LIVRE QUATRIÈME.

SOMMAIRE ( des anciennes éditions ).

Chap. I. Non-seulement ceux qui s’ingèrent d’eux-mêmes dans les emplois ecclésiastiques , mais ceux même qui y sont engages contre leur gré, seront sévèrement punis des fautes qu’ils y auront commises.

Chap. II. Ceux qui imposent les mains à des sujets indignes, encourent les mêmes peines, quoiqu’ils n’en aient pas connu l’indignité.

Chap. III. Un évêque doit avoir le talent de la parole.

Chap. IV. Il doit être exercé et préparé à toutes sortes de combats contre les Gentils , contre les Juifs et contre les hérétiques.

Chap. V. Il doit être versé dans la dialectique.

Chap. VI. Saint Paul a excellé dans celle partie.

Chap. VII. Cet apôtre ne s’est pas rendu moins recoin-mandable par son éloquence que par ses miracles et scs œuvres extraordinaires.

Chap. VIII. Il veut que nous excellions comme lui dans l’art de parler.

Chap. IX· Le manque d’éloquence dans l’évêque devient nécessairement très préjudiciable à son peuple.

I. Chrysostôme s’était arreté ; Basile écoutoit en-core. Après quelques moments de silence, Basile reprit la parole pour dire à son ami :

Si vous aviez fait quelque démarche et témoigné quelque désir d’arriver à l’épiscopat, vos craintes seraient fondées. En recherchant une place, on dé-clare que l’on se sent capable de la remplir, et l’on n’est plus en droit de rejeter sur l’ignorance les fautes que l’on commet dans son administration. On s’est interdit à l’avance un semblable prétexte , quand on a eu la témérité de s’y ingérer de soi-meme ou la simple imprudence de s’y laisser nom-mer ( I ) ; toujours est-il qu’on l’a acceptée volon-tairement. On n’a plus la ressource de dire , C’étoit malgré moi : si j’ai commis cette faute qui a entraîné de si graves conséquences , c’étoit bien involontai-rement. Le Jugea qui l’on aura à en rendre compte , répondra : Comment, avec le sentiment intime de votre incapacité , avez-vous pu vous hasarder à vous en charger, sans vous exposer au danger inévitable de commettre des fautes ?Qui vous forçoit à prendre un fardeau que vous reconnoissiez supérieur à vos forces ? Quelle violence a-t-on exercée pour vous contraindre à subir ce joug (a) ? Pour vous, mon ami,  vous n’avez pas à craindre de pareil reproche ; votre conscience est bien tranquille. Il n’y a personne qui ne sache que vous n’avicz pas fait la moindre démar-chc. D’autres suffrages vous y appelèrent : ainsi ce qui enlève aux autres toute excuse, est précisément ce qui vous eût absous.

(a) « Quand même , dit saint Chrysostome , tout le monde vous appel-leroit. et vous ferait même violence ; examinez les qualités de votre âme ; et ne vous rendez point, si vous vous trouvez indigne de cet honneur. « Car, ajoute ce Père. si. avant qu’on vous appelât, vous étiez indigne et inhabile , êtes-vous devenu plus digne et plus propre, du moment qu’on vous a ap-pelé : An cam te nullus vocaret, imbecillis ? etc. « ( ZMassillon , De la vo-cat. à Γétat ccclés., Confer. , tom. r . pag. 234. ) Cette disposition est celle de tous les saints prélats , qui appréhendent que leur élévation au délit r*ne soit une chute au dedans; et qu’étant devenus grands aux yeux des hommes, ils ne soient devenus méprisables aux yeux de Dieu, qui les punit peut-être d’un orgueil secret, en accordant avec indignation ce qu’il leur eût refusé par miséricorde. » ( Duguet, Traité du devoir des évêques, art.1, 11° 14.) Ce qu’il confirme par l’exemple de saint Grégoire pape , et des saints de tous les temps( Confer. cedes. , tom. 11, pag. 4 88).

Chrysostôme sourit, et, par un léger mouvement de tète, ayant témoigné à son ami combien il étoit touché de sa candeur et de sa naïveté , il reprit en ces termes :

Je voudrais bien que les choses fussent comme vous le dites , non pas pour avoir sujet d’accepter ce que j’ai déjà refusé ; car, en supposant mémo que je n’eusse pas à craindre le châtiment qui menace l'administrateur infidèle, toujours porterai-je au fond de moi-même un juge sévère qui me reprocheroit d’être resté au-dessous de l’importance d’aussi augustes fonctions. Pourquoi donc souhaite-rai-je que les choses fussent comme vous le dites? Par intérêt pour tant de misérables, puis-je appeler autrement ceux qui occupent des places dont ils ne s au roi eut remplir les devoirs, quand vous répéteriez des milliers de fois qu’on leur a fait violences et qu’ils ont péché sans le savoir? Comment envisager pour eux , sans effroi, ce feu éternel à quoi ils s’exposent, ces ténèbres extérieures } ce ver qui ne mourra point, ces cruelles séparations qui partageront à jamais les élus et les réprouvés ?

Mais il est sûr, et très sûr , que vous êtes dans l’erreur. Pour vous le prouver , je puis d’abord em-ployer un argument tiré de la puissance royale, bien moindre aux yeux de Dieu que la puissance sacerdotale : Le fils de Cis , Saül, ne devoit pas la cou-ronne à ses intrigues. Il étoit allé à la recherche de ses ânesses , quand il rencontra le prophète : ce fut Samuel qui lui déclara le dessein que Dieu avoit sur sa personne. Quoiqu’il ajoutât foi aux paroles du prophète, Saül ne témoigne pas le moindre empressentent en faveur de cette royauté, qui lui étoit promise ; au contraire , il esquive, il s’en reconnoît indigne : Qui suis-je י et quelle est la maison de mon père ? Saül, devenu roi, ne fit pas un bon usage de la puissance qui lui avoit été imposée ; la résistance qu’il avoit faite le défendit-elle de la colère du Seigneur , qui l’avoit lui-même déclaré roi ? Il pouvoit répondre aux reproches que lui fit le prophète : Ai-je tendu à la royauté ? me suis-je placé moi-même sur le trône ? Je n’aspirois qu’à mener une vie privée et tranquille , loin de l’cm-barras des affaires. Vous m’avez forcé d’accepter celle dignité ; si vous m’aviez laissé dans l’obscurité de ma condition, confondu dans la foule , Dieu ne m’auroit pas commandé d’aller combattre les Amalécites , je n’aurois pas commis les fautes dont cette malheureuse guerre a été pour moi l’occasion.

Mais de semblables excuses sont vaines ; que dis-je ? elles ne font qu’irriter davantage la colère du Seigneur. Moins on avoit mérité le poste hono■־ rable auquel on fut élevé , plus on devoit redoubler d’ardeur et d’efforts pour en reconnoitre le bienfait et en remplir les obligations. Prétendre s’excuser sur la grandeur de la charge, c’est, comme les im-pies et comme les lâches , vouloir faire de Dieu lui-même l’auteur de leurs péchés. Démence sacrilège ל indigne d’un chrétien qui doit travailler de tous ses moyens à l’œuvre de Dieu, exprimer par ses actions et ses paroles le respect dû à une telle majesté!

Le grand-prêtre Héli n’avoit pas non plus ambitionne la souveraine sacrificature ; la modération qui faisoit son caractère ne put balancer son ini׳ quite. Loin d’avoir intrigué pour arriver aux honneurs ל il n’eût pas été libre de les refuser ; la loi elle-même le contraignoit à les accepter ; parce que seul, de la tribu de Lévi , il avoit droit d’occuper cette haute dignité à laquelle sa naissance l’appe-loit. Il n’en fut pas moins puni pour les fautes de ses enfants (a).

(a) « Ainsi c’est peu qu’un évêque soit homme de bien; c’est peu qu’il ait la vertu et la probité d’Héli. Si ceux qu’il doit instruire vivent dans le dés-ordre , il sera condamné comme s’il y avoit vécu lui-meme. 11 eût pu espê-1er de recevoir miséricorde . s’il eût été du nombre des Gdèles ; il ne doit pas l’attendre, étant de celui des pasteurs. » ( Duguet, Traite du de\ci des écèqiics, art. i. n° 1. ;

Exod. iv. 13. Avant lui, Aaron, un autre grand-prêtre des Juifs, si souvent l’objet des entretiens familiers que Dieu daignoit avoir avec Moïse, se rendit coupable pour n’avoir pas résisté avec assez de force à un peuple furieux. Le pouvoit-il tout seul? Ce n’en étoit pas moins fait de lui, si Dieu n’eût consenti à se laisser fléchir par les prières de son frère. Puis-aue j’ai fait mention de Moïse ; ce fameux législa-teur nous fournit un exemple de plus en faveur de ce que j’avance. Il avoit témoigné si peu d’empres-sement à se mettre à la tête du peuple Juif, qu’il refusa même d’obéir à Dieu qui lui ordonnoit d’en prendre la conduite, jusqu’au point d’exciter sa colère. Forcé d’accepter, il eût préféré mourir. «Seigneur, ôtez-moi la vie ג plutôt que de me laisser » dans cet état. » Cependant, lorsqu’il eut péché, à l'occasion des eaux (II) , le refus persévérant qu’il avoit fait du souverain pouvoir lui servit-il pour obtenir sa grâce? Ne fut-ce pas là le motif pour le-quel il ne put jouir de l’entrée de la terre promise? Tout le monde sait que cette exclusion fut la peine du péché dont nous venons de parler. Il n’en fallut pas davantage pour que cet homme de miracles fût privé d’une récompense accordée à des hommes au-dessous de lui. Apres une infinité de fatigues et de travaux י après avoir si long-temps erré dans le dé-sert, ce grand homme , signalé par tant de combats et de victoires , mourut sans avoir pu mettre le pied dans cette terre pour laquelle il avoit essuyé de si 4‘ grands dangers ; et celui qui avoit échappé aux lu-rcurs de la mer, n’a pas eu le bonheur de se reposer au port.

Vous voyez donc qu’il ne reste aucune excuse , non-seulement à ceux qui recherchent les dignités ecclésiastiques י mais à ceux memes qui les reçoivent des autres, puisque des hommes qui les ont refusées quand Dieu même les y avoit appelés, n’ont pu échapper àla vengeance, ni un Aaron,ni unHéli,pas meme cet admirable prophète , Moïse, le plus doux des hommes qui fussent alors sur la terre , à qui Dieu parlait avec la même familiarité que l’ami à son ami (III ) ; comment veut-on que nous, qui lui sommes si inférieurs en vertu , trouvions de quoi nous excuser devant Dieu, dans le témoignage que notre conscience nous peut rendre de ne les avoir nullement recherchés : outre qu’il v a , entre ces temps-là et le nôtre, cette différence, qu’une grande partie des élections ne se fait point par la grâce et la vocation de Dieu, mais par le choix des hommes.

C’étoit le Seigneur même qui avoit choisi Judas . pour l’élever au rang de ses apôtres. Non content de l'admettre dans celte sainte compagnie, il avoit bien voulu le distinguer par une marque de confiance particulière , lui confiant le maniement de l’argent. Après qu’il eut abusé de ce double bonhcur, trahissant celui dont il devoit publier la sain-leté , dissipant les fonds déposés dans ses mains pour de plus nobles usages, Judas a-t-il évité la pu-nition qu’il avoit trop méritée ? Ce fut précisément là ce qui l’augmenta. Car il n’est pas permis d’abuser des dons de Dieu pour l’offenser; on doit les faire valoir pour lui plaire. Celui qui prétend éviter la peine qui lui est due, parce qu’on l’a placé dans un poste plus élevé, raisonne à peu près comme auroient fait les Juifs de qui Jésus-Christ disoit : Si je n’étois pas venu , et que je ne leur eusse point parlé י ils ne se seraient point rendu coupables ; et si je n a vais pas opéré parmi eux des miracles que personne n’a jamais faits, ils n’auraient point péché. A cette parole du Sauveur (IV), du bienfaiteur de tout le genre humain , qui les empêchait de répondre : Pourquoi êtes-vous venu? Pourquoi avez-vous parlé? Pourquoi avez-vous fait des miracles ? Etoit-ce pour avoir occasion de nous châtier plus sévèrement? Un tel langage eût été celui de la plus monstrueuse in-gratitude. Ce médecin n’est pas venu pour vous faire mourir, mais pour vous sauver; parce que vous étiez malade, il vouloit vous guérir ; il ne pouvoir, vous délaisser. C’est vous qui, volontairement, avez refusé de vous confier à ses soins. Vous méritez donc un plus rigoureux traitement. En vous soumettant à ses ordonnances, vous guérissiez vos anciennes maladies; en le rejetant, vous vous mettez dans l’impuissance de recouvrer la santé ; doublement coupable par votre entêtement, d’abord en vous nuisant à vous-même, puis en dédaignant les soins du médecin. Il n’y a pas égalité de fautes ni de châtiments entre celles que l'on commet avant d’a-voir reçu un bienfait, et celles dont on se rend cou-pable après l’avoir reçu. Celles-ci doivent s’attendre à une plus sévère expiation. Tel est l’ordre de la justice ; que si les bienfaits ne vous rendent pas meilleurs , ils vous rendent plus coupables. Jugez maintenant combien est foible le moyen de défense que- vous m’opposez ; et cherchez ailleurs des argu-ments moins ruineux , un asile plus sûr.

BASILE.

Où pourrais-je en trouver ? je ne sais plus où j’en suis, tant votre discours m’a inspiré de frayeur !

CHRYSOSTÔME.

II. De grâce, mon ami, je vous en conjure, ne vous laissez pourtant pas abattre de la sorte ; nous l’avons, cet asile : C’est que , moi par exemple, foible comme je le suis, nous ne nous exposions jamais à un tel danger; et que vous, qui êtes fort et vigoureux, vous mettiez l’espérance devotre salut à ne rien faire; avec la grâce du Seigneur (V), qui soit indigne de votre charge et de la majesté de Dieu qui vous l’a donnée. Il est vrai que ceux-là méritent d’être pu-nis rigoureusement qui, après avoir obtenu les di-gnités ecclésiastiques par les voies de l’ambition et de la cupidité, s’y comportent avec tiédeur, ou avec scandale, ou avec incapacité. Mais il ne s’ensuit pas de là que ceux qui ne l’auroient pas sollicité , puis-sent alléguer aucuns de ces prétextes en leur faveur. Telle est mon opinion, que quand un peuple en-tier vous appelleroit, leurs empressements, leurs violences même, doivent être comptés pour rien(a). Ce qu’il faut examiner avant tout, ce sont les dis-positions du cœur et de l’esprit. Ce n’est qu’après le plus sérieux examen porté sur vous-même, que vous pouvez vous rendre à leurs importunités. Personne ne s’engage à bâtir une maison, s’il n’est architecte ; à guérir des malades, s’il n’est médecin. Que l’on voulût les y contraindre, ils ne manqueraient pas d’excuses pour s’en défendre, en avouant leur igno-rance.Etlors qu’il s’agit du soin d’une infinité d’âmes, l’on se dispenserait de ce sérieux examen . Et l’on viendrait, avec l’incapacité la plus reconnue , s’im-misccr dans les plus augustes fonctions , par complaisance pour un tel, parce que celui-ci l’exige par la crainte (l'offenser celui-là? Ne seroit-ce pas s’ex-poser avec eux à une perte certaine? On auroit pu se sauver tout seul ; on se damne soi et les autres. Car enfin que^ moyen de salut espérer désormais? à qui demander grâce? quel intercesseur implorer ? Peut-être ces indiscrets téméraires י qui ont réuni leurs efforts pour vous faire violence ? Mais, eux-memes, qui viendra à leur secours au jour fa-tal où ils seront en présence du souverain Juge? qui conjurera pour eux la sentence qui les dévouera à un châtiment éternel ? Je n’ai pas 1 intention de jeter la frayeur dans votre esprit ; je ne veux que vous faire voir la vérité toute nue. Pour cela , écoutez l'Apôtre donnant ses instructions à son cher Timothée , à ce fils si digne d’un tel père : Gardez-vous lui écrit-il י d’imposer les mains légèrement à qui que ce soit ? pour ne point participer aux péchés d’autrui. Ces paroles ne vous font-elles pas assez coin-prendre de quel crime et de quel châtiment j’ai sauvé י autant qu’il étoit en moi , ceux qui vouloient ma promotion (VI) ? Car de même qu’il ne sufliroit pas à l’élu de dire , Je n’a vois pas sollicité } je n’ai point fui, parce que je ne prévoyais point que l’on pensât à moi ; de même ce sera pour l’électeur une vainc excuse de dire qu’il ne connoissoit pas celui ?1 pi il donnoit son suffrage. Car c’est là même ce qui augmente sa faute ; et cet aveu eu devient la conviction. Jugez, par comparaison : Quand vous voulez faire l’acquisition d’un esclave , vous le faites examiner par le médecin ; vous demandez des sûretés ; vous allez aux consultations dans tout le voisinage; vous ne l’arrêtez qu après l’avoir es-sayé, sous vos yeux, durant un certain temps; et quand il s’agit de fonctions aussi importantes que celles de l’épiscopat, vous vous en reposeriez sur la recommandation d’un tiers ? vous abandonneriez la chose au hasard, sans examen , sans témoignage préalable (VII)? Comment le protégé évitera-t-il le châtiment, quand ses protecteurs eux-mêmes ont besoin de patrons? Avant d’élire, il faut donc la plus sérieuse attention ; il en faut surtout à celui que l’on met sur les rangs ; car, bien que ceux qui l’auront élu doivent porter avec lui la peine de ses péchés, ce ne sera pas pour lui un titre à l’impunité. Il doit même s’attendre à un plus rigoureux châli-ment, à moins qu’il n’y ait de la part de ceux-ci un motif déterminé d’élire , par la seule passion hu-!naine , contre leur propre conscience ,· un homme qu’ils savaient, à n’en pouvoir douter, indigne de l’épiscopat : dans ce cas, tous deviennent également coupables , plus particulièrement peut-être les élec-leurs, qui, en donnant leur voix en connoissance de cause , se rendent responsables de toutes les con-séquences qu’entraînera leur téméraire audace. Ce ne sera pas non plus pour eux une excuse légitime , si la faute est moins grande, de dire qu’ils ne le connoissoient pas ; qu’ils ont été trompés par l’opi-nion publique (a). Car l’élu n’a pas cette ressource ; il ne sauroit alléguer qu’il ait été inconnu à lui-même, ainsi qu’il l’étoit aux autres. Comme donc il doit être plus puni que ceux qui l’élisent, il doit aussi s’examiner et s’éprouver avec plus de soin que qui que ce soit. Et si les personnes qui ne le commissent pas bien, veulent le contraindre d’accepter , il doit leur déclarer ses défauts, les arracher à l’erreur, et se refuser absolument à se courber sous le poids d’un ministère dont il se recommit indigne.

(a) Voy. M. l’évêque du Puy , Lettres, tom. 1, pag. 18.

(a) « Mauvaise excuse de dire qu’ils ne connoissoient pas, répond saint Jean Chrysostôme. » ( Harel, Esprit du Sacerdoce י torn. 1, pag. 152. )

Pourquoi voyons-nous que, dans les divers em-plois de la vie civile, tels que le gouvernement militaire , le commerce , l’agriculture et autres , jamais le cultivateur ne s’avise de vouloir comman-der un vaisseau , ni le soldat de faire valoir une ferme , ni le pilote de conduire des armées, quand même on voudroit les y contraindre sous peine de mort? C’est parce qu’ils sentent bien que leur inca-pacité les exposeroit à un danger évident. Quoi ! dans de médiocres intérêts porter si loin la défiance de nous-même, que nulle considération ne puisse nous porter à céder ; et dans un intérêt où il s’agit de l’éternité, on se rend sur la seule excuse qu’on  nous a fait violence? Le souverain Juge admettra-t-il une pareille raison ; quand notre premier devoir étoit de faire passer les interets du salut avant tous les autres? Vous avez, un édifice à construire , et pour cela vous appelez un homme que vous croyez architecte , parce qu’on vous a dit qu’il l’étoit ; mais que celui-ci9 mettant la main à l’œuvre , au lieu d’employer scs matériaux selon les règles de l’art י construise une maison de manière que sous peu de temps elle menace de s’écrouler; trouveriez-vous son excuse bonne, s’il venoit vous dire qu’on Fa forcé à travailler, et qu’il ne s’étoit pas présenté de lui-meme? Non , sans doute ; vous seriez en droit de lui répliquer qu’il n’auroit pas dû se rendre. Ce prétendu architecte méritera d’être puni pour le dégât qu’il a fait ; et nous croirions qu’un ministre qui précipite les âmes dans l’abîme, ou qui travaille sans zclc â l’édifice spirituel, en sera quitte pour dire qu’on l’a contraint à prendre le gouvernement de l'Eglise?

Il n’est point encore temps de prouver qu’il est impossible de faire violence, en ce genre , à celui qui est déterminé à refuser. J’accorde, pour un mo-ment, qu’on a réellement contraint le sujet ; qu’on a usé a son égard de tant de ruses, qu’il a été obligé de se soumettre : pensez-vous, pour cela, qu’il évi-tera la punition? Détrompez-vous, et n’ayons pas l’air d’ignorer ce que savent même les enfants. Au jour du jugement ; cette ignorance prétendue ne nous servirait île rien. Vous n’avez fait aucune dé-marche pour être promu au sacré ministère, parce que vous connaissiez votre faiblesse : soit. Il fallait donc persévérer dans ces sages dispositions , et ne pas accepter lorsque l’on vous y a appelé. Quoi ! vous étiez sans ·talents et sans vertus , tant que l’on ne pensoit pas à vous; et, dès qu’il s’est trouvé des gens qui vous invitaient à monter sur le chandelier , vous voilà devenu tout à coup riche de talents et de ver-tus ! Il y auroit, à le croire , le comble de l’extra-vagance. Notre Seigneur ]’a dit : Qui veut bâtir une tour , doit consulter ses forces avant de jeter les fondements ; autrement il s’expose à la risée des passants. Encore là , tous les risques à courir ne vont-ils pas au-delà de quelques plaisanterics à es-suyer : mais ici, il s’agit de châtiments éternels ; et voilà ce que ne considèrent point ceux qui nous ac-cusent. S’ils regardaient les choses de plus près, ils s’abstiendroient de nous censurer pour n’avoir pas voulu nous exposer inconsidérément à la damnation étemelle. L’affaire dont il s’agit ici, ce n’est pas l'exploitation d’une métairie , le soin d’un troupeau de brebis ; il s’agit du corps meme de Jésus-Christ.

(a) Cité par Massillon, De la vocat. à l’élat cedes. , Confer., torn, ι, pag. 2 34.

Car, aux termes de Saint-Paul, l'Eglise n’est autre chose que le corps meme du divin Sauveur. Quiconque est appelé au gouvernement de l'Eglise, doit travailler à l’entretenir dans sa force et sa beauté , éviter qu’il ne s’y mêle ni tache ni souil-]ure, rien qui puisse en ternir tant soit peu l’éclat, afin qu’il soit, autant que possible à des efforts liu-mains, digne de ce chef adorable qui jouit de la bienheureuse immortalité. Que si ceux qui veulent se rendre propres aux combats des athlètes ont besoin de maîtres, de médecins, d’exercices, d’un régime de vie auxquels ils se conforment exacte-ment, parce que la moindre négligence peut rendre toutes les autres précautions inutiles; comment ceux qui sont choisis pour gouverner le corps de Jésus-Christ, dont l’exercice n’est pas corporel mais spirituel, et consiste à combattre les puissances invi-sibles , lui peuvent-ils conserver sa santé et sa vi-gueur, s’ils ne possèdent toutes les méthodes néces-saires pour en bien traiter les maladies, et s’ils ne sont pas pour cela doués d’une vertu plus qu’hu-maine ? Ne savez-vous pas que ce corps mystique a ses maladies, et en bien plus grand nombre que celui de chacun de nous ; qu’il s’altère plus aisément et qu’il est plus difficile à guérir ?

III. L’art de guérir a des procédés et des instruments divers. Quelquefois le simple changement d’air, le sommeil ménagé à propos, suffisent pour guérir le malade et tirer le médecin d’embarras. Le traitement des maladies spirituelles n’a pas ccs ressources. Après le bon exemple , notre ministère ne connaît pas d’autre méthode pour guérir que la prédication : elle seule lui tient lieu d’instrument, de régime , de température. C’est-là son unique antidote , par le-quel il supplée au feu et au fer. Par elle, il coupe , il brûle : quand ce moyen échoue , n’espérez plus rien des autres ; mais aussi , attendez tout de l’efli-cacité de celui-ci. Par lui, nous relevons les forces quand elles sont abattues , nous corrigeons l’en-dure, nous retranchons ce qu’il y a de trop dans les humeurs , nous réparons ce qui manque , nous parvenons à rendre la santé aux malades (VIII ).

Il faut avouer qu’un exemple de vertu peut exci-ter une généreuse émulation , et porter d’autres personnes à l’imiter : mais lorsqu’il s’agit de guérir une âme prévenue d’une mauvaise doctrine, l’exemple reste stérile. C’est à la parole qu’il faut recourir , non-seulement pour confirmer ceux qui pensent comme nous י mais encore pour combattre les adversaires. Si nous étions armés du glaive de l'Esprit et du bouclier de la foi י jusqu’à faire des miracles (a) י et pouvoir ainsi réduire au silence les incrédules et les libertins, nous pourrions nous passer du secours de l’éloquence; encore, dans ce cas meme, deviendrait-elle utile et nécessaire (a). L’Apôtre saint Paul ne l’a pas dédaignée, bien que l’éclat de ses mi-racles frappai tous les yeux. Saint Pierre nous or-donne de ne pas négliger ce moyen , et d’etre toujours prêts à répondre à ceux qui nous demanderont compte de notre foi. Les apôtres réunis ne donnèrent le soin des veuves à saint Etienne> et aux autres diacres ses collègues, que pour s’employer au minis-1ère de la prédication. Peut-être ne remplirions-nous pas ce devoir avec autant de zèle,si nous avions le don des miracles (IX). Mais comme il ne s’en fait plus aujourd’hui ( X ) , que nous avons des en-nemis à combattre de tous côtés ; il nous est néces-saire d’etre aimés du glaive de la parole 7 tant pour repousser leurs attaques י que pour les confondre à notre tour.

(a) « Àrous comprenez bien qu'on n’exige de vous ni les miracles, ni l'éloquence divine de Jésus-Christ; maison exige des talents pour fin-st ruction des peuples, pour remplir les devoirs de voire ministère. » (Massillon , De la vocat. à l'étal ecclés. , Confer., tom. 1, pag. 24 7. ) « Si vous n’avez pas ces lumières rares, et cette science qui enfle, avez-vous du moins assez de connaissance des vérité delà religion pour en instruire vos frères? Si vous n’avez pas assez de supériorité d’esprit et de capacité, pour confondre les incrédules et les esprits rebelles à l'Église, en avez-vous assez du moins , pour affermir dans la foi et dans la piété les simples et les igno-rants ?( ZÆzl·/., Confer., tom. 1, pag. 13. Fénélon, Duguet, Carron, ions les conciles , tous les Pères, tous les docteurs.)

(a) Mais pour l’acquérir cette éloquence, ou pour l'entretenir quand on en a reçu le don, il faut de l’étude , du travail, de la science : Labia sa-cerdotis custodient scientiam. Saint Paul veut que son disciple soit, non-seulement savant , mais capable d’instruire les autres, doctorem; mais puissant en doctrine : Ut potens sit exhort ari in doctrina sana. La néces-site de la science est donc pour nous un devoir aussi rigoureux que celui de la piété. Les saints canons ont foudroyé de tout temps ces ministres in-fidèles qui, se faisant une sorte de gloire d’avoir peu de lecture et peu d’é-tude, revêtent leur ignorance d’une apparence de piété, comme s’il n’étoit pas possible d’avoir de la science et de l’humilité; comme si c’étoit la même chose d’être savant et curieux. Ainsi parloient un saint Grégoire de Na-zianze , un saint Basile, un saint Augustin, tous les Pères. Mais ce langage n’est plus entendu. Aujourd’hui un prêtre savant paroît être un phéno-mène, qu’à peine l’on remarque , et que l’on ne recherche pas : heureux quand il n’est pas persécuté!

IV. C’est pourquoi nous devons avoir grand soin que la parole de Jésus-Christ habite en nous avec abondance \ car nous n’avons pas un seul genre de combats a soutenir : nous avons en tête des ennemis divers, nombreux , qui ne se servent point des mêmes armes, ne suivent pas le même plan d’attaque. Celui qui entreprend d’en venir aux mains avec eux doit donc être armé de toutes pièces, savoir manier également l’arc et la fronde, être tour-à-tour fantassin et cavalier, soldat et capitaine , propre aux combats de mer comme aux attaques de places.

Dans les combats ordinaires , il suffit que chacun se tienne au poste qui lui fut indiqué , dans ceux dont nous parlons ג il faut connoître à fond chacune des parties de fart de l’attaque et de la défense. Qu’il y ait un endroit foible, l’ennemi saura bien le découvrir et introduire dans la bergerie ses démons qui y porteront le ravage ; il n’a garde de s’y mon-trer, quand il a affaire à un pasteur vigilant qui est au fait de scs arliiieieuses manœuvres : il faut donc

Que nous soyons munis de toutes parts. Une cité bien défendue contre l’ennemi par une forte mu-raille qui l’enceint de tous côtés , brave les traits de ceux qui l’assiègent. Mais pour peu que l’ennemi parvienne à y faire brèche ,c’en est assez pour que la place tombe en son pouvoir. Il en est de même de la cité spirituelle. Tant que la prudence et le zèle du pasteur lui servent de rempart, les entreprises de l’ennemi tournent à sa honte , et personne n’est en danger : pour peu qu’on vienne a l’entamer, la par-tie foible a bientôt entraîné le reste. Que serviroit-il, en effet, d’avoir mis les Gentils en déroute ( XI ), si les Juifs saccagent la place? ou si, après avoir battu les uns et les autres, on est en proie aux Manichéens ou aux fatalistes? Il seroit superflu de parcourir les hérésies diverses , suscitées par le démon ; qu’il me suffise de dire que, si l’évêque n’est pas armé contre toutes , le triomphe d’une seule d’entre elles peut être funeste à tout le troupeau (XII ). A la guerre, il faut être présent sur un champ de bataille pour vaincre ou pour succomber ; ici, il arrive souvent qu’un combat engagé contre d’autres , ménage les honneurs de la victoire à des athlètes qui ne s’é-toient pas même trouvés au commencement de la mêlée, et qui, étrangers àla querelle , étaient res-tés constamment assis sous la tente. D’autres fois , pour avoir négligé de s’exercer à l’avance, on se perce de ses propres armes , et l’on prête à rire à ses amis et à ses ennemis. Je vais éclaircir ma .pensée par un exemple. Les sectateurs de Valentin, de Marcion , et d’autres qui leur ressemblent (XIII) , retranchent du nombre des divines Ecritures la loi donnée à Moïse par le Seigneur ; d’autre part, les Juifs ont pour elle un respect tel, qu’au jourd’hui qu’elle est abrogée , ils soutiennent que l’on doit eu garder tous les préceptes contre l’ordonnance du Seigneur lui-même. Mais l'Eglise, évitant l’un et l’autre excès, a pris le milieu , en ne jugeant pas d’une part que l’on doive encore être soumis au joug de cette loi, et en ne souffrant pas de l’autre , que l’on publie contre elle des calomnies. Elle la pré-conise encore , après même quelle est supprimée , parce quelle a été utile durant tout le temps quelle a eu cours ; ce qui me fait dire que celui qui se pro-pose de combattre les uns et les autres doit garder un juste tempérament. Car s’il veut persuader aux Juifs que ce n’est plus le temps de pratiquer les .ce-rémonies de cette loi ancienne , et qu’il déclame fortement contre elle , il donnera carrière aux hé-réticpies qui la rejettent. S’il la loue exclusivement, pour fermer la bouche à ces hérétiques, comme s’il étoit encore nécessaire de l’observer au temps où nous sommes, il donne aux Juifs gain de cause.

Il faut user des mêmes précautions, quand on se rencontre avec des sectateurs de Sabellius ou d’Arius, qui ont donné dans des excès opposés (XIV). fous ont le nom de chrétiens ; mais en examinant de près leur doctrine י vous vous convaincrez qu’au nom près , les premiers ne valent pas mieux que les Juifs (JCV );et que les seconds se rapprochent fort de l’hérésie de Paul de Samozate (XVI); qu’au reste les uns et les autres sont également loin de la vérité.

Ces rencontres sont donc extrêmement périlleuses. Vous marchez sur un sentier étroit, escarpé, bordé de précipices. En combattant l’une de ces deuxhéré-sies, il est à craindre de donner prise à l’autre. Si vous dites que Dieu est un, Sabellius s’emporte et inter-prête le mot en sa faveur. Si l’on fait une distinc-tion, et que l’on dise qu’autre est le Père, autre est le Fils, autre est le Saint-Esprit., Arius s’empare de cette distinction; et delà différence des personnes, il conclut à la diversité de l’essence. Il faut rejeter également et la confusion impie que l’un veut introduire , et la division non moins sacrilège de l’autre, en reconnoissant tout ensemble une seule et unique divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur distinction en trois personnes. C’est par-là que nous élèverons un rempart inacces-sible aux uns et aux autres, et que nous nous met-trous à couvert de leurs attaques. Je pourrois vous citer encore plusieurs points de controverse, qui exigent autant de vigueur que de prudence, si l’on neveut point s’exposer à recevoir bien des blessures.

V. Parlerai-je des contentions et des disputes qui s’élèvent journellement au sein de la famille? Non moins affligeantes que les attaques qui nous viennent du dehors , elles sont encore plus labo-rieuses que les premières. Vous avez des esprits curieux qui s’enfoncent témérairement dans des recherches qui ne les mènent à rien (XVII). D’autres voudroient pénétrer l’abîme sans fond des conseils de Dieu, et lui demandent compte de ses jugements (XVIII). Bien peu s’appliquent à con-noître les dogmes de la foi, et les règles des mœurs beaucoup perdent leur temps à étudier ce qu’ils ne connoîtront jamais, sans s’embarrasser que Dieu condamne leur curiosité. Vous voulez franchir les limites que Dieu lui-même a fixées; efforts inutiles et criminels ! Mais que l’on entreprenne, par la seule voie de l’autorité, de réprimer cette indiscrète et dangereuse curiosité ( XIX) : on se récrie, on vous nomme orgueilleux ou ignorant. Il faut donc, en ce cas, beaucoup de souplesse d’esprit, tant pour écarter ces questions imprudentes et in-solubles, que pour ne point donner prise aux accu-sations. Or, pour cela, point de moyen plus effi-cace que la puissance de la parole. Si l’évêque en est dépourvu, les âmes qui lui sont confiées seront dans une continuelle agitation, comme les vaisseaux battus de la tempête. Combien donc l’évêque ne doil-il pas étudier pour acquérir l’éloquence ?

BASILE.

VI. Pourtant l’apôtre saint Paul semble n’avoir témoigné pour elle que de l’indifférence. Qui plus est, lorn de dissimuler qu’il en manque , il ne fait pas difficulté de confesser ici son ignorance, par-culièrement dans une de ses Epîtres aux Corin-thicns, qui faisoient grand cas de cet art, et avoient ]a prétention d’y exceller (a).

(a) « Mais, dit-on , si cela est ainsi , pourquoi saint Pau] ne s’est-il point soucié d’acquérir ce talent , et pourquoi ne rougit-il point d’avouer qu’il est ignorant et peu instruit pour la parole ; et cela , en écrivant aux Corinthiens, qui faisoient tant de cas de l’éloquence ? Cette parole , dit saint Chrysostôme, dont 011 n’a point pénétré le sens, ni compris la pro-fondeur, en a trompé plusieurs, et a servi de voile et de prétexte à leur paresse. » ( Rollin, Traité des études, tom. 1, in4°־, pag. 604.) Fénélon s’étoit proposé la même objection {Dialog, sur ïéloq. ,pag. 170). Saint Augustin !,avoit de même résolue victorieusement ( De doctr. christ. , lib. 1v, 11° 15 . torn, in Bcned., pag. 7״ ).

CHRYSOSTÔME.

C’est précisément cette fausse idée qui a égaré grand nombre de ces Corinthiens, et qui mettoit ob-stade a leurs progrès dans l’étude de la vraie science. Faute d’entendre le sens des paroles de l’Apôtre et de s’élever avec lui dans la haute région qu’il parcouroit, ils consumoient leur vie dans une coupable oisiveté, affectant de rester dans l'ignorance (XX), non pas celle que saint Paul s’appliquoit à lui-même, mais une autre dont il étoit plus éloigné que qui que ce soit au monde, c’est ce que je me propose de vous démontrer bientôt. Pour le moment, supposons que l’Apôtre ait ignoré l’art de parler, comme on le pré-tend : que pourroit-on en conclure, relativement au temps où nous sommes ? Il possédoit un talent bien supérieur à tous les avantages de l’art de parler, lui de qui la seule présence et le simple aspect, sans même qu’il eût à ouvrir la Ùouchc , sufïisoient pour faire trembler les démons. Au lieu qu’aujourd’hui tous les hommes ensemble auroient beau prier et pleurer, ils n’obtiendroient pas ce que pouvoit l’A-pôtre par le seul attouchement de ses habits ! Une prière de Paul ressuscitoit des morts. Ses miracles en foule faisoient croire aux infidèles qu’il étoit un Dieu. Encore revêtu d’un corps mortel, il avoit été jugé digne d’être ravi jusqu’au troisième ciel; et là, d’apprendre des choses qu’il n’est pas permis à l’homme de comprendre. Que sont en comparaison les hommes d’aujourd’hui! Je m’arrête, pour ne rien dire de dur et de désobligeant sur leur compte; mon dessein n’est pas de les insulter : je m’étonne seulement qu’il ne rougissent pas de se mettre au niveau de ce grand homme. Laissant à part ses miracles, si nous considérons la vie angélique qu’il a menée, nous verrons que ce digne athlète de Jésus-Christ, a fait, par cela seul, plus encore que par ses prodiges. Qui pourrait représenter la vivacité de son zèle, la douceur de scs manières , les périls aux-quels il a été continuellement exposé , ses sollici-tudes en faveur de toutes les églises? sa charité et son affection envers tous ceux qui souffroient, les persécutions qu’il eut constamment à endurer, les mortelles douleurs qu’il éprouvoit chaque jour . Quelle est la partie habitahle sur terre ou sur mer qui n’ait pas retenti delà renommée de ses travaux? Est-il contrée sauvage^ reculée jusqu’aux extrémités du monde; qui ait échappé à ses regards, qu’il n’ait quelquefois visitée, et dont il n’ait fait le théâtre de ses combats? Pas un danger qu’il n’ait couru; pas une victoire qu’il n’ait remportée ; et comme il n’a cessé jamais d’être les armes à la main, il n’a cessé jamais d’aniasser couronnes sur couronnes. Mais n’y auroit-il pas de ma part quelque témé-rité à entreprendre un éloge que tout langage hu-main ne peut qu’affoiblir? Du moins un tel sujet est-il autant supérieur à mes expressions , que l’art des plus excellents orateurs l’emporte sur mes foibles talents. Persuadé néanmoins que ce grand Apôtre sera plus touché de l’intention qui m’anime, que du peu de succès de mes efforts, je ne quitte-rai point ce sujet que je n’aie fait mention d’un acte qui surpasse autant ce que j’ai dit, que lui-même sur-passe tous les autres hommes. Eh ! quel est-il ? c’est qu’a près tant de belles actions, après avoir mérité tant de couronnes, il témoigne qu’il eût souhaité d’etre précipité dans les enf ers , et de subir la peine éternelle, pour sauver et pour gagner à la foi chré-tienne les Juifs qui l’avoient plus d’une fois lapidé et cherché à le mettre à mort {a). Qui jamais a aimé Jésus-Christ jusqu’à ce point, si l’on peut appeler amour un transport digne peut-être d’un plus beau nom ? Oserions-nous donc encore nous comparer avec un tel homme ג après tant de grâces qu’il a reçues du Ciel, et de vertus qu’il a pratiquées de lui-méme? Ce seroitlà le comble de la présomption et de la témérité.

(a) Voy. la note, à ce sujet, à la page 34! de ce volume, et la lumi-neuse interprétation que donne Bossuet des paroles de l’Apôtre , d’après saint Jean Chrysostôme ( torn, vi, Collect, génér. ל in4°־, pag. 555. Paris,, !743 )·

Il ne me reste plus qu’à prouver que saint Paul n’a point été un ignorant comme on le suppose. Ceux que nous combattons appellent un homme ignorant, non-seulement celui qui n’a pas étudié les artifices d’une éloquence mondaine, mais encore celui qui ne sa’ pas défendre la vérité : j’en tombe d’accord avec eux. Or , saint Paul ne se donne pas pour igno-rant sous l’un et l’autre rapport, mais seulement sous le premier (XXI). Aussi a-t-il l’attention de faire cette distinction, en déclarant que s’il est ignorant quant au langage, il ne l’est point quant à la science {b). Il est bien vrai que si, dans le ministre de la parole sainte , nous demandions la politesse d’Isocrate , la gravité de Démosdiene י la majesté de Thucydide, et la sublimité de Platon , on pourroit m’opposer le passage de saint Paul allégué ici, mais je fais abstraction de toutes ces qualités ; et réduisant à sa juste valeur ce que l’on appelle pompe, ornement de langage, que j’abandonne volontiers à l’éloquence profane, je permets que nos discours soient simples et sans art (XXII), pourvu que nous ne soyons pas ignorants dans ce qui regarde la science et l’exposition des lois et des dogmes de la religion (XXIII); mais je ne permettrai pas que, pour défendre notre nonchalance, nous ôtions à saint Paul le plus illustre de ses avantages, et un de ses plus beaux titres à l’admiration.

(b} « La nécessité de la science et de la science ecclésiastique , pour les ministres des autels et surtout pour les chefs du sanctuaire, est une de ces vérités dont le développement et les preuves se trouvent dans tous les livres anciens et nouveaux, composés pour l'instruction des clercs. » L’évoque du Puv {Lettres, tom. π , pag. 231. Voy. aussi Canon, Pensées ecclés., 1.111, pag. 265.)

VII. Car, dites-moi, je vous prie, comment réussit-il à confondre les Juifs de Damas avant d’avoir  fait parmi eux aucun de ses miracles? comment avoit-il triomphé des Hellènes (XXIV) ? pourquoi fut-il relégué à Tarse? sinon parce que , terrassés par la force de ses raisonnements, les païens, humiliés de leur défaite, voulurent l’en punir en lui ôtant la vie. Il n’avoit point encore lait de mi-racles. On ne dira donc point que ce fut l’admiration excitée parles œuvres surnaturelles de cet Apôtre, qui abattoit à ses pieds ses adversaires ; sa seule éloquence lui donnoit ses triomphes. Voyez-le à An-tioclie : quelles armes emprunte-t-il pour combattre  ceux qui vouloient adopter les cérémonies judaïques ?

A Athènes, la ville du monde où la superstition régnait avec le plus d’empire , qui est-ce qui en-gagea l’un de ses sénateurs à s’attacher, lui et sa femme, a la suite de l’Apôtre? ne fut-ce pas un seul de ses discours ? Quel charme merveilleux ne pos-sédoit-il pas en parlant, puisqu’on passoit des nuits à l’entendre ; témoin Eutyque tombé du haut d’une fenêtre ? A Thcssalonique , à Corinthe, à Ephèse, à Piome, vous le voyez prêcher des jours et des nuits entières, expliquant les Saintes Ecritures, disputant contre les Epicuriens et les Stoïciens. Je ne fmirois pas si je parcourois en détail toutes les occasions qu’il a eues d’exercer son talent pour la parole. Puisqu’il devient constant que saint Paul, avant de faire des miracles, comme dans le temps qu’il en opéroit, n’a pas cessé de parler aux peuples , osera-t-on avancer que cet Apôtre lût un ignorant, lui qui s’est attiré l’admiration univer-selle par ses prédications et ses controverses ? Les Lycaoniens crurent voir en lui leur Mercure. A ne voir que ses miracles et ceux de saint Barnabe, ces peuples idolâtres pouvaient les prendre pour des dieux; mais en prenant saint Paul pour Mercure , c’étoit rendre hommage à son éloquence. En effet, n’est-ce pas en cela même qu’il a surpassé les antres apôtres? N’cst-ce pas sur cela qu’est fondée la ré-putation dont il jouit dans tout le monde? N’est-ce pas le talent delà parole qui l’a fait admirer par-ticulièrement, non-seulement des chrétiens , mais des Juifs et des païens? Avec quelle force ne se manifeste-t-il pas dans ses Epitres (XXV), source inépuisable d’instruction pour tous les hommes, tant pour ceux à qui elles furent adressées, que pour nous qui les lisons, et pour toutes les générations qui se succéderont jusqu’au dernier des jours ! Ces ad-mirables écrits sont comme une muraille de dia-mant qui entoure et protège toutes les églises du monde. Il en est en quelque sorte le champion im-mortel, toujours armé pour sa défense , assujettissant encore aujourd’hui toutes les pensées des hommes sous l’obéissance de Jésus-Christ, détrui-sant tous les conseils et abattant toute hauteur qui il s’élève contre la science de Dieu (a). Telles sont les œuvres qu’il opéra chaque jour : car ces lettres sont toutes pleines de la divine sagesse. Non-seu-lenient elles nous servent à repousser les mauvaises doctrines, et nous fortifier dans la véritable, mais à régler nos mœurs. C’est par elles, que sous nos yeux encore, les évêques parent et ornent cette Vierge chaste que saint Paul a appelée l’épouse de Jésus-Christ, qu’ils l’embellissent de toutes les beautés spirituelles ; c’est par elles qu’ils guérissent les maladies, et qu’ils conservent la santé. Tels sont les préservatifs et les remèdes que nous a laissés cet ignorant ; j’en appelle au témoignage de tous ceux qui, par une lecture habituelle, en ont éprouvé l'efficacité.

(a) Fénelon, Dialog, sur l’éloq., pag. 173, 182 ; Fossard, Disc, sur la sainteté du minist. ,Serrn., tom. ni, pag. 321 ; Bossuet : « Delà vient que nous admirons dans ses Epîtres une certaine vertu plus qu’humaine qui per-suade contre toutes les règles , ou plutôt qui ne persuade pas tant qu’elle captive les entendements, qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses . coups droit au cœur. « (Panég. de saint Paulé)

VIII. De plus, considérez les termes dans les-quels il parle à son disciple : Exercez - vous י lui dit-il , à lire, a prêcher, à enseigner. Il lui expose le fruit qu’il en recueillera : Par la , vous vous sauverez vous-même, et vous sauverez ceux qui vous écoutent. Il lui représente aussi que le serviteur de Dieu ne doit pas contester, mais user de modération envers tout le monde, qu’il doit être capable d’in-struire et patient. Il ajoute : Quant à vous, demeurez ferme dans les choses que vous avez apprises, et qui vous ont été confiées , sachant bien de qui vous les avez apprises, et que, dès votre jeunesse, vous avez etc formé à l’étude des lettres saintes. Il avoit  dit encore : « Toute l'Ecriture, étant divinement inspirée, est utile pour instruire de la vérité , pour » réfuter l’erreur, pour corriger les déréglements, » et pour former l’homme à la justice , afin qu’il » s’attache à Dieu et devienne parfait. » Rappelons aussi ce qu’il a dit à Tite, concernant l’ordination et le devoir des évéques : « Il faut qu’un évéque soit » fortement attaché à ces maximes saintes et qui » sont conformes à la foi et à la doctrine de Jésus-» Christ, afin qu’il puisse convaincre ceux qui le » contredisent. מ Comment un ignorant pourra-t-il convaincre ceux qui le contredisent, et leur fermer la bouche? A quoi bon recommander de lire, d’étu-dier les Saintes Ecritures, si l’on peut se prévaloir de l’ignorance (XXVI)? Ce ne sont donc là que de vaines excuses et de faux prétextes dont on couvre la lâcheté et la négligence (a).

(a) Massillon commence ainsi l’un de ses Discours synodaux, sur l’étude et la science nécessaires anx ministres : « Hélas ! Messieurs, devrions-nous avoir besoin de venir ici vous annoncer que l’étude et la science sont indis-pensables aux prêtres et aux pasteurs ; que c’est par nous seuls que la re-ligion se conserve et se perpétue parmi les peuples; que c’est sur nous seuls q ne !,Église se repose de la conservation du dépôt"; que c’est nous qu’elle établit pour empêcher que les erreurs ne gagnent et n’altèrent la pureté de la doctrine sainte. » ( xv!e Disc., Confer., torn, π , pag. 377 )·

Peut-être m’objecterez-vous que ce précepte ne regarde que les évêques. Je réponds d’abord que c’est précisément d’eux qu’il est ici question (b). Je soutiens de plus que les simples fidèles sont soumis à la meme loi. L’Apôtre le décide dans une autre de ses Epîtrcs, où il dit : Que la parole de Jésus-Christ habite en vous abondamment avec toute la sagesse. Il répété ailleurs la même chose : Que votre discours soit accompagné de grâce, et assaisonné de sel, afin que vous sachiez comment il faut répondre a tout le monde. De même, ces paroles de saint Pierre : Soyez prêts à répondre, s adressent à tous les Chrétiens. Saint Paul écrivant aux Thessaloniciens , leur dit : Edifiez-vous les uns les autres, comme vous avez fait jusqu’à ce jour; et lorsqu’il parle des prêtres , il dit : Que les prêtres qui gouvernent bien méritent une double récompense, principalement lorsqu'ils s’appliquent au ministère de la parole et de l’enseignement. Car le dernier terme de la perfection auquel ils doivent tendre, con-siste à conduire leurs disciples à cette vie bienheureuse que Jésus-Christ nous a promise, tant par leurs discours que par leurs exemples (a); il ne suffit pas d’agir pour instruire. Ce n’est pas moi, c’est le Sauveur lui-même qui l’assure : Quiconque, dit-il, fera et enseignera > sera nommé grand. Si ce n’étoit là qu’une meme chose, Jésus-Christ ne les auroit pas distingués ; il s’en scroit tenu à la première. Mais en les divisant, il nous apprend que les œuvres ne sont pas la parole; et que, pour édifier parfaitement les peuples, l’exemple et le discours doivent se pré-ter un secours mutuel (XXVII). Ecoutons ce que dit ΓApôtre en parlant aux prêtres d’Ephèse : « Veillez, מ et souvenez-vous que pendant trois ans entiers je » n’ai cessé ni jour ni nuit d’avertir chacun de vous » avec larmes ». Pourquoi ce grand homme , vrai miroir de la perfection évangélique, a-t-il employé les larmes et les exhortations? Sans doute que le hon exemple est très profitable; mais la conduite de saint Paul démontre qu’il peut manquer quelque chose à son efficacité. S’il vient, par exemple, à s’élever une question sur le dogme, et que chacun des contondants s’appuie sur l’autorité des Saintes Ecritures י à quoi sert en ce cas la sainteté de la vie? Quel avantage retirera-t-on de ses veilles et de ses travaux, si, l’ignorance venant à nous précipiter dans l’hérésie, on se voit séparé du corps de l'Eglise, comme je sais qu’il est arrivé à plusieurs? Vainement on se rejetteroit sur la régularité des mœurs : on ne gagneroit pas plus de les avoir conservées, qu’il ne serviroit d’avoir conservé la fois! l’on avoit perdu les mœurs (XXVIII).

(b) La dignité épiscopale n’admet pas , comme quelques dignités séculières, une inhabileté totale , ou une répugnance constante à exercer par soi-même des fonctions qui lui sont propres , telles que d’annoncer de vive voix l'Évangile, ou de maintenir, quand les besoins de l'Église le demandent, la saine doctrine contre l’erreur.» (L’évêq. du Puy, Lettres a un évéq. torn. 1, pag. 234·)

(a) « C’est un devoir propre aux évêques de prêcher leurs peuples. » ( Fromentières , Disc, pour le sacre d'un évêque , torn, iv , pag. 511 ־, le Franc de Pompignan, Lettres, torn. 1, pag. 232.) Saint François de Sales : « J’oubliois de vous dire qu’il vous est indispensable de prêcher vous-même votre peuple. Le saint concile de Trente , après tousles anciens, a décrété que la prédication est le premier et le principal devoir de l’évêque.» (Con-wils à un évêque. ן

IX. Il faut donc s’étre bien exercé dans tous ces genres de combat, lorsqu’on est chargé d’enseigner les autres. Quand bien meme on n’auroit rien à craindre pour son propre compte, la multitude qui nous est soumise, étant composée d’esprits simples , accuse le dogme plutôt que la foiblesse de son guide, lorsque celui-ci paroît vaincu , et hors d’état de ré-Inter ses adversaires ; et ainsi, l’ignorance d’un seul homme cause la perte de tout un peuple. On ne fera pas, si vous voulez , cause commune avec les ennemis, mais on commence à douter desprin-cipes jusque - là les mieux assurés ; on ne donne plus la meme créance aux personnes qu’auparavant on estimoitle plus ; privé de l’appui sur lequel on comptoit^ on chancèle et l’on finit par faire nau-frage. Vous dire maintenant quelles calamités , que de charbons de feu s’amassent sur la tête du mal-heureux à qui l’on est en droit de reprocher tant de pertes, la chose seroit superflue ; vous le savez aussi bien que moi. Et c’est donc là le crime d’arrogance et de vainc gloire que־ l’on veut m’imputer, parce que j’ai craint d’entraîner avec moi tant d’âmes dans ma propre ruine ! Est-il personne assez injuste pour blâmer une telle résolution, a moins d’être du nombre de ceux qui querellent sans raison, et qui, dans les malheurs qui ne les touchent pas, se targuent d’une fausse philosophie ?