit estre un tesmoignage de la bonne volonté de Dieu envers nous : de laquelle nul des hommes ne des Anges ne peut de soy estre tesmoin : d’autant que nul n’a esté conseillier de Dieu Esaïe 40.13 ; Rom. 11.34. C’est luy-mesme seul qui nous testifie par sa Parole de ce qui est en luy. Sacrement est un seel duquel le Testament et promesse de Dieu est scellée. Or elle ne pourroit estre scellée par choses corporelles et élémens de ce monde, s’ils n’estoyent à ce marquez et destinez par la vertu de Dieu. L’homme doncques ne peut instituer Sacrement, puis qu’il n’appartient à la vertu humaine de faire que si grans mystères de Dieu soyent cachez sous choses tant viles. Il faut que la Parole de Dieu précède, pour faire le Sacrement estre Sacrement, comme il a très-bien esté dit par sainct Augustin[a]. D’avantage, si nous ne voulons tomber en beaucoup d’absurditez, il est mestier de distinguer entre les Sacremens et autres cérémonies. Les Apostres ont prié à genoux Actes 9.40 ; 20.36 : ferons-nous un Sacrement de cela ? Les Anciens se tournoyent vers Orient, voulans prier : le regard du soleil levant leur sera-il Sacrement ? L’eslévation des mains est conjoincte en l’Escriture avec la prière 1Tim. 2.8 : en ferons-nous aussi bien un Sacrement. Par ce moyen toutes les contenances des Saints deviendroyent Sacremens.
[a] Homil. in Joann., LXXX.
4.19.3
S’ils nous veulent grever par l’authorité de l’Eglise ancienne, je di qu’ils prenent une fausse couverture : car on ne trouvera ce nombre de sept Sacremens en nul des Docteurs de l’Eglise, et ne sçauroit-on trouver quand il est venu en avant. Je confesse bien que les Docteurs de l’Eglise usent quelquesfois librement de ce mot, et à tous propos : mais ils signifient indifféremment par iceluy, toutes cérémonies appartenantes à la Chrestienté. Mais quand ils parlent des signes qui nous doyvent estre tesmoignages de la grâce de Dieu, ils se contentent de ces deux, du Baptesme et de l’Eucharistie. Afin qu’il ne semble que ce soit une fausse allégation que je fay, je produiray quelques tesmoignages de sainct Augustin pour vérifier mon dire. Il dit ainsi à Januarius : Je veux que tu saches que nostre Seigneur Jésus, comme luy-mesme le dit en l’Evangile, nous a submis à un joug gracieux, et à un fardeau léger. Et pourtant il a ordonné en l’Eglise chrestienne peu de Sacremens en nombre, faciles à observer, excellens en signification : comme est le Baptesme, consacré au nom de la Trinité, et la communication du corps et du sang du Seigneur, et s’il y a quelque autre chose commandée en l’Escriture[b] Matt. 11.30. Item au livre de la Doctrine chrestienne : Depuis la résurrection de nostre Seigneur, nous avons peu de signes qui nous ont esté baillez de luy et de ses Apostres. Et ceux que nous avons, sont faciles à observer, dignes et excellens en signification : comme le Baptesme, et la célébration du corps et du sang du Seigneur[c]. Pourquoy ne fait-il yci mention de ce nombre septénaire, auquel les Papistes mettent un si gros mystère ? Est-il vray-semblable qu’il l’eust laissé derrière, s’il eust esté desjà institué en l’Eglise, veu mesmes qu’il a esté homme fort curieux à observer les nombres, comme on sçait : voire plus que de besoin ? Or en nommant le Baptesme et la Cène, il se taist des autres. Ne signifie-il pas bien par cela, que ces deux signes ont une prééminence singulière et dignité, et que tout le reste des cérémonies doit estre en degré inférieur ? Pourtant je di que les Papistes, quant à leur nombre de sept Sacremens, non-seulement ont la Parole de Dieu contre eux, mais aussi l’Eglise ancienne, combien qu’ils facent semblant et se vantent de l’avoir accordante avec eux.
[b] Epist. CXVIII.
[c] Lib. III, cap. IX.
4.19.4
De la Confirmation
Cest ordre estoit jadis en l’Eglise, que les enfans des Chrestiens, estans venus en aage de discrétion, qu’on appelle, estoyent présentez à l’Evesque, pour faire confession de leur Chrestienté, telle que faisoyent à leur Baptesme les Payens qui s’estoyent convertis. Car quand un homme d’aage vouloit estre baptisé, on l’instruisoit pour quelque espace de temps, jusques à ce qu’il peust faire une confession de sa foy devant l’Evesque et tout le peuple. Ainsi, ceux qui avoyent esté baptisez en leur enfance, pource qu’ils n’avoyent point fait telle confession en leur baptesme, estans devenus grans, se présentoyent derechef à l’Evesque, pour estre examinez selon la forme du Catéchisme qui estoit lors commune. Or afin que cest acte eust plus de dignité et de révérence, on y usoit de la cérémonie de l’imposition des mains. Ainsi le jeune enfant, ayant donné approbation de sa foy, estoit renvoyé avec bénédiction solennelle. De laquelle coustume les anciens Docteurs font souvent mention. Comme Léon Evesque de Rome, quand il dit, Si quelqu’un s’est converty d’hérésie, qu’on ne le baptise point derechef, mais que la vertu du sainct Esprit luy soit conférée par l’imposition des mains de l’Evesque, ce qui luy défailloit au paravant[d]. Nos adversaires crieront yci que ceste cérémonie doit bien estre nommée Sacrement, puis que le sainct Esprit y est conféré. Mais Léon déclaire en un autre passage, que c’est qu’il entend par ces paroles, en disant que celuy qui a esté baptisé des hérétiques, ne soit point rebaptisé : mais qu’il soit confermé par l’imposition des mains, en priant Dieu qu’il luy donne son Esprit, d’autant qu’il a receu seulement la forme du baptesme, et non point la sanctification[e]. Et Hiérosme aussi contre les Lucifériens, en fait mention. Or combien qu’il s’abuse en la nommant observation apostolique, toutesfois il est bien loin des folles resveries qu’ont maintenant les Papistes. Et encores corrige-il son dire en adjoustant que ceste bénédiction a esté permise aux Evesques seuls, plustost par honneur que par nécessité. Quant à moy, je prise bien une telle imposition des mains, qui se feroit simplement par forme de prières. Et seroye bien content qu’on en usast aujourd’huy, moyennant que ce fust purement et sans superstition.
[d] Epist. XXXV.
[e] Epist. LXXVII.
4.19.5
Ceux qui sont venus depuis ont renversé et ensevely ceste ordonnance ancienne, et au lieu d’icelle ont mis en avant je ne sçay quelle confirmation forgée et controuvée d’eux, laquelle ils ont fait tenir pour Sacrement de Dieu. Et afin d’abuser le monde, ils ont feint que sa vertu estoit de conférer le sainct Esprit à augmentation de grâce, qui auroit esté donné au Baptesme à innocence : confermer au combat ceux qui au Baptesme auroyent esté régénérez à vie. Or ceste Confirmation est accomplie par onction, et telle forme de paroles : Je te marque par le signe de la saincte croix, et conferme par onction de salut au nom du Père, et du Fils, et du sainct Esprit. Toutes ces choses sont belles et plaisantes : mais où est la Parole de Dieu, promettant yci la présence du sainct Esprit ? Ils n’en pourroyent monstrer un point. Dont nous rendront-ils certains, que leur Chresme soit un vaisseau du sainct Esprit ? Nous voyons de l’huile, une liqueur grasse et espesse, et rien plus. La Parole, dit sainct Augustin, soit adjoustée à l’élément, et il sera fait Sacrement. Qu’ils monstrent doncques ceste Parole, s’ils nous veulent faire contempler quelque autre chose en l’huile, que l’huile mesme. S’ils se recognoissoyent, comme il appartient, estre ministres des Sacremens, il ne seroit mestier de combattre plus longuement. C’est la première reigle d’un ministre, de ne rien attenter sans mandement. Qu’ils produisent donc quelque mandement, qu’ils ayent de ce faire, et je ne feray plus long propos. Si mandement leur défaut, ils ne peuvent excuser que leur fait ne soit une audace trop outrageuse. Par mesme raison nostre Seigneur interroguoit les Pharisiens, si le Baptesme de Jehan estoit du ciel ou des hommes. S’ils eussent respondu, Des hommes: il obtenoit qu’il estoit vain et frivole. Si, Du ciel: ils estoyent contraints de recevoir la doctrine de Jehan. Parquoy de peur d’estre trop injurieux contre Jehan, ils n’osèrent confesser que son Baptesme fust des hommes Matt. 21.25. Pareillement, si la Confirmation est des hommes, il est résolu qu’elle est vaine et frivole. S’ils veulent persuader qu’elle soit du ciel, qu’ils le prouvent.
4.19.6
Ils se défendent par l’exemple des Apostres, lesquels ils estiment n’avoir rien fait contre raison. Ce qui est bien vray : et ne seroyent pas reprins de nous, s’ils se pouvoyent monstrer estre imitateurs des Apostres. Mais qu’ont fait les Apostres ? Sainct Luc récite aux Actes, que les Apostres qui estoyent en Jérusalem, après avoir entendu que le pays de Samarie avoit receu la Parole de Dieu, ils envoyèrent Pierre et Jehan : et qu’iceux venus prièrent pour les Samaritains, afin que le sainct Esprit leur fust donné, qui n’estoit encores descendu sur aucuns d’eux, mais seulement estoyent baptisez au nom de Jésus : et qu’après avoir prié, ils mirent les mains sur eux, par lequel attouchement les Samaritains receurent le sainct Esprit Actes 8.15-16. Et a ledit sainct Luc par quelquesfois fait mention de ceste imposition des mains. J’oy ce que les Apostres ont fait, c’est que fidèlement ils ont exécuté leur office. Le Seigneur vouloit que les grâces visibles et admirables de son sainct Esprit, lesquelles il espandoit lors sur son peuple, fussent administrées des Apostres, et distribuées par ceste imposition des mains ? Or je ne songe point quelque haut mystère en ceste cérémonie : mais je pense qu’elle a esté prinse d’eux pour en icelle signifier qu’ils recommandoyent à Dieu, et luy offroyent celuy sur lequel ils mettoyent leurs mains. Si ce ministère qui estoit lors ordonné aux Apostres, estoit aujourd’huy en l’Eglise: il faudroit pareillement garder l’imposition des mains. Mais puis que telle grâce n’est plus conférée, de quoy sert l’imposition des mains ? Certes le sainct Esprit assiste encores au peuple de Dieu : sans la direction et conduitte duquel, l’Eglise ne peut consister. Car nous avons la promesse qui jamais ne nous faudra, par laquelle Christ appelle à soy ceux qui ont soit, afin qu’ils boyvent des eaux vives Jean 7.37. Mais ces vertus merveilleuses, et opérations manifestes qui estoyent distribuées par l’imposition des mains, ont cessé, et n’ont deu estre que pour un temps. Car il faloit que la nouvelle prédication de l’Evangile, et le nouveau règne de Christ fust exalté et magnifié par tels miracles, qui jamais n’avoyent esté veus ne cognus. Lesquels quand le Seigneur a fait cesser, il n’a pas pourtant délaissé son Eglise : mais a déclairé que la magnificence de son règne, et la dignité de sa Parole estoit assez hautement manifestée. En quelle partie doncques ces basteleurs ensuyvent-ils les Apostres ? Il convenoit faire par l’imposition des mains, que la vertu évidente du sainct Esprit incontinent se monstrast. Ils n’en font rien. A quel propos doncques allèguent-ils pour eux l’imposition des mains ? Laquelle certes nous confessons avoir esté en usage aux Apostres, mais du tout à autre fin.
4.19.7
Ceste allégation est autant frivole, comme qui diroit le soufflement duquel le Seigneur souffla sur ses disciples Jean 20.22 estre un Sacrement par lequel soit donné le sainct Esprit. Mais quand le Seigneur l’a une fois fait, il n’a pas voulu qu’il fust aussi fait de nous. En ceste manière les Apostres usoyent de l’imposition des mains, pour le temps qu’il plaisoit au Seigneur eslargir à leurs prières les grâces du sainct Esprit ; non pas afin que ceux qui viendroyent après, contrefeissent sans quelque fruit ledit signe vuide et vain, comme font ces singes. D’avantage, quand ils monstreroyent qu’en l’imposition des mains ils ensuy vent les Apostres (en laquelle toutesfois ils n’ont rien semblable à eux, sinon une folle et perverse singerie) dont prenent-ils l’huile qu’ils appellent de salut ? Qui les a enseignez de chercher salut en l’huile, et luy attribuer puissance de conforter spirituellement ? Est-ce sainct Paul, qui nous retire si loing des élémens de ce monde ? qui ne condamne rien plus que de s’arrester à telles observations Gal. 4.9 ; Col. 2.20 ? Au contraire, je prononce hardiment, non pas de moy, mais de Dieu, que ceux qui appellent l’huile, Huile de salut, renoncent au salut qui est en Christ, rejettent Christ, et n’ont nulle part au royaume de Dieu. Car l’huile est pour le ventre, et le ventre pour l’huile : et le Seigneur destruira tous les deux. C’est-à-dire, que tous ces élémens infirmes qui périssent par usage, n’appartienent rien au royaume de Dieu, lequel est spirituel et sans fin. Quelqu’un me pourra yci dire, Quoy doncques ? veux-tu reigler à ceste mesure l’eau de laquelle nous sommes baptisez ? et le pain et le vin, sous lesquels nous est présenté le corps et le sang du Seigneur en la Cène ? Je respon qu’aux Sacremens il y a deux choses à considérer : la substance de la chose corporelle, qui nous y est proposée : et l’enseigne qui par la Parole de Dieu luy est engravée, en laquelle gist toute la force. D’autant doncques que le pain, le vin et l’eau qui sont les Sacremens représentez à nostre œil retienent leur substance naturelle, le dire de sainct Paul a lieu, La viande est pour le ventre, et le ventre pour la viande : le Seigneur destruira tous les deux 1Cor. 6.13 : car telles substances passent et s’esvanouissent avec la figure de ce monde 1Cor. 7.31. Mais d’autant que ces choses sont sanctifiées par la Parole de Dieu pour estre Sacremens, elles ne nous arrestent point en la chair mais nous enseignent spirituellement.
4.19.8
Toutesfois regardons encores de plus près combien de monstres nourrit ceste huile. Ces engraisseurs disent que le sainct Esprit est donné au Baptesme pour innocence, et en la Confirmation pour augmentation de grâces ; qu’au Baptesme nous sommes régénérez à vie, et qu’en la Confirmation nous sommes armez pour batailler. Et tellement n’ont nulle honte, qu’ils nient le Baptesme estre bien parfait sans la Confirmation, perversité ! Ne sommes-nous point doncques ensevelis par le Baptesme avec Christ, pour estre faits consors de sa résurrection ? Or sainct Paul interprète ceste participation de la mort et de la vie de Jésus-Christ, estre la mortification de nostre chair, et la vivification de l’esprit : d’autant que nostre vieil homme est crucifié, à ce que nous cheminions en nouveauté de vie Rom. 6.4. Sçauroit-on mieux estre armé au combat contre le diable ? Que s’ils osoyent ainsi fouler aux pieds sans crainte de la Parole de Dieu, pour le moins qu’ils eussent porté révérence à l’Eglise de laquelle ils veulent estre veus enfans obéissans. Or on ne pourroit prononcer sentence plus sévère contre ceste fausse doctrine qu’ils maintienent, que ce qui fut jadis décrété au concile milevitain, du temps de sainct Augustin : c’est asçavoir que quiconques dit le Baptesme estre seulement donné pour la rémission des péchez, et non point pour aide de la grâce du sainct Esprit, qu’il soit anathématisé. Quant à ce que sainct Luc, au lieu que nous avons allégué, dit que les Samaritains avoyent esté baptisez au nom de Jésus, lesquels n’avoyent point receu le sainct Esprit Actes 8.16 : il ne nie pas simplement qu’ils n’eussent receu quelque don de l’Esprit, puis qu’ils croyoyent Jésus-Christ de cœur et le confessoyent de bouche : mais il entend qu’ils n’avoyent eu la donation de l’Esprit, par laquelle on recevoit les vertus apparentes, et grâces visibles : A ceste raison il est dit que les Apostres receurent l’Esprit au jour de la Pentecoste Actes 2.1 : combien que long temps paravant il leur fust dit, Ce n’estes-vous pas qui parlez : mais l’esprit de vostre Père parle en vous Matt. 10.20. Vous voyez ici, vous tous qui estes de Dieu, la malicieuse et pestilente finesse de Satan. Ce qui estoit véritablement donné au Baptesme, il fait qu’il soit donné en sa confirmation, afin de nous destourner cauteleusement du Baptesme. Qui doutera maintenant ceste doctrine estre de Satan, laquelle ayant retranché du Baptesme les promesses qui y estoyent propres, les transfère ailleurs ? On voit di-je derechef sur quel fondement est appuyée ceste notable onction. La Parole de Dieu est, que tous ceux qui sont baptisez en Christ, ont vestu Christ, avec ses dons[f] Gal. 3.27. La parole des engraisseurs, que nous n’avons receu aucune promesse au Baptesme, laquelle nous munisse au combat contre le diable. La première voix est de vérité : il faut doncques que ceste-ci soit de mensonge. Je puis doncques définir ceste Confirmation plus véritablement qu’ils n’ont fait jusques yci : asçavoir que c’est une droicte contumélie contre le Baptesme, qui en obscurcit, voire abolit l’usage, ou que c’est une fausse promesse du diable pour nous retirer de la vérité de Dieu : ou si on l’aime mieux, que c’est huile pollue par mensonge du diable, pour tromper les simples et imprudens.
[f] De conserv., dist. V, cap. Spiritus.
4.19.9
Outreplus, ces engraisseurs adjoustent que tous fidèles doyvent recevoir par imposition de mains le sainct Esprit après le Baptesme, afin qu’ils soyent trouvez Chrestiens accomplis : car il n’y a nul plein Chrestien, sinon celuy qui est oinct par le Chresme épiscopal[g]. Voylà leurs propres mots. Mais je pensoye que tout ce qui appartient à la Chrestienté fust comprins et déclairé aux Escritures : et maintenant, comme je voy, il faut chercher la vraye reigle de religion hors d’icelles. Doncques la sapience de Dieu, la vérité céleste, toute la doctrine de Christ ne fait sinon commencer les Chrestiens : l’huile les parfait. Par ceste doctrine sont condamnez tous les Apostres et tant de Martyrs, lesquels il est très-certain n’avoir jamais esté enhuilez. Car ce sainct Chresme n’estoit pas encores, par lequel leur Chrestienté fust accomplie : ou plustost eux fussent faits Chrestiens, qui ne l’estoient pas encores. Mais encores que je me taise, ces Chrismateurs se réfutent eux-mesmes amplement. Car la quantième partie de leur peuple enhuilent-ils après le Baptesme ? pas la centième. Pourquoy doncques souffrent-ils tels demi-Chrestiens en leur troupeau, à l’imperfection desquels il estoit facile de remédier ? Pourquoy si négligemment souffrent-ils que leurs sujets omettent ce qu’il n’estoit licite d’omettre sans grand crime ? Que ne contraignent-ils plus fort à une chose tant nécessaire, et sans laquelle, comme ils disent, on ne peut obtenir salut, sinon qu’on soit empesché par mort soudaine ? Certainement quand ils la souffrent si aisément contemner, ils confessent tacitement qu’elle n’est pas de si grand pris qu’ils en font semblant.
[g] Verba De consecrat., cap. I, dist. V ; Concil, Aurelian., cap. Uljejuni ; De consecrat., dist. V.
4.19.10
Finalement, ils déterminent qu’on doit avoir en plus grande révérence ceste sacrée Onction, que le Baptesme : pourtant qu’elle est seulement conférée par les mains des grans Prélats, où le Baptesme est vulgairement distribué par tous prestres[h]. Que diroit-on yci, sinon qu’ils sont plenement furieux, quand ils aiment tant leurs inventions, qu’ils osent au pris d’icelles vilipender les sainctes institutions de Dieu ? Langue sacrilège, oses-tu opposer au Sacrement de Christ, de la graisse infecte seulement de la puanteur de ton haleine, et charmée par quelque murmure de parole ? Oses-tu l’accomparer avec l’eau sanctifiée de la Parole de Dieu ? Mais cela estoit peu à ton audace, quand mesmes tu l’as préférée. Voylà les décrets du sainct siège apostolique. Mais aucuns d’eux ont voulu modérer ceste rage, laquelle estoit à leur opinion trop outrageuse : et ont dit que l’huile de Confirmation est à tenir en plus grande révérence que le Baptesme[i] : non pas possible pour plus grande vertu et utilité qu’elle confère, mais pourtant qu’elle est donnée par personnes plus dignes, ou qu’elle se fait en plus digne partie du corps, c’est asçavoir au front : ou qu’elle eslargit plus grande augmentation de vertu, combien que le Baptesme vaille plus à rémission. Mais par la première raison, ne se monstrent-ils pas estre Donatistes, estimans la force du Sacrement de la dignité du Ministre ? Accordons-leur toutesfois que la Confirmation soit appelée plus digne pour la dignité de la main épiscopale. Mais si quelqu’un les interrogue dont telle prérogative a esté ottroyée aux Evesques, quelle raison produiront-ils sinon leurs songes ? Les Apostres, disent-ils, ont usé seuls de ce droict, quand eux tant seulement ont distribué le sainct Esprit. Mais les seuls Evesques sont-ils Apostres ? et mesmes du tout sont-ils Apostres ? Accordons-leur encores néantmoins cela. Que ne prétendent-ils par un mesme argument, que tant seulement les Evesques doyvent attoucher le Sacrement du sang en la Cène de nostre Seigneur, lequel ils desnient aux laïcs, pourtant que nostre Seigneur l’a, comme ils disent, donné seulement aux Apostres ? Si seulement aux Apostres, pourquoy n’infèrent-ils que seulement aussi aux Evesques ? Mais en ce lieu-là ils font les Apostres simples Prestres : maintenant ils les créent Evesques. Finalement, Ananias n’estoit point Apostre, lequel toutesfois fut envoyé à sainct Paul pour luy faire recouvrer la veue, le baptiser et remplir du sainct Esprit Actes 9.17. J’adjousteray encores ceci outre la mesure : Si cest office estoit de droict divin propre aux Evesques, pourquoy l’ont-ils osé communiquer aux simples Prestres ? comme on lit en quelque épistre de Grégoire[j].
[h] Cap. De his vero, dist. V.
[i] Sent., lib. IV, dist. VII, cap. II
[j] Dist. XCV, cap. Pervenit.
4.19.11
Combien l’autre raison est-elle frivole, inepte et folle, c’est asçavoir d’appeler leur Confirmation plus digne que le Baptesme de Dieu, pourtant qu’en icelle le front est souillé d’huile, et au Baptesme le test de la teste ? Comme si le Baptesme estoit fait d’huile, et non d’eau. J’appelle yci en tesmoins tous ceux qui ont crainte de Dieu, si ces abuseurs ne s’efforcent point d’infecter la pureté des Sacremens, par le levain de leur fausse doctrine. J’ay dit en un autre lieu, qu’à grand’peine peut-on appercevoir aux Sacremens ce qui est de Dieu, entre la multitude des inventions humaines. Si aucun lors ne m’adjoustoit foy, maintenant pour le moins qu’il croye à ses maistres. Voyci, l’eau (qui est le signe de Dieu) mesprisée et rejettée, ils magnifient tant seulement au Baptesme leur huile. Nous au contraire, disons qu’au Baptesme le front est mouillé d’eau, au pris de laquelle nous n’estimons pas toute leur huile pour fiente, soit au Baptesme, soit en la Confirmation. Et si quelqu’un allègue qu’elle est vendue plus cher, il est facile de respondre que leur vendition est tromperie, iniquité et larrecin. Parla troisième raison ils manifestent leur impiété, enseignans que plus grande augmentation de vertu soit conférée en la Confirmation qu’au Baptesme. Les Apostres ont administré les grâces visibles du sainct Esprit par l’imposition des mains. En quoy se monstre proufitable la graisse de ces trompeurs ? Mais laissons tels modérateurs, qui couvrent un blasphème par plusieurs. C’est un nœud insoluble, lequel il vaut mieux rompre du tout, que tant travaillera le deslier.
4.19.12
Or quand ils se voyent desnuez de la Parole de Dieu et de toute raison probable, ils prétendent ce qu’ils ont de coustume, que ceste observation est fort ancienne, et confermée par le consentement de plusieurs aages. Quand cela seroit vray, encores ne font-ils rien. Le Sacrement n’est pas de la terre, mais du ciel : non des hommes, mais d’un seul Dieu. Qu’ils prouvent Dieu estre l’autheur de leur Confirmation, s’ils veulent qu’elle soit tenue pour Sacrement. Mais qu’allèguent-ils l’ancienneté, veu que les Anciens ne mettent en nul lieu plus de deux Sacremens ? S’il faloit prendre des hommes l’asseurance de nostre foy, nous avons une forteresse inexpugnable : que les Anciens n’ont jamais recognu pour Sacremens, ce que faussement eux appellent Sacremens. Les anciens parlent de l’imposition des mains : mais l’appellent-ils Sacrement ? Sainct Augustin apertement escrit que ce n’est autre chose qu’oraison. Et qu’ils ne vienent point yci brouiller de leurs folles distinctions, le dire de sainct Augustin ne devoir estre entendu de l’imposition des mains confirmatoire, mais curatoire ou réconciliatoire[k]. Le livre est entre les mains des hommes. Si je destourne les mots en autre sens que sainct Augustin ne les a escrits, qu’ils me crachent au visage. Car il parle des hérétiques qui se réconcilioyent à l’Eglise, il monstre qu’il ne les faut point rebaptiser, mais qu’il suffit de leur imposer les mains, afin que par le lien de paix Dieu leur donne son Esprit. Or pource qu’il pouvoit sembler advis que ce fust chose contre raison, de réitérer plustost l’imposition des mains que le Baptesme : il adjouste qu’il y a bien différence, d’autant qu’icelle n’est qu’une oraison qui se fait sur l’homme. Et que tel soit le sens, il appert encores par un autre passage, où il dit. On impose les mains aux hérétiques qui se réduisent à l’Eglise, pour les conjoindre en charité, laquelle est le principal don de Dieu, et sans laquelle nulle sanctification ne peut estre en salut à l’homme[l].
[k] De Bapt., contra Donat., lib. III, cap. XVI.
[l] Lib. V, cap. XIII.
4.19.13
Je souhaiteroye que nous retinssions la manière que j’ay dite avoir esté entre les Anciens, devant que ceste fiction abortive de Sacrement veinst en avant. Non pas qu’il y eust une telle Confirmation, laquelle ne se peut mesmes nommer sans faire injure au Baptesme : mais une instruction chrestienne, par laquelle les enfans ou ceux qui auroyent passé aage d’enfance, eussent à exposer la raison de leur foy en présence de l’Eglise. Or ce seroit une très-bonne manière d’instruction, si on avoit un formulaire proprement destiné à cest affaire, contenant et déclairant familièrement tous les points de nostre religion, esquels l’Eglise universelle des fidèles doit sans différence consentir, et que l’enfant de dix ans ou environ, se présentast à l’Eglise pour déclairer la confession de sa foy. Qu’il fust interrogué sur chacun point, et eust à respondre : s’il ignoroit quelque chose, ou n’entendoit pas bien, qu’on l’enseignast en telle manière, qu’il confessast présente et tesmoin l’Eglise, la vraye foy pure et unique, en laquelle tout le peuple fidèle d’un accord honore Dieu. Certainement si ceste discipline avoit lieu, la paresse d’aucuns pères et mères seroit corrigée : car ils ne pourroyent lors sans grand’honte, omettre l’instruction de leurs enfans, de laquelle ils ne se soucient pas maintenant beaucoup. Il y auroit meilleur accord de foy entre le peuple chrestien, et n’y auroit point si grande ignorance et rudesse en plusieurs. Aucuns ne seroyent pas si aisément transportez par nouvelles doctrines : en somme chacun auroit une adresse de la doctrine chrestienne.
4.19.14
De Pénitence
Ils conjoignent prochainement la Pénitence, de laquelle ils parlent si confusément et sans ordre, qu’on ne peut rien cueillir ferme ne certain de leur doctrine. Nous avons jà en un autre lieu expliqué au long, premièrement ce que l’Escriture nous monstre de Pénitence, puis après que c’est qu’ils enseignent. Maintenant il nous faut seulement toucher pour combien légère raison, ou du tout nulle, ils en ont fait un Sacrement. Toutesfois je diray premièrement en brief, quelle a esté la façon de l’Eglise ancienne, sous couleur de laquelle les Papistes ont introduit leur folle fantasie, et la maintienent à présent. Les Anciens observoyent cest ordre en la Pénitence publique, que quand le pénitent s’estoit acquitté de la satisfaction qu’on luy avoit enjoincte, il estoit réconcilié à l’Eglise par l’imposition des mains. Et cela estoit un signe d’absolution, tant pour consoler le pécheur, que pour advertir le peuple, que la mémoire de son offense devoit estre abolie. Ce signe est souvent nommé de sainct Cyprien, Ottroy ou donation de paix[m]. D’avantage, afin que cest acte eust plus d’authorité, il y avoit ordonnance, que cela ne se devoit faire sans le sceu et vouloir de l’Evesque. A quoy se doit rapporter le décret du Concile de Carthage second : où il est dit qu’un Prestre ne doit point publiquement réconcilier un pénitent. Et en un autre décret du Concile arosiquain : Ceux qui décèdent de ce monde devant la fin de leur pénitence, pourront estre admis à la communion sans l’imposition des mains réconciliatoire : mais si quelqu’un revenoit en santé, qu’il soit réconcilié par l’Evesque. Il y a un autre semblable décret du Concile de Carthage troisième[n]. Tous ces statuts tendoyent à ce but, que la sévérité qu’ils vouloyent estre observée, ne s’en allast en décadence. Ainsi, d’autant qu’il y pouvoit avoir des Prestres trop faciles, il estoit dit que l’Evesque auroit cognoissance de cause. Combien que sainct Cyprien tesmoigne en un autre passage, que l’Evesque n’imposoit pas seul les mains sur les pénitens, mais tout le Clergé avec luy[o]. Depuis par succession de temps ceste façon a esté pervertie, tellement qu’on a usé de ceste cérémonie en absolutions privées : c’est-à-dire hors la pénitence publique. Et de là vient ceste distinction que met Gratien, qui a fait le recueil des Décrets[p], entre la réconciliation publique et particulière. Quant à moy, je confesse que ceste observation dont parle sainct Cyprien, est saincte et utile à l’Eglise, et voudroye qu’elle fust aujourd’huy en usage. Quant à l’autre, encores que je ne la réprouve point du tout, néantmoins j’estime qu’elle n’est point fort expédiente. Quoy qu’il en soit, nous voyons que l’imposition des mains en la pénitence, est une cérémonie dressée des hommes et non pas instituée de Dieu : et par ainsi, qu’elle doit estre mise entre les choses indifférentes, ou entre les observations dont on ne doit pas tenir tel conte, que des Sacremens fondez en la Parole de Dieu.
[m] Epist., lib. I, epist. II.
[n] Chap. XXXI.
[o] Epist., lib. III, epist. XIV.
[p] In decr. XXVI, quæst. VI.
4.19.15
Or les Théologiens romanisques, qui ont ceste bonne coustume de corrompre et dépraver tout par leurs belles gloses, se tormentent fort à y trouver un Sacrement. Et n’est point de merveille s’ils en sont en peine : car ils cherchent ce qui n’y est point. Finalement ne pouvans mieux, comme gens qui sont au bout de leur sens, ils laissent tout enveloppé, suspens, incertain et confus par diversité d’opinions. Ils disent doncques que la Pénitence extérieure est Sacrement : s’il est ainsi, qu’il la faut réputer estre signe de la Pénitence intérieure, c’est-à-dire la contrition du cœur, qui sera par ceste raison la substance du Sacrement : ou bien que toutes les deux sont Sacrement : non pas deux, mais un accomply. Et que l’extérieure est Sacrement tant seulement : l’intérieure, Sacrement et substance d’iceluy : et que la rémission des péchez est substance du Sacrement, non pas Sacrement[q]. Afin de respondre à toutes ces choses, ceux qui ont souvenance de la définition du Sacrement ci-dessus mise, qu’ils rapportent à icelle tout ce que ceux-ci disent estre Sacrement : et ils trouveront qu’il n’y a nulle convenance, veu que ce n’est point une cérémonie externe instituée du Seigneur à la confirmation de nostre foy. S’ils répliquent que ma définition n’est pas une loy à laquelle ils soyent nécessairement tenus d’obéir : qu’ils escoutent sainct Augustin, auquel ils font semblant de porter une révérence inviolable. Les Sacremens, dit-il, sont instituez visibles pour les charnels : afin que par les degrez des Sacremens ils soyent transférez des choses qui se voyent à l’œil, à celles qui se comprenent en l’entendement[r]. Qu’est-ce qu’ils voyent ou peuvent monstrer aux autres de semblable, en ce qu’ils appellent Sacrement de Pénitence ? Sainct Augustin en un autre lieu dit. Sacrement est ainsi appelé, pource qu’en iceluy une autre chose est veue, et une autre entendue. Ce qui s’y voit, a figure corporelle : ce qui y est entendu, a fruit spirituel[s]. Ceci ne convient non plus au Sacrement de Pénitence, tels qu’ils l’imaginent : où il n’y a nulle figure corporelle qui représente le fruit spirituel.
[q] Sentent., lib. IV, distinct. XXII, cap. II.
[r] Quaest. vet. Testam., lib. III.
[s] In sermone quodam de Bapt. infant.
4.19.16
Mais encores, afin que je les surmonte mesmes en leur limite : je demande. S’il y avoit yci Sacrement aucun, n’y avoit-il pas meilleure couleur de dire que l’absolution du Prestre fust Sacrement, que la Pénitence, ou intérieure ou extérieure ? Car il estoit facile de dire que c’est une cérémonie ordonnée pour confermer nostre foy de la rémission des péchez, et ayant promesse des clefs, comme ils appellent : c’est asçavoir, Ce que tu auras lié ou deslié sur terre, sera lié ou deslié aux deux. Mais quelqu’un eust objecté à l’encontre que plusieurs sont absous des Prestres, ausquels telle absolution ne proufite de rien : comme ainsi soit que par leur doctrine les Sacremens de la nouvelle loy doyvent en efficace faire ce qu’ils figurent. A cela la response est preste : c’est asçavoir que comme il y a double manducation en la Cène de nostre Seigneur, l’une sacramentale, qui est pareillement commune aux bons et aux mauvais, l’autre qui est spécialement propre aux bons : aussi ils peuvent feindre que l’absolution se reçoit doublement. Combien que jusques yci je n’ay peu comprendre comment ils entendent que les Sacremens de la nouvelle Loy ayent une opération si vertueuse ; ce que j’ay monstre n’accorder nullement à la vérité de Dieu, quand je traittoye ceste matière en son lieu. Seulement j’ay voulu yci déclairer, que ce scrupule n’empesche de rien, à ce qu’ils ne puissent nommer l’absolution du Prestre, Sacrement. Car ils respondront par la bouche de sainct Augustin, que la sanctification est aucunesfois sans Sacrement visible, et que ce Sacrement visible est aucunesfois sans intérieure sanctification. Item, que les Sacremens font ce qu’ils figurent és esleus seulement. Item, que les uns vestent Christ jusques à la perception du Sacrement, les autres jusques à la sanctification[t]. Le premier advient semblablement aux bons et aux mauvais : le second n’advient sinon aux bons. Certes ils se sont trop puérilement abusez : et ont esté aveuglez au soleil, quand estans en telle perplexité et difficulté, ils n’ont pas cognu une chose si facile et vulgaire.
[t] Quaest. veter. Testam., lib. III ; De Bapt. parvulorum&nbvsp;; De Baptismo, contra Donat., lib. V.
4.19.17
Toutesfois afin qu’ils ne s’enorgueillissent pas, en quelque part qu’ils mettent leur Sacrement, je nie qu’il doyve estre réputé Sacrement. Premièrement, veu qu’il n’y a nulle promesse de Dieu, qui est le fondement unique de Sacrement. Car comme nous avons assez déclairé ci-dessus, la promesse des clefs n’appartient nullement à faire quelque estat particulier d’absolution, mais seulement à la prédication de l’Evangile, soit qu’elle soit faite ou à plusieurs, ou à un seul, sans y mettre différence : c’est-à-dire, que par icelle promesse nostre Seigneur ne fonde point une absolution spéciale, qui soit faite distinctement à un chacun : mais celle qui se fait indifféremment à tous pécheurs, sans addresse particulière. Secondement, veu que toute cérémonie qui se pourra yci produire, est pure invention des hommes, comme ainsi soit qu’il ait jà esté déterminé que les cérémonies des Sacremens ne se peuvent ordonner sinon de Dieu. C’est doncques mensonge et tromperie, tout ce qu’ils ont forgé et fait à croire du Sacrement de Pénitence. D’avantage, ils ont orné ce Sacrement contrefait d’un tel tiltre qu’il appartenoit, disans que c’estoit une seconde planche après le naufrage. Car si quelqu’un a maculé par péché la robbe d’innocence qu’il avoit receue au Baptesme, par pénitence il la peut laver[u]. Mais c’est le dire de sainct Hiérosme, disent-ils. De qui qu’il soit, il ne se peut excuser qu’il ne soit plenement meschant, si on l’expose selon leur sens : comme si le Baptesme estoit effacé par le péché, et non pas plustost que les pécheurs le deussent révoquer en mémoire, toutes les fois qu’ils cherchent rémission de péché, pour en icelle mémoire se conforter, prendre courage et confermer leur fiance qu’ils impétreront rémission de péché, laquelle leur a esté promise au Baptesme. Ce que sainct Hiérosme a enseigné un peu trop rudement, asçavoir que le Baptesme duquel ceux qui méritent estre excommuniez sont décheus, est réparé par pénitence : ces faussaires le destournent à leur impiété. Parquoy on parlera très-proprement, en appelant le Baptesme Sacrement de pénitence : puis qu’il a esté donné en consolation à ceux qui s’estudient à faire pénitence. Et afin qu’on ne pense que ce soit un songe de ma teste, il appert que c’a esté une sentence commune et résolue en l’Eglise ancienne. Car au livre intitulé De la Foy, qu’on attribue à sainct Augustin, il est nommé Sacrement de Foy et de Pénitence[v]. Et qu’est-ce que nous recourons à tesmoignages incertains, comme si on pouvoit requérir quelque chose plus claire que ce que récite l’Evangéliste, asçavoir que Jehan a presché le Baptesme de pénitence en rémission des péchez Marc 1.4 ; Luc 3.3.
[u] Sent., lib. IV, dist. XIV, cap. I ; De pænit., distinct. I, cap. II.
[v] Cap. XXX, Citatur decret. XV ; Quæst. I, cap. Firmissime.
4.19.18
De l’Extrême-onction
Le troisième Sacrement contrefaict, est l’Extrême-onction, laquelle ne se donne que par un prestre, et ce en extrémité de vie : et de l’huile consacrée par l’Evesque, et par telle forme de paroles : Dieu par ceste saincte Onction et par sa miséricorde te pardonne tout ce que tu as offensé par l’ouye, et la veue, le flairer, l’attouchement et le goust. Et feignent qu’il y a deux vertus de ce sacrement : c’est asçavoir la rémission des péchez, et l’allégement de la maladie corporelle, s’il est expédient, ou la santé de l’âme. Or ils disent que l’institution en est mise par sainct Jaques, duquel les mots sont tels : Y a-il quelqu’un malade entre vous ? Qu’il appelle les anciens de l’Eglise, et qu’ils prient sur luy, l’oignans d’huile au nom du Seigneur : et il recouvrera sa santé, et s’il est en péchez, ils luy seront remis Jacq. 5.14-15. Ceste onction est d’une mesme raison que nous avons ci-dessus démonstré l’imposition des mains : c’est asçavoir une bastellerie et singerie, par laquelle sans propos et sans utilité ils veulent contrefaire les Apostres. Sainct Marc récite que les Apostres en leur premier voyage, selon le mandement qu’ils avoyent eu du Seigneur, ressuscitèrent les morts, chassèrent les diables, nettoyèrent les ladres, guairirent les malades : et adjouste qu’en la guairison des malades ils usèrent d’huile. Ils oignirent, dit-il, plusieurs malades d’huile, et ils estoyent guairis Marc 6.13. Ce qu’a regardé sainct Jaques, quand il a commandé d’appeler les Anciens pour oindre le malade. Mais ceux qui auront considéré en quelle liberté nostre Seigneur et ses Apostres se sont gouvernez en ces choses extérieures, jugeront facilement que sous telles cérémonies il n’y a pas fort haut mystère caché. Nostre Seigneur voulant restituer la veue à l’aveugle, feit de la boue de poudre et de salive Jean 9.6. Il guairissoit les uns par attouchement, les autres par parole. En ceste manière les Apostres ont guairi aucunes maladies par seule parole : les autres avec attouchement, les autres avec onction Matt. 9.29 ; Luc 18.42 ; Actes 3.6 ; 5.16 ; 19.12 ; Ps. 45.8. Mais ils pourront dire que ceste onction n’a pas esté prinse des Apostres témérairement, non plus que les autres choses. Ce que je confesse : non pas toutesfois qu’ils l’ayent prinse à ce qu’elle fust instrument de la santé, mais seulement un signe par lequel fust enseignée la rudesse des simples, dont prouvenoit telle vertu, de peur qu’ils n’attribuassent la louange aux Apostres. Or cela est vulgaire et accoustumé qu’en l’Escriture le sainct Esprit et ses dons sont signifiez par l’huile. Au reste, icelle grâce de guairir les malades n’a plus de lieu, comme aussi bien les autres miracles : lesquels le Seigneur a voulu estre faits pour un temps, afin de rendre la prédication de l’Evangile, qui estoit pour lors nouvelle, éternellement admirable. Encores doncques que nous accordissions que l’Onction eust esté un Sacrement des vertus qui estoyent lors administrées par les mains des Apostres, toutesfois elle ne nous appartient maintenant en rien, veu que l’administration des vertus ne nous est commise.
4.19.19
Et pour quelle plus grande raison font-ils de ceste Onction un Sacrement, que de tous autres signes ou symboles desquels il est fait mention en l’Escriture ? Que ne destinent-ils quelque estang de Siloah, auquel en certaines saisons les malades se baignassent Jean 9.7. Cela, disent-ils, se feroit en vain. Certes non pas plus en vain que l’onction. Que ne se couchent-ils sur les morts, veu que sainct Paul ressuscita un jeune homme mort, en s’estendant sur luy Actes 20.10 ? Pourquoy ne font-ils un Sacrement de boue composé de salive et de poudre ? Tous autres exemples, disent-ils, ont esté spéciaux, mais cestuy-ci de l’Onction est commandé par sainct Jaques. Voire, mais sainct Jaques parloit pour le temps auquel l’Eglise jouyssoit de ceste bénédiction que nous avons touchée. Bien est vray qu’ils veulent faire à croire qu’il y a encores une mesme force à leur Onction : mais nous expérimentons du contraire. Que nul maintenant ne s’esmerveille comment ils ont si hardiment trompé les âmes, lesquelles ils voyoyent estre hébétées et aveuglées, d’autant qu’ils les avoyent desnuées de la Parole de Dieu, c’est-à-dire de leur vie et lumière : puis qu’ils n’ont point de honte de vouloir abuser les sens du corps sentans et vivans. Ils se rendent doncques dignes d’estre mocquez, quand ils se vantent d’avoir la grâce de guairison. Nostre Seigneur certes assiste aux siens en tous temps, et subvient quand mestier est à leurs maladies, non moins que le temps passé. Mais il ne démonstre point icelles vertus manifestes, ne les miracles qu’il dispensoit par les mains des Apostres : pource que ce don a esté temporel, et est aussi péry en partie par l’ingratitude des hommes.
4.19.20
Parquoy, comme les Apostres ne représentoyent pas sans cause par l’huile la grâce qui leur avoit esté baillée en charge pour donner à cognoistre que c’estoit la vertu du sainct Esprit, non pas la leur : aussi au contraire, ceux-ci sont grandement injurieux au sainct Esprit, qui disent qu’une huile puante et de nulle efficace est sa vertu. Et est un mesme propos, comme si quelqu’un disoit que toute huile fust vertu du sainct Esprit, pourtant qu’elle est appelée de ce nom en l’Escriture : ou que toute colombe fust le sainct Esprit, pour tant qu’il est apparu en telle espèce Matt. 3.16 ; Jean 1.32 ; mais qu’ils y regardent. Quant à nous il nous suffira à présent de cognoistre très-certainement leur Onction n’estre pas Sacrement laquelle n’est point cérémonie instituée de Dieu, et n’a promesse aucune de luy. Car quand nous requérons ces deux choses au Sacrement, que ce soit une cérémonie ordonnée de Dieu, et qu’il y ait promesse adjoincte, nous demandons pareillement que ceste cérémonie soit ordonnée pour nous, et que la promesse nous appartiene. Pourtant nul ne combat maintenant que la Circoncision soit un Sacrement de l’Eglise chrestienne, combien que ce fust une ordonnance de Dieu, et qu’il y eust promesse adjoincte : veu qu’elle ne nous a point esté commandée, et que la promesse qui y estoit, ne nous a pas esté donnée. Que la promesse laquelle ils prétendent en leur onction ne nous concerne en rien, nous l’avons paravant clairement enseigné, et eux ils le donnent à cognoistre par expérience. La cérémonie ne se devoit prendre sinon de ceux qui avoyent la grâce de donner guairison : non pas de ces bourreaux qui sont plus puissans à tuer et meurtrir qu’à guairir.
4.19.21
Combien qu’encores ils eussent obtenu que ce qui est dit en sainct Jaques de l’onction, conveinst à nostre temps (de quoy ils sont bien loing) si n’auront-ils pas beaucoup fait pour approuver leur onction de laquelle ils nous ont barbouillez jusques yci. Sainct Jaques veut que tous malades soient oincts : ceux-ci souillent de leur graisse non pas les malades, mais des corps à demi morts, quand l’âme est desjà preste à sortir : ou (comme ils parlent) en extrémité. S’ils ont une présente médecine en leur Sacrement, pour adoucir la rigueur de la maladie, ou bien pour apporter quelque soulagement à l’âme, ils sont fort cruels de n’y remédier jamais en temps. Sainct Jaques entend que le malade soit oinct par les Anciens de l’Eglise Jacq. 5.14 : ceux-ci n’y admettent point autre enhuileur qu’un Prestre. Car ce qu’en sainct Jaques par les Anciens ils exposent les Prestres estans Pasteurs ordinaires, et disent que le nombre pluriel a esté mis pour plus grande honnesteté, cela est trop frivole : comme si de ce temps-là les Eglises eussent eu telle abondance de Prestres, qu’ils eussent peu porter et conduire leur boiste d’huile avec longues processions. Quand sainct Jaques commande simplement d’oindre les malades, je n’enten pas autre onction que d’huile commune, et ne se fait mention d’autre huile au récit de sainct Marc Marc 6.13. Ceux-ci ne tienent conte d’huile, si elle n’est consacrée par l’Evesque, c’est-à-dire fort eschauffée de son haleine, charmée en murmurant, et neuf fois saluée à genoux, en disant trois fois, Je te salue saincte Huile : et trois fois, Je te salue sainct Chresme : et trois fois, Je te salue sainct Baume ; telle est leur solennité. De qui ont-ils prins telles conjurations ? Sainct Jaques dit que quand le malade aura esté oinct d’huile, et qu’on aura prié sur luy, s’il est en péchez, ils luy seront pardonnez, d’autant qu’estant absous devant Dieu, il sera aussi soulagé de sa peine : n’entendant pas que les péchez soyent effacez par graisse, mais que les oraisons des fidèles, par lesquelles le frère affligé aura esté recommandé à Dieu, ne seront pas vaines. Ceux-ci meschamment feignent que par leur sacrée Onction (c’est-à-dire abominable) les péchez sont remis. Voylà comment ils auront proufité, quand on les aura laissé abuser à leur folle fantasie du tesmoignage de sainct Jaques. Et afin de ne nous point travailler en vain pour réprouver leurs mensonges, regardons seulement que disent leurs histoires : lesquelles racontent qu’Innocence pape de Rome, qui estoit du temps de sainct Augustin, institua que non-seulement les Prestres, mais aussi tous Chrestiens usassent d’onction envers leurs malades[w]. Comment accorderont-ils cela avec ce qu’ils veulent faire à croire ?
[w] Sigebert, abbé, en ses Chroniques.
4.19.22
Des Ordres ecclésiastiques
Le Sacrement de l’Ordre est mis en leur rolle au quatrième lieu, mais il est si fertile qu’il enfante de soy sept petis Sacrementeaux. Or c’est une chose digne de mocquerie, que quand ils ont proposé qu’il y a sept Sacremens, en les voulant nombrer ils en content treize, et ne peuvent excuser que les sept Sacremens des Ordres, soyent un seul Sacrement, pourtant qu’ils tendent tous à une Prestrise, et sont comme degrez pour monter à icelle. Car puis qu’il appert qu’en chacun d’iceux il y a diverses cérémonies : d’avantage, puis qu’ils disent qu’il y a diverses grâces, nul ne doutera que selon leur doctrine, on n’y doyve recognoistre sept Sacremens. Et qu’est-ce que nous débatons cela comme une chose douteuse, veu qu’eux confessent plenement qu’il y en a sept ? Premièrement nous toucherons en passant combien il y a d’absurditez en ce qu’ils veulent qu’on tiene leurs ordres pour Sacremens. Puis après nous disputerons, asçavoir si la cérémonie par laquelle on introduit un ministre en son estat, se doit ainsi nommer. Ils mettent doncques sept ordres ou degrez ecclésiastiques, ausquels ils imposent le tiltre de Sacremens, et sont ceux qui s’ensuyvent, Huissiers, Lecteurs, Exorcistes, Acolythes, Sousdiacres, Diacres et Prestres[x]. Et sont sept comme ils disent, à cause de la grâce du sainct Esprit, contenant sept formes, de laquelle doyvent estre remplis ceux qui sont promeus à ces ordres : mais elle leur est augmentée, et plus abondamment eslargie en leur promotion. Premièrement, leur nombre est controuvé par une glose et exposition perverse de l’Escriture, pourtant qu’il leur est advis qu’ils ont leu en Isaïe sept vertus du sainct Esprit, combien qu’à la vérité le Prophète n’en réfère point plus de six en ce lieu-là Esaïe 11.2 ; Ezéch. 1.20, et n’y ait pas voulu raconter toutes les grâces du sainct Esprit. Car en d’autres passages de l’Escriture il est aussi bien nommé Esprit de vie, de sanctification, et adoption des enfans de Dieu Rom. 1.4 ; 8.15, qu’audit lieu d’Isaïe Esprit de sapience, d’intelligence, de conseil, de force, de science et crainte du Seigneur. Toutesfois les autres plus subtils ne font pas seulement sept ordres, mais neuf : à la similitude, comme ils disent, de l’Eglise triomphante. Et encores il y a guerre entre eux, d’autant que les uns font la première ordre de la tonsure cléricale : la dernière d’Evesché. Les autres excluans la tonsure, mettent Archevesché entre les ordres. Isidore les distingue autrement : car il fait les Psalmistes et Lecteurs divers, ordonnant les premiers à la chanterie et les seconds à lire les Escritures pour l’enseignement du peuple : laquelle distinction est observée des Canons[y]. En telle diversité qu’avons-nous à fuir ou à suyvre ? Dirons-nous qu’il y a sept ordres ? Le Maistre de Sentences enseigne ainsi : mais les Docteurs très-illuminez le déterminent autrement. Derechef iceux docteurs discordent ensemble : outre plus, les sacrez Canons nous monstrent un autre chemin. Voylà quel consentement il y a entre les hommes, quand ils disputent des choses divines sans la Parole de Dieu.
[x] Sentent., lib. IV, distinct. XXXIV, cap. IX.
[y] Hæ opinio est Hugonis, altera Gulielm. Parisiens. Isid., lib. VII, et Mo. allegatur cap. Cleros, dist. XXI, et dist. XXXIII, cap. Lector, et cap. Ostiarius.
4.19.23
Mais ceci surmonte toute folie, qu’en chacune de leurs ordres, ils font Christ leur compagnon. Premièrement, disent-ils, il a exercé l’office d’Huissier, quand il a chassé du temple les vendeurs et acheteurs Jean 2.15 : et monstre qu’il est Huissier, en ce qu’il dit. Je suis l’huis Jean 10.7. Il a prins l’estat de Lecteur, quand au milieu de la Synagogue il a leu Isaïe Luc 4.17. Il s’est meslé d’estat d’Exorciste, quand en touchant de sa salive les aureilles et la langue du sourd et muet, il luy rendit l’ouye et le parler Marc 7.33. Il a tesmoigné qu’il estoit Acolyte, par ces paroles, Quiconques me suit, ne chemine point en ténèbres Jean 8.12. Il a fait l’office de Sousdiacre, quand estant ceint d’un linceul, il a lavé les pieds de ses Apostres Jean 13.4. Il a fait l’estat de Diacre, distribuant son corps et son sang aux Apostres en la Cène Matt. 26.26. Il a accomply ce qui est d’un Prestre, quand il s’est offert à la croix sacrifice au Père Matt. 27.50 ; Eph. 5.2. Ces choses tellement ne se peuvent ouyr sans rire, que je m’esmerveille si elles ont esté escrites sans risée, au moins si ceux qui les escrivoyent, estoyent hommes. Mais principalement la subtilité est digne d’estre considérée, en laquelle ils s’arraisonnent au nom d’Acolythe, l’exposant Céroféraire, d’un mot, comme je pense, Magicien : certes qui n’est cognu de langue ou nation aucune. Comme ainsi soit qu’Acolythe signifie aux Grecs celuy qui suit et accompagne : et par leur Céroféraire ils entendent dire un porte-cierge. Combien que si je m’arreste à réfuter ces folies à bon escient, je mériteray aussi bien d’estre mocqué, tant elles sont vaines et frivoles.
4.19.24
Toutesfois afin qu’ils ne puissent plus tromper mesmes les femmes, il faut un peu descouvrir leurs mensonges. Ils créent avec grand’pompe et solennité leurs Lecteurs, Psalmistes, Huissiers, Acolythes, pour s’entremesler de faire les offices ausquels ils employent et commettent les petis enfans, ou ceux qu’ils appellent Laïcs. Car qui allume le plus souvent les cierges, ou qui verse l’eau et le vin, sinon quelque enfant, ou quelque povre homme lay qui gaigne sa vie à cela ? Ceux-là mesmes ne chantent-ils pas, n’ouvrent-ils pas et ferment les portes des Eglises ? Car qui est-ce qui a jamais veu en leurs temples un Acolythe ou Huissier faisant son mestier ? Mais plustost celuy qui du temps de son enfance faisoit office d’ Acolythe, depuis qu’il est ordonné en cest estat cesse d’estre ce qu’il est appelé : tellement qu’il semble advis que de propos délibéré ils se démettent de ce qui appartient à leur charge, quand ils en reçoyvent le tiltre. voylà pourquoy il leur est nécessaire d’estre ordonnez à tels Sacremens, et recevoir le sainct Esprit : c’est asçavoir pour ne rien faire. S’ils allèguent que cela vient de la perversité du temps présent, qu’ils délaissent et mesprisent leur devoir : il faut que pareillement ils confessent qu’il n’y a nul fruit, n’usage aujourd’huy en l’Eglise, de leurs sacrées ordres, lesquelles ils exaltent merveilleusement, et que toute leur Eglise est plene de malédiction, puis qu’elle laisse manier aux laïcs et aux enfans les cierges et burettes, de l’attouchement desquels nul n’est digne, sinon celuy qui est consacré en Acolythe, quand elle renvoyé les chanteries aux enfans, lesquelles ne se doyvent faire que de bouche consacrée. Des Exorcistes : à quelle fin les consacrent-ils ? J’enten bien que les Juifs ont eu leurs Exorcistes : mais je voy qu’ils avoyent leurs noms des exorcismes lesquels ils exerçoyent Actes 19.13. Mais qui est-ce qui jamais a ouy parler que ces Exorcistes contrefaits ayent jamais fait un chef-d’œuvre de leur profession ? Ils font semblant qu’ils ont puissance d’imposer les mains sur les enragez, infidèles et démoniaques : mais ils ne peuvent persuader aux diables qu’ils ayent telle puissance : non pas seulement pourtant que les diables n’obéissent point à leurs commandemens, mais aussi qu’ils ont puissance sur eux. Car à grand’peine en trouveroit-on de dix l’un qui ne soit agité du malin esprit. Parquoy tout ce qu’ils babillent de leurs petites ordres, soit qu’ils en content cinq ou six, est forgé de mensonge et ignorance. Nous avons ci-dessus parlé des anciens Acolythes, Huissiers et Lecteurs, quand nous traittions de l’ordre de l’Eglise. Maintenant mon intention n’est sinon de réprouver ceste invention nouvelle de forger sept Sacremens aux ordres Ecclésiastiques : de laquelle on ne trouvera point un seul mot aux Docteurs anciens, mais seulement en ces badaux de théologiens Sorboniques et Canonistes.
4.19.25
Voyons maintenant des cérémonies qu’ils y font. Premièrement, tous ceux qu’ils reçoyvent en leur Synagogue, ils les ordonnent premièrement au degré de Clergé ; le signe est, qu’ils le rasent au sommet de la teste, afin que la couronne, comme ils disent, signifie dignité royale[z], d’autant que les clercs doyvent estre Rois, ayans à gouverner et eux et les autres : selon que dit sainct Pierre, Vous estes un genre esleu, Prestrise royale, et nation saincte 1Pi. 2.9. Mais c’a esté un sacrilège à eux d’usurper le tiltre qui appartenoit et estoit attribué à toute l’Eglise : Car sainct Pierre parle à tous les fidèles : et ils tirent son dire à eux, comme s’il estoit dit seulement à ceux qui sont tondus ou rasez, Soyez saincts Lév. 11.44 ; 19.2 ; 20.7 : comme si eux tous seuls avoyent esté acquis du sang de Jésus-Christ. Mais passons outre. Ils assignent après d’autres raisons de leur couronne : Que le sommet de leur teste est descouvert, pour monstrer que leur pensée sans empeschement doit contempler, la gloire de Dieu face à face : ou pour monstrer que les vices de la bouche et des yeux doyvent estre coupez : ou pour signifier le délaissement et résignation des biens temporels : et que le circuit des cheveux qui demeure, figure le reste des biens qu’ils retienent pour la substentation de leur vie[a] ; le tout en figure : pourtant que le voile du temple n’a pas encores esté rompu : j’enten, quant à eux. Et pourtant se faisans à croire qu’ils se sont très-bien acquittez de leur office, quand ils ont figure telles choses par leur couronne, ils n’en accomplissent rien à la vérité. Jusques à quand nous abuseront-ils par tels mensonges et illusions ? Les clercs en tondant un touppet de cheveux, monstrent qu’ils se sont desmis de l’abondance des biens terriens : qu’estans délivrez de tout empeschement, ils contemplent la gloire de Dieu : qu’ils ont mortifié les concupiscences de leurs yeux et aureilles : et il n’y a nul estat entre les hommes plus plein de rapacité, ignorance et paillardise. Que ne monstrent-ils plustost leur saincteté véritablement, que d’en représenter la figure par signes faux et mensongers ?
[z] Cap. dupl. XII, quæst. I.
[a] Sent., lib. IV, dist. XXIV, cap. Duo sunt.
4.19.26
Finalement, quand ils disent que leur couronne a prins son origine et raison des Nazariens Nomb. 6.5, qu’est-ce qu’ils apportent autre chose, sinon que leurs mystères sont descendus des cérémonies judaïques, ou plustost sont une pure Juifverie ? En ce qu’ils adjoustent que Priscilla, Acylas et sainct Paul, ayans fait veu se tondirent pour estre purifiez, ils monstrent une grande bestise Actes 18.18. Car cela n’est nullement dit de Priscilla, et n’est dit que de l’un des autres : et est incertain duquel des deux, veu que la tonsure de laquelle parle sainct Luc se peut aussi bien rapporter à sainct Paul qu’à Acylas. Et mesmes, afin que nous ne leurs laissions ce qu’ils demandent, c’est qu’ils ayent prins leur exemple de sainct Paul, les simples ont à noter que jamais sainct Paul ne s’est tondu la teste pour sanctification aucune, mais pour s’accomoder à l’infirmité de ses prochains. J’ay coustume d’appeler telles manières de vœus, Vœus de charité, et non de piété : c’est-à-dire prins non pour religion aucune, ou service de Dieu, mais pour supporter la rudesse des infirmes : comme il dit qu’il a esté fait Juif aux Juifs 1Cor. 9.20 etc. Ainsi il a fait cela, voire pour un coup et pour peu de temps, pour s’accomoder aux Juifs. Mais ceux-ci voulans imiter les purifications des Nazariens Nomb. 6.18 sans quelque fruit, que font-ils autre chose que dresser un nouveau Judaïsme[b] ? C’est d’une mesme conscience qu’est composée l’épistre décrétale, qui défend aux clercs, selon l’Apostre, de ne nourrir leurs cheveux, mais de les raser en rond en manière de sphère : comme si l’Apostre enseignant ce qui est honneste à tous hommes 1Cor. 11.4, s’estoit beaucoup soucié de la ronde tonsure de leurs clercs. Que les lecteurs estiment de ces commandemens, quelles sont les autres ordres, ausquelles il y a telle entrée pour venir à la vérité.
[b] Cap. Prohibente, dist. XXV.
4.19.27
Il appert par le tesmoignage de sainct Augustin quelle est l’origine de la tonsure des clercs[c]. Car comme ainsi soit que jadis nul homme ne nourrist cheveleure sinon ceux qui estoyent efféminez, et appétoyent d’estre veus braves et mignons, il fut advisé que ce seroit mauvais exemple de permettre cela aux clercs. Il y eut doncques ordonnance faite que tous clercs se tondissent, afin de ne donner nul souspeçon ny apparence qu’ils se vousissent parer et orner délicatement. Or la façon de se tondre estoit si commune de ce temps-là, que d’aucuns moines pour se monstrer plus saincts que les autres, et avoir quelque monstre pour se distinguer, nourrissoyent cheveleure[d]. Voylà comment la tonsure n’estoit point une chose spéciale aux clercs, mais estoit à usance quasi à tous. Depuis, comme ainsi soit que le monde recommençast à porter cheveleure comme au paravant, et que plusieurs nations se convertissoyent à Jésus-Christ, lesquelles avoyent tousjours accoustumé de porter cheveleure, comme la France, l’Alemagne l’Angleterre : il est vray-semblable que les clercs, pour la raison que nous avons dite, se faisoyent tondre par tout. Or puis après que l’Eglise a esté corrompue, et que toutes les ordonnances anciennes ont esté ou perverties, ou destournées à superstition, d’autant, qu’on ne voyoit nulle raison en ceste tonsure cléricale, (comme de faict il n’y avoit qu’une folle imitation des prédécesseurs, sans sçavoir pourquoy) ils ont forgé ce beau mystère que maintenant avec une si grande audace ils nous allèguent pour approbation de leur Sacrement. Les Huissiers en leur consécration reçoivent les clefs du temple, en signe qu’ils en doyvent estre gardiens : aux Lecteurs, on baille la Bible : aux Exorcistes, le formulaire ou registre des conjurations : aux Acolythes, les burettes et les cierges[e]. Voylà les notables cérémonies,, lesquelles contienent si grande vertu, si on les veut croire, qu’elles sont non-seulement signes et mereaux, mais aussi causes de la grâce invisible de Dieu. Car selon leur définition, ils prétendent cela quand ils veulent qu’on les ait pour Sacremens. Pour en conclurre en brief, je di que cela est contre toute raison, que les théologiens sophistes et canonistes ont fait des Sacremens de toutes ces ordres, qu’ils appellent Moindres : veu que par leur confession mesme elles ont esté incognues à l’Eglise primitive, et inventées long temps après. Or puis que les Sacremens contienent promesses de Dieu, ils ne se peuvent instituer des Anges ne des hommes, mais de celuy seul auquel il appartient de donner promesse.
[c] August. De opere monach., in fine.
[d] Item, In retract.
[e] Sent., lib. IV, dist. XXIV, c. VIII.
4.19.28
Restent les trois ordres, qu’ils appellent Grandes, desquelles la Sousdiaconie, comme ils disent, a esté translatée en ce nombre et degré, et depuis que ceste multitude des petites est venue en avant. Or pource qu’il leur semble advis qu’ils ayent tesmoignage de la Parole de Dieu pour ces trois, ils les appellent par singulière prérogative, Ordres sacrées. Mais il faut veoir combien ils abusent perversement de l’Escriture, à prouver leur intention. Nous commencerons par l’ordre de Prestrise ou de Sacrificature. Car par ces deux mots ils signifient une mesme chose : et appellent Sacrificateurs ou Prestres, ceux desquels l’office est, comme ils disent, de faire en l’autel sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ, dire les oraisons, et bénir les dons de Dieu. Pourtant en leurs promotions ils’prenent un calice avec la patène et l’hostie, en signes qu’ils ont puissance d’offrir à Dieu sacrifices de réconciliation. Et leur oinct-on les mains pour donner à cognoistre qu’ils ont puissance de consacrer. De toutes ces choses tant s’en faut qu’ils ayent tesmoignage de la Parole de Dieu, qu’ils ne pouvoyent plus meschamment corrompre son ordre et ses constitutions. Premièrement ce que nous avons dit au chapitre précédent, doit estre pour tout conclud : c’est asçavoir que tous ceux font injure à Christ, qui se disent Prestres, pour offrir sacrifice de réconciliation. C’est luy qui a esté ordonné du Père, et consacré avec jurement, pour estre Prestre selon l’ordre de Melchisédec, sans fin et sans succession Ps. 110.4 ; Héb. 5.6 ; 7.3. C’est luy qui a une fois offert hostie de purgation et réconciliation éternelle : et qui maintenant estant entré au Sanctuaire du ciel, prie pour nous. Nous sommes bien tous Prestres en luy, mais c’est seulement pour offrir louanges et actions de grâces à Dieu, et principalement de nous offrir nous-mesmes, et en somme tout ce qui est nostre. Mais c’a esté une prééminence spéciale au Seigneur Jésus, d’appaiser Dieu, purger les péchez par son oblation. Puis que ceux-ci usurpent une telle authorité, que reste-il plus sinon que leur prestrise soit un sacrilège damnable ? Certes c’est une trop grande impudence à eux, de l’orner du tiltre de Sacrement. Quant est de l’imposition des mains, qui se fait pour introduire les vrais Prestres et Ministres de l’Eglise en leur estat, je ne répugne point qu’on ne la reçoyve pour sacrement. Car c’est une cérémonie prinse de l’Escriture, pour le premier : et puis laquelle n’est point vaine, (comme dit sainct Paul) mais est un signe de la grâce spirituelle de Dieu 1Tim. 4.14. Ce que je ne l’ay pas mis en conte avec les deux autres, c’est d’autant qu’il n’est pas ordinaire ne commun entre les fidèles, mais pour un office particulier. Au reste, quand j’attribue cest honneur au ministère ordonné de Jésus-Christ, il ne faut pas que les prestres romanisques, qui sont créez selon l’ordre du Pape, s’enorgueillissent de cela. Car ceux que nous disons, sont ordonnez par la bouche de Jésus-Christ, pour estre dispensateurs de l’Evangile et des Sacremens Matt. 28.19 ; Marc 16.15 ; Jean 21.15 : non pas pour estre bouchers, afin de faire immolations quotidiennes. Le commandement leur est donné de prescher l’Evangile, et de paistre le troupeau de Christ, et non pas de sacrifier. Il leur est fait promesse de recevoir les grâces du sainct Esprit, non pas pour faire expiation des péchez, mais pour gouverner deuement l’Eglise Actes 1.8.
4.19.29
Les cérémonies sont bien correspondantes à la chose. Nostre Seigneur envoyant ses Apostres à la prédication de l’Evangile, souffla sur eux Jean 20.22. Par lequel signe il représenta la vertu du sainct Esprit, laquelle il mettoit en eux. Ces bons preud’hommes ont retenu ce soufflement, et comme s’ils vomissoyent le sainct Esprit de leur gosier, ils murmurent sur leurs Prestres qu’ils ordonnent, disans, Recevez le sainct Esprit. Tellement ils sont adonnez à ne rien laisser qu’ils ne contrefacent perversement, je ne di pas comme basteleurs et farceurs, qui ont quelque art et manière en leurs maintiens, mais comme singes, qui sont frétillans à contrefaire toute chose sans propos et sans discrétion. Nous gardons, disent-ils, l’exemple de nostre Seigneur. Mais nostre Seigneur a fait plusieurs choses qu’il n’a pas voulu estre ensuyvies. Il a dit à ses disciples, Recevez le sainct Esprit. Il a dit aussi d’autre part à Lazare, Lazare sors dehors Jean 11.43. Il a dit au Paralytique, Lève-toy et chemine Matt. 9.5 ; Jean 5.8. Que ne disent-ils de mesmes à tous les morts et Paralytiques ? Il a monstré une œuvre de sa vertu divine, quand en soufflant sur ses Apostres, il les a remplis de la grâce du sainct Esprit. S’ils s’efforcent d’en faire autant, ils entreprenent sur Dieu, et quasi le provoquent au combat. Mais ils sont bien loing de l’effect : et ne font autre chose par leur folle singerie, que se mocquer de Christ. Bien est vray qu’ils sont si effrontez, qu’ils osent dire que le sainct Esprit est conféré par eux. Mais l’expérience monstre combien cela est vray : par laquelle nous cognoissons évidemment que tous ceux qui sont consacrez pour Prestres, de chevaux devienent asnes, et de fols, enragez. Toutesfois je ne leur fay point de combat de cela : seulement je réprouve ceste cérémonie laquelle ne se devoit point tirer en conséquence : et qui a esté prinse de Christ pour un signe spécial du miracle qu’il faisoit : tant s’en faut que l’excuse qu’ils prenent d’estre imitateurs de Christ, leur doyve aider.
4.19.30
D’avantage, de qui ont-ils prins l’Onction ? Ils respondent qu’ils l’ont prinse des fils d’Aaron, desquels est descendu le commencement de leur ordre[f]. Ils aiment doncques mieux se défendre d’exemples mal appliquez, que confesser que ce qu’ils font témérairement, soit leur invention. Au contraire, ils ne considèrent point qu’en se maintenant estre successeurs des fils d’Aaron, ils font injure à la Prestrise de Jésus-Christ, laquelle seule a esté figurée par les Prestrises lévitiques : et pourtant elles ont esté toutes accomplies et finies en icelle, et par ce moyen ont cessé, comme nous avons desjà quelquesfois dit, et l’Epistre aux Hébrieux sans nulle glose le tesmoigne Héb. 10.2. Et s’ils se délectent si fort des cérémonies mosaïques, que ne font-ils encores des sacrifices de bœufs, de veaux et d’agneaux ? Ils retienent bien encores une grande partie du Tabernacle et de toute la religion judaïque : mais cela leur défaut, qu’ils ne sacrifient point de veaux et de bœufs. Qui est-ce qui ne voit ceste observance d’Onction estre beaucoup plus dangereuse et pernicieuse que la Circoncision, principalement quand elle est conjoincte avec une superstition et opinion pharisaïque, de la dignité de l’œuvre ? Les Juifs mettoyent une confiance de leur justice en la Circoncision : ceux-ci mettent en l’Onction les grâces spirituelles. Pourtant ils ne se peuvent faire imitateurs des Lévites, qu’ils ne soyent apostats de Jésus-Christ, et renoncent à l’office de Pasteurs.
[f] Sentent., lib. IV, distinct. XXIV, cap. VIII, et in Canon., dist. XXI, cap. I.
4.19.31
Voylà leur belle huile sacrée, qui imprime un caractère qui ne se peut effacer, et qu’ils appellent indélébile. Comme si l’huile ne se pouvoit oster et nettoyer de poudre et de sel : ou, si elle est trop fort entachée, de savon. Mais ce caractère est spirituel. Quelle société a l’huile avec l’âme ? Ont-ils oublié ce qu’ils allèguent de sainct Augustin ? que si on sépare la Parole de l’eau il ne restera plus que l’eau : car c’est par la Parole qu’elle est faite Sacrement[g]. Quelle Parole monstreront-ils en leur graisse ? Sera-ce le commandement qui fut fait à Moyse, d’oindre les fils d’Aaron Exo. 30.30 ? Mais il luy fut pareillement commandé de toutes les robbes sacerdotales et autres paremens desquels devoit estre vestu Aaron, et des accoustremens dont ses enfans devoyent estre ornez. D’avantage, de tuer un veau, et d’en brusler le sang : de trancher des moutons et les brusler, et de consacrer les aureilles et vestemens d’ Aaron et de ses enfans du sang de l’un des moutons, et autres cérémonies innumérables, lesquelles je m’esbahi comment ils ont toutes omises, s’arrestans à la seule Onction. Et s’ils aiment d’estre arrousez, pourquoy plustost d’huile que de sang ? Certes ils machinent une chose ingénieuse, de faire une religion à part, composée de Chrestienté, Juifverie, Paganité, comme cousue de plusieurs pièces. Leur Onction doncques est puante, puis qu’elle a faute de sel, c’est-à-dire de la Parole de Dieu. Reste l’imposition des mains, laquelle je confesse bien pouvoir estre nommée Sacrement, quand on en useroit comme il faut en faisant une vraye promotion de ministres légitimes : mais je nie qu’elle ait lieu en ceste farce qu’ils jouent, en ordonnant leurs Prestres ; car ils n’ont nul commandement, et ne regardent point à la fin où tend la promesse. Si doncques ils veulent qu’on leur permette le signe, il faut qu’ils l’accomodent à la vérité, pour laquelle il a esté institué ou introduit.
[g] Decret. I, quæst. I, cap. Detract.
4.19.32
Quant à l’ordre des Diacres, nous serions bien d’accord si cest office estoit restitué en sa pureté entière, telle qu’il l’a eue sous les Apostres et en l’Eglise ancienne. Mais les Diacres que nous forgent ces gens-ci, qu’ont-ils de semblable ? Je ne parle point des personnes, afin qu’ils ne se complaignent qu’on leur face injure, d’estimer leur doctrine par les vices des hommes : mais je maintien qu’ils font desraisonnablement, de prendre pour leurs Diacres, tels que par leur doctrine ils nous les peignent, tesmoignage de ceux qui furent ordonnez par l’Eglise apostolique. Ils disent qu’il appartient à leurs Diacres d’assister aux Prestres, et de ministrer en tout ce qui est requis aux Sacremens, comme au Baptesme et au Chresme : de mettre le vin dedans le calice, et le pain en la patène, d’ordonner bien l’autel, porter la croix, lire l’Evangile et l’Epistreau peuple. Y a-il en tout cela un seul mot du vray office des Diacres ? Maintenant oyons comme ils font leur institution ? L’Evesque seul pose la main sur le Diacre qu’il ordonne, il luy colloque sur l’espaule gauche l’estolle, afin qu’il entende qu’il a prins le joug léger de Dieu, pour assujetir à la crainte de Dieu tout ce qui appartient au costé gauche : il luy baille un texte d’Evangile, afin qu’il s’en cognoisse estre proclamateur. Qu’est-ce qu’appartienent toutes ces choses aux Diacres ? Car ils ne font autre chose que comme si quelqu’un voulant ordonner des Apostres, les commettoit à encenser, parer les images, allumer des cierges, bailler les temples, tendre aux soris, et chasser les chiens. Qui est-ce qui souffriroit que telles manières de gens fussent nommez Apostres, et fussent accomparez aux Apostres de Christ ? Ci-après doncques qu’ils ne nous introduisent point pour Diacres ceux qu’ils n’ordonnent sinon à leurs farces et bastelleries. Ils les appellent aussi Lévites, déduisans leur origine des fils de Lévi. Ce que je leur concéderay, s’ils confessent aussi ce qui est vray, qu’en renonçant Jésus- Christ ils retournent aux cérémonies lévitiques, et aux ombres de la Loy mosaïque.
4.19.33
Touchant les Sousdiacres, qu’est-il mestier d’en parler ? Car comme ainsi soit que jadis ils eussent le soin des povres, on leur a attribué je ne sçay quel estat frivole, d’apporter les burettes et le mantil près de l’autel, donner à laver aux Prestres, colloquer sur l’autel le calice et la patène, et choses semblables. Car ce qu’ils disent de recevoir les offrandes, c’est de ce qu’ils engloutissent et dévorent. La cérémonie dont ils usent pour les mettre en possession de leur office, est bien convenable à cela : c’est que l’Evesque leur baille en la main le calice et la patène : l’Archediacre, la burette avec l’eau, et telles manigances de leur fripperie. Ils veulent que nous pensions que le sainct Esprit soit enclos en ces badinages : mais à qui est-ce qu’ils le pourront persuader ? Pour faire fin, et que nous n’ayons à répéter de plus haut ce qui a esté paravant exposé, ceci pourra satisfaire à ceux qui se rendront dociles et modestes, ausquels ce livre est addressé : c’est qu’il n’y a nul Sacrement, sinon où apparoist une cérémonie conjoincte avec la promesse : ou plustost, sinon où la promesse reluit en la cérémonie. Yci on ne voit une seule syllabe de promesse spéciale. En vain doncques on y chercheroit cérémonie, pour confermer la promesse. Derechef, on n’y voit cérémonie aucune ordonnée de Dieu : il n’y peut doncques avoir Sacrement.
4.19.34
Le dernier Sacrement qu’ils content, est Mariage : lequel comme chacun confesse avoir esté institué de Dieu, aussi d’autre part nul n’avoit apperceu que ce fust un Sacrement, jusques au temps du Pape Grégoire. Et qui eust esté l’homme de sens rassis qui s’en fust advisé ? C’est certes une ordonnance de Dieu bonne et saincte. Aussi sont bien les mestiers de laboureurs, maçons, cordonniers et barbiers : qui toutesfois ne sont pas Sacremens. Car cela n’est pas seulement requis au Sacrement, que ce soit une œuvre de Dieu : mais il faut que ce soit une cérémonie extérieure ordonnée de Dieu, pour confermer quelque promesse. Qu’il n’y ait rien tel au mariage, les enfans mesmes en pourront juger. Mais ils disent que c’est un signe de chose sacrée : c’est-à-dire, de la conjonction spirituelle de Christ avec l’Eglise. Si par ce mot de Signe, ils en tendent une marque ou enseigne qui nous ait esté proposée de Dieu pour soustenir nostre foy, ils n’approchent point du but. S’ils entendent simplement un signe, ce qui est produit pour similitude, je monstreray comment ils arguent subtilement. Sainct Paul dit, Comme une estoille diffère de l’autre en clairté : ainsi sera la résurrection des morts 1Cor. 15.41. Voylà un Sacrement. Christ dit, Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé. En voylà un autre. Derechef, Le royaume des cieux est semblable au levain Matt. 13.32-33. Voylà un troisième. Isaïe dit. Le Seigneur conduira son troupeau comme un pasteur Esaïe 40.11. Voylà le quart. En un autre passage, Le Seigneur sortira comme un Géan Esaïe 42.13. Voylà le cinquième. Et quand en seroit la fin ? Il n’y auroit rien qui selon ceste raison ne fust Sacrement. Autant qu’il y auroit de similitudes et paraboles en l’Escriture, autant y auroit-il de Sacremens. Et mesmes larrecin sera ainsi Sacrement : d’autant qu’il est escrit, Le jour du Seigneur sera comme un larron 1Thess. 5.2. Qui pourroit endurer ces Sophistes babillans si follement ? Je confesse bien que toutes les fois que nous voyons quelque vigne, il est très-bon de réduire en mémoire ce que dit nostre Seigneur : Je suis la vigne, vous estes les ceps, mon Père en est le laboureur Jean 15.1. Quand un berger se présente devant nous, qu’il est bon de nous souvenir de la Parole de Christ, quand il dit, Je suis le bon berger : mes brebis escoutent ma Parole Jean 10.11, 27. Mais si quelqu’un venoit à faire des Sacremens de telles similitudes, il le faudroit envoyer au médecin.
4.19.35
Toutesfois ils allèguent les paroles de sainct Paul, ausquelles ils disent que le nom de Sacrement est attribué à Mariage. Les paroles sont, Qui aime sa femme, il s’aime soy-mesme. Nul jamais n’a eu sa chair en haine : mais il la nourrit et entretient comme Christ l’Eglise. Car nous sommes membres de son corps, de sa chair et de ses os : pour ceste cause l’homme laissera son père et sa mère, et sera conjoinct avec sa femme, et seront deux en une chair. Ce sacrement est grand : je di en Christ et en son Eglise Eph. 5.28-32. Mais de traitter en ceste façon les Escritures, c’est confondre le ciel avec la terre. Sainct Paul pour monstrer aux maris quelle amitié singulière ils doyvent porter à leurs femmes, leur propose Christ pour exemple, Car comme iceluy a espandu tous les thrésors de douceur envers l’Eglise, à laquelle il s’estoit conjoinct, il faut qu’un chacun se maintiene en telle affection avec sa femme. Il s’ensuyt après, Qui aime sa femme s’aime soy-mesme, comme Christ a aimé son Eglise. Or pour déclairer comment Christ a aimé l’Eglise comme soy-mesme, voire plustost comment il s’est fait un avec l’Eglise son espouse, il tire à luy ce que Moyse récite avoir esté dit par Adam. Car quand nostre Seigneur eut amené Eve devant Adam, laquelle il savait bien avoir esté formée de sa coste, il dit, Ceste-ci est os de mes os, et chair de ma chair Gen. 2.23. Sainct Paul tesmoigne que tout cela a esté accomply en Christ et en nous, quand il nous appelle membres de son corps, de sa chair, de ses os, ou plustost une chair avec luy. A la fin il conclud par une exclamation, disant, C’est un grand mystère. Et afin que nul ne s’abusast à l’ambiguïté, expressément il met qu’il n’entend pas de la compagnie charnelle de l’homme et de la femme, mais du mariage spirituel de Christ et son Eglise. Et vrayement c’est un grand secret et mystère que Christ a souffert qu’une coste luy fust ostée, dont nous fussions formez : c’est-à-dire, que comme ainsi fust qu’il fust fort, il a voulu estre foible, afin que de sa vertu nous fussions corroborez : tellement que nous ne vivions pas seulement, mais qu’il vive en nous.
4.19.36
Ils ont esté trompez du mot de Sacrement qui est en la translation commune. Mais estoit-ce raison que toute l’Eglise portast la peine de leur ignorance ? Sainct Paul avoit usé du nom de Mystère, qui signifie Secret : lequel combien que le translateur peust exposer Secret, ou bien le laisser en son entier, veu qu’il est assez accoustumé entre les Latins, il l’a mieux aimé exposer par Sacrement : non pas toutesfois en autre sens que sainct Paul avoit dit en Grec, Mystère. Qu’ils voisent maintenant crier contre la cognoissance des langues, par l’ignorance desquelles ils s’abusent en une chose si facile et si manifeste. Mais pourquoy en ce lieu s’arrestent-ils tant en ce mot de Sacrement, et quand bon leur semble ils le laissent légèrement passer, sans y prendre garde ? Car le translateur l’a aussi bien mis en l’Epistre première à Timothée 1Tim. 3.9, et en ceste mesme Epistre aux Ephésiens plusieurs fois Eph. 1.9, non en autre signification par tout, que pour Mystère. Encores qu’on leur pardonne ceste faute, si faloit-il toutesfois qu’en leur mensonge ils eussent bonne mémoire, pour ne se point contredire. Maintenant après avoir orné le Mariage du tiltre de Sacrement, l’appeller immondicité, pollution et souilleure charnelle, quelle inconstance et légèreté est-ce ? Quelle absurdité est-ce d’interdire aux Prestres un Sacrement ? S’ils nient qu’ils leur défendent le Sacrement, mais la volupté de l’acte charnel, si n’eschappent-ils pas encores ainsi. Car ils enseignent que l’acte charnel est Sacrement, et que par iceluy est figurée l’union laquelle nous avons avec Christ en conformité de nature, d’autant que l’homme et la femme ne sont pas faits une chair, sinon en conjonction charnelle. Combien qu’aucuns d’eux ayent yci trouve deux Sacremens, l’un de Dieu et de l’âme, au fiancé et en la fiancée : l’autre de Christ et l’Eglise, au mari et en la femme. Quoy qu’il en soit, néantmoins selon leur dire l’acte charnel est Sacrement : duquel il n’estoit licite forclorre un Chrestien, s’ils ne veulent dire que les sacremens des Chrestiens convienent si mal, qu’ils ne puissent consister ensemble. Il y a encores un autre inconvénient en leur doctrine. Car ils afferment qu’au Sacrement est conférée la grâce du sainct Esprit : et ils confessent l’acte charnel estre Sacrement, auquel toutesfois ils nient que le sainct Esprit assiste[a].
[a] Sent., lib. IV, dist. XVII ; cap. IV, et in Decret. XXVII, quæst. II, cap. Cum Societas ; Glossa, cap. Lex divina ; Ibidem Decret. ; Sentent., lib. IV, distinct. XXXIII, cap. II, et in Decret. XXXII, quæst. II, cap. Quicquid.
4.19.37
Et pour ne point tromper l’Eglise en une chose seulement, quelle multitude d’erreurs, de mensonges, de déceptions, de meschancetez ont-ils conjoincts à cest erreur ? Tellement qu’on pourroit dire qu’en faisant du mariage un Sacrement, ils n’ont fait autre chose que chercher une cachette de toutes abominations. Car quand ils ont eu une fois gaigné ce point, ils ont tiré par-devers eux la cognoissance des causes matrimoniales, d’autant que c’estoit chose sacrée, à laquelle ne devoyent toucher les juges laïcs. D’avantage, ils ont ordonné loix pour confermer leur tyrannie : mais lesquelles sont en partie meschantes contre Dieu, en partie injustes contre les hommes : comme sont celles qui s’ensuyvent, Que les mariages faits entre les jeunes personnes, qui sont sous la puissance de leurs parens, sans le consentement de leurs dits parens, demeurent fermes et immuables. Qu’il ne soit licite de contracter mariages entre cousins et cousines, jusques au septième degré (car ce qui leur est le quatrième, selon la vraye intelligence du droict, est le septième) et que ceux qui auront esté contractez, soyent cassez et rompus. Derechef, Ils forgent des degrez à leur poste, contre les loix de toutes nations, et l’ordonnance mesme de Moyse Lév. 18.6. Qu’il ne soit pas licite à un homme qui aura répudié sa femme adultère, d’en prendre une autre. Que les parens spirituels, comme compères et commères, ne puissent contracter mariage ensemble. Qu’on ne célèbre nulles nopces depuis la Septuagésime jusques aux octaves de Pasques : ne trois sepmaines devant la nativité de sainct Jehan (pour lesquelles maintenant ils prenent celles de la Pentecoste, et les deux précédentes) ne depuis l’Advent jusques aux Rois : et autres semblables infinies, lesquelles il seroit long de raconter. En somme, il faut eschapper de leur boue, en laquelle nous avons plus longuement arresté que je ne voudroye : toutesfois je pense avoir proufité quelque chose en descouvrant en partie la bestise de ces asnes.
Chapitre XX
Du gouvernement civil.
4.20.1
Puis qu’ainsi est que nous avons constitué deux régimes en l’homme, et qu’avons desjà assez parlé du premier qui réside en l’âme, ou en l’homme intérieur, et concerne la vie éternelle, ce lieu-ci requiert que nous déclairions aussi bien le second, lequel appartient à ordonner seulement une justice civile, et réformer les mœurs extérieures. Car combien que cest argument semble estre eslongné de la Théologie et doctrine de la foy, que je traitte, toutesfois la procédure monstrera que c’est à bon droict que je l’y conjoin. Et sur tout pource qu’aujourd’huy il y a des gens forcenez et barbares, qui voudroyent renverser toutes polices, combien qu’elles soyent establies de Dieu. D’autre part, les flatteurs des Princes, magnifians sans fin et mesure la puissance d’iceux, les font quasi jouster contre Dieu. Ainsi qui n’iroit au-devant pour rembarrer ces deux vices, toute la pureté de la foy seroit confuse. D’avantage, ce nous est une chose bien utile pour estre édifiez en la crainte de Dieu, de sçavoir quelle a esté son humanité de prouvoir si bien au genre humain, afin que nous soyons tant plus incitez à le servir, pour testifier que nous ne sommes point ingrats ne mescognoissans. Premièrement, devant qu’entrer plus avant en ceste matière, il nous faut souvenir de la distinction ci-dessus mise, afin qu’il ne nous adviene ce qui advient communément à plusieurs, c’est de confondre inconsidérément ces deux choses, lesquelles sont du tout diverses. Car iceux, quand ils oyent une liberté estre promise en l’Evangile, laquelle ne recognoist Roy ne maistre entre les hommes, mais se tient à un seul Christ, ne peuvent comprendre quel est le fruit de leur liberté, ce pendant qu’ils voyent quelque puissance eslevée par-dessus eux. Pourtant ils ne pensent pas que la chose puisse bien aller, si tout le monde n’est converty en une nouvelle forme, en laquelle il n’y ait ne jugement, ne loix, ne magistrats, ny autres choses semblables, par lesquelles ils estiment leur liberté estre empeschée. Mais celuy qui sçaura discerner entre le corps et l’âme, entre ceste présente vie transitoire et la vie advenir, qui est éternelle, il entendra pareillement assez clairement que le Royaume spirituel de Christ et l’ordonnance civile sont choses fort distantes l’une de l’autre. Puis doncques que c’est une folie judaïque et de chercher et enclorre le règne de Christ sous les élémens de ce monde, nous plustost pensans, comme l’Escriture apertement nous enseigne, le fruit que nous avons à recevoir de la grâce de Christ estre spirituel, prenons songneusement garde de bien retenir en ses limites ceste liberté, laquelle nous est promise et offerte en iceluy Christ. Car pourquoy est-ce que l’Apostre mesme, qui nous commande de nous tenir fermes, et ne nous assujetir au joug de servitude Gal. 5.1, en un autre passage enseigne les serviteurs de ne se soucier de quel estat ils soyent, sinon que la liberté spirituelle peust très-bien consister avec servitude civile 1Cor. 7.21 ; Col. 3.22 ? Auquel sens pareillement faut prendre les autres sentences de luy qui s’ensuyvent. Qu’au règne de Dieu il n’y a ne Juif ne Grec, ne masle ne femelle, ne serf ne libre. Item, il n’y a ne Juif ne Grec, ne Circoncision ny incirconcision, barbare ne Scythien : mais Christ est tout en tous Gal. 3.28 ; Col. 3.11. Par lesquelles sentences il signifie qu’il est indifférent de quelle condition nous soyons entre les hommes, ou de quelle nation nous tenions les loix, veu que le royaume de Christ n’est nullement situé en toutes ces choses.
4.20.2
Toutesfois ceste distinction ne tend point à ceste fin, que nous réputions la police pour une chose pollue et n’appartenant rien aux Chrestiens. Il est bien vray que les fantastiques, qui ne cherchent qu’une licence desbridée, ont aujourd’huy ceste manière de parler : c’est asçavoir, que puis que nous sommes morts par Christ aux élémens de ce monde, et translatez au Royaume de Dieu entre les célestes, c’est une chose trop vile pour nous et indigne de nostre excellence, de nous occuper à ces sollicitudes immondes et profanes, concernantes les négoces de ce monde, desquels les Chrestiens doyvent estre du tout eslongnez et estranges. De quoy servent les loix, disent-ils, sans plaidoyers et jugemens ? et de quoy appartienent les plaidoyers à l’homme chrestien. Et mesmes s’il n’est pas licite d’occire, à quel propos aurons-nous loix et jugemens ? Mais comme nous avons n’aguères adverty ceste espèce de régime estre différente au règne spirituel et intérieur de Christ : aussi il nous faut sçavoir d’autre part qu’elle n’y répugne nullement. Car iceluy règne spirituel commence desjà sur la terre en nous quelque goust du Royaume céleste, et en ceste vie mortelle et transitoire quelque goust de la béatitude immortelle et incorruptible : mais le but de ce régime temporel, est de nourrir et entretenir le service extérieur de Dieu : la pure doctrine et religion, garder l’estat de l’Eglise en son entier, nous former à toute équité requise à la compagnie des hommes pour le temps qu’avons à vivre entre eux, d’instituer nos mœurs à une justice civile, de nous accorder les uns avec les autres, d’entretenir et conserver une paix et tranquillité commune. Toutes lesquelles choses je confesse estre superflues, si le règne de Dieu, ainsi qu’il est maintenant en nous, esteint ceste présente vie. Mais si la volonté du Seigneur est telle, que nous cheminions sur terre ce pendant que nous aspirons à nostre vray pays, d’avantage, si telles aides sont nécessaires à nostre voyage, ceux qui les veulent séparer de l’homme, luy ostent sa nature humaine. Car touchant ce qu’ils allèguent, qu’il y doit avoir en l’Eglise de Dieu une telle perfection, laquelle soit assez suffisante pour toutes loix : ils imaginent follement ceste perfection, laquelle ne se pourroit jamais trouver en la communauté des hommes. Car puisque l’insolence des meschans est si grande, et la mauvaistie tant rebelle, qu’à grand’peine y peut-on mettre ordre par la rigueur des loix, que pouvons-nous attendre d’eux, s’ils se voyent avoir une licence desbridée de mal faire, veu qu’à grand’peine mesmes par force ils s’en peuvent tenir ?
4.20.3
Mais il y aura ci-après lieu plus opportun de parler de l’utilité de la police. Pour le présent nous voulons seulement donner à entendre, que de la vouloir rejeter, c’est une barbarie inhumaine : puis que la nécessité n’en est moindre entre les hommes, que du pain, de l’eau, du soleil et de l’air : et la dignité en est encores beaucoup plus grande. Car elle n’appartient pas seulement à ce que les hommes mangent, boyvent et soyent sustentez en leur vie, combien qu’elle comprene toutes ces choses, quand elle fait qu’ils puissent vivre ensemble : toutesfois elle n’appartient point à ce seulement, mais à ce qu’idolâtrie, blasphèmes contre le nom de Dieu et contre sa vérité, et autres scandales de la religion ne soyent publiquement mis en avant, et semez entre le peuple : à ce que la tranquillité publique ne soit troublée : qu’à chacun soit gardé ce qui est sien : que les hommes communiquent ensemble sans fraude et nuisance : qu’il y ait honnesteté et modestie entre eux : en somme qu’il apparoisse forme publique de religion entre les Chrestiens, et que l’humanité consiste entre les humains. Et ne doit sembler estrange que je remets maintenant à la police la charge de bien ordonner la religion, laquelle charge il semble que j’aye ostée ci-dessus hors de la puissance des hommes. Car je ne permets yci aux hommes de forger loix à leur plaisir touchant la religion et la manière d’honorer Dieu, non plus que je faisoye par ci-devant : combien que j’approuve une ordonnance civile, laquelle prend garde que la vraye religion qui est contenue en la Loy de Dieu, ne soit publiquement violée et pollue par une licence impunie. Mais si nous traittons particulièrement chacune partie du gouvernement civil, cest ordre aidera aux lecteurs pour entendre quel jugement il en faut avoir en général. Or il y a trois parties. La première est le Magistrat, qui est le gardien et conservateur des loix. La seconde est la loy, selon laquelle domine le Magistrat. La troisième est le peuple, qui doit estre gouverné par les loix, et obéir au Magistral. Voyons doncques premièrement de l’estat du Magistrat : asçavoir si c’est une vocation légitime et approuvée de Dieu, quel est le devoir de son office, et jusqu’où s’estend sa puissance. Secondement, de quelles loix doit estre gouvernée une police chrestienne. Finalement, en quelle sorte se peut le peuple aider des loix, et quelle obéissance il doit à son supérieur.
4.20.4
Touchant l’estat des Magistrats, nostre Seigneur n’a pas seulement testifié qu’il est acceptable devant soy, mais qui plus est, en l’ornant de tiltres honorables, il nous en a singulièrement recommandé la dignité. Et pour le démonstrer en brief, ce que tous ceux qui sont constituez en prééminence sont appelez Dieux Exo. 22.8 ; Ps. 82.1, 6, est un tiltre qu’il ne faut pas estimer de légère importance : par lequel il est démonstré qu’ils ont commandement de Dieu, qu’ils sont authorisez de luy, et que du tout ils représentent sa personne, estans aucunement ses vicaires. Et cela n’est pas une glose de ma teste, mais l’interprétation mesme de Christ : Si l’Escriture, dit-il, a appelé Dieux, ceux ausquels la Parole de Dieu s’adressoit Jean 10.35. Et qu’est-ce là autre chose, sinon qu’ils ont charge et commission de Dieu, pour luy servir en leur office : et (comme disoyent Moyse et Josaphat à leurs juges qu’ils ordonnoyent sur chacune cité de Juda) Deut. 1.16 ; 2Chr. 19.6, pour exercer justice, non au nom des hommes, mais au nom de Dieu ? A ce mesme propos appartient ce que dit la Sapience de Dieu par la bouche de Solomon, que c’est de son œuvre que les Rois régnent et que les Conseillers font justice, que les Princes s’entretienent en leur domination, et que les Juges de la terre sont équitables Prov. 8.15-16. Cela vaut autant comme qui diroit qu’il n’advient point par la perversité des hommes, que les Rois et autres supérieurs obtienent leur puissance sur la terre : mais que cela vient de la providence et saincte ordonnance de Dieu, auquel il plaist de conduire en ceste sorte le gouvernement des hommes. Ce que sainct Paul évidemment démonstre, quand il nombre les prééminences entre les dons de Dieu, lesquels estans diversement distribuez aux hommes, se doyvent employer à l’édification de l’Eglise Rom. 12.8. Car combien qu’en ce lieu-là il parle de l’assemblée des Anciens, qui estoyent ordonnez en l’Eglise primitive pour présider sur la discipline publique, lequel office il appelle en l’Epistre aux Corinthiens, Gouvernement 1Cor. 12.28 : toutesfois puis que nous voyons la puissance civile revenir à une mesme fin, il n’y a nulle doute qu’il ne nous recommande toute espèce de juste prééminence. Et il le démonstre, encores plus clairement où il entre en propre disputation de ceste matière. Car il enseigne que toute telle puissance est ordonnance de Dieu, et qu’il n’y en a nulles qui ne soyent establies de luy. Derechef, que les Princes sont ministres de Dieu pour honorer ceux qui font bien, et prendre la vengence de son ire contre ceux qui font mal Rom. 13.1, 4. Yci pareillement se doyvent rapporter les exemples des saincts personnages, desquels les uns ont obtenu royaumes, comme David, Josias, Ezéchias : les autres gouvernemens et grans Estats sous les Rois, comme Joseph et Daniel : les autres la conduite d’un peuple libre, comme Moyse, Josué et les Juges : desquels nous cognoissons l’estat avoir esté acceptable à Dieu, comme il l’a déclairé. Parquoy on ne doit aucunement douter que supériorité civile ne soit une vocation non-seulement saincte et légitime devant Dieu, mais aussi très-sacrée et honorable entre toutes les autres.
4.20.5
Ceux qui voudroyent que les hommes vesquissent pesle-mesle comme rats en paille, répliquent, encore que jadis il y eust eu des Rois et gouverneurs sur le peuple des Juifs qui estoit rude, toutesfois que ce n’est pas chose aujourd’huy convenable à la perfection que Jésus-Christ nous a apportée en son Evangile, d’estre ainsi tenus en servitude. En quoy non-seulement ils descouvrent leur bestise, mais aussi leur orgueil diabolique, en se vantant de perfection, de laquelle ils ne sçauroyent monstrer la centième partie. Mais quand ils seroyent les plus parfaits qu’on sçauroit dire, la réfutation en est bien aisée. Car David après avoir exhorté les Rois et Princes à baiser le Fils de Dieu en signe d’hommage Ps. 2.12, ne leur commande pas de quitter leur estat pour se faire personnes privées : mais d’assujetir leur authorité, et le pouvoir qu’ils obtienent à nostre Seigneur Jésus, afin qu’il ait luy seul prééminence sur tous. Pareillement Isaïe en promettant que les Rois seront nourriciers de l’Eglise, et les Roynes nourrices Esaïe 49.23, ne les dégrade pas de leur honneur, mais plustost il les establit avec tiltre honorable, patrons et protecteurs des fidèles serviteurs de Dieu. Car ceste prophétie-là appartient à la venue de nostre Seigneur Jésus. Je laisse de propos délibéré beaucoup d’autres tesmoignages qui se présenteront çà et là aux lecteurs, et sur tout aux Pseaumes. Mais il y a un lieu notable par-dessus tous en sainct Paul, où admonestant Timothée de faire prières publiques pour les Rois il adjouste quant et quant ceste raison, Afin que nous vivions paisiblement sous eux, en toute crainte de Dieu et honnesteté 1Tim. 2.2. Par lesquels mois il appert qu’il les fait tuteurs ou gardiens de l’estat de l’Eglise.
4.20.6
A quoy les Magistrats doyvent bien penser continuellement : veu que ceste considération leur peut estre un bon aiguillon pour les picquer à faire leur devoir, et leur peut apporter une merveilleuse consolation, pour leur faire prendre en patience les difficultés et fascheries qu’ils ont à porter en leur office. Car à combien grande intégrité, prudence, clémence, modération et innocence se doyvent-ils ranger et reigler, quand ils se cognoissent estre ordonnez ministres de la justice divine ? En quelle confiance oseront-ils donner entrée à quelque iniquité en leur siège, lequel ils entendront estre le throne de Dieu vivant ? En quelle hardiesse prononceront-ils sentence injuste de leur bouche, laquelle ils cognoistront estre destinée pour estre organe de la vérité de Dieu ? En quelle conscience signeront-ils quelque mauvaise ordonnance de leur main, laquelle ils sçauront estre ordonnée pour escrire les arrests de Dieu ? En somme, s’ils se souvienent qu’ils sont vicaires de Dieu, ils ont à s’employer de toute leur estude, et mettre tout leur soin de représenter aux hommes en tout leur faict, comme une image de la Providence, sauvegarde, bonté, douceur et justice de Dieu. D’avantage, ils ont à se mettre tousjours devant les yeux, que si tous ceux qui besongnent laschement en l’œuvre de Dieu sont maudits Jér. 48.10, quand il est question de faire sa vengence, par plus forte raison ceux-là sont maudits, qui en si juste vocation versent desloyamment. Pourtant Moyse et Josaphat, voulans exhorter leurs Juges à faire leur devoir, n’ont rien peu trouver pour mieux esmouvoir leur cœur, que ce que nous avons récité ci-dessus : c’est asçavoir, Voyez que vous ferez : car vous n’exercez point justice au nom des hommes, mais au nom de Dieu, lequel vous assiste aux jugemens. Maintenant doncques la crainte de Dieu soit sur vous, et regardez de faire comme il appartient : car il n’y a point de perversité envers le Seigneur nostre Dieu Deut. 1.16 ; 2Chr. 19.6. Et en un autre lieu il est dit, que Dieu s’est assis en la compagnie des dieux : et qu’au milieu des dieux il fait jugement Ps. 82.1 ; Esaïe 3.14. Ce qui doit bien toucher les cœurs des supérieurs. Car par ce ils sont enseignez qu’ils sont comme lieutenans de Dieu, auquel ils auront à rendre conte de leur charge. Et à bon droict les doit bien picquer cest advertissement : car s’ils font quelque faute, ils ne font pas seulement injure aux hommes, lesquels ils tormentent injustement, mais aussi à Dieu, duquel ils polluent les sacrez jugemens. Derechef, ils ont à se consoler très-amplement, en considérant que leur vocation n’est pas chose profane ny estrange d’un serviteur de Dieu : mais une charge très-saincte, veu qu’ils font mesmes et exécutent l’office de Dieu.
4.20.7
Au contraire, ceux qui ne se tienent pas contens de tant de tesmoignages de l’Escriture, qu’ils ne blasment encores ceste saincte vocation comme chose du tout contraire à la religion et piété chrestienne, que font-ils autre chose que brocarder Dieu mesme, sur lequel chéent tous les reproches qu’on fait à son ministère ? Et certes telle manière de gens ne réprouvent point les supérieurs, à ce qu’ils ne régnent sur eux, mais du tout ils rejettent Dieu. Car si ce qui fut dit par nostre Seigneur du peuple d’Israël, est véritable : c’est qu’ils ne pouvoyent souffrir qu’il régnast sur eux, pourtant qu’ils avoyent rejette la domination de Samuel 1Sam. 8.7. Pourquoy ne sera-il aujourd’huy aussi bien dit de ceux qui prenent licence de mesdire contre toutes les prééminences ordonnées de Dieu ? Mais ils objectent que nostre Seigneur défend à tous Chrestiens de ne s’entremettre de royaume ou supérioritez, en ce qu’il dit à ses disciples, que les Rois des gens dominent sur icelles : mais qu’il n’est pas ainsi entre eux, où il faut que celuy qui est le premier, soit fait le plus petit Luc 22.25-26. O les bons expositeurs ! Une contention s’estoit eslevée entre les Apostres, lequel seroit entre eux estimé de plus grande dignité. Nostre Seigneur pour réprimer ceste vaine ambition, déclaire que leur ministère n’est pas semblable aux royaumes, ausquels un précède comme chef sur tous les autres. Qu’est-ce, je vous prie, que ceste comparaison diminue de la dignité des Rois : et mesmes que prouve-elle du tout, sinon que l’estat royal n’est pas le ministère apostolique ? D’avantage, combien qu’il y ait diverses formes et espèces de supérieurs : toutesfois ils ne diffèrent rien en ce point, que nous ne les devions tous recevoir pour ministres ordonnez de Dieu. Car sainct Paul a comprins toutes lesdites espèces quand il a dit qu’il n’y a nulle puissance que de Dieu Rom. 13.1. Et celle qui est la moins plaisante aux hommes, est recommandée singulièrement par-dessus toutes les autres : c’est asçavoir la seigneurie et domination d’un seul homme, lasquelle pourtant qu’elle emporte avec soy une servitude commune de tous, excepté celuy seul au plaisir duquel elle assujetit tous les autres, elle n’a jamais esté agréable à toutes gens d’excellent et haut esprit. Mais l’Escriture d’autre part, pour obvier à ceste malignité des jugemens humains, afferme nommément que cela se fait par la providence de la sapience divine, que les Rois régnent Prov. 8.15 : et en spécial commande d’honorer les Rois 1Pi. 2.17.
4.20.8
Et certes c’est vaine occupation aux hommes privez : lesquels n’ont nulle authorité d’ordonner les choses publiques, de disputer quel est le meilleur estat de police. Et outre c’est une témérité d’en déterminer simplement, veu que le principal gist en circonstances. Et encores quand on compareroit les polices ensemble sans leurs circonstances, il ne seroit pas facile à discerner laquelle seroit la plus utile : tellement elles sont quasi égales chacune en son pris. On conte trois espèces de régime civil : c’est asçavoir, Monarchie, qui est la domination d’un seul, soit qu’on le nomme Roi, ou Duc, ou autrement : Aristocratie, qui est une domination gouvernée par les principaux et gens d’apparence : et Démocratie, qui est une domination populaire, en laquelle chacun du peuple a puissance. Il est bien vray qu’un Roy ou autre à qui appartient la domination, aisément décline à estre tyran. Mais il est autant facile quand les gens d’apparence ont la supériorité, qu’ils conspirent à eslever une domination inique : et encores il est beaucoup plus facile, où le populaire a authorité, qu’il esmeuve sédition. Vray est que si on fait comparaison des trois espèces de gouvernemens que j’ay récitées, que la prééminence de ceux qui gouverneront tenans le peuple en liberté, sera plus à priser : non point de soy, mais pource qu’il n’advient pas souvent, et est quasi miracle, que les Rois se modèrent si bien, que leur volonté ne se fourvoye jamais d’équité et droicture. D’autre part, c’est chose fort rare qu’ils soyent munis de telle prudence et vivacité d’esprit, que chacun voye ce qui est bon et utile. Parquoy le vice, au défaut des hommes, est cause que l’espèce de supériorité la plus passable et la plus seure, est que plusieurs gouvernent, aidans les uns aux autres, et s’advertissans de leur office, et si quelqu’un s’eslève trop haut, que les autres luy soyent comme censeurs et maistres. Car cela a tousjours esté approuvé par expérience : et Dieu aussi l’a confermé par son authorité, quand il a ordonné qu’elle eust lieu au peuple d’Israël, du temps qu’il l’a voulu tenir en la meilleure condition qu’il estoit possible, jusques à ce qu’il produisist l’image de nostre Seigneur Jésus en David, Et de faict, comme le meilleur estat de gouvernement est cestuy-là, où il y a une liberté bien tempérée et pour durer longuement : aussi je confesse que ceux qui peuvent estre en telle condition sont bien heureux, et di qu’ils ne font que leur devoir, s’ils s’employent constamment à s’y maintenir. Mesmes les gouverneurs d’un peuple libre doyvent appliquer toute leur estude à cela, que la franchise du peuple, de laquelle ils sont protecteurs, ne s’amoindrisse aucunement entre leurs mains. Que s’ils sont nonchalans à la conserver, ou souffrent qu’elle s’en aille en décadence, ils sont maistres et desloyaux. Mais si ceux qui par la volonté de Dieu vivent sous des Princes, et sont leurs sujets naturels, transfèrent cela à eux, pour estre tentez de faire quelque révolte ou changement, ce sera non-seulement une folle spéculation et inutile, mais aussi meschante et pernicieuse. Outreplus, si nous ne fichons pas seulement nos yeux sur une ville, mais que nous regardions et considérions ensemblement tout le monde, ou bien que nous jettions la veue sur divers pays, certainement nous trouverons que cela ne s’est point fait sans la providence de Dieu, que diverses régions fussent gouvernées par diverses manières de police. Car comme les élémens ne se peuvent entretenir sinon par une proportion et température inéguale : aussi les polices ne se peuvent pas bien entretenir sinon par certaine inéqualité. Combien qu’il ne soit jà mestier de remonstrer toutes choses à ceux ausquels la volonté de Dieu est suffisante pour toute raison. Car si c’est son plaisir de constituer Rois sur les royaumes, et sur les peuples libres autres supérieurs quelconques : c’est à nous à faire de nous rendre sujets et obéissans à quelconques supérieurs qui domineront au lieu où nous vivrons.
4.20.9
Or maintenant, il nous faut briefvement déclairer quel est l’office des Magistrats, selon qu’il est escrit par la Parole de Dieu, et en quelle chose il gist. Or si l’Escriture n’enseignoit qu’il appartient et s’estend à toutes les deux tables de la Loy, nous le pourrions apprendre des escrivains profanes : car n’y a nul d’entre eux ayant à traitter de l’office des Magistrats, de faire des loix : et ordonner la police, qui n’ait commencé par la religion et par le service de Dieu. Et par cela tous ont confessé qu’il ne se peut establir heureusement aucun régime en ce monde, qu’on ne prouvoye devant tout à ce point, que Dieu soit honoré ; et que les loix qui laissent derrière l’honneur de Dieu pour seulement procurer le bien des hommes, mettent la charrue devant les bœufs. Puis doncques que la religion a tenu le premier et souverain degré entre les Philosophes, et que cela a esté observé tousjours entre les peuples d’un commun accord, les Princes et Magistrats chrestiens doyvent bien avoir honte de leur brutalité, s’ils ne s’adonnent songneusement à ceste estude. Et desjà nous avons monstré que ceste charge leur est spécialement commise de Dieu. Comme c’est bien raison, puis qu’ils sont ses vicaires et officiers, et qu’ils dominent par sa grâce, qu’aussi ils s’employent à maintenir son honneur. Et les bons Rois que Dieu a choisis entre les autres, sont notamment louez de ceste vertu en l’Escriture, d’avoir remis au-dessus le service de Dieu, quand il estoit corrompu ou dissipé : ou bien d’avoir eu le soin que la vraye religion florist et demeurast en son entier. Au contraire l’histoire saincte, entre les inconvénients qu’apporte le défaut d’un bon gouvernement, dit que les superstitions avoyent la vogue, pource qu’il n’y avoit point de Roy en Israël ; et que chacun faisoit ce qu’il luy sembloit Jug. 21.25. Dont il est aisé de rédarguer la folie de ceux qui voudroyent que les Magistrats, mettans Dieu et la religion sous le pied, ne se meslassent que de faire droict aux hommes. Comme si Dieu avoit ordonné des supérieurs en son nom pour décider les différens et procès des biens terriens, et qu’il eust mis en oubli le principal, asçavoir qu’il soit deuement servy selon la reigle de sa Loy. Mais l’appétit et convoitise de tout innover, changer et remuer sans estre reprins, pousse tels esprits meutins et volages, de faire, s’il leur estoit possible, qu’il n’y eust nul juge au monde pour les tenir en bride. Quant à la seconde Table, Jérémie admoneste les Rois de faire jugement et justice : de délivrer celuy qui est opprimé par force, de la main du calomniateur : de ne contrister point les estrangers, vefves et orphelins : de ne faire injure aucune : de ne point espandre le sang innocent Jér. 21.12 ; 22.3. A quoy s’accorde l’exhortation conforme au Psaume LXXXII, de faire droict au povre et indigent, d’absoudre les povres et diseteux, et retirer les débiles et les povres de la main de l’oppresseur Ps. 82.3-4. Derechef Moyse commande aux gouverneurs, lesquels il avoit mis en sa place, d’ouyr la cause de leurs frères, de faire justice à celuy qui la demanderoit Deut. 1.16 : tant contre son frère que contre un estranger : de n’avoir point acception de personnes en jugement, mais faire droict tant au petit qu’au grand, et ne décliner point pour crainte des hommes, puis que le jugement est de Dieu. Je laisse ce qui est escrit en un autre lieu : c’est que les Rois ne doyvent multiplier leurs chevaux Deut. 17.16, ne mettre leur cœur à l’avarice, ne s’eslever orgueilleusement par-dessus leurs prochains : mais doyvent estre tout le temps de leur vie assiduellement à méditer la Loy de Dieu. Item, que les Juges ne doyvent décliner en une partie ny en l’autre, et n’accepter présens aucuns Deut. 16.19 : et autres sentences semblables, qu’on lit communément en l’Escriture. Car ce que j’ay yci entreprins de déclairer l’office des Magistrats, n’est pas tant pour les instruire de ce qu’ils ont à faire, que pour monstrer aux autres que c’est qu’un Magistrat, et à quelle fin il est ordonné de Dieu. Nous voyons doncques que les Magistrats sont constituez protecteurs et conservateurs de la tranquillité, honnesteté, innocence et modestie publique Rom. 13.3 : lesquels se doyvent employer à maintenir le salut et la paix commune de tous. Desquelles vertus David promet d’estre comme patron, quand il sera eslevé au siège royal : asçavoir de ne point dissimuler les forfaits et iniquitez, mais détester les meschans oppresseurs et orgueilleux Ps. 101.3-8, et de chercher de tous costez des bons conseilliers et fidèles. Or pour tant qu’ils ne se peuvent acquitter de cela, sinon qu’ils défendent les bons contre les injures des mauvais, et qu’ils subvienent et donnent aide à ceux qui sont oppressez : à ceste cause ils sont armez de puissance, pour réprimer et rigoureusement punir les malfaiteurs, par la meschanceté desquels la paix publique est troublée. Car à dire vray, nous voyons par expérience ce que disoit Solon, que toutes les Républiques consistent en deux choses : c’est asçavoir en la rémunération des bons, et en la punition des mauvais : lesquelles deux choses ostées, toute la discipline des sociétez humaines est dissipée et mise à néant. Car il y en a plusieurs qui n’ont pas grand’cure de bien faire, s’ils ne voyent les vertus estre récompensées par quelque honneur. Et d’autre part, la concupiscence des mauvais ne se peut refréner, s’ils ne voyent la vengence et punition preste. Et aussi ces deux parties sont comprinses au Prophète, en ce qu’il commande aux Rois et autres supérieurs, de faire jugement et justice Jér. 21.12 ; 22.3. Justice est, de recevoir les innocens en leur sauvegarde, les maintenir, défendre, soustenir et délivrer. Jugement est, de résister à la hardiesse des meschans, réprimer leurs violences, et punir leurs délicts.
4.20.10
Mais yci s’esmeut une question haute et difficile : asçavoir s’il est point défendu à tout Chrestien d’occir. Car si Dieu par sa Loy le défend, et si le Prophète prédit de l’Eglise de Dieu, qu’en icelle on n’affligera point, et ne fera-on mal à aucun Esaïe 11.9 ; 65.25, comme peuvent les Magistrats sans offense de piété, espandre sang humain ? Mais d’autre part, si nous entendons que le Magistrat en punissant ne fait rien de soy, ains que seulement il exécute les jugemens mesmes de Dieu, ce scrupule ne nous empeschera pas fort. Vray est que la Loy de Dieu défend d’occir Exo. 20.13 ; Deut. 5.17 ; Matt. 5.21 : au contraire aussi, afin que les homicides ne demeurent impunis, le souverain Législateur met le glaive en la main de ses ministres, pour en user contre les homicides. Et n’appartient pas aux fidèles d’affliger ne faire nuisance. Mais aussi ce n’est pas faire nuisance, ny affliger, de venger par le mandement de Dieu les afflictions des bons. Pourtant il est facile de conclurre qu’en ceste partie ils ne sont sujets à la loy commune : par laquelle combien que le Seigneur lie les mains de tous les hommes, toutesfois il ne lie pas sa justice, laquelle il exerce par les mains des Magistrats. Tout ainsi que quand un Prince défend à tous ses sujets de porter baston, ou blesser aucun, il n’empesche pas néantmoins ses officiers d’exécuter la justice, laquelle il leur a spécialement commise. Je voudroye que nous eussions tousjours ceste considération devant les yeux, qu’en cela il ne se fait rien par la témérité des hommes, mais de l’authorité de Dieu qui le commande ainsi faire, en la conduite de laquelle on ne décline jamais de la droicte voye. Car en considérant cela, nous ne trouverons rien à reprendre en la vengence publique, sinon que nous vueillons empescher la justice de Dieu, de punir les maléfices. Or s’il ne nous est licite de luy imposer loy, pourquoy calomnions-nous les ministres d’icelle ? Ils ne portent point le glaive sans cause, dit sainct Paul : car ils sont ministres de Dieu pour servir à son ire, et prendre vengence de ceux qui font mal Rom. 13.4. Parquoy si les Princes et autres supérieurs cognoissent qu’il n’y a rien plus agréable à Dieu que leur obéissance, s’ils veulent plaire à Dieu en piété, justice et intégrité, qu’ils s’employent à la correction et punition des pervers. Certainement Moyse estoit esmeu de ceste affection, quand se voyant estre ordonné par la vertu du Seigneur à faire la délivrance de son peuple, il meit à mort l’Egyptien Exo. 2.12 ; Actes 7.28. Derechef, quand il punit l’idolâtrie du peuple par la mort de trois mille hommes Exo. 32.27. David aussi estoit mené de tel zèle, quand sur la fin de ses jours il commanda à son fils Solomon de tuer Joab et Séméi 1Rois 2.5. Dont aussi en parlant des vertus royales, il met ceste-ci au nombre de raser les meschans de la terre, afin que tous les iniques soyent exterminez de la ville de Dieu Ps. 101.8. A cela aussi se rapporte la louange qui est donnée à Solomon, Tu as aymé justice, et as hay l’iniquité Ps. 45.7. Comment l’esprit de Moyse, doux et bénin, se vient-il à enflamber d’une telle cruauté, qu’ayant les mains sanglantes du sang de ses frères, il ne face fin de tuer, jusques à en avoir occis trois mille Exo. 32.27. Comment David, homme de si grande mansuétude en sa vie, fait-il entre ses derniers souspirs un testament si inhumain, en ordonnant que son fils ne conduise point jusques au sépulchre la vieillesse de Joab et Séméi en paix 1Rois 2.5-8 ? Mais certes l’un et l’autre, en exécutant la vengence à eux commise de Dieu, ont par icelle cruauté (si ainsi elle doit estre nommée) sanctifié leurs mains, lesquelles ils eussent souillées en pardonnant. C’est abomination devant les Rois, dit Solomon, de faire iniquité : car un siège royal est confermé par justice Prov. 16.12. Derechef, le Roy qui sied au throne de jugement, jette l’œil sur tous les mauvais Prov. 20.8 : c’est asçavoir, pour les punir. Item, Le Roy sage dissipe les meschans, et les tourne sur la roue Prov. 20.26. Item, Qu’on sépare l’escume de l’argent, et l’orfèvre fera le vaisseau qu’il demande : qu’on oste l’homme pervers de devant la face du Roy, et son throne sera estably en justice Prov. 25.4-5. Item, Tant celuy qui justifie l’inique, que celuy qui condamne le juste, est abominable à Dieu Prov. 17.15. Item, Celuy qui est rebelle attire la calamité sur soy : et le message de mort luy est envoyé Prov. 17.11. Item, Les peuples et nations maudissent celuy qui dit à l’inique. Tu es juste Prov. 24.24. Or si leur vraye justice est de persécuter les meschans à glaive desgainé, s’ils se veulent abstenir de toute sévérité, et conserver leurs mains nettes de sang, ce pendant que les glaives des meschans sont desgainez à faire meurtres et violences, ils se rendront coulpables de grande injustice : tant s’en faut qu’en ce faisant ils soyent louez de justice, ou de bonté. Toutesfois j’enten avec cela, que trop grande et trop aspre rudesse n’y soit meslée, et que le siège d’un juge ne soit pas un gibet desjà dressé. Car je ne suis pas celuy qui vueille favoriser à quelque cruauté désordonnée, ou qui vueille dire qu’une bonne et juste sentence se puisse prononcer sans clémence : laquelle tousjours doit avoir lieu au conseil des Rois, et laquelle, comme dit Solomon, est la vraye conservation du throne royal Prov. 20.28. Et pourtant il n’a pas esté mal dit anciennement de quelqu’un, que c’estoit la principale vertu des Princes. Mais il faut qu’un Magistrat se donne garde de tous les deux : c’est asçavoir que par sévérité désordonnée il ne navre plus qu’il ne médecine : ou que par folle et superstitieuse affectation de clémence, il ne soit cruel en son humanité, en abandonnant toutes choses par sa facilité, avec le grand détriment de plusieurs. Car ce qui s’ensuyt n’a pas esté autresfois dit sans cause : c’est qu’il fait mauvais vivre sous un Prince, sous lequel rien ne soit permis : mais qu’il fait beaucoup pire sous celuy qui laisse toutes choses en abandon[b].
[b] Apud Dionem.
4.20.11
Or pourtant qu’il est quelquesfois nécessaire aux Rois et aux peuples d’entreprendre guerre pour exercer icelle vengence, nous pouvons de ceste raison pareillement estimer que les guerres tendantes à celle fin, sont légitimes. Car si la puissance leur est baillée pour conserver la tranquillité de leur pais et territoire, pour réprimer les séditions des hommes noiseux et ennemis de paix, pour secourir ceux qui souffrent violence, pour chastier les maléfices, la pourroyent-ils employer à meilleure occasion, qu’à rompre et abatre les efforts de ceux par lesquels tant le repos d’un chacun particulièrement, que la commune tranquillité de tous est troublée, et lesquels séditieusement font esmeutes, violences, oppressions, et autres maléfices ? S’ils doyvent estre gardes et défenseurs des loix, il appartient qu’ils rompent les efforts de tous ceux par l’injustice desquels la discipline des loix est corrompue. Et mesmes s’ils punissent à bon droict les brigans lesquels n’auront fait tort qu’à peu de personnes, doyvent-ils laisser toute la région estre vexée par briganderies, sans y mettre la main ? Car il ne peut chaloir si celuy qui se jette sur le territoire d’autruy, auquel il n’a nul droict pour y faire pillages et meurtres, soit Roy ou homme de bas estat. Toutes telles manières de gens doyvent estre réputez comme brigans, et punis pour tels. La nature mesme nous enseigne cela, que le devoir des Princes est d’user du glaive, non-seulement pour corriger les fautes des personnes privées, mais aussi pour la défense des pais à eux commis, si on y fait quelque agression. Pareillement le sainct Esprit nous déclaire en l’Escriture, que telles guerres sont légitimes.
4.20.12
Si quelqu’un objecte qu’il n’y a nul tesmoignage ny exemple au Nouveau Testament, pour prouver qu’il soit licite aux Chrestiens de faire guerre : premièrement. Je respon que la mesme raison qui estoit anciennement, dure encores aujourd’huy : et qu’il n’y a au contraire nulle cause qui empesche les Princes de maintenir leurs sujets. Secondement, je di qu’il ne faut point chercher déclaration de cela en la doctrine des Apostres, veu que leur intention a esté d’enseigner quel est le règne spirituel de Christ, non point d’ordonner les polices terriennes. Finalement, je respon que nous pouvons bien recueillir du Nouveau Testament, que Jésus-Christ par sa venue n’a rien changé en cest endroict. Car si la discipline chrestienne, comme dit sainct Augustin, condamnoit toutes guerres, sainct Jehan-Baptiste eust donné conseil aux gendarmes qui veindrent à luy pour s’enquérir de leur salut, de jetter les armes bas et renoncer du tout à telle vacation. Or il leur a seulement défendu de ne faire violence, ne tort à personne, et leur a commandé de se contenter de leurs gages. En leur commandant de se contenter de leurs gages, il ne leur a point défendu de guerroyer[c]. Mais les Magistrats ont yci à se donner garde de n’obéir tant soit peu à leurs cupiditez. Plustost au contraire, soit qu’ils ayent à faire quelque punition, ils se doyvent abstenir d’ire, de haine, de sévérité trop rigoureuse. Et mesmes, comme dit sainct Augustin, pour l’humanité commune ils doyvent avoir compassion de celuy lequel ils punissent pour ses propres maléfices. Soit qu’il fale prendre les armes contre quelques ennemis, c’est-à-dire contre les brigans armez, ils ne doyvent point chercher occasion légère, et mesmes quand l’occasion s’offroit, ils la doyvent fuir, s’ils ne sont contraints par grande nécessité. Car s’il nous faut encores beaucoup mieux faire que les Payens n’enseignent, desquels quelqu’un dit, que la guerre ne doit tendre à autre fin qu’à chercher paix : il faut certes essayer tous moyens devant que venir aux armes[d]. Brief, en toute effusion de sang les Magistrats ne se doyvent permettre d’estre transportez d’affection particulière : mais doyvent estre menez d’un courage publique : autrement ils abusent meschamment de leur puissance, laquelle ne leur est pas donnée pour leur proufit particulier, mais pour en servir aux autres. De ce droict de batailler s’ensuyt que les garnisons, alliances et autres munitions civiles sont aussi licites. J’appelle Garnisons, les gendarmes qui sont disposez par les villes limitrophes, pour la conservation de tout le pays. J’appelle Alliances, les confédérations que font ensemble quelques Princes voisins, afin de s’aider l’un l’autre, s’il advenoit quelque trouble en leur territoire, et de résister en commun aux communs ennemis du genre humain. J’appelle Munitions civiles, toutes provisions qui appartienent à l’usage de guerre Luc 3.14.
[c] August., epist. V, Ad Marcellinum.
[d] Cicero, Officiorum, I.
4.20.13
Il me semble expédient d’adjouster encores ce point pour la fin : c’est que les tributs et imposts lesquels reçoyvent les Princes, leur sont revenus légitimes : lesquels néantmoins ils doyvent principalement employer à soustenir les charges de leur estat. Combien qu’aussi ils en puissent licitement user à entretenir assez amplement leur dignité domestique, laquelle est aucunement conjoincte avec la majesté de leurs offices. Comme nous voyons que David, Ezéchias, Josias, Josaphat et les autres saincts Rois, pareillement Joseph, Daniel ont sans offense de conscience vescu somptueusement du public, selon l’estat où ils estoient colloquez. Et d’avantage nous lisons en Ezéchiel, que grandes possessions par l’ordonnance de Dieu furent assignées aux Rois Ezéch. 48.21. Auquel lieu combien qu’il descrive le royaume spirituel de Christ, toutesfois il en prend le patron d’un royaume des hommes droict et légitime. Toutesfois il doit d’autre part souvenir aux Princes, que leurs domaines ne sont pas tant revenus privez, que pour appliquer au bien publique de tout le peuple, comme mesmes sainct Paul le tesmoigne Rom. 13.6, et pourtant, qu’ils n’en peuvent prodigalement abuser, sans faire injure au public. Ou plustost encores ils doyvent penser que c’est le propre sang du peuple, auquel ne point pardonner, c’est une très-cruelle inhumanité. Outreplus, ils doyvent estimer que leurs tailles, imposts, et autres espèces de tributs ne sont sinon subsides de la nécessité publique : desquels grever le povre populaire sans cause, c’est tyrannie et pillage. Ces choses ainsi remonstrées, ne donnent point courage aux Princes de faire despense et largesses désordonnées (comme certes il n’est pas mestier d’augmenter leurs cupiditez, lesquelles sont d’elles-mesmes trop plus enflambées qu’il ne faudroit), mais comme il est bien nécessaire qu’ils n’entreprenent rien sinon en saine conscience devant Dieu, afin qu’en osant d’avantage, ils ne vienent en contemnement de sa majesté, il est expédient qu’ils entendent que c’est qui leur est licite. Et n’est pas ceste doctrine superflue aux personnes privées, lesquelles par cela apprendront de ne reprendre et condamner la despense des Princes, combien qu’elle outrepasse l’ordre et l’usage commun.
4.20.14
Après les Magistrats s’ensuyvent les loix, qui sont vrais nerfs, ou (comme Cicéron après Platon les appelle) âmes de toutes Républiques : sans lesquelles loix ne peuvent aucunement consister les Magistrats, comme derechef elles sont conservées et maintenues par les Magistrats. Pourtant, on ne pouvoit mieux dire, que d’appeler la loy, un Magistrat muet, et le Magistrat, une loy vive. Or ce que j’ay promis de déclairer par quelles loix doit estre gouvernée une police chrestienne, n’est pas que je vueille entrer en longue disputation, asçavoir quelles seroyent les meilleures loix : laquelle seroit infinie, et ne convient pas à nostre présent propos. Seulement je marqueray en brief, et comme en passant, de quelles loix elle peut sainctement user devant Dieu, et estre justement conduite envers les hommes. Ce que mesmes j’eusse laissé à dire, n’estoit que je voy que plusieurs errent dangereusement en cest endroict. Car aucuns nient qu’une République soit bien ordonnée, si en délaissant la police de Moyse, elle est gouvernée des communes loix des autres nations. De laquelle opinion je laisse à penser aux autres combien elle est dangereuse et séditieuse. Il me suffira à présent de monstrer qu’elle est plénement fausse et folle. Premièrement, il nous faut noter la distinction commune, laquelle divise toute la Loy de Dieu baillée par Moyse en trois parties : c’est asçavoir en mœurs, cérémonies, et jugemens. Et faut considérer à part chacune des parties, pour bien entendre ce qui nous en appartient ou non. Or ce pendant nul ne se doit arrester à ce scrupule, que mesmes les jugemens et cérémonies sont contenues sous les mœurs. Car les anciens qui ont trouvé ceste distinction, combien qu’ils n’ignorassent point que les cérémonies et jugemens se rapportoyent aux mœurs : néantmoins pourtant que l’un et l’autre se pouvoir changer et abolir, sans corrompre ne diminuer les bonnes mœurs, à ceste cause ils n’ont point appelé ces deux parties, Morales : mais ont attribué ce nom à icelle partie, de laquelle dépend la vraye intégrité des mœurs.
4.20.15
Nous commencerons doncques à la loy morale, laquelle comme ainsi soit qu’elle contiene deux articles, dont l’un nous commande de simplement honorer Dieu par pure foy et piété, et l’autre d’estre conjoincts avec nostre prochain par vraye dilection, à ceste cause elle est la vraye et éternelle reigle de justice, ordonnée à tous hommes eu quelque pays qu’ils soyent, ou en quelque temps qu’ils vivent, s’ils veulent reigler leur vie à la volonté de Dieu. Car c’est sa volonté éternelle et immuable, qu’il soit honoré de nous tous, et que nous nous aimions mutuellement l’un l’autre. La loy cérémoniale a esté une pédagogie de Juifs, c’est-à-dire doctrine puérile, laquelle il a pleu à nostre Seigneur de donner à ce peuple-là comme une exercitation de son enfance, jusques à ce que le temps de plénitude veinst, auquel il manifestast les choses qui estoyent lors figurées en ombre Gal. 4.4. La loy judiciale qui leur estoit baillée pour police, leur enseignoit certaines reigles de justice et d’équité, pour vivre paisiblement ensemble, sans faire nuisance les uns aux autres. Or comme l’exercitation des cérémonies appartenoit à la doctrine de piété, qui est le premier point de la loi morale, (d’autant qu’elle nourrissoit l’Eglise judaïque en la révérence de Dieu) toutesfois elle estoit distincte de la vraye piété : aussi pareillement combien que leur loy judiciaire ne tendist à autre fin qu’à la conservation d’icelle mesme charité qui est commandée en la Loy de Dieu, toutesfois elle avoit sa propriété distincte, qui n’estoit pas comprinse sous, le commandement de charité. Comme doncques les cérémonies ont esté abroguées, la vraye religion et piété demeurant en son entier : aussi lesdites loix judiciaires peuvent estre cassées et abolies, sans violer aucunement le devoir de charité. Or si cela est vray (comme certainement il est) la liberté est laissée à toutes nations de se faire telles loix qu’ils adviseront leur estre expédientes, lesquelles néantmoins soyent compassées à la reigle éternelle de charité : tellement qu’ayans seulement diverse forme, elles vienent à un mesme but. Car je ne suis point d’advis qu’on doyve réputer pour loix je ne sçay quelles loix barbares et bestiales : comme estoyent celles qui rémunéroyent les larrons par certain pris : qui permettoyent indifféremment la compagnie d’hommes et de femmes, et autres encores plus vilenes, outrageuses, et exécrables : veu qu’elles sont estranges non-seulement de toute justice, mais aussi de toute humanité.
4.20.16
Ce que j’ay dit s’entendra clairement, si en toutes loix nous contemplons les deux choses qui s’ensuyvent : c’est asçavoir l’ordonnance de la loy, et l’équité sur la raison de laquelle est fondée l’ordonnance. L’équité, d’autant qu’elle est naturelle, est tousjours une mesme à tous peuples : et pourtant toutes les loix du monde de quelque affaire que ce soit, doyvent revenir à une mesme équité. Touchant des constitutions ou ordonnances, d’autant qu’elles sont conjoinctes avec circonstances, dont elles dépendent en partie, il n’y a nul inconvénient qu’elles soyent diverses, mais qu’elles tendent toutes pareillement à un mesme but d’équité. Or comme ainsi soit que la loy de Dieu, que nous appelons Morale, ne soit autre chose sinon qu’un tesmoignage de la loy naturelle et de la conscience, laquelle nostre Seigneur a imprimée au cœur de tous hommes, il n’y a nulle doute que ceste équité de laquelle nous parlons maintenant, ne soit en icelle du tout déclairée. Pourtant il convient qu’icelle équité seule soit le but, la reigle et la fin de toutes loix. Derechef, toutes loix qui seront compassées à ceste reigle, qui tendront à ce but, et qui seront limitées en ces bornes, ne nous doyvent desplaire, comment que ce soit qu’elles diffèrent de la Loy mosaïque, ou bien entre elles-mesmes. La Loy de Dieu défend de desrober. On peut veoir en Exode quelle peine estoit constituée sur les larrecins en la police des Juifs Exo. 22.1. Les plus anciennes loix des autres nations punissoyent les larrons, leur faisant rendre au double de ce qu’ils avoient desrobé. Celles qui sont venues après, ont discerné entre le larrecin manifeste et occulte. Les autres ont procédé jusques à bannissement : aucunes jusques au fouet : les autres jusques à la mort. La Loy de Dieu défend de porter faux tesmoignage. Un faux tesmoignage estoit puni entre les Juifs de pareille peine qu’eust encouru celuy qui estoit faussement accusé, s’il eust esté convaincu Deut. 19.19. En aucuns autres pays il n’y avoit que peine d’ignominie : et en aucuns autres, du gibet. La Loy de Dieu défend de commettre homicide : toutes les loix du monde d’un commun accord punissent mortellement les homicides : toutesfois par divers genres de mort. Mais si est-ce qu’en telle diversité elles tendent toutes à une mesme fin. Car toutes ensemblement prononcent sentence de condamnation contre les crimes qui sont condamnez par la Loy éternelle de Dieu : c’est asçavoir, homicides, larrecins, adultères, faux tesmoignages : seulement elles ne convienent en équalité de peine. Ce qui n’est pas nécessaire, ne mesmes expédient. Il y a telle région qui seroit incontinent désolée par meurtres et brigandages, si elle n’exerçoit horribles supplices sur les homicides. Il y a tel temps qui requiert que les punitions soyent augmentées. S’il est advenu quelque trouble en un pays, il faudra corriger par nouveaux édits les maux qui ont accoustumé d’en sourdre. En temps de guerre on oublieroit toute humanité, si on n’y tenoit la bride plus estroite en punissant les excès. Pareillement tout seroit confus en temps de peste ou de famine, si on n’usoit de sévérité plus grande. Il y a telle nation qui a mestier d’estre griefvement corrigée de quelque vice spécial, auquel autrement elle seroit encline plus qu’autres. Celuy qui s’offenseroit de telle diversité, laquelle est très-propre à maintenir l’observance de la Loy de Dieu, ne devroit-il pas être jugé bien malin et envieux du bien public ? Car ce qu’aucuns ont accoustumé d’objecter, qu’on fait injure à la Loy de Dieu baillée par Moyse, quand en l’abolissant on luy en préfère des autres nouvelles, est chose trop frivole. Car les loix que chacuns supérieurs ont en leurs pays, ne sont pas simplement préférées à icelle comme meilleures : mais selon la condition et circonstance du temps, du lieu, et de la nation. D’avantage en ce faisant elle n’est point abroguée ne cassée, veu que jamais elle ne nous a esté commandée entre nous Gentils. Car nostre Seigneur ne l’a pas administrée par la main de Moyse, pour la publier sur toute nation et observer en toute la terre : mais ayant receu le peuple judaïque en sa spéciale sauvegarde, protection, conduite, et gouvernement, il luy a voulu estre aussi particulièrement Législateur : et comme il appartenoit à un bon Législateur et sage, il a eu en toutes les loix un singulier esgard à l’utilité de ce peuple.
4.20.17
Il reste maintenant de veoir ce que nous avions proposé au dernier lieu : c’est asçavoir en quelle sorte la compagnie des Chrestiens se peut aider des loix, des jugemens et des Magistrats : dont provient aussi une autre question, c’est quel honneur doyvent porter les personnes privées à leurs supérieurs, et jusques où elles leur doyvent obéir. Plusieurs estiment l’estat des Magistrats inutile entre les Chrestiens : lequel il ne leur est licite d’implorer, d’autant que toute vengence, toute contrainte et tout plaidoyer leur est défendu. Mais au contraire, puis que sainct Paul clairement tesmoigne qu’ils nous sont ministres de Dieu en bien Rom. 13.4 : par cela nous entendons la volonté de Dieu estre telle, que soyons défendus et gardez par leur puissance et confort contre la mauvaistie et injustice des iniques, et que nous vivions paisiblement sous leur sauvegarde. Or s’il est ainsi qu’ils nous seroyent en vain donnez de Dieu pour nostre protection, s’il ne nous estoit licite d’user d’un tel bien et bénéfice : il s’ensuyt manifestement que sans offense nous les pouvons implorer et requérir. Mais j’ay yci affaire à deux manières de gens. Car il y en a plusieurs qui bruslent d’une si grande rage de plaidoyer, que jamais ils n’ont repos en eux-mesmes, sinon quand ils combatent contre les autres. D’avantage, ils ne commencent jamais leurs plaidoyers qu’avec haines immortelles, et une convoitise désordonnée de nuire et faire vengence : et les poursuyvent avec une obstination endurcie, jusques à la ruine de leur adversaire. Ce pendant afin qu’il ne semble pas advis qu’ils facent rien que droictement, ils défendent telle perversité sous ombre de s’aider de justice. Mais il ne s’ensuyt pas que s’il est permis à quelqu’un de contraindre son prochain par jugement de faire raison, qu’il luy soit pourtant licite de le hayr, de luy porter affection de nuisance, de le poursuyvre obstinément sans miséricorde.
4.20.18
Que telles gens doncques apprenent ceste maxime : Que les jugemens sont légitimes à ceux qui en usent droictement. Derechef, que le droict usage est tel : Premièrement au demandeur, si estant injustement violé et oppressé, soit en son corps, soit en ses biens, il se vient mettre en la garde du Magistrat, luy expose sa complainte, luy fait sa requeste juste et équitable, mais sans quelque cupidité de vengence ou nuisance, sans haine et amertume, sans ardeur de contention : au contraire, estant plustost prest de quitter le sien et souffrir toutes choses, que de concevoir courroux et haine contre son adversaire. Secondement au défendeur, si estant adjourné il comparoist à l’assignation et défend sa cause par les meilleures excuses et raisons qu’il peut, sans amertume aucune, mais d’une simple affection de conserver ce qui est sien, en justice. D’autrepart, si les courages sont entachez de malvueillance, corrompus d’envie, enflambez d’indignation, stimulez de vengence, ou comment que ce soit tellement picquez que la charité en soit diminuée, toutes les procédures des plus justes causes du monde ne peuvent estre qu’iniques et meschantes. Car il faut que ceste résolution soit arrestée entre tous les Chrestiens, que nul ne peut mener procès, quelque bonne et équitable cause qu’il ait, s’il ne porte à son adversaire une mesme affection de bénévolence et dilection, que si l’affaire qui est débatue entre eux estoit desjà amiablement traitté et appaisé. Quelqu’un possible objectera, que tant s’en faut que jamais on voye en jugement une telle modération et tempérance, que s’il advenoit quelquesfois d’y en veoir, on le tiendroit pour un monstre. Certes je confesse que selon qu’est aujourd’huy la perversité des hommes, on ne trouve guères d’exemples de justes plaidoyeurs : mais toutesfois la chose de soy ne laisse pas d’estre bonne et pure, si elle n’estoit souillée de mauvais accessoire. Au reste, quand nous oyons dire que l’aide du Magistrat est un sainct don de Dieu, d’autant plus nous faut-il songneusement garder de le polluer par nostre vice.
4.20.19
Mais ceux qui simplement et du tout réprouvent toutes controversies de jugemens, doyvent entendre qu’ils rejettent une saincte ordonnance de Dieu, et un don du nombre de ceux qui peuvent estre purs à ceux qui sont purs : s’ils ne veulent accuser sainct Paul de crime, lequel a repoussé les mensonges et fausses injures de ses accusateurs, mesmes en descouvrant leur cautèle et malice, et en jugement a acquis le privilège de la cité romaine à luy deu : et quand mestier a esté il a appelé de la sentence inique du Lieutenant, au siège impérial de César Actes 22.1 ; 24.12 ; 25.10-11. Et ne contrevient point à ce, la défense faite à tous Chrestiens de n’avoir aucune convoitise de vengence Lév. 19.18 ; Matt. 5.39 ; Deut. 32.35 ; Rom. 12.19 : laquelle convoitise aussi nous voulons estre excluse de tous les plaidoyers des fidèles. Car soit en matière civile qu’on plaide, celuy ne marche point droictement qui fait autre chose que commettre sa cause en la main du Juge comme d’un tuteur public, en une simplicité innocente, et ne pensant rien moins que de rendre mal pour mal, qui est l’affection de vengence : soit en matière criminelle qu’on poursuyve aucune cause, je n’approuve point un accusateur, sinon celuy qui vient en jugement sans estre aucunement esmeu d’ardeur de vengence, sans estre aucunement picqué de son offense privée, mais seulement ayant affection d’empescher la mauvaistie de celuy qui l’accuse, et de rompre ses efforts, afin qu’ils ne nuisent au public. Or quand le courage de vengence est osté, il ne se commet rien contre ce commandement par lequel la vengence est défendue aux Chrestiens. Et si on vient à objecter, que non-seulement il leur est défendu d’appéter vengence, mais aussi qu’il est commandé, d’attendre la main du Seigneur, lequel promet de subvenir aux affligez et oppressez, et pourtant que ceux qui requièrent l’aide du Magistrat pour eux, ou pour les autres, anticipent ceste vengence de Dieu : je respon que non font. Car il faut penser que la vengence du Magistrat n’est pas de l’homme, mais de Dieu : laquelle (comme dit sainct Paul) nous est eslargie de luy par le ministère des hommes Rom. 13.4.
4.20.20
Nous ne combatons non plus contre les paroles de Christ : par lesquelles il défend de résister au mal, et commande de présenter la joue droicte à celuy qui nous aura frappé en la senestre, et de laisser le manteau à celuy qui nous aura osté nostre saye Matt. 5.39 : Vray est que par cela il requiert que les courages de ses serviteurs se démettent tellement de convoitise de vengence, qu’ils ayment mieux que l’injure leur soit doublée, que de penser comment ils rendront la pareille : de laquelle patience nous aussi ne le destournons point. Car véritablement il faut que les chrestiens soyent comme un peuple nay et fait à souffrir injures et contumélies, estant sujet à la mauvaistie, aux tromperies et mocqueries des meschans. Et non-seulement ce, mais il faut aussi qu’ils portent tous ces maux en patience : c’est-à-dire qu’ils ayent leurs cœurs rangez à ceste raison, qu’ayans souffert une affliction ils s’apprestent à en recevoir une autre : et n’attendent autre chose en toute leur vie, sinon une souffrance de croix perpétuelle. Cependant, qu’ils facent bien à ceux qui leur tiennent tort, et qu’ils prient pour ceux qui mesdisent d’eux, et s’efforcent de vaincre le mal par le bien Rom. 12.14, 21, qui est leur seule victoire. Quand ils auront leurs vouloirs ainsi disposez, ils ne demanderont point un œil pour un œil, ny une dent pour une dent (comme les Pharisiens enseignoyent leurs disciples d’appéter vengence) mais (comme Christ instruit les siens) ils souffriront tellement les offenses qui leur seront faites en leurs corps et en leurs biens, qu’ils seront prests de les pardonner incontinent Matt. 5.39. D’autrepart néantmoins, ceste douceur et modération de leurs courages n’empeschera point qu’en gardant entière amitié envers leurs ennemis, ils ne s’aident du confort du Magistrat à la conservation de leur bien : ou que pour l’affection du bien public ils ne demandent la punition des pervers et pestilens, lesquels on ne peut autrement corriger qu’en les punissant. Sainct Augustin touche à la vérité ce qui en est, disant que tous ces commandemens tendent à ce but, qu’un homme de bien et craignant Dieu soit prest d’endurer patiemment la malice de ceux lesquels il désire estre bons, afin que le nombre des bons croisse, plustost que luy s’adjoigne à la compagnie des meschans. Secondement, qu’ils appartienent plus à l’affection intérieure du cœur qu’à l’œuvre extérieure, afin qu’au dedans du cœur nous ayons patience, aimans nos ennemis : ce pendant, que nous facions par dehors ce que nous cognoissons estre utile pour le salut de ceux ausquels nous devons porter amitié[e].
[e] Epist. V. Ad Marcellin.
4.20.21
Finalement, l’objection qu’on a accoustumé de faire, que tous plaidoyers, sont condamnez par sainct Paul, est très-fausse. Il est facile d’entendre par ses paroles, qu’il y avoit en l’Eglise des Corinthiens une ardeur véhémente et désordonnée de plaidoyer 1Cor. 6.6, jusques à donner aux infidèles occasion de mesdire de l’Evangile et de toute la religion chrestienne. C’est ce que sainct Paul reprend premièrement en eux, que par l’intempérance de leurs contentions ils diffamoyent l’Evangile entre les infidèles. D’avantage, il reprend aussi ceste faute en eux, qu’ils discordoyent ainsi entre eux frères avec frères, et estoyent si loing de souffrir injure, que mesmes ils convoitoyent les biens les uns des autres, s’assailloyent, et portoyent dommage les uns aux autres. C’est doncques contre ceste cupidité enragée de plaidoyer qu’il combat, et non simplement contre toutes controversies. Mais il déclaire que du tout c’est mal fait, de ne pas plustost souffrir dommage et perdre de ses biens, que de travailler pour la conservation d’iceux, jusques à contentions : voyre, pource qu’ils s’esmouvoyent si tost à l’occasion de quelque petite fascherie ou dommage qu’on leur faisoit, pour entrer du premier coup en procès : il dit que cela est un signe qu’ils sont par trop faciles à irriter, et par conséquent trop impatiens. Car c’est là où revient toute la somme. Certainement les Chrestiens doyvent procurer cela, de plustost tousjours quitter leur droict, que de commencer procès, dont il leur soit difficile de sortir sinon avec un courage indigné et enflambé de haine contre leur frère. Mais quand quelqu’un verra qu’il pourra défendre son bien sans offense ne dommage de charité : s’il le fait ainsi, il ne commet rien contre la sentence de sainct Paul : principalement si c’est chose de grande importance, et dont le dommage luy soit grief à porter. En somme (comme nous avons dit au commencement) charité donnera très-bon conseil à un chacun : laquelle est tellement nécessaire en tous plaidoyers, que tous ceux par lesquels elle est violée ou blessée, sont iniques et maudits.
4.20.22
Le premier office des sujets envers leurs supérieurs, est d’avoir en grande et haute estime leur estat : le recognoissans comme une commission baillée de Dieu, et pour ceste cause leur porter honneur et révérence, comme à ceux qui sont lieutenans et vicaires de Dieu. Car on en voit aucuns lesquels se rendent assez obéissans à leurs Magistrats, et ne voudroyent point qu’il n’y eust quelque supérieur auquel ils fussent sujets, d’autant qu’ils cognoissent cela estre expédient pour le bien public : néantmoins ils n’ont autre estime d’un Magistrat, sinon que c’est un malheur nécessaire au genre humain. Mais sainct Pierre requiert plus grande chose de nous, quand il veut que nous honorions le Roy 1Pi. 2.17. Et Solomon, quand il commande de craindre Dieu et le Roy Prov. 24.21. Car sainct Pierre sous ce mot d’Honorer, comprend une bonne opinion et estime, laquelle il entend que nous ayons des Rois. Solomon en conjoignant aussi les Rois, avec Dieu, leur attribue une grande dignité et révérence. Sainct Paul donne aussi aux supérieurs un tiltre très-honorable quand il dit que nous devons estre sujets à eux non-seulement à cause de l’ire, mais pour la conscience Rom. 13.5. En quoy il entend que les sujets ne doyvent pas seulement estre induits de se tenir sous la sujétion de leurs Princes, par crainte et terreur d’estre punis d’eux (comme celuy qui se sent le plus foible cède à la force de son ennemi, voyant la vengence appareillée contre luy, s’il y résistoit) mais qu’ils doyvent garder ceste obéissance pour la crainte de Dieu, comme s’ils servoyent à Dieu mesme, d’autant que c’est de luy qu’est la puissance de leur Prince. Je ne dispute pas des personnes, comme si une masque de dignité devoit couvrir toute folie, sottise, ou cruauté, ou complexions meschantes, ou toutes vilenies, et par ce moyen acquérir aux vices la louange de vertus. Seulement je di que l’estat de supériorité est de sa nature digne d’honneur et révérence, tellement que nous prisions ceux qui président sur nous, et les ayons en estime au regard de la domination qu’ils obtienent.
4.20.23
De cela s’ensuyt autre chose : c’est que les ayans ainsi en honneur et révérence, ils se doyvent rendre sujets à eux en toute obéissance : soit qu’il fale obéir à leurs ordonnances, soit qu’il fale payer impost, soit qu’il fale porter quelque charge, publique qui appartiene à la défense commune, ou soit qu’il fale obéir à quelques mandemens. Toute âme, dit sainct Paul, soit sujette aux puissances qui sont en prééminence. Car quiconques résiste à la puissance, résiste à l’ordre mis de Dieu Rom. 13.1-2. Il escrit aussi à Tite en ceste manière : Exhorte-les de se tenir en la sujétion de leurs Princes et supérieurs, d’obéir à leurs Magistrats, et d’estre prests à toutes bonnes œuvres Tite 3.1. Item, sainct Pierre dit, Soyez sujets à tout ordre humain pour l’amour du Seigneur : soit au Roy, comme ayant prééminence, soit aux gouverneurs, qui sont envoyez de par luy pour la vengence des mauvais, et à la louange de ceux qui font bien 1Pi. 2.13-14. D’avantage, afin que les sujets rendent tesmoignage qu’ils obéissent, non par feintise, mais d’un franc vouloir, sainct Paul adjouste qu’ils doyvent recommander à Dieu par oraison la conservation et prospérité de ceux sous lesquels ils vivent : J’admoneste, dit-il, que prières, obsécrations, requestes, actions de grâces soyent faites pour tous les hommes, pour les Rois et ceux qui sont constituez en dignité, afin que nous menions vie paisible et tranquille, avec toute saincteté et honnesteté 1Tim. 1.1-2. Et que nul ne se trompe yci. Car puis qu’on ne peut résister aux Magistrats sans résister à Dieu : combien qu’il semble advis qu’on puisse sans punition contemner un Magistrat foible et impuissant, toutesfois Dieu est fort et assez armé pour venger le contemnement de son ordonnance. Outreplus, sous ceste obéissance je compren la modération que doyvent garder toutes personnes privées, quant és affaires publiques : c’est de ne s’entremettre point de leur propre mouvement, de n’entreprendre point témérairement sur l’office du Magistrat : et du tout ne rien attenter en public. S’il y a quelque faute en la police commune qui ait besoin d’estre corrigée, ils ne doyvent pourtant faire escarmouche, et n’entreprendre d’y mettre ordre, ou mettre les mains à l’œuvre, lesquelles leur sont liées quant à cela : mais ils ont à le remonstrer au supérieur, lequel seul a la main desliée pour disposer du public. J’enten qu’ils ne facent rien de ces choses sans commandement. Car où le commandement du supérieur leur est baillé, ils sont garnis de l’authorité publique. Car comme on a de coustume d’appeler les conseillers d’un Prince, Ses yeux, et ses oreilles, d’autant qu’il les a destinez à prendre garde pour luy : aussi nous pouvons appeler Ses mains, ceux qu’il a ordonnez pour exécuter ce qui est de faire.
4.20.24
Or pourtant que jusques yci nous avons descrit un Magistrat tel qu’il doit estre, respondant vrayement à son tiltre : c’est asçavoir un père du pais lequel il gouverne, pasteur du peuple, gardien de paix, protecteur de justice, conservateur d’innocence : celuy seroit à bon droict jugé estre hors de son sens, qui voudroit réprouver telle domination. Mais pourtant qu’il advient le plus souvent que la pluspart des Princes s’eslongnent de la droicte voye, et que les uns n’ayans nul souci de faire leur devoir, s’endorment en leurs plaisirs et voluptez : les autres, ayans le cœur à l’avarice, mettent en vente toutes loix, privilèges, droicts et jugemens : les autres pillent le povre populaire, pour fournir à leurs prodigalitez désordonnées : les autres exercent droictes briganderies, en saccageant les maisons, violans les vierges, et femmes mariées, meurtrissans les innocens : il n’est pas facile de persuader à plusieurs, que tels doyvent estre recognus pour Princes, et qu’il leur fale obéir tant que possible est. Car quand entre des vices si énormes, et si estranges non-seulement de l’office d’un Magistrat, mais aussi de toute humanité, ils ne voyent en leur supérieur nulle forme de l’image de Dieu, laquelle devoit reluire en un Magistrat, et ne voyent nulle apparence d’un ministre de Dieu, qui est donné pour la louange des bons, et vengence contre les mauvais : pareillement, ils ne recognoissent point en luy ce supérieur, duquel la dignité et authorité nous est recommandée par l’Escriture. Et certainement ceste affection a tousjours esté enracinée aux cœurs des hommes, de ne point moins hayr et avoir en exécration les tyrans, que d’aimer et avoir en révérence les Rois justes et s’acquittans deuement de leur charge.
4.20.25
Toutesfois si nous dressons nostre veue à la Parole de Dieu, elle nous conduira plus loing. Car elle nous rendra obéissans non-seulement à la domination des Princes qui justement font leur office, et s’acquittent loyalement de leur devoir, mais à tous ceux qui sont aucunement en prééminence, combien qu’ils ne facent rien moins que ce qui appartient à leur estat. Car combien que nostre Seigneur testifie que le Magistrat soit un don singulier de sa libéralité, donné pour la conservation du salut des hommes, et qu’il ordonne aux Magistrats ce qu’ils ont à faire : néantmoins semblablement il déclaire, que quels qu’ils soyent, ne comment qu’ils se gouvernent, ils n’ont la domination que de luy. Tellement que ceux qui n’ont esgard en leur domination qu’au bien publique, sont vrais miroirs et comme exemplaires de sa bonté : d’autrepart, ceux qui s’y portent injustement et violentement, sont eslevez de luy pour punir l’iniquité du peuple. Mais les uns et les autres semblablement tienent la dignité et majesté laquelle il a donnée aux supérieurs légitimes. Je ne passeray pas outre, jusques à ce que j’aye récité aucuns tesmoignages, pour prouver certainement mon dire. Or il ne faut point mettre peine de déclairer qu’un mauvais Roy est une ire de Dieu sur la terre Job 34.30 ; Esaïe 3.4 ; Osée 13.11 ; Esaïe 10.5 : ce que j’estime estre résolu entre tout le monde : sans contredit. Et en ce faisant, nous ne dirons rien plus d’un Roy que d’un larron qui desrobe nos biens, ou d’un adultère qui rompt nostre mariage, ou d’un homicide qui cherche à nous meurtrir : veu que toutes telles calamitez sont annombrées en la Loy entre les malédictions de Dieu Deut. 28.29. Mais il nous faut plustost insister à prouver et monstrer ce qui ne peut pas si aisément entrer en l’esprit des hommes : c’est qu’en un homme pervers et indigne de tout honneur, lequel obtient la supériorité publique, réside néantmoins la mesme dignité et puissance, laquelle nostre Seigneur par sa Parole a donnée aux ministres de sa justice : et que les sujets, quant à ce qui appartient à l’obéissance deue à sa supériorité, luy doyvent porter aussi grande révérence qu’ils feroyent à un bon Roy, s’ils en avoient un.
4.20.26
Premièrement j’admoneste les lecteurs de diligemment considérer et observer la providence de Dieu, et l’opération spéciale de laquelle il use à distribuer les royaumes, et establir tels Rois que bon luy semble : dont l’Escriture nous fait souvent mention. Comme en Daniel il est escrit. Le Seigneur change les temps, et la diversité des temps : il constitue les Rois et les abbaisse Dan. 2.21, 37. Item, Afin que les vivans cognoissent que le Très-haut est puissant sur les royaumes des hommes, il les donnera à qui il voudra. Lesquelles sentences, combien qu’elles soyent fréquentes en toute l’Escriture, toutesfois elles sont par espécial souvent répétées en icelle prophétie de Daniel. On cognoist assez quel Roy a esté Nabuchodonozor celuy qui print Jérusalem, c’est asçavoir un grand larron et pilleur : toutesfois nostre Seigneur afferme par le Prophète Ezéchiel, qu’il luy a donné la terre d’Egypte, pour le loyer de son œuvre, dont il luy avoit servy en la dissipant et saccageant Ezéch. 29.19-20. Et Daniel luy disoit, Toy Roy, tu es Roy des Rois : auquel Dieu du ciel a donné royaume puissant, fort et glorieux. A toy, di-je, il l’a donné : et toutes les terres où habitent les fils des hommes, les bestes sauvages et oiseaux du ciel. Il les a mis en ta main et t’a fait dominer sur icelles Dan. 2.37. Derechef, il fut dit à son fils Belsazar par Daniel mesme : Le Dieu très-haut a donné à Nabuchodonozor ton père royaume, magnificence, honneur et gloire : et par la magnificence qu’il luy a donnée, tous les peuples, lignées et langues ont craint et tremblé devant sa face Dan. 5.18-19. Quand nous oyons qu’il a esté constitué Roy, de Dieu : pareillement il nous faut réduire en mémoire l’ordonnance céleste : qui nous commande de craindre et honorer le Roy, et nous ne douterons point de porter à un meschant tyran tel honneur duquel nostre Seigneur l’aura daigné orner. Quand Samuel dénonçoit au peuple d’Israël ce qu’il auroit à souffrir de ses Rois, il disait, Voyci quelle sera la puissance du Roy qui régnera sur vous : Il prendra vos fils, et les mettra à son chariot pour les faire ses gendarmes, et labourer ses terres, et scier sa moisson, et forger des armes. Il prendra vos filles, pour les faire peinctresses, cuisinières et boulangères. Il prendra vos terres, vos vignes, et les meilleurs jardins que vous ayez, et les donnera à ses serviteurs. Il prendra dismes de vos semences et de vos vignes, et les donnera à ses serviteurs et chambellans. Il prendra vos serviteurs, chambrières et asnes, pour les appliquer à son ouvrage : mesmes il prendra disme de vostre bétail, et vous luy serez asservis 1Sam. 8.11-17. Certes les Rois ne pouvoyent faire cela justement : lesquels par la Loy estoyent instruits à garder toute tempérance et sobriété Deut. 17.16 : mais Samuel appeloit Puissance sur le peuple, pourtant qu’il luy estoit nécessaire d’y obéir, et n’estoit licite d’y résister. Comme s’il eust dit, La cupidité des Rois s’estendra à faire tous ces outrages, lesquels ce ne sera pas à vous de réprimer ; mais seulement vous restera d’entendre à leurs commandemens, et d’y obéir.
4.20.27
Toutesfois il y a un passage en Jérémie notable sur tous les autres : lequel combien qu’il soit un peu long, il sera bon de réciter yci, veu que très-clairement il détermine de toute ceste question : J’ay, dit le Seigneur, fait la terre, et les hommes et les bestes qui sont sous l’estendue de la terre : je les ay faits en ma grande force, et par mon bras estendu : et je baille icelle terre à qui bon me semble. J’ay doncques maintenant mis toutes ces régions en la main de Nabuchodonosor mon serviteur : et luy serviront toutes nations et puissances et Rois, jusques à ce que le temps de sa terre viene. Et adviendra que toute gent et royaume qui ne luy aura servy, et n’auront baissé leur col sous son joug, je visiteray icelle gent en glaive, famine et peste. Parquoy servez au Roy de Babylone, et vivez Jér. 27.5-8. Nous cognoissons par ces paroles avec combien grande obéissance nostre Seigneur a voulu que ce tyran pervers et cruel fust honoré : non pour autre raison, sinon pourtant qu’il possédoit le royaume. Laquelle possession seule monstroit qu’il estoit colloque sur le throne par l’ordonnance de Dieu, et que par icelle ordonnance il estoit eslevé en la majesté royale, laquelle il n’estoit licite de violer. Si ceste sentence nous est une fois bien résolue et fichée en nos cœurs, c’est asçavoir que par icelle mesme ordonnance de Dieu, par laquelle l’authorité de tous Rois est establie, aussi les Rois iniques vienent à occuper la puissance : jamais ces folles et séditieuses cogitations ne nous viendront en l’esprit, qu’un Roy doyve estre traitté selon qu’il mérite, et qu’il n’est pas raisonnable que nous nous tenions pour sujets de celuy qui ne se maintient point de sa part envers nous comme Roy.
4.20.28
Ce sera en vain qu’on objectera yci, que ce mandement a esté donné en particulier au peuple d’Israël. Car il faut observer sur quelle raison il est fondé. J’ay donné, dit le Seigneur, le règne à Nabuchodonozor : pourtant soyez-luy sujets et vous vivrez Jér. 27.6, 17. A quiconques doncques viendra la supériorité, il n’y a point de doute qu’on ne luy doyve sujétion. Or est-il ainsi que quand le Seigneur eslève quelque personnage en principauté, il nous déclaire que son plaisir est qu’il règne. Car de cela il y en a tesmoignage général en l’Escriture. Comme au chapitre XXVIII des Proverbes, pour l’iniquité de la terre il y a plusieurs changemens de Princes Prov. 28.2. Item Job au chapitre XII, Il oste la sujétion aux Rois : et derechef les exalte en puissance Job 12.18. Cela confessé il ne reste plus sinon que nous leur servions, si nous voulons vivre. Il y a aussi au Prophète Jérémie un autre mandement de Dieu, par lequel il commande à son peuple de désirer la prospérité de Babylon, en laquelle ils estoyent tenus captifs : et de le prier pour icelle, d’autant qu’en la paix d’icelle seroit leur paix Jér. 29.7. Voylà comment il est commandé aux Israélites de prier pour la prospérité de celuy duquel ils avoyent esté vaincus, combien qu’ils eussent esté despouillez par luy, de tous leurs biens, poussez hors de leurs maisons, chassez en exil, déjettez en une misérable servitude : et ne leur est pas seulement commandé ainsi qu’il nous est commandé à tous de prier pour nos persécuteurs, mais afin que son royaume luy fust gardé florissant et paisible, afin qu’ils vivent paisiblement sous luy. A ceste raison David desjà esleu Roy par l’ordonnance de Dieu et oinct de son huile saincte, combien qu’il fust iniquement poursuyvy de Saül, sans quelque sien démérite, toutesfois il tenoit le chef d’iceluy pour sainct et sacré, pourtant que le Seigneur l’avoit sanctifié, en l’honorant de la majesté royale : Qu’il ne m’adviene point, disoit-il, que je face lasche tour à mon seigneur, oinct de Dieu : que je mette ma main sur luy, pour luy mal faire. Car il est le Christ, c’est-à-dire oinct du Seigneur. Item, Mon âme l’a pardonné, et ay dit. Je ne mettray la main sur mon seigneur : car il est le Christ du Seigneur. Item, Qui mettra sa main sur le Christ du Seigneur, et sera innocent ? Le Seigneur est vivant : si le Seigneur ne le frappe, ou que son jour viene qu’il meure ou qu’il soit occis en guerre : jà ne m’adviene que je mette ma main sur le Christ du Seigneur 1Sam. 24.7-11 ; 26.9-10.
4.20.29
Nous devons tous à nos supérieurs, tant qu’ils dominent sur nous une telle affection de révérence, que celle que nous voyons en David : mesmes quels qu’ils soyent : Ce que je répète par plusieurs fois, afin que nous apprenions de ne point esplucher quelles sont les personnes ausquelles nous avons à obéir, mais que nous nous contentions de cognoistre que par la volonté du Seigneur ils sont constituez en un estat, auquel il a donné une majesté inviolable. Mais quelqu’un dira, qu’il y a aussi mutuel devoir des supérieurs envers leurs sujets. J’ay desjà confessé ce point : toutesfois si quelqu’un vouloit de ce inférer, qu’on ne doit obéissance sinon à un juste seigneur, il argueroit perversement : Car les maris et les pères sont obligez à quelque devoir envers leurs femmes et enfans. Or s’il advenoit qu’ils s’acquittassent mal de leur office, c’est asçavoir que les pères traittassent rudement leurs enfans, et fussent outrageux envers eux, contre ce qu’il leur est commandé de ne les contrister : et que les maris contemnassent et tormentassent leurs femmes, lesquelles par le commandement de Dieu ils doyvent aimer, et contre-garder comme vaisseaux fragiles Eph. 6.4 ; 5.25 ; 1Pi. 3.7 : faudroit-il pourtant que les enfans fussent moins obéissans à leurs pères, ou les femmes à leurs maris ? Mais par la loy de Dieu ils sont assujetis à eux : encores qu’ils leur soyent mauvais et iniques. Au contraire doncques, comme ainsi soit que nul de nous ne doit considérer comment l’autre s’acquitte envers luy de son devoir, mais seulement se doit souvenir et mettre devant l’œil ce qu’il a à faire pour l’exécuter : principalement ceste considération doit avoir lieu entre ceux qui sont en la sujétion d’autruy. Parquoy si nous sommes cruellement vexez par un Prince inhumain, ou pillez et robbez par un avaricieux ou prodigue, ou mesprisez et mal gardez par un nonchalant : si mesmes nous sommes affligez pour le nom de Dieu par un sacrilège et incrédule, premièrement réduisons-nous en mémoire les offenses qu’avons commises contre Dieu, lesquelles sans doute sont corrigées par tels fléaux. De là viendra l’humilité pour bien brider nostre impatience. Secondement, mettons-nous au devant ceste pensée, qu’il n’est pas en nous de remédier à tels maux : mais qu’il ne reste autre chose que d’implorer l’aide de Dieu, en la main duquel sont les cœurs des Rois : et les mutations des royaumes. C’est le Dieu qui s’asserra entre les dieux, et aura le jugement sur eux Dan. 9.7 ; Prov. 21.1 ; Ps. 82.1. Au seul regard duquel trébuscheront et seront confus tous Rois et Juges de la terre, qui n’auront baisé son Christ Ps. 2.12, qui auront escrit loix iniques pour opprimer au jugement les povres, et dissiper le bon droict des foibles, pour avoir les vefves en proye, et piller les orphelins Esaïe 10.1-2.
4.20.30
Et en ceci apparoist bien sa merveilleuse bonté, puissance et providence. Car aucunesfois il suscite manifestement quelques-uns de ses serviteurs, et les arme de son mandement pour faire punitions d’une domination injuste, et délivrer de calamité le peuple iniquement affligé : aucunesfois il convertit et tourne à cest ouvrage la fureur de ceux qui pensent ailleurs, et machinent autre chose. En la première manière il délivra le peuple d’Israël par Moyse, de la tyrannie de Pharaon : et par Othoniel, il le tira hors de la puissance de Chusam Roy de Syrie Exo. 3.8 ; Jug. 3.9 : et par autres tant Rois que Juges, il l’affranchit de diverses sujétions et servitudes. En la seconde manière il réprima l’orgueil de Tyr par les Egyptiens : la hautesse des Egyptiens, par les Assyriens : l’insolence des Assyriens, par les Chaldéens : l’outrecuidance de Babylon par les Médois et Perses, depuis que Cyrus eut donté les Médois : l’ingratitude des Rois de Judée et Israël, tant par les Assyriens que par les Babyloniens. Tant les uns que les autres estoyent ministres et exécuteurs de sa justice : néantmoins il y a grande différence des uns aux autres. Car les premiers, d’autant qu’ils estoyent appelez de Dieu par vocation légitime à entreprendre tels affaires en rebellant contre les Rois ne violoyent point la majesté royale qui leur estoit donnée de Dieu : mais ils corrigeoyent une puissance inférieure par une plus grande : tout ainsi qu’il est licite à un Roy de chastier ses lieutenans et officiers. Les seconds, combien qu’ils fussent addressez par la main de Dieu où bon luy sembloit, et que sans leur sceu ils parfeissent son ouvrage, toutesfois ils n’avoyent autre pensée en leur cœur, que de mal faire.
4.20.31
Or combien que ces actes, quant à ceux qui les faisoyent, fussent bien divers : car les uns les faisoyent estans asseurez qu’ils faisoyent bien, et les autres par autre zèle (comme nous avons dit) toutesfois nostre Seigneur tant par les uns que par les autres exécutoit pareillement son ouvrage, en rompant les sceptres des meschans Rois, et renversant les dominations outrageuses. Que les Princes entendent à ces choses, et s’en estonnent. Et nous ce pendant néantmoins devons sur toutes choses nous garder que nous ne contemnions ou outragions l’authorité des supérieurs, laquelle nous doit estre plene de majesté, veu qu’elle est confermée par tant de sentences de Dieu : mesmes encores qu’elle soit occupée de personnes très-indignes, et qui par leur meschanceté (entant qu’en eux est) la polluent. Car combien que la correction de domination désordonnée soit vengence de Dieu : toutesfois il ne s’ensuyt pas pourtant qu’elle ne soit permise et donnée en main, ausquels il n’est donné autre mandement que d’obéir et de souffrir. Je parle tousjours des personnes privées : car s’il y avoit en ce temps-ci Magistrats constituez pour la défense du peuple, pour refréner la trop grande cupidité et licence des Rois (comme anciennement les Lacédémoniens avoyent ceux qu’ils appeloyent Ephores : et les Romains, leurs défenseurs populaires : et les Athéniens, leurs Démarches : et comme sont, possible, aujourd’huy en chacun royaume les trois estats quand ils sont assemblez) à ceux qui seroyent constituez en tel estat, tellement je ne défendroye de s’opposer et résister à l’intempérance ou cruauté des Rois selon le devoir de leur office : que mesmes s’ils dissimuloyent, voyans que les Rois désordonnément vexassent le povre populaire, j’estimeroye devoir estre accusée de perjure telle dissimulation, par laquelle malicieusement ils traiteroyent la liberté du peuple, de laquelle ils se devroyent cognoistre estre ordonnez tuteurs par le vouloir de Dieu.
4.20.32
Louange à Dieu
Mais en l’obéissance que nous avons enseigné estre deue aux supérieurs, il y doit avoir tousjours une exception, ou plustost une régle qui est à garder devant toutes choses : c’est que telle obéissance ne nous destourne point de l’obéissante de celuy, sous la volonté duquel il est raisonnable que tous les édits des Roys se contienent, et que tous leurs commandemens cèdent à son ordonnance, et que toute leur hautesse soit humiliée et abaissée sous sa majesté. Et pour dire vray, quelle perversité seroit-ce, afin de contenter les hommes d’encourir l’indignation de celuy pour l’amour duquel nous obéissons aux hommes ? Le Seigneur doncques est Roy des Rois, lequel incontinent qu’il ouvre sa bouche sacrée, doit estre sur tous, pour tous et devant tous escouté. Nous devons puis après estre sujets aux hommes qui ont prééminence sur nous, mais non autrement sinon en luy. S’ils vienent à commander quelque chose contre luy, il ne nous doit estre de nulle estime : et ne faut avoir en cela aucun esgard à toute la dignité des supérieurs : à laquelle on ne fait nulle injure, quand elle est submise et rangée sous la puissance de Dieu, qui est seule vraye au pris des autres. Selon ceste raison Daniel proteste n’avoir en rien offensé le Roy Dan. 6.22, combien qu’il eust contrevenu à l’édict injuste publié de par luy, pource qu’en cela il avoit outrepassé ses bornes : et non-seulement estoit excessif contre les hommes, mais avoit levé les cornes contre Dieu, et en ce faisant s’estoit desmis et dégradé de toute authorité. A l’opposite, le peuple d’Israël est condamné en Osée, d’avoir obtempéré trop volontiers aux loix meschantes de son Roy Osée 5.11 : car après que Jaroboam eut fait faire les veaux d’or, en délaissant le temple de Dieu, tous les sujets luy voulans complaire s’estoyent par trop légèrement addonnez à ces nouvelles superstitions 1Rois 12.30 : et y eut depuis une telle facilité en leurs enfans et successeurs à plier à l’appétit des Rois idolâtres, et se conformer à leurs façons de faire vicieuses. Le Prophète leur reproche asprement ce crime, d’avoir embrassé et receu l’édict royal : tant s’en faut que la couverture de modestie que prétendent les Courtisans mérite louange, quand ils magnifient l’authorité des Rois pour décevoir les simples : disans qu’il ne leur est pas licite de rien faire contre ce qui leur est commandé. Comme si Dieu en ordonnant des hommes mortels pour dominer, leur avoit résigné son droict ; ou bien que la puissance terrienne soit amoindrie quand elle est abbaissée en son rang inférieur sous l’empire souverain de Dieu, au regard duquel toutes principautez célestes tremblent. Je sçay bien quel danger peut venir d’une telle constance que je la requier yci, d’autant que les Rois ne peuvent nullement souffrir d’estre abbaissez, desquels l’indignation (comme Solomon dit) est message de mort Prov. 16.14. Mais puis que cest édict a esté prononcé par le céleste héraut sainct Pierre : qu’il faut plustost obéir à Dieu qu’aux hommes Actes 5.29, nous avons à nous consoler de ceste pensée : que vrayement nous rendons lors à Dieu telle obéissance qu’il la demande, quand nous souffrons plustost toutes choses : que déclinions de sa saincte Parole. Et encores à ce que le courage ne nous défaille, sainct Paul nous picque d’un autre aiguillon : c’est que nous avons esté achetez par Christ : aussi chèrement que luy a cousté nostre rédemption, afin que ne nous adonnions serfs aux mauvaises cupiditez des hommes, et beaucoup moins à leur impiété 1Cor. 7.23.
Principaux points contenus en ceste Institution Chrestienne
De la cheute d’Adam [2.1]
Des Anges [1.14]
De l’Ascension de Christ au ciel [2.16]
Du Baptesme [4.15]
Du Baptesme des petis enfans [4.16]
De la Charité envers le prochain [2.8]
Du Célibat des Prestres papistes [4.12]
De la Cène de nostre Seigneur Jésus [4.17]
Comment Christ est Médiateur [2.12]
De la Divinité de Christ [2.14]
Comment la personne de Christ est une en deux natures [2.14]
Pourquoy Christ a esté envoyé [2.15]
Christ Prophète, Roy et Sacrificateur [2.15]
Que Christ nous a mérité la vie éternelle [2.17]
De la Descente de Christ aux enfers [3.16]
Des Conciles et de leur authorité [4.9]
De la Confession et Satisfaction papale [3.4]
De la Confirmation papale [4.19]
De la Conscience [3.19]
De porter la Croix [3.8]
Des Diables [1.14]
De la cognoissance de Dieu [1.1] et suiv.
Que Dieu est cognu de tous naturellement [1.3]
A quoy tend la cognoissance de Dieu [1.2]
Que la cognoissance de Dieu est estouffée par l’ignorance ou malice des hommes
[1.4]
De l’essence unique de Dieu, et des trois personnes [1.13]
Comment Dieu use des œuvres des meschans [1.18]
De l’Eglise [4.1]
Comparaison entre la vraye et fausse Eglise [4.2]
De la jurisdiction de l’Eglise, et de la discipline [4.11] [4.12]
De la puissance de l’Eglise quant à faire des loix [4.2]
De la puissance de l’Eglise quant à déterminer des articles de la Foy [4.8]
De l’estat de l’Eglise ancienne [4.4]
De l’Election éternelle [3.21]
Que l’Election est confermée par la vocation de Dieu [3.24]
De l’authorité de l’Escriture saincte [1.6]
Que la doctrine de l’Escriture saincte nous est nécessaire [1.9]
Du sainct Esprit, de ses offices et de son opération secrette [3.1]
Qu’il n’est licite d’attribuer à Dieu aucune Figure visible [1.11]
De la Foy [3.2]
Du Gouvernement civil [4.20]
Des Hérétiques et schismatiques [4.1]
De la création de l’Homme [1.15]
De l’Image de Dieu [1.15]
Des Images [1.11] [1.12]
De l’Imposition de mains [4.19]
Des Indulgences [3.5]
Du nom de Jésus [2.15]
Du Jusne [4.12]
Des Jugemens et de la Justice temporelle [4.20]
Du Jurement [2.8]
De la Justification de la foy [3.11]
Du commencement de la Justification, et de ses advancemens continuels [3.14]
Les choses qui sont à considérer en la Justification [3.14]
Du Libéral ou franc arbitre [1.15] [2.2] [2.5]
De la Liberté chrestienne [3.19]
De la Loy, et de sa fin, office et usage [2.7]
L’exposition de la Loy morale [2.8]
Des Loix civiles [4.10]
Du Mariage [4.19]
Du Médiateur Jésus-Christ [2.12]
Des Mérites des œuvres [3.15]
De la Messe papale [4.18]
Des Moines et nonnains [4.13]
Que le Monde créé de Dieu est par luy maintenu et gouverné [1.16]
Du gouvernement du Monde [1.16]
De la Mort de Christ [2.16]
De l’Onction dernière, sacrement papistique [4.19]
D’Oraison [3.20]
Des Ordres ecclésiastiques du Pape [4.19]
De l’Ordre et ministère de la vraye Eglise [4.3]
De l’élection et office des Pasteurs et docteurs de l’Eglise chrestienne [4.3]
Du Péché contre le sainct Esprit [3.3]
Du Péché originel [2.1]
De la vraye Pénitence [3.3]
De la Pénitence papale [4.19]
De la Prédestination de Dieu [3.21]
De la Privauté du siège romain et du commencement de la Papauté [4.6] [4.7]
Accord des Promesses de la Loy et de l’Evangile [3.17]
De la Providence de Dieu [1.16]
Du Purgatoire [3.5]
Du Rédempteur Jésus-Christ [2.16]
De la Régénération [3.3]
Du Renoncement de nous-mesmes [3.7]
Que les Réprouvez font venir sur eux par leur faute la perdition à laquelle ils
sont prédestinez [3.24]
De la Résurrection de Jésus-Christ [2.16]
De la Résurrection dernière [3.25]
Des Sacremens [4.14]
Des Sacremens papistiques, ainsi faussement nommez [4.19]
De l’Intercession des Saincts [3.20]
Par le Salaire promis on ne doit pas arguer que les œuvres justifient [3.18]
De la Satisfaction papistique [3.4]
Du Scandale [3.19]
De la convenance qui est entre le vieil et nouveau Testament [2.10]
Des Traditions humaines [4.10]
De la Trinité [1.13]
De la Vie de l’homme chrestien [3.6]
De la méditation de la Vie future [3.9]
Comme il faut user de la Vie présente [3.10]
Que la Vocation de Dieu conferme son élection [3.24]
De bien considérer sa Vocation [3.7]
Des Vœus [1.13]
Toutes ces choses sont traittées en ceste Institution clairement et pertinemment
: et tout ce que les adversaires ameinent au contraire est tellement réfuté que
tout fidèle lecteur a de quoy se contenter, sans plus s’arrester aux fariboles
et subtilitez des sophistes.