Introduction de l’édition Meyrueis
(1859)


Le jour d’une tardive réparation a lui en France pour Calvin. Trop longue a été la période d’oubli, de préjugés, d’injustice, envers sa mémoire dans des Eglises qui, après Dieu, lui doivent leur existence. Il n’est pas nécessaire de partager toutes les vues dogmatiques du grand Réformateur, ni de tout approuver dans sa vie, pour prononcer ce blâme. Il ne faut qu’avoir pris la peine de se familiariser un peu avec lui, avec sa vivante piété, son incorruptible caractère, ses immenses travaux, ses longues souffrances ; il ne faut que se demander ce que, humainement parlant, serait devenue sans lui la Réforme française, qui, en France, s’affaissait dans un vague et impuissant mysticisme, tandis que, dans la Suisse romande, elle remplaçait tumultueusement le papisme par une conception superficielle de l’Evangile. Où seraient aujourd’hui nos Eglises, si la forte organisation qu’il leur donna, le souffle vivant dont il les anima ne les avaient soutenues pendant les deux siècles d’orages qu’elles ont traversés ?

Jamais l’Allemagne n’eut à déplorer une ingratitude semblable à l’égard de Luther, pas même durant les plus mauvais jours de son histoire religieuse. Il serait difficile de dire combien de biographies du Doctor Martinus ont popularisé ce nom depuis le seizième siècle, combien d’éditions complètes ou partielles de ses œuvres ont propagé sa pensée dans la nation, quelle place il occupe dans les annales de son pays, depuis les écrits des savants jusqu’à l’école de village où les enfants récitent aujourd’hui encore son catéchisme. — Que dis-je ? l’Allemagne nous a devancés dans le soin de faire revivre notre Calvin au sein de la génération actuelle. Elle a retracé longuement son histoire, tandis que nous en sommes encore, ou peu s’en faut, à l’imparfaite esquisse de son ami Théodore de Bèze ; elle a réimprimé ses écrits exégétiques, répandus par milliers d’exemplaires, et retraduit son Institution pour la mettre à la portée du peuple. — Et nous dont il a parlé et presque créé la langue… Nous sommes à l’œuvre, oublions le passé. Déjà un savant éditeur nous a donné ses Lettres françaises, et nous fait espérer sa Correspondance latine ; ses principaux Commentaires nous ont été rendus, et voici enfin son chef-d’œuvre, le travail de toute sa vie, l’Institution. — Puisse le Protestantisme français prouver enfin, par l’usage qu’il fera de ces trésors de science et de piété, qu’il est digne encore de ses glorieuses origines !

Remontons d’abord un instant vers ces sources de notre vie religieuse pour esquisser rapidement l’histoire et les caractères du livre dont nous offrons au public une édition nouvelle.

 

I.

En 1535, Calvin était réfugié à Bâle, la cité des paisibles et savantes études, où déjà resplendissait la pure lumière de l’Evangile. Né en 1509, le futur Réformateur, dont le nom va échapper sans qu’il le veuille à l’obscurité qu’il recherchait, était âgé de vingt-six ans. Plus de la moitié de ces années avait été consacrée par lui à acquérir d’abord une solide instruction, puis une science profonde et variée. Il avait étudié le droit sous les docteurs les plus renommés de l’époque, et depuis quelques années il se livrait tout entier et avec l’ardeur de son caractère à l’étude de la théologie. Ce n’est point avant tout en vue d’une profession qu’il s’adonnait à cette science, c’était par goût, ou plutôt par le besoin de son âme altérée de vérité. L’abandon du droit pour la théologie avait coïncidé chez lui avec la première aurore de la lumière divine, se faisant jour dans son cœur. Très attaché au catholicisme, soumis à l’autorité d’une Eglise qu’il vénérait, il ne l’avait quittée pour embrasser l’Evangile qu’après de rudes combats qu’il nous a lui-même décrits. Deux ans s’étaient écoulés depuis que la vérité divine avait remporté dans son cœur cette victoire bénie qui décide de la vie, et que la Bible appelle la conversion.

Dès ce moment (1533), il s’était joint, à Paris, à ce petit troupeau de chrétiens persécutés qu’il consolait dans leurs souffrances, et dont il éclairait et affermissait la foi. Il ne pouvait le faire qu’au péril de sa vie, et même le moment ne tarda pas à venir où, incapable d’être utile à d’autres, il dut songer à suivre plusieurs de ses frères sur la terre d’exil. Ces luttes de sa vie ont été retracées ailleurs[a]. Rappelons seulement ici quelques-uns des événements qui ont provoqué la publication de l’Institution.

[a] Revue chrétienne, année 1857.

François Ier, monté sur le trône de Louis XII en 1515, peu avant le temps où la lumière de l’Evangile vint luire sur la France et sur l’Europe, se montra, pendant plus de quinze ans, le protecteur plutôt que l’adversaire de la Réforme. Soit par haine de ce qu’il appelait la moynerie, soit que, fort ignorant lui-même, il confondit assez longtemps le mouvement religieux de l’époque avec celui des lettres dont il se faisait gloire d’être le promoteur ; soit enfin et surtout qu’il subît volontiers l’influence aimée de sa noble et pieuse sœur, Marguerite, duchesse d’Alençon, le jeune monarque s’opposa longtemps et directement aux fureurs persécutrices de la Sorbonne et du parlement. Peut-être même y eut-il un moment plus sérieux dans cette faveur première de François. Marguerite l’espérait du moins lorsque, après la première persécution, elle parvint à rappeler auprès d’elle quelques-uns des exilés de Meaux, Michel d’Arande, Roussel, Courault, qui expliquaient les Ecritures dans des réunions religieuses ouvertes au Louvre même, et auxquelles assistait la cour. Si le jugement de la princesse n’est pas prévenu au gré de ses désirs, le roi et sa mère auraient alors manifesté la résolution de favoriser la Réforme. « Le roi et Madame ont bien délibéré de donner à connaître que la vérité de Dieu n’est point hérésie, » écrivait-elle à Briçonnet, évêque de Meaux. — Plus tard encore, en 1525, de retour de sa captivité à Madrid, le roi, touché des tendres soins que lui avait prodigués sa sœur, ne sut mieux lui témoigner sa reconnaissance qu’en mettant un terme aux supplices et en faisant vider les prisons remplies de chrétiens évangéliques, que poursuivaient la Sorbonne et le Parlement pendant l’absence du roi. Même en 1533, Marguerite avait encore la liberté d’ouvrir une salle du Louvre aux prédications de Roussel, qui voyait affluer en foule les auditeurs avides de la Parole évangélique, et qui dut chercher un local plus vaste.

Mais ce furent là les derniers moments de tolérance. François Ier était trop esclave de ses passions, sa cour trop profondément corrompue, pour qu’il ne finît pas par prendre en haine l’austérité de la doctrine évangélique, à laquelle les Réformés rendaient un éclatant témoignage par leurs enseignements et par leur vie. Entraîné d’ailleurs par les conseils d’une politique toute mondaine et pleine de mensonges, il eut, dans l’automne de l’année 1533, à Marseille, avec le pape Clément VII une entrevue solennelle, à la suite de laquelle sa conduite envers les Réformés fut totalement changée. Les prisons se rouvrirent, les bûchers se dressèrent de nouveau, et l’année suivante, une imprudence due au zèle inconsidéré de quelques adversaires ardents de la messe attira sur tous les Evangéliques la plus horrible des persécutions. Un traité violent contre « l’idolâtrie de la messe » fut répandu à profusion, placardé sur les murs de Paris et jusque dans le Louvre. François Ier, se croyant personnellement bravé, en éprouva une si violente colère, « qu’il se détermina, dit Théodore de Bèze, de tout exterminer, s’il eût été en sa puissance. » Il ordonna de saisir indifféremment tous ceux qui étaient suspects de luthérerie. Les prisons furent remplies d’hommes et de femmes de tout âge et de tout rang. On mit trois mois à préparer la vengeance. Elle fut horrible. A quoi bon décrire ici la trop fameuse procession expiatoire, qui eut lieu en janvier 1535 ? Je ne sais si les longues persécutions sous les empereurs païens offrent rien de si odieux que ce spectacle religieux où le roi, sa cour, les ambassadeurs étrangers, le peuple, par ordre de métiers, tout Paris, conduit par les prêtres murmurant leurs offices, vint repaître ses regards du supplice de chrétiens brûlés vifs, lentement, au moyen d’une machine à bascule qui les plongeait dans les flammes, les en retirait et les y replongeait, jusqu’à ce que la mort vînt terminer leurs tourments. Rien n’égala la barbarie de ce fanatisme sanglant, si ce n’est la douceur angélique, l’héroïque constance des martyrs.

Pour mettre le comble à l’odieux de ces actes, les bourreaux s’appliquèrent à calomnier publiquement les victimes. — C’est alors qu’un cri universel d’indignation et d’horreur retentit en Suisse et en Allemagne, et François Ier, le roi-chevalier, en eut honte. Ou plutôt sa politique l’obligeait à se laver de ce sang aux yeux des princes allemands qui adhéraient à la ligue de Smalkade. Il fit donc déclarer officiellement par ses ambassadeurs qu’il n’avait fait que châtier quelques anabaptistes en révolte contre son autorité, et des coupables dont les crimes méritaient le dernier supplice !

C’en était trop. Quand des hommes, esclaves de leur conscience jusqu’à la mort, donnaient leur vie pour leur Sauveur, et qu’après cela ils étaient officiellement flétris comme des malfaiteurs, il fallait que la voix de la vérité, de la justice, de l’humanité, se fit entendre au monde. — Calvin, qui apprit coup sur coup dans sa retraite de Bâle ces supplices et ces mensonges, saisit la plume. C’est à ces événements que nous devons l’Institution.

A l’âge de vingt-six ans, « sans autre mission que celle qu’il sentait en lui-même, sans autre moyen de succès que l’autorité de son talent, » remarque M. Guizot, Calvin prend la parole au milieu du trouble immense qui, surtout en cette année 1535, agitait l’Europe entière ; cette parole, il l’adresse directement au roi de France ; mais derrière ce monarque dont il avait si peu à attendre, il voit des peuples, auprès desquels il ne laissera pas calomnier sans défenseur ses frères qui meurent sur les bûchers. — Vingt, sept ans plus tard, en écrivant la préface du plus beau de ses ouvrages exégétiques, les Commentaires sur les Psaumes, Calvin nous apprend en ces mots quels étaient ses vues et son but lorsqu’il publia l’Institution : « Retiré en Allemagne, je cherchais dans quelque coin obscur ce repos qui m’avait été longtemps refusé. Mais pendant que je vivais inconnu à Bâle, les hommes pieux étaient en grand nombre brûlés en France. Le feu de leurs bûchers alluma en Allemagne une haine que l’on chercha à éteindre en répandant, par des libelles iniques et mensongers, le bruit que l’on ne traitait avec cette cruauté que des anabaptistes, des hommes turbulents, qui, par leurs délires pervers, renversaient, non-seulement la religion, mais tout l’ordre politique. A la vue de ces artifices de courtisans, au moyen desquels on prétendait, non seulement ensevelir dans l’infamie les saints martyrs et l’effusion du sang innocent, mais aussi justifier d’avance tous les carnages qu’on voudrait en faire sans miséricorde, — j’estimai que mon silence deviendrait une trahison, si je ne m’opposais de la manière la plus virile aux mensonges. Telle fut la cause pour laquelle je publiai l’Institution. Je voulais d’abord venger mes frères d’un injuste outrage (car leur mort était « précieuse devant l’Eternel ») ; puis, comme les mêmes supplices attendaient encore tant de malheureux, je voulais que les peuples étrangers fussent touchés pour eux de quelque douleur et de quelque sollicitude. »

Calvin avait donc un double but : d’abord, offrir aux croyants encore peu éclairés et peu affermis de son époque un exposé clair et succinct de la doctrine chrétienne, qui en même temps leur servît d’apologie, de confession de foi en présence des calomnies de leurs adversaires ; puis, sous la pression douloureuse des événements, adresser au roi de France cet éloquent plaidoyer qui sert de préface à son livre. L’auteur explique lui-même son premier dessein dès l’entrée de son discours à François Ier : « Au commencement que je m’appliquay à escrire ce présent livre, je ne pensoye rien moins, Sire, que d’ escrire choses qui fussent présentées à Vostre Majesté. Seulement mon propos estoit d’enseigner quelques rudimens, par lesquels ceux qui seroyent touchez d’aucune bonne affection de Dieu, fussent instruits à la vraye piété. Et principalement je vouloye par ce mien labeur servir à nos François, desquels j’en voyoye plusieurs avoir faim et soif de Jésus-Christ, et bien peu qui en eussent reçu droicte cognoissance. » — Ce premier but, nous le verrons bientôt, fut atteint au delà de toutes les prévisions de l’auteur lui-même. Quant au second, qui n’allait à rien moins qu’à convaincre le roi de France par la plus énergique protestation, il servit à l’Europe, où le plaidoyer du jeune théologien eut un immense retentissement ; mais, hélas ! pour le prince frivole et corrompu auquel il était adressé, ce fut peine perdue. Théodore de Bèze paraît croire que jamais François Ier ne daigna en prendre connaissance ! « Si ce grand prince l’eût voulu lire, s’écrie-t-il, l’Eglise romaine eût sans doute reçu une plaie mortelle. » — Ainsi ce « temps de la Visitation, » où Dieu offrait à la France et à son roi « les choses qui appartiennent à la paix, » passa méconnu ! Ah ! celui qui un jour pleura sur Jérusalem eût alors aussi pleuré sur la France et sur son avenir.

 

II.

Mais une œuvre fondée sur l’éternelle vérité, qui ne se propose pour but que la gloire de Dieu, qui, en outre, réunit toutes les conditions désirables de talent et d’opportunité, ne pouvait pas être perdue pour l’Eglise, comme elle le fut pour le prince sans conscience qui régnait sur la France. Quiconque dit vrai, dit plus vrai encore qu’il ne pense, a-t-on remarqué avec raison. Ce qui n’était d’abord qu’un écrit de circonstance, devint, par le travail incessant de l’auteur, l’œuvre capitale de sa vie, le livre principal de la Réformation, auquel étaient réservées des destinées qui jamais depuis lors n’ont été égalées. — Jetons un regard sur cette histoire de l’Institution avant de l’ouvrir pour nous en rendre compte.

La préface française adressée à François Ier est datée de Bâle, 1er août 1535. D’un autre côté, la première impression aujourd’hui connue de ce livre est en latin et porte le millésime de 1536. De là parmi les savants une question encore débattue, savoir s’il a jamais existé une édition française de 1535, ou si la latine de 1536 est la première. Ce n’est point ici le lieu d’entrer dans ce débat. Tenons-nous-en à ce qui est connu, savoir l’édition de 1536, dont quelques exemplaires existent encore. — « C’était, nous dit Calvin lui-même, non pas cet épais et laborieux ouvrage que l’on a maintenant, mais seulement un bref manuel dans lequel fut attestée la foi de ceux que je voyais diffamer par d’impies et perfides adulateurs. » Ce bref manuel, cette confession de foi ou exposé de la doctrine évangélique, était un volume de 514 pages petit in-8°, renfermant six chapitres dont voici les titres :

  1. De la loi, contenant une explication du Décalogue.
  2. De la foi, où se trouve aussi l’exposition du symbole des apôtres.
  3. De la prière, où est expliquée l’oraison dominicale.
  4. Des sacrements, traitant du baptême et de la cène du Seigneur.
  5. Des sacrements, où est démontré qu’il n’y a point cinq autres sacrements vulgairement tenus pour tels jusqu’ici.
  6. De la liberté chrétienne, du pouvoir ecclésiastique, de l’administration politique.

On le voit, ce traité suivait alors la méthode populaire du catéchisme, et pourtant c’était déjà une dogmatique, une exposition systématique des doctrines chrétiennes, se distinguant de tout ce qui avait paru jusqu’alors, tant par la solidité toute scripturaire du fond, que par l’élégance de la forme. Calvin s’y montre tel qu’il resta toute sa vie. Ses contemporains déjà en ont fait l’observation. Quoique ces six chapitres se soient multipliés, développés, approfondis, enrichis d’édition en édition, jusqu’à celle de 1559, divisée en quatre livres et en 80 chapitres, tous les principes fondamentaux de sa foi et de sa théologie sont en germe dans son « bref manuel » de 1536. Ce fait, que l’on peut apprécier à des points de vue divers ou même opposés, est très remarquable en lui-même, et peut servir à expliquer les caractères les plus saillants de ce livre, peut-être même de l’œuvre entière de Calvin. Esprit positif, grave, pratique, étranger aux besoins de la spéculation, très circonspect, n’émettant sa pensée que lorsque sa conviction avait atteint sa pleine maturité, prenant au sérieux le fait d’une révélation divine, Calvin forma sa foi à l’école des saintes Ecritures qui ne varient jamais, — et telle la vérité du salut lui était apparue aux jours de sa jeunesse, telle il la professa jusque sur son lit de mort. On peut, avec Bossuet, chercher d’autres raisons de cette fermeté de principes ; on peut préférer les nombreuses variations de Luther, le fait que nous constatons n’en est pas moins incontestable et très important.

N’est-ce point à ce caractère de solidité et de maturité de la pensée chrétienne, évident dès l’origine, que le livre de Calvin dut la confiance universelle avec laquelle il fut reçu, et dès lors son immense succès ? Un tel ouvrage, dans la phase où se trouvait la Réforme, répondait à un besoin profondément senti. Les antiques fondements de la foi avaient été ébranlés avec l’Eglise dominante et infaillible ; des questions de la plus haute importance flottaient dans le vide et sans réponse ; les esprits sérieux se demandaient avec inquiétude, au milieu des idées extravagantes qui agitaient l’Europe, où devait s’arrêter la négation et commencer l’affirmation ; et tandis que la Réforme saxonne avait depuis cinq ans professé solennellement sa foi positive, tandis que Zurich et Berne suivaient les enseignements très clairs de Zwingli, l’action tumultueuse de Farel dans la Suisse romande, la guerre civile entre les cantons, la persécution en France n’avaient point permis à la Réforme de ces contrées de se recueillir, d’arriver à la conscience d’elle-même, et de formuler sa foi nouvelle. — L’ Institution parut, et dans cette exposition concise, lucide du christianisme apostolique, s’appuyant exclusivement sur l’Ecriture sainte, traçant avec précision, par cette autorité souveraine, une limite entre les traditions humaines et les vérités révélées, — l’Eglise évangélique sentit qu’elle avait retrouvé son fondement divin, l’expression de sa foi, son drapeau en présence du monde, son apologie contre les calomnies de ses adversaires. Les croyants furent éclairés, rassurés, affermis. Ceux qui ne demandaient au grand mouvement du siècle que la réforme de quelques abus, ceux qui n’en attendaient que des négations, que l’affranchissement de toute autorité, reculèrent effrayés à la vue d’une doctrine à la fois si radicale et si positive. Dans un sens ou dans un autre, cet ouvrage provoqua la décision.

Noblesse oblige. Le livre où Calvin venait de révéler ce talent, cette science, cette fermeté de vue, ce livre écrit d’un style cicéronien, il faudra qu’il le reproduise sans cesse. Mais le Réformateur n’est pas homme à réimprimer son œuvre sans travail nouveau. Pendant vingt-trois ans, de 1536 à 1559, l’Institution grandit, d’édition en édition, comme un arbre vigoureux et toujours plus chargé de fruits. Déjà la seconde édition latine, publiée à Strasbourg en 1539, comptait dix-sept chapitres au lieu de six, et trois ans plus tard, une nouvelle réimpression dans la même ville en renfermait vingt et un. Cette édition de 1543, entièrement retravaillée, ne suffit que pendant deux ans à l’ardeur qui se manifestait de toutes parts pour l’étude de la vérité divine. En 1550 parut à Genève une autre édition refaite par l’auteur, et en 1553 Robert Estienne tenait à honneur d’écrire sur le titre d’une édition nouvelle : Excudebat Robertus Stephanus in sua officina, 1553, ce qui n’empêcha point un autre libraire de réimprimer le livre l’année suivante. Cependant, au milieu de ses rudes labeurs de Genève, Calvin trouva le temps et les forces de refondre entièrement son ouvrage, de l’augmenter encore et de préparer la célèbre édition de 1559, également imprimée par Robert Estienne, et qui est restée pour la postérité. Deux impressions qui eurent lieu encore du vivant de Calvin ne sont que des reproductions de celle-là. Depuis la mort de l’auteur, les éditions ont été si fréquentes, que les bibliophiles en discutent le nombre jusqu’à ce jour. Celle de Genève, 1568, in-fol., est enrichie de deux nouveaux index faits par Augustin Marlorat. Celles de 1590 et 1607, in-fol., sont augmentées d’arguments et de notes. La belle réimpression Elzévier, Leyde, 1654, est une des plus correctes, et peu égalent pour la beauté du type celle qui fait partie des Opera de l’auteur, Amsterdam, 1667. Enfin le docteur Tholuck a de nouveau publié l’Institution à Berlin, en 1834, ainsi que les principaux ouvrages exégétiques de Calvin.

Nous n’avons parlé jusqu’ici que de l’ouvrage latin, objet de la prédilection particulière de Calvin, qui savait qu’en cette langue, dont il possédait tous les secrets, il parlait à l’Europe entière. — Quant aux éditions françaises, on ne peut en déterminer exactement le nombre et les dates de 1540 à 1559. Mais dans cette dernière année l’Institution parut en français, ainsi qu’en latin, sous sa forme définitive, telle qu’elle existe aujourd’hui, et que la présente édition la reproduit. De 1559 à 1566, l’ouvrage fut réimprimé chaque année, souvent en plusieurs lieux à la fois, et fréquemment depuis lors. — En 1696, Charles Icard, pasteur à Brême, fit paraître les deux premiers livres qu’il compléta en 1713, en dédiant l’ouvrage au roi de Prusse. Icard eut l’idée malheureuse de vouloir rajeunir le style de Calvin, et c’est pourtant son édition qui fut réimprimée à Genève en 1818, 3 vol. in-8°.

Les étrangers n’ont pas laissé à la France seule le privilège de ce livre. Bien que les éditions latines fussent répandues partout pour les lettrés, il fut traduit, encore du vivant de l’auteur, en italien, en espagnol, en anglais, et bientôt après en hollandais et en allemand. Le pasteur F.-A. Krummacher le traduisit de nouveau en cette dernière langue, et le publia à Elberfeld en 1833 et 1834. — De plus, d’innombrables extraits de l’Institution ont paru en divers temps, les éditeurs étant convaincus qu’un chapitre de cet ouvrage était le meilleur traité qu’on pût offrir au public sur un point quelconque de la dogmatique chrétienne.

Nous venons d’esquisser rapidement l’histoire extérieure, matérielle, bibliographique en un mot, du livre. Mais qui pourrait en écrire l’histoire intérieure et spirituelle ? qui en retracer toute l’influence ? Pendant près d’un siècle et demi l’Institution fut dans toutes les Eglises réformées la dogmatique des savants, la croyance des simples, la base des confessions ecclésiastiques, parce qu’on y voyait l’exposition la plus fidèle du christianisme, l’expression complète de ce qu’avait voulu la Réforme. — Des phases ultérieures dans le protestantisme, et qui ne furent pas toutes des progrès, ont pu faire rentrer dans l’ombre le livre de l’Institution ; mais au fond son empreinte est restée ineffaçable, et depuis un demi-siècle cette empreinte reparaît évidente, quoique diversement modifiée. Les besoins du dix-neuvième siècle peuvent, à bien des égards, n’être plus ceux du seizième ; mais de fait, dans ses traits fondamentaux, la conception du christianisme la plus vivante et la plus répandue dans les Eglises de Suisse, de France, de Belgique, d’Angleterre, d’Ecosse, de Hollande, de Hongrie, d’Amérique et des contrées les plus lointaines où l’Evangile se répand de nos jours, ne saurait renier sa filiation directe du livre de l’Institution. Toute histoire des dogmes du protestantisme qui ne prendrait pas ce livre pour point de départ, n’aurait jamais l’intelligence des trois derniers siècles. L’Allemagne elle-même, avec des origines réformatrices différentes, avec son profond besoin de spéculation auquel Calvin n’aurait pas suffi, avec ce sentiment intime de mysticisme, d’enthousiasme, de religieuse poésie dont la Réforme française a été moins pénétrée, l’Allemagne a subi profondément son influence.

Cette influence est entrée pour sa part dans tous les développements de la théologie et de la vie religieuse ; elle se fait sentir dans de nombreuses et florissantes Eglises presbytériennes (dans les provinces du Rhin, de Westphalie, par exemple, et dans quelques parties du Hanovre) ; elle a inspiré l’idée si vraie et si belle en elle-même de l’Union, et l’on peut dire qu’elle est indispensable comme élément de vérité dans l’œuvre si profonde et si complexe de la Réformation. Ce qui le prouve tristement de nos jours, c’est que partout où le protestantisme a répudié les doctrines et l’esprit de l’Eglise réformée, il a misérablement rétrogradé vers Rome. Le puseysme anglais ou allemand est là comme un avertissement sévère que les deux familles de la Réformation sont nécessaires l’une à l’autre.

 

III.

Aussi est-il généralement reconnu, même en Allemagne, par tous les hommes compétents, que l’Institution assigne à Calvin la première place dans l’œuvre théologique du seizième siècle. Eminent comme exégète, il fut le créateur de la théologie systématique. Ceci nous paraîtra plus remarquable encore si nous nous arrêtons un moment à cette question : Quelles ressources scientifiques Calvin avait-il devant lui pour composer son ouvrage ? En d’autres termes, où en était la dogmatique avant l’Institution ? Cette question nous conduira à signaler le principe fondamental de ce livre.

Quelque définition que l’on donne de la dogmatique, il faudra toujours la considérer comme l’exposition systématique du grand fait du salut. Cette exposition repose sur le double principe objectif et subjectif du protestantisme ; car, d’une part, un fait ne s’invente pas par la spéculation, il est historiquement donné, on en examine les preuves, on le constate avant même de chercher à l’expliquer. Dans ce sens, le fait de la rédemption est tout objectif et tout divin. Mais d’autre part, ce fait n’a de valeur et de réalité pour l’homme individuel, que s’il se légitime à lui, d’abord par sa nécessité, fondée sur notre nature morale, puis par son efficacité. En d’autres termes, comme ce fait suppose le péché, il doit être démontré aussi qu’il répond aux besoins de l’homme déchu, qu’il le relève, le rend à sa destination. Dans ce sens, le fait de la rédemption est subjectif et humain. Il résulte de là, d’une part, qu’aucune exposition du salut, aucune dogmatique ne sera dans le vrai, dans la vie, à moins de partir de l’homme pour aboutir à l’homme, c’est-à-dire de suivre une méthode anthropologique ; mais d’un autre côté, puisque le fait du salut est un fait et qu’il a ses documents authentiques, les saintes Ecritures, l’étude de ces Ecritures, faite à la lumière de l’Esprit de Dieu se rendant témoignage dans la foi individuelle et dans la foi de l’Eglise, fournira seule la matière de la dogmatique. Tel est son double principe divin et humain, dont elle s’efforcera de trouver la synthèse vivante. Or avant la Réformation, cette idée de la dogmatique n’était pas même soupçonnée ; elle était impossible. D’une part, l’autorité de l’Eglise, prohibant la formation de la conviction individuelle, se substituant elle-même au fait du salut comme objet de la foi, contestant l’autorité unique des Ecritures et interdisant toute libre exégèse, fermait d’un seul coup toutes les sources de la dogmatique comme science. D’un autre côté, la scolastique appliquée à la théologie, tout occupée d’abstractions étrangères à la vie, n’abordant dans ses sententiis que les principes religieux souvent les moins essentiels au salut, jetait ces sujets (loci) en certaines rubriques sans lien entre eux et sans aucun rapport avec un principe fondamental. — On ne peut pas même dire que la Réforme, en condamnant par la voix de Luther la scolastique comme système, ait rompu dès l’abord avec elle dans l’exposition de la doctrine. Sans doute, elle était revenue aux sources fécondes de l’Evangile, à la Parole de vie, mais ses premiers essais de dogmatique, en particulier les célèbres Loci communes, sive hypotyposes de l’excellent Mélanchthon, publiés d’abord en 1521, et traduits plus tard en français par Calvin, ne se ressentent que trop encore de la manière traditionnelle. Lui-même s’excuse d’avoir suivi la voie des loci alignés à la suite les uns des autres, et il montre dès l’abord le faible de la méthode, en commençant par l’article de Deo, sans aucun lien anthropologique avec cet Auteur de toutes choses. La vraie excuse de Mélanchthon était dans le but tout pratique de son petit livre, par lequel il voulait rendre accessible à l’esprit des jeunes gens de son université les principales vérités de la foi. C’est ce qui explique, non moins que le talent et le suave esprit de l’auteur, le grand succès de son ouvrage.

De Mélanchthon à Zwingli, il y a déjà progrès notable, sous le rapport de la méthode. Le dernier, dans son livre intitulé : Commentarius de vera et falsa Religione, qui parut en 1525, abandonne tout à fait la méthode scolastique des loci, construit un système religieux qui touche à la vie par tous les points, qui embrasse la connaissance de Dieu, de l’homme, de la rédemption, de la sanctification, de l’Eglise (ch. I-XVIII), et qui traite, dans les derniers chapitres, les questions controversées. Toutefois, l’ouvrage de Zwingli ne peut point encore être considéré comme une dogmatique scientifique. « La conception en est grande, remarque le docteur Ebrard dans sa Dogmatique chrétienne (t. I, p. 61), mais nulle part ne se trouve un ensemble d’idées précises et bien définies ; tout se meut dans un courant incessant. Il y a là un trésor de pensées vraiment spéculatives, mais pas un seul dogme complètement formulé. Cet écrit est plus propre à exciter l’intérêt qu’à instruire. »

Voilà où en était la dogmatique réformée quand Calvin écrivit la sienne, qui déjà avait subi ses principales transformations lorsque parut, en 1556, l’excellent Compendium religionis christianæ, de Bullinger, en sorte que le savant pasteur de Zurich dut profiter de l’Institution, et non l’inverse. — Afin qu’on ne nous soupçonne point de surfaire les mérites de cet ouvrage, nous avons cité le jugement d’un savant étranger sur la valeur du livre de Zwingli. Par la même raison, nous laisserons un autre théologien allemand, le docteur Schenkel (Dogm. chrét., t. I, p. 65, 66), nous dire sa pensée sur le principe anthropologique de l’Institution. Cela nous paraît d’autant plus important que ce principe était alors nouveau, et que ce caractère du livre de Calvin est loin d’être encore généralement reconnu. — « Calvin, dans son Institution, ce chef-d’œuvre de la dogmatique réformée, a pour la première fois fait l’essai d’un développement complet de la vérité du salut au point de vue de la conscience humaine, et cela d’après les quatre manifestations qui doivent la déterminer : la révélation dans le Père, dans le Fils, dans le Saint-Esprit et dans la communion de l’Eglise. Il prend son point de départ dans le sentiment inné de Dieu en l’homme, et il déclare inadmissible la recherche de ce que Dieu est en soi (quid sit) ; dans son système, la question de savoir ce que Dieu est pour l’homme (qualis sit) a seule de l’importance. Et dans son étude de ce sujet il est conduit par ce principe anthropologique : Insculptum mentibus humanis esse divinitatis sensum, qui deleri nunquam potest ; inditum esse divinitus religionis sensum. — Calvin ne procède donc pas, comme on l’admet généralement, de l’absolu à ce qui est créé, mais de la conscience innée de Dieu à la science du salut, et à la consolation du salut… Ce livre déclare ouvertement la guerre au dogmatisme scolastique traditionnel, et le seul reproche que nous lui ferions à cet égard, c’est que, dans l’exécution, l’auteur ne fait point assez droit à son principe anthropologique et subjectif, mais se laisse encore imposer par le vieux système métaphysique, ne le soumet pas à une critique assez absolue, et ainsi, par égard pour les faibles, jette un pont au moyen duquel ses successeurs reviendront à l’ancien traditionalisme… Mais quand le catéchisme de Heidelberg vint, avec une entière décision, mettre dans tout son jour la méthode anthropologique subjective, ce ne fut point là, comme on l’a cru, une anomalie, mais au contraire la pleine conséquence du système réformé… Même la doctrine de l’élection, purement théologique en apparence, et qui a pu ici et là, envelopper la dogmatique dans d’insondables problèmes métaphysiques, ne doit pas nous rendre douteux le fait que le système dogmatique repose sur un fondement anthropologique. Précisément par cette doctrine le sentiment inné de Dieu nous apparaît comme d’autant plus assuré dans les profondeurs intimes de la conscience individuelle. Ce qui fait l’essence pratique de la doctrine si souvent mécomprise de l’élection, ce n’est pas que Dieu veut de toute éternité le salut du croyant, mais que le croyant s’assure par la foi la possession personnelle et consciente d’un salut éternel. » — Le docteur Ebrard fait aussi dans sa Dogmatique cette remarque : « La prédestination n’apparaît pas comme decretum Dei (dans la partie de l’Institution qui traite de Dieu), mais comme electio Dei dans celle qui s’occupe de l’appropriation du salut ; ainsi toujours selon le principe anthropologique. »

 

IV.

La doctrine de la justification par la foi seule devait nécessairement amener la dogmatique à se fonder sur le principe que nous venons de reconnaître. Mais une vérité religieuse ne renverse pas en un jour de vieilles méthodes pour s’y substituer dans la science. Faire ce pas, fut un des principaux mérites de l’Institution. Voyons maintenant comment l’auteur, par plus de vingt ans de travail, a élevé sur cette base le majestueux édifice qu’il nous a laissé.

Nous l’avons déjà indiqué dans la citation qui précède : la connaissance de Dieu et de son œuvre créatrice, de Jésus-Christ et de son œuvre rédemptrice, du Saint-Esprit et de son œuvre de sanctification, de l’Eglise, envisagée comme dépositaire des moyens de grâce et de salut, telles sont les quatre grandes parties qui divisent l’ouvrage en autant de livres. La matière de chaque livre se partage en chapitres nombreux embrassant chacun un sujet clairement déterminé, et se subdivisant en autant de sections qu’il y a d’idées à développer. L’auteur commence d’ordinaire par l’exposition du sujet d’après l’Ecriture et l’analogie de la foi ; puis il discute les preuves et les objections dans les questions débattues ; il montre ensuite le côté pratique de la doctrine dont il s’agit, son application à la vie ; enfin, il se livre aune polémique étendue, et dont on regrette souvent le ton, contre les erreurs opposées. Telle est l’architecture de l’édifice. Mais il faut y entrer pour se pénétrer des richesses que l’auteur y a déposées. Une rapide analyse d’un si immense ouvrage ne saurait en donner l’idée ; aussi bien, le livre même est dans la main du lecteur, nous nous garderons de le retenir trop longtemps sur le seuil. Tout ce que nous désirons, c’est de lui montrer comment Calvin dans l’exécution, ramène tout au principe anthropologique, moral, pratique, que nous avons déjà signalé.

Le premier livre est consacré à la connaissance de Dieu en titre et qualité de Créateur et souverain Gouverneur du monde. Mais dès l’abord, point d’abstraction, car le premier chapitre ne traite guère que de la connaissance de nous-mêmes, ces deux connaissances étant « choses conjointes. » La somme de la vraie sagesse, « c’est qu’en cognoissant Dieu, chacun de nous se cognoisse. » Et voici le lien de ces deux idées : Nul ne peut porter sa pensée sur lui-même sans l’élever à Dieu, en qui nous avons la vie ; par ses bienfaits « qui distillent du ciel goutte à goutte, nous sommes conduits comme par petis ruisseaux à la fontaine. » Notre misère et notre ruine, notre ignorance et nos douleurs, tout nous presse de rechercher Dieu, tout nous « mène comme par la main pour le trouver. » Ceci n’est-il pas du Pascal anticipé ? Mais d’un autre côté, nul ne se connaîtra soi-même « jusqu’à ce qu’il ait contemplé la face de Dieu, et que du regard d’icelle il descende à regarder à soi. » La perfection de Dieu nous dit par un contraste criant, ce que nous sommes, et de là l’étonnement et l’humiliation de tous les hommes de Dieu à cette découverte.

Mais qu’est-ce que connaître Dieu ? Cette grave question est le titre du second chapitre. Et la réponse revient à nous rappeler que connaître Dieu, ce n’est point spéculer sur sa nature insondable, mais l’adorer, le craindre, se confier en lui avec une vraie piété, chercher en lui toute sa félicité. Tout le reste sert à peu de chose. — Mais cette connaissance de Dieu est tellement nécessaire au cœur humain, « qu’elle se trouve naturellement enracinée en l’esprit des hommes. » C’est là la pensée du troisième chapitre, pensée que l’auteur exprime dans les termes mêmes de Cicéron « homme payen », pour la tourner aussitôt contre ceux qui prétendent que « la religion a été controuvée par l’astuce et finesse de quelques gens, afin qu’ils missent quelque bride sur le simple populaire. » La voix de la conscience, bourrelant les malfaiteurs les plus puissants qui n’avaient rien à craindre des hommes, ne répond-elle pas suffisamment à ce mensonge ? — Toutefois, une longue et triste expérience ne prouve que trop que cette connaissance naturelle de Dieu est étouffée, soit par la folie, soit par la malice des hommes. — Il faut donc qu’ils y soient ramenés par d’autres moyens. Voici bien, sans doute, le spectacle magnifique de la nature qui raconte la gloire de Dieu, voici l’admirable organisation de l’homme, ses nobles facultés, le gouvernement des nations par un Dieu puissant, sage et juste (et ici Calvin fait parler tour à tour l’Ecriture, les Pères, les historiens, les savants, les poètes de l’antiquité) ; mais tous ces moyens n’ont jamais suffi ; « tant et de si belles lampes allumées au bastiment du monde nous éclairent en vain. » — Si donc l’homme doit arriver à la connaissance de Dieu (les philosophes païens l’ont eux-mêmes reconnu), il faut que Dieu se révèle à lui. Or, Dieu s’est révélé, et il a voulu que ses révélations « fussent enregistrées ; car si l’on considère combien l’esprit humain est enclin et fragile pour tomber en oubliance de Dieu, combien aussi il est facile à décliner en toute espèce d’erreurs, on pourra veoir combien il a esté nécessaire que Dieu eust ses registres authentiques pour y coucher sa vérité, afin qu’elle ne périst point… » — Mais ces « registres », quel témoignage auront-ils de leur autorité divine et même de leur authenticité ? L’Eglise ? On l’a prétendu depuis Augustin (dont l’auteur commente ici le fameux passage sur ce sujet) ; mais puisque l’Eglise elle-même est fondée sur la parole des apôtres et prophètes, comment serait-elle le fondement de cette parole ? Non, il n’y a, pour les savants comme pour les simples, qu’un témoignage infaillible de la vérité divine des Ecritures, c’est le Saint-Esprit en nous. En d’autres termes, Calvin en appelle à l’expérience du croyant, à « une telle persuasion laquelle ne requiert point de raisons. » — « Il n’y a de vraye foi que celle que le Saint-Esprit scelle en nos cœurs. » (1.8.5). — Cette vérité, féconde en conséquences, peut être envisagée comme le principe fondamental de la dogmatique de Calvin, comme la base de toute sa théologie. Ce qui ne l’empêche pas de consacrer un long chapitre à exposer les preuves apologétiques de la vérité de la Bible, ni de réfuter rudement « les esprits escervelez » qui, sous prétexte des lumières du Saint-Esprit, méprisent la lettre de l’Ecriture. — Après cette digression sur l’Ecriture, Calvin revient à son sujet, la connaissance de Dieu, qu’il oppose à l’usage idolâtre de se faire des images de la Divinité. Il arrive ainsi au célèbre ch. 13, où, en 29 sections, il traite de la Trinité. Il s’explique d’abord longuement et clairement sur la valeur des termes théologiques, de Trinité et de personnes, admis dans l’Eglise pour exprimer l’Essence divine (on sait que Calvin et Farel provoqués par Caroli, refusèrent pendant un temps d’employer ces termes) ; il établit ensuite, avec une admirable connaissance des Ecritures, la preuve scripturaire de la divinité de Jésus-Christ et du Saint-Esprit ; puis, après une sobre spéculation sur le rapport des trois personnes, il se livre à une longue et violente polémique contre les adversaires de cette doctrine. — L’auteur passe ensuite à la création. Le chapitre le plus remarquable en ce sujet est celui qu’il consacre à la création de l’homme, à ses facultés et à son état primitif. — Enfin, ce livre Ier se termine par trois chapitres sur la Providence et le gouvernement du monde. Les adversaires de Calvin n’ont pas attendu sa doctrine de l’élection pour l’accuser de fatalisme, ils ont cru reconnaître cette erreur stoïcienne dans le sujet même de la Providence. Il est certain qu’il y a pleine harmonie dans le système de l’auteur ; ses vues sur le gouvernement de Dieu préparent ses vues sur l’élection ; il est certain aussi que, la logique aidant, il serait possible de tirer de l’une et de l’autre doctrine des conséquences terriblement menaçantes pour la liberté. — « Ceux qui veulent rendre ceste doctrine odieuse, calomnient que c’est la fantaisie des stoïques, que toutes choses adviennent par nécessité. Ceste opinion, c’est faussement et malicieusement qu’on nous la met sus. » (1.16.8.) Ainsi répond Calvin, et il réfute longuement l’inculpation de fatalisme. — Quiconque lit ses écrits, plus à la lumière de l’expérience chrétienne qu’à celle de la logique, restera parfaitement convaincu que ni sa doctrine de la Providence, ni celle de l’élection ne renferme en pratique la négation de la liberté morale, bien moins encore de la responsabilité. Quel écrivain trouva jamais des raisons plus énergiques pour porter l’homme à l’action, à l’obéissance, à la sanctification ? Dans le sens de Calvin, la foi en la Providence et en l’élection de grâce est pour le croyant une force, non un oreiller ; cette foi ne lui met point des entraves, mais lui donne des ailes.

Le livre IIe va nous fournir des preuves nouvelles que Calvin, tout en exposant dans leur plénitude objective les doctrines distinctives du christianisme, n’abandonne jamais son terrain anthropologique.

Ce livre porte pour titre : De la cognoissance de Dieu, entant qu’il s’est monstré Rédempteur en Jésus-Christ, etc. — Mais avant la rédemption, la chute, le péché. L’auteur ne consacre pas moins de cinq longs chapitres à ce sujet, traité sous toutes ses faces, souvent avec profondeur, toujours avec un grand sérieux. De la question du péché, de la manière dont on l’envisage dépend toute la théologie. — Ici encore, tout en s’élevant jusqu’aux problèmes les plus redoutables que se soit posés l’esprit humain, tout en donnant des solutions parfois fort hardies, Calvin ne perd jamais de vue l’homme, la vie pratique. « Ce n’est pas sans cause que par le proverbe ancien a tousjours esté tant recommandée à l’homme la cognoissance de soy-mesme. » Voilà son premier mot. Et s’il pousse jusqu’à ses dernières conséquences le triste fait de la chute et du péché, son but pratique est très clair devant ses yeux : D’une part, nous porter à bénir Dieu qui continue pourtant à nous témoigner sa bonté, et nous rendre dépendants de la grâce qu’il nous offre ; d’autre part, « que nostre misérable condition et le sentiment d’icelle abate en nous toute gloire et présomption, et, en nous accablant de honte, nous humilie. » (2.1.1) ? Toutefois, il n’a pas ignoré le danger qu’il y aurait à accabler l’homme de son impuissance jusqu’à lui ôter le sentiment de sa responsabilité, lui qui, dès les premiers mots de son chapitre sur le « franc arbitre », établit si bien cet équilibre psychologique : « Or, voici le moyen qui nous gardera d’errer, c’est de considérer les dangers qui sont d’une part et d’autre. Car quand l’homme est desnué de tout bien, de cela il prend soudaine occasion de nonchalance. Et pource qu’on lui dit que de soy-mesme il n’a nulle vertu à bien faire, il ne se soucie de s’y appliquer, comme si cela ne lui appartenoit de rien. ? D’autre part, on ne lui peut donner le moins du monde, qu’il ne s’eslève en vaine confiance et témérité, et aussi qu’on ne desrobe autant à Dieu et à son honneur. » — Ces derniers termes renferment le vrai secret de la théologie de Calvin sur les points qui nous occupent, et j’ajoute le secret de toute sa vie : l’honneur de Dieu. — Aussi, est-ce ce principe suprême qui, dans la pratique, a toujours sauvé le système du Réformateur des conséquences désastreuses que la logique pourrait en déduire.

Incapable de se relever lui-même de sa profonde déchéance, l’homme n’est pourtant pas abandonné de Dieu, qui lui offre un moyen admirable de salut en Jésus-Christ (ch. 6). Pour l’y préparer et l’y disposer, Dieu lui donne une loi morale qu’il ne pourra pas observer. Le but de cette loi, l’exposition complète des commandements qu’elle renferme, la similarité et les différences des deux Alliances occupent ici notre auteur dans ses chapitres 7 à 11. On a souvent reproché aux Réformateurs d’avoir confondu l’esprit de l’Ancien Testament et celui du Nouveau. Nul, après avoir lu ces deux derniers chapitres, ne fera avec justice ce reproche à Calvin ; au contraire, nous pensons que même la théologie moderne peut y puiser, sur l’harmonie du plan de Dieu, de profondes vérités, auxquelles elle fera bien de sacrifier plus d’une funeste erreur.

Parvenu à ce point de sa course, déjà bien longue, Calvin peut enfin élever sa pensée de l’homme déchu vers Celui qui est venu le sauver. Il traite donc ici du Rédempteur et de la rédemption. « Or il estoit tant et plus requis que cestuy qui devoit estre nostre Médiateur fust vray Dieu et homme. » Tels sont les premiers mots de cette partie fort remarquable de l’Institution, où l’auteur établit abondamment par les Ecritures, et défend contre toutes les objections des incrédules la nécessité de l’incarnation du Fils de Dieu, la réalité de son humanité, l’union en lui des deux natures, son triple office de Prophète, de Sacrificateur et de Roi, son œuvre rédemptrice accomplie par sa mort expiatoire, sa résurrection et son retour dans la gloire (ch. 12 à 16). Un dernier chapitre clôt dignement ce livre en montrant que l’œuvre de Jésus-Christ a réellement mérité à l’homme pécheur la grâce de Dieu et le salut éternel. C’est ici que, pour la troisième fois, mais tout à fait ex professo, Calvin démontre, en épuisant les déclarations de l’Ecriture, l’expiation du péché par le sang de la croix. Est-ce pour cela qu’on a affirmé de nos jours qu’il n’a point enseigné cette doctrine ? Pourquoi pas ? Les mêmes hommes qui ne savent ou ne veulent pas la voir dans le Nouveau Testament ne peuvent-ils pas, avec autant de raison, la dénier à l’Institution ?

Le grand salut est objectivement accompli. Mais comment l’homme pécheur, encore irrégénéré, pourra-t-il se l’approprier ? C’est à cette question si importante que va répondre le troisième livre, intitulé : De la manière de participer à la grâce de Jésus-Christ, des fruits qui nous en revienent, et des effects qui s’en ensuivent. Trouver un rapport assez intime et vivant pour que l’œuvre rédemptrice de Jésus-Christ accomplie hors de nous se réalise en nous, tel est, aujourd’hui encore, un des problèmes les plus difficiles de la dogmatique, une des questions les plus perplexes de l’expérience chrétienne. D’ordinaire, on recourt immédiatement à la foi, et Calvin n’y manquera pas. Mais, avec ce tact exquis que l’on pourrait appeler en lui un bon sens religieux, il a senti que ce lien entre les deux termes dont il s’agit n’est point noué encore, et qu’il doit l’être par une force plus grande et plus pénétrante que tout ce qui est de l’homme. Et cette force est à ses yeux « l’opération secrète du sainct Esprit. » Aussi longtemps que nous sommes hors de Christ et séparés de lui, « tout ce qu’il a fait ou souffert pour le salut du genre humain nous est inutile et de nulle importance. » Il faut que « nous soyons faits un avec lui. » Voilà une grave application du principe anthropologique que nous retrouvons partout dans ce livre. « Or, combien que nous obtenions cela par foy, néantmoins puisque nous voyons que tous indifféremment n’embrassent pas cette communication de Jésus-Christ, laquelle est offerte par l’Evangile, la raison nous induit à monter plus haut, pour nous enquérir de la vertu et opération secrète du sainct Esprit, laquelle est cause que nous jouissons de tous ses biens » (3.2,1). Et l’auteur consacre à cette pensée si profondément vraie son premier chapitre.

Maintenant il peut sans lacune passer au côté subjectif du rapport cherché, je veux dire la foi. « Mais pource que la foy est son principal chef-d’œuvre (du Saint-Esprit), la plupart de ce que nous lisons en l’Escriture touchant sa vertu et opération, se rapporte à icelle foy… » L’auteur traite ici ce grand sujet de la manière la plus complète ; il l’envisage sous toutes ses faces selon les Ecritures, interprétées à la lumière de l’expérience ; il redresse les erreurs du catholicisme et réfute les objections de l’incrédulité. Ce chapitre 2 n’a pas moins de 43 sections ; c’est tout un traité sur la matière.

L’œuvre intérieure commencée par le Saint-Esprit produisant la foi, se poursuit et devient repentance, régénération du cœur et de la vie. C’est là le sujet du chapitre 3 : « Combien que j’ay desjà enseigné en partie comment la foy possède Christ, et comment par icelle nous jouissons de ses biens, toutesfois cela seroit encores obscur, si nous n’adjoustions l’explication des fruits et effets que les fidèles en sentent en eux. Ce n’est pas sans cause que la somme de l’Evangile est réduite en pénitence et rémission des péchés. Parquoy en laissant ces deux articles, tout ce qu’on pourra prescher ou disputer de la foy, sera bien maigre et desbifé (édit. lat. jejuna et mutila), voire du tout inutile » (3.3.1). Ici Calvin insiste sur cette idée très digne de remarque que la foi précède la repentance et la produit. Il consacre ensuite deux chapitres polémiques (4 et 5) à la confession, aux satisfactions humaines, aux indulgences, au purgatoire. Quant à la confession, il rejette les dangereuses erreurs du catholicisme ; mais il conserve la confession scripturaire, libre à l’égard des personnes, pleine de confiance, et très propre à rendre la paix à telle conscience travaillée et chargée. Inutile, du reste, d’ajouter que selon le Réformateur, la vraie confession se fait par le chrétien aux pieds de son Dieu-Sauveur. L’autre n’est qu’un moyen de rendre celle-ci plus complète, plus sincère.

La vie chrétienne est formée : comment se développe-t-elle ? à quels signes reconnaître ses progrès ? Ces questions se sont présentées à Calvin et il y répond ici dans une suite de chapitres (6 à 10) que ne liront pas sans étonnement ceux qui ne voient en lui qu’un théologien froid et sec. N’était le style, toujours reconnaissable à son énergie, on serait tenté d’attribuer à saint Bernard, à Kempis ou à quelque autre mystique du moyen âge telle de ces pages sur la vie de l’homme chrétien. Faire consister cette vie de l’homme chrétien dans le renoncement à nous-mêmes, se manifestant par l’obéissance, par la charité envers tous les hommes, par l’amour pour Dieu, par la patience à « souffrir la croix ; » inspirer au croyant ce renoncement par les plus puissants motifs ; lui montrer sa consolation suprême dans « la méditation de la vie à venir, » sans lui permettre ni découragement, ni dégoût de la vie présente ; lui donner des directions pleines de sagesse sur l’appréciation et l’usage des biens de la terre et de la pauvreté, voilà ce qui dénote dans le Réformateur une notion trop profonde de la vie intérieure, pour qu’elle soit en lui autre chose que le fruit de l’expérience.

L’auteur n’a point encore abordé de front la doctrine capitale de la Réforme, le point central de la dogmatique au seizième siècle, la justification par la foi, dans son rapport avec les œuvres. C’est ici seulement que Calvin traite cette grande vérité, et l’on ne conçoit guère la raison de la place qu’il lui assigne. Pourquoi pas immédiatement après le riche chapitre sur la foi, dont la justification est le premier fruit ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas faute d’en avoir reconnu l’importance, car ce sujet n’occupe pas moins de huit longs chapitres (11 à 18) tant il y avait à enseigner, à discuter, à réfuter sur cette doctrine. Après avoir épuisé pour la prouver toutes les déclarations de l’Ecriture, élucidées par une lumineuse exégèse, l’auteur cite l’homme au tribunal de Dieu et le convainc sans réplique qu’il ne saurait y subsister autrement que par la justice dont le couvre son Sauveur. Il y a dans cette redoutable démonstration une force qui s’élève souvent jusqu’à l’éloquence. Quant aux objections que Calvin réfute si victorieusement, ce sont les mêmes, ou à peu près, qu’on oppose aujourd’hui encore à la glorieuse doctrine apostolique. Nul ne lira ce traité sans un vif intérêt, ni sans en retirer une solide instruction, alors même qu’il n’admettrait pas telle vue ou tel argument de l’auteur.

La justification par la foi seule est la source de la liberté chrétienne, envisagée dans ses rapports avec la société humaine et avec les jouissances de la vie. Calvin consacre à ce sujet un chapitre (19) qu’il est intéressant de comparer avec la pratique établie par lui dans l’Eglise de Genève. Ensuite il traite ici, sans que l’on puisse voir par quelle raison d’ordre, de l’Oraison. Ce chapitre, qui n’a pas moins de 52 sections, et qui renferme entre autres une exposition de l’Oraison dominicale, est riche d’expérience chrétienne.

Entre ce chapitre sur la prière et un dernier sur la résurrection, l’auteur développe longuement dans quatre chapitres (21 à 24) ses vues sur une doctrine qui, aux yeux de la postérité, a marqué de son cachet toute la théologie calviniste, je veux dire la doctrine de la prédestination. Tandis que la plupart des autres vérités évangéliques, plus ou moins modifiées par la pensée individuelle, sont admises encore dans les Eglises réformées telles à peu près que Calvin les avait comprises et exposées, nous croyons qu’il est à peine aujourd’hui quelques rares chrétiens qui puissent partager en plein ses convictions sur la doctrine dont il s’agit ici. Non que ces convictions lui soient particulières ; il les trouvait chez saint Augustin, qu’il cite sans cesse dans ces pages, et l’un et l’autre croyaient fermement les avoir puisées dans les Ecritures. En présence des redoutables questions que soulèvent dans la conscience humaine les faits de l’existence du mal, de la chute, des causes efficientes du salut des uns, de la condamnation des autres, les esprits soumis aux enseignements de la Parole de Dieu ont tous cherché une théodicée dans une certaine harmonie entre la souveraineté de Dieu et la liberté de l’homme. Selon qu’ils ont pressé plus ou moins tel ou tel ordre de déclarations de l’Ecriture, ils ont incliné plus ou moins vers la souveraineté divine ou vers la liberté humaine. Peu sont allés, dans ce dernier sens, jusqu’à nier une élection de grâce, diminuant l’œuvre de Dieu pour faire tout dépendre de l’homme, semi-pélagianisme aussi peu conforme aux faits de l’expérience qu’aux enseignements de l’Ecriture. Mais, en admettant l’élection de grâce, qui, bien comprise, est pour le fidèle une source à la fois d’humiliation, d’assurance et de paix, tous, ou à peu près, s’accordent à croire que la Bible n’enseigne point un décret de réprobation ; tous aussi s’accordent à penser que Dieu possède par devers lui le secret de concilier cette élection avec la liberté et la responsabilité de l’homme, soit que celui-ci accepte ou rejette le salut qui lui est offert.

Quant à Calvin, entraîné par la logique en traitant ce redoutable sujet, il conclut que s’il y a un décret d’élection, il y en a un aussi de réprobation. Voici sa doctrine telle qu’il la définit : « Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il vouloit faire d’un chacun homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition ; mais ordonne les uns à vie éternelle, les autres à éternelle damnation » (3.21,5).

Cette double prédestination, précédant tous les temps et la création du monde, Calvin l’attribue au « conseil éternel et immuable » de Dieu. « Nous disons que ce conseil, quant aux élus, est fondé en sa miséricorde, sans aucun regard de dignité humaine ; au contraire, que l’entrée de vie est forclose à tous ceux qu’il veut livrer à damnation » (3.21,7). Il faut bien remarquer que Calvin ne prouve la réprobation éternelle, qui n’est nulle part enseignée dans l’Ecriture, que par une conclusion logique : Il y a une élection, donc aussi une réprobation. « Ceux que Dieu laisse en eslisant, il les réprouve » (3.23,1). Admettre l’élection et rejeter la réprobation sans s’inquiéter de la logique, est à ses yeux « puéril et une sottise trop lourde. »

Rien dans les développements et dans les preuves n’adoucit la crudité de cette opinion. Calvin est convaincu qu’il y va de « l’honneur de Dieu » à ce que le côté humain disparaisse dans ses mystérieux rapports pour laisser seule et incontestée la souveraineté divine.

Il semble, au premier abord, qu’avec une si impitoyable doctrine Calvin abandonne tout à fait le principe anthropologique que nous avons reconnu ; bien plus, on se demande s’il ne va pas tomber dans toutes les désastreuses conséquences du fatalisme. Chose remarquable ! il n’en est rien. Aucune partie de son livre ne fait cette impression, et l’on sait ce que fut l’action de sa vie entière. Il suffit que le Maître dont il proclame l’absolue souveraineté soit, non un aveugle fatum, mais le Dieu de l’Evangile dont la miséricorde triomphe de toutes nos erreurs ; il suffit que Calvin déclare, avec l’austère énergie de son âme, à ceux qui périssent, que « nul ne périra sans l’avoir mérité, » aux élus, qu’ils le sont selon l’Esprit de sainteté, pour être saints et irrépréhensibles devant Dieu ; il suffit qu’il rappelle aux uns et aux autres que le dessein éternel de l’élection, qui est secret, se manifeste par la vocation, par la Parole, à laquelle nous devons croire et obéir pour travailler à notre salut avec crainte et tremblement ; il suffit de cela pour neutraliser dans la pratique une conception épouvantablement fausse à force d’être logique. Cela seul explique la sérénité avec laquelle un homme aussi consciencieux se meut parmi ces terribles écueils : « Combien toutesfois que ceste dispute de prédestination soit estimée comme une mer orageuse, si est-ce que la navigation y est seure et paisible, et mesme joyeuse, sinon que quelqu’un affecte de son bon gré se mettre en danger » (3.24.4).

Nous n’analyserons pas le quatrième livre, non que l’importance en soit moindre que celle des autres ; mais nous devons nous borner, et d’ailleurs la plupart des sujets traités ici se laissent difficilement résumer. Des vingt chapitres que renferme ce dernier livre l’auteur en consacre douze aux diverses questions relatives à l’Eglise, avec force polémique contre le catholicisme ; un aux vœux monastiques ; six aux sacrements, et un dernier au gouvernement civil. On ne peut assez s’étonner qu’à notre époque de renouvellement ecclésiastique, où toutes les questions qui touchent de près ou de loin à l’Eglise sont agitées en tous sens, on n’ait pas éprouvé un besoin plus universel de prendre en sérieuse considération cette voix imposante de notre Réforme. Quoi ! on veut reconstituer nos Eglises, et l’on ne daigne pas même s’enquérir de leurs origines, ni écouter les conseils d’une expérience de trois siècles ! Libre à chacun de rejeter les vues du grand Réformateur ; mais sera-ce sans l’avoir entendu ?

 

V.

Nous n’hésitons pas à étendre à toute l’Institution la remarque que nous venons de faire sur le quatrième livre. Scientifiquement, il n’est permis aujourd’hui, ni au théologien, ni au laïque qui prétend à de solides connaissances religieuses, de négliger l’ouvrage qui fut le fondement dogmatique de la Réforme française, et dont les neuf dixièmes au moins du Protestantisme porte aujourd’hui encore l’ineffaçable empreinte.

Que l’on veuille bien ne pas nous comprendre mal : Nous déclarons bien haut qu’en matière de vérité religieuse, nous ne reconnaissons comme maître aucun homme, et comme autorité aucun livre d’homme. Nous nous inclinons avec l’obéissance de la foi devant Celui-là seul qui put dire : « Je suis la vérité, je suis la lumière, je suis la vie. » Nous n’admettons, comme l’expression adéquate de sa révélation, que le Testament qu’il nous a donné par le Saint-Esprit. A tout le reste nous appliquons le grand principe de Paul : Examinez toutes choses, retenez ce qui est bon. Nous déclarons non moins haut que nous ne pensons point que les productions de l’esprit religieux d’une époque, même les plus excellentes et les plus illustres, soient propres à répondre à tous les besoins d’une autre époque. Ici, comme en toutes choses, nous croyons au progrès. Loin de nous l’idée de prêcher la perfectibilité de l’Evangile, qui fut parfait dès le jour où Jésus-Christ acheva son œuvre par l’effusion de son Saint-Esprit sur son Eglise. Mais ce qui est très perfectible, ce en quoi nous devons faire de continuels progrès, c’est la conception et l’exposition de la vérité chrétienne dans des applications toujours nouvelles, dans des résultats toujours plus riches et plus beaux, pour le salut de notre humanité déchue. Or, s’il en est ainsi, il est évident que nous trouverons dans un livre humain qui a trois siècles de date des formes vieillies, des procédés de polémique qui répugnent à notre sentiment, des opinions qui portent l’empreinte des erreurs du temps, en un mot, une insuffisance à répondre à tous les besoins intellectuels et moraux de notre époque.

Mais ces concessions abondamment faites, que de motifs appelaient impérieusement la reproduction du livre qui nous occupe ! En est-il aucun qui ait une telle importance historique d’abord ? Qui connaîtra bien la Réforme sans s’être familiarisé avec ses doctrines, et qui connaîtra ses doctrines sans avoir lu le livre qui en fut pendant deux siècles l’arsenal et l’étendard ? N’oublions pas, d’ailleurs, que ces immortels principes sont bien ceux qui soulevèrent le monde, renouvelèrent l’Europe, firent des milliers de martyrs, créèrent nos Eglises, et furent leur force, leur vie, leur consolation au sein des orages et des souffrances de plusieurs siècles. Pour revivre avec nos pères, pour les comprendre, pour sympathiser avec eux dans leurs combats et dans leur foi, il faut relire l’Institution, dont ils se nourrissaient, eux à qui les presses de Genève, de Hollande et d’ailleurs ne pouvaient en fournir assez.

Mais si l’importance historique de l’Institution est grande, sa valeur intrinsèque l’est plus encore. Dans quels ouvrages de théologie moderne retrouve-t-on cette richesse de pensée et cette clarté limpide de style, cette vaste érudition et cette vivante piété, cette profonde connaissance des Ecritures et cette mûre expérience de la vie chrétienne ? En lisant ce livre on fait à la fois un cours de dogmatique, de morale, d’exégèse, d’histoire du dogme et de patristique. Que ne renferme-t-il pas ? Nos discussions actuelles ? Qu’elles aient rapport à la doctrine ou à une question quelconque du gouvernement de l’Eglise, elles sont là avec tous les arguments pour et contre, et une solution le plus souvent conforme au bon sens et à la Parole divine. Et l’on se dit : « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. » Ces caractères, joints à l’esprit pratique de Calvin, et tous pénétrés de son principe anthropologique, rendent son livre immédiatement applicable à la vie. On oublie en le lisant la rudesse des formes et les restes de scolastique qui s’y trouvent, tant l’âme est élevée et édifiée par cette conscience austère et brûlante de zèle pour la gloire de Dieu.

Nous avons réimprimé les Commentaires de Calvin, et il est permis d’espérer qu’ils seront beaucoup consultés parmi nous. Mais l’auteur lui-même, se référant à son Institution, nous apprend quelque part qu’il ne s’est étudié à si grande brièveté dans ses livres exégétiques que parce qu’il avait exposé là toute sa pensée sur les grandes vérités de la foi. De sorte que, même pour la lecture des Commentaires, l’Institution est un complément indispensable.

Enfin l’époque où reparaît ce chef-d’œuvre sans égal du seizième siècle est des plus graves. Le réveil de la foi et de la piété dans nos Eglises a ramené les esprits sérieux vers les études théologiques et religieuses. Mais ces études mêmes, en soulevant une à une toutes les questions, ont dû recevoir des solutions fort différentes, et de là, sur tous les points, les luttes dont nous sommes témoins. Les uns, regardant vers l’avenir plus qu’au passé, reprochent au Réveil d’être revenu simplement aux doctrines de la Réforme acceptées en bloc comme un héritage traditionnel ; les autres, voyant « les fondements renversés » et le doute couler à plein bord même parmi ceux dont la vocation est de prêcher la foi, se défient du travail de la pensée, s’effrayent de la science, répudient cette Eglise de l’avenir qu’on leur promet, et s’attristent d’un mouvement qu’ils ne peuvent ni réprimer ni mesurer dans ses résultats inconnus. Ailleurs encore monte le flot croissant des préjugés qui ne vont à rien moins qu’à faire de l’auteur de l’Institution un dangereux hérésiarque, à briser tout lien de communion chrétienne entre les deux grandes familles de la Réformation, à exclure du corps de Christ tout ce qui n’abjure pas Genève pour Wittemberg et Augsbourg. — De son côté, le catholicisme en est encore à puiser ses notions de la Réforme française dans les livres d’Audin, ou, ce qui ne vaut pas beaucoup mieux, dans les Variations de Bossuet, ou encore dans quelques traités polémiques de Calvin qu’on a donnés au monde comme des curiosités littéraires ; et après tout il persiste à ne voir dans le grand mouvement du seizième siècle qu’une révolution en faveur de la liberté, que le triomphe de la religion toute négative du libre examen. — Questions sérieuses, sans doute, et qui doivent être débattues jusqu’au bout, vidées et résolues sans aucune crainte pour la vérité de Dieu qui est éternelle ; mais questions que nous voyons partout compliquées de préjugés, de malentendus. Ne faudrait-il pas, avant toute discussion, s’efforcer de les dissiper ?

Dans ce but, nous présentons à chaque parti le livre de l’Institution, et nous disons à tous : Lisez ! — Hommes de la science et du progrès, consentez à suspendre pour un moment vos rêves d’avenir, à regarder une fois encore en arrière, à vous replonger dans ce seizième siècle que peut-être vous connaissez trop peu ; et après avoir relu, vous verrez si vous pourrez encore flétrir du nom d’orthodoxie et rejeter comme des formules ce qui aura saisi votre conscience, humilié et relevé votre cœur. Des formules, oh ! elles nous importent peu ; mais quel déplorable malentendu si, sous ce nom, vous alliez répudier la vérité et la vie, et si, sans en avoir le droit, vous accusiez un seul de vos frères d’avoir cru à des formules ! — Hommes du Réveil, lisez ! et quand vous serez pénétrés de la sainte spontanéité avec laquelle nos grands Réformateurs élaborèrent leur foi par les Ecritures librement interprétées et par le rude travail de la conscience et de la pensée, quand vous les entendrez en appeler sans cesse à l’expérience individuelle et au témoignage intérieur du Saint-Esprit comme démonstration suprême de la divinité des Ecritures elles-mêmes, peut-être redouterez-vous moins chez vos frères celte méthode d’arriver à la foi, peut-être la trouverez-vous moins que toute autre sujette à de terribles illusions, peut-être conclurez-vous que le Réveil lui-même s’est inspiré beaucoup moins de notre Réformation que de certaines écoles modernes et étrangères. — Frères luthériens, lisez ! et vous verrez que le livre qui servit d’étendard à l’Eglise réformée n’enseigne ni sur l’Eglise elle-même, ni sur le ministère de la Parole, ni sur la personne de Christ, ni sur la justification par la foi, ni sur les sacrements du baptême et de la cène, ce qu’on vous présente comme article de foi dans votre Formula Concordiæ, ou que vous avez entendu dans la chaleur de la polémique, ou que vous avez vu dans quelques congrégations réformées. Vous comprendrez que pour chercher et trouver entre les deux familles de la Réformation un fraternel consensus, les termes à réduire en synthèses ne sont pas le luthéranisme d’une part, et de l’autre un zwinglianisme superficiel, mais que la partie qui vous tend la main et vous propose une alliance de foi et d’amour, c’est l’Eglise réformée, avec sa pure doctrine et sa belle vie, scellées du sang de ses martyrs. — Catholiques sérieux, ouvrirez-vous le livre que nous vous présentons ? Ne vous laissez pas rebuter par une polémique acerbe, dont tous les partis usaient et abusaient au seizième siècle ; pénétrez au fond des choses, et vous y trouverez non des négations et des protestations seulement, ou des problèmes proposés aux spéculations des philosophes, mais cette vérité positive, apostolique, divine, apportée à un monde perdu dans les ténèbres du péché, par le Fils du Dieu vivant que nous adorons avec vous, vérité qui seule peut répondre aux besoins profonds des âmes. Conduits par Calvin lui-même au pied de la croix du Calvaire, vous y puiserez comme lui, avec le pardon, la paix et la vie.

Irons-nous plus loin ? convierons-nous au somptueux banquet préparé par le Réformateur ceux à qui le rationalisme philosophique a rendu absurde l’idée de toute révélation positive, ceux-là même que la spéculation a poussés de proche en proche jusqu’à l’abîme sans fond du panthéisme ? Pourquoi pas ? Justement parce que Calvin présente sans ménagements, avec toute l’énergie d’une conscience honnête, ces doctrines et ces faits du christianisme que Paul appelait « la folie de la croix ; » justement parce que, un siècle avant Pascal, il se montre assez fort pour accabler l’homme orgueilleux du poids de sa misère, et pour lui montrer ensuite le seul relèvement possible, — qui sait si cette méthode étrange, inaugurée par le Prophète de Nazareth, suivie par son plus grand missionnaire, et non sans succès, devant l’aréopage d’Athènes, n’atteindrait pas tel penseur trop sérieux pour trouver la paix auprès de Kant ou de Hegel ? « Quant aux hommes, cela est impossible, mais toutes choses sont possibles à Dieu. »

Nous laissons le lecteur dans la société du plus grand théologien du seizième siècle. Que l’Esprit de Dieu préside à leurs secrets entretiens !

Louis Bonnet

 

Jehan Calvin au lecteur

Pource qu’en la première édition de ce livre je n’attendoye pas qu’il deust estre si bien receu comme Dieu l’a voulu par sa bonté inestimable, je m’en estoye acquitté plus légèrement, m’estudiant à briefveté : mais ayant cognu avec le temps qu’il a esté recueilly de telle faveur que je n’eusse pas osé désirer (tant s’en faut que je l’espérasse) je me suis senty d’autant plus obligé de m’acquitter mieux et plus plenement envers ceux qui recevoyent ma doctrine de si bonne affection, pource que c’eust été ingratitude à moy, de ne point satisfaire à leur désir selon que ma petitesse le portoit. Parquoy j’ay tasché d’en faire mon devoir : non-seulement quand ledit livre a esté imprimé pour la seconde fois, mais toutes fois et quantes qu’on l’a r’imprimé, il a esté aucunement augmenté et enrichy. Or combien que je n’eusse point occasion de me desplaire au travail que j’y avoye prins, toutesfois je confesse que jamais je ne me suis contenté moy-mesme, jusques à ce que je l’ay eu digéré en l’ordre que vous y verrez maintenant, lequel vous approuverez, comme j’espère. Et de faict, je puis alléguer pour bonne approbation, que je ne me suis point espargné de servir à l’Eglise de Dieu en cest endroict, le plus affectueusement qu’il m’a esté possible : en ce que l’hyver prochain, estant menacé par la fièvre quarte de partir de ce monde, d’autant plus que la maladie me pressoit, je me suis d’autant moins espargné, jusques à ce que j’eusse parfait le livre, lequel survivant après ma mort monstrast combien je désiroye satisfaire à ceux qui desjà y avoient proufité, et désiroyent d’y proufiter plus amplement. Je l’eusse bien voulu faire plustost : mais ce sera assez tost, si assez bien : et quant à moy, il me suffira qu’il ait apporté fruit à l’Eglise de Dieu, encores plus ample que par cy-devant. Voylà mon seul souhait : comme aussi de faict je seroye bien mal récompensé de mon labeur, si je ne me contentoye estre approuvé de mon Dieu, pour mespriser les folles opinions et perverses des ignorans, ou les calomnies et détractions des malins. Car combien que Dieu ait du tout attaché mon cœur à une droicte affection et pure d’augmenter son règne, et servir à l’utilité de son Eglise : que ma conscience me rende bon et certain tesmoignage devant luy et devant ses Anges, que je n’ay eu autre intention depuis qu’il m’a donné ceste charge et office d’enseigner, sinon de proufiter à son Eglise en déclairant et maintenant la pure doctrine qu’il nous a apprise : toutesfois je ne pense point qu’il y ait homme sur la terre qui soit plus assailly, mords et deschiré par fausses détractions, tant des ennemis manifestes de la vérité de Dieu, que de beaucoup de canailles qui se sont fourrez en son Eglise : tant des Moines qui ont apporté leurs frocs hors de leurs cloistres pour infecter le lieu où ils venoyent, que d’autres vileins qui ne valent pas mieux qu’eux. Sans aller plus loing, desjà ceste Epistre estoit sous la presse quand j’ay receu certaines nouvelles d’Ausbourg, où les estats de l’Empire se tenoyent, qu’il y avoit là couru un grand bruit que je m’estoye révolté à la Papauté, lequel avoit esté recueilly par les cours des Princes avec trop grande facilité : ce qui monstroit que beaucoup de meschans hypocrites faisans profession de l’Evangile, eussent bien voulu qu’ainsi fust. Voylà le bon loyer que me rendent beaucoup de courtisans, lesquels ont souvent expérimenté ma constance, et pourtant me devoyent bien servir d’advocats, si l’ingratitude ne les eust empeschez : et tant plus devoyent juger équitablement de moi, m’ayant cognu tel. Or le diable avec toute sa bande se trompe fort s’il cuide m’abatre ou descourager en me chargeant de mensonges si frivoles. Car je me confie que Dieu par sa bonté souveraine me donnera de persévérer avec patience invincible au cours de sa saincte vocation, comme j’en donne de nouveau bonnes enseignes à tous Chrestiens. Or mon but a esté de tellement préparer et instruire ceux qui se voudront adonner à l’estude de Théologie, à ce qu’ils ayent facile accès à lire l’Escriture saincte, et à proufiter et se bien advancer à l’entendre, et tenir le bon chemin et droict sans choper. Car je pense avoir tellement comprins la somme de la religion chrestienne en toutes ses parties, et l’avoir digérée en tel ordre, que celuy qui aura bien comprins la forme d’enseigner que j’ay suyvie, pourra aisément juger et se résoudre de ce qu’il doit chercher en l’Escriture, et à quel but il faut rapporter le contenu d’icelle. Et pourtant il n’est jà besoin qu’en mes Commentaires, ausquels j’expose les livres de l’Escriture saincte, j’entre en longues disputes des matières qui sont là traittées, veu que le présent livre est une addresse générale pour guider ceux qui désirent d’estre aidez : comme de faict on voit que je n’aime point d’extravaguer ny user de longue prolixité. Par ce moyen les Lecteurs seront soulagez d’ennuy et de fascherie, quand ils auront esté diligens à se munir par l’instruction de ce présent Livre, pour tenir en tout le reste un train aisé : ce que j’aime mieux qu’on cognoisse par effect, que de m’en vanter. Sur quoy je vous recommanderay à la garde de Dieu, désirant aussi de n’estre point oublié en vos sainctes prières, selon le fruit que vous recevrez de mes labeurs.

A Genève, ce premier jour d’Aoust, M. D. LIX.

 

Sainct Augustin en l’épistre vii.
Je me confesse estre du rang de ceux qui escrivent en proufitant, et proufitent en escrivant.

Quatrain traduict d’un distique latin de l’autheur.

Ceux desquels je voulois l’innocence défendre
En un simple livret, m’ont si bien seu poursuivre,
Par leur zèle fervent, et saint désir d’apprendre,
Qu’ils ont tiré de moy à la fin ce grand livre.

 

Au Roy de France
au Roy de France très chrestien,
François, premier de ce nom, son prince et souverain seigneur,
Jehan Calvin,
paix et salut en Jésus-Christ.

Au commencement que je m’appliquay à escrire ce présent livre, je ne pensoye rien moins, Sire, que d’escrire choses qui fussent présentées à vostre Majesté : seulement mon propos estoit d’enseigner quelques rudimens, par lesquels ceux qui seroyent touchez d’aucune bonne affection de Dieu, fussent instruits à la vraye piété. Et principalement je vouloye par ce mien labeur servir à nos François : desquels j’en voyoye plusieurs avoir faim et soif de Jésus-Christ, et bien peu qui en eussent receu droicte cognoissance. Laquelle miene délibération on pourra facilement appercevoir du livre, entant que je l’ay accomodé à la plus simple forme d’enseigner qu’il m’a esté possible. Mais voyant que la fureur d’aucuns iniques s’estoit tant eslevée en vostre Royaume, qu’elle n’avoit laissé lieu aucun à toute saine doctrine, il m’a semblé estre expédient de faire servir ce présent livre, tant d’instruction à ceux que premièrement j’avoye délibéré d’enseigner, qu’aussi de confession de foy envers vous : dont vous cognoissiez quelle est la doctrine contre laquelle d’une telle rage furieusement sont enflambez ceux qui par feu et par glaive troublent aujourd’huy vostre Royaume. Car je n’auray nulle honte de confesser que j’ay yci comprins quasi une somme de ceste mesme doctrine laquelle ils estiment devoir estre punie par prison, bannissement, proscription et feu : et laquelle ils crient devoir estre deschassée hors de terre et de mer. Bien say-je de quels horribles rapports ils ont remply vos aureilles et vostre cœur, pour vous rendre nostre cause fort odieuse : mais vous avez à réputer selon vostre clémence et mansuétude, qu’il ne resteroit innocence aucune ny en dits ny en faits, s’il suffisoit d’accuser. Certainement si quelqu’un, pour esmouvoir haine à l’encontre de ceste doctrine de laquelle je me veux efforcer de vous rendre raison, vient à arguer qu’elle est desjà condamnée par un commun consentement de tous estats, qu’elle a receu en jugement plusieurs sentences contre elle, il ne dira autre chose, sinon qu’en partie elle a esté violentement abatue par la puissance et conjuration des adversaires, en partie malicieusement opprimée par leurs mensonges, tromperies, calomnies et trahisons. C’est force et violence, que cruelles sentences sont prononcées à l’encontre d’icelle devant qu’elle ait esté défendue. C’est fraude et trahison, que sans cause elle est notée de sédition et maléfice. Afin que nul ne pense que nous nous complaignons de ces choses à tort, vous-mesme nous pouvez estre tesmoin, Sire, par combien fausses calomnies elle est tous les jours diffamée envers vous : c’est asçavoir, qu’elle ne tend à autre fin, sinon que tous règnes et polices soyent ruinées, la paix soit troublée, les loix abolies, les seigneuries et possessions dissipées : brief, que toutes choses soyent renversées en confusion. Et néantmoins encores vous n’en oyez que la moindre portion. Car entre le populaire on sème contre icelle horribles rapports : lesquels s’ils estoyent véritables, à bon droict tout le monde la pourrait juger avec tous ses autheurs, digne de mille feux et mille gibets. Qui s’esmerveillera maintenant pourquoy elle est tellement haye de tout le monde, puis qu’on adjouste foy à telles et si iniques détractions ? Voylà pourquoy tous les estats d’un commun accord conspirent à condamner tant nous que nostre doctrine. Ceux qui sont constituez pour en juger, estans ravis et transportez de telle affection, prononcent pour sentence, la conception qu’ils ont apportée de leur maison : et pensent très-bien estre acquittez de leur office s’ils ne jugent personne à mort, sinon ceux qui sont, ou par leur confession, ou par certain tesmoignage, convaincus. Mais de quel crime ? De ceste doctrine damnée, disent-ils. Mais à quel tiltre est-elle damnée ? Or c’estoit le point de la défense : non pas désadvouer icelle doctrine, mais la soustenir pour vraye. Yci est osté le congé d’ouvrir la bouche. Pourtant je ne demande point sans raison, Sire, que vous vueilliez prendre la cognoissance entière de ceste cause, laquelle jusques-yci a esté démenée confusément sans nul ordre de droict : et par un ardeur impétueux, plustost que par une modération et gravité judiciaire. Et ne pensez point que je tasche à traitter yci ma défense particulière, pour impétrer retour au pays de ma naissance ; auquel combien que je porte telle affection d’humanité qu’il appartient : toutesfois comme les choses sont maintenant disposées, je ne souffre pas grand dueil d’en estre privé : mais j’entrepren la cause commune de tous les fidèles, et mesmes celle de Christ, laquelle aujourd’huy est en telle manière du tout deschirée et foullée en vostre Royaume, qu’elle semble estre désespérée. Ce qui est bien advenu par la tyrannie d’aucuns Pharisiens, plustost que de vostre vouloir. Mais comment cela se fait, il n’est point mestier de le dire yci. Quoy que ce soit, elle est grandement affligée. Car la puissance des adversaires de Dieu a obtenu jusques-là, que la vérité de Christ, combien qu’elle ne soit perdue et dissipée, toutesfois soit cachée et ensevelie comme ignominieuse : et outre, que la povrette Eglise soit ou consumée par morts cruelles, ou deschassée par bannissemens, ou tellement estonnée par menaces et terreurs, qu’elle n’ose sonner mot. Et encores ils insistent en telle rage qu’ils ont accoustumé, pour abatre la paroi qu’ils ont jà esbranlée, et parfaire la mine qu’ils ont encommencée. Ce pendant nul ne s’advance, qui s’oppose en défenses contre telles furies. Et s’il y en a aucuns qui veulent estre veus très-fort favoriser à la vérité, ils disent qu’on doit aucunement pardonner à l’imprudence et ignorance des simples gens. Car ils parlent en ceste manière, appelans la très-certaine vérité de Dieu, Imprudence et ignorance : et ceux que nostre Seigneur a tant estimez, qu’il leur a communiqué les secrets de sa sapience céleste, Gens simples : tellement tous ont honte de l’Evangile.

Or, c’est vostre office, Sire, de ne destourner ne vos aureilles ne vostre courage d’une si juste défense, principalement quand il est question de si grande chose : c’est asçavoir comment la gloire de Dieu sera maintenue sur terre : comment sa vérité retiendra son honneur et dignité : comment le règne de Christ demeurera en son entier, matière digne de vos aureilles, digne de vostre jurisdiction, digne de vostre Throne royal ! Car ceste pensée fait un vray Roy, s’il se recognoist estre vray ministre de Dieu au gouvernement de son royaume : et au contraire, celuy qui ne règne point à ceste fin de servir à la gloire de Dieu, n’exerce pas règne, mais brigandage. Or on s’abuse si on attend longue prospérité en un règne qui n’est point gouverné du sceptre de Dieu, c’est-à-dire sa saincte Parole. Car l’édict céleste ne peut mentir, par lequel il est dénoncé, que le peuple sera dissipé quand la Prophétie défaudra Prov. 29.18. Et ne devez estre destourné par le contemnement de nostre petitesse. Certes nous recognoissons assez combien nous sommes povres gens et de mespris : c’est asçavoir devant Dieu misérables pécheurs, envers les hommes vilipendez et déjettez : et mesmes (si vous voulez) l’ordure et balieure du monde, ou si l’on peut encores nommer quelque chose plus vile. Tellement qu’il ne nous reste rien de quoy nous glorifier devant Dieu, sinon sa seule miséricorde : par laquelle, sans quelque mérite, nous sommes sauvez : ny envers les hommes, sinon nostre infirmité, c’est-à-dire, ce que tous estiment grande ignominie.

Mais toutesfois il faut que nostre doctrine consiste eslevée et insupérable par-dessus toute la gloire et puissance du monde. Car elle n’est pas nostre, mais de Dieu vivant et de son Christ, lequel le Père a constitué Roy, pour dominer d’une mer à l’autre, et depuis les fleuves jusques aux fins de la terre Ps. 72.16-17 : et tellement dominer, qu’en frappant la terre de la seule verge de sa bouche Esaïe 11.4, il la casse toute avec sa force et sa gloire comme un pot de terre Ps. 2.9 : ainsi que les Prophètes ont prédit la magnificence de son règne, qu’il abatroit les royaumes durs comme fer et airain, et reluisans comme or et argent Dan. 2.32. Bien est vray, que nos adversaires contredisent, reprochans que faussement nous prétendons la Parole de Dieu, de laquelle nous sommes, comme ils disent, pervers corrupteurs. Mais vous-mesme, selon vostre prudence, pourrez juger en lisant nostre confession, combien ceste reproche est pleine non-seulement de malicieuse calomnie, mais d’impudence trop effrontée. Néantmoins il sera bon de dire yci quelque chose pour vous apprester voye à icelle lecture. Quand sainct Paul a voulu que toute prophétie fust conforme à l’analogie et similitude de la foy Rom. 12.6, il a mis une très-certaine règle pour esprouver toute interprétation de l’Escriture. Or si nostre doctrine est examinée à ceste règle de foy, nous avons la victoire en main. Car quelle chose convient mieux à la foy, que de nous recognoistre nuds de toute vertu pour estre vestus de Dieu ? vuides de tout bien, pour estre remplis de luy ? serfs de péché, pour estre délivrez de luy ? aveugles, pour estre de luy illuminez ? boiteux, pour estre de luy redressez ? débiles, pour estre de luy soustenus ? de nous oster toute matière de gloire, afin que luy seul soit glorifié, et nous en luy ? Quand ces choses et semblables sont dites par nous, nos adversaires crient que par ce moyen seroit subvertie je ne say quelle aveuglée lumière de nature, leur préparation qu’ils ont forgée pour nous disposer à venir à Dieu, le Libéral arbitre, les œuvres méritoires de salut éternel, avec leurs superérogations ; pourtant qu’ils ne peuvent souffrir que la louange et gloire entière de tout bien, de toute vertu, justice et sapience réside en Dieu. Mais nous ne lisons point qu’il y en ait eu de reprins pour avoir trop puisé de la source d’eaux vives : au contraire, le Prophète corrige asprement ceux qui se sont fouy des puits secs, et qui ne peuvent tenir l’eau Jer. 2.13. En outre, qu’est-il plus propre à la foy, que se promettre Dieu pour un Père doux et bénin, quand Christ est recognu pour frère et propiciateur ? que d’attendre tout bien et toute prospérité de Dieu, duquel la dilection s’est tant estendue envers nous, qu’il n’a point espargné son propre Fils, qu’il ne l’ait livré pour nous Rom. 8.32 ? que de reposer en une certaine attente de salut et vie éternelle, quand on pense que Christ nous a esté donné du Père, auquel tels thrésors sont cachez ? A ces choses ils répugnent, et disent qu’une telle certitude de fiance n’est pas sans arrogance et présomption. Mais comme il ne faut rien présumer de nous, aussi nous devons présumer toutes choses de Dieu : et ne sommes pour autre raison despouillez de toute vaine gloire, sinon afin de nous glorifier en Dieu. Que diray-je plus : Considérez, Sire, toutes les parties de nostre cause : et nous jugez estre les plus pervers des pervers, si vous ne trouvez manifestement que nous sommes oppressez et recevons injures et opprobres, pourtant que nous mettons nostre espérance en Dieu vivant 1Tim. 4.10, pourtant que nous croyons que c’est la vie éternelle de cognoistre un seul vray Dieu, et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ Jean 17.3. A cause de ceste espérance aucuns de nous sont détenus en prison, les autres fouettez, les autres menez à faire amendes honorables, les autres bannis, les autres cruellement affligez, les autres eschappent par fuyte : tous sommes en tribulation, tenus pour maudits et exécrables, injuriez et traittez inhumainement. Contemplez d’autre part nos adversaires (je parle de l’estat des Prestres, à l’adveu et appétit desquels tous les autres nous contrarient) : et regardez un petit avec moy de quelle affection ils sont menez. Ils se permettent aisément à eux et aux autres, d’ignorer, négliger et mespriser la vraye religion, qui nous est enseignée par l’Escriture, et qui devoit estre résolue et arrestée entre tous : et pensent qu’il n’y a pas grand intérest quelle foy chacun tient, ou ne tient pas de Dieu et de Christ : mais que par foy (comme ils disent) enveloppée, il submette son sens au jugement de l’Eglise. Et ne se soucient pas beaucoup s’il advient que la gloire de Dieu soit polluée par blasphèmes tous évidens, moyennant que personne ne sonne mot contre l’authorité de nostre mère saincte Eglise : c’est-à-dire, selon leur intention, du siège romain. Pourquoy combatent-ils d’une telle rigueur et rudesse pour la Messe, le Purgatoire, les pèlerinages et tels fatras, tellement qu’ils nient la vraye piété pouvoir consister, si toutes ces choses ne sont creues et tenues par foy très-explicite, combien qu’ils n’en prouvent rien par la Parole de Dieu ? Pourquoy, di-je, sinon pourtant que leur ventre leur est pour dieu, la cuisine pour religion : lesquels ostez, non-seulement ils ne pensent pas qu’ils puissent estre Chrestiens, mais ne pensent plus estre hommes ? Car combien, que les uns se traittent délicatement en abondance, les autres vivotent en rongeant des croustes, toutesfois ils vivent tous d’un pot : lequel sans telles aides non-seulement se refroidiroit, mais gèleroit du tout. Pourtant celuy d’eux qui se soucie le plus de son ventre, est le meilleur zélateur de leur foy. Brief, ils ont tous un mesme propos, ou de conserver leur règne, ou leur ventre plein. Et n’y en a pas un d’eux qui monstre la moindre apparence du monde de droict zèle : et néantmoins ils ne cessent de calomnier nostre doctrine, et la descrier et diffamer par tous moyens qu’il leur est possible, pour la rendre ou odieuse, ou suspecte. Ils l’appellent Nouvelle, et forgée puis n’aguères. Ils reprochent qu’elle est douteuse et incertaine. Ils demandent par quels miracles elle est confermée. Ils enquièrent si c’est raison qu’elle surmonte le consentement de tant de Pères anciens, et si longue coustume. Ils insistent, que nous la confessions estre schismatique, puis qu’elle fait la guerre à l’Eglise : ou que nous respondions, que l’Eglise a esté morte par tant longues années, ausquelles il n’en estoit nulle mention. Finalement, ils disent, qu’il n’est jà mestier de beaucoup d’argumens, veu qu’on peut juger des fruits quelle elle est : c’est asçavoir, qu’elle engendre une grande multitude de sectes, force troubles et séditions, et une licence desbordée de malfaire. Certes il leur est bien facile de prendre leur advantage contre une cause déserte et délaissée : principalement quand il faut persuader au populaire ignorant et crédule : mais si nous avions aussi bien lieu de parler, j’estime que leur ardeur, dont ils escument si asprement contre nous, seroit un peu refroidie.

Premièrement, en ce qu’ils l’appellent Nouvelle, ils font fort grande injure à Dieu, duquel la sacrée Parole ne méritoit point d’estre notée de nouvelleté. Certes je ne doute point, que touchant d’eux, elle ne leur soit nouvelle : veu que Christ mesme, et son Evangile leur sont nouveaux. Mais celuy qui sait que ceste prédication de sainct Paul est ancienne : c’est que Jésus-Christ est mort pour nos péchez, et ressuscité pour nostre justification Rom. 4.25 : il ne trouvera rien de nouveau entre nous. Ce qu’elle a esté long temps cachée et incognue, le crime en est à imputer à l’impiété des hommes. Maintenant quand elle nous est rendue par la bonté de Dieu, pour le moins elle devoit estre receue en son authorité ancienne.

D’une mesme source d’ignorance prouvient ce qu’ils la réputent douteuse et incertaine. Vrayement c’est ce que nostre Seigneur se complaind par son Prophète : Que le bœuf a cognu son possesseur, et l’asne l’estable de ses maistres : et luy, qu’il est mescognu de son peuple Esaïe 1.5. Mais comment qu’ils se mocquent de l’incertitude d’icelle, s’ils avoyent à signer la leur de leur propre sang, et aux despens de leur vie, on pourrait veoir combien ils la prisent. Nostre fiance est bien autre, laquelle ne craint ne les terreurs de la mort, ne le jugement de Dieu.

En ce qu’ils nous demandent miracles, ils sont desraisonnables. Car nous ne forgeons point quelque nouveau Evangile : mais nous retenons celuy, pour la vérité duquel confermer, servent tous les miracles que jamais et Jésus-Christ, et ses Apostres ont faits. On pourroit dire qu’ils ont cela particulier outre nous, qu’ils peuvent confermer leur doctrine par continuels miracles qui se font jusques aujourd’huy. Mais plustost ils allèguent miracles qui pourroyent esbranler et faire douter un esprit, lequel autrement seroit bien en repos : tant sont ou frivoles ou mensongers. Et néantmoins quand ils seroyent les plus admirables qu’on sçauroit penser, si ne doyvent-ils aucunement valoir contre la vérité de Dieu : veu qu’il appartient que le nom de Dieu soit tousjours et par tout sanctifié, soit par miracles, soit par l’ordre naturel des choses. Ils pourroyent yci avoir plus d’apparence, si l’Escriture ne nous eust advertis quel est l’usage légitime des miracles. Car sainct Marc dit, que ceux qu’ont fait les Apostres ont servy à confermer leur prédication Marc 16.20. Pareillement sainct Luc dit que nostre Seigneur en ce faisant a voulu rendre tesmoignage à la Parole de sa grâce Actes 14.3. A quoy respond ce que dit l’Apostre, que le salut annoncé par l’Evangile, a esté confermé en ce que Dieu en a testifié par signes et vertus miraculeuses Héb. 2.4. Quand nous oyons que ce doyvent estre seaux pour sceller l’Evangile, les convertirons-nous à destruire son authorité ? Quand nous oyons qu’ils sont destinez à establir la vérité, les appliquerons-nous à fortifier le mensonge ? Pourtant il faut que la doctrine laquelle précède les miracles, comme dit l’Evangéliste, soit examinée en premier lieu : si elle est approuvée, lors elle pourra bien prendre confirmation par les miracles. Or c’est une bonne enseigne de vraye doctrine, comme dit Christ, si elle ne tend point à la gloire des hommes, mais de Dieu Jean 7.18 ; 8.50. Puis que Christ afferme que telle doit estre l’espreuve, c’est mal prendre les miracles, que de les tirer à autre fin que pour illustrer le nom de Dieu. Et nous doit aussi souvenir que Satan a ses miracles : lesquels combien qu’ils soyent illusion plustost que vrayes vertus, toutesfois si sont-ils tels, qu’ils pourroyent abuser les simples et rudes. Les Magiciens et enchanteurs ont esté tousjours renommez pour leurs miracles : l’idolâtrie des Gentils a esté nourrie par miracles merveilleux, lesquels toutesfois ne sont sufisans pour nous approuver la superstition ne des Magiciens ne des Idolâtres.

Les Donatistes estonnoyent anciennement la simplicité du populaire de ceste mesme machine, qu’ils faisoyent plusieurs miracles. Nous faisons doncques maintenant une mesme response à nos adversaires, que faisoit lors sainct Augustin aux Donatistes : Que nostre Seigneur nous a rendus assez advisez contre ces miracleurs, prédisant qu’il surviendroit des faux Prophètes, qui par grandes merveilles et prodiges tireroyent en erreur mesmes les esleus, si faire se pouvoit[a] Matth. 24.24. Et sainct Paul a adverty que le règne d’Antéchrist seroit avec toute puissance, miracles et prodiges mensongers 2Thess. 2.9. Mais nos miracles, disent-ils, ne se font ne par idoles, ne par enchanteurs, ne par faux Prophètes, mais par les Saincts : comme si nous n’entendions point que c’est la finesse de Satan, se transfigurer en Ange de lumière 2Cor. 11.14. Les Egyptiens autrefois ont fait un dieu de Jérémie, qui estoit ensevely en leur région, luy sacrifians, et faisans tous autres honneurs qu’ils avoyent accoustumé faire à leurs dieux[b]. N’abusoyent-ils pas du sainct Prophète de Dieu à leur idolâtrie ? et toutesfois ils en venoyent là, qu’estans guaris de la morsure des serpens, ils cuidoyent recevoir salaire de telle vénération de son sépulchre. Que dirons-nous, sinon que ce a tousjours esté et sera une vengence de Dieu très-juste, d’envoyer efficace d’illusion à ceux qui n’ont point receu la dilection de vérité, pour les faire croire à mensonge 2Thess. 2.11 ? Doncques, les miracles ne nous défaillent point, qui sont mesmes très-certains, et non sujets à mocquerie : au contraire, ceux que nos adversaires prétendent pour eux, sont pures illusions de Satan, quand ils retirent le peuple de l’honneur de son Dieu à vanité.

[a] Sur sainct Jean, Tract., XIII.
[b] Sainct Hiérosme, en la préface de Jérémie.

En outre, c’est injustement qu’ils nous objectent les anciens Pères, j’enten les escrivains du premier temps de l’Eglise[c], comme s’ils les avoyent favorisans à leur impiété : par l’authorité desquels si la noise estoit à desmesler entre nous, la meilleure partie de la victoire viendrait à nostre part.

[c] Authorité des Pères.

Mais comme ainsi soit que plusieurs choses ayent esté escrites sagement et excellemment par ces anciens Pères : d’autre part, qu’il leur soit advenu en d’aucuns endroits ce qui advient à tous hommes, c’est de faillir et errer ; ces bons et obéissans fils, selon la droicture qu’ils ont, et d’esprit et de jugement et de volonté, adorent seulement leurs erreurs et fautes : au contraire, les choses qui ont esté bien escrites d’eux, ou ils ne les apperçoivent point, ou ils les dissimulent, ou ils les pervertissent : tellement qu’il semble qu’ils n’ayent autre soin sinon de recueillir de la fiente parmi de l’or. Et après ils nous poursuyvent par grande clameur, comme contempteurs et ennemis des Pères : mais tant s’en faut que nous les contemnions, que si c’estoit nostre présent propos, il me serait facile d’approuver par leurs tesmoignages la plus grand’part de ce que nous disons aujourd’huy. Mais nous lisons leurs escrits avec tel jugement, que nous avons tousjours devant les yeux ce que dit sainct Paul : c’est que toutes choses sont nostres pour nous servir, non pour dominer sur nous : et que nous sommes tous à un seul Christ, auquel il faut sans exception obéir du tout 1Cor. 3.21-22. Ceux qui n’observent point cest ordre, ne peuvent rien avoir de certain en la foy : veu que ces saincts personnages desquels il est question, ont ignoré beaucoup de choses, sont souvent divers entre eux, et mesmes aucunesfois contrevienent à eux-mesmes. Salomon, disent-ils, ne nous commande point sans cause de n’outrepasser les bornes qui ont esté mises de nos pères Prov. 22.28. Mais il n’est pas question d’observer une mesme reigle en la borneure des champs, et en l’obéissance de la foy : laquelle doit tellement estre ordonnée, qu’elle nous fasse oublier nostre peuple et la maison de nostre Père Ps. 45.10. D’avantage, puis qu’ils aiment tant les allégories, que ne prenent-ils les Apostres plustost pour leurs Pères, que nuls autres, desquels il ne soit licite arracher les bornes ? Car ainsi l’a interprété sainct Hiérosme, duquel ils ont allégué les paroles en leurs Canons. Et encores s’ils veulent que les limites des Pères qu’ils entendent, soyent observées, pourquoy eux-mesmes, quand il leur vient à plaisir, les outrepassent-ils si audacieusement ? Ceux estoyent du nombre des Pères, desquels l’un a dit que Dieu ne beuvoit ne mangeoit ; et pourtant, qu’il n’avoit que faire de plats ne de calices[d]. L’autre, que les Sacremens des Chrestiens ne requièrent ny or, ny argent, et ne plaisent point à Dieu par or[e]. Ils outrepassent doncques ces limites, quand en leurs cérémonies ils se délectent tant d’or, d’argent, marbre, y voire, pierres précieuses et soyes, et ne pensent point que Dieu soit droictement honoré, sinon en affluence et superfluité de ces choses. C’estoit aussi un Père, qui disoit que librement il osoit manger chair en Quaresme, quand les autres s’en abstenoyent : d’autant qu’il estoit Chrestien[f]. Ils rompent doncques les limites, quand ils excommunient la personne qui aura en Quaresme gousté de la chair. Ceux estoyent Pères, desquels l’un a dit qu’un Moine qui ne laboure point de ses mains, doit estre réputé comme un brigand[g]. L’autre, qu’il n’est pas licite aux Moines de vivre du bien d’autruy : mesmes quand ils seroyent assiduels en contemplations, en oraisons et à l’estude[h]. Ils ont aussi outrepassé ceste borne, quand ils ont mis des ventres oiseux de Moines en des bordeaux (ce sont leurs cloistres) pour estre soûlez de la substance d’autruy. Celuy estoit Père, qui a dit que c’estoit une horrible abomination de veoir une image ou de Christ, ou de quelque Sainct aux temples des Chrestiens[i]. Mesmes cela n’a point esté dit par un homme particulier, mais a esté aussi ordonné en un Concile ancien, que ce qu’on adore ne soit point peint ne pourtrait[j]. Il s’en faut beaucoup qu’ils gardent ces limites quand ils ne laissent anglet vuide de simulachres en tous leurs temples. Un autre Père a conseillé qu’après avoir par sépulture exercé office d’humanité envers les morts, on les laissast reposer[k]. Ils rompent ces limites, quand ils requièrent qu’on ait perpétuelle sollicitude sur les trespassez. C’estoit bien un Père, qui a dit que la substance et nature du pain et du vin demeurent au sacrement de la Cène, comme la nature humaine demeure en nostre Seigneur Jésus-Christ, estant conjoincte avec son essence divine[l]. Ils ne regardent point ceste borne, quand ils font accroire qu’incontinent après que les paroles sacramentales sont récitées, la substance du pain et du vin est anéantie. Celuy estoit au nombre des Pères, qui a nié qu’au Sacrement de la Cène, sous le pain soit enclos le corps de Christ : mais que seulement c’est un mystère de son corps[m] : il parle ainsi de mot à mot. Ils excèdent doncques la mesure, quand ils disent que le corps de Christ est là contenu, et le font adorer d’une façon charnelle, comme s’il estoit là enclos localement. Ceux estoyent Pères, desquels l’un ordonna que ceux fussent du tout rejettez de l’usage de la Cène, qui prenans l’une des espèces, s’abstenoyent de la seconde. L’autre maintient qu’il ne faut desnier au peuple chrestien le sang de son Seigneur, pour la confession duquel il doit espandre son sang[n]. Ils ont osté ces limites, quand rigoureusement ils ont commandé la mesme chose que l’un de ceux-là punissoit par excommunication, l’autre par forte raison réprouvoit. Celuy pareillement estoit du rang des Pères, qui afferme que c’est témérité de déterminer de quelque chose obscure en une partie ou en l’autre, sans clairs et évidens tesmoignages de l’Escriture[o]. Ils ont oublié ceste borne, quand ils ont conclu tant de constitutions, canons et déterminations magistrales, sans quelque parole de Dieu. C’estoit un des Pères qui reprochoit à Montanus, qu’entre autres hérésies il avoit le premier imposé loix de jusner[p]. Ils ont aussi outrepassé ces limites, quand par estroite loy ils ont ordonné les jusnes. C’estoit un Père qui a soustenu le mariage ne devoir estre défendu aux Ministres de l’Eglise, et a déclairé la compagnie de femme légitime, estre chasteté[q] : et ceux qui se sont accordez à son authorité, estoyent Pères. Ils sont eschappez outre de ceste borne, quand ils ont ordonné l’abstinence de mariage à leurs prestres. Celuy qui a escrit qu’on doit escouter un seul Christ, duquel il est dit par le Père céleste, Escoutez-le : et qu’il ne faut avoir esgard à ce qu’auront fait ou dit les autres devant nous, mais seulement à ce qu’aura commandé Christ, qui est le premier de tous[r] : cestuy-là di-je, estoit des plus anciens Pères. Ils ne se sont point tenus entre ces barres, et n’ont permis que les autres s’y teinssent, quand ils ont constitué tant par-dessus eux que par-dessus les autres, des maistres nouveaux outre Christ. C’estoit un Père celuy qui a maintenu que l’Eglise ne se doit point préférer à Christ, d’autant que luy juge tousjours droictement : mais les juges ecclésiastiques estans hommes, se peuvent souvent abuser[s]. Ceux-cy rompent bien telle borne, en débatant que l’authorité de l’Escriture dépend du bon plaisir de l’Eglise. Tous les Pères d’un mesme courage ont eu en abomination, et d’une mesme bouche ont détesté que la Parole de Dieu fust contaminée par subtilitez sophistiques, et enveloppée de contentions philosophiques. Se gardent-ils dedans ces marches, quand ils ne font en toute leur vie qu’ensevelir et obscurcir la simplicité de l’Escriture par contentions infinies, et questions plus que sophistiques ? Tellement que si les Pères estoyent suscitez, et oyoyent un tel art de combatre, qu’ils appellent Théologie spéculative, ils ne penseroyent rien moins que telles disputations estre de Dieu. Mais combien loing s’espandroit mon propos, si je vouloye annombrer combien hardiment ils rejettent le joug des Pères, desquels ils veulent estre veus obéissans enfans ? Certes moys et années se passeroyent à réciter ce propos. Et néantmoins ils sont d’une impudence si effrontée, qu’ils nous osent reprocher que nous outrepassons les bornes anciennes.

[d] Acat., au liv. X1, ch. XVI de l’Hist. Trip.
[e] Ambr., au liv. I des Offices, c. XXVIII.
[f] Spirid., au liv. I de l’Hist. Trip., ch. X.
[g] Voyez le ch. I du liv. XVIII de l’Hist. Trip.
[h] Sainct Augustin, De l'œuvre des Moines, ch. XVII.
[i] Epiphanius en l’épistre translatée par sainct Hiérosme.
[j] Au concile Elibert., au en. XXXVI.
[k] Ambroise, au livre I d’Abraham, cap. VII.
[l] Gélasius, pape, au concile de Rome.
[m] Chrysostome, en l’œuvre imparfait sur sainct Matthieu.
[n] Gélasius, au c. Comperimus, De cons., dist. II. Sainct Cyprien, en l'épist. II, au liv. I, De lapsis.
[o] Sainct Augustin, liv. II, De pec. mer., ch. dernier.
[p] Apolon., en l’Hist. Ecclés., liv. V, c. XII.
[q] Paphnut., en l’Hist. Trip., liv. II, c. XIV.
[r] Sainct Cyprien, en l’épist. II du liv. II des Epist.
[s] Sainct Augustin, c. II, Contre Cresconius, grammairien.

En ce qu’ils nous renvoyent à la coustume, ils ne font rien : car ce seroit une grande iniquité, si nous estions contraints de céder à la coustume. Certes si les jugemens des hommes estoyent droicts, la coustume se devroit prendre des bons : mais il en est souventesfois advenu autrement : car ce qu’on voit estre fait de plusieurs, a obtenu droit de coustume. Or la vie des hommes n’a jamais esté si bien reiglée, que les meilleures choses pleussent à la plus grand’part : doncques des vices particuliers de plusieurs est prouvenu un erreur publique, ou plustost un commun consentement de vice, lequel ces bons preudhommes veulent maintenant estre pour loy. Ceux qui ne sont du tout aveugles, apperçoivent que quasi plusieurs mers de maux sont desbordées sur la terre, et que tout le monde est corrompu de plusieurs pestes mortelles : brief, que tout tombe en ruine, tellement qu’il faut ou du tout désespérer des choses humaines ou mettre ordre à tels maux, et mesmes par remèdes violens. Et néantmoins on rejette le remède : non pour autre raison, sinon que nous sommes desjà de longue main accoustumez aux calamitez. Mais encores que l’erreur publique ait lieu en la police des hommes, toutesfois au règne de Dieu, sa seule éternelle vérité doit estre escoutée et observée, contre laquelle ne vaut aucune prescription ne de longues années, ne de coustume ancienne, ne de quelque conjuration[t]. En telle manière jadis Isaïe instruisoit les esleus de Dieu de ne dire Conspiration, par tout où le peuple disoit Conspiration Esaïe 8.12 : c’est à dire qu’ils ne conspirassent ensemblement en la conspiration du peuple, et qu’ils ne craignissent de leur crainte, ou s’estonnassent : mais plustost qu’ils sanctifiassent le Seigneur des armées, et que luy seul fust leur crainte. Ainsi, que maintenant nos adversaires nous objectent tant d’exemples qu’ils voudront, et du temps passé et du temps présent : si nous sanctifions le Seigneur des armées, ils ne nous estonneront pas fort. Car soit que plusieurs aages ayent accordé à une mesme impiété, Dieu est fort pour faire vengence jusques à la troisième et quatrième génération : soit que tout le monde conspire en une mesme meschanceté, il nous a enseignez par expérience quelle est la fin de ceux qui pèchent avec la multitude, quand il a dissipé tout le monde par le déluge, réservé Noé avec sa petite famille : à ce que par la foi de luy seul il condamnast tout le monde Gen. 8.1 ; Héb. 11.7. En somme, mauvaise coustume n’est autre chose qu’une peste publique, en laquelle ceux qui meurent entre la multitude, ne périssent pas moins que s’ils périssoyent seuls. D’avantage il faloit considérer ce que dit sainct Cyprien en quelque passage, asçavoir que ceux qui faillent par ignorance, combien qu’ils ne soyent pas du tout sans coulpe, toutesfois peuvent sembler aucunement excusables, mais que ceux qui avec obstination rejettent la vérité, quand elle leur est offerte par la grâce de Dieu, ne peuvent prétendre aucune excuse[u].

[t] De consec, dist. VII, cap. Si consuetudinem.
[u] En l'épistre III, liv. II, et en l'épist. ad Julianum, De hæret. baptizandis.

Ils ne nous pressent pas si fort par leur autre argument, qu’ils nous contraignent de confesser, ou que l’Eglise ait esté morte par quelques années, ou que maintenant nous ayons combat contre l’Eglise. Certes l’Eglise de Christ a vescu et vivra tant que Christ régnera à la dextre de son Père : de la main duquel elle est soustenue, de la garde duquel elle est armée, de la vertu duquel elle est fortifiée. Car sans doute il accomplira ce qu’il a une fois promis, c’est qu’il assisteroit aux siens jusques à la consommation du siècle Matth. 28.20. Contre ceste Eglise nous n’entreprenons nulle guerre. Car d’un consentement avec tout le peuple des fidèles, nous adorons et honorons un Dieu et un Christ le Seigneur, comme il a esté tousjours adoré de ses serviteurs. Mais eux ils sont bien loing de la vérité, quand ils ne recognoissent point d’Eglise, si elle ne se veoit présentement à l’œil, et la veulent enclorre en certains limites, ausquels elle n’est nullement comprinse. C’est en ces points que gist nostre controversie. Premièrement, qu’ils requièrent tousjours une forme d’Eglise visible et apparente. Secondement, qu’ils constituent icelle forme au siège de l’Eglise romaine, et en l’estat de leurs Prélats. Nous au contraire, affermons que l’Eglise peut consister sans apparence visible, et mesmes que son apparence n’est à estimer de ceste braveté extérieure, laquelle follement ils ont en admiration : mais elle a bien autre marque, c’est asçavoir la pure prédication de la Parole de Dieu, et l’administration des Sacremens bien instituée. Ils ne sont pas contens si l’Eglise ne se peut tousjours monstrer au doigt. Mais combien de fois est-il advenu qu’elle a esté tellement déformée entre le peuple judaïque, qu’il n’y restoit nulle apparence ? Quelle forme pensons-nous avoir reluy en l’Eglise, lorsque Hélie se complaignoit d’avoir esté réservé seul 1Rois 19.10 ? Combien de fois depuis l’advénement de Christ a-elle esté cachée sans forme ? Combien souvent a-elle esté tellement opprimée par guerres, par séditions, par hérésies, qu’elle ne se monstroit en nulle partie ? Si doncques ces gens-cy eussent vescu de ce temps-là, eussent-ils creu qu’il y eust eu quelque Eglise ? Mais il fut dit à Hélie, qu’il y avoit encores sept mille hommes de réserve, qui n’avoyent point fleschy le genouil devant Baal. Et ne nous doit estre aucunement incertain, que Jésus-Christ n’ait tousjours régné sur terre depuis qu’il est monté au ciel : mais si entre telles désolations les fidèles eussent voulu avoir quelque certaine apparence, n’eussent-ils point perdu courage ? Et de faict, sainct Hilaire tenoit desjà de son temps cela pour grand vice, qu’estans aveuglez par la folle révérence qu’ils portoyent à la dignité de leurs Evesques, ne considéroyent point quelles pestes estoyent aucunesfois cachées dessous telles masques. Car il parle en ceste sorte, Je vous admoneste : gardez-vous d’Antéchrist. Vous vous arrestez trop aux murailles, cherchans l’Eglise de Dieu en la beauté des édifices, pensans que l’union des fidèles soit là contenue. Doutons-nous qu’Antéchrist doive là avoir son siège ? Les montagnes, et bois, et lacs, et prisons, et désers, et cavernes me sont plus seurs et de meilleure fiance. Car les Prophètes y estans cachez, ont prophétisé[v]. Or qu’est-ce que le monde honore aujourd’huy en ces Evesques cornus, sinon qu’il répute pour plus excellens ceux qui président aux plus grandes villes ? Ostons doncques une si folle estime : au contraire permettons cela au Seigneur, que puis qu’il est seul cognoissant qui sont les siens 2Tim. 2.19, qu’aussi aucunesfois il puisse oster la cognoissance extérieure de son Eglise, de la veue des hommes. Je confesse bien que c’est une horrible vengence de Dieu sur la terre : mais si l’impiété des hommes le mérite ainsi, pourquoy nous efforçons-nous de contredire à la justice divine ? En telles manières le Seigneur, quelques aages par cy-devant, a puny l’ingratitude des hommes. Car pourtant qu’ils n’avoyent voulu obéir à sa vérité, et avoyent esteint sa lumière, il a permis qu’estans aveuglez en leurs sens, ils fussent abusez de lourds mensonges, et ensevelis en profondes ténèbres : tellement qu’il n’apparoissoit nulle forme de vraye Eglise. Ce pendant néantmoins il a conservé les siens au milieu de ces erreurs et ténèbres, comment qu’ils fussent espars et cachez. Et n’est pas de merveilles : car il a apprins de les garder et en la confusion de Babylone, et en la flambe de la fournaise ardente. En ce qu’ils veulent la forme de l’Eglise estre estimée par je ne sçay quelle vaine pompe : afin de ne faire long propos, je toucheray seulement en passant combien cela seroit dangereux.

[v] Contre Auxentius.

Le Pape de Rome, disent-ils, qui tient le siège apostolique, et les autres Evesques représentent l’Eglise, et doivent estre réputez pour l’Eglise : parquoy ils ne peuvent errer. Pour quelle cause cela ? Pource, respondent-ils, qu’ils sont Pasteurs de l’Eglise, et consacrez à Dieu. Aaron et les autres conducteurs du peuple d’Israël, estoyent aussi Pasteurs. Aaron et ses fils estoyent jà esleus Prestres de Dieu : néantmoins ils faillirent quand ils forgèrent le veau Exode 23.4. A qui, selon ceste raison, n’eussent représenté l’Eglise, les quatre cens Prophètes qui décevoyent Achab ? Mais l’Eglise estoit de la partie de Michée, voire seul et contemptible : de la bouche duquel toutesfois sortoit la vérité 1Rois 22.11. Les Prophètes qui s’eslevoyent contre Jérémie, se vantans que la Loy ne pourroit défaillir aux Prestres, ne le conseil aux sages, ne la Parole aux Prophètes Jér. 18.18, ne portoyent-ils pas le nom de l’Eglise ? A l’encontre de toute ceste multitude est envoyé Jérémie, pour dénoncer de la part de Dieu, que la loy périra entre les Prestres, le conseil sera osté aux sages, et la doctrine aux Prophètes Jér. 4.9. Une mesme apparence ne reluisoit-elle point au Concile qu’assemblèrent les Prestres, Docteurs et religieux, pour prendre conseil de la mort de Jésus-Christ Jean 12.10 ? Que maintenant nos adversaires s’aillent vanter, s’arrestans en ces masques extérieures, pour faire Christ et tous les Prophètes de Dieu vivant schismatiques : au contraire, les ministres de Satan, organes du sainct Esprit. D’avantage, s’ils parlent à bon escient, qu’ils me respondent en bonne foy, en quelle région ou en quel peuple ils pensent que l’Eglise réside, depuis que par sentence diffinitive du concile de Basle, Eugenius Pape de Rome fut déposé, et Aymé duc de Savoye substitué en son lieu. S’ils devoyent crever, ils ne pourront nier que le concile, quant aux solennités extérieures, ne fust bon et légitime, et ordonné non-seulement par un Pape, mais par deux. Eugenius fut là condamné pour schismatique, rebelle et contumax, avec toute la compagnie des Cardinaux et Evesques qui avoyent machiné avec luy la dissolution du Concile. Néantmoins estant depuis supporté par la faveur des Princes, il demeura en la possession de sa Papauté : et ceste élection d’Aymé, solennellement parfaite par l’authorité du sacré et général Concile, s’en alla en fumée : sinon que ledit Aymé fut appaisé par un chapeau de Cardinal, comme un chien abbayant, par une pièce de pain. De ces hérétiques, rebelles et contumax sont issus tous les Papes, Cardinaux, Evesques, Abbez et Prestres qui ont esté depuis. Il est nécessaire qu’ils soyent yci surprins au passage. Car auquel costé mettront-ils le nom de l’Eglise ? Nieront-ils le Concile avoir esté général, auquel il ne défailloit rien quant à la majesté extérieure ? veu que solennellement il avoit esté dénoncé par double bulle, dédié par le Légat du saint siège apostolique, lequel y présidoit, bien ordonné en toutes cérémonies, et persévéra jusques à la fin en une mesme dignité ? Confesseront-ils Eugenius schismatique, avec toute sa bande, par laquelle ils ont esté consacrez ? Il faut doncques qu’ils diffinissent autrement la forme de l’Eglise : ou tant qu’ils sont, selon leur doctrine mesme, seront réputez de nous schismatiques, puis que sciemment et de leur vouloir ils ont esté ordonnez par hérétiques. Et s’il n’eust jamais esté expérimenté par cy-devant, que l’Eglise n’est point liée à pompes extérieures, ils nous en baillent assez certaine expérience, quand sous le tiltre et couleur de l’Eglise ils se sont orgueilleusement fait craindre au monde : combien qu’ils fussent pestes mortelles de l’Eglise. Je ne parle point de leurs mœurs et actes exécrables, desquels toute leur vie est remplie, puis qu’ils se disent estre Pharisiens, lesquels il fale escouter, et non pas ensuyvre. Mais si vous voulez départir un peu de vostre loisir, Sire, à lire nos enseignemens, vous cognoistrez clairement que leur doctrine mesme, pour laquelle ils veulent estre recognus pour l’Eglise, est une cruelle géhenne et boucherie des âmes, un flambeau, une ruine et une dissipation de l’Eglise.

Finalement, c’est perversement fait à eux, de reprocher combien d’esmeutes, troubles et contentions a après soy attiré la prédication de nostre doctrine : et quels fruits elle produit maintenant en plusieurs : car la faute de ces maux est iniquement rejettée sur icelle, qui devoit estre imputée à la malice de Satan. C’est quasi le propre de la Parole de Dieu, que jamais elle ne vient en avant, que Satan ne s’esveille et escarmouche. Et ceste est une marque très-certaine, pour la discerner des doctrines mensongères : lesquelles facilement se monstrent, en ce qu’elles sont receues volontairement de tous, et vienent à gré à tout le monde. En telle façon par quelques années cy-devant, quand tout estoit ensevely en ténèbres, ce seigneur du monde se jouoit des hommes à son plaisir, et comme un Sardanapalus, se reposoit, et prenoit son passe-temps en bonne paix. Car qu’eust-il fait, sinon jouer et plaisanter, estant en paisible et tranquille possession de son règne ? Mais depuis que la lumière luisante d’en haut a aucunement deschassé des ténèbres : depuis que le Fort a assailly et troublé son règne, incontinent il a commencé à s’esveiller de sa paresse, et prendre les armes Luc 11.22. Et premièrement a incité la force des hommes, pour par icelle opprimer violentement la vérité commençant à venir. Et quand il n’a rien proufité par force, il s’est converty aux embusches. Adoncques par ses Calabaptistes, et telles manières de gens, il a esmeu plusieurs sectes et diversitez d’opinions, pour obscurcir icelle vérité, et finalement l’esteindre. Et encores maintenant il persévère à l’esbranler par toutes les deux machines. Car il s’efforce par violence et mains des hommes, d’arracher ceste vraye semence : et d’autant qu’il est en luy, il tasche par son yvroye de la supplanter, afin de l’empescher de croistre et rendre son fruit. Mais tous ses efforts seront vains, si nous oyons les advertissemens du Seigneur, qui nous a long temps devant descouvert ses finesses, afin que ne fussions surprins : et nous a armez d’assez bonnes gardes contre ses machines. Au reste, combien grande perversité est-ce de charger la Parole de Dieu de la haine ou des séditions qu’esmeuvent à l’encontre d’icelle les fols et escervelez, ou des sectes que sèment les abuseurs ? Toutesfois ce n’est pas nouvel exemple. On demandoit à Hélie, s’il n’estoit pas celuy qui troubloit Israël 1Rois 18.17. Christ estoit estimé séditieux, des Juifs Luc 23.5. On accusoit les Apostres, comme s’ils eussent esmeu le populaire à tumulte Actes 24.5. Que font aujourd’huy autre chose ceux qui nous imputent les troubles, tumultes et contentions qui s’eslèvent encontre nous ? Or Hélie nous a enseigné quelle response il leur faut rendre : c’est que ce ne sommes-nous pas qui semons les erreurs, ou esmouvons les troubles : mais eux-mesmes, qui veulent résister à la vertu de Dieu 1Rois 18.18. Or comme ceste seule raison est suffisante pour rabatre leur témérité, aussi d’autre part il est mestier d’obvier à l’infirmité d’aucuns, ausquels souventesfois il advient d’estre estonnez par tels scandales, et en leur estonnement de vaciller. Iceux doncques, afin qu’ils n’ayent matière de se desconforter et perdre courage, doivent penser que les mesmes choses que nous voyons maintenant, sont advenues aux Apostres de leur temps. Il y en avoit lors des ignorans et inconstans, lesquels (comme sainct Pierre récite) corrompoyent, à leur perdition, ce qui estoit divinement escrit par sainct Paul 2Pierre 3.16. Il y avoit des contempteurs de Dieu, lesquels quand ils oyoyent que le péché avoit abondé afin que la grâce abondast d’avantage, incontinent ils objectoyent. Nous demeurerons doncques en péché, afin que la grâce abonde. Quand ils oyoyent que les fidèles n’estoyent point sous la Loy : ils respondoyent : Nous pécherons, puis que nous ne sommes point sous la Loy, mais sous la grâce Rom. 6.15. Il y en avoit qui l’appelloyent, Hortateur à mal Rom. 3.8 : des faux prophètes s’ingéroyent, pour destruire les Eglises qu’il avoit édifiées 2Cor. 11.1 : aucuns preschoyent l’Evangile par haine et contention, non en sincérité Phil. 1.5 : et mesmes malicieusement, pensans de le grever plus en sa prison. En aucuns lieux l’Evangile ne proufitoit pas beaucoup : chacun cherchoit son proufit, et non pas de servir à Jésus-Christ : les autres se révoltoyent, retournans comme chiens à leurs vomissemens, et pourceaux à leurs fanges. Plusieurs tiroyent la liberté de l’esprit, en licence charnelle. Plusieurs faux frères s’insinuoyent, desquels provenoyent après grands dangers aux fidèles : mesmes entre les frères, il se suscitoit plusieurs débats. Qu’avoyent yci à faire les Apostres ? Leur estoit-il expédient ou de dissimuler pour un temps, ou du tout quitter et renoncer cest Evangile, lequel ils voyoyent estre semence de tant de noises, matière de tant de dangers, occasion de tant de scandales ? Mais entre telles angoisses il leur souvenoit que Christ est pierre d’offense et de scandale, mis en ruine et résurrection de plusieurs, et pour un but auquel on contredira Luc 2.34. De laquelle fiance estans armez, ils passoyent hardiment, et marchoyent par tous dangers de tumultes et scandales. Nous avons à nous conforter d’une mesme pensée, puis que sainct Paul tesmoigne cecy estre perpétuel à l’Evangile, qu’il soit odeur de mort pour mort à ceux qui périssent 2Cor 2.16 : combien qu’il soit plustost ordonné à ceste fin, d’estre odeur de vie pour vie à ceux qui sont sauvez : et puissance de Dieu en salut à tous croyans Rom. 1.16. Ce que nous expérimenterions aussi de nostre part, si nous n’empeschions et destournions par nostre ingratitude, un si grand bénéfice de Dieu : et si nous ne tirions à nostre ruine, ce qui nous devoit estre un souverain moyen de salut.

Mais je retourne à vous, Sire. Vous ne vous devez esmouvoir de ces faux rapports, par lesquels nos adversaires s’efforcent de vous jetter en quelque crainte et terreur : c’est asçavoir, que ce nouvel Evangile (ainsi l’appellent-ils) ne cherche autre chose qu’occasion de séditions et toute impunité de malfaire. Car Dieu n’est point Dieu de division, mais de paix : et le Fils de Dieu n’est point ministre de péché, qui est venu pour rompre et destruire les œuvres du diable. Et quant à nous, nous sommes injustement accusez de telles entreprises, desquelles nous ne donnasmes jamais le moindre souspeçon du monde. Et il est bien vray-semblable que nous, desquels jamais n’a esté ouye une seule parole séditieuse, et desquels la vie a tousjours esté cognue simple et paisible, quand nous vivions sous vous, Sire, machinions de renverser les royaumes ! Qui plus est, maintenant estans chassez de nos maisons, nous ne laissons point de prier Dieu pour vostre prospérité, et celle de vostre règne. Il est bien à croire que nous pourchassions un congé de tout mal faire, sans estre reprins : veu, combien que nos mœurs soyent répréhensibles en beaucoup de choses, toutesfois qu’il n’y a rien digne de si grand reproche. Et d’avantage, grâces à Dieu, nous n’avons point si mal proufité en l’Evangile, que nostre vie ne puisse estre à ces détracteurs exemple de chasteté, libéralité, miséricorde, tempérance, patience, modestie, et toutes autres vertus. Certes la vérité tesmoigne évidemment pour nous, que nous craignons et honorons Dieu purement, quand par nostre vie et par nostre mort nous désirons son Nom estre sanctifié. Et la bouche mesmes des envieux a esté contrainte de donner tesmoignage d’innocence et justice extérieure, quant aux hommes, à aucuns de nous, lesquels on faisoit mourir pour ce seul point, qui méritait louange singulière. Or s’il y en a aucuns qui sous couleur de l’Evangile esmeuvent tumultes (ce qu’on n’a point veu jusques-yci en vostre royaume) ou qui vueillent couvrir leur licence charnelle du nom de la liberté qui nous est donnée par la grâce de Dieu, comme j’en cognoy plusieurs : il y a loix, et punitions ordonnées par les loix, pour les corriger asprement selon leurs délicts. Mais que cependant l’Evangile de Dieu ne soit point blasphémé pour les maléfices des meschans. Vous avez, Sire, la venimeuse iniquité de nos calomniateurs exposée par assez de paroles, afin que vous n’encliniez pas trop l’aureille pour adjouster foy à leurs rapports. Et mesmes je doute que je n’aye esté trop long : veu que ceste préface a quasi la grandeur d’une défense entière : combien que par icelle je n’aye prétendu composer une défense, mais seulement adoucir vostre cœur pour donner audience à nostre cause. Lequel, combien qu’il soit à présent destourné et aliéné de nous, j’adjouste mesmes enflambé, toutesfois j’espère que nous pourrons regagner sa grâce, s’il vous plaist une fois hors d’indignation et courroux, lire ceste nostre confession, laquelle nous voulons estre pour défense envers vostre Majesté. Mais si au contraire, les détractions des malvueillans empeschent tellement vos aureilles, que les accusez n’ayent aucun lieu de se défendre : d’autre part, si ces impétueuses furies, sans que vous y mettiez ordre, exercent tousjours cruauté par prisons, fouets, géhennes, coppures, bruslures : nous certes, comme brebis dévouées à la boucherie, serons jetiez en toute extrémité : tellement néantmoins qu’en nostre patience nous posséderons nos âmes, et attendrons la main forte du Seigneur : laquelle sans doute se monstrera en sa saison, et apparoistra armée, tant pour délivrer les povres de leur affliction, que pour punir les contempteurs qui s’esgayent si hardiment à ceste heure. Le Seigneur, Roy des Roys, vueille establir vostre Throne en justice, et vostre siège en équité.

De Basle, le premier jour d’Aoust, M. D. XXXV.

 

Principaux points contenus en ceste Institution Chrestienne


De la cheute d’Adam [2.1]
Des Anges [1.14]
De l’Ascension de Christ au ciel [2.16]
Du Baptesme [4.15]
Du Baptesme des petis enfans [4.16]
De la Charité envers le prochain [2.8]
Du Célibat des Prestres papistes [4.12]
De la Cène de nostre Seigneur Jésus [4.17]
Comment Christ est Médiateur [2.12]
De la Divinité de Christ [2.14]
Comment la personne de Christ est une en deux natures [2.14]
Pourquoy Christ a esté envoyé [2.15]
Christ Prophète, Roy et Sacrificateur [2.15]
Que Christ nous a mérité la vie éternelle [2.17]
De la Descente de Christ aux enfers [3.16]
Des Conciles et de leur authorité [4.9]
De la Confession et Satisfaction papale [3.4]
De la Confirmation papale [4.19]
De la Conscience [3.19]
De porter la Croix [3.8]
Des Diables [1.14]
De la cognoissance de Dieu [1.1] et suiv.
Que Dieu est cognu de tous naturellement [1.3]
A quoy tend la cognoissance de Dieu [1.2]
Que la cognoissance de Dieu est estouffée par l’ignorance ou malice des hommes [1.4]
De l’essence unique de Dieu, et des trois personnes [1.13]
Comment Dieu use des œuvres des meschans [1.18]
De l’Eglise [4.1]
Comparaison entre la vraye et fausse Eglise [4.2]
De la jurisdiction de l’Eglise, et de la discipline [4.11] [4.12]
De la puissance de l’Eglise quant à faire des loix [4.2]
De la puissance de l’Eglise quant à déterminer des articles de la Foy [4.8]
De l’estat de l’Eglise ancienne [4.4]
De l’Election éternelle [3.21]
Que l’Election est confermée par la vocation de Dieu [3.24]
De l’authorité de l’Escriture saincte [1.6]
Que la doctrine de l’Escriture saincte nous est nécessaire [1.9]
Du sainct Esprit, de ses offices et de son opération secrette [3.1]
Qu’il n’est licite d’attribuer à Dieu aucune Figure visible [1.11]
De la Foy [3.2]
Du Gouvernement civil [4.20]
Des Hérétiques et schismatiques [4.1]
De la création de l’Homme [1.15]
De l’Image de Dieu [1.15]
Des Images [1.11] [1.12]
De l’Imposition de mains [4.19]
Des Indulgences [3.5]
Du nom de Jésus [2.15]
Du Jusne [4.12]
Des Jugemens et de la Justice temporelle [4.20]
Du Jurement [2.8]
De la Justification de la foy [3.11]
Du commencement de la Justification, et de ses advancemens continuels [3.14]
Les choses qui sont à considérer en la Justification [3.14]
Du Libéral ou franc arbitre [1.15] [2.2] [2.5]
De la Liberté chrestienne [3.19]
De la Loy, et de sa fin, office et usage [2.7]
L’exposition de la Loy morale [2.8]
Des Loix civiles [4.10]
Du Mariage [4.19]
Du Médiateur Jésus-Christ [2.12]
Des Mérites des œuvres [3.15]
De la Messe papale [4.18]
Des Moines et nonnains [4.13]
Que le Monde créé de Dieu est par luy maintenu et gouverné [1.16]
Du gouvernement du Monde [1.16]
De la Mort de Christ [2.16]
De l’Onction dernière, sacrement papistique [4.19]
D’Oraison [3.20]
Des Ordres ecclésiastiques du Pape [4.19]
De l’Ordre et ministère de la vraye Eglise [4.3]
De l’élection et office des Pasteurs et docteurs de l’Eglise chrestienne [4.3]
Du Péché contre le sainct Esprit [3.3]
Du Péché originel [2.1]
De la vraye Pénitence [3.3]
De la Pénitence papale [4.19]
De la Prédestination de Dieu [3.21]
De la Privauté du siège romain et du commencement de la Papauté [4.6] [4.7]
Accord des Promesses de la Loy et de l’Evangile [3.17]
De la Providence de Dieu [1.16]
Du Purgatoire [3.5]
Du Rédempteur Jésus-Christ [2.16]
De la Régénération [3.3]
Du Renoncement de nous-mesmes [3.7]
Que les Réprouvez font venir sur eux par leur faute la perdition à laquelle ils sont prédestinez [3.24]
De la Résurrection de Jésus-Christ [2.16]
De la Résurrection dernière [3.25]
Des Sacremens [4.14]
Des Sacremens papistiques, ainsi faussement nommez [4.19]
De l’Intercession des Saincts [3.20]
Par le Salaire promis on ne doit pas arguer que les œuvres justifient [3.18]
De la Satisfaction papistique [3.4]
Du Scandale [3.19]
De la convenance qui est entre le vieil et nouveau Testament [2.10]
Des Traditions humaines [4.10]
De la Trinité [1.13]
De la Vie de l’homme chrestien [3.6]
De la méditation de la Vie future [3.9]
Comme il faut user de la Vie présente [3.10]
Que la Vocation de Dieu conferme son élection [3.24]
De bien considérer sa Vocation [3.7]
Des Vœus [1.13]


Toutes ces choses sont traittées en ceste Institution clairement et pertinemment : et tout ce que les adversaires ameinent au contraire est tellement réfuté que tout fidèle lecteur a de quoy se contenter, sans plus s’arrester aux fariboles et subtilitez des sophistes.