xi. Les deux livres de la Pénitence.
(Analyse et extraits.)
Le dessein du saint archevêque dans ces livres , est de combattre la dureté des Novations, qui rejetaient les grands pécheurs, sans avoir égard à leur pénitence, et prétendaient que l'Eglise n’avoit pas le pouvoir de les ab-soudre. Opinion déjà repoussée avec force par saint Cyprien, saint Pacien et les autres. Saint Ambroise entre en matière, en exposant avec quelle modération et quelle douceur Jésus-Christ en a usé pour former son Eglise, et faire entrer les hommes dans les voies du salut. Il mon-tre la nécessité de ces vertus dans le gouvernement des âmes, et soutient que la compassion qui porta le bon pasteur â charger sur ses épaules la brebis égarée, est devenue la règle indispensable de la conduite des minis-très de l'Eglise , et la marque à laquelle il veut qu’on reconnaisse scs véritables disciples. Les Novations, par une conduite contraire, ne pouvaient qu’éloigner les pé-clicurs de la pénitence.
Quel malade pensera jamais à venir consulter le médecin de qui il n’attend que des rebuts, au lieu du compatissant interet qu’il réclame ? Ceux-là ne sont donc pas de l’école de Jésus-Christ, qui substi-tuant la dureté à la douceur du Maître, l’orgueil à son humilité, refusent aux autres sa miséricorde, quand ils sont les premiers à reconnoitre qu’ils ont besoin de celle du Seigneur.
Le moyen de faire penitence, quand on désespère de trouver de l'indulgence?
Si le plus haut point de perfection auquel chaque vertu aspire, est ce qui lui assure l’utilité la plus étendue , c’est, je crois, à la modération que la su-périorité appartient ici. Ceux mêmes quelle con-damne? la modération ne sait pas les offenser; cl ceux qu’elle a condamnes, elle les met ordinairement en état de mériter qu’on leur pardonne. De toutes les vertus du christianisme, c’est celle qui a le mieux réussi à propager l'Eglise enfantée par le sang de Jésus-Christ ; celle qui nous fait le mieux goûter le bienfait de la rédemption divine applicable à tout le genre humain, et l’économie des moyens de salut proposés à tous ; en leur ouvrant une voie que tous peuvent entendre sans répugnance, et suivre sans frayeur. Qui veut réformer le monde et venir au secours de la foiblesse humaine ? doit essayer sur lui-même ce qu’il veut prescrire aux autres. Voyez le pasteur de l’Evangile; il charge sur ses épaules la brebis qu’il veut ramener au bercail, il ne la réprouve pas. Le Sage l’a dit : Gardez-vous d'être juste a l,excès. La justice doit être tempérée par la mo-dération.
Saint Ambroise explique en quoi consistoit l’erreur de ces hérétiques.
Ils prétendent qu’on ne doit point rendre la communion à ceux qui sont tombés en violant la loi de Dieu. S’ils ne parlaient que du sacrilège, s’ils ne refusaient le pardon qu’à ce seul crime; toujours serait-ce là une dureté condamnée par les divines Ecritures et par l’exemple de Jésus-Christ , qui a pardonné tous les péchés , sans nulle exception.
Mais, en soutenant, avec la rigueur des stoïciens d’autrefois ? que tous les péchés sont égaux , et que tout pécheur doit être également privé de la participation aux divins mystères , à qui enfin laissent-ils la ressource de la pénitence?
Ils disent qu’ils font honneur à Jésus-Christ, en lui réservant à lui seul le pouvoir de remettre les péchés. Mais c’est en cela même qu’ils lui font in-jure, puisqu’ils violent ses commandements. Il a dit, dans son Evangile : Recevez le Saint-Esprit : les péchés seront remis à ceux a qui vous les remettrez ; et ils seront retenus a ceux à qui vous les retiendrez. Je demande qui l’honore davantage, de celui qui obéit à scs ordonnances, ou de celui qui y résiste? L’Eglise lui prouve dans les deux cas sa soumission, en liant et déliant les pécheurs. L’hérésie, par son inflexible rigueur et son défaut d’obéissance, veut lier ce que l'Eglise ne lie pas, délier ce qu’elle ne délie pas; en quoi elle se condamne elle-même.
Jésus-Christ demande grâce ; Novation ne répond que par des arrêts de mort. Jésus-Christ nous dit : Apprenez de moi que je suis doux ; Novatien dit : Je suis sans pitié. Jésus-Christ il it : Mon joug est doux et mon fardeau léger, Novatien ne veut qu’un joug accablant et un fardeau insupportable.
Les Novations argnoient de l'immutabilité de Dieu : qu’on ne pouvoit supposer en lui une vicissitude de co-1ère et d’indulgence. Ce que saint Ambroise réfute aisé-ment par l’accord nécessaire entre la justice et la misé-ricorde , par les textes accumulés de 1 Écriture qui l'établissent, par le caractère du Sauveur , donnant à ses apôtres le pouvoir de ressusciter les morts, et d’opérer de plus grands miracles que ceux que lui-même avoit faits
Mais, non : ces hommes comblés des largesses de la grâce , ils étoient sans puissance ; il faut être purs comme les Novatiens pour en pouvoir approcher. . Gardez-vous bien de me toucher, disent-ils aux pé-cheurs , comme Jésus-Christ à Madeleine. Mais Jésus-Christ n’ajoutait pas : Parce que je suis pur , lui qui certes avoit le droit de le dire ; et vous l’osez, vous, ô Novatien ! vous osez vous appellel' pur, vous qui, dans le cas meme où vos œuvres seraient sans péché , cesseriez de l’être par cela seul que vous prétendriez l’être ! Vous vous prétendez pur, quand l’enfant même qui vient au monde ne l’est pas ; que le prophète investi des miséricordes du Seigneur et justifié par sa grâce s’accuse lui-même, et demande à Dieu de le purifier de scs iniquités ; vous vous pré-tendez pur, quand votre injustice vous laisse sans entrailles, que vous n’avez des yeux que pour voir la paille qui est dans l’œil de votre frère, jamais pour apercevoir la poutre qui est dans le vôtre !.....
Saint Etienne, sous les mains de ses bourreaux, adresse à Dieu celte prière : Seigneur , ne leur imputez pas ce péché. L’effet suit la prière. Paul, qui gardait les habits d’Etienne durant qu’on le lapidoit, reçoit la grâce de Jésus-Christ qui, de persécuteur, en fait un apôtre.
Jésus-Christ adresse à Dieu son père cette prière:
Qu’aucun de ceux qui croiront en moi ne périsse. Qu’aucun, dans quelque circonstance que ce soit, de quelque offense qu’il puisse être chargé, ne craigne de périr quand il a la foi. Qui sait s’il ne lui arrivera pas quelque Samaritain pénétré de l’esprit évangé-lique, qui vienne au secours de ce malade blessé par des voleurs et laissé pour mort ; mais il ne l’est pas encore, tant qu’il lui reste quelque souille de vie. Puis-qu’il n’est pas encore désespéré, versez sur ses plaies l’huile et le vin (1). Vous n’ètes son prochain qu’à la condition d’exercer sur lui la miséricorde. On ne l'est qu’autant qu’on prend soin de son frère ; on ne l’est pas quand on s’en rend l’assassin.
(1) Nous rencontrons dans un ouvrage moderne, qui ne sauroit être trop recommandé , une application heureuse de ce mot : « Nous éprouvons » tant de résistance, il nous faut tant d’efforts! Et c’est pour ne pas avancer » d’un pas. C’est qu’il n’y a pas même en nous ce commencement de vie , » ce sotiffle au moins de vie, qui demeurait dans ce voyageur dépouillé, »blessé, et laissé demi-mort, demi-vivant, sur le chemin de Jéricho , ali-» quid vitale, disoit saint Ambroise. Sans ce reste de vie, qui pour le péni-» tent eu est le commencement, le charitable Samaritain eût répandu des « larmes sur ce malheureux : il n’eul pas versé d’huile et du vin dans les » plaies. ·> ( Instruction pour la première communion , pag. 94 , par M. Méraux ; 1825. )
Conduite de l’Apôtre à l’égard de 1 incestueux de Corinthe.
Qui de saint Paul ou de Novatien respectoit mieux Jésus-Christ ? Paul savait que le Seigneur est plein de miséricorde , que Jésus-Christ s’oilense de l’extrême sévérité de ses disciples, bien plus que de leur indulgence. Quand deux de ses disciples vouloient faire descendre le feu du Ciel sur une ville rebelle à la visite du Sauveur. Fous ne savez pas j leur dit-il, a quel esprit vous êtes appelés! Le Fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les hommes, mais pour les sauver. Ce n’est pas lui ; c’est le démon qui inspire aux siens cette rigueur implacable ;le démon, qui s’attache continuelle-ment à nos pas pour nous entraîner dans la mort. Défions-nous de ses artifices , et ne permettons pas que ce qui nous lut donné pour remède à nos blés-sures, devienne la matière de son triomphe (1).
(1) Voy. Massillon , Carême, tom. 1, pag. 432,433.
Si quelqu’un ayant la conscience chargée de crimes cachés (2), en fait une pénitence exacte, fervente ? animée de ]’amour de Jésus-Christ : corn-ment rccevra-L-il la récompense promise , si on lui refuse la communion de ]’Eglise ?Je veux, moi, que le pécheur puisse obtenir le pardon de scs oi-lenses, qu’il le demande avec larmes, avec gémisse-inents , qu’il le demande avec les pleurs de tout le peuple fidèle. S’il arrive que deux ou trois lois on diffère de le rendre à la communion des fidèles , qu’il s’en prenne seulement à la langueur de scs instances; qu’alors ü redouble ses pleurs, pour faire une sorte de violence à la commisération de ses frè-rcs ; qu’il revienne à la charge ; qu’il se jette à leurs pieds, qu’il les embrasse, qu’il les arrose de ses larmes et qu’il ne les quitte point jusqu’à ce qu’il ait en-tendu ces consolantes paroles : Beaucoup de péchés lui sont remis , parce qu’il a aimé beaucoup. J’ai connu de tels pénitents, dont le visage étoit sillonné par les larmes continuellement échappées de leurs yeux , qui se tenaient prosternés à terre pour être foulés aux pieds des passants ; qui, par un jeune sans relâche s’étoient rendu le visage si pâle et si défiguré, qn’ils portoicnt dans un corps vivant l’image de la □415.״. mort. Attendrez - vous qu’ils soient morts en effet, pour obtenir ]a rémission de leurs péchés, après que la pénitence a fait de leur vie une mort con-tinuelle ?
(2) Si quis igitur occulta crimina habeas, etc. Ces paroles fournissent un argument de plus aux preuves de l’antiquité de la confession. « La pé-« nitence publique avoit lieu encore dn temps de saint Ambroise, pour « des péchés secrets, que l’ou avoit par conséquent déclarés aux prêtres » pour en obtenir la rémission. » (D. Ceillier, lom. vu, pag. 4<j4.)
Le ministre !)aillé , pour éluder la force de ce témoignage l’a corrompu, en mettant multa crimina ,au lien à'occulta crimina, qui se lisent dans tous les manuscrits sans aucune exception. (Lib. ut, De confess., cap. 11.)
On objectoit le texte de l’Apôtre, qu’il est impossible à l’égard de ceux qui ont été une fois illuminés par le baptême, et qui après cela sont tombés , de les renouvelle!' une seconde fois par la pénitence, parce qu’ils crucifient de nouveau le fils de Dieu. Saint Ambroise répond que le sens de ces paroles est de montrer aux fidèles que n’ayant plus un second baptême d’eau à espérer, vu que le premier ne peut se réitérer, la pénitence devenoit l’u-nique voie par laquelle ils dévoient à 1 avenir expier leurs péchés; et que même en accordant que saint Paul voulût parler en cet endroit de la pénitence, rien nempècheroit que ce qu’il dit de l’impossibilité du renouvellement des pécheurs, ne dût s'entendre d'une impossibilité qui parait telle aux hommes, mais qui ne l’est nullement par rap-port à Dieu à qui tout est possible, et qui peut toujours, quand il lui plaît, et de la manière qu’il lui plaît, effacer les péchés des hommes.
Naaman le Syrien n’imaginoit pas que la lèpre pût être guérie par un peu d’eau ; de même il ne paraissait pas possible que les péchés fusent remis par la pénitence. Mais Jésus-Christ a donné à ses apôtres ce pouvoir, qui de leurs mains a passé à celles des prêtres.
La doctrine de l’Apôtre ne saurait être en contradiction avec celle de Jésus-Christ. Parabole de l'Enfant prodigue. Doctrine et paroles de saint Cyprien :
Otez au pilote l’espérance d’arriver au port, il s’abandonnera à la merci des vents et des tempêtes; à l’athlète le prix de ses combats , il restera oisif dans l’arène. Comment donc celui qui souffre la faim de l'âme pourroit-il prier avec ardeur pour en être délivré , s’il désespérait d’être admis à la nour-riture sacrée?
L’accès à la miséricorde n’est fermé à personne, pas même aux plus grands pécheurs. Judas aurait obtenu le pardon de son crime, si, au lieu de témoi-gner son repentir aux Juifs, il l’eût témoigné à Jésus-Christ.
Nous sommes déliés de nos péchés par l’humble confession que nous en faisons (1).
(1) Solvit ettim crimintim nexus verecunda confessio peccatorum.
Il n’y a rien que de bienséant dans tout ce qui se rapporte à la religion. Ne rougissons d’aucun ser-vice qui peut contribuer au culte et à l’honneur de Jésus-Christ (2).
(2) Totum. decet quidqtlid defertur religion! ר ut nullum obsequium quod proficiat ad cultiun et observantiam Christi erubescamus.
Telle est l’efficacité du remède de la pénitence , quelle semble obliger Dieu lui-même à changer ses arrêts. Il dépend donc de vous d’être guéri. La seule chose que Dieu demande, c’est qu’on le prie, c’est qu’on espère en lui, c’est (pi on l’implore, vous n’êtes qu’un homme, et vous voulez être prie' par un autre homme pour lui pardonner ; et vous vous imaginez que Dieu vous pardonnera sans que vous l’en avez supplié? Dieu connaît tout ; mais il attend que vous lui fassiez entendre votre voix , non pour sévir contre vous, mais pour vous pardonner. Vous aurez le démon pour accusateur, si vous ne le pré-venez pas par la déclaration de vos propres fautes. En vous accusant le premier , vous n’avez plus à craindre aucun autre accusateur ; et de mort que vous êtes, vous serez rendu à la vie. Il n’y a plus de quoi rougir et avoir de la honte, pour celui qui a obtenu la rémission de son péché (1).
(1) Non liabet quod erubescat, cul peccatum remissum est.
Allez donc vous montrer au prêtre pour être guéri; allez avec Madeleine laver de vos larmes les pieds du Sauveur.
Seigneur, conservez en moi le don que votre grâce a conféré à celui qui le fuyoit. Je connoissois bien que je n’étois pas digne d’être nommé évêque, parce que je m’étois donné au service du siècle, mais votre grâce m’a fait ce que je suis. Je suis le dernier des évêques; mais puisque, avec toute ma médiocrité, j’ai eu l’honneur de soutenir quelques combats pour votre Eglise sainte, soutenez en moi le bien que vous y avez mis, et, après m’avoir appelé à l’épiscopat, lorsque j’étais perdu dans le inonde, ne permettez pas que je me perde étant évêque.
Sachons compatir du fond du cœur à la misère de ceux qui pèchent ; car c’est à la miséricorde que le pasteur se fait reconnoitre. Toutes les fois donc que j’entends la confession d’un pécheur, je dois prendre part à sa douleur. Loin de le reprendre avec hauteur, je dois mêler mes larmes avec les siennes, afin de me pleurer moi-même en le pleurant, et dire : Thamar a été plus justifiée que moi ; peut-être la jeunesse l’a entraînée ; une occasion malheureuse l’a fait tomber dans le piège. Nous, nous pé-chons sous nos cheveux blancs ; nous nous laissons aller, malgré toutes nos bonnes résolutions, à cette pente de la chair qui combat l’esprit et nous engage dans les séductions. Elle, sa foiblesse pouvoit lui servir d’excuse; tout son devoir étoit d’apprendre, le mien est d’enseigner. Nous nous élevons contre l’avarice d’un tel: examinons-nous bien nous-même, si nous n’avons point donné dans notre cœur prise à l’avarice, qui est la, racine de tous les vices, et qui s’insinue dans nos âmes par des fibres secrètes.....
Gardons-nous donc de rougir de nous trouver plus coupables que Thamar. Evitons de nous réjouir, quand un autre tombe dans le péché. Se réjouir d’une faute que l’on voit commettre , c’est féliciter le démon d’une victoire qu’il a remportée.
Votre créancier vous redemande votre argent que vous ne pouvez pas toujours lui rendre. Dieu n’exige de vous que ce qui n’est jamais hors de votre puis-sance. On n’est jamais assez pauvre pour ne pouvoir pas rendre à Dieu ce qu’on lui doit. Vous n’auriez rien à vendre, pour vous acquitter; vous avez tou-jours de quoi payer, une prière, un jeûne, des larmes; voilà la monnoie dont le Seigneur se con-tente. Celle-là vaut à scs yeux mieux que l’or du plus riche héritage, quand il n’est pas accompagne de la foi. .
Ce n’est pas votre argent que Dieu vous demande, c’est votre foi.
Je ne nierai point que des largesses faites aux pauvres ne puissent servir à diminuer nos péchés ; mais c’est quand elles sont accompagnées du prin-cipe delà foi. Car, à quoi sert la distribution de vos biens, sans la grâce de la charité ?
Point de pénitence sans changement de vie, sans un entier renoncement à soi-même.
Nous voyons des pécheurs qui, touchés par la crainte des jugements de Dieu, demandent à être admis au nombre des pénitents ; mais bientôt un faux respect humain les fait retourner en arrière. Ils ont l’air de faire pénitence du bien qu’ils vôuloient faire. On rougit de paroître devant Dieu en état de suppliant, quand on n’a voit pas rougi de confesser à un homme des péchés qu’il ne peut
connaître que par la révélation qu’on lui en fait. Qu’il faille satisfaire à un homme que l’on a of-fensé , on ne fait nulle difficulté de se jeter à ses genoux pour obtenir grâce; on sollicite des média-teurs. Pourquoi donc répugnez-vous tant à faire la même chose dans l’église, où il s’agit d’implorer la miséricorde du Seigneur, et de demander les suffrages du peuple saint; dans un lieu où il n’y a qu’une seule chose qui doive faire honte, qui est de ne pas reconnoitre sa faute, puisque nous sommes tous pécheurs; dans un lieu où celui-là est le plus digne de louanges, qui est le plus humble, et où le plus juste est celui qui s’humilie davantage? Que la sainte Eglise votre mère pleure pour vous, qu’elle lave vos péchés de ses larmes ; que Jésus-Christ voie votre douleur, afin qu’il dise : J^ous êtes bienheureux, vous qui êtes tristes, parce que vous vous réjouirez... Que rien donc ne vous éloigne de la pénitence : elle vous est commune avec les saints.
On demandait à être reçu à la pénitence ; pour-quoi ? Afin de rentrer bien vite dans la communion. C’est là vouloir moins se délier que lier le prêtre; ce n’est point décharger sa conscience, mais char-ger celle du ministre(1)
(1) Cité par La Boissiere, à qui la lecture de sain( Ambroise a bien pro-fité pour la composition de ses serinons sur la pénitence et la confession. ( Voy. son Carême , loin. 1 , pa1 33 , 1 30 .״.)
J’ai trouvé plus de chrétiens qui avoient conservé leur innocence, que d’autres qui l’eussent réparée par une pénitence convenable, après être tombés (1).
(1) Plures repperi qui innocentiam servaverint ,quàm qui recte pani-tentiam egerint. ( La Colombière, Serm. , tom. iv , pag. 16 ; Le Jeune . tom. i . 2 e part. , pag. 276 ; Senault, Panégyr., tom. rit, pag. 4X9 et suiv.·
« Peut-on regarder comme une pénitence cette vie où l’ambition des dignités se fait remarquer, où l’on se permet de boire du vin comme à l’ordi-naire, où l’usage du mariage n’est pas retranché ? Il faut (continue le saint docteur) renoncer entière-ment au siècle, pour vivre en vrai pénitent ; donner au sommeil moins de temps que la nature n’en exige, le combattre par ses gémissements , l'interrompre parses soupirs, l’éloigner pour vaquer à la prière ; en un mot, il faut vivre de manière que nous mou-rions à l’usage meme de la vie ; que l'homme se renonce lui-mème , et qu'il soit ainsi changé et renouvelé tout entier. Et combien cette conduite n’est-elle pas nécessaire à un pénitent, puisque c’est par l’usage mémo des choses de la vie que l’inno-cence se corrompt (2)'. »
(2) Eourdalone , Serm. *tir la pénitence , Ave.nt, pag. 3<U et suiv.
Adam est chassé du paradis aussitôt après sa faute. Pieu ne diffère pas; mais il le sépare aussi-tôt des délices, pour qu’il fasse pénitence ; il le couvrit à l’instant même non d’une tunique de soie, mais d’une tunique de pcau(1).
(1) Saint Ambroise avoit bien lu tout le traite de Tertullien sur le même sujet , et l’imite en beaucoup d’endroits. ( Vov. le tom. nr de celte Biblio-thèque choisie des l'ères , pag. 60 et suiv. )
Dieu nous a tracé lui-même l’ordre de cette péni-tence, dans le premier de tous les pécheurs, comme le remarque saint Ambroise.
Telles sont les règles que doivent suivre les pécheurs pénitents;
« Pour que dans leur pénitence, il ne se trouve rien qui ait ensuite besoin de pénitence (2). »
(2) Traduit par Bossuet , Serm. tom. n, pag. 354—356. JTe in i-psa ptcnitentia sit, quod postea indigent pevuitentia.
Pourquoi différez-vous à faire pénitence? est-ce Pag. 437־· pour aggraver le poids de vos péchés? Quoi donc! est-ce une raison pour vous d’être méchant, parce que Dieu est bon?
xii. Livres sur la Foi, au nombre de cinq.
( Analyse et extraits.)
L’empereur Gratien, se disposant à marcher contre les Goths, avoit demandé au saint archevêque de Milan un traité où la divinité de Jésus-Christ fût bien établie , et qui pût lui servir de préservatif contre les mauvaises doctrines que l’arianisme avoit répandues dans l'Orient. Ce religieux prince savoit que la foi de celui qui commande influe sur le succès des armes , bien plus encore que le courage de ceux qui lui obéissent. S. Ambroise lui envoya pour le satisfaire les deux premiers livres de cet ouvrage, intitulés Delà Foi.Dàns le premier, il expose la différence de la foi catholique, établit l’unité delà nature divine et latrinité des personnes; il prouve la di-viuité de Jésus-Christ; qu’on lui doit l’adoration, comme étant Verbe, Fils, vertu de Dieu, sagesse de Dieu. Il ré-fute les principales erreurs des Ariens :que le Fils fût dissemblable au Père, qu’il eût commencé, qu’il fût créé.
Il prouve, ainsi qu’il s’y étoit engagé , la doctrine ca-tholique par les témoignages de l'Écriture et de la tradi-tion, plutôt que par les raisonnements(1). Les trois au-très livres ne furent composés qu’après le retour de Gra-tien en occident.
(1) Ut de fide pauca , de testimonus plura contexam.
L’idée que nous devons nous faire de Dieu? c’est qu’il est essentiellement bon, éternel, tout-puissant, souverainement parfait. Telle est la foi que nous avons au vrai Dieu ; c’est là ce qui nous est enseigné à chaque page de nos saintes Ecritures. Autrement, point de Dieu. Eh ! comment ne seroit-il pas bon? il est la source et la plénitude de la bonté. Eternel? c’est lui qui a fait les temps. Parfait? une imperfec-lion supposeroit un être supérieur ; il ne seroit plus Dieu. Jésus-Christ est Dieu ; il a donc éminemment toutes les qualités qui constituent l’essence divine; autrement il ne seroit pas Dieu.
Les hérétiques ne diffèrent entre eux que par le nom ; tous se ressemblent par la rébellion. Rapprochés par une ligue commune contre la foi chrétienne, ils sc séparent les uns des autres par la diversité des opinions. Les Ariens se détachent d’Eu-nomius ; mais au fond c’est la meme impiété : ils n’ont fait que développer et mettre à exécution la doctrine de leur maître.
Toutes les Ecritures nous parlent du Fils de Dieu. Votre intelligence saisit facilement ce mot; il ne reste plus qu’à le reconnoitre par une profession publique. Trêve de raisonnements là où c’est la foi qui décide. Laissons les rhéteurs et les philosophes dans leurs écoles. Aussi, voyez-vous, chaque jour on les déserte, on abandonne ces subtils discoureurs pour se rendre en foule sous les bannières d’hommes sans autre doctrine que la simplicité de la foi. On ne veut plus croire aux philosophes, on croit aux pc-cheurs (1).
(1) Développé d’après saint Ambroise, par Neuville, Carême, loin, iv , pag. 158 ; Cambacérès, Scrtn., torn. 1, pag. 40.
Où chercher ailleurs un interprète plus sur de notre croyance , que dans les écrits de celui qui fut le docteur des nations, un vaisseau d’élection, appelé du milieu des persécuteurs?
Saint Ambroise continue dans les livres suivants à montrer contre les Ariens que les attributs de Dieu con-viennent également au Fils; il s’arrête principalement sur sa bonté, explique comment il est envoyé par le Père, comment il lui est soumis, comment il est dit être moins que le Père; il fonde scs explications sur la distinction ' des deux natures en Jésus-Christ.
Il parle en Dieu, dans ce qui concerne la divine essence, comme étant le Verbe de Dieu. Il parle en homme , dans ce qui appartient à l’humanité , comme s’étant associé à notre nature.
Jésus-Christ se laisse tenter dans le désert parce qu’il est homme; il y reçoit les adorations des An-ges parce qu’il est Dieu.
Quand il prie, c’est comme homme; quand il veut faire reconnoitre sa divinité, il commande.
Ainsi l’entendez-vous dire à son Apôtre : J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point ; et, après que celui-ci a déclaré sa foi par ces mots : Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, il lui répond : Tu es Pierre , et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et je te donnerai les clés du royaume des Cieux. Celui qui, de sa propre autorité donnoit un royaume, ne pouvoit-il pas affermir la foi de Pierre , lui qui , en l'appellant Pierre, nous marquait qu’il étoit le fondement et l’appui de l'Eglise? Dans le premier cas , il prie, parce qu’il annonce les souffrances de son humanité; dans l’autre, il parle , il commande en maître, pour témoigner qu’on a raison de le croire Fils de Dieu.
Examen et solution des difficultés. י
Toute-puissance de Jésus-Christ. Consubstantialité· des Personnes divines.
L’ouvrage finit par une prière à Dieu, et par la pro-fession de foi à la parfaite égalité des trois Personnes di-vines. Invective contre Arius.
Satan se transforme en Ange de lumière : Etonnez-vous qu’Arius imite celui qui l’a fait, par sa témérité à vouloir approfondir des mystères qui n’ont été révélés ni à Moïse, ni à saint Paul, bien que celui-ci ait été ravi jusqu’au troisième ciel.
xiii. Les trois livres du Saint-Esprit.
( Analyse. )
Saint Ambroise prouve contre les Ariens et les Macédoniens que l’on ne peut, sans impiété, mettre le Saint-Esprit au nombre des créatures(1) ; puis-qu’il s’en distingue lui-mème, en disant par un pro-phète·, Toutes choses vous obéissent; puisque c’est lui qui a parlé dans les Evangélistes; puisque le blasphème commis contre lui est irrémissible; que c’est lui qui a parlé dans les prophètes et les apôtres ; qu’il est l’esprit même de Dieu, l’esprit de Jésus-Christ, l’esprit de vie et de vérité, à qui l’adoration est due comme au Père et au Fils (2) ; que sancti-fiant lui-même les créatures, il ne peut être assimilé à aucune d’elles; qu’il est la source de la bonté ; que c’est en son nom, comme en celui du Père et du Fils, que le baptême est conféré; que c’est lui qui sanctifie les Anges mêmes ; que c’est de son esprit que Marie fut remplie, et Jésus-Christ même; que Dieu seul peut le donner (1) ; qu’il procède de la bouche de Dieu; que c’est de lui que Jésus-Christ a été oint ; que la paix et la grâce du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une et la même ; que ces trois personnes n’ont qu’un même nom, particulièrement le Fils et le Saint-Esprit, tous deux étant appelés consolateur et vérité ; qu’elles n’ont qu’une même opération; que le Saint-Esprit est aussi bien que le Père, lumière, vie et source de vie, la droite et la vertu de Dieu, le principe de la sainteté ; qu’il est le grand fleuve dont la Jérusalem céleste est ar-rosée (2).
(1) Non ergo inlet· omnia , sedsuper omnia Spiritus Sanctus est.
(2) De Filio scriptum est : ut adorent cum omîtes Ungeli Dei. No/thabes : Jdoret Spiritus Sanctus.
(1) Simul illud adverte quia Deas dat Spiritum Sanctum ; non enitn humanum hoc opus, neque ah !tontine datur ; sed qui invocutur a saccr-dote, a Deo traditur, in quo Dei munus ministerium sacerdotis est.
(2) Ergo flumen est Spiritus Sauctus , etflumen maximum quod secuu-diim Hedrœos de Jesu fluxit in terris. Magnum hoc flumen quod fluit semper, et uunquam deficit.
Pas une de ces propositions qui ne soit appuyée sur des témoignages de l'Ecriture , savamment discutés.
Cette royale puissance, qui appartient au Saint-Esprit, nous la voyons confirmée par l’autorité des saintes Ecritures. Les apôtres ne furent pas seulement les disciples de Jésus-Christ, mais les minis-très du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Paul n’est point inférieur à Pierre. Si celui-ci est le fondement de l'Eglise } Paul en est le sage arcbi-tecte ; il a su établir un fondement solide, pour soutenir les pas et la foi des peuples. Non certes Paul n’étoit point indigne d’entrer dans le collège des apôtres, puisqu’il soutient naturellement le pa-rallèle avec le premier, et qu’il ne cède à aucun d'eux. Qui n’admet point d’infériorité, se déclare marcher sur la même ligne (1).
(1) Nec Paulus inferior Petro, quamvis ille ecclesiœ fundamentum. Et hic sapiens architectus sciens vestigia credentium fundare populorum ; nec Paulus , inquam, indignus apostolorum collegia , cum primo quoque facile conferendus, et nuUi secundus ; nam qui se imparem nescit , facit œqualem.
L’hérésie a plus d’une fois opposé ces paroles au dogme catholique de la suprématie romaine. Elle oublie la haute profession que S. Ambroise en a faite dans plusieurs de ses ouvrages : « Pour Ambroise l'Eglise est là où est » saint Pierre. — La barque de Pierre est cette arche, hors de laquelle tout » périt. — Son Eglise romaine est celle qu’il veut suivre en tout. — La » communion de Rome est celle qui suffit pour être uni à tous les évéques « catholiques. —Son autorité, celle à laquelle il faut que les frères s’en » tiennent sur les difficultés qu'ils éprouvent dans leur ministère. » ( Bar-ruel, Du pape et de ses droits.r tom. 1, pag. 26g. )
Nous aurons encore occasion de remarquer d’autres passages du même saint docteur, non moins concluants. La parité qu’il semble établir ici entre les deux apôtres, saint Pierre et saint Paul, nouveaux fondateurs de Rome, plus heureux comme plus unis que les deux premiers fondateurs, ainsi que s’exprime notre grand évêque de Meaux , ne préjudicie en rien aux droits del’ainé de la famille, constitué par Jésus-Christ lui même , chef de tout le troupeau, et le prince du college apostolique. Toits nos prédicateurs s’attachent à bien marquer le premier degré de la hiérarchie dans la personne de saint Pierre, sans déroger aux titres de saint Paul. Personne ne l’a fait avec autant de magnificence et de précision que Bossuet dans son sermon de l’unité, prêche en présence du clergé de France. ( Voy. Collect, in-4", tom. in. pag. 489· )
Jamais on ne s’est repenti d’avoir cru à ]a parole du Seigneur(1).
(1) Nullum Deo credidisse. pcenitu.it.
Saint Ambroise accuse les Ariens d’avoir retran-clic de l’Evangile de saint Jean ces paroles du vie vers, du chap. ni, Dieu est esprit.
Vous avez bien pu effacer les mots, mais non anéantir la foi. Les supprimer, c’étoit vous con-damner, et vous retrancher vous-mêmes du livre de vie.
Il applique à l’humanité de Jésus-Christ les paroles du psaume , Adorez l'escabeau de ses pieds , parce qu’il est saint (2).
(2) Interprétation allégorique, familière à saint Ambroise et à saint Au-giislin.
Ce n’est point sa divinité seule qui fait l’objet de nos adorations, mais son humanité. Les saintes femmes, les apôtres, les Anges eux-memes lui dé-fèrentlcurs adorations, en le voyant ressusciter dans un corps revêtu de gloire ; ce qui est exprimé par les paroles du Prophète : Adorate scabellum pedum ejus, quoniamsanctum est. Car nous nedevonspas considérer , suivant l’usas;e ordinaire des hommes, cet escabeau qui est sous ses pieds. Nous ne devons aussi adorer que Dieu seul. Quel est doue cet esca-beau qui est sous les pieds du Seigneur? car nous lisons ailleurs ces paroles: Le ciel est mon trône, et la terre est l’escabeau qui est sous mes pieds ; or, nous ne devons pas adorer la terre, parce que ce n’est qu’une créature.
Prenons garde, neanmoins , si la terre que le Prophète veut que nous adorions, n’est point cette terre dont le Seigneur Jésus s’est revêtu dans son incar-nation. Il faut donc entendre la terre par cet esca-beau dont parle le Prophète , et par cette terre la chair de Jésus-Christ, laquelle nous adorons aussi aujourd’hui dans les saints mystères, et que les Apôtres adorèrent autrefois en sa personne ; car Jésus-Christ n’est point divisé :Jésus-Christ est indi-visible, il est un; et quand nous l’adorons comme Fils de Dieu, nous ne méconnoissons pas en lui sa qualité de fils de Marie (1).
(1) Après avoir rapporté ce passage, comme preuve delà foi à l’adora-tion de Jésus-Christ, présent dans l'Eucharistie ; M. l’abbé de Trcvcrn presse le raisonnement, et accumule les aiitorités avec une vigueur de dia-iectique et une chaleur de mouvement, qui ajoutent un charme particulier à 1’importance de la discussion. C’est \ά Lettre X, de son excellente Cor-respoudance , publiée à Londres, sous le litre de : Discussion amicale , sur les principaux points de dissidence qui séparent les deux communions catholique et protestante.( 2 vol. in-81817 ; ״.)
Il infère de là , que le Saint-Esprit doit être également adoré, puisque chacune des trois personnes de la sainte Trinité a un droit égal à tous les 110m-mages de l’adoration (1).
(1) Similiter itaque adoratur et Spiritus, quia Deus adoratur in Spiritu. Ergo Pater et cum filio adoratur, et cum Spiritu, quia Trinilas adoratur.
Que les Ariens ne s’y trompent pas ! On n’est pas toujours chrétien pour en prendre le nom. Le Sei-gneur leur répondra : Vous vous couvrez de mon nom, quand vous refusez de reconnoitre ma divine essence ; c’est l’abjurer, que de la séparer de Dieu mon Père, et de mon Saint-Esprit. Je ne reconnais plus mon nom là où je ne retrouve plus ni ma doc-trine , ni mon esprit (2).
(2) Tel est le jugement qui a été porté de cet ouvrage : « On y trouve ce que saint Basile , saint Grégoire de Nazianze, Didyine et saint Grégoire de Nysse out dit de mieux sur la divinité du Saint-Esprit ; et saint Ambroise a fait, à l’égard de leurs écrits, ce quel’abeille fait sur les fleurs, dont elle tire les sucs pour composer son miel. » ( D. Ceillier, Hist, des écriv. tom. vi, pag. 506. )
xiv. De l'Incarnation.
Ici encore saint Ambroise emprunte à nos livres saints les raisonnements et les autorités dont il corn-bat les Ariens.
N’en croyez pas à ma simple parole ; écoutons l'Ecriture. Ces mots qui ouvrent l’Evangile : Au commencement étoit le Verbe, ce n’est point moi qui les invente, je les rapporte ; tous nous les lisons, nous ne les entendons pas tous.
Eh ! qui les a proférés ? Jean ne les a pas imaginés davantage ; il ne fait que répéter ce que lui a appris celui-là qui, en l’appelant à être pêcheur d’hommes, lui a donné de leur communiquer la vie.
Plein du Saint-Esprit, l’évangéliste a pris son essor par-delà tous les temps pour dire : Au. commencement étoit le Verbe .·c’est-à-dire,, Remontez au-delà de l’origine des siècles, au-delà de la naissance du monde et du ciel. Rien de tout cela n'existait, quand au commencement étoit le Verbe. Allez plus loin encore que la création des Anges et des Archa-gcs. Bien que nous ne lisions pas à quel moment précis ils ont commencé ; toujours y a voit-il un temps où ils n’existoient pas, puisqu’il y en a un où ils ont commencé. Mais pour le Verbe , comment lui assigner un commencement à lui qui non-seulement a devancé tout ce qui fut créé , mais dont l’éternelle génération échappe même à la pensée?
Ne cherchez point à approfondir sa nature. Je ne puis la comprendre : voilà tout ce que j’en sais. Tout ce que je sais bien , c’est que je ne sais pas ce qu’il ne m’est pas donné de savoir. Son évangéliste nous dit : Ce que nous avons wu ג ce que nous avons entendu y voilà tout ce qu’il affirme savoir avec certitude , lui, cet Apôtre qui se reposa sur la poitrine du Rédempteur. Il ne va pas plus loin , il se cou-tente de l’avoir entendu ; moi, je veux davantage.
Ce qui lui suffit à lui, ne suffit pas au superbe Arien.
Mais ce qu’il a entendu , il me l’a dit ; ce qu’il a entendu de la bouche même de Jésus-Christ, il ne m’est pas possible d’aller à l’encontre. Donc et moi aussi j’ai entendu par ses oreilles, j’ai vu par scs yeux : car enfin ce qu’il a vu, il l’a vu. Il n’a pas vu la Divinité, sans doute, elle est inaccessible aux sens. Et c’cst pour cela meme, que cette nature divine ne pou voit être saisie par les sens, qu’elle a bien voulu y suppléer en se rendant sensible sous une chair semblable à la notre. Aussi, au jour de son baptême, l'Esprit Saint a-t-il daigné se montrer sous la forme d’une colombe , parce qu’il nous eut été impossible de supporter l’éclat de sa lumière naturelle....
Faites la part de l’humanité, à la bonne heure, et laissez au Verbe ce qui est du Verbe. Ce qui appar-tient an Verbe , je ne l’avois pas ; ce qui m’appartenoil à moi, il ne l’avoit pas : il a daigné prendre ce qui étoit a moi, pour me donner ce qui étoit à lui ; il l’a pris, non pour le confondre , mais pour le perfectionner. Immortel jusque dans les bras de la mort, impassible au milieu des souffrances de sa passion ; comme Dieu, il n’a pas senti les angoisses de la mort ,־ comme homme, il est descendu dans le tombeau. En expirant, il rend l’âme sans la per-dre , toujours maître de la quitter ou de la repren-dre. Il est sur la erpix ; et du haut de cette croix il ébranle le monde. Son corps est en proie à mille tortures ; et il donne le royaume du Ciel. Il meurt, s’étant fait le péché de tous ; et il purifie le monde de ses péchés. 11 meurt; et avec l’accent du triomphe je m’écrie : il est mort, afin que sa mort devînt le principe de la vie pour tous ceux qui l’a voient perdue.
Pierre répond au nom de tous les Apôtres ; il répond avant tous les autres: Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Par cette haute prédication , il méritera d’etre donné pour fondement à l'Eglise, comme étant capable non-seulement de porter ce qui repose sur lui, mais de soutenir toutes les parties de l’édifice.
La foi est donc le fondement de l'Eglise. C’est de la foi de Pierre qu’il est dit que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l'Eglise. Sa confession a triomphé de l’enfer ; elle prévaut non sur une seule hérésie, mais sur toutes celles qui viendront fré-quemment agiter le vaisseau de l'Eglise , sans l e-branler.
Je ne finirais pas si je voulois parcourir en détail les noms et les systèmes de ces hérésies diverses. Mais toutes viennent s’abattre contre ce principe général de notre foi chrétienne : que Jésus-Christ est Fils de Dieu ; que sa génération au sein de Dieu son père est éternelle ; qu’il est né de la Vierge Marie ; qu’en se faisant homme il n’a reçu aucun changement dans sa divinité ; et qu’encore que l’homme soit Dieu , il ne laisse pas d’être un vrai homme parce qu’il contient en soi les deux natures de Dieu et de l'homme, lesquelles étant parfaite-ment unies ensemble ne sont nullement confondues ; mais comme il n’y a point de mélange dans scs na-turcs, il n’y a point aussi de division dans sa per-sonne , toutes les deux natures ne faisant qu’une meme personne et qu’un seul Jésus-Christ (1).
(1) Monlatgon, Dictionn. apostol., tom. vu. pag. 4·
Ce qui réfute l’erreur des Apollinaristes qui , connue Marcion et Praxeas , refusaient à la chair de Jésus-Christ une existence réelle , et une âme de la nature de la nôtre.
Dans le reste du livre , saint Ambroise discute et fou-droie les vaines subtilités de ces sectaires.
Théodoret rapporte un assez long fragment d’un autre écrit de saint Ambroise intitulé : Exposition de Joi, qui n’est point parvenu jusqu’à nous. Léonce de Byzance cite une partie de ce même fragment, qu’on a joint dans la nouvelle édition , au livre de ΓIncarnation , à cause du rapport que ces deux écrits ont ensemble.
Nous faisons profession de croire que Jésus-Christ est Fils unique de Dieu ; qu’il est engendré du Père selon sa divinité avant tous les siècles, sans commencement, et né dans les derniers temps de la Sainte Vierge Marie ; homme parfait, ayant pris un corps et une âme raisonnable ; qu’il est consubstantiel au Père selon sa divinité; qu’il nous est consubstantiel selon son humanité ; l’union des deux natures parfaites s’étant laite en lui d’une manière ineffable. C’est pour cela que nous confessons qu’il n’y a qu’un Christ, et un Fils de Notre-Seigneur coéternel à son Père, selon sa divinité, selon laquelle il est aussi Créateur de toutes choses ; mais non coéternel selon le corps qu’il a pris delà Vierge, de la meme masse que le nôtre, ne l’ayant point ap-porté du Ciel. Dieu le Verbe n’a point été changé en chair, et il s’est fait voir à nous, non comme un fan-tome, mais en conservant sa nature sans changement et sans altération ; il s’est uni les prémices de la nôtre qui est demeurée en lui sans être mêlée avec la na-turc divine, comme il l’a déclaré lui-même en di-saut aux Juifs : Détruisez ce temple ג et dans trois jours je le rétablirai ; car le Christ est détruit selon ma substance, c’est-à-dire selon sa chair, et le Christ rétablit ce même temple selon sa substance divine et toute-puissante.
Quiconque avance que Jésus-Christ est un pur homme, ou que Dieu le Verbe est susceptible de souffrances, ou qu’il a été changé en chair, ou qu’il a eu un corps qui lui étoit consubstantiel ; qu’il l’a-voit apporté du Ciel; que ce n’étoit qu’un fantôme, ou que le Verbe-Dieu est mortel, et qu’il a eu besoin que Dieu le Père le ressuscitât; qu’il a pris un corps inanimé, ou l’homme sans l’âme; que lesdeux na-turcs de Jésus-Christ ayant été confondues par un melange de la divinité et de l’humanité } elles ne sont plus qu’une nature , ou qui ne confesse pas qu’il y a dans Notre Seigneur Jésus-Christ deux natures non confondues, mais seulement une personne, ou qu’il n’y a qu’un Christ et un Fils, l'Eglise catholique et apostolique prononce contre lui l'anathème.
Appendice.
Sermons et autres ouvrages attribués a saint Ambroise.
Nous rencontrons souvent, dans nos écrivains modcrncs , prédicateurs ou autres, le nom de S. Ambroise allégué en faveur d’ouvrages qui ne sont pas de lui (1). Ce sont, pour la plupart, des Sermons , des Commentaires ou Explications, tant de l’ancien que du nouveau Testament, des Traités de morale, et des Lettres. Le P. Combéfis a inséré dans sa compilation la plus grande partie des sermons , et ne fait nulle difficulté de les don-ner sous le nom du saint archevêque. Il y en a trois sur le précepte et les règles du jeûne chrétien. Le troisième présente quelques traits d’éloquence qui ne sont pas à dédaigner, témoin l’usage qu’en ont fait plusieurs de nos sermonaires les plus estimables. En voici quelques passages (*).
(1) D. Ceillier en a recueilli les titres, et donné l’analyse à son article, tom. vu, pag. 56; et suiv. Cave les indique sous le nom de Spuria (1), et les Bénédictins, éditeurs de saint Ambroise, les ont rassemblés à la suite des ouvrages du saint docteur, dont l’authenticité est irréfragable.
(1) Scfipt, eccies. , pag.
(*) Biblioth. concionat., tom. 1 Quadrag., pag. 17 et suiv.
Vous vous dites chrétiens, donc vous devez faire ce que Jésus-Christ a fait. Bien qu’il fût sans péché, il a voulu jeûner quarante jours ; etvous, sujets à tant de péchés, vous refusez de jeûner ! Quelle sorte de chré-tiens êtes-vous donc, dites-le de bonne foi, quand vous faites bonne chère à côté de Jésus-Christ qui jeûne ; quand vous vous livrez aux plaisirs de la table , alors que votre Sauveur se prive de toute nourriture ?
C’est là l’exorde de tous nos discours sur l'abstinence du carême. L’exemple de Jésus-Christ, l’autorité de l'Eglise, tels sont les fondements du précepte.
On nous dit que ce sont les hommes qui ont fait cette loi. Jésus-Christ n’étoit-il qu’un homme? Violer la loi du jeûne , c’est donc se mettre en ré-volte contre Jésus-Christ, contre Dieu lui-même : Atque ideb qui speniit, non sacerdotem spernit y sed Christum.
Avantages du jeûne, démontrés par les mêmes raison-nements que Tertullien et saint Ambroise font valoir avec tant de force , dans leurs traités à cc sujet. Comme ce dernier, l’auteur demande :
Qui est celui qui, en jeûnant, ait détérioré sa mai-son ou diminué ses finaneçs? Au contraire. Le jeûne est en effet l’école de la continence , la discipline de la chasteté , la règle de la vertu , l’art qui forme les hommes à la douceur, l'attrait de la charité', la grâce des vieillards , la sauve-garde des jeunes gens.
A ces avantages , il oppose les funestes effets de l’in-tempérance, les agitations , les troubles, les folles dé-penses et les autres désordres qui en sont inséparables. Exemples d’Holopbcrne et d’Aman , dont l’intempérance causa la mort (1).
(1) Voy. plus haut, pag. 80 et suiv.
Suit la réfutation des prétextes dont on essaie de cou-vrir la dispense du jeûne. « Il n’y a qu’une impossibi-r lilé absolue qui en soit une dispense légitime. Que cha-cnn se juge sur cette règle; car enfin , se flatter sur un point si délicat, c’est tomber dans un crime de rébellion à l'Église de Jésus-Christ, dans une impénitence scan-daleuse, et dans une faute que saint Ambroise ne fait pas difficulté de traiter de sacrilège : In totum non observare jejunium , sacrilegiuniest (2). » Pesez bien ces paroles , ajoute un prédicateur, citant ce texte; et voyez si j’ai trop avancé en disant que violer sans nécessité le jeûne du carênie, ç’éloit courir le risque de faire, à Pâques, une communion sacrilège (3). Du nombre total des quq-rante jours imposés par l'Église , en retrancher un seul , c’est se rendre coupable de la transgression de toute la loi : Unius diei violator, totius quadragesiniœ trans-gressor(4).
(2) Discours de piété, tom. ״, pag. ιοί; Pacaud, Serm. , tom. 11, pag. 91; La Boissiere, Carême, tom. 1, pag. 12;.
(3) Montargon, Dictionn. apostol., tom. ni, pag. 35.
(4) L’abbé Clément, Carême, tom. 1, pag. 126.
Mais ce n’est pas tout d’obéir à la loi de l’abstinence :
il faut le faire chrétiennement. Car le jeûne devient inu-tile, s’il n’est accompagné de l’observation des autres préceptes , tels que la crainte du Seigneur, la pratique de la prière, de l’humilité , de la pureté des mœurs , et · de l’aumône.
A quoi servirait de s’abstenir de viandes et de se livrer à tous les déréglements de ses passions? Quid prodest abstinere cibis, errare peccatis; castigare cor-pus inediâ } mentem cxercere nequitiâ P Vous vous retranchez le vin, mais pour en faire une sordide épargne à vos domesticpies. A ous ne mangez que le soir après le coucher du soleil ; mais qu’avez-vous fait durant tout le jour ? vous a-t-on vu dans l'Eglise aux pieds des autels, visitant les tombeaux des mar-tvrs, retranchant de votre superflu pour donner aux pauvres le nécessaire qui leur manque ? Quamvis abstineas , non jejunas.
Ce n’est pas ainsi que jeûnoient les premiers chré-liens.
Dans un sermon sur la foi, l’auteur , sous le nom de saint Ambroise, fait une paraphrase ingénieuse delà comparaison du grain de sénevé, dans l'Évangile (1) ; la même que l’évêque d’Agen , Joli, a transportée, heu-reusement dans un de ses sermons sur le bon exemple.
(1) Voy. plus haut, pag. 1 ;2.
Le même prédicateur commente habilement un pas-sage d’un autre sermon sur la foi de Pierre. « Je suis surpris avec saint Ambroise de voir la fermeté et la hardiesse avec laquelle saint Pierre va à Jésus-Christ. 11 est dans une petite barque , sur une iner orageuse; et, dès qu’il voit son cher Maître venir à lui, il se hâte de le prévenir. Où vas-tu, Pierre? tu t’imagines être en terre ferme , et tu es sur la mer; tu cours à Jésus-Christ, et tu vas te noyer. Arrête , Pierre, arrête, et rejette-toi vite dans ta Barque. 11 poursuit néanmoins son chemin , dit saint Ambroise, et marche sur les eaux sans y faire nanüage. Nutat incessu, sed convalescit affectu ; péri-clitatur corpore, sed devotione non labitur. Il pouvoit faire sur les eaux des démarches chancelantes , mais son affection lui donnait des forces; on diroit que son corps va périr , mais sa dévotion et sa foi l’empêchent de tom-ber. Il est bien vrai qu’il se noieroit, en se jetant en pleine mer, s’il étoit seul, mais sa foi le soutient ; et celui que les flots, se repliant les uns sur les autres, eussent enveloppé, se rassure par la protection de son Maître : Sustentât fides quem undo, mergebat; et quem fluctiium procella turbabat י Salvatoris protectio confir-mat (1). »
(1) Joli, Dominic., loin, iv , pag. 472.
De même, on a beaucoup cité la lettre à Démétrius, sous le nom de saint Ambroise (2). C’est une exhorta-tion éloquente à la vertu d’humilité. Nos prédicateurs français l’ont traduite presque tout entière.
(2) Elle ne peut être de saint Ambroise, puisqu’il y est parlé des Pela-gieus, qui ne sont venus que depuis.
« Que fait l'humilité, demande saint Ambroise ? et il répond : Elle réprime les passions , elle les retient dans leurs bornes ; elle est comme un petit grain de sable qui arrête leur fougue, et qui les empêche de se lever... Comme !humilité est une partie de la charité ( dit le même Père) , aussi la charité est une partie de l’humilité. Delà vient , comme dit l’Apôtre , que toutes nos vertus sont sté-riles et infructueuses sans la charité ; on peut dire de même que les œuvres de la charité ne nousser-vent de rien si l’humilité leur manque ; car qu’est-ce que l’humilité, sinon la défiance de soi-memc, comme l’orgueil n’est autre chose qu’une vaine cou-fiance eii ses propres mérites ? or, quel est 1’esprit de la charité , sinon de nous faire défier de nous-même et de nous empêcher de compter sur nous-même, afin qu’anéantis devant l’infinie majesté de Dieu nous attendions tout de sa bonté et que nous lui rapportions le peu que nous faisons de bien (1)?
(1)Joli , De l'Iuuuililè i hreticnne, Dominic., tom. 1, pag. 20;.
« Non, dit ce Père, l’humilité n’est point, comme se l’imaginent les aveugles partisans du siècle , une petitesse d’esprit. Ce n’est point bassesse de cœur que de fouler aux pieds des honneurs périssables^ et de mettre la gloire dans la privation des choses qui servent de matière à l’orgueil. Rien n’est plus géné-reux que ce mépris des biens temporels, ni plus digne de ces grandes âmes qui ne cherchent la faveur d’aucune créature, quelque puissante quelle soit, n’ambitionnent,que celle du Créateur qui sait si avantageusement reconnoitre l’humilité de ses vrais scrviteurs , que de s’approcher de lui c’est s’élever , le craindre c’est se réjouir, le servir c’est rogner : Cm servira regnare est (1).»
(1) Montargcu , Dictionn. apostol., tom. 11, pag. 63 1.
« Heureuse humilité ! qui, selon l’expression do saint Ambroise, fait que notre propre bonheur ne nous enfle point d’orgueil, et que la félicité des au-très ne nous brûle point d’envie. jNec félicitas aut injlat propria , aut urit aliéna (2).»
(2) Molinicr , Serm. chois. t tom. nr, pag. 631.
« L’humilité se montre d’abord dans les devoirs ordinaires de la vie commune ; et c’est-là qu’éclatent ses bons effets et sa vertu. Rien ne forme une plus belle société , rien ne forme une plus douce union entre des frères, comme sont les chrétiens, que quand ou aime à obéir lorsqu’on est né pour l'obéissance , et quand on ne se complaît pas à coin-mander lorsqu’on est né pour le commandement ; quand le pauvre n’a pas de peine à préférer le riche à lui, et que le riche est bien aise que le pauvre lui soit égal ; quand les grands du monde ne s’élèvent pas de l’éclat de leur dignité ou de l’ancienneté de leur maison , et que les petits ne nourrissent pas leur vanité de la participation d’une nature com-mime ; quand on n’estime pas davantage les grands biens que les bonnes mœurs ; quand la puissance des impies armée n’est pas en pins grande considération que la justice des Loïis dépouillée du faste et des honneurs de la terre. Dans cet état plein d’équité et de modestie, auquel préside l’humilité, on voit la puissance de cette vertu pour unir les hommes en-semble par l’amour. Par le moyen de cette vertu, on entretient dans la pratique des devoirs de la vie corn-mune la société civile : Societas luimana connectitur. Je dis plus , on se concilie même la miséricorde di-vine :/fZ divina dementia conciliator (1). »
(1) Montargon, Dictionn. apostol., tom. 11, pag. GG8, G69.
«Il est raisonnable et de toute justice que, dans les choses divines, la foi passe avant la raison , pour ne point paroître demander compte à Dieu comme à un homme : Consentaneiun igituret justum est, ut in rébus divinis rationem prœveniat jides , ne tan-quam ab homine ita a deo rationem exigere videa-1nur(2). » .
(2) Le même, ibid., pag. GG8. Cité comme étant pris du commentaire apocryphe de saint Ambroise sur les Epîtres de saint Paul.
Choix de lettres de saint Ambroise (2).
Ambroise , évêque, au glorieux et religieux empereur Valentinien ( 1 ).
(1) Symmaque, sénateur et préfet de Rome , avoit surpris du sénat un décret en forme de requête adressée aux empereurs, par laquelle on de-mandoit le rétablissement de l’autel de la Victoire, ainsi que des revenus et droits honorifiques dont les vestales elles prêtres idolâtres avoientjoui sons les princes païens. La requête fût présentée à Valentinien , dans son conseil, avant que les évêques eussent pu en être seulement informés. Du moment où la chose transpira, saint Ambroise se hâta d’écrire à l’empereur.
Par même raison que tout ce qu’il y a d’hom-mes soumis à l’empire romain , reconnaissent votre puissance et obéissent à vos lois, vous, prince, sou-mis comme vous l’êtes à l’empire du Tout-Puissant, vous obéissez à ses saintes lois. Il y aurait peu à compter sur le salut, si vous n’employiez vos efforts pour que chacun de vos sujets reconnaisse et serve le vrai Dieu, le Dieu des chrétiens, qui seul régit l’uni-vers. Point d’autre dieu que lui; lui seul est digne de tous les hommages : Les dieux des nations, nous disent nos livres saints, ne sont que des démons. Pour le servir ce vrai Dieu , et le servir avec le zèle affectueux qu’il réclame, nul déguisement, point de transaction legitime ; l’esprit de la religion et le dé-vouementlégitime qu’il impose n’en admettent point. Toujours, du moins, ne permet-il aucune sorte de consentement donné an culte des fausses divinités, et à de profanes cérémonies. On ne sauroit tromper Dieu , dont l’œil perçant lit au fond des cœurs.
Obligé comme vous l’étes, par votre profession d’empereur très chrétien, de donner au vrai Dieu le témoignage de votre foi, par les marques publi-ques de votre déférence à sa loi, de votre empres-sement à en écarter tout ce qui lui est contraire , je m’étonne que quelques personnes aient pu concevoir l’espérance d’obtenir de votre autorité le rétablis-sement d’autels consacrés aux idoles, sous le pré-texte que l’Etat devoit subvenir aux dépenses d’un culte profane ; que vous étiez donc tenu de rendre ce qui avoit été depuis long - temps confisqué et adjugé au fisc : ce qui seroit, de votre part, moins une restitution qu’une offrande volontaire.
Ils se plaignent de ce qu’ils ont perdu, ces me-mes hommes qui jamais n’ont épargné le sang des chrétiens, et n’ont pas respecté meme les édifices consacrés à leur religion ! Ils demandent des privi-léges, eux qui, sous Julien , nous refusèrent jus-qu’au droit imprescriptible de parler et d’enseigner: il leur faut de ces privilèges, dont plus d’une fois les chrétiens ont été dupes ·, qu’ils surent bien se faire donner par leurs artilicieuses manœuvres , gyâces à l’imprudence des princes, ou à la nécessité des cir-constances. Et, parce que tous ceux qui gouvernent ne savent pas également faire respecter leur autorité; on a vu des princes chrétiens tomber ici dans de graves méprises.
On ne les auroit pas dépouillés de cesprivilé-ges, il faudrait le faire aujourd’hui. Mais puisque, depuis plusieurs règnes, et dans toute l’étendue de l’empire, il n’en est plus maintenant question; que particulièrement à Rome, votre auguste frère Gratien, de glorieuse mémoire, les a abolis par un prin-cipe de religion des plus respectables, pouvez-vous abroger par de nouvelles ordonnances ce qui a été si sagement établi, et vous mettre en opposition avec votre frère? On regarde comme sacré ce qu’il a réglé pour les affaires civiles ; et ce qui l’a été pour la religion, on n’en tient nul compte !
On cherche , prince , à se prévaloir de votre jeu-liesse. Si c’est un païen qui a formé un semblable vœu, permettrez-vous que ses artifices vous engagent dans sa superstition? L’ardeur même qu’il témoigneroit en faveur de sa fausse religion, est pour vous une leçon qui vous apprendrait avec quel zèle vous devez main-tenir la vôtre. On vous dira qu’il faut déférer aux opinions de personnages distingués par le rang qu’ils occupent : je serai le premier à en dire autant ; mais Dieu avant tout. Qu’il s’agît de discipline militaire, on voudrait consulter les gens du métier : ici qu’il s’agit de religion, prenez conseil de Dieu. On ne fait tort à personne, en faisant passer le Tout-Puis-sant avant tout le reste. Il a, lui aussi, sa discipline. Vous ne contraignez personne à adorer ce qu’il 11e veut pas ; vous avez droit assurément à la même li-berté. Il faut bien que l’on consente à ne pas arra-cher à l’empereur , ce que l’on trouverait mauvais que lui-même entreprît d’arracher de vive force. Les païens eux-mêmes n’aiment pas qu’ou les violente dans les secrétes affections de leur conscience. Cha-cun doit être libre de croire comme bon lui semble‘. Mais je suppose que, parmi ceux qui vous font cette demande, il y en ait qui se disent chrétiens, ne soyez pas dupe des mots ; ceux-là ne,sont chrétiens qüè dc nom. Formerun semblable.vœu, y souscrire, c’est sacrifier aux idoles. Mieux .vaut, mécontenter lin particulier, que de compromettre le salut de tous ; car ici il n’y va pas'moins que de la ruine de tout Je christianisme.
Qu’aujourd’hui un empereur païen , ce qu’à Dieu ne plaise, exigeât un autel aux idoles, et contraignît les chrétiens à sè trouver aux sacrifices avec les ido-lâtrcs , et à jurer devant cet autel ρ qu’il portât.une pareille ordonnance en plein sénat, en présence des chrétiens qui y forment une si nombreuse majorité■, tout chrétien ne prendroit-il .'pas !.celte démarche pour une véritable persécution? Mais que penscroit-il d’un empereur chrétien qui commettrait ce sacrilégc ? C’est là pourtant le crime dont vous vous rendriez coupable , :si vous souscriviez au décret qui vous est présenté. Jurer en présence de quoi que ce soit , c’est Je prendre à témoin de sa foi ; c’est lui reconnoitre une puissance supérieure ; c’est lui sup-poser un caractère , de divinité. Prêtre de Jésus-Christ, j’en appelle à la foi de votre majesté. Tout ce que nous sommés d’évêques, nous nous serions empréssés de nous rendre auprès d’elle, si l’on n’a-voit pas .eu soin d’envelopper dans l’ombre d’une faction la demande que l’on projettoit, pour la porter brusquement à votre conseil; car il s’en faut bien que c’ait été. là l’ouvrage du sénat. On ne citeroit qu’un petit nombre de membrès encore attachés au paga-nisme, lesquels/se :couvrent du nom auguste du sénat. Il y a deux ans qu’ils firent la même tentative; les sénateurs chrétiens ־/ en grand nombre, s’y op-posèrent par une solennelle protestation què m’en-voya l’évêque de Rome, Damase. Ils. y déclaroient combien! ils étoient étrangers à pareille demande ; qu’ils n’y avaient participé en rien,et qu’ils étoient résolus de n’assister point aux délibérations de la compagnie μ'tant que l’on persisteroit dans celle-ci. J’adressai'cette protèstation à votre frère Gratien , afin, qu’il ne. donnât !pas dans le piège qu’on lui ten-doit ,.et qu’il ne prît pas les plaintes des réclamants pour ,une remontrance faité par le sénat.
Peut-être l'on .me dira : pourquoi les sénatèurs chrétiens n’étoient-ils pas à ]’assemblée, lorsque la question s’y est agitée?Leur absenceniéme explique la chose, ainsi que l’empressement mis à la porter ?1 votre conseil. Il n’y a pas lieu de s’étonner que quelques individus oppriment la liberté des suf-frages, quand ils osent attenter à la vôtre. Si vous craignez de vous déterminer par vous-même , vous pouvez du moins en référer à l’empereur Théodose, que vous honorez à l’égal d’un père, et que vous êtes dans l’usage de consulter dans toutes les affaires importantes. En est-il qui le soient plus que celles de la religion et de la foi? Dans une affaire pure-ment politique, je m’absliendrois de vous parler avec cette chaleur. Mais ici c’est l’intérêt de la reli-gion ; et je connais mes devoirs. Je vous demande copie de la requête qui vous a été présentée, pour v-répondre plus à loisir, et pour qu’elle soit dis-cutée mûrement par l’empereur Théodose. Si l’on en ordonne autrement, il n’est point d’évêque qui puisse ni le souffrir, ni le dissimuler. Vous pourrez venir à l’église, mais ou il n’y aura point d’évêque pour ,vous y recevoir, ou il n’y sera que pour vous résister, et rejeter vos offrandes. Que répondrez-vous au prêtre de Jésus-Christ, quand il vous dira : L’église n’a que faire de vos dons, depuis que vous en avez offert pour l’ornement 1 des temples dés païens? L’autel de Jésus-Christ ne veut pas de vos présents, depuis que vous avez érigé un autel en l'honneur des idoles. Car enfin, n’est-ce pas l’éri-ger, que de le permettre, que d’y souscrire, que d’en signer l’aveu? Vos hommages ne sauraient plaire à Jésus-Christ, depuis que vous les avez par-tagés avec des idoles ; car il vous a dit : Vous ne pouvez servira deux maîtres. Nos vierges chré-tiennes sont encore dépouillées des privileges dont elles jouissaient ; et des vestales en réclament de nouveaux ! Pourquoi vous adresser aux pontifes du vrai Dieu, quand vous leur avez préféré ceux de la genlilité? Il n’y a rien de commun entre nous et le mensonge.
Qu’aurez-vous à répondre à ces paroles? Vous re-jetterez-vous sur la faiblesse et l’inexpérience de l'age? Mais il n’est point d’âge qui nesoit mûr aux yeux de Dieu; la jeunesse n’est point une excuse pour man-quer à la foi. On a vu meme des enfants confesser in-trépidement la foi, en présence des persécuteurs et des bourreaux. Que répondrez-vous à votre frère Gratien, vous disant du fond de sa tombe : Je me consolois de mes revers , parce que je laissais l’empire dans vos mains; de n’êtreplus, parce que vous me succédiez; d’avoir perdu avec la vie le tilre d’empe-reur, parce que j e me survivais à moi-même dans mes ordonnances en faveur d’une religion immortelle. C’étoienl là autant de trophées érigés pour moi à la piété, de dépouilles remportées sur l’ennemi du sa-lut, de gages qui m’assuroicnl une victoire à l’abri des temps et des révolutions. Mon assassin n’a pu m’enlever que la vie; vous, en annulant mes or-donnances, vous avez fait plus que celui qui osa porter les armes contre moi (1). C’est de la main de mon frère qu’est parti le coup le plus perçant dont je pusse être frappé. De deux choses l’une : en sous-crivant volontairement, vous condamnez ma foi ; en cédant à la violence, vous trahissez la vôtre.
(1) Il mourut l’an 383 , assassiné par les ordres du tyran Maxime. Il n’a-voit pas plus de vingt-quatre ans.
L’empereur Théodose, de sou côté, n’auroit pas de moins sévères reproches à vous adresser. En ac-cordant ce qui vous est demandé, vous offensez donc, prince ; Dieu d’abord, ensuite votre frère et votre père. Il ne me reste plus qu’à vous demander à vous-même de faire ce que vous croirez devant Dieu le plus utile à votre salut.
Réponse de saint Ambroise à la requête de Symmaque.
Celle-ci portoitsur trois chefs : «Rome redemande son ancien culte ; les prêtres et les vestales ont droit au recouvrement de leurs revenus ; le refus qui leur en a été fait a compromis le salut public. L’orateur, personnifiant ]a ville de Rome, lui fait dire : C’est le culte qui a repoussé du pied du Capitole cl de mes murailles Annibal et les Gaulois. Symmaque ne réfléchit pas qu’il accuse l’impuissance de ses dieux, plutôt qu’il n’en prouve le pouvoir. Annibal avoit donc eu le temps d’insulter à loisir aux dieux de Rome, puis qu’il étoit parvenu en vainqueur jusqu’au pied de ses murailles Pourquoi ces dieux s’y laissoient-ils assiéger? Que devenoit Jupiter sans les oies du Capitole? Mais encore, ces dieux, adorés dans Rome, étoient les mêmes que l’on adorait à Cartilage. Vainqueurs sous les bannières de Rome, ils étoient donc vaincus sous celles de Carthage. Rome répondra : Que l’on cherche ailleurs les prin-cipes de nos victoires. Ce n’est pas dans les entrailles des victimes, mais dans la force des combattants, que sont les présages et les trophées des succès. Il m’a fallu d’autres armes pour soumettre l'univers. C'est Camille, et non les dieux , qui a sauvé le Ca-pitole. Ce n’est pas la seule fois qu’on a vu les Barbares franchir leurs barrières, pour se répandre dans nos provinces ; témoin les désastres des règnes précédents, les honteuses défaites de Valérien et de son fils. Est-ce que, de leur temps, il n’y avoit point d’autel érigé à la Victoire?
Rome invoque ses cheveux blancs. Pourquoi, dans sa vieillesse, rougiroit-elle de se convertir à la suite de tout l’univers? Il n’y a point d’âge, quel-que avancé qu’il puisse être, où il ne soit plus temps d’apprendre. C’est surtout avec des cheveux blancs, que l’on doit être honteux de ne savoir pas se re'former. Ce qui recommande les cheveux blancs, ce n’est pas l’antiquité, mais la prudence. Faut-il rougir de changer pour être mieux? Jamais... A quoi bon chercher, dans des cadavres d’animaux, l’expression de la volonté divine? «Allons apprendre le mystère de Dieu, à l’école de celui· qui a fait le monde; non à celle d’un homme qui ne se connaît pas lui-même (1).» «Aqui est-ce que je croirai, dans les choses qui regardent mon Dieu, sinon à mon Dieu (2)? » Eh! quelle confiance pourrois-je vous donnera vous qui, de votre propre aveu, ne savez pas ce que vous adorez?
(1)«Disons avec un saint; moi, pour vous instruire, vous, pour être instruits : que le Dieu du ciel qui l’a fait, et qui se conuoit lui-même, m’enseigne le mystère du ciel, et non pas l’homme qui s’ignore lui-même sur la terre: Cali mysterium doceat me Deus ipse qui conduit l, non homo qui se ipsum ignoravit. ״ (Mobilier, Serm. chois., tom. vm, pag. 34ד. )
(2) Bourdaloue, Serm. sur le scaitd. de la croi.v, Dominic., torn. 1, pag. 32ך ; Mobilier, sur la Trinité, Serm. chois., tom. vin , pag. 388.
On me répond : «Il n’est pas si facile de pénétrer d’aussi profonds secrets». Ce que vous ignorez, nous en sommes instruits, nous, par la voix de Dieu; ce que vous cherchez en tâtonnant, nous l’obte-nous, grâce à la sagesse et à la vérité de Dieu lui-même, qui nous le découvre. Il est donc impossible que nous nous rencontrions sur la même voie, vous, vous mettez vos dieux sous la protection des princes de la terre; nous, nous implorons, en faveur de ces princes, la protection de Jésus-Christ : vous adorez l’œuvre de vos mains ; nous regardons comme un outrage fait à la divinité, tout hommage transporté à un Dieu fait de main d’homme. Dieu ne veut pas qu’on l’adore dans une matière inanimée. Vos philosophes eux-mêmes n’ont pas épargné leurs plai-sauteries à vos prétendus dieux.
L’on demande que les autels et les ornements qu’ils avoient autrefois leur soient rendus. Que l’on s’a-dresse pour cela à ceux qui leur rendent un culte superstitieux. Notre empereur est chrétien , il ne connaît d’autre autel que celui de Jésus-Christ. Ci-tez-nous un empereur païen qui ait érigé un autel en l’honneur de Jésus-Christ. En nous parlant de . ce qui s’est fait autrefois, on nous rappelle nos de-voirs envers la religion que nous professons aujour-d’hui. Mais puisque l’on nous y ramène, disons hautement que ce dont on veut faire l’opprobre du christianisme est son titre de gloire. Jamais les hommes ne l’ont mieux servi que du temps où l’on déployoit contre lui les édits de proscription et les arrêts de mort. Notre religion a trouvé son triomphe dans ce que l’on s'imaginait faussement devoir être son tombeau. Voyez quelle est notre force. Nous nous sommes accrus par les mauvais traitements , par l’indigence , par les supplices. Pour les païens , il ne leur semble pas que leur culte puisse subsister sans revenus.
Que l’on rende aux vestales leurs immunités : laissons parler de la sorte ceux oui sont dans l’idée qu’il ne puisse y avoir de virginité désintéressée. Qu’elles demandent un salaire , celles-là qui n’ont pas assez de leur vertu. Et encore, voyez tout ce que leur nombre a gagné avec ces belles promesses ; à peine comptent-ils jusqu’à sept vestales. Voilà les nombreuses recrues que l’on a pu faire avec ces pom-peuses décorations de bandelettes, d’ornements de pourpre, de litières fastueuses, de magnifiques ap-pointements, sans parler des rigoureuses épreuves mises à la vertu de leurs novices.
Que l’on considère, d’autre part, ce peuple de nos vierges chrétiennes. On ne les voit point mar-cher la télé parée de bandelettes , rehaussant l’éclat de la beauté par une riche pourpre, étalant à tous les yeux les livrées du luxe et de la mollesse , avides de privilèges et de récompenses mondaines. Pour tout ornement, la pauvreté volontaire, la modestie de leurs regards, les mortifications du jeûne et de la pénitence ; tout, en un mot, ce qui sembleroit plus propre à détourner de cette profession qu’à y en-gager : et c’est là même ce qui enfante parmi nous cette sainte émulation de la virginité. Elle trouve dans elle-même sa plus noble récompense ; elle ne sait point la mettre à l’enchère ; elle ne calcule point ni sur sa vertu, ni sur les ressources du fisc ; clic n’a-joui ne pas son affranchissement au temps de ses épreuves. La première victoire de ]a chasteté consiste à surmonter l’amour des richesses ; parce que le désir du gain est un piège pour la pudeur.
On se plaint que les sacrificateurs et les ministres des temples ne soient pas entretenus aux dépens du trésor public ; et quelles bruyantes clameurs à ce sujet ! Mais nous sommes, nous, privés par les lois non-velles, des successions des particuliers ; assujettis à des charges dontle plus simple décurion est exempt. Toute veuve peut tester en faveur des prêtres d’ido-les , nulle ne le peut en faveur du prêtre chrétien. Nous ne nous en plaignons pas :si j’en parle, ce n’est pas pour réclamer contre une aussi étrange partia-lité ; ce n’est que pour témoigner que nous n’en avons pas, car j’aime mieux que nous ayons moins de biens et plus de grace.
011 nous répond que l'Eglise a des revenus qu’on ne lui a point fait perdre. Que l’on me dise si les biens des Eglises ont été respectés sous Julien ; et comment l’on en a usé à l’égard de ceux qui les possédoient. Si l’on usait de représailles envers les païens, ce ne serait qu’une restitution , non un acte de violence. On fait retentir bien haut les mots de justice et d’équité : où étoient la justice et l’équité, alors que tout chrétien, sans distinction , étoit dé-pouillé de tout ce qu’il avoit ; que l’on nous envioit jusqu’à l’existence; que les morts eux-mêmes n’é-toient pas respectés dans l’asile des tombeaux?
Nous avons des revenus. Pourquoi les païens ne font ■ils pas des leurs le meme usage que nous des nôtres? L’Eglise chrétienne ne possède rien en pro-pre que sa foi (1) · c’est là son revenu , la son patri-moine et son trésor. Ce qu’elle possède, elle ne l’a que pour les pauvres. Qu’ils comptent, eux, les captifs que leurs temples ont rachetés , les pauvres qu’ils ont nourris, les exilés dont ils ont soulagé la misère. On les a privés de leurs terres ; leur appartenoient-elles ?
(1)« L’Eglise ne possède pour elle-même, dit saint Ambroise, que sa seule foi. » ( Fénelon, Disc, pour le sacre, pag. 276 , tom. iv , édit. Roui-laite. )
Mais, voilà ce qui les fait crier au sacrilège ! et s’il fahoit les en croire, la famine de l’année précé-dente en auroit été le châtiment. Leurs dieux nous auroient punis, par ce fléau , du crime d’avoir fait tourner au profit du bien commun , ce qui ne ser-voit qu’à leurs pontifes. Apparemment qu’il n’y avoit jamais eu de famine dans le monde , tant qu’il fut sous le joug de l’idolâtrie? C’étoit-là une calamité toute nouvelle, et réservée à nos jours ! Jamais, jusqu’ici, l’on n’avoit entendu dire que le défaut des récoltes eut trompé les vœux du laboureur. Où donc seroit la justice de ces dieux , si, pour la cause de quelques prêtres, ils châtioient l’empire tout entier? Cette justice auroit commencé bien tard à éclater ; car il y a bien des années déjà que leurs temples ont clé partout dépouilles de leurs richesses ; et c’est d’hier seulement qu’ils ont pensé à s’en venger. Si dernièrement le Nil a oublié de faire son déborde-ment accoutumé, nul doute que ce ne fût pour ven-ger la querelle des sacrificateurs de Rome, au risque de faire mourir de faim ceux de Memphis. Eh bien, soit : la famine de l’année dernière s’explique par un châtiment du ciel ; mais l’abondance de celte année, comment l’a-t-il permise? Les dieux se sont donc bien vite lassés de leur vengeaucc : jamais récolte plus heureuse. La terre nous a rendu à grand intérêt ce quelle nous refusa un moment. Les dieux avaient-ils moins à punir cette année que l’autre le prétendu sacrilège commis envers leurs pontifes? Telles sont les vicissitudes humaines. Où est l’homme assez étranger aux choses d’ici-bas pour qu’il faille le lui apprendre ? En même temps que nous souffrions de la disette , le reste du monde , du moins en grande partie, étoit dans l’abondance. Je défie nos adver-saires de prouver le contraire.
Ce que nous ne saurions supporter, c’est de les entendre dans leur requête, se vanter des prières qu’ils adressent en votre nom à leurs dieux , avec l’air de croire que ce sont ces dieux qui protègent vos personnes en conséquence de quoi nous se-rions tenus de les adorer. Voilà le sacrilège réel : parce qu’on les laisse faire, ils s’imaginent que l’on y consent. Qu’ils gardent pour eux leurs protec-tours ; qu’ils en attendent du secours , s’il est pos-sible à ces dieux d’en promettre ; mais s’ils sont hors d’état de défendre ceux qui les honorent , à plus forte raison ceux qui ne les honorent pas.
« Il faut, dit-on, s’en tenir aux anciens usages. » Comme s’il n’y avoit pas des changements utiles et des améliorations nécessaires ! Le temps seul amène des perfectionnements qui contrarient les anciennes in-stitutions : èst-ce une raison pour n’en pas vouloir? On parle d’antiquité ! Notre Eglise exista dès l’ori-mne du monde. Elle fleurissoit dans les saints, elle n’a fait que se développer dans les temps modernes , et se répandre parmi les peuples, malgré toutes les contradictions dont elle a fini par triompher. Ce qui est vrai a toujours droit de l’emporter sur ce qui ne l’est pas.
S’il falloit s’en tenir aux anciens usages, pourquoi tant de variations dans le culte que les Romains ren-doient à leurs divinités ?
On s’est fait de la victoire une déesse que l’on a personifiée, bien qu’elle ne soit qu’un être de rai-son ; un bienfait, non une puissance. La victoire se donne, elle n’agit pas. 011 l’obtient par la force des bataillons , comme conséquence du nombre des combattants ; comme-résultat, non comme instru-ment des opérations militaires.
On voudrait que sa statue et son autel fussent ré-tablis dans le sénat, c’est-à-dire, dans un lien où il y a majorité de chrétiens. Pas un temple où il n’y ait des autels : ce que l’on appelle Victoire a le sien ailleurs ; parce que l’on aime la quantité, on a mul-tiplié les sacrifices ; on en voit partout. Pourquoi celte prédilection particulière en faveur du sénat , si ce n’cst pour insulter à la foi chrétienne ? Il fau-dra donc que , durant le sacrifice offert à celte pré-tendue divinité, les chrétiens soient là; qu’ils en savourent l’odeur, qu’ils en respirent l’encens, qu’ils entendent, bon gré mal gré, le chant des hymnes profanes ; qu’ils sortent tout pénétrés de la fumée du sacrifice. Le paganisme n’a pas encore assez de ses bains, de ses portiques, de ses places publiques envahies par les images de ses idoles ? Nos sénateurs chrétiens se verront enchaînés, sans pouvoir s’en défendre, à des invocations impies, à des ser-ments sacrilèges, au risque de ,passer pour des traîtres s’ils s’éloignent, pour complices s’ils as-sistent !
En présence de qui prctera-t-on serment d’o-béissance aux lois et aux édits de la puissance im-périale ? Voilà donc votre volonté, dont vos lois sont l'expression, réduite à emprunter sa force et ses moyens d’exécution des cérémonies du paga-nisme ? Présents , absents, n’importe ; on n’est plus tenu de vous obéir qu autant qu’on le- voudra.
L’empereur Constance , de glorieuse mémoire, avant d’etre initié à nos saints mystères, auroit cru être souillé par le seul aspect de cet autel de la Vie-toire ; il le fit enlever, et ne le replaça point.
Faut-il que l’on soit présent pour obliger à l’o-béissance. L’esprit embrasse bien plus d’objets que les yeux du corps. C’est toujours sous votre prési-dence que le sénat s’assemble ; c’est à vous, non aux dieux du paganisme, qu’il obéit.
On a fait entendre que la mort prématurée de votre auguste frère tenoit au renversement de l’autel de la Victoire ; comme si la vertu devoit être appré-ciée par la mobilité des choses humaines ! Ce monde roule éternellement dans un cercle d’événements heureux ou malheureux qui en changent la scène , sans qu’il faille en rien conclure pour ou contre la religion. Pompée, Cyrus, Hamilcar, Julien, si at-tachés au culte de leurs dieux, sont morts miséra-blement, parce qu’il est tout naturel de mourir d’une manière ou d’une autre.
Le poète Prudence a réfuté cette même requête de Symraaque par un poème en deux chants, qui se trou-vent parmi ses œuvres.
S. Ambroise lui rend compte des mouvements excités par les Ariens , pour obtenir des églises dans Milan.
Comme dans presque toutes vos lettres vous avez soin de vous informer de ce qui se passe dans l'Église , je vais satisfaire à votre curiosité.
Le lendemain du jour où je reçus la dernière, par laquelle vous m’exprimiez l'inquiétude où vous je-toient des songes sinistres, l’orage éclata. On ne s’en tenoit plus à la demande de la basilique Porcienne, située hors des murs de la ville; on vouloit la basilique neuve, plus spacieuse, et située dans l’enceinte de Milan. C’étoientles premiers magistrats, les comtes consistoriens qui me pressoient de la leur livrer , afin, disoit-on, de prévenir les troubles dont on étoit menacé. Je répondis, comme je le devois, qu’un évêque ne pouvait livrer le temple de Dieu. Le len-demain , le préfet se rendit à l’église , où il me lit de nouvelles instances pour me déterminer à céder au moins la basilique Porcienne. Je demeurai ferme; et le peuple avant confirmé mon refus par de grands cris , le préfet se retira en disant qu’il en feroit son rapport à l’empereur. Le jour d’après (dimanche des Rameaux ) , les leçons finies, après le sermon, les catéchumènes renvovés, pendant que j’expliquois le symbole à quelques-uns des compétents réunis dans le baptistère , on vint me donner avis que l’on avoit envoyé des dixainiers à la basilique Porcienne, où ils mettaient des tentures qu’ils avaient appor-tées, et que , sur le bruit qui s’en étoit répandu , une partie du peuple catholique s’y rendait pour s’opposer à leur dessein ; je n’interrompis point mon instruction , et me disposai à dire la messe. J’étois à célébrer le saint sacrifice , lorsque l’on vint m’informer que le peuple s’étoit saisi d’un certain Caslulc , prêtre Arien , comme il passait dans la rue. J’en fus touché jusqu’aux larmes; et, continuant l’obla-tion, je suppliois le Seigneur de ne pas permettre qu’il y eût de sang répandu pour la cause de l'Église , ou que du moins il n’y en eût pas d’autre que le mien que j’étois prêt à verser pour le salut, non pas seulement du peuple fidèle, mais des hérétiques eux-mêmes. J’avois avec moi des prêtres et des diacres que j’envoyai sauver Castule du péril où il étoit.
La résistance du peuple excita à la cour les plus violentes clameurs. On y vit une sédition contre la-quelle il fallait sévir; on ordonna de grosses amendes contre le corps des marchands ; et dans ces mêmes jours consacrés aux plus augustes mystères, où l’on étoit dans l’usage de délivrer des prisonniers pour dettes , ce n’étoient que bruits de chaînes , qu’in-noccnts traînés dans les cachots. En trois jours, il fallut payer deux cents livres pesant d’or (trois cents marcs) ; et plusieurs de ces marchands répondirent qu’ils étaient prêts d’en donner le double , et plus encore, pouvuqu’on ne les inquiétât pas dans l’exer-cice de leur foi. Les prisons en étoient pleines. On défendit aux officiers du palais, aux secrétaires , aux agents de l’empereur cl aux menus officiers qui scr-voient sous les comtes de paraître en public, sous le prétexte d’empêcher qu’ils ne se mêlassent de la sédition. Les personnes qualifiées étaient encore pins menacées ; et la persécution s’échauffoit au point de faire craindre les plus violents excès.
Je fus sommé par ]es comtes et les tribuns de consentir sur-le-champ à la cession de la basilique. L’empereur, me disoit-on , ne faisait qu’user de son droit et de sa pleine puissance. Je répondis : Que l’empereur me demande ce qui est à moi, ma terre, mon argent, quoi que ce soit qui m’appartienne , je ne le refuserai pas, encore que tout ce que j’ai soit le bien des pauvres ; mais les choses divines ne sont point sous la dépendance de l’empereur. Si l’on en veut à mon patrimoine , qu’on le prenne ; à ma personne , j’irai au-devant. On parlera de me met-ire en prison, de m’ôter la vie; on ne saurait me faire un plus grand bien. Que l’on ne craigne point que j’appelle le peuple à mon secours ; je n’embrasserai point les autels en demandant la vie י j’aime bien mieux être immolé pour les autels.
Je frémissais de penser qu’on avoit envoyé des soldats s’emparer à main armée de la basilique ; je tremblois que , dans l’agitation des partis , il n’arri-vât quelque massacre , qui eût été capable d’occa-sioner la ruine de la ville et peut-être de toute l’Italie. Plût au ciel, me disois-je, qu’il n’en coûtât que ma tête ! 011 me pressait de calmer le peuple ; à quoi je répondais qu’il dépendait bien de moi de ne pas le soulever, mais qu’il appartenoit à Dieu seul de l’apaiser ; que si l’on pouvait croire que je fusse pour rien dans la sédition , pourquoi ne pas m’en punir , en m’envoyant dans quelque terre déserte?
Les comtes et les tribuns se retirèrent ; je passai tout le reste du jour dans la vieille basilique. Le soir j’allai chez moi prendre quelque repos , afin que, si l’on avoit quelque dessein contre ma personne, on put m’y trouver.
Il n’étoit pas jour encore, que m’étant levé , et sorti de ma maison pour me rendre à l'Eglise, j’ap-pris que l’avenue en étoit pleine de soldats. La cons-ternation étoit générale. Je fis lire les leçons. On me vint dire que l’église neuve étoit elle-même rem-plie de peuple ; que l’on y demandait à grands cris quelqu’un pour y faire l’office de Lecteur. J’envoyai dire aux soldats qui s’y trouvaient de se retirer sous peine d’être séparés de la communion. C’étoient, pour la plupart des catholiques ; ils obéirent, et vin-rent se réunir à nous dans la vieille basilique. Nous sommes venus pour prier, disoicnt-ils, et non pour combattre. Leur arrivée ne laissa pas de jeter quel-que trouble dans l’assemblée. On venait de lire le livre de Job : j’en pris occasion pour faire un dis-cours au peuple , où j’appliquai à la. circonstance présente les épreuves du saint patriarche. M'adressant à l’empereur : Nous invoquons votre Majesté , nous ne la־ combattons pas ; nous ne craignons rien ; nous prions, voilà la seule conduite permise au chrétien. Tous nos vœux sont pour la paix , pour le maintien de la foi et de la vérité, meme au péril de notre vie. Nous sommes sous la main de Dieu, pro-tecteur de ceux qui espèrent en lui.... On nous dit : Cédez la basilique. Je réponds : Il ne m’est pas plus I permis à moi de la céder qu’à vous , prince , de la , prendre. Vous ne pourriez י sans crime , vous em-parer de la maison d’un simple particulier; à plus forte raison de la maison de Dieu. — Tout est permis à l’empereur; tout est à lui. — Je réponds : Ne vous faites pas ce tort de croire que, comme empereur, vous ayez quelque droit sur les choses divines : gar-dez-vous d’une aussi coupable prétention ; mais si vous voulez que Dieu protège votre vie et votre empire , montrez-vous soumis à Dieu. Il est écrit : A Dieu ce qui est à Dieu ; à César ce qui est a César ; à César les palais, à l’évêque les églises. Votre domaine, ce sont les murailles de la cité, non les choses de la religion. — On nous disoit de la part de l’empereur : Je dois avoir aussi une basilique à moi. J’ai répondu : Qu’avez ־vous de commun avec l’a-dultère ? c’est-à-dire avec l'Eglise qui n’est pas la légitime épouse de Jésus-Christ.
Je prêchois encore, lorsqu’on est venu me dire que l’on avoit ôté de la basilique neuve les tapisse* ries impériales, qu’elle étoit remplie de catholiques qui demandoient que je m’y transportasse ; je repris mon discours pour remercier Dieu d’un aussi heu-tcux changement. On m’annonça l’arrivée de l’un des secrétaires de l’empereur, qui avoit à me parler de sa pari. Je me retirai à l’écart,· il me communiqua ses intentions : c’étoicnt des reproches sur ce que j’avois envoyé des prêtres à la basilique neuve ; on m’accusoit de tyrannie. Je m’en défendis, en jus-tifiant ma conduite. Quant au reproche de tyrannie, j’alléguai que si l’on avoit eu à ce sujet quelque in-quiétude, on pouvoit se débarrasser de ma personne; que nous étions les disciples d’un Maître qui ne sa-voit que fuir quand on voulait le faire roi ; que notre tyrannie à nous, c’étoitnotre foiblesse meme; celle dont l'Apôtre disoit : Quand je suis foible, c’est alors que je suis fort ; qu’au reste, on avoit vu plus souvent les évêques souffrir de la part de la tyrannie, que se permettre de l’exercer (1). Il me devint impossible de revenir ce soir-là dans ma maison , à cause de la foule de soldats qui gardoient l’église ; je passai la nuit à chanter des psaumes avec les frères.
(1)« De tout temps on enteuditdes hommes, amateurs prétendus du repos et de la tranquillité publique, se plaindre du zèle trop vif, disent-ils, et trop impétueux de ceux qui se dévouaient à soutenir la cause de l'Eglise; on aimoit à sç représenter les plus sages de ses frères comme des esprits in-quiets et turbulents, qui souffloient !■e feu de la division. Qui sont les an-teurs du trouble et du tumulte? Sont ce des hommes qui ne pensent qu’à contenir les peuples dans la subordination légitime? Ne seroient־ce pas pin-tôt ceux qui les enhardiroient à mépriser l’autorité.L’état n’a rienàredouter d’un peuple docile et soumis. Ceux qui aiment l’obéissance aiment la paix ; et c’est veiller à la conservation des empires, que de veiller à fixer les esprits dans la simplicité de la soumission évangélique. Les fastes de l'Eglise et des rovaumes sont pleins du récit des guerres et des révolutions affreuses que le mépris de l’autorité ecclésiastique traîne à sa suite. L’arianisme i branla le monde entier : il a précipité la chute et la décadence de l’empire romain; il l’a détruit par lv bras des nations barbares, qu’il avoit infectées de ses poisons, et enivrées de ses fureurs... Les Athanase, les Hilaire , les Ambroise ne furent point regardés comme les auteurs de ces scènes tra-giques. Que dis-je? Le monde, trompé par les impostures de l’erreur , osa plus d’une fois leur en imputer les disgrâces; et l’adroite hérésie sut se dé-charger sur eux de l’horreur de ses propres attentats. Le temps a dissipé le nuage de la calomnie. On sait qu’ils prêchaient la soumission, par consé-quent qu’ils prêchaient la paix; et trop d’exemples ont appris que c’est du sein des tempêtes qui agitent le sacerdoce, que sortent les orages qui font chanceler le trône, et mettent l’empire en péril. » ( Ch. de Neuville Panégyr., tom. vi, pag. 155 , 156. )
Le lendemain , après la lecture du livre de Jonas, on m’annonça que l’empereur avoit fait retirer la troupe, et relâché les marchands, avec remise de l’amende à laquelle ils avaient été condamnés. Les militaires eux-mêmes prirent part à la commune allégresse, en se précipitant vers les autels, et les baisant en reconnaissance de la paix qui venait de nous être rendue.
(Elle ne fut pas de longue durée. Les Ariens sou-tenus par l’impératrice Justine, renouvelèrent leurs prétentions sur la basilique Porcienne. On proposa à saint Ambroise une conférence devant des juges laïques, en présence de l’empereur ; il répondit) :
Quand est-ce que l'on a vu jamais des laïques s’établir juges des évêques en matière de foi? Porterions-nous la bassesse de l’adulation jusqu’au point d’oublier ce que nous devons à la dignité épiscopale, et d’abandonner à d’autres le dépôt que Dieu nous a confié ? S’il faut qu’un évêque se mette à l’école d’un laïque, que s’ensuivra-t-il? ce sera donc au laïque à disputer et à l’évêque à écouter ? Un évêque prendre leçon d’un laïque Pas un exemple dans les siècles passés d’un semblable renversement. Laissez, prince ? venir les années : et quand l’âge aura mûri vos conseils ; l’expérience vous apprendra ce qu’il faut penser d’un évêque capable de sacrifier à des laïques les droits de l’autorité épiscopale. Votre père, dans un âge avancé, disoit : Il ne me convient pas de prononcer entre des évêques. Il avoit reçu la grâce du baptême ; et vous, qui aspirez à la recevoir, vous prétendriez juger des choses de la foi, quand vous n’en connaissez pas les mystères!... Ambroise ne mérite pas qu’on dégrade pour lui l’honneur de l’épiscopat. La vie d’un homme ne saurait entrer en balance avec la dignité de tous les évêques. S’il faut tenir des conférences sur la foi, c’est dans l’église et non ailleurs : comme du temps de nos pères , par des évêques et non par d’autres ; comme on a lait sous Constantin......Quant à la demande qui m’est faite de me rendre à votre conseil . daignez, prince ־, recevoir mes excuses si je n’y parois point.
J’ai appris à ne m’y trouver que quand j’y suis appelé pour vos intérêts. Je ne puis combattre dans l’intérieur d’une cour dont les secrets sont pour moi des mystères inconnus ג et que je suis peu jaloux de connoître.
Discours contre Auxence, sur la demande faite de livrer des églises (1).
(1) De Basilieis tradendis. Vulgairement 011 lit : De non tradendis Ba-sîlicis : qu’il ne faut pas livrer les Basiliques. ( D. Ceillier, tom. vu, pag. 531. )
Auxence , évêque arien , fomentoit la persécution di-rigée contre saint Ambroise (2). Le saint archevêque étoit retiré dans son église, où il se trouvoit gardé par son peuple et assiégé par les soldats , qui ne permettaient à personne d’en sortir. Saint Ambroise adresse à son peuple le discours suivant :
(2) Auxence, soutenu par l’impératrice Justine, soi-disant évêque de Milan , décliîroit cette église, il ne la gouvernait pas : Juxentius siriano-rum episcopus cathcdram non regendam , sed dilaniandam tenebal epi-scopetem. (Epist. Nitoll., tom. vin , concil. Labbe., col. 284·)
J’aperçois dans cette assemblée une agitation soudaine et extraordinaire ; vous vous empressez au-tour de moi avec inquiétude. Quelle en peut être la cause? Seroit-ce parce que vous avez vu les tribuns s’approcher de moi, pour m’enjoindre, de la part de l’empereur, d’aller où je voudrois, avec la permission à qui voudroit de m’accompagner. Vous avez donc craint que je n’abandonnasse l’église, et que je vous quittasse pour me sauver. Mais vous avez pu connaître la réponse que j’ai faite : qu’il ne pouvait entrer dans ma pensée d’abandonner mon église, parce que je crains plus le Seigneur, maître du monde, que l’em-pcreur de ce siècle ; que si l’on m’en arrachait par violence, on pouvait en arracher mon corps et non pas mon esprit; que si l’on agissait en prince, je saurais agir en évêque. De quoi donc êtes - vous troublés? je ne vous abandonnerai jamais volontai-rement ; mais je ne sais point non plus résister à la force. Je pourrai m’affliger, je pourrai pleurer cl gémir; je n’ai contre les armes , contre les soldats et les Goths, d’autres défenses que des pleurs : un évêque n’en connaît pas d’autres. Mais aussi ce n’est pas moi qui fuirai ; moi qui déserterai l’église par la crainte du traitement le plus rigoureux. Vous sa-vez bien vous-mêmes que je défère aux empereurs, mais que je ne leur cède pas, et que je suis toujours dévoué aux persécutions, sans les redouter.
Si j’avois l’assurance que l’église ne dût pas être livrée aux Ariens, j’irois, sans répugnance, me jeter aux pieds de l’empereur, autant que la dignité épiscopale n’auroit pas à en souffrir, pour disputer nos droits dans un palais plutôt que dans une église. Mais quand Jésus-Christ paroît au can-soil impérial, c’est pour y être juge, non accusé. Quijieut mettre en doute que les choses de la foi ne doivent pas être traitées ailleurs que dans l’église?
Ni les soldats qui nous environnent, ni le bruit de leurs armes ne peuvent rien contre ma foi. Seu-lement je tremble que, dans ce moment où vous me retenez, on ne prenne quelque résolution funeste à votre salut. Car, je ne sais plus craindre et trembler que pour vous... On m’a proposé de livrer les vases sacrés: j’ai répondu que, si l’on me demandait ma terre, mon or, mon argent, je le donnerais volon-tiers; mais que je ne pouvais faire au temple du Seigneur aucun larcin, ni livrer rien de ce que je n’ai reçu que pour le garder; qu’en cela, je servais la cause de l’empereur , comme la mienne ; je le suppliais d’écouter avec bonté un évêque . qui lui parlait avec franchise, et de ne pas corn-promettre ses vrais intérêts, en s’attaquant à Jésus־ Christ.
Il y a sans doute , dans un pareil langage, et la discrétion et la charité que tout évêque doit au souverain. Mais, parce que nous avons à lutter non pas seulement contre la chair et contre le sang ; mais, ce qui est bien plus formidable encore, contre les puissances des ténèbres ; le démon rc-double ses attaques, par les menaces qu’il dirige contre ma personne. Que je sois frappé ; les blés-sures qu’il peut me faire ne donnent pas la mort, elles ne font que prolonger la vie. N’empêchez point le combat; réservez-vous pour en être spectateurs. Que font les épées et les barbares à qui ne craint pas de mourir, et ne connoît point sur la terre de plai-sir qui l’y attache ?
Si le Seigneur a résolu l’épreuve, vous aurez beau veiller à ma garde, durant une longue suite de jours et de nuits, la volonté du Seigneur n’en sera pas moins accomplie. Maître tout-puissant, il exé-cute tout ce qu’il ordonne; et nous ne gagnerions rien à contrarier ses divins décrets... Quelque chose que j’aie à souffrir, c’est pour Jésus-Christ que je souffrirai, pour le souverain Législateur qui a dit :
Celui qui aura perdu sa vie pour l’amour de moi, la trouvera. Que s’il juge à propos de différer le combat, pourquoi tant d’alarmes? Le serviteur de Jésus-Christ est bien mieux gardé par sa providence^ que par toutes les précautions humaines. Le pro-phète Elisée se trouvait investi par une armée entière, que le roi de Syrie avoit envoyée pour le saisir. Son domestique s’effraie. Le prophète demande au Seigneur que les yeux de Giézi soient ouverts ; Re-garde, lui dit-il, et vois combien le nombre de ceux qui sont pour nous, l’emporte sur le nombre de nos ennemis. Giézi aperçoit des milliers d’Anges. Pierre étoit en prison. L’Eglise prie pour lui. Durant qu’il dormoit, un Ange vient délier ses chaînes, et le remettre en liberté ; pour cette fois, il échappe à la mort. Le meme apôtre, après la victoire qu’il avoit remportée sur Simon le magicien, s’étant appliqué à répandre, parmi le peuple, la semence de l’Evangile, irrita les païens qui le cherchaient de toutes parts pour lui ôter la vie. Les chrétiens l’ayant su , le conjurèrent avec tant d’instances de se réserver pour les instruire et les affermir dans la foi, que, tout avide de souffrances qu’il étoit, il se laissa fié-cliir à leurs prières. Déjà il étoit sorti hors des murs de la ville de Rome ; Jésus-Christ lui apparut sur le chemin qui y conduisoit. L’Apôtre lui ayant de-mandé où il alloit, le Seigneur lui répondit: Je vais à Rome pour y être crucifié une seconde fois. Cela fit comprendre à saint Pierre qu’il devoit cire cru-cifié lui-même, Jésus-Christ ne pouvant plus l'être, depuis qu’il l’avoit été une fois; qu’il ne pouvait donc l’être que dans la personne de son apôtre. A l’instant Pierre retourne sur ses pas; et, quelques jours après, ayant été découvert, il honora Jésus-Christ par le supplice de la croix (1). Notre Seigneur lui-même échappait, quand il le vouloit, aux mains de ses ennemis, passant au milieu d’eux sans qu’ils le vissent ; parce que le moment de son sacr!-ficc n’étoitpas encore venu. Couvert de sa protection, n’ai-je pas moi-meme traversé impunément les rangs de ceux qui me cherchaient, allant, venant à l’église, près des tombeaux des martyrs, jusque dans le palais, sans que l’on pensât à exécuter les complots tramés ouvertement contre moi. Je m’at-tendais, je ne le dissimule pas, à quelque violent orage à essuyer pour le nom de Jésus-Christ. Au lieu de souffrances, ils me ménageaient des dé-lices. Mais il faut à l’athlète de Jésus-Christ, non des délices, mais des souffrances. On faisoit partout circuler le bruit que j’allois être envoyé en exil, condamné à mort. Je ne crains point la mort, et ne quitte point ce lieu-ci; car, où irai-je; où tout ne soit plein de gémissements et de larmes, puisque l’on ordonne par toutes les églises de chasser les évêques catholiques, de punir de mort ceux qui résistent, de proscrire tous les officiers de ville qui n’exécuteront pas cet ordre? Et c’est un évêque qui l’écrit de sa main, et qui le dicte de sa bouche 1 c’est Auxence qui envoie dans toutes les villes cette épée volante, représentée par la faux du prophète Zacharie, pour tuer, en un moment, s’il le pouvoit, tous les peuples de l’empire, les uns par le glaive, les autres par le sacrilège...
(1) « Saint Ambroise ne ponvoil avoir appris cette histoire que par une tradition, dont on ne trouve point l’origine.» ( D. Ceillier, loin, vu, pag. 532. ) Origènecite le même fait, qu’il avoit puisé dans les actes apo-cryphes de saint Paul. (Tillemont, Mém., tom. 1, pag. 528. ) Platina l’avoit rapporté dans ses Vies des pontifes romains , cap. r, pag. 8, édit. Colon., 1611.) Quelques prédicateurs l’ont rappelé dans leurs pauégyri «pies du saint apôtre. Mais le fait est-il assez bien prouvé? J’aime bien mieux la sage réserve de Bourdaloue, qui ne parle du crucifiement de sain! Pierre־que pour relever, non la conformité de sa mort, mais son amour pour Jésus-Christ. ( Panëgyr., tom. ז , p. 352.)
Vous venez d’entendre lire l’histoire de Naboth , à qui le roi Achab demandait sa vigne , pour la faire servir aux plus vils usages. Dieu me garde. répondit-il, de livrer l’héritage de mes pères ; et il défen-dit sa vigne au prix de son sang. Quand Naboth refuse de livrer sa vigne; j’irois, moi, livrer l'Église de Jésus-Christ ! C’est l’héritage de mes pères, l’héritage de Denys, qui est mort en exil pour la foi, l’héritage du confesseur Eustorgius, l’héritage de Mvroclés et de tous les évêques fidèles, mes prédécesseurs. On m’arrachera la vie, plutôt que la foi.
A la suite de l'histoire de Naboth, vous avez en-tendu le récit de l’entrée de Jésus-Christ dans Jérusalem. Je ne l’avois pas choisi; c’étoit la solennité qui l’amenoit naturellement. Mais quel rapport avec la circonstance où nous nous trouvons! Irrités d’en-tendre les enfants chanter les louanges du Seigneur, ses ennemis lui disent, faites les donc taire : à quoi il répond : Que ceux-ci se taisent, les pierres memes crieront. Entré dans le temple, il se mit à en chasser les vendeurs. Observez-le bien; de tout temps les louanges de Jésus-Christ ont blessé ses perfides en-nemis. Aujourd’hui que nous célébrons ses louanges, les hérétiques crient à la sédition ; on en veut à leur vie : oui, la gloire de Jésus-Christ est l’arrêt de mort de l’hérétique. Au milieu de ces concerts de louanges, Jésus-Christ entre dans le temple, il en chasse les vèndeurs, renversant les chaires où ils étoient assis. Jésus-Christ ne veut point dans son Eglise de ceux qui y font trafic. Qu’est-ce donc qu’Auxence vient faire dans l'Eglise de Jésus-Christ? C’est contre lui que Jésus-Christ s’arme de fouets pour l’en chasser. Jésus-Christ ne veut pas plus d’Auxcnce que de Mercurin (1). Monstrueux assem-blage! ces deux noms ne composent qu’un seul individu. C’est le meme qui, dans l’espérance de n’être pas reconnu, a changé son nom dans celui de l’évéque arien Auxence; mais il n’a point changé de caractère : loup sous le nom de Mercurin, il n’a pas cessé d’être loup sous celui d’Auxcnce. Qu’if aille ailleurs, il en prendra encore un autre. Il le faudra Lien, pour faire oublier les horreurs qu’il a commises sous ce dernier...
(1) Cet homme, Scythe d’origine, avoit changé son nom de Mercurin contre celui d’Auxence, pour se rendre plus agréable aux Ariens qui avaient eu un évêque de ce nom. Il se disoit évêque de Milan , même du vivant de saint Ambroise.
Parce qu’il sait combien vous êtes assurés dans les principes de votre foi, il s’est bien gardé de venir au milieu de nous vous soumettre l’exposé de la sienne. Il a mieux aimé prendre parmi les païens , quatre on cinq personnes choisies par lui ou par d’autres; et plût au Ciel que la conférence eût eu lieu en présence de vous tous; non point pour y juger Jésus-Christ, mais pour entendre la majesté de Jésus-Christ. Ceux-là même dont il avoit formé son tribunal, n’ont pu s’empêcher de prononcer contre lui. Est-il rien de plus décisif et de plus honteux que d’être condamné par les juges mêmes que l’on s est donné, et sans qu’il y eut là personne pour les contredire ?
Choisir des païens ! mais par cela seul il se ren-doit coupable, comme étant eu opposition avec la doctrine de l'Apôtre, quand il dit: Quelqu’un parmi ,vous, ayant un différend avec un autre chrétien, ose-t-il bien plaider devant des hommes sans justice , et non pas devant les saints ? Choisissez maintenant pour maître entre Auxence et saint Paul.
Que parlé-je de l'Apôtre , quand le Seigneur lui-meme nous cric par la bouche de son prophète : Ecoutez-moi, à mon peuple , écoutez , tous qui con-noissez la justice et gardez ma loi dans ,votre cœur. Le Seigneur ne dit pas : Ecoutez infidèles , écoutez Juifs; mais il s’adresse à son peuple , c’est-à-dire , à ceux qui gardent sa loi imprimée dans leur cœur.
Battu de toutes parts, il a essayé, en fidèle imita-tour de la fourberie des geus de son pays , de jeter sur la personne meme de l'empereur l’odieux de sa conduite, (.’est, a-t-il dit, au prince à juger. Un jeune homme, un catéchumène, encore sans expo-riencc des matières de la foi, juger dans son conseil sur les matières de la foi ! Oublioit-on que, l’année dernière , l’empereur ayant voulu ôter une basilique aux catholiques, non-seulement moi , mais tous les fidèles résistèrent avec la plus généreuse liberté , jusqu’à s’offrir à la niort pour la foi de Jésus-Christ?
Que répondions-nous? Si l’empereur demande un tribut, nous, ne le lui refusons pas; les terres de l'Église payent tribut. S’il veut nos terres, il poulies prendre ; les aumônes des pauvres suffisent encore pour nourrir les pauvres. «Qu’on ne nous rende point odieux par la possession où nous sommes de ces terres ; qu’ils les prennent, si l’empereur les veut : je ne les donne point, mais je ne les refuse pas (1). La contribution du peuple est plus que suffisante pour les pauvres. On nous reproche l’or que nous leur distribuons : loin de le nier, j’en fais gloire. Les prières des pauvres font ma défense. Ces aveu-״les, ces boiteux , ces vieillards sont plus forts que les guerriers les plus robustes. Le tribut appartient à César, à Dieu son Eglise ; elle ne peut être à César, car l’autorité de César ne s’étend pas sur le temple de Dieu. Assurément ce n’est point là manquer de respect à l’empereur ; car est-il rien de plus hono-rable pour lui que de s’entendre nommer fils de l'Église (2)? L’empereur est dans l'Eglise , non au-des-sus d’elle. Un sage empereur recherche l’appui de l'Eglise, il ne le repousse pas (3). Nous ne nous en prévalons pas; mais aussi ne le dissimulons-nous pas. Quoi ! vous ne redoutez pas les glaivesי les bûchers, les bannissements ? Non ; pour qui ne craint rien , ce ne sont là que traits en l’air décochés par la mam d’un foible enfant.
(1) Traduit par Fënélon, Disc, pour le sacre del’elect, de Cologne, pag. 281 , tom. iv, édit. in-8°. Paris, 1821.
(2) ״ Qu’y a-t-il, disoit saint Ambroise, de plus glorieux pour l’cnipe-reur, que d’être nommé le Gis de l'Eglise?- (Fénélon, ibid. , pag. 277.)
(3) Ibid., pag. 278.
(1) Tous les historiens exaltent à l’envi le caractère de ce prince, doué 33SSÎ avantageusement des qualités extérieures que de celles de l’âme ; grand, bien fait, beau de visage, mais de celte beauté modeste , et même un peu timide, qui annonce également la pudeur et la popularité ; l’esprit vif et solide, propre aux sciences comme aux affaires, le cœur excellent, sensible , droit, tendant toujours au bien et au vrai. Ces dispositions na-turelles avaient été cultivées par la meilleure éducation; son père Valenti-nien Payant accoutumé de bonne heure au travail et à la fatigue, à la tein-pérance, à tontes les vertus de la vie privée et du goiivernement. par devoir, mais par affection et reconnaissance. C’est à vous que je dois la paix dont jouit mon église. Si l’hérésie est réduite au silence, c’est votre ou-vrage j et plût au ciel qu’en fermant la bouche à ses sectateurs,vous eussiez pu changer aussi leurs cœurs ! Cette victoire , vous l’avez obtenue par l’exemple de votre foi, autant que par l’autorité de vos ordon-nances.
Eloge de sa piété, de son zèle pour la religion, de son humilité.
Rien ici qui soit dicté- par I’adulation ; vous ne demandez pas qu’on vous flatte mon ministère ne me le permet pas ; je dois ces aveux a la bien-veillance dont vous m’honorez. Le Dieu qui nous jugera le sait; ce grand Dieu que vous reconnaissez pour maître , à la parole de qui vous croyez , m’est témoin combien je suis consolé par votre foi ; profondément touché des intérêts de votre salut et de votre gloire. Il sait avec quel ardeur nous prions pour vous mon peuple et moi, non pas seulement
Il lui envoie ses deux premiers livres du traité sur la foi, que Gratien lui avoit demandés , et Je prie de trouver bon qu’il diffère encore quelque temps l’envoi de son ouvrage sur la divinité du Saint-Esprit, afin de traiter cette importante matière avec tout le soin quelle exige.
A Marcelline, à l’occasion de la découverte des corps de saint Gervais et de saint Protais.
Nous avons , de Fromentières , un panégyrique des martyrs saint Gervais et saint Protais, dont les maté-riaux lui ont été fournis par la relation que saint Am-broise nous a laissée de la découverte de leurs corps (1). Le panégyriste rappelle leur naissance , l’histoire de leurs premières années , leurs mortifications; martyre an-ticipé, par lequel ils préludaient à l’effusion de leur sang ; leur vie tout entière devenant ainsi la prophétie de leur mort, vita mortem annunciavit ; leur contenance en présence des bourreaux , la manière miraculeuse dont leurs corps furent découverts.
(1) ״ Il faut le dire en cette chaire : le grand saint Ambroise , qui a fait leurs éloges, me fournira ses pensées, et je lui prêterai ma langue. ·> ( Serm., tom. ז , pag. 4 15. )
Qui devons-nous regarder comme les princes du peuple fidèle, sinon les saints martyrs , au nombre desquels nous comptons aujourd’hui les bienheu-reux Gervais et Protais, si long-temps ignorés dans l’église de Milan (1)?Cette église qui, quoique mère de plusieurs enfants, se croyoit stérile en martyrs , a la joie d’en recouvrer qui lui appartiennent par des titres et des monuments indubitables. On a généralement nommé cette découverte la résurrection des saints confesseurs; c’en est une en effet. Dieu veuille que ce soit une résurrection pour nous comme elle l’a été pour eux (1)! Nous possédions ce précieux trésor, sans le connoître. Le Seigneur a en-fin désillé nos yeux, comme autrefois ceux du disciple d’Elie, escorté par des Anges qu’il ne voyoit pas. Vous avez entendu raconter, vous-memes avez vu de vos propres yeux les miracles opérés dans celle circonstance : combien de pos-sédés, délivrés des démons qui les tournicnloicnt, de malades guéris par l’attouchement des linges dont on a revêtu les saints corps! Aussi quel con-cours! Quel empressement à.s’en approcher ! Grâ-ces vous soient rendues , ô Seigneur Jésus, de nous avoir fait recouvrer ces saints mart.ys , dans un temps où votre Eglise a le plus besoin de protecteurs ! Que tout le monde le sache : je ne veux pour défenseurs que ceux qui peuvent combattre pour nous, sans pouvoir jamais se tourner contre nous. Je vous les ai trouvés , peuple fidèle , ces illustres protecteurs qui seront utiles à tous, sans jamais nuire à personne. Voilà , encore une fois, les défenseurs que je dé-sire, et voilà les soldats que j’ai trouves. Ce ne sont pas des soldats de la milice terrestre j ce sont des soldats de Jésus-Christ. Nous jouissons par la dé-couverte de leurs reliques, d’un trésor que nos porcs a voient perdu. Nous voyons sortir leurs précieuses dépouilles d’un tombeau négligé et sans culte. Les trophées de leur victoire paraissent enfin au grand jour ; le sépulcre est encore teint de leur sang, on y voit la marque du coup mortel qui les a fait trioni-plier. Leurs membres sacrés sont dans le même lieu et dans la même situation où ils furent placés le jour de leur inhumation, la tête séparée du corps. Il y a parmi nous encore des vieillards qui se rappellent leurs noms, et qui se souviennent d’avoir lu quelque inscription en leur honneur. La ville de Milan, qui avoit adopté d’ailleurs des martyrs pour protecteurs, avoit perdu les siens propres. Je regarde cet événe-ment comme une insigne faveur du Ciel, et l’on ne peut douter que ce n’en soit une ; mais je reconnais aussi que c’est une grâce particulière et personnelle pour moi, que cette heureuse découverte se soit faite sous mon épiscopat. Indigne que je suis d’être moi-même martyr , j’ai du moins la consolation de vous avoir procuré des martyrs. Plaçons ces victi-mes triomphantes à l’endroit où repose notre hostie adorable , Jésus , Fils de Dieu ainsi que de Marie ; mais qu’il soit sur l’autel, lui qui a satisfait pour tous sur l’autel de la croix ; et que les saints, rachc-tés par son sang, continuent de lui faire honneur en se plaçant au-dessous. C’étoit la place que je m’étois d’abord destinée pour moi-même ; car il est convenable que l’évêque repose là où ses mains étoient dans l’usage de célébrer le saint sacrifice ; mais je cède à ces victimes sacrées le cote droit, comme leur appartenant. Disposons ces précieuses reliques dans un sanctuaire digne d’elles , et don-lions tout ce jour au sentiment de la religieuse allé-grosse qu’elles nous inspirent.
(1) Ces bienheureux corps se trouvaient près des tombeaux de saint Nabor et de saint Félix, où on ne les soupçonnoit pas. Saint Ambroise in-struit par une lumière céleste, fit creuser la terre en cet endroit. On y trouva les corps de deux hommes qui paroissoient avoir été d’une grande taille. Les os , eucore entiers, étoient dans leur situation naturelle (1), excepté que les tètes étoient séparées du reste du corps. Le fond du tombeau étoit couvert de sang, et l’on y voyait toutes les marques qui pouvaient constater la vérité de ces reliques. Les os ayant été levés de terre , furent mis dans des litières, et couverts de plusieurs ornements. On les transporta ensuite dans la basilique de Fauste , dite aujourd’hui de Saint-Vital et de Saint-Agricole. Les reliques des martyrs y furent exposées deux jours, et il s'y fit un concours prodigieux de fidèles , qui passèrent les nuits même en prière. Le troisième jour, qui étoit le 18 juin del’an 385, onles tiansfera dans la basilique Ambroisienne, avec une pompe religieuse qui fut suivie de réjouissances publiques par toute la ville. Outre les délivrances mira-culeuses, dont saint Ambroise parle ici comme témoin oculaire, on raconte que, durant la marche de la processiou, un aveugle se trouva guéri. Il se nommait Sévère , étoit connu de tous les habitants de Milan, et avoit été boucher de profession. Ayant appris quel étoit l’objet de la fête, il se fit conduire à un lieu par où les saintes reliques dévoient passer. Il n’eut pas plutôt touché le bord des ornements qui le couvroient, qu’à l’heure même il recouvra la vue. Ce miracle est rapporté par saint Ambroise, par saint Augustin et par saint Paulin, qui tous trois étoient pour-lors à Milan.
(1) On croit qn’îts avaient consommé leur martyre, an pins tard, sous l’em-pire <te Mare-Aurèle.
( Voy. Butler, Pies des Saints, 19e jour de juin, tom. v, pag. 330 et suiv. D'après Tillemont, Orsi, Jos. Ant. Saxi, Dissert, apolog., ad ain-dicandam Mediclano SS. corporum. Gervas. et Protas., possessionem. Bolon., 1709.)
(1) « Quelle gloire pour nos saints que ces sacrés corps aient été trouvés frais ctsans corruption , que le sang soit sorti de leurs plaies, comme s’il eût voulu encore une fois se répandre pour Jésus-Christ, sang, dont la voix plus forte que celle du sang d’Abel, publiait tout à la fois, et la magnifi-cence de Dieu, et la puissance de nos saints, et la gloire de leur martyre? Cen’est pas moi qui pat le, c’est saint Ambroise qui atteste lui-même ce qu’il a vu.» ( Fromenticres, Pane'gyr., tom. r ,pag. 430. )
״ J’avois bien ouï dire ( ajoute saint Ambroise ) que des soldats romains, quelques jours après leur mort dans une grande bataille, furent trouvés ayant encore leurs plaies sanglantes, leurs mains armées, et la colère comme empreinte sur leur visage , dans le sein même de la mort : Omnium in Tulnere sanguis, omnium in manibus enses , relictœ in aultibus nûnœ, et ipsa in morte ira xivebat. Mais il faut que ce prodige de fureur cède au miracle de sainteté, qui éclata au tombeau de nos martyrs, où, trois cents ans après leur mort, on les vit avec des visages pleins de douceur et de majesté, avec des plaies toutes vermeilles, avec un sang tout bouillant en-core de zèle pour Jésus-Christ ; et, ce qui est admirable, avec plus de pou-voir en cet état qu’ils n’en avoient eu pendant leur vie. On les porte avec pompe dans les rues de Milan, où ils donnent des marques bienfaisantes de leur pouvoir.... Et tout le peuple les regarde comme s'ils étoicut effec. tivement ressuscités. » ( Ibid., pag. 431. )
Les Ariens essaient de jetei des doutes sur la vérité des miracles qui viennent de s’opérer sous les yeux delà ville entière. Sévère étoit aveugle , il ne l’est plus ; il produit d’irrécusables témoignages et de sa maladie, et de sa guérison. Comme cet aveugle-né dont l’Evangéliste nous raconte l’histoire, il n'a que ce mot à dire : Tout ce que je sais c’est que j’étais aveugle ג et que je vois maintenant. Si vous ne m’en croyez pas, interrogez qui vous voudrez. Quelle raison les Ariens ont-ils de se refuser à y croire? Les martyrs ne peuvent rien, nous dit-on, en faveur des vivants. C’est donner le démenti à Jésus-Christ lui-même, qui a dit : Vous ferez des choses encore plus grandes. Quel est donc l’objet de l’envie? Est-ce moi ? Seroient־־ce les martyrs ? Moi ? Ai-je le don des miracles? Les martyrs? Les Ariens té-moignent assez par cela seul, que la croyance des martyrs est différente de celle qu’ils professent. Autrement, pourquoi se montrer étonné de leurs miracles? Celle que nous professons est donc conlir-mée par nos ancêtres. Les démons eux-mêmes sont forcés de rendre témoignage à la doctrine que con-testent les Ariens. Aujourd’hui même nous avons entendu des possédés, à qui l’on imposoit les mains, déclarer que nul ne pouvoit être sauvé, s’il ne croyoitau Père, au Fils et au Saint-Esprit. Les de-nions le confessent ; les Ariens seuls le nient. Ils prétendent que nous avons gagné des hommes à prix d’argent, pour les engager à feindre qu ils étoient possédés. J’ai souvent entendu parler de fraudes et de mensonges : que l’on me cite un seul exemple d’un homme qui ait feint être un dé-mon. Est-il possible de contrefaire les mouvements convulsifs dont sont agités ceux à qui l’on impose les mains ? Quel moyen y a-t-il de feindre , d’en soupçonner même la possibilité ?
Mais qu’avons-nous besoin d’emprunter en faveur de nos martyrs le témoignage des démons ? leurs bienfaits parlent seuls assez haut.
D’aussi éclatantes merveilles sont d’irrécusables témoignages des vérités que nous défendons ; et il faudrait désespérer de votre salut, si , après la lumière qui en résulte, nous en étions réduits encore à discuter l’antique foi comme si elle étoit nouvelle. Veillez donc à ne pas perdre dans la paix l’ancre de l’espérance et de la foi que nous avons conservée dans la tempête (1).
(1) Fromcntières termine son panégyrique par le même raisonnement, et les mêmes vœux. ( Ibid., pag. 7,52, .53,׳.)
Au très clément et bien heureuse empereur Théodose Auguste , Ambroise, évêque (2).
(2) Remontrance à ce prince, pour lui faire révoquer l’ordre qu’il avoit donné à l’évêque de Callinique de faire rebâtir une synagogue que les Juifs avoient eue en ce lieu , et que les chrétiens avoient brûlée.
... Je vous supplie , prince, de m’accorder une favorable attention. Si je suis indigne que vous m’é-coûtiez , je ne mérite pas davantage d’offrir pour vous, ni de recevoir ]es vœux et les prières que vous adressez au Très-Haut. Mais comment !l'écouteriez-vous pas celui dont vous souhaitez que Dieu écoute les prières qu’il fait pour vous? Vous accueillez avec bonté les requêtes que je vous présente pour d’au-très dédaigneriez-vous celles que je vous adresse pour vous-niémc? Dans le haut rang où vous êtes, rien qui soit plus propre à vous concilier tous les cœurs que de permettre volontiers à tous vos sujets de vous parler avec liberté. Ce qui distingue les bons et les méchants princes , c’est que les premiers aiment que l’on soit libre , et les seconds ne veulent que des esclaves. Mais qu’un évêque ne s’explique point avec liberté ; rien qui l’expose plus gravement aux yeux de Dieu, ni qui le déshonore davantage aux yeux des hommes. Mon silence, si je m’en rendois coupable, vous seroit préjudiciable à vous-même ; je vous sers bien mieux en vous parlant comme je fais. Si vous en accordez le droit à ceux qui servent sous vos étendards, le pourriez-vous refuser aux ministres du Dieu que vous servez, quand ils vous font enten-dre ses oracles? Qu’il s’agît d’intérêts politiques, mes devoirs scroicnt bien moins rigoureux ; mais dans une cause où l’honneur de Dieu se trouve corn-promis, qui écouterez-vous, si l’évêque est muet ; et qui osera vous parler le langage de la vérité, si un évêque n’en a pas le courage (1) ?
(1) Quis tibi Tcrum audebit diccre, si sacerdos non audeat i1 Bel emploi de cette sentence dans le sermon sur la 'vérité, de l’ancien évêque de Senez , tom. 1, pag. 67.
Je sais combien vous êtes pieux, clément, et mesuré clans vos actions, combien pénétré de la crainte du Seigneur, et zélé pour l’honneur de sa religion : mais on peut se laisser égarer. Le zèle n’est pas toujours selon la science. Il y a donc des pré-cautions à prendre pour empêcher qu’il ne sorte des bornes, et prévenir les justes reproches que vous auriez à me faire à moi-même, d’avoir gardé le silence par respect humain ou par une fausse corn-plaisance.
Lecomte d’Orient pour l’administration militaire vous a donné avis que l’on avoit mis le feu à une synagogue, et que c’avait été à l’instigation de l’évêque du lieu. En conséquence, vous avezordonné que l’on informât contre les auteurs, et quel évêque fût tenu de faire lui-même rebâtir la synagogue. Peut-être eut-il été mieux de l’apprendre de l’évêque lui-même. Mais enfin je suppose le fait ; j’accorderai même que l'évêque ait agi avec trop de chaleur, et qu’il ait réel-lement provoqué l’incendie de la synagogue ; qu’ar-riveroit-il, s’il refusait d’exécuter la sentence portée contre lui ? Vous l’exposez à devenir coupable s’il obéit, ou martyr s’il refuse (1). Dans cette alternative? il se dénoncera lui-même; il s’offrira pour tout son peuple , pour ne pas manquer l’occa-sion du martyre. Non , prince, le coupable ce n’est pas lui, c’est moi ; moi, je le confesse hautement, qui ai causé l’incendie de cette synagogue , en pré-chant, comme je l’ai fait, qu’il ne devoitpasy avoir un seul lieu où Jésus-Christ ne fût adoré. Si l’on m’objecte : Pourquoi n’avez-vous pas commencé par celle qui est ici ? Je réponds que Dieu n’a pas eu besoin pour cela de mon ministère, et que peut-être j’avois été coupable de quelque négligence , en la laissant subsister. Je tiens donc bien assuré qu’à l’égard de l’évêque de Callinique, vous ne le placerez point dans cette dure extrémité. Faudra-t-il contraindre les habitants à rebâtir la synagogue ? La crainte de la mort les y fera consentir : soit. Vous voilà donc personnellement responsable de la chute des foibles et de la prévarication du maître de la milice, qui se croira obligé de faire exécuter cet or-dre. Une synagogue rebâtie par les mains de celui de vos officiers à qui vous confiez la garde du sacré Labarum , marqué du nom de Jésus-Christ (1) Un temple pour les ennemis de Jésus-Christ! Mais eux-mêmes, si vous commandiez de faire porter le Labarum dans une synagogue, ditcs-moi s’ils le trouveroicnt bon, si même ils ne résisteroicnt pas ?
(1) «Le saint évêque avoit lu , au second livre des Macbabées , que les Juifs , dans le plus grand abattement de leur piété, aussi bien que de leur état , n'avoient néanmoins pu souffrir qu'on employât au sacrifice d’Hercule l’argent qu’on avoit levé sur eux, et que les païens avaient eu assez de sentiments d’honneur pour ne pas leur refuser cette grâce. Il se souvenait aussi que durant la persécution de Julien·, saint Emilicn de Dorostole, qui avoit été mis à mort pour avoir abattu un autel d’idoles, avoit été honoré comme martyr, et son juge abhorré de tout le moude comme per-sécuteur. On avoit aussi dans le même temps d’autres exemples semblables; et l’on avoit surtout admiré la constance de Marc d’Aréthuse, qui avoit souffert les plus cruels tourments, plutôt que donner seulement un écu pour rebâtir un temple qu’il avoit démoli ? >> (Tillemont ,Mém., tom. x , pag. 201.) Théodoret, après avoir rapporté un fait semblable, ajoute: 11 n’y a pas de différence entre adorer nue idole et lui ériger un temple. ( Hist, cedes., lib. v, cap. xxxvm. )
(1) Le fameux étendard de Constantin, dont ee prince avoit confié la garde à cinquante homines d’elite.
Ce sera donc avec les dépouilles de l'Eglise que la plus perfide des nations jouira d’un lieu où elle puisse se rassembler ! Le patrimoine que Jésus-Christ a acquis aux chrétiens passera donc dans les mains d’un peuple sacrilège ! Les Romains, vainqueurs des Cimbres, bâtirent un temple des dépouilles des peuples vaincus ; ainsi les Juifs pourront mettre sur le frontispice de leur synagogue cette inscription : Temple bâti des dépouilles des chrétiens.
On nous dira que ce n’est-là qu’une affaire de police. Qu’entend-on par affaire de police, là où la religion est intéressée? Qui doit avoir le dessus, si ce n’est la religion ?
Julien entreprit, il n’y a pas long-temps, dore-bâtir le temple de Jérusalem. Vous savez ce qui ar-riva. Un l'eu surnaturel dissipa ceux qui étaient occupés aux travaux , en consuma un grand nombre. Qui sait si la meme chose n’arrivera pas encore ? Etoit-ce à un prince tel que vous à ordonner ce que Julien avoit entrepris?
Le motif de votre ordonnance, quel est-il? porte-t-elle sur l’incendie d’un édifice en général, ou particulièrement d’une synagogue ? Un édifice public de si peu d’importance , car que peut être celui-là dans un méchant bourg comme Callinique? Rap-pelez-vous combien de maisons opulentes ont été brûlées à Rome , et font été impunément. Vous même, à la prière de votre fils Arcade, avez bien voulu pardonner dans le temps aux auteurs de l’em-brasement de la maison de l’évêque de Constantinople , qui vous touchait, de bien plus près. Ce que vous accordâtes à votre fils, le refuserez-vous à Dieu?
Sous le règne de Julien, combien d’églises n’a-t-on pas vues incendiées par la main des Juifs? Deux à Damas , dont une n’est pas encore réparée, et ne présente que des ruines , l’autre l’a été , mais aux dépens des chrétiens, non des Juifs; d’autres, à Gaze , à Ascalon , à Beryte , sans que l’on ait rc-cherché les coupables. A Alexandrie, les Juifs, unis aux païens, ont réduit en cendre la magnifique éidise de cette ville.
Désormais , quel triomphe pour les Juifs ! quelle matière à leurs sarcasmes, à leurs calomnies ! Epargneront-ils les disciples de Jésus-Christ, eux qui ont si peu respecté le maître ? Us ne manqueront pas de compter cette victoire à la suite de celles que leurs pères remportèrent autrefois sur les Amorrhéens et sur Pharaon.
Ce que le prophète Nathan disoit à David, Jésus-Christ lui-même vous le dira : Je vous ai choisi du milieu de vos frères pour vous mettre à leur tête : de simple particulier que vous étiez , je vous ai fait empereur. Je vous ai soumis les nations barbares , j’ai amené à vos pieds votre ennemi, j’ai misa votre disposition, pour le soutien de vos armées , les ap-provisionnements que vos ennemis avoient faits pour les leurs. J’ai jeté la confusion dans leurs conseils , j’ai enfermé l’usurpateur dans scs propres filets et lui ai enlevé tout asile , afin que ni lui, ni pas un des siens, ne vous échappât(1). Vous, en reconnaissance des triomphes que je vous ai ménagés, vous donnez à mes ennemis la victoire sur mon peuple. Si je vous rappelle tant de signalés bienfaits de Dieu envers vous , ce n’est pas pour vous reprocher de les avoir oubliés ׳, non , prince , mais pour enflammer de plus en plus l’amour que vous lui devez.
(1) Allusion à la victoire 11e '1 héodose sur Maxime.
Le langage que je vous tiens , je le devais moi-même à ma reconnaissance pour les grâces que vous avez daigné accorder à nia prière à tant de citoyens sauvés de l’exil, de la prison et de la mort, ainsi qu’au zèle qui m’anime pour votre salut. Si vous ne vous en rapportez pas à moi seul, appelez׳ tels évêques que vous jugerez à propos. Quand il est ques-tion des intérêts du fisc, vous déférez aux avis de vos comtes ; dans une cause qui intéresse la reli-gion, pourriez-vous ne pas consulter des évêques (1) ?
(1) Théodose révoqua son ordonnance.
Au très auguste empereur Théodose, Ambroise , évêque.
( Après le massacre de Thessalonique).
... Si je me renfermais dans le silence, ma conscience en resterait chargée ; le prophète nous le déclare : Faute d’être averti par le prêtre } le pécheur mourra dans son péché , et le prêtre sera coupable de ne l’avoir pas averti. Ecoutez donc, prince : Vous avez du zèle pour la foi, vous avez la crainte du Seigneur. Je suis bien loin de le contester : mais la nature vous a donné une impétuosité de caractère susceptible de se tourner en sentiment généreux , quand elle se calme , comme de s’emporter et de vous entraîner au-delà des bornes quand elle s’aigrit. Plaise au Ciel du moins qu’il ne se rencontre personne qui l’enflamme, s’il n’y a personne qui la modère '. On peut sur les suites s’en reposer sur vous-même ; vous finissez par revenir à vous-même , et vos dispositions à la piété triomphent de votre effervescence naturelle.
J’ai voulu vous laisser à vos seules pensées^. plutôt que de risquer d’attiser par une action d’éclat un premier emportement. J’ai mieux aimé paraître manquer aux bienséances, qu’au devoir de la soumission, et vous laisser le temps de réfléchir dans le calme de la conscience.
La ville de Thessalonique a vu ce qui, de nié-moire d’homme, n’étoit arrivé jamais ; ce qu’il n’a pas été en mon pouvoir d’empêcher ; ce que je vous avois à l’avance représenté tant de fois comme un crime énorme , et que vous-même vous vous êtes reproché, mais trop tard, comme impardonnable. A la nouvelle qui s’en est répandue , il n’est personne qui ait pu rester indifférent, personne qui n’en ait été vivement affligé.
Après vous être rendu coupable , comme David , craindriez-vous de faire ce que le roi-prophète, de qui Jésus-Christ devait naître selon la chair, n’a pas rougi de faire? Il reconnut son péché, en disant: J’ai péché contre le Seigneur. Ne trouvez pas mauvais, prince, que l’on vous dise : Vous avez imité David dans son crime, imitez-le dans sa pénitence (1).
(1) Quem secutus es errantem , sequere ()oenitentem. ( Paulin, dans la rie de saint Ambroise ,11° 2 4·)
Si je vous écris dans ces termes, ce n’est pas pour vous humilier, mais pour vous exciter,par l’exemple d’un roi, à chercher dans la pénitence la rémission de votre péché. Vous êtes homme ; vous avez été attaqué par la tentation , prenez le dessus. Il n’y a que par les larmes et par la pénitence que l’on efface le péché ; il n’y a ni Ange ni Archange capable de le remettre autrement ; le Seigneur lui-même ne pardonne qu’à ceux qui font pénitence. Je vous con-seillc , je vous supplie, je vous exhorte, je vous avertis. Quelle affliction pour moi de penser qu’un prince jusque-là modèle de la plus haute piété, non moins recommandable par une clémence sans bornes, aussi miséricordieux envers les criminels eux-mémes, ait pu s’oublier à ce point; et combien ma douleur scroit plus vive encore, si vous restiez indifférent sur la mort de tant d’innocents? C’étoit votre boulé que l’on mettait à la tête de toutes vos excellentes qua-lités... Le démon vous a envié ce triomphe : triom-phez-en à votre tour , tandis que vous avez encore de quoi le faire. N’ajoutez pas à votre péché celui de vous attribuer ce que plusieurs se sont attribué à leur préjudice...
Dévoué pour tout le reste à Votre Majesté, et pourrai־je ne pas l’être sans ingratitude? je suis contraint de vous déclarer qu’il me deviendrait impossible d’offrir le sacrifice, si vous vouliez y assister. Ce ► qui ne scroit pas permis après l’effusion du sang d’un seul innocent , peut-il l’être, après que vous avez répandu celui de tant d’innocents? Je ne le crois pas.
« Comment pourriez-vous recevoir le corps du Sauveur dans des mains toutes souillées? comment porterez-vous son sang précieux à votre bouche, vous qui avez répandu injustement le sang de tant de personnes, par une parole pleine d’emportement et de colère (1) ? »
(1) Traduction française de Bossuet, Defensio déclarât, cleri gallic., lib. ii, cap. v, pag. 272 , edit. in-40. Paris ( Amsterdam ), 1745.
Rendons grâces à Dieu qui se plaît à châtier ceux qui le servent, jaloux qu’il est de les conserver. En vous parlant, comme je fais, je suis l’exemple des prophètes ; en vous humiliant par la pénitence, vous suivrez l’exemple des saints (2).
(2) Istud mihi commune est cum prophetis ; et tibi erit commune cum sanctis.
Rien de plus célèbre dans l’antiquité, que la pénitence imposée par saint Ambroise à l’empereur Théodose, en expiation de son crime , et l’hé-roïque magnanimité avec laquelle ce prince s’y soumit.
Nos prédicateurs français ont souvent rappelé ce fait, l’un des plus beaux monuments de notre histoire. (Voyez Serm. du P. Le Jeune, serm. ix, tom. î, 1re part., pag. 311; La Boissiere, Carême, tom. 1, pag. 326 ). Molinier : « L’histoire en est trop belle et trop instructive pour ne pas trouver ici sa place. » ( Dans un Sermon sur la communion pascale, Serm. chois., lom.it, 2e part., pag. 190). lien conclut le récit par cette ré-flexion :« S’il se trouvoit encore des Ambroise, il se trouverait encore des » Théodose, qui, à la veille de la grande solennité, repoussés de l’église, » s’en retourneraient pleurer leurs crimes au fond de leur maison. S’il se » trouvoit des prêtres comme ce grand évêque , il se trouverait des péni-״ lents humiliés, qui diraient de ces ministres fidèles : Je n’ai trouve que >· cet homme-là de prêtre ; comme Thcodose, dans une antre occasion, ou ״ Ambroise ne parut pas moins ferme, disoit de lui : Je ne connois que cct ·· homme-là d’évêque : Solum dmbrosium novi episcopum. » ( Ibid., pag- 19J.ll cite encore le même fait au tom. in, pag. 284.)
Tliéodoret nous a conserve les détails de la pénitence , à laquelle l’empe-roui· se soumit. Quoique Théodose se fût abstenu de l’entrée de l’église, il n׳avoit pas encore pratiqué les autres observances des canons sur la pé-nitence publique. Ambroise l’exigea; et le prince accepta toutes les condi-lions. L’archevêque ne leva l'excommunication qu’après qu’elles eurent été fidèlement accomplies. Toutefois, Théodose ne fut pas encore admis dans le lien saint, à la manière accoutumée avec les autres fidèles, mais seulement dans l’état de prosterné. Aussitôt, et de son propre mouvement , dépouillant les ornements impériaux, il se prosterna sur la terre , qu’il ar-rosa de ses larmes; et se frappant la poitrine, il commença de prier, et répéta long temps, dans l’amertume de son cœur, ces paroles de David : Je suis demeuré étendu sur le pavé, ô mon Dieu , rendez-moi la τίβ selon *vos promesses. Cependant le peuple fondoit en larmes, et prioit avec son pieux empereur. Plus attendri que personne, l’évêque crut pouvoir, dans cette conjecture, se relâcher des règles ordinaires, qui n’accordoient qu’à la mort la grâce de la réconciliation pour le crime d’homicide. L’illustre pénitent n’en eut qu’une douleur plus vive de sa faute tout le reste de sa vie. ( Théodoret, Hist, ecclés., lib. v, cap. xvn; Bérault-Bercastel, Hist, de Γ Eglise, tom. 11, pag. 568 , 569. )
A Eugène. (1)
(1) Après le meurtre de Valentinien, le comte Arbogastc décora de la pourpre impériale Eugène, simple professeur de belles-lettres, avec lequel il s’avança jusqu’à Milan. Saint Ambroise, pour ne pas l’y rencontrer, sortit de cette capitale, et alla jusqu’à Bologne.
Le motif qui a déterminé ma sortie de Milan , c’a été la crainte du Seigneur, à qui je rapporte, au-faut que je ]e puis, toutes mes actions , accoutume que je suis à diriger vers lui chacune de mes pensées, à n'estimer la faveur d’aucun homme plus que la grâce de Jésus-Christ. Ce n’est point manquer aux hommes que de préférer Dieu à tout. Plein de cou-fiance en lui, je ne crains pas de parler en présence des maîtres du monde le langage de la vérité. La meme bouche qui ne sut jamais la dissimuler aux autres empereurs, n’hésitera pas davantage à vous la dire.
On vous a demandé le rétablissement de l’autel de la victoire , et la restitution des revenus des tem-pies consacrés au culte du paganisme ; vous avez fini par l’accorder.
La dignité impériale vous revêt d’une grande puissance ; mais pouvez-vous oublier aussi quelle est celle de Dieu ? Vous ne permettez pas que l’on vous trompe; prétendriez-vous pouvoir tromper Dieu? Quelques instances que l’on ait pu faire auprès de vous , vous auriez dû résister, et ne pas céder ce que vous ne pouviez autoriser sans une violation sacrilège de la loi divine.
Nous ne trouvons pas mauvais que votre libéralité s’exerce envers qui vous voulez ; mais nous sommes les interprètes de la loi. Comment ferez-vous vos offrandes à Jésus-Christ? Tout ce que feront les païens vous sera imputé, l out empereur que vous êtes , vous n’en êtes pas moins le sujet de Dieu.
Vous avez pu croire que si je m’éloignois de Mi-lan, c’étoit par la pensée que Dieu vous refuserait son assistance. Non? prince, je n’ai pu m’y mépren-dre, ni oublier à ce point vos excellentes qualités , et présumer que Dieu vous refusât le secours né-cessaire pour défendre l’empire romain contre les invasions d’un barbare usurpateur. A peine informé que celui dont j’avois cru devoir éviter la présence n’y était plus, je me suis empressé d’y revenir.
Vous me demandez des actions de graces en l’honneur de Dieu qui vous a donné la victoire.
Ne doutons pas que le sacrifice offert au Seigneur par un prince aussi pieux que vous l’êtes ne soit agréable à ses yeux. Les autres empereurs signalent leurs victoires par des arcs de triomphe ; vous, vous en faites hommage au Seigneur en demandant l’oblation du sacrifice , et de l’action de grâce, par les mains des prêtres. En conséquence, «j’ai porté avec moi votre lettre à l’autel ; je l’ai déposée sur l’autel, et l’ai tenue dans ma main en offrant le sa-crifice, afin que votre foi parlât par ma voix, et que les caractères écrits fissent en quelque sorte les fonctions sacerdotales (1) ».
(1) Traduit par D. Ceillicr, tom. vu, pag. 55.
( Analyse. )
Réponse à la question : Si les juges chrétiens peuvent condamner à mort.
Saint Ambroise la résout par l’affirmative ; il allègue l’autorité de saint Paul , déclarant que c’est pour cela que les juges de la terre portent l’épée, et qu’ils sont établis ministres de Dieu pour punir celai qui fait mal. Il ajoute que l'Église n’a jamais cru devoir leur interdire l’usage du glaive , ni les retrancher delà commuion , pour s’en être servi, de peur que l’impunité du crime ne le fit commettre avec plus de liberté. Néanmoins il con-seille à Studius et à tous les magistrats chrétiens de ne point user de ce pouvoir, louant ceux qui s’en abs-tiennent, dans la vue d’imiter la clémence du Sauveur, dans le jugement qu’il rendit à l’égard de la femme adul-tère. Conduite bien différente de celle des évêques ithaciens, qui solliciloient avec ardeur la mort des Priscillianistes (1). Le saint évêque s’élève avec force contre l’excès d’un zèle pharisaïque, aussi répréhensible que l’excès de l’indulgence. C’est le même esprit de charité évangé-lique qui a dicté à Bourdaloue les 2e et 3e parties de son sermon sur le zèle (2) , ou il s’appuie si judicieusement de l’autorité de saint Ambroise et d’autres docteurs.
(1) Vo)cz plus bas, arliolc Saist Mautin de Tours.
(2) Cdirtne , loni. 11, pag. 147
A Faustin, pour le consoler de la perle d’une sœur qu’il aimoit.
Saint Ambroise condamne l’excès de sa douleur.
Ce qui adoucissoit, uses derniers moments, l’amertnme de la séparation, c’étoit la confiance que vous lui surviviez pour la remplacer auprès de ses enfants ; vous leur refusez l’appui qu’elle leur promettoit de votre part. Ces chers enfants attendent de vous que vous soulagiez leur affliction ; non que vous l’aggraviez par votre désespoir... En mourant, elle a subi la loi commune, non pas aux hommes seulement, mais aux cités, mais au monde tout en-tier... Que sont-elles devenues toutes ces nations si célèbres de l’Afrique et de l’Asie, et leurs fameuses villes. Memphis, Ninivc, Thèbes, Corinthe, Babylone, Athènes, Pahnyre et tant d’autres, dont nos plus brillantes cités ne sont que de foibles images? Le temps a dévoré jusqu’à leurs ruines (1). Elles ont péri pour ne se relever jamais; celle que vous pleurez ne vous est enlevée que pour renaître un jour à une vie meilleure.
(1) L’ancien évêque de Senez, sur le néant des choses humaines , Serin,, tom. 1 pag. 127. Non igitur semirutaruin urbium cadavéra , ter-rarumque sub eodeni conspectu eupost ta fanera non te admonent unius sanctœ etadmirabilis fxnùnx decessionem consolabiliorem habendatn.
Ah! mon frère, réglez-vous jusque dans votre douleur : toute violente qu’elle est, soyez équitable et chrétien. Dieu vous a ôté une sœur qui vous étoit plus chère que vous-meme : priez pour elle, et pleurez sur vous; pleurez sur vous, parce que vous êtes un pécheur , encore exposé aux tentations et aux dangers de cette vie ; et priez pour elle , afin de la délivrer des souffrances de l’autre (1). Voilà le zèle que vous devez avoir; car voilà ce qui lui peut ser-vir, et de quoi elle vous sera éternellement redevable.
(1) Itaque non tam deplorandam quàm proseqnendani orationibus reor: nec mœstificandam lacrjnûs tuis, sedmagis oblatiouibus animani ejns Domino commcnda'ndam arbitrai׳.
A Orontien.
( Extraits. )
« Qu’il est rare de rencontrer un chrétien qui n’ait que très peu de commerce et de familiarité avec son corps , qui n’ait aucune société avec les vices ; qui ne soit pas sensible à ce qu’il y a de plus agréable et de plus doux dans les caresses et les flatteries ; qui, se voyant dans l’élévation de la plus pompeuse pros-périté, ne regarde pas avec dédain ceux qui sont au-dessous de lui ; qui ne se laisse pas abattre par la tristesse ; qui ne s’oppose pas aux louanges qu’on fait en sa présence des personnes de piété, en dimi-nnant leur réputation et leur mérite ; qui soit au-dessus de toute sorte d’ambition , et du désir de la gloire ; qui éloigne, au fond de son eœur , tout ce qui pourrait y allumer des passions basses et terrestres par l’avarice et l’amour des choses périssables ; un chrétien, dont l’âme ne soit ni ébranlée par la douleur , ni abattue par les outrages les plus igno-minieux , ni tourmentée par l’impureté, ni terras-sée par les passions grossières et corporelles, et qui ne sorte jamais de son calme et de son repos par la recherche des vanités séculières , ni parle goût des délices terrestres. Ajoutez la chasteté , la sobriété , la tempérance.........Figurez-vous un homme qui peut sans peine réprimer les mouvements les plus impétueux des plus violentes passions : qui saitino-dércr ses cupidités et ses désirs , qui a assez d’équité pour éclaircir les affaires obscures et embarrassées, et pour régler avec un esprit tranquille celles qui sont douteuses et incertaines ; capable mémo de remporter la couronne du martyre lorsque l’occasion s’en présente, sans que la crainte, qui est une mau-vaisc conseillère , puisse l’en détourner. Dieu le rangera non-seulement parmi scs amis, mais parmi scs enfants, pour le mettre en possession du céleste héritage , et des richesses dosa propre gloire (1).
(1) Traduit par l'auteur dulhre intitulé : Tableau d'un vrai chrëâen , pag. 35—3;.
Si le premier homme, sorti d’une terre vierge encore , placé dans le Paradis où il s’entretenoit familièrement avec Dieu , a succombé si facilement ; combien la pente qui nous entraîne au vice n’est-elle pas devenue plus glissante sur une terre vieillie dans le crime!
J’apprends que Paulin, renonçant aux brillantes espérances que lui donnaient l’illustration de sa maison, et l’opulence de sa fortune, s’est retiré à Noie pour y faire une profession ouverte de la foi évangélique ; que Thérasie, sa femme, a suivi l’exempie de son époux. Que diront à cela les grands du siècle? Sacrifier, avec tant d’avantages, l’espérance d’une postérité, cela se conçoit-il?.
Je ne vois pas, sans un vif sentiment de douleur, que l’on donne tant de zèle pour les intérêts de la vanité , si peu pour ceux de la vérité, au mépris de l’oracle : Si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l'homme rougira aussi de lui.
Ce n’étoient pas ni Moïse, ni David, ni Elie qui rougissaient de paraître aux yeux des hommes dans un extérieur négligé. Ce qui semble déshonorant aux yeux des hommes, est respectable à ceux de la religion.
Vous m’avez mandé que, vous sentant dangereusement malade, vous aviez cru en Jésus-Christ, et que vous vous étiez trouvé aussitôt soulagé. Cette maladie vous avoit été donnée pour votre salut, et l’oracle s’est vérifié en votre personne : Je frapperai, et je guérirai. Le Seigneur vous a envoyé l’aiguillon de la souffrance pour forcer vos résistances, et ter-miner les combats secrets dont votre cœur étoit agité.
Il l’exhorte à garder fidèlement ces premières semences de la foi, pour qu’elles fructifient; et à se disposer à la participation des saints mystères qui l’attendoient dans l’église , pour y goûter la manne cachée de ses sacrements.
A l'évêque Marcel, sur un différend élevé entre lui et son beau-frère.
Dans les choses du siècle, le prêtre profite plus à perdre qu’à gagner. Vous direz : J’étois lésé ; on m’a fait une injustice, je n’ai pas dû le supporter. Aimeriez-vous mieux l’avoir faite? A tort ou à raison, votre partie adverse en auroit dit autant. Que vous répond l’Apôtre? Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt l'injustice ? C’est à peu près la même chose, de la commettre ou de ne pas la supporter. C’est à celui qui est le plus fort à céder.
L’Eglise paroissoit la plus lésée ; mais saint Ambroise répond qu’elle ne perd rien , où la piété trouve son avantage (1).
(1) Meliora ttlîque saccrdot'ihus damna quant Ittcra sccctdi sttttl.
« Jésus-Christ nous apprend à regarder la charité non pas comme une perte, mais comme un gain. Ne craignez donc pas que l'Eglise soit privée de votre libéralité; elle fait chez vous sa moisson, et avec plus d’abondance qu’en aucun endroit. Elle y re-cueille les fruits de la pureté de votre doctrine , elle y reçoit les fruits de la sainteté de votre vie, elle y trouve la fécondité en bonnes œuvres que produit la rosée de vos bonnes instructions. Enrichie de ces grands revenus, elle ne vous demande point des biens temporels, parce que vous lui en procurez d’é-ternels. Jésus-Cbrist ne peut rien posséder de plus digue, de lui, que les vertus du pasteur de son troupeau, et surtout la charité et la paix (2) ».
(2) Traduit par D. Oillier , tom. v״t, pag. 558.
Conseils a un évêque nouvellement élu.
Après l’avoir engagé à faire de l'Ecriture une étude profonde, assidue, comme étant la véritable source de l’éloquence du prédicateur:
Que vos discours aiment à se répandre comme elle; qu’ils manifestent parleur pureté et leur trans-patence la source d’où ils émanent ; par là vous intéresserez votre auditoire dans le développement des préceptes de la morale ; vous charmerez a la fois les oreilles et les cœurs. Votre peuple; docile à ces douces insinuations, vous suivra de lui-méme par-tout où vous voudrez le diriger. Que s’il venait à s’y rencontrer quelque esprit rebelle, soit par ignorance, soit par de secrets remords ; votre langage , devenu plus véhément, ne doit pas craindre d’enfoncer l’aiguillon, afin d’éveiller cette conscience perverse ou endormie.
D’autres fois, à l’exemple de l'Apôtre, ne donnez que du lait à ceux qui, trop faibles encore, et pareils à des enfants à qui il ne faut que des sucs lé-gers et délicats , ne pourraient supporter un aliment plus substantiel.
Que vos discours soient clairs, à la portée de tous ; que toutes les pensées y brillent d’un éclat naturel, de telle sorte que, soit que vous parliez, soit que vous écriviez , il ne leur faille point d’interprète ni de commentateur. Votre langage doit se soutenir par sa propre force. Rien d’oiseux , rien qui soit vide de sens.
Quant à ces pécheurs dont l’âme est en proie à des ulcères rongeurs , employez pour les toucher l’onction des paroles , seule capable de vaincre leur endurcissement, de les ramener dans leurs incerti-tudes sur la foi, de les plier au joug du devoir, et de les empêcher de péril'.
Exhortez, conjurez les fidèles d’abonder en bonnes œuvres ; de s’abstenir de tout désordre, d’éviter tout ce qui peut allumer les passions ; indiquez , commandez les sages institutions , les pratiques sa-lutaircs. Insistez sur la fuite de tout ce qui est ma-tièrc de reproche ; dût-on même n’avoir jamais à en craindre de la part des hommes. Répétez bien que l’on a beau s’enfermer sous d’épaisses murailles , s’envelopper de ténèbres, se reléguer loin de tout té-moin ; toujours est-on sous l’œil d’un juge auquel il est impossible d’échapper, à qui pas une de nos actions ne sauroit demeurer cachée. Il y avoit dans le sang même versé au désert une voix qui montoit Ccn. 0! .·״. jusqu’à lui. Dites-leur sans cesse que chacun de nous porte avec soi un tribunal sévère qui le juge et le punit du mal qu’il a fait. Que personne donc ne se permette solitairement, ou avec d’autres, rien de ce qui blesse la conscience ni la loi de la justice.
Vous êtes seul? raison de plus pour craindre d’avoir à rougir ; personne que vous deviez respecter plus que vous-même (1).
(1) Et si quts solus est, se ipsum præ cateris erubescat, qtiem maxime débet vereri.
... Rien qui doive plus exciter la sollicitude épiscopale que les mariages proposés avec un infidèle. Source féconde de désordres cl de dissensions, ces sortes de mariages sont autant de profanations du sacrement. Puisque l’alliance nuptiale doit cire sanctifiée par l’imposition du voile que les mains du pontife placent sur la tête des époux, et parla bé-nédiction qu’il leur confère ; comment peut - on donner le nom de mariage à ce qui n’est pas cimenté par l’union dans la meme foi? Quelle communauté de prières, quelle association de charité peut-il exis-ter entre deux époux de culte différent (1)? Aussi combien n’a-t-on pas vu d’apostasies occasionées par l’excès de tendresse donnée à une femme ! Témoin ce Juif marié à une Madianite , dont Phinées fit une justice si sévère ; témoin Samson, à qui son amour pour une étrangère devint si funeste.
(1) Cum ipsum conjugium melamine sacerdotali et henedictione sancti-ficarlbporteat, quomodo potest conjugium dicipibinon estfidei concordia? ( uni oratio communis esse debeat י quomodo inter dispares devotione po~ test esse conjugii communis caritas ?
Dans cette même lettre, saint Ambroise combat l'usure avec force ; et presse l’évêque Vigile d’op-poser toute la rigueur sacerdotale aux progrès du mal que ce vice causait dans l'Eglise chrétienne. Les motifs qu’il apporte sont ceux que nous avons vus rapportés dans son explication du livre de Tobie (2) ; savoir : que l'Ecriture défend l’usure; qu’elle promet la gloire éternelle à celui qui en prêtant ne l’a point fait à usure ; que c’est tromper son frère et abuser lâchement de son indigence; que des peuples entiers ont été souvent ruinés par l’usure, et que ce désordre a été plusieurs fois la cause du renversement des Etats : c’est pourquoi notre principale occupation, à nous autres évéques, doit être de retrancher ces sortes de déréglements qui commencent à se répandre et qui en ont déjà corrompu plusieurs (1).
(2) Voy. plus haut, pag. 98 el suiv.
(1) 2V072 dabis pecuniam tuam ad usur am , quoniam scriptum est quod is qui pecuniam suam non dédit ad usuram, habitabit in tabernaculo Dei; nam ilte supplantatur qui usurarum captat emolumenta. Itaque -vit· chris-tianus,si habet; det pecuniam quasi non recepturus; aut certe sortent quam dédit recepturus. Habet in ea non mcdiocrem gratiæ usuram..... Popcli sæpe conciderunt foenore , et ea publici E.X1T11 causa ExSTiTiT. Unde nobis sacerdotibus idprœcipuè cura: sit, ut ea Titia resecemus, quie in plurimos videntur serpere.
( Analyse. )
Deux lettres sur cette maxime si vivement débattue dans les écoles, qu’il n’y a que le sage qui soit vraiment riche et vraiment libre; d’après les paroles de l’Apôtre : Vous avez été rachetés d’un grand prise ; ne vous rendez pas esclaves des hommes. Le saint évêque y soutient que les philosophes païens qui l’ont tant vantée, ne l’ont connue que par l'Ecriture Sainte , d’où leur est venu tout ce qu’ils ont de bon dans leurs écrits. Il établit, par des témoignages tirés des livres saints, que la sagesse et la liberté consistent dans l'affranchissement des passions ; et montre, par l'exemple des martyrs Thècle, Agnès , Pélagie et Laurent , combien les sages , les héros du christianisme sont au-dessus des grands hommes si célèbres chez les païens. La pensée du Ciel élevoit nos martyrs au-dessus des souffrances (1).
(1) Le P. de La Rue .־ « Cette espérance des biens célestes, dans les pre־ miers temps de l'Eglise , faisoit courir même les plus tendres enfants à la mort : Ad mortem quasi ad immortalitatem festinaverunt. A peine main-tenant ose-t-on songer à la mort, dans les plus grands dégoûts de la vieillesse; et on pense, faire un grand sacrifice à Dieu , si l’on commence à espérer en lui quand on n’a plus rien à espérer dans le monde. » ( Panégyr., tom. 1, pag. 36ד. )
··· .Otez l’espoir de la récompense, quelle vierge ,chrétienne voudra l’être? quelle veuve , à qui vous aurez fait croire quelle n’a point de fruit à attendre de son veuvage, préférera passer tristement ses jour-nées solitaires, plutôt que de se reposer sur la foi d’un plus heureux avenir? Persuadez à une épouse que la fidélité conjugale est indifférente ; en est-il une seule qui voulût être chaste au prix des combats que lui coûtent ses sens ou son imagination?
Vous voulez être riches! faites-vous pauvres: avec la pauvreté d’esprit que l’Evangile commande, vous aurez tous les biens. On n’est pas riche pour avoir un tiros revenu , mais le cœur au-dessus de sa richesse : iVon census divitem, sed animus Jacit. C’est, dites-vous, une nécessité d’aveir du bien ; je ne connois rien de plus nécessaire que de con-naître ce qui ne l’est pas. Ce n’est pas que la richesse soit blâmable en soi. Le Sage a dit : C est par la richesse que l’homme rachète son ame. \ ous vous rachetez en donnant au pauvre.
Il n’appartient pas à tout le monde de dire : Le Seigneur est mon partage. L’avare n’est pas endroit de parler ainsi ; car l’avarice qui est en possession de son cœur vient lui crier : Tu es à moi ! je tai mis sous mon joug ; tu es mon esclave ; tu t es vendu a moi pour cet or, pour cette terre. Le voluptueux ne peut pas dire : Jésus-Christ est mon partage ; car la volupté vient lui dire : Tu es à moi; j’ai fait de toi ma conquête à tel repas ; je t’ai pris dans mes filets, et marqué de mon sceau comme étant ma propriété. Ne te souvient-il plus que tu mettois ton bonheur à être à table ? C’étoit-là ta vie , tes délices, ton être tout entier. L’adultère ne peut pas dire :
Le Seigneur est mon partage ; car l’impureté vient lui crier : Tu t’es abandonné à moi par cette folle passion dont tu t’es laissé prendre. Le cœur perfide ne sauroit dire : J’ai fait de Jésus-Christ mon par-tage, sans que le démon ne vienne aussitôt réclamer son bien , en s’écriant : Seigneur Jésus , il vous trompe , car il est à moi.
Tom. 11, part. n,pag. 752 et suiv., édit. Bénédict.