( Analyse et extraits. ) (*)
(*) Edition des Bénédictins, tom. τ, 2e part, τ, pag. 1 et suiv.
Nous avons deux traductions françoises du livre des Offices de saint Âmbroise; l’une par Jacq. Tigeon , Angevin , cliauoincde Metz, imprimée a Rouen , 1<>o6 , écrite dans un style suranné , mais conservant la naïveté du vieux Gaulois ; l’autre par l’abbé de Bellegarde, xol. in-8". , 1689.
Livre premier. — C’étoit une opinion répandue parmi les philosophes , que la Divinité , contente d’avoir im-primé une direction générale au mouvement de l’uni-vers , ne daignoit pas descendre dans les détails d’une providence particulière. Saint Ambroise établit que rien n’échappe à la connoissance de Dieu ; que le Créateur tout-puissant, qui pouvoit sans injustice ne pas tirer du néant tant de créatures diverses , n’a pu les abandonner après les avoir créées. Il n’est pas moins absurde de dire que celui qui a donné à l’homme des yeux et des oreilles , soit lui-même sans yeux et sans oreilles, à l’é-gard des choses d’ici-bas , et qu’il ne connaisse ni les passions , ni les mouvements , ni le prix des choses à qui il a donné l’être.
Il n’est pas d’homme qui ne connaisse les parties foibles de son ouvrage; et Dieu ignorerait le sien? L’œuvre vaudroit donc mieux que l’ouvrier? Le Tout - Puissant aurait donc laisse échapper de ses mains un ouvrage qui lui serait supérieur, sans qu’il en connût le mérite? Si la lumière du soleil pé-nètre dans les lieux les plus obscurs; peut-on rc-fuser à Dieu la connaissance des pensées et des in-clinations des hommes? Et peut-on dire que Dieu, qui a gratifié ses créatures de tant de vertus et de qualités si excellentes, manque lui-même de lu-micre et de vertus pour les connaître?
Ce qui amène une apologie détaillée de la Providence, tant universelle que spéciale.
Commentant ces paroles de l'Ecriture : IL y a un temps de se taire , et un temps de parler. (Eccle. ni. 7.)
Si nous devons rendre à Dieu çompte d’une parole inutile, nous pourrions bien aussi avoir à lui rendre compte d’un silence affecté et infructueux. David ne se fit point une loi de ne parler jamais , niais de ne parler qu’avec réserve. Si nous voulons ne point pécher en cette matière, imposons à notre langue une espece de joug qui la rende plus docile à l’esprit. Que nos paroles soient pesées dans la ha-lance de la justice : gravité dans le sens , poids et mesure dans l’expression. Cet emporté qui vous pro-voque , voudrait bien trouver dans vous quelqu’un qui lui ressemble.
La meilleure méthode pour déconcerter ceux qui nous outragent par leurs paroles, c’est de ne rien répondre ; par là ils se croiront vaincus. Telles sont les armes de l’homme de bien : il vainc en cédant. On triomphe souvent de ses ennemis par une fuite bien concertée, et l’on porte des coups plus dange-reux à ceux qui nous poursuivent.
Comment la modestie chrétienne doit régler le langage, la marche, les regards, et en général toutes les actions.
Eviter les fréquentes visites.
Quelle nécessité de fournir des prétextes à la ma-lignite, d’autoriser, par son propre exemple, la réciprocité de tant de visites oiseuses ?.....Vous ne ferez point de chutes, soit ; mais vous serez soup-conné. Le prêtre n'a-t-il pas assez de la compagnie de Jésus-Christ, sans en rechercher d’autres qui l’engagent à des rencontres dangereuses, telles que festins profanes, conversations inutiles?
La vie des anciens patriarches lui fournit les modèles des vertus principales de prudence , de temperance , de justice et de force. Cequi lui donne occasion de traiter de chacune d’elles en particulier. Citons quelques pas-sages :
Si la justice a quelque chose de sublime , la libéralité a quelque chose de plus engageant. Ce n’est pas assez de vouloir, ni même de faire du bien aux antres, il faut le faire de bonne grace.
Ce n’est pas une libéralité louable que de fournir aux méchants de quoi fournir à leurs criminels desseins.
Qui ne repousse pas, quand il en a les moyens, l’injustice faite à un autre, n’est pas moins coupable que l’agresseur lui-même.
« Se venger, n’est pas une action de force ni de grandeur , mais de bassesse et de lâcheté (1). »
(1) Traduit par Montargon, Dictionn. apostol., tom, r, pag. 202.
La force, qui semble être la plus sublime des vertus, est nécessaire dans les affaires privées et domestiques, comme dans les actions militaires.׳ Elle doit être nécessairement accompagnée de la, justice, sans quoi elle n’est plus qu’un brutal emportement, ou une aveugle opiniâtreté. Les héros du christianisme, sans armées et sans légions , ont triomphé de la cruauté des tyrans, ils ont adouci les lions, ôté au feu son activité, émoussé la pointe des épées.
Exemples de Job, d’Éléazar , de sainte Agnes , da diacre saint Laurent.
La véritable force consiste à se consoler dans les adversités, à se surmonter soi-même, à réprimer les saillies de la colère, à ne se laisser pas amollir par les plaisirs, ni abattre par les disgrâces, ni en-fier par la prospérité elle consiste à dompter les révoltes de la chair pour l’assujettir à l’esprit, à se mettre au-dessus des richesses, des honneurs et des plaisirs, à ne s’attacher qu’aux, biens solides, ceux delà vie éternelle(1)..... La tempérance consiste dans la tranquillité d’esprit, dans la modération des passions, dans la retenue et dans une certaine bienséance. Travaillera se bien connoître soi-même, pour n’être ni au-dessus, ni au-dessous de ses obli-gâtions.
(1) Saint Ambroise, an premier livre de ses Offices, dit « que toute la force d’un chrétien consiste à vaincre ses passions , et se parer si bien de tous leurs coups , qu’il n’en soit jamais blessé. » Cicéron ou Panætius , si l’on veut, Aristote l’ont dit ; mais Job l’avoit dit avant eux , et l’a mieux prquvé par son exemple : <« Qu’y a-t-il de plus glorieux à l’homme que d’assujettir tous les désirs de sa chair à l’empire de sa raison , cl sa rai-son aux lumières de la foi?״ ( Laur. Chesnard, sur la tyrannie des pas-siens, Scrm., tom. nr, pag. 1g5 , 1g3. )
Le choix des personnes avec qui l’on doit lier commerce est d’une extrême importance; il con-vient de n’en avoir qu’avec des gens d’une probité reconnue, et que leur âge rend déjà recommandables. La compagnie des égaux donne plus de dou-cour et d’agrément ; mais celle des personnes plus âgées est bien plus sûre. Les mœurs se façonnent in-sensiblementdansles conversations avec des hommes dé mérite.
Chaque précepte est fortifié par des exemples em-pruntés , soit à l’ancien, soit au nouveau Testament.
Ce qu’il dit de la vie sérieuse des chrétiens est re-marquable :
Encore qu’il y ait des divertissements innocents et honnêtes, le plus sûr est toujours de s’en abstenir, comme étant contre la règle de l'Eglise. Nous est-il permis de pratiquer ce dont nous ne trouvons point l’exemple dans les Livres saints? Malheur a vous qui riez j dit Jésus-Christ. Des chrétiens peuvent-ils avoir sujet de rire , quand il y a tant d’occasions de pleurer? Saint Ambroise conclut qu’il faut éviter non - seulement les divertissements outrés ? mais toute espèce de divertissements(1).
(1) L’abbé Clément presse le même raisonnement dans un sermon con-tre les spectacles , toujours en s’appuyant de l’autorité de saint Ambroise. ( Carême , tom. n, pag. 181.)
Non solum profusos , sed omnes etiam jocos declinaiidos arbitrer. Bossuet traduit par le mot plaisanterie. ( Réflex. sur la comédie , tom. vit, pag. 687.) Voici comme il en parle : « Saint Thomas cite un passage du « livre des Offices, où saint Ambroise, sur ee qu’on appelle joca , l'aille* » ries ou plaisanteries, mots qui font rire, commence par observer qu’il » u’a rien adiré sur eette partie des préceptes et de la doctrine des gens du » siècle, de jocandi disciplina: c’est un lien, dit-il, à passer pour nous, » nobis prœtereunda , et qui ne regarde pas les chrétiens ; parce que en-י core, continue-t-il, qu’il y ait quelquefois des plaisanteries honnêtes et » agréables, licet interdum joca honesta ac su avia sint ; à cause, dit-il , » que nous ne pouvons pratiquer ce que nous ne trouvons point dans les » Ecritures : Quœ in scripturis sanctis non reperimus ea quemadmodum » usurpare possnmus ? En effet, il est bien certain qu’on ne voit pas dans » les saints livres aucune approbation, ni aucun exemple autorisé de ces » discours qui font rire, en sorte que saint Ambroise, après avoir rapporté » ces paroles de Notre Seigneur : Malheur à vous qui riez , s’étonne que » les chrétiens puissent chercher des sujets de rire : Et nos ridendi mate-» riam quarimus ut lue ridentes illic fleamus? Où l’on pourrait remar-·· quer qu’il défend plutôt de les chercher avec soin , que de s’en laisser » recréer quand on les trouve; mais cependant il conclut qu’il faut éviter, » non-seulement les plaisanteries excessives, mais encore toutes sortes de » plaisanteries : Non soliim projusos , sed omnes ctiam jocos declinandos » arbitrer ; ce qui montre que l'honnêteté qu’il leur attribue, est une hon->־ nêteté selon le inonde, qui n’a aucune approbation dans l'Ecriture, et qui, » dans le fond , comme il dit, est opposée à la règle. »
Le second livre traite particulièrement des moyens d’être heureux. (Saint Ambroise, après avoir discuté les opinions des philosophes, tant anciens que mo-denies, sur le bonheur, qu’ils réduisoient aux af-fectionset aux avantages du monde présent, le fait consister dans la connoissance de Dieu, dans la pratique des bonnes œuvres et l’innocence de la vie.) Cette félicité ne s’altère ni par la douleur, ni par les privations; bien loin de l’augmenter, les plaisirs et les biens de la fortune ne font, dit-il, qu’y mettre obstacle.
C’est à bon droit que l’on demande que le peuple soit juge et témoin de toutes nos actions, pour ne point lui donner occasion de me'dire de notre mi-nistèrc. La louange donnée au ministre exact à ses devoirs, remonte jusqu’au Maître lui-même.
Saint Ambroise n’accorde le nom de biens qu’à ceux qui nous amènent à la vie éternelle ; ce qa’ii justifie par l’exemple de Jacob, de Joseph , de Job et de David, Eloge de la charité. Ce que c’est que d’être libéral. Avantages de l'aumône. Règles et conditions de l’au-mène chrétienne , tracées avec une sagesse , qui mérite d’être remarquée. Nous verrons quel usage Bourdalouea su faire de ces leçons (1).
(1) L’éloquent jésuite u’esl pas le seul qui en ait profité. La plupart de nos prédicateurs ont appuyé du nom et des textes de saint Ambroise , ce qu’ils ont dit de ce devoir de la vie chrétienne. Les conseils qu’il donne ici sur l’usage de la bienfaisance, ont fourni à l’ancien évêque de Scuez l’idée et la matière d’un de ses plus beaux discours sur la dispensation des bienfaits.
Il doit y avoir une mesure dans la libéralité, de peur qu’elle ne devienne inutile ; et cette discrétion doit être principalement observée par les évêques et les pasteurs, afin que cette vertu ne tourne pas à la vanité, mais à la justice. Il y a trop souvent une avi-dite' insatiable delà part de ceux qui demandent. Il se présente à nous des hommes forts et vigoureux ; d’autrefois, ce sont des vagabonds qui sollicitent des secours auxquels les vrais indigents ont seuls des droits; ceux-là ne se contentent pas de peu : ils sont exigeants, impérieux. Vous les voyez bien vêtus ; c’est un artifice pour faire croire qu’étant gens de naissance et de condition, il leur faut des aumônes bien plus considérables, et mettent ainsi à contribution la simplicité et la bonne foi. Il faut de la réserve dans ses libéralités à l’égard de cette espece de demandeurs ; c’cst assez qu’ils ne s’en retournent pas sans avoir rien reçu ; il ne faut pas non plus qu’ils dérobent aux vrais nécessiteux la part qui leur étoit destinée. Telle est la mesure que nous devons garder. Ne pas manquera l’buma-nité à l’égard des premiers ; et satisfaire à la néces-sité à l’égard des autres. Il y en a qui se disent acca* blés de dettes. Commençons par vérifier s’ils disent vrai. Ils nous parlent de vols qui leur ont été faits ; prenons des informations, allons aux enquêtes, afin de ne pas compromettre notre libéralité. Avec celte sage discrétion, on n’a point à craindre d’etre avare envers personne ; on est libéral envers tous. Ayons non-seulement des oreilles pour entendre les de-mandes que l’on nous adresse, mais des yeux pour considérer et connoître les besoins. 11 y a dans la faiblesse et l’abattement du pauvre une voix bien plus éloquente que dans ses paroles. Il n’est guère possible toutefois que l’impétuosité de ceux qui crient n’arrache plus que la modestie des autres ; mais il faut savoir se roidir contre les clameurs de l’impudence. Allons voir celui qui ne nous voit point ; allons chercher celui qui rougit d’etre connu. Le captif, qui gémit enchaîné dans son cachot, ne peut venir vers nous ; allons vers lui. Ce malade n’a pas de voix pour se faire entendre ; transportons-nous, du moins dans la pensée, près dcicelitde don-leur. Plus l’on nous verra travailler pour la charité, plus nous deviendrons respectables et chers à nos peuples. Je cannois des pasteurs qui ont toujours d’autant plus d’aumônes à distribuer, qu’ils en ré-pandent davantage.
Le saint docteur ne manque pas d’avertir dans le même ouvrage que
La perfection de l’aumône est delà cacher sous le voile du silence, et de pourvoir si secrètement aux nécessités des pauvres que l’on ne puisse en être loué.
Saint Ambroise continue de traiter des devoirs du mi-nistèrc ecclésiastique, delà justice qui se doit à tous ; ne connoissantde prédilections permises que pour le pauvre.
Le riche se persuade trop aisément que tout ce Pa5· ps’ qu’on fait pour lui est dû à sa qualité et a son mé-rite, et que, si on l’oblige, c’est parce que l’on attend de lui de plus grands services. Le pauvre n’a de reconnoissance à nous offrir que ses bén'édic-lions ; et c’est Dieu lui-même qu’il charge de notre récompense.
De là saint Ambroise prend occasion de parler contre le crime de l’avarice.
« Il est rapporté dans le livre de Josué (çhap. x) que ce grand capitaine, ayant vaincu les armées des ennemis du peuple de Dieu? et que voulant entiè-rement détruire ces rois qui avaient assiégé la ville de Gabaon, il arrêta le soleil dans la rapidité de sa course , Sol contra Gabaon ne movearis ; stetitsol in medio cceli. Et dans un autre endroit, il est dit qu’ayant fait un commandement absolu à toute son armée de ne rien prendre des dépouilles de l’en-nemi : Vos autem cavete ne quidquam contingatis } il se trouva un soldat qui , entraîné par son ava-rice, déroba un manteau d’écarlate : Quoi, s’écrie saint Ambroise, faisant réflexion sur ces deux commandements de ce capitainq, Josué commande au soleil de s’arrêter, et le soleil s’arrête ; il com-mande à un homme de s’arrêter, et cet homme avare ne s’arrête pas : Quid ! solemfecit sistere, ava-ritiam sistere non potuit. Dieu même obéit à la voix de Josué , Obediente Domino voci hominis ; et un misérable soldat lui résiste !Apprenons de là que le cœur d’un avare est quelque chose qui détruit toute la force de la grace (1). »
(1) L’abbé de Bretteville, Essais de sermons , tom. r, pag. 262 , ou plutôt Joli, Dominic., tom. ut, pag. 1g3.La Rue rappelle le même fait (Carême, tom. ni, pag. 46 ו ) ; mais pour n’y voir que les travers d’esprit de l’avare; ce qui affaiblit l’idée de saint Ambroise.
Il veut que pour racheter les captifs , on vende , s’il le faut, jusqu’aux vases sacrés.
Le Dieu qui n’avoit pas une pièce d’or à donner à ses apôtres י quand il les envoya prêcher son Evangile, n’en avoit pas davantage à donner à ses églises quand il les fonda. L’Eglise a de l’or, non pour le garder, mais pour le distribuer aux indigents dans leurs nécessités. A quoi bon garder ce dont on ne fait pas usage? Ne savons-nous pas tout ce que les Assyriens trouvèrent à enlever d’or et d’argent du temple de Jérusalem? Ne vaut-il pas mieux que le prêtre assure les richesses du sanctuaire, en les versant dans les mains des pauvres, que de les ex-poser à devenir la proie d’un insolent ennemi? Le Seigneur nous dira : Pourquoi, sous vos yeux, les pauvres mouroient-ils de faim? Avec l’or que vous aviez, vous pouviez faire l’aumône. Pourquoi tant de malheureux ont-ils subi l’esclavage, la mort même, faute d’avoir été rachetés par un peu d’or?
Il valoit mieux conserver des hommes que des nié-taux. Qu’avez-vous à répondre ? — Falloil-il priver le temple doses ornements? —Mais, répliquera le Seigneur , il n’est pas nécessaire que les choses sa-crées soient revêtues d’or. Ce n’est point avec de l’or qu’on les achète; ce n’est point l’or qui me les rend plus précieuses. Ce qui en fait le véritable prix, c’est de sauver les âmes. Les vrais trésors du Seigneur , sont ceux qui opèrent le même effet que son sang.
Ce qui fait bien reconnoitre que ce sont là véritable-ment les vases où le sang de Jésus-Christ est con-tenu; c’est quand on les voit servir à une double rédemption; «en sorte que le vase extérieur rachète de l’ennemi ceux que le sang du Sauveur a rachetés du péché (1). »Quel triomphe pour l'Eglise d’enten-dre dire : Ces troupes de captifs ont été affranchies par Jésus-Christ ! Voilà l’or remis au creuset, l’or utile, celui qui appartient à Jésus-Christ, par le-quel il affranchit de la mort, protège la vertu , garantit et sauve la chasteté.
(1) Traduit par Senault, Panégyr., tom. 11, pag. 242.
L’on sait que saint Ambroise avoit commencé par en donner l’exemple, pour racheter les captifs de Thrace et d’Illyrie (2). Le saint évêque ne craint pas de le rappeler ici, en avertissant que sa conduite avoit été mal inter-prêtée; et il se justifie par l’exemple du diacre saint Laurent, dont il rappelle l’histoire (3).
(2) Tillemont, iïlém,, t. x, p. Tir. D. Ceillier , Hist., t. vu , p. 333.
(3) Saint Augustin suivit à son tour ce noble exemple, parce que , dit sonhistorien Possidius, saint Ambroise, cet évêque de sainte et respectable mémoire, l’avoit prêché dans ses livres et mis en pratique. ( In t'it. S. August., chap. χχιν. )
Le tyran lui ayant demandé les trésors de l’église, Laurent promit de les lui faire voir. Le lendemain, il amena les pauvres. Interrogé où étoient les trésors qu’il avoit promis, il montra les pauvres, en disant: Voici les trésors de l’Eglise ; vrais trésors en effet, et les plus précieux de tous, que ceux qui contiennent Jésus-Christ en personne ! car c’est de ceux-là qu’il a dit : J’ai eu faim , etc. Trésors qu’il n’étoit pas au pouvoir du tyran d’enlever. Qui peut dire :
Pourquoi faut-il que ce pauvre vive? Qui peut se plaindre pourquoi des captifs ont été rachetés ? Qui peut reprocher qu’on a édifié le temple de Dieu ?
Le troisième livre roule plus particulièrement sur la comparaison et la concurrence de l’honnête et de l’utile , qui est en effet pour l’homme social l’épreuve de tous les moments , et la pierre de touche de la probité.
Pour le chrétien, la question n’a rien d’embarras-sant ; il n’y a d’utile que ce qui est honnête , d’hon-nête que ce qui est utile (1). Non-seulement il ne se permettra point de porter à personne le moindre préjudice , mais il ne connaît point d’intérêt propre qui balance, et moins encore qui blesse celui d’un autre. (Cette doctrine est fondée sur les préceptes de l’Apôtre, sur l’exemple de Jésus-Christ, sur l’har-monie du corps social.)
(1) A'ihil bonum , nisi quod konestuni ; nihil beatuni nisi quod a pec-cato alieuuni sit, plenum innocentia:, plenum gratia: Dei.
Qui n’est sage que comme tout le monde ג n’est qu’un sage de circonstance ; il ne l’est que pour lui seul, dans son intérêt, au préjudice de celui des autres. Qui l’est véritablement, s’oublie lui-même^ et n’a en vue que l’éternité; il cherche à être utile,' non à soi ? mais à tous.
Saint Ambroise se propose divers problèmes, qu’il résout conformément à ce principe , auquel vient se ré-duire toute la théorie de l’honnête : Qu'il est contraire à la nature de l’homme cl des choses , c’est-à-dire, à ce c[ui fonde l’ordre social, d’ôter rien à personne de ce qui lui appartient, de lui causer le plus léger dommage , di-rectement ou indirectement, par action ou par omission, de nuire de paroles ou de réticence ; et il résulte de tous les exemples qu’il propose, cette grande vérité usuelle et pratique : que la probité, pour être complète, doit aller jusqu’à la délicatesse, ou , en d’autres termes, que la délicatesse n’est autre chose que la parfaite probité; et que , dans l’esprit de l’Evangile, il n’y a de probité vraie que dans l’exercice de la charité. Par exemple :
L’on vient nous dire : J’ai labouré mon champ avec plus de soin , ensemence mes terres plus abon-damment, je les ai mieux cultivées; elles m’ont bien rendu : j’ai serré mes récoltes, soigné mes greniers, garde pour le besoin. Aujourd’hui que la denrée est chère ; je vends, je soulage la misère , je vends mon blé ; c’est mon bien, non celui des autres : je ne le vends pas à plus haut prix , au contraire, je le donne à moins. En quoi fais-je mal, de venir au secours de ceux qui se trouveroient fort embarrassés si le marché n’avoit rien à leur fournir ? Depuis quand l’industrie est-elle un crime, l’économie un vice, la prévoyance un sujet de blâme? Joseph le· fit bien ; il profita des années d’abondance, pour amasser de quoi vendre dans les années de disette. Ou ne violente personne, on ne force point de payer trop cher. Achète qui veut. Est-éc là faire tort à qui que ce soit?....
Attendez de la terre la recompense de vos travaux; demandez-lui le tribut legitime des trésors quelle épanche. Profitez-en, niais n’en abusez pas pour faire de son abondance une source de calamités. De quel droit enlevez-vous à tous, ce qu’elle produit pour tous? Pourquoi altérez-vous ses bienfaits? Vous avez l’air d’etre dans l’indigence; vous la faites désirer à ceux qui n’ont rien. Exclus des avantages desa fécondité, ils sont réduits à désirer qu’elle fut condamnée à la stérilité, plutôt que de servir uni-quementàdes hommes qui trafiquent de la misère publique. Vous faites vous-même des vœux pour qu’elle soit frappée de sécheresse, pour qu’il y ait di-sotte de grains ; vous ne la voyez produire qu’avec re-grct;vous vous désolez de la commune abondance ; vous contemplez, en gémissant, vos greniers pleins ; vous vous mettez en peine pour découvrir quand les récoltes seront plus ou moins riches. Vous entendez, avec une joie secrète, maudire les fléaux après les-quels votre cœur soupiroit, et qui réduisent tout le reste à la misère. Voilà ce que vous dites être votre moisson à vous : vous triomphez de ce qui fait la matière du deuil public. Vous en félicitez ce que vous nommez votre économie, votre pénétration ; et ce qui n’est qu’un, raffinement de dépravation , vous l’appelez votre ressource ; je l’appelcrai, moi, votre brigandage. Ce que vous gagnez tout seul fait le désespoir de tous.
Vous nie parlez du saint patriarche Joseph : il lit des greniers pour les ouvrir à tous, non pour les tenir fermés ; non pour gagner sur le prix du blé , mais pour en faire une ressource réelle dans l’ave-nir ; non pour sa personne, mais pour prévenir par la sagesse de ses précautions le retour de semblables calamités.
Il s’élève avec la même force contre ceux qui , dans un temps de stérilité, ferment l’entrée de leur ville aux étrangers, comme on avoit fait depuis peu à Rome, d’où l’on avoit même chassé les vieillards, sous prétexte que c’étoient des bouches inutiles; et loue un sage ma-gistrat de la même ville , qui s’étoit opposé avec vigueur aux murmures du peuple , qui vouloit qu’on fit sortir de la ville tous les étrangers durant la famine : « Vous donnez , leur disoit le magistrat, à manger à vos chiens, et vous le refuserez à des hommes !» C’est une barbarie de ne vouloir pas nourrir ceux qui jusque-là vous avoient nourri, et qui ont employé votre vie à vous servir.
Il fait voir combien se déshonorent ceux qui, occu-pés de gains sordides et de vils intérêts, usent de toutes sortes de voies pour amasser du bien , et quelquefois même pour jouir des successions des autres. Il blâme surtout cette avidité dans les ecclésiastiques ; leur fai-sant remarquer de que! opprobre ils se chargent, lorsque, au lieu de laisser aux mourants la liberté de disposer de leurs biens avec jugement et de bonne volonté , ils détournent artificieusement à leur profit des héritages auxquels ils n’avoient pas de droit. Dona queeruntur, non spolia י avoit-il dit ailleurs.
Le devoir du prêtre, c’est de vouloir être utile à tous. Je dis vouloir ; car le pouvoir toujours, n’ap-parvient qu’à Dieu (1).
(1) Sacerdotis est igltar nulli nocere ,pro des se relie omnibus ; posse nutem solius est Dei.
Il ne veut pas qu’on promette rien qui ne soit légi- Pag. !2(·. time, ni que l’on se croie tenu d’observer un serment in-juste. Dans ce cas , il y a moins de mal à ne pas tenir sa parole , qu’à la tenir aux dépens de l’honneur (2).
(2) Tolerabilius estpromissutn non facere, cpiam facere quod turpe sil.
Ce qui l’amène à la discussion du vœu de Jephté , qu’il condamne.
Il prouve par l’histoire de plusieurs personnages il-lustres, Tobie, Judith, Elisée, saint Jean-Baptiste , Suzanne, Esther , Jonathas, Achimelech , que le sacri-fice même de la vie n’arrête pas l'homme de bien.
( Les lois de l’amitié permettent-elles'jamais que pag. !38 et l’on soit infidèle à l’honneur? — Après avoir pro-nonce pour la négative, saint Ambroise termine ce troisième livre par d’excellents préceptes sur ]es amitiés chrétiennes. )
Si la gloire de Dieu ou !־’intérêt de la religion obligent de parler, la considération d’un ami ne doit pas l’empêcher. En ce cas , la religion doit l’emporter sur l’amitié.....Quand on connaît les défauts de son ami, on doit l’avertir en secret.......Il faut ouvrir son cœur à son ami, si l’on veut qu’il soit fidèle......L’ami fidèle est un remède aux maux et aux chagrins de la vie/.... Si la bonne fortune de vos amis vous est utile, pourquoi refuseriez-vous de les secourir dans l’adversité ? Aidez-les de vos conseils, ne leur refusez pas vos soins, donnez-leur des niar-ques de votre tendresse ; mais ne trahissez pas pour eux la fidélité que vous devez à Dieu.....Point d’amitié entre personnes d’humeur ou de condition différentes ; l’amitié n’est point mercénaire. Ce n’est point un commerce, mais un échange de services. En général , les pauvres se connoisscnt mieux en amitié que les riches.... Les richesse flattent entre eux; les pauvres, on ne les flatte pas, il n’y a rien à gagner ni à craindre auprès d’eux. Rien de si horrible dans l’amitié que la perfidie ; car on peut se défier d’un ennemi déclaré ; il n’est pas aisé de se défen-dre d’un ami perfide (1).
(1) Le prédicateur qui voudra traiter cette matière , lira avec fruit les excellentes réflexions de Eourdaloue à ce sujet, Pensées, tom. ir, pag. 1 29 et suiv., ainsi que le bou discours de Cheminais, sur le choix qu’un dire-tien doit faire, de ses amis, Serm., tom. ni, pag. 305:
ii. Livre des avantages de la mort.
( Analyse et extraits.)
« Dieu, qui, selon la belle remarque de saint Ambroise, n’a voulu nous tenir dans l’incertitude du moment de notre mort, qu’afin de nous faire comprendre que toute notre vie doit être une pré-paralion continuelle à la mort, nous avertit sans cesse dans ses Ecritures de veiller, de prier, de nous tenir sur nos gardes, pour n’être point surpris(1). »
(1) L’abbé Clément, Carême, tom 1,pag. 23.
(Saint Ambroise distingue trois sortes de morts. La première, ]a plus réelle, ]a mort du poché qui lue lame, selon ce qu’il est écrit dans Ezéchicl, l,âme qui pèche ג mourra ; la mort mystique dont parle saint Paul, dans son épîtrc aux Romains, par laquelle on meurt au péché afin de ne vivre que pour Dieu ; et la mort naturelle qui termine la vie par la séparation de l’âme avec le corps. La pre-mière ne peut être considérée que comme un très grand mal ; la seconde que comme un très grand bien; la troisième est envisagée diversement : les justes la désirent, les méchants la redoutent avec raison, comme devant être le commencement de leur punition (2).
(2) Ce beau traité a été mis à contribution par les prédicateurs des communions diverses. Parmi les protestants, Abbadie a suivi, dans son Sermon sur la mort du juste , la distinction que le saint docteur y fait des trois sortes de morts. ( Serm., tom. 11, pag. 405 et suiv. ) Saurin s’en étoit bien pénétré, comme 011 le pent reconnoitre par une foule de pensées , qui en sont évidemment empruntées. David Enstache a imité la dcscrip* tion des misères de la vie. (More. chois, des protest., pag. 30g.) Le même ouvrage a fourni à nos prédicateurs catholiques les solides raisonnements, les magnifiques pensées et les sublimes inspirations, qui se font remarquer dans leurs discours sur cette matière. Voyez, les. Sermons de Bourdaloue, sur la crainte et le désir de la mort ; l’abbé Clément, 1rr vol. de son Carême; La Colombicre, Sermon sur la manière de se bien préparer a la mort , Serm., tom. 11, pag. 241. !,enfant, tom. 11, pag. .16,׳.
Notre saint docteur met en balance les avantages de la vie, et ceux que la mort nous procure. Il décrit les misères et les inquiétudes qui nous assiègent dès le berceau ; les amertumes cuisantes, mêlées à des plaisirs en bien petit nombre ; les pièges où nous entraîne la fragilité humaine , les continuelles illu-sions de nos sens , les dangers de toute sorte qui nous pressent et nous environnent, la servitude où les besoins nous engagent ; les pièges au milieu desquels nous marchons, les tentations diverses, toujours renaissantes de la vie, qui l’ont fait eompa-rer par un prophète à un état de guerre , l’incon-stance de nos désirs ; les infirmités qui attaquent les constitutions les plus robustes, les chagrins des séparations.
Pourquoi désirer tant de rester dans une vie, où plus elle se prolonge, et plus le poids de nos péchés s’appesantit (1)?
(1) Quid tantopere vitam istam desideramus, in qua quanto quit din-dus fuerit, tanto majore oneratur sarcina peccatorum ?
Saints désirs des prophètes et des justes, pour être délivré des liens de cette vie. Il est plus glo-rieux de mourir pour Jésus-Christ, que de régner dans le monde. Est-il rien de plus excellent que d’être la victime de Jésus-Christ ?....
Quel est dans la vie présente le but constant des efforts du juste, sinon d'échapper à la corruption de ce corps mortel qui nous enchaîne à la terre , de se dégager des vaines sollicitudes du siècle , de renon-cer aux plaisirs, à la mollesse, de se dérober à l’ar-deur des passions? Le chrétien n’est-il donc pas réellement mort dans ce monde, puisqu’il ne vit plus pour lui, et qu’avec l’Apôtre il peut dire : Le monde est crucifié pour moi comme je le suis pour le monde ?
Toutefois la mort n’est-elle pas un mal ? L’Ecriture nous le déclare; elle nous dit que Dieu n’avoit pas fait la mort. Il avoit placé la vie dans le Paradis terrestre ; c’est le péché qui a introduit la mort. Elle n’est un mal que parce qu’elle est un châtiment ; mais ce châtiment cesse avec la vie. Il cesse dans l’opinion du païen ? qui croit que tout finit avec la vie; il cesse dans la doctrine de l’Apôtre, qui regarde la mort comme un gain , parce qu’elle doit l’unir ?» Jésus-Christ. Mais si, comme il n’est pas possible d’en douter, l’âme survit au corps, et conserve le sentiment, il y a donc une vie nouvelle après la mort. Et, avec cette vie nouvelle, un autre ordre de biens contre lesquels la mort n’a plus de prise, des jouissances d'autant plus pures, que l’âme les possède toute seule, et sans alliage avec ce corps qui l’enchaîne et l’importune plutôt qu’il ne la sert. La mort n’a rien de redoutable pour l’âme qui aura vécu dans l’exercice de la vertu. Pourquoi donc nous plaindre de la mort qui met un terme au châtiment, et devient une expiation par laquelle on satisfait? «A oilà, dit le grand saint Ambroise, la merveille de la mort dans les chrétiens : elle ne finit point leur vie, elle ne finit que leurs péchés et les périls où ils sont exposés (1). »
(1) Traduit par Bossuet , Oraison funèbre de la duchesse (]’Orleans . pag. 444 du tom. vm, collect. in4°־.
La mort, ajoute le saint docteur, nous affranchit de toutes les misères de la vie présente ; elle sépare ce qui étoit en guerre, elle rétablit ]e calme après la tempête , elle est le passage de la corruption à l'incorruptibilité, de la mortalité à l’immortalité.... « Notre grande attention, c’est de rompre les liens qui nous attachent à la terre ; et cela ne se fait que par le retranchement des plaisirs : Seipsum dissol-vere per abstinentiam (2 ). »
(2) Traduit par Molinier , Serm. chois., loin, vin, pag. 15p.
Levez - vousג nous dit le Seigneur comme à ses apôtres, sortons d'ici. Il le dit à chacun de nous , il nous commande de sortir de toute cette terre, de prendre notre essor vers le ciel, de nous élancer vers cette patrie où notre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle. C’est à l’âme que s’adresse ce commandement. Tant quelle s’attache à la terre, que d’embûches, que d’ennemis à redouter. En ne-mis au-dehors, ennemis au-dedans, et les plus re-doutahles ; des biens trompeurs qui vous enlacent pour vous perdre; une chair qui vous asservit, quand elle devroit être sous le joug. Votre aine vaut mieux que tout cela. Le monde tout entier n’est pas d’un prix comparable à votre âme toute seule.
Qui aime dans nous la beauté de lame, nous aime véritablement. Qui n’aime que la beauté des formes extérieures, n’aime que l’enveloppe, qu’une beauté passagère qui se flétrit et s’anéantit en un moment.
Nous aimons en général que nos péchés nous soient pardonnés. Si c’est pour nous en corriger, nous avons raison ; si c’est pour v persévérer, c’est une aveugle démence. Dans ce cas, il vaudroit mieux rester sous le joug delà condamnation , plu-tôt que d’aggraver les péchés qui vous y retiennent. C’est en parlant de ces indiscrètes absolutions, que l’Apôtre a dit, que ceux qui approuvent le mal, ne sont pas moins dignes de mort que ceux qui le font. Vainement on se flatte de l’espérance d’échapper à son péché, parce que l’on a pu échapper à la peine temporelle,־ on ne fait que s’exposer à un châtiment bien plus redoutable. On ne reste pas moins coupable, bien qu’on ne paroisse plus l’être aux yeux des hommes. Gardez-vous donc, ô pécheurs ! de mépriser les trésors de bonté et de pénitence que la miséricorde divine vous a ménagés dans la péni-tence. Votre endurcissement dans le péché ne fait qu’accroître pour vous les rigueurs de la sentence qui vous attend au jour du dernier jugement.
Si la vie peut etre estimée un bien, ce n’est qu’autant qu’elle est utile à l’exercice de la vertu...
La crainte de la mort n’est que dans l’opinion ; or, l'opinionne vient que de la foiblesse de notre na-ture , et elle est contraire à la vérité. Si la mort étoit un mal , dans le langage meme de la nature; pour-quoi les jeunes gens désireroient-ils de vieillir , et d’arriver a des jours qui , en se prolongeant, ne font que les avancer vers la mort?
Le saint évêque prouve bien l'immortalité de Fame, tant par l’autorité que parle raisonnement, s’arrête sur l’état des âmes après la séparation d’avec le corps, et termine par une description de la félicité éternelle, suivie de cette aspiration éloquente : Appuyés sur d’aussi solides espérances, allons sans crainte vers Jésus-Christ, notre rédempteur. Allons., d’un pas ferme, vers l’assemblée des patriarches ; marchons, lorsque le jour en sera venu , vers Abraham , notre père, en cette assemblée des saints et des justes, où nous trouverons nos pères et ceux qui nous ont in-struit dans la foi ; où la foi n'a plus besoin des œu-vres (parce que toutes les œuvres sont saintes et sans sacrifice); où Jésus-Christ a préparé des demeu-res pour ses serviteurs, afin qu’ils soient tous où il est. C’est là que nous voulons vous suivre, ô notre Père ' maistendez-nousla main par pitié pour notre foiblesse ; soutenez-nous, parce que sans vous personne ne peut monter vers vous : car vous êtes la voie, la vérité et la vie. Recevez-nous, puisque vous êtes la voie ; rassurez-nous^ puisque vous êtes la vé-rite; donnez-nous la vie, puisque vous en êtes l’auteur. Mettez-nous en possession de ce bien que David désiroit voir dans la terre des vivants. Là sont les vrais biens, où l’on vit éternellement.
Conclusion.
Non la mort ne doit point être appelée un mal. Il n’y a point de mort, ni tant que l’on est vivant, ni après que l’on a cessé de vivre. Ce n’est, dans l’un et l’autre cas, qu’un mot vide de sens, qui n’a rien d’amer, ni pour ceux qui ne sont pas morts, puis-qu’ils vivent, ni pour ceux qui sont morts, puisqu’il n’y a plus de sentiment pour le corps , et .que l’âme est émancipée.
iii. De la fuite du monde (*).
( Extraits. )
C’est là un sujet qui revient bien souvent dans nos exhortations; et plût au Ciel qu’il y eût, de la part de nos auditeurs, autant de sévérité dans les pré-cautions à prendre à cet égard, que nous mettons d’empressement à les leur indiquer ! Mais le malheur veut que le perfide attrait des vanités terrestres s’insinue dans les âmes, y répande des vapeurs qui les offusquent , retrace à la pensée les objets mêmes dont on voudrait s’éloigner, transporte sur eux nos affections ; en sorte qu’il devient difficile de s’en garantir, plus difficile encore de s’en detacher abso-lument. Nous ne disposons pas entièrement de notre cœur ; nos distractions nous emportent, elles nous entraînent loin de nos projets les plus salutaires, nous ramènent à l’amour des choses !terrestres, nous engagent dans la séduction des plaisirs qu’elles pro-mettent, et, dans le temps même où nous voulons nous élever au-dessus d’elles, nous font ramper sur la terre.
Heureux , dit l'Ecriture ceux qui niellent en vous leur appui, ô mon Dieu, et qui ni ont dans le cœur d’autre désir que celui d’aller a vous. Il n’y a que le secours divin qui puisse nous obtenir cette victoire. Ici-bas, ce sont tousles sens qui conspirent contre nous. Tout cc qui est dans le siècle est vanité, dit le Sage. Pour n’être pas atteint par la contagion du siècle, que faut-il faire? Chercher le Verbe dans Dieu; pour cela, renoncer au monde, s’isoler de la terre, se détacher des vaines nécessités du siècle, contempler Dieu dans ses œuvres, à ]’exemple des saints patriarches; fuir le monde, s’échapper comme le timide passereau sur les mon-tagnes, si l’on ne peut, comme l’aigle, prendre son essor dans les cieux.
Exemple des saints patriarches , en particulier de Jacob, de Moïse et de David ; celui des prophètes , des apôtres cl de Jésus-Christ.
La fuite que je demande, c’est la fuite du vice et de tous ceux qui s’y adonnent, la fuite de l’intem-pérance et de la volupté ; c’est de détourner les yeux de dessus l'étrangère, la langue de tout discours im-pudent, les pieds de toute société mauvaise. On s’é-gare bientôt sur les pas de guides infidèles.
iv. Les trois livres de la virginité.
(Analyse et extraits.)
Adressés à Marcelline sa sœur (1), étincellent de peu-sées délicates et d’expressions brillantes. C’est un code complet des maximes les plus sages pour arriver à la per-fection spirituelle, on pour s’y maintenir. Grave, senten-cieux , savant , plein d’esprit et d’imagination , élo-quemment écrit , il offrira toujours au prédicateur la plus riche moisson.
(1) Elle étoit son aunée ; et dès l’âge le plus tendre, elle avoit fait preuve de la vocation la plus marquée pour la vie religieuse. Ce goût de la per-fection semblait être héréditaire dans la famille du saint archevêque. Il comptait au nombre de ses'ancêtres, sainte Sotère , vierge et martyre sous la persécution de Dioclétien. Satyre son frère n’est pas moins célèbre par sa pieté. Sainte Marcelline reçut à Rome le voile des mains du papeLï-hère, qui prononça à cette occasion un discours, rapporté par saint Am-broise.
Saint Ambroise a beaucoup écrit sur cette matière. Non content d’instruire ceux qui pouvaient l’entendre , il voulut étendre les bienfaits de son ministère par-delà son église et son siècle, en léguant à la postérité l'inestimable présent de ses méditations sur la vertu qui donne des épouses à Jésus-Christ.
L’exorde du premier livre respire ce profond sentiment d’humilité, sans lequel le talent lui-même n’a rien à at-tendre de ses efforts pour le salut des ames.
Si la vérité éternelle nous apprend que nous rendrons compte, au jour du jugement, de toutes nos paroles mémo oiseuses ; et si notre divin législateur nous déclare que le Maître, à son retour, traitera avec une extrême rigueur le serviteur inutile, qui , au lieu de faire profiter les grâces et les talents qui lui avaient été confiés, et de les faire valoir avec usure, les aura enfouis en terre par une lâche timi-dite', ou employés pour lui-même par une crimi-nelle avarice ; combien n’ai-je pas à craindre , moi, qui, malgré la médiocrité de mes talents, n’en suis pas moins obligé de répandre la divine parole dont le ministère m’a été confié ; combien , dis-je, n’ai-je pas à craindre qu’il ne me soit demandé un compte sévère de ce que j’aurai dit, d’autant mieux que c’est d’après notre zèle que nous serons jugés, bien plus que d’après nos succès ! C’est dans cette considéra-tion, que j’ai cru devoir publier cet écrit : on se hasarde moins à écrire qu’à parler. Le livre ne rou-git point comme le prédicateur. J’oserai donc mettre la main à l’œûvre, comptant sur les témoignages de la divine miséricorde, bien plus que sur mes propres forces.
Les trois premiers chapitres présentent la substance ilu discours que le pape Libère avait adressé à la vierge Marcelline le jour de sa consécration , !nais en lui don-liant un style plus poli et plus élégant(1).
( 1) Voy. D. Ceillier, Hist., tom. v, pag. 192, et le tom.v de cette Pi-bliothèque. choisie des Pères, pag. 414·
Saint Ambroise a saisi, pour écrire sur la virginité, la circonstance de la fête de sainte Agnès, qu’il célèbre en passant, et comme martyre , et comme vierge.
Sainte Agnès n’avoit pas plus de douze ans, quand elle répandit son sang pour la cause de Jésus-Christ.
Cruauté au-dessus de toute expression, de n’avoir pas épargné un âge aussi tendre , ou plutôt triom-phc éclatant pour la foi chrétienne, qui reçoit d’un âge aussi foihle un aussi glorieux témoignage !......
Intrépide sous les mains sanglantes des bourreaux , tranquille sous le poids énorme des fers dont elle est accablée , Agnès présente tout son corps à l’épée tranchante d’un soldat furieux, toute prête à mou-rir, quoiqu’elle sût à peine ce que c’étoit que vivre. La jeune épouse marche avec moins d’allégresse vers le lit nuptial, que cette jeune vierge au martyre. Tout est en pleurs autour d’elle; seule’, les yeux secs, elle brave les bourreaux, et fait bien voir qu’un héroïsme si fort au-dessus de la nature, ne pou voit venir que de l’auteur même de la nature (2).
(2) Le P. de La Rue a composé un panégyrique de la même sainte. Saint Ambroise lui a fourni les deux divisions principales :«Peu de pudeur où il n’v a point de religion , et peu de religion où il n’j point de pudeur. Dans ces deux importantes et délicates vertus, Agnès nous tiendra lieu de modèle. Elle a triomphé dans l’une et dans l’autre, en mourant pour l’une et pour l’autre: tellement, dit saint Ambroise, que dans cette même vie-time, nous avons tout à la fois, et une martyre de la pudeur , et une mar-tyre de la religion: Habetis in una hostia duplex martyrium pudoris et religionis (1). »>
La consécration que la vierge avoit faite de sa personne an Seigneur (2); l’héroïsme de son sacrifice (3) ; ses touchants adieux (4); en un mot tout ce goût d’éloquence antique qui respire dans ce beau discours, La Paie le doit à notre saint docteur.
{1) Panc^yr., tom. 1 ,pas. 357.
(2) Ibid., pag. 358.
(3) Ibid., pag. 3;1.
(4) Ibid., pag. 374·
Le saint évêque remonte à la source de la virginité qu’il découvre dans Jésus-Christ; il la compare avec l’étal du mariage, et sans blâmer celui-ci, établit les titres de ]’antre à la supériorité (1) sur les embarras inévitables dans la condition d’époux , sur les dangers qui l’accom-pagnent(2).
(1) Jiona cum bonis compare, quo faciliùs quidprœstet eluceat. (Voy. l’ancien évêque de Senez ,tom. 111, pag. 67.)
(2) Particulièrement dans l’ordre du salut, ce que Bourdaloue développe si solidement dans la seconde partie de son sermon sur l’état du mariage, Dominic., tom. 1, pag. 73 et suiv.
Tout cet ouvrage de saint Ambroise a fourni à nos grands prédicateurs d’heureuses imitations. Nous lisons dans Bossuèt :
«Comme une femme mondaine , amoureuse jusqu’à la folie de cette beauté d’un jour, qui peint la surface du visage pour cacher la laideur qui est au dedans : lorsqu’en consultant sou miroir elle ne trouve ni cet éclat , ni cette douceur que sa vanité désire , elle s’en prend premièrement au cristal; elle cherche ensuite un miroir qui la Halle : que si elle ne peut tellement corrompre la fidélité de sa glace, qu’elle ne lui montre toujours beaucoup de laideur, elle s’avise d’un autre moyen , elle se plâtre , elle se farde, elle se déguise , elle se donne de fausses couleurs ; elle se pare, dit saint Ambroise , d’une bonne grâce achetée , elle repaît sa vanité , et laisse jouir son orgueil du spectacle d’une beauté imaginaire. » (Bossuet, ticrm. , tom. vi, pag. 102. Voyez dans cc qui suit, avec quelle vigoureuse leçon-dite l’éloquent évéque de Meaux développe l’heureux germe que saint Ά111-broise lui ptésmtc. )
J’exhorte à embrasser la virginité; c’est un conseil, non un commandement. De toutes les vertus chrétiennes, la virginité est la seule à laquelle on puisse inviter, non la prescrire. C’est un vœu plutôt qu’un précepte ; une grâce particulière que l’on peut dé-sirer, non enjoindre : elle veut des élus, non des esclaves.....
Moi, condamner le mariage! je le condamne si peu , que je blâme hautement les hérétiques qui le censurent ; que je ne cesse jamais de proposer comme autant de modèles d’une vertu parfaite les Sara , les Rébecca, tant de saintes femmes de l’ancien Tes-tament. Qui condamne le mariage, condamne donc aussi les enfants, et fait le procès à toute la société humaine, qui ne se perpétue que par la suite des gé-nérations. S’il n’y avoit point eu d’Isaac, comment pourroit-on louer la religieuse obéissance de ce dis, prêt à servir de victime au sacrifice que son père offrit au Seigneur? Comment admircrai-je Jacob, qui, dans un corps mortel , a mérité de voir Dieu, si l’on prétend que ]a source qui a donné naissance à ces patriarches est impure ? Si, dans la foule des erreurs que soutiennent nos adversaires, il est quel-que chose qui puisse faire me'riter qu’on leur par-donne, c’est qu’en condamnant le mariage, ils re-connaissent qu’ils n’auroient jamais« du venir au monde.
Moi condamner le mariage, et porter le trouble dans les familles! Ah ! plût au Ciel que l’accusation eût quelque ombre de vérité ! Plut au Ciel qu’on pût me montrer les heureuses suites du pre'tendu crime qu’on me reproche, et qu’on eût à alléguer des faits plutôt que des paroles ! Je ne me plaindrais pas d’être calomnié, si je parvenais à troubler, par de salutaires réformes, la funeste paix où s’endorment tant de consciences au sein des plaisirs (1).
(1) Massillon a bien su profiter de ce mouvement, en l’étendant à tous les devoirs de la vie chrétienne : « Vous nous accusez d’ajouter de non-voiles terreurs aux paroles de l’Evangile ; mais où sont les consciences que nous troublons ?... Ah ! plût au Ciel que vous pussiez me convaincre d’a-voir inspiré à une seule âme ces terreurs salutaires , disait autrefois saint Ambroise à quelques sages mondains de son temps , qui l’accusoient d’exa-gérer les périls et la corruption du monde, et de faire prendre à trop de filles chrétiennes le parti delà sainte virginité; et je puis vous le dire ici, avec bien plus de raison que ce grand homme : Utinam convincerer! Plût à Dieu qu’on pût me montrer les suites d’une indiscrétion si heu-reuse ! Utinam tant! criininis probaretur effectus ! Plût à Dieu que vous eussiez des exemples à nous reprocher pour justifier vos censures ! Utinam me exemplis potius arguerais , quam sermonibus cœderetis! Ah ! nous souffririons le blâme avec plaisir , si l’on pouvoit nous montrer le succès qu’on nous reproche : Non vererer int idiam , si cfftcaciani recognosce-rem. ( Serm. sur la parole de Dieu , Carême , loin. 1, pag. 180 , 8 ז ï. )
Bossuet de même a imité ce mouvement de saint Ambroise , mais en y portant l’empreinte de sa chaleur et de son génie. (Voyez Serm., tom. vit, pag. 3r, 32. )
Une vierge est un don du Ciel ; elle fait la gloire et la joie de ses parents ; elle exerce dans sa maison le sacerdoce de la chasteté'. Une vierge est une victime qui s’immole chaque join·, afin d’apaiser la colère dé Dieu par son sacrifice. Une vierge est un gage cher à sa famille, qu’elle ne sollicite point par d’importunes spéculations, qu’elle ne menace point de s’en éloigner, qu’elle n’attriste jamais par les capri-ces de l’humeur.
« Toute vierge est reine, soit parce qu’une vierge consacrée à Dieu est épouse du plus grand des sou-verains ; soit parce que, domptant ses passions, qui forment le plus honteux esclavage, elle acquiert un nouvel empire sur elle-même (1). »
(1) Traduit par Fromcntiëres , Serm., tom. 1 , pag. 41.
Ce qui fait lambeau lé des vierges, c’est la vertu.
« Le véritable ornement de la beauté , c’est de négliger l’ornement (2). »
(2) Traduit par La Rue , Carême, tom. 1, pag. 24 2.
Appliquant à la chaste épouse de Jésus-Christ ce verset du livre des Cantiques : Vos lèvres, ό mon épouse י sont comme un rayon qui distille le miel :
Ce n’est pas sans dessein que !,Ecriture la compare à l’abeille laborieuse et chaste, ne se nourrissant que des rosées du ciel, et du suc des fleurs les plus pures. Ainsi la vierge se nourrit de la parole de Dieu. Son amour pour la pureté conserve son corps exempt de toute souillure. Elle travaille en commun, elle amasse, mais pour les pauvres; elle cueille avec soin cette fleur dont il est dit: Je suis la fleur de la prairie } et le lis des Dallées ; je suis comme un lis au milieu des épines. C’est le propre de la vertu de ne croître qu’au milieu des épines , dont les esprits de malice l’assiègent continuelle-ment. De combien de précautions n’a-t-elle pas be-soin! Prenez donc, ô vierge, les ailes de l’esprit, pour vous élever au-dessus de tous les vices, afin d’aller vous reposer au sein de ]’époux céleste. Jésus-Christ habite dans les lieux hauts, et il regarde ce qu’il γ a de plus bas. H est semblable au cèdre du Liban , qui, de son. front touche le ciel, et de ses pieds s’enfonce profondément dans la terre. Cherchez-là cette fleur précieuse, vous la trouverez dans la vallée de votre cœur, car elle a coutume de se communiquer aux âmes humbles, et d’y répan-dre son parfum.
Parce que la vierge a reçu des grâces plus abondantes, le Seigneur veille sur elle avec plus de soin, et ]’environne d’une protection plus puissante. Il coin-met à sa garde une légion d’Anges qui combattent pour, sa défense. Servant sous les memes éten-dards que les Esprits célestes, il n’est pas étonnant qu’ils combattent pour elle. Il est piste quelle ait pour défenseurs ceux dont elle imite la vie toute pure.
Il y avoit, du temps de saint Ambroise, comme du nôtre, des familles qui s’opposoient à la vocation de leurs enfants pour la vie religieuse. Le saint évêque leur adresse ce reproche :
Que vos filles veuillent se choisir un mari, les lois ]es y autorisent ; et il ne leur sera pas permis de se donner Dieu pour époux!
Il est à désirer que les vœux des parents coucou-rent avec les vœux des enfants ; mais il y a pour ceux-ci une plus belle gloire, quand c’est leur fer-veur toute seule qui les porte à embrasser la chas-teté.
« Ma famille me déshéritera. » Mais vous gagnez un époux riche de tous les trésors, et qui saura bien vous dédommager de ]a perle d’un héritage périssable. On vous contrariera peut-être : on finira par se rendre. Que savez-vous si ce n’est pas une épreuve que vos parents eux-mêmes veulent ména-géra votre fidélité ? La violence est un exercice proposé à votre vertu. Commencez par triompher de la nature; après cela vous aurez vaincu le monde.
A l’appui de celle généreuse résolution, saint Am-broise cite nue anecdote contemporaine, que Bourdaloue a traduite ainsi dans son sermon sur les devoirs des pères envers leurs enfants:
« Saint Ambroise, dit-il, décrit le combat d’une » jeune chrétienne de son temps, non pas contre » les persécutions de la foi, mais contre la chair j> et le sang, contre ses proches. Elle se trouvoit » sollicitée d’une part à s'engager dans une alliance j> qu’on lui proposait, et de l’autre, inspirée de » prendre au pied des autels le voile sacré. Que » faites-vous, disoit cette généreuse fille à toute » une parenté qui la pressait; et pourquoi perdre » vos soins à me chercher un parti dans le monde? » Je suis déjà pourvue : Quid in exquirendis nuptiis » soUicitatis animumP Jam provisas habeo. Vous » m’offrez un époux, et j’en ai choisi un autre. » Donncz-m’en un aussi riche, aussi puissant et » aussi grand que le mien ; et alors je verrai quelle » réponse j’aurai à vous faire. Mais vous ne me pré-» sentez rien de semblable. Car, si celui dont vous me » parlez est un homme, et si celui dont j’ai fait choix jj est un Dieu; vouloir me l’enlever, ou m’enlever » à lui, ce n’est pas établir ma fortune, c’est envier » mon bonheur. j\'onpjwidetis mihi, sed invidetis. » Paroles , reprend saint Ambroise, qui touchèrent » tous les assistants. Chacun versoit des larmes en » voyant une vertu si ferme et si rare dans une jeune » personne ; et comme quelqu’un se fut avancé à lui » dire que si son père eut vécu , il n’eût jamais con· » senti à la résolution qu’elle avoit formée ; Ah ! répliqua-t-elle, c’est pour cela peut-être que le» Seigneur l’a retiré; c’est afin qu’il ne servît pas » d’obstacle aux ordres du Ciel, et aux desseins de ״ la Providence sur moi (1). »
(1) Dominic., loin. 1, pag. 9.3.
Il est naturel de faire contraster les embarras du ma-l iage avec la paisible innocence de la virginité. Tous nos discours sur la profession religieuse présentent le tableau de cette opposition, que saint Ambroise ne manque pas d’indiquer.
« La crainte et la honte, la servitude et la douleur sont attachées à la condition des femmes mariées. Elles pressentent leur malheur quand elles s’y en-gagent, puisqu’elles pleurent : Nubit etplorat. Quels sont donc des engagements que l’on ne prend point sans verser des larmes : Qualia sunt a>ota quee Jlen-tur? Honte; puisqu’ellcne peut acquérir la qualité de mère queparla perte de celle de vierge. Esclavage: toujours des liens ; chaînes de fleurs si l’on veut, ce ne sont pas moins des chaînes ; le mot meme d’n-nion conjugale exprime un joug qui l’assujettit à son époux. Et ce qui est plus fâcheux, c’est un joug du monde, qui oblige la femme à plaire plutôt à son mari qu’à Dieu. Dieu, pour punir notre première mère, l’obligea de servir à son mari, avant qu’il eût obligé les premiers esclaves de servir leurs maîtres. La douleur 11 est guère éloignée de ces deux maux ; et, dès qu’elle va devenir mère, elle renonce à sa santé, et devient languissante et misérable : Portavit etœgrotat. Il semble que la fécondité soit la béné-diction du mariage, et que les enfants soient des gages mutuels de l’amour du mari et de la femme; mais quels gages, qui commencent et finissent par le danger, qui menacent une femme de la mort, et qui la font souvent repentir de ses souhaits, en lui donnant de la douleur avant que de lui donner du plaisir ! Comptez après cela les soins de l’éducation des enfants, de leur établissement!...
» Cependant toutes ces misères ne sont que les misères des mères que le monde estime heureuses, felicissimœ sunt istœ misericc, et qui ne souffrent que les peines dont elles ne sauroient se défendre. Je ne parle point des adversités communes à toutes les conditions, de peur de jeter l’épouvante et le dé-couragement dans les âmes meme les plus pures (1).»
(1) Traduit en grande partie par Senault, Panégyr. de sainte. Nargue-rite, Serm., tom. 11, pag. g6 et suiv. Qet oralorien a fondu en quelque sorte , dans ses Panégyriques de ·vierges, toute la substance des livres de saint Ambroise sur la virginité. Fromentières n’a pas moins profite de tout ce morceau de saint Ambroise, dans un de ses panégyriques ( Serm. , tom. r, pag. 169—171.) L’ancien évêque de Senez , fait habilement con-traster les charmes de la pudeur avec les désordres des mœurs actuelles , dans son Serm. sur la pudeur, torn, ur, pag. 69, 7θ-
Livre second. Saint Ambroise annonce le dessein et l’objet de ce livre. Dans le premier il a fait l’éloge de la virginité: dans celui-ci , il en expose les devoirs; et c’est par les exemples surtout qu’il se propose d’insruire ses lecteurs.
Les exemples font d’ordinaire plus d’impression que les préceptes. On n’est plus arrêté par la difficulté de faire ce que l’on voit avoir été fait par d’au-très; ce que l’on approuve en autrui, on se l’appli-que à soi-même, comme pouvant en profiter. On se fait un point de religion d’imiter les vertus que l’on voit pratiquer par ceux qui nous ont précédés; et l’on se montre jaloux de perpétuer cette liono-rable succession (1).
(1) Joli, Dominic., tom. n, pag. 388.
Les saints ne furent pas d’une nature différente de la nôtre ; mais ils veilloient avec plus de pré-caution (2).
(2) Discamus cos (sanctos) non naturœ prœstantioris, sed observât!-tiorcs fuisse. Comprenons que les saints n’ont pas été favorisés d’une na-Hire pins heureuse, mais qu’ils ont eu plus de désir de se sauver, et plus de courage pour y travailler. (Traduit par Molinier, Serm. chois., tom. ni, pag. 55.) Nous indiquons , à l’appui de cette proposition, quelques pages éloquentes de Saurin , sur les exemples des saints , Serm., tom. ix , pag. 63,70; et un beau mouvement qui termine l’article béatitude dans le Dictionu, apostol. de Montargon , tom. 1, pag. .45!׳.
Le premier modèle qu’il recommande, et le plus ex-cellent, c’est la Sainte Vierge.
« Contemplez les mœurs de la Vierge, mère de Jésus-Christ ( a dit un de nos prédicateurs citant saint Ambroise) : Disce JT’irgi.nem moribus, disce Virginem verecundiâ. A l’exemple de Marie, que la discretion de vos paroles, que la modestie de vos regards, que la gravite' de votre maintien, que la de'cence de toutes vos actions, que tout l’extérieur de votre corps soit le portrait de votre âme, soit l’image de l’innocence (1). »
(1) L’ancien évêque de Senez, Sermon sur la pudeur , Serm., tom. nr, pag. 82. Tout ce sermon de l’éloquent prédicateur, n’est que la paraphrase du traité de saint Ambroise.
Sa vie tout entière est un miroir où se réfié-chissent les rayons de la plus pure vertu et de la plus haute perfection. Concevez-vous rien de plus noble que la mère d’un Dieu, de plus illustre que celle dont le Père de toute lumière a fait choix, de plus chaste que celle qui a enfanté sans contrac-ter la moindre souillure? Vierge, non-seulement de corps, mais d’esprit ; d’une candeur qui éloignoit de son cœur j usqu’à l'ombre du déguisement et de la dissimulation; modeste et humble, composée dans son langage, économe de paroles, sage et me-surée, appliquée à la lecture des Livres saints; ne mettant pas sa confiance dans des richesses incer-taines, mais dans les prières des pauvres ; constante dans le travail, ne cherchant, pour témoin de ses bonnes actions, que Dieu seul. Loin de blesser personne, elle faisoit du bien à tout le monde... La vit-on jamais prendre un air de hauteur envers ses parents, les contrarier dans leurs sentiments, re-garder d’un œil dédaigneux les personnes d’une condition inférieure, éviter la rencontre des pau-vres? Sobre dans la nourriture et dans le sommeil, réglée dans la pratique de tous ses devoirs, jamais moins seule que quand elle étoit seule, etc. (1)
(1) Le P. de La Piue a parfaitement saisi l’esprit de ce tableau des vertus de la Sainte Vierge, dans un de ses panégyriques, où il s’exprime en ces termes : « Pouvons-nous lire sans confusion le détail que nous fait saint » Ambroise des occupations de sa vie ? Il a peine à trouver des expressions ״ capables d’explicjuer la rigueur de son abstinence, comme si elle eût été » sujette aux révoltes de la chair : Quid exequar ciborum pnreimoniam » congeminatos jejunio dies. Il admire son silenee et sa retenue à parler, » comme si elle eût eu à se défier de la discrétion de sa langue; loqnetidi » parcior. Il loue son attachement au travail, comme si l’oisiveté eût » été un péril pour elle : Intenta operi. Il vante son amour pour la soli-״ tilde, comme si l’air des compagnies eût pu corrompre sa vertu : Pro-» dire domo nescia. Il remarque sa précaution de n’aller jamais hors de sa » maison, non pas même au temple sans surveillants; comme si elle n’eût ·> pas suffi à veiller sur elle-même : jVe ad templum quidem sine custode. « Il lui fait un mérite particulier de son peu d’empressement pour les en-» !retiens des Iciumes, comme si 1 inutilité ordinaire de leurs discours eût » pu dissiper son esprit, et troubler la tranquillité de ses pensées : Neque ■» faminas comités desiderabat, quœ bonas comités cogitationes habebat : » en un mot, sa vertu toujours égale, n’ayant ni défauts à corriger , ni » périls à éviter; cependant, dit saint Ambroise , elle enseignoit à tous » les siècles futurs ce qu’il faut éviter, corriger, pratiquer enfin pour se » maintenir dans la grâce : Quid corrigere, quidfugere , quid tenere de-» beatis. » ( Λ vent, pag. iSg, igo, edit. in-8°. Paris, 1719. )
La Colombière et Massillon ont également emprunté quelques traits à notre saint archevêque , daus plusieurs de leurs sermons sur les mystères de la Sainte Vierge. ( La Colombière , torn, π , pag. 192,232 ; Massillon, Slysteres, pag. 294 et suiv.)
Le saint docteur fait ressortir le tableau des vertus de la Sainte Vierge par le contraste avec les mœurs habi-tnelles des personnes de son sexe.
De l’intérieur de la Sainte Vierge , saint Ambroise transporte avec elle son lecteur sur le Calvaire.
Marie, mère de Jésus, se tenoit debout au pied de la croix. Saint Jean est le seul des Evangélistes qui nous apprenne cette circonstance. Les autres nous parlent du bouleversement de toute la nature, qui eut lieu à la mort du Sauveur ; ils parlent du larron pe'nitent, introduit dans le paradis. Saint Jean tout seul nous raconte comment, du haut de sa croix, il s’adresse à sa mère, estimant plus ce témoignage de piété filiale qu’il donne à Marie, en s’élevant au-dessus de ses souffrances, que le don même qu’il fait du royaume des cieux. Jésus-Christ, sur la croix, léguoit ses volontés dernières ; il par-tageoit sa tendresse entre sa mère et son disciple. C’étoit là son testament, non pas seulement uni-versel, mais domestique, signé parson disciple saint Jean, témoin dijme d’un aussi auguste testateur. Heureux testament! qui nous met en possession, non d’une somme d’argent, mais de la vie éternelle, écrit non avec de l’encre , mais par l’esprit du Dieu vivant !...
Marie, de son côté, ne reste pas au-dessous de la dignité de mère de Jésus-Christ. Tandis que les apôtres ont fui, elle se tenoit debout au pied de la croix (1), contemplant dans les blessures de son di-vin Fils, non les instruments de la mort, mais les gages du salut qu’il donnait au genre humain.
(1) Éloquemment développé par Saurin, tom. v, pag. 68. L’abbé Clé-ment, Serm. sur ία compassion de la Sainte Cicrçp , Carême , loin, ut pag. 142, 143. L’auteur des Discours de piété (3 vol. ïn-12. Paris. 1745), tom. ut, pag. 318, où il conclut avec l’abbé Dnguct : « Elle est debout >· avec fermeté , comme partageant arec son fils les fonctions de son sacer-» doce, l’offrant lui-mémc ,s’offrant a\ec lui , immolant â la suprême ma· ·> jestc de Dieu tous les sentiments de la nature. ״
Voilà l’image de la virginité. Telles ont été les vertus qui ont fait de la vie d’une seule femme la règle de toutes les conditions. Si nous admirons le modèle, cherchons à lui ressembler par nos œuvres ; imitons ses vertus, pour avoir part à ses récom-penses. Les vierges chastes, qui auront marché sur ses traces, elle les présentera à son divin Fils, en s’appliquant à elle-même les paroles de Jésus-Christ à son Père : Père saint! les voici les âmes fidèles que je vous ai gardées ; je désire quelà où je suis, elles y soient avec moi, et que, comme elles n’ont pas vécu pour elles seules, mais qu’elles se sont rendues utiles aux autres, ainsi elles obtiennent miséricorde pour leurs frères cl pour leurs proches. Père juste! le monde ne m’a point connue, mais celles-ci m’ont connue, et elles n’ont pas voulu connaître le monde.
Avec quels saints empressements, et quelle vive allégresse les chœurs des Anges, Marie à leur tête, viendront au devant d’elles, les féliciter d’avoir été trouvées dignes d’habiter le Ciel, après avoir mené une vie toute céleste sur la terre ! Car? pouvons-nous hésiter de croire que les tabernacles du Ciel s’ouvriront à cellcsdont l’âme pure rcssembloit déjà, pendant leur séjour dans le monde, aux sanctuaires où Jésus-Christ s’immole chaque jour pour le salut de son corps mystique?
A l’exemple de la Sainte Vierge , saint Ambroise fait succéder celui de sainte Thccle , de qui les lions eux-mêmes, moins féroces que les hommes , respectèrent le corps virginal, et l’exemple récent d’une jeune vierge de la ville d’Antioche, qu’il ne nomme pas, laquelle avait mieux aimé s’exposer à tous les risques , plutôt que de trahir sa foi.
« Dans un temps où elle pouvoit à peine disposer d'elle-même, celle-ci a engagé plusieurs autres à la suivre, montrant une vertu au-delà de scs forces naturelles^ une piété au-dessus de la foiblesse et de la délicatesse de son âge : 7'irtus supra naluram , devotio suprà œtatem fuit (1). »
(1) Traduit par Fioiîienrières , Srrm,, ton), ', pa;; i r>6
Mais avant de s’engager dans un récit dont quel-qùcs particularités pouvaient alarmer la pudeur, saint Ambroise emprunte une précaution oratoire qu’un de nos prédicateurs rappelle dans ces termes : « O malheur! ô crime de l’impudicité! Impudicité! Il s’est » donc échappé de ma bouche ce nom odieux ! Qu’à ce » nom seul tous les fronts honnêtes rougissent; que tous » les yeux se baissent ; que toutes les âmes pures frémis-»sent d’horreur; ma voix souffre de se prêter à ces » odieuses réflexions, détournons nos regards,etc. » (1).
(1) !?ancien évêque de Senez, Serm. sur la pudeur, tom. ni, pag. 72. Saint Ambroise : Jam dudum verecundatur oratio, et quasi adiré ״es ■ torum sérient crimitiosam atque cxplanare formidat : claudite aurem vir-gines....
Nous rencontrons dans un des serinons de Saurin, contre le bias-phème , un semblable mouvement : « Bouchez-vous les oreilles, femme honnête, vierge timide , toutes les fois que vos affaires vous font sortir de vos maisons; bombez ■vous les oreilles, pour ne pas entendre les exe-crables paroles qui se profèrent publiquement. »
Condamnée à l’alternative, ou de sacrifier aux idoles, ou d’être jetée dans un lieu de prostitution, Thècle, sur son refus de renoncera l'Auteur de la vir-ginité, fut conduite en effet dans un lieu de débauche. Mais, l’espérance où elle étoit que Dieu la protège-roit, comme il avoit fait autrefois Judith, ne fut pas vaine. Un soldat, entré dans ce lieu public, chan-gea d’habit avec elle, et, parce déguisement, lui donna moyen de sortir vierge. Le tyran , informé de ce qui s’étoit passé, ordonna que le généreux dé-fenseur de la vierge chrétienne fut mis à mort. Celle-ci accourut sur la place de l’exécution , et là il y eut entre elle et le soldat une sainte contestation, qui des deux devoit mourir. Mais elle finit à l’avantage de l’un et del’autre. Us combattirent tous deux pour la foi de Jésus-Cbrist, et tous deux rempor-tèrcntla couronne du martyre.
Ce récit a été plus d’une fois transporté dans nos chaires chrétiennes, entre autres par Senault, de l'Oratoire (1).
(1) Dans son Panégyr. de sainte Agnès, pag. 29;.
Livre troisième. Le saint évêque rappelle à la mémoire de Marcelline les engagements sacrés qu’elle avait pris à Rome, au jour de sa profession religieuse ,׳ entre les mains du pape Libère , et les paroles que ce pontife lui avait adressées; à quoi il ajoute de nouveaux conseils également solides, et plus en rapport avec l’âge avancé où elle était, quand son illustre frère lui adressa cet ouvrage (2).
(2) On croit pointant quelle survécut à son frère saint Ambroise. ( Bai on, in tîI. S. Ambras., Annal, cedes, ad ann. 333 , et Martyrol. , pag. 2;3.)
A l’occasion du saint précurseur, saint Ambroise ra-conte l'histoire de sa mort , et il faut lui savoir qré de celle digression, qui lui fournit des mouvements de la plus haute éloquence.
Le roi transporté de plaisir, en voyant danser la fille d Herodias, lui dit : Demandez-moi tout ce que vous voudrez, et je vous le donnerai. Il ajoute avec serment : Oui, je vous le donnerai , quand ce serait la moitié de mon royaume. Des royaumes, pour prix d’une danse 1 Voilà l’estime que les gens du monde même font des royaumes et des gran-deurs humaines ! D’après les secrètes instructions de sa mère, celle-ci demanda la tête de Jean-Bap-tiste , et l'Ecriture remarque que le roi fut contristé de cette demande. Non qu’il en témoignât du rc-pentir, ce n’e'toit que le remords du crime qu’il allait commettre. Mais, ajoute l’évangélisle, par considéra-tion pour les assistants , pour ne pas contrarier ceux qu’il avait à sa table, il va tremper ses mains dans le sang ; quelle lâchete' ! et a cause du serment quil avoit fait. Jésus-Christ a-t-il tort de défendre dans son Evangile tout serment, de peur que l’habitude que l’on en contracte, n’amène le parjure, et une sorte de nécessité de se rendre criminel ? Pour ne pas devenir parjure , le prince se fait le meurtrier d’un innocent. Le parjure eut-il été moins odieux qu’une aussi étrange délicatesse !
־ Un des officiers du prince quitta la table du festin pour se rendre à la prison ; qui n’auroit cru qu’il y allait mettre le Prophète en liberté? tout portait à le croire. C’éloit le jour de la naissance d’Hérodc , il donnait aux grands de son royaume un festin so-lennel ; on avoit droit de lui demander tout ce que l’on voudrait. Qu’a de commun la cruauté avec les plaisirs? Quel rapport entre le meurtre et la vo-1 up té? Le Prophète est condamné dans la joie d’un festin; son supplice est résolu dans un temps ou il n’auroit pas voulu de sa grâce. Un glaive tranche scs jours ; sa tête, déposée dans un plat, est mise sous les yeux du prince. Spectacle digne en effet de ce barbare ; mets affreux, bien fait pour un tyran , à qui les victimes vulgaires de sa férocité ne pouvaient j)lus suffire! Contemple-lc donc ce spectacle , bien digne du repas où il fut ordonné. Etends la main pour y recevoir le sang qui coule de cette tête sa-crée : tu n’avois pas assez , ni de ces mets délicats , ni de ces vins si recherchés dont ta table étoit cou-verte pour rassasier ta faim ni pour étancher ta soif. Eh bien ! cruel, bois-le ce sang qui ruissèle de cette tête égorgée. Fixe ces yeux , qui, même en mourant, te reprochent ton inceste, et qui ne se, cachent sous leurs paupières , que pour n’avoir point־ l’aspect de tes criminelles voluptés. Us sont couverts moins des ombres de la mort, que de l’horreur que־ leur inspire ta débauche. Toute muette quelle est, cette bouche vénérable dont tu n’osas soutenir le reproche , elle porte encore l’épouvante dans ton׳ cœur ; sa langue palpitante accuse encore l’infamie־ de ton adultère. La cruelle Hérodiade, la complice de ton iniquité, se réjouit, et trésaille d’allégresse en recevant la tête de saint Jean-Baptiste ; mais qu’elle ne croie pas avoir échappé au châtiment pour avoir réduit son juge au silence (1).
(1) Fénelon: «Prenez y garde : vous trouverez celle fui sublime. ״ ( Dialog, iiirl'éloq,, pag. 2 35.)
Quelles réflexions faites-vous sur cet événement, mères chrétiennes? Ne vous apprend-il pas quelles maximes vous devez inspirer à vos filles, de quelle sorte de divertissements vous devez les détourner?
Elle danse cette fille , mais c’est la fille d’une adul-1ère. Que les mères donc qui aiment la chasteté et la pudeur, donnent à leurs filles des leçons de re-ligion, non point des leçons de danse. Et vous, hommes, qui vous piquez de gravité et de pru-deuce, apprenez à délester ces abominables rendez-vous, à fuir ceux qui les fréquentent ; car, si telles sont leurs assemblées de plaisir, que sera-ce des trames criminelles ourdies dans l’ombre parla perfidie !
Sainte Marcelline avail demandé au saint docteur ce qu’il falloit penser des vierges qui s’éloient donné la mort à elles-mêmes , pour ne pas tomber entre les mains des profanateurs ; il répond par le fait de. ia vierge sainte Pélagie et de ses sœurs , qui avoient échappé de cette manière aux mains de ceux qui les poursuivaient.
Le même traité contient cet important avis , sur le respect dû aux lieux saints.
Quelle indignité d’y parler, de s’v livrer à de frivoles entretiens, d’y interrompre, par de bruyan-tes conversations , ou les solennités , ou le silence des saints mystères; d’y troubler, par des irrévé-rences , l'efficacité des prières que la voix des ministres adresse au Seigneur pour le salut de tous (1) !
(1) Voyez Montargon, Zhcno«??. α^ο,ίίοΖ., tom. vin, pag. 432.
Les païens eux - memes gardent un religieux si-lence en présence de leurs idoles. Un jour, disent leurs écrivains, qu’Alexandre de Macédoine offrait un sacrifice à ses dieux, un jeune enfant, qui se trouvoit auprès de lui, chargé d’allumer le feu , vint à recevoir sur le bras un charbon ardent : quel-que vive que fût sa douleur, ce jeune homme ne témoigna pas la moindre émotion, et resta constant-ment immobile; le respect pour sa religion le ren-dant supérieur aux mouvements de la nature.......
Quoi donc, vierges chrétiennes ! au milieu des plus saints mystères י aurez-vous moins de force et de vertu que les infidèles ?
v. Livre des veuves.
Après avoir donné ces excellents conseils aux vierges, saint Ambroise voulut instruire aussi les veuves de leurs devoirs, et composa pour elles le traité connu sous ce ti-ire. 11 s’attache à relever l’excellence du veuvage, qu’il présente comme préférable au mariage, bien qu’il soit inférieur à la virginité.
La viduité chrétienne consiste moins encore dans l'abstinence du mariage, que dans la pratique des vertus. 11 s’autorise de la doctrine de saint Paul, de l’exemple des saintes veuves les plus célèbres de l’ancien et du nouveau Testament, telles que Naëni, Judith , Débora et autres.
Le saint docteur caractérise le culte qui leur est décerné. Il répond aux objections que l’on fait contre le veuvage, et les résout, mais avec la sage précaution de déclarer, qu’en soutenant que cet étal est plus parfait et plus heureux, il ne prétend point en faire un rigoureux précepte, moins encore con-damner les secondes noces (1)··. Toute charge doit se mesurer sur les forces de celui à qui on l’impose, sous peine de le voir succomber sous le faix. Une nourriture trop substantielle n’est pas faite pour un âge délicat. II y a des vertus d’un ordre divers , qui outes ont droit à des récompenses proportionnées.
(1) Il va même plus loin; car en parlant des troisièmes et des qua-trièmes, il se contente de dire qu’il ne les approuve pas, sans les rejette? comme !:licite«.
Nous ne faisons point l’éloge de l’une, au préjudice de l’autre ; nous les recommandons toutes, en lais-sant à chacun la liberté de choisir ce qu’il préfère.
Ce livre, comme tous ceux du saint docteur, abonde en sentences remarquables.
Vous cherchez un divertissement, et vous trou-vcz des occasions de péché. A os regards innocents se portent sans réflexion sur les objets qui s’offrent à vous; et vous rencontrez des regards passionnés qui jettent dans vos coeurs des étincelles brûlantes.
Qui n’a rien en propre, n’a besoin de rien (1).
(1) Quibus nihil est proprium, nihil deest.
Ce qui fait les veuves chrétiennes, ce n’est point la solitude, mais la vertu.
La première règle à se proposer, c’est d’enipéclier les fautes; la seconde, de faire pratiquer la vertu (2).
(2) Prima ettim institutionis est disciplina culpam avertere, secunda virtutem infundere.
La piété chrétienne a des modèles pour toutes les conditions, pour les personnes qui vivent dans le célibat, comme pour celles qui sont engagées dans les liens du mariage.
L’aumône du pauvre est bien plus riche que celle de l'homme opulent (3). Exemple de la pauvre veuve de l’Evangile. Peut-on donner rien de plus que de ne se rien réserver à soi-meme? On fuit ce fleuve qui se déborde ; on aime à boire de l’eau de cette fontaine , qui s’épanche dans la prairie. Faisons cas, non pas de l’aumône fastueuse, mais de celle qui naît d’un cœur religieux. Voilà celle qui n’aura pas à re-douter le jugement de Jésus-Christ.
(3) liberior est nummus e parvo quam thesaurus c rnaximo ; quia non quantum detur, sed quantum resideat expenditur. Nemo plus tribuit, quant quæ nihil sibi reliqutt.... Etflumina superfluunt, cum redundant ; gratior tamen haustus e rivulo est. Non quidfastidio ex puas , sed quan· tumdeeotioni conféras, astintandum est. Imité et développé par nos pré-dicateurs. ( Voy. Pacaud , torn, π, pag. 254.) « Ce n’est pas l’abondance de nos dons . qui, seule et par elle-même, glorifie le Seigneur , dit saint Ambroise, mais l’esprit qui sanctifie nos dons : Non quid, etc.״ Massillon Bourdalone, Mobilier, Bossuet, etc., sur l’aumône; Cambacérès, tom. i, pag. 35g; Segaud , 1re part, du Sermon sur l’aumône'', Carême, tom. 11. pag. 356 , etc., etc.
L’armure de l'Eglise c’est sa foi ; l’armure de l'Église c’est la prière.
Implorons le secours des saints martyrs, dont les corps sont pour nous une puissante sauvegarde. Ils peuvent ohtenir de Dieu la rémission de nos péchés, eux, qui ont lavé dans leur sang les fautes qu’ils pouvaient avoir à expier. Ne rougissons pas d’invo-quer leur intercession dans nos faiblesses ; eux-mê-mes n’ont-ils pas connu les faiblesses de la chair, lorsqu’ils en triomphaient ?
Nous les honorons, non par un culte de servi-tude et de sujétion ; mais de charité et d’union fraternelle (1).
(1) « Nous honorons les saints et la bienheureuse Vierge, nou par un culte de servitude et de sujétion (car nous sommes libres pour tout au-tre , et ne sommes assujettis qu’à Dieu seul dans l’ordre de la religion) ; mais nous les honorons, dit saint Ambroise, d’un honneur de charité et d’union fraternelle,: Honoramus eo s yard a te , non servit ute.״ ( Bossuet, Serm. pour la fête de la Concept., tom. n , pag. 128.)
La chasteté cherche la solitude, la pudeur le secret, la licence le monde et ses bruyantes assent-blées (2).
(2) Castitas solitudinem picerit, pud'ica secrctum, impudica conven-tam. Ailleurs, avec encore plus de précision et d’énergie : Docet solitudo verecundiam, et gymnasium pudoris secretum est. Pag. 296.
Si nous imposons au simple laïque des obligations en apparence si rigoureuses , ménageons-nous davantage le prêtre de Jésus-Christ? Il faut des mains pures pour administrer le corps etlesang de la vie-lime sainte. Comment pourroit-on, malade soi-même, venir au secours de ceux qui le sont? Commencez par vous guérir, si vous voulez guérir les autres. Jésus-Christ renvoie aux prêtres les lé-preux qu’il avoit guéris. Vous n’êtes donc plus en droit de m’accuser d’une excessive rigueur envers vous, quand je me traite moi-même avec si peu de complaisance.
vi. Livre de la virginité.
Saint Ambroise n’a point épuisé la matière dans ses trois livres à ce sujet. Ici, il présente cette vertu sous des aspects nouveaux , ou étend ses premiers aperçus. Un motif particulier l’avoit, ce semble, obligé d’y revenir. Saint Ambroise avoit trouvé des censeurs. A propos de quoi ?
Parce que , dit-on, nous nous sommes opposés à des mariages illicites. Que l’on fasse donc un sem-Liable reproche à Jean-Baptiste. Et, puisqu’il n’y a rien peut-être dans tout le reste de ma vie qui soit disnc de louantes ; je me consolerai du moins de voir que l’on condamne dans ma conduite ce que l’on est forcé d’approuver dans celle du saint Pré-curseur. Est-ce là une autorité dont il nous faille rougir? Rappelez - vous quelle fut la cause de son martyre ; le courage qu’il eut de dire à Héro.de : Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de votre frère. S’il étoit en droit de parler ainsi dans une cause qui !l'intéressait qu’un homme ; à plus forte raison, quand il s’agit d’une vierge consacrée à Jésus-Christ ! S’il parle avec celte hardiesse à un roi, à plus forte raison dcvois-jc le faire à des particuliers. Grâces à Dieu , il n’y a }!oint ici d’Hcrode : plaise au Ciel qu’il n’y ait pas non plus d’Hérodiade!
Quoi ! les païens, parmi leurs autels profanes et leurs feux sacrilèges honorent la virginité ! Et, quoi-qu’ils ne commissent ni la vraie piété, ni le culte du cœur, ils ne laissent pas de combler de louanges celles qui gardent la pureté du corps (1). Personne d’entre eux ne détourne leurs vierges des profanes cérémonies du paganisme : et des chrétiens vien-droient repousser des autels les vierges qui courent s’y consacrer à Jésus-Christ! Là, on les contraint à embrasser une profession dont elles ne connoissent pas le mérite ; et l’on osera parmi nous rendre im-praticable une vertu qu’il ne nous est pas permis de laisser sans éloge! Chez eux, il faut user de vio-lencc ou d’artifices pour empêcher les mariages ·, et chez nous; on les contraint parles insultes portées à la virginité! Et des évêques souffriroient, sans se plaindre, un pareil désordre? ils ne s’exposeroient pas , s’il le falloit, à la mort, plutôt que de laisser compromettre l’honneur de la virginité?....... Je n’accuse personne, je ne nomme personne, je ne veux que me justifier ; l’on a porté des plaintes con-tre moi , et, si je ne me trompe, c’est du milieu de vous quelles se sont élevées. J’aime bien mieux y répondre, que d’en révéler les auteurs. Quel est donc le reproche qui m’est fait ? j’ai persuadé à de jeunes personnes d’embrasser la virginité. Qui a peine à entendre ma réponse, se dénonce lui-même. Eh bien! vous prêchez la virginité, me dit-on, et on vous écoute, on l’embrasse. Plût au Ciel que l’on pût me convaincre, en m’alléguant un assez bon nombre de faits (1) ! Je ne craindrois pas , à pareil prix, d’avoir des contradictions à essuyer. Ce sont des exemples qu’il faudroit m’opposer, non pas des discours en l’air : et combien je m’estimerois heureux que l’on eût à m’en citer! Mais j’ai bien peur de n’avoir pour détracteurs que des hommes qui, avec l’air de me censurer, me donnent des louanges que je n’ai pas méritées.
(1)״ Nous devons à la Révélation de nouvelles vertus ; nous devons à l’Evangile le comble et la perfection de la pudeur , la sainte virginité; mais j’ose dire, qu’antérieurement à tontes les lois écrites, la pudeur est innée dans l’humanité , comme la passion même dont elle doit être le frein. Dieu n’avoit pas encore publié ses lois par ses prophètes, et déjà telle étoit laloide l’univers; les superstitions les plus monstrueuses ne purent la faire oublier. ·· (L’ancien évêque de Senez , Scrm., tom. 111, pag. 5g. )
(1) Vov. phis haul , pag. 220 el la note.
J’empêche les jeunes personnes de se marier. Comment“? en leur faisant prendre le voile , en les consacrant à la religion, et les engageant dans une virginie perpétuelle. Ah ! que n’est-il en mon pouvoir de détourner du mariage plusieurs de celles qui s’y destinent ; d’échanger contrôle voile sacré de nos vierges, celui que nous mettons sur la tête des époux ! Mais, où donc est le crime de ne pas per-mettre que des vierges soient arrachées du pied des autels, pour être traînées au lit nuptial? Les choses auroient-elles donc tellement changé pour moi , qu’au lieu que les évêques ont toujours regardé comme un sujet de gloire, de répandre partout l’a-mour de la chasteté et le désir de la virginité , on m’en fasse à moi un sujet de honte et d’ignominie ?
Que l’on me dise en quoi j’ai tort de tant reconi-mander la virginité. Est-ce quelque chose de mau-vais en soi, de nouveau, ou d’inutile ? S’il y a du mal, il y en auroit donc à mener sur la terre ]a vie des Anges dans le Ciel? Seroit-cc une nouveauté ? Nul doute qu’il ne faille condamner tout ce qui ne nous vient pas de Jésus-Christ : il est l’unique voie par où nous devions marcher. Et nous serons les premiers à réprouver hautement notre propre doc-trine , si on la convainc de n’être pas celle que Jésus-Christ lui-même a prêchée. Examinons donc ce que nous enseignent Jésus-Christ et ses Apôtres...
On nous demande : « Que deviendra le monde : faire le procès au mariage, c’est faire la guerre à tout le genre humain.» Je demande à mon tour, quand il est arrivé de chercher une femme sans la trouver ? En quel pays a-t-on fait la guerre pour avoir une épouse? Qui est-ce qui a perdu la vie pour l’amour d’une vierge ? C’est bien plutôt le mariage qui a entraîné ces suites funestes, quand il a fallu venger un époux outragé par un adultère, et porter les armes contre un ravisseur. Combien d’Etats ont péri par cette cause
C’est une erreur de croire que la profession reli-gieuse nuise à la propagation de la société. Il est d’expérience que là où il y a peu de vierges, la po-pulation est moindre ; et, qu’au contraire, les villes où la virginité est en honneur, comptent le plus grand nombre d’habitants. Combien de vierges la ville d’Alexandrie , les provinces d’Afrique, de tout !,Orient, ne donnent-elles pas tous les ans à leurs églises ! Je pourrais assurer qu’il naît moins d’hom-mes à Milan, qu’il ne se consacre de vierges dans ces contrées. Cet usage de tout l’univers ne donne-t-il pas la preuve convaincante que la virginité n’est pas inutile , surtout depuis qu’une vierge a enfanté l’au-leur du salut, à qui l’empire romain doit sa fécon-dité?
Que les détracteurs de la virginité trouvent donc aussi mauvais que les femmes mariées gardent de temps en temps la continence, sous le prétexte qu’elles deviendraient plus souvent mères; qu’on ]eur permette également d’etre infidèles à leurs e'poux absents, sous le prétexte que l’absence les condamne à n’avoir pas d’enfants, et nuit à leur fc-condité.
« On ne niera pas du moins que la multiplicité des vierges ne rende plus difficile l'établissement de la jeunesse. » Je soutiens, moi, tout le contraire. Entrons en discussion : de qui viennént ces inquié-tudes? de gens mariés, ou de ceux qui ne le sont pas? Les premiers n’ont rien à craindre, leurs femmes ne pouvant plus désormais être vierges. Lès autres pourroient-ils se croire offensés personnellement de n’obtenir pas pour épouse celle qui ne veut l’être de personne? Scraient-ce les familles? Quelles atten-dent, on viendra leur demander plus vite celles qui seront à marier.
Ces arguments se retrouvent dans toutes ]es apologies de l’état religieux, discours de vêture, de profession ; souvent appuyés du nom de saint Ambroise-, toujours animés du même esprit. Voyez entr’autres lés excellentes réflexions de Bourdaloue à ce sujet, dans le second vo-lume de scs Pensées ; ses discours sur l’état religieux , à la suite de ses panégyriques ; les sermons du Père Lechapelain et du Père Lenfant, pour diverses profes-sïons, etc.
On voudrait que le voile ne se donnât qu’à des vierges d’un âge mûr. Je suis fort de l’avis que l'évêque ne sauroit trop prendre de précautions pour empêcher qu’on n’entre de trop bonne heure en re-ligion. Qu’il considère, à la bonne heure, quel est l’âge de ]a postulante ; qu’il considère plus encore quelle est sa foi et sa vocation, si elle est d’une chasteté à l’épreuve ; qu’il examine si elle a la gravité de l’âge mûr, la conduite réfléchie, les mœurs aus-tères que donne la longue habitude des combats et des victoires sur ses sens ; si elle fut élevée sous la tutelle d’une mère vigilante, si elle fut sévère dans le choix de ses compagnes. Ces qualités suppléent aisément à l’âge. Si elle ne les a pas, il vaut bien mieux différer ; c’est bien moins l’âge qui lui man-que que la vertu...
L’épouse des Cantiques s’exprime ainsi : J’ai cherché dans mon lit} durant les nuits , celui qu’aime mon âme ; je l’ai cherché et ne l’ai point trouvé ; je l'ai appeléג et Une m’a point écoutée. Elle ne l’a trouvé ni dans les carrefours, ni dans les places publiques. Ce n’est pas là que se rencontre Jésus-Christ, Ne le cherchez donc pas là où vous ne le trouverez pas. Jésus-Christ, qui est la paix, n’est pas dans le grand monde, où règne la discorde. Jésus-Christ est la justice; dans le monde, il n’y a qui n justice. Jésus-Christ est laborieux ; dans le monde, il n’y a qu'oisiveté, désœuvrement. Jésus-Christ est charité; dans le monde, il n’y a que médisance. Jésus-Christ garde inviolablement la fidélité'; dans le monde, fraude, artifices, perfidies. Jésus-Christ est dans l’Eglise; dans le monde, on ne voit que les idoles de la vanité... L’Eglise va à la recherche de Jésus-Christ sur les montagnes élevées, qui répandent de toutes parts la bonne odeur d’une vie sainte et rem-plie des plus excellentes vertus. Imitons-la.
« Je recueille tout en finissant, et je m’écrie avec saint Ambroise : Heureuse l’âme qui met sa confiance en Jésus-Christ, pour tout! car il nous est toutes phases : Omnia Christus est n0bis. Si vous êtes blessé, il est votre médecin : Si vulnus curare desi-deras , medicus est. Si vous êtes brûlé d’une fièvre ardente, il est pour vous une eau rafraîchissante : Si febribus œsluas, fons est. Si vous êtes accablé sous le poids de l’iniquité, il est pour vous la justice : Sigravaris iniquitate, justitia est. Si vous avez besoin de secours, il sera votre force : Si auxilio indiges , virtus est. Si vous craignez la mort, il est la vie : Si mortem times} vita est. Si vous désirez d’aller au Ciel, il est la voie : Si cœlum desideras, via est. Si vous voulez sortir des ténèbres, il est la lumière : Si tenebras fugis, lux est. Si vous manquez de pain, il est votre nourriture : Sicibum quœris, alimentum est. Goutez-le donc, et voyez combien le Seigneur est doux (1). »
(1) Tradiiil par Molinïer , Serin, chois., ton!. ni, pag. 22S.
Vous avez entendu le Sauveur dire à Pierre : Avancez en pleine eau. (Il parle delà foi.) Pierre répond : Maître ג nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre ; mais maintenant je jetterai lefilet sur votre parole. Peut-être que dans le Ciel Jésus-Christ et Pierre s’adressent encore aujourd’hui le même discours; et c’est nous qui en sommes l’objet. Car, l’Apôtre ne cesse pas de pêcher, ni Jésus-Christ de lui dire, Avancez en pleine eau; et il me semble en-tendre Pierre lui faire la même réponse. Il y a eu nuit pour plusieurs d’entre vous? car il en est peu qui aient assisté aux veilles que nous avons faites. Nous sommes cause que Pierre travaille et se fati-gue, lorsqu’il voit que nous sommes tièdes dans la pieté; nous sommes cause que Paul travaille et se fatigue, lorsque nous l’obligeons de nous dire : Qui est-ce qui s1affaiblit sans que je nd affaiblisse avec lui? Ne faites pas qu’à votre occasion les apôtres travaillent et se fatiguent. Cependant, ce sont eux qui disent : Nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. En effet, les riches n’ont pu seulement supporter la fatigue du jeûne... Oh ! que ne puis-je, ô mes chères filles, vous attirer toutes par l’appât des vertus célestes, et vous réunir dans les filets des saints apôtres !
vii. De l’éducation d’une vierge.
Ce qui recommande particulièrement ce livre, c’est l’éloge qui s’y rencontre de la Sainte Vierge.
Paraissez maintenant, ô mère nouvelle du genre p humain! paraissez, ô Eve, qui n’êtes plus la cou-pable exilée du paradis, mais la céleste habitante du royaume de Dieu! Féconde Sara, qui n’en fan-tez plus dans la douleur, mais dans la joie et l’allégresse, vous qui donnez naissance à des milliers d’Isaacs!
Saint Ambroise confirme la perpétuelle virginité de Marie, en réfutant les objections qui la lui contestaient, et l’établissant par les textes formels de l'Ecriture.
Il n’est point de créature sur qui Jésus-Christ ait répandu scs graces avec plus d’abondance que sur sa mère ; il n’en est point à qui il ait préparé de plus magnifiques couronnes..... Dieu promet à d’autres qu’ils ne failliront pas, et il auroit permis que sa mère vînt à faillir, qu’elle déchût de sa gloire et de son plus auguste privilège? non certes , il n’en est pas ainsi. Non; Marie, la maîtresse de la virginité, n’a souffert nulle éclipse (1). J’en prends à témoin son divin Fils, au moment où, prêt à expirer sur la croix, il léguoit ses volontés dernières. De qui le savons-nous? de celui des apôtres qui a pénétré le plus avant dans les mystères. Les autres nous ra-content qu alors la terre a tremblé, le soleil a caché sa lumière, Jésus a demandé grâce pour ses persécu-teurs; mais le disciple bien-aimé, quiavoit puisé tous les secrets de la sagesse dans le sein de son Maître , ne s’arrête pas à décrire les prodiges ni les bienfaits du Rédempteur ; il s’attache particulièrement à con-firmer par son témoignage cette vérité, que Marie avoit persévéré dans sa virginité. Femme } lui dit-il, voila votre Fils, et au disciple : voila votre mère. Pourquoi la recommande-t-il ainsi à saint Jean, si-non parce qu’elle étoit vierge? car, si elle avoit usé du mariage comme les autres femmes, il n’auroit eu garde de séparer une épouse de son époux.
(1) Voy. les sermons de Bossuet sur la conception de la Sainte Vierge; Eonrdaloue, Mystères ; Montargou , Dictionn. apostol. , loin, ix; Laur. Chesnard, Serm. sur la solide dévotion envers Marie; Disc, de morale, tom. il. pag. 244, 245, etc.
Impies, fermez ici vos bouches profanes et sacri-léges ; et vous, âmes religieuses, prêtez une oreille attentive : Jésus-Christ va parler; il fait son testa-ment du haut delà croix, il suspend, pour quelques moments, avec son sacrifice, l’œuvre de notre ré-demption, pour rendre à sa mère l’honneur qui lui est du. Par son testament , il substitue Jean à sa place; il lègue à sa mère un défenseur de sa pureté, un témoin de sa virginité. Il lègue à son disciple la garde de sa mère, les devoirs de la piété et de l’a-mour filial ; et, depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui (1). Cependant Marie se tenoit debout devant la croix; et pendant que les apôtres avoient pris la fuite, elle s’y tenoit, sans laisser paroître le moindre trouble. Elle conside'roit des yeux de la foi les plaies de son Fils, quelle savoit devoir procurer le salut de l’univers ; elle soutenait ce tragique spec-tacle, sans craindre ceux qui pouvaient lui donner la mort à elle-même. Le Fils expiroit sur la croix, la mère offrait sa vie aux bourreaux.
(1) Dans son Exhortation à la 'virginité, saint Ambroise développe ainsi la même pensée :
״ Jésus Christ , sur la croix , recommmande sa mère à son disciple saint Jean , qui , du moment où il fut appelé à l’apostolat, avoit quitté son père pour suivre le Sauveur ( Matth. iv ) : il ne confie eette vierge qu’à celui qui avoit renoncé à ses proches , qui avoit puisé la sagesse dans son sein ; qui ne connoissoit point ses frères, et qui jamais n’avoit eu d’enfants. Ce dis-ci pie remet ee précieux dépôt, selon qu’il est écrit : Depuis cette heure là il la prit chez lui. ( Joann, xix. 27. ) Eh ! que signifie cette parole chez lui , puisqu’il avoit abandonné son père et sa mère pour s’attacher à Jésus-Christ ? Comment les apôtres pouvoient-ils avoir une demeure en propre, eux qui disaient à leur maître : Voilà que nous avons tout quitté , et que nous vous avons suivi. (Matth. xix. ) Qu’est-ce que saint Jean avoit à lui. après avoir renoncé à toutes les choses du monde , et protesté qu’il n’étoit pas du monde ? Que possédoit-il en propre, que ce que Jésus-Christ lui avoit donné, je veux dire sa sagesse, sa grâce , sa connaissance de sa divi-nité?» ( Exhort, 'virginit. , tom. 11, pag. 285 , 286. Voyez Cambacérès. Panégyr., tom. nr, pag. 422 ;et mieux encore Marollcs , tom. 1,pag. 326 et suiv. )
Le saint docteur affirme encore que la Sainte Vierge à concouru par sa charité envers les hommes , à l’a-nvrc de notre rédemption. « C’est de ses bénites entrailles qu’est sorti avec abondance cet espial de sainte ferveur qui, étant premièrement survenu en elle , a inondé toute la terre. » (Tra-doit par Bossuet, Serm. sur la Conception, tom. n, pa211 .״. )
Combien nous avons coûté à Jésus-Christ ! S’en est-il prévalu pour être exigeant? Toutefois il ne nous demande qu’un seul combat pour mériter la couronne, et la couronne du Ciel. Sortez dehors, nous dit-il, sortez de ces bornes étroites où vous rc-tiennent la cupidité et les sollicitudes du siècle. Renoncez à ces plaisirs de la chair et des sens ; soyez, ?1 vos yeux, des étrangers dans le corps dont vous êtes revêtus, afin que vous puissiez jouir de la pré-senec de votre Dieu ; car ceux qui sont esclaves de la chair , ne sauraient plaire à Dieu.
Sortez dehors, et voyez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l’a couronné le jour de ses noces , le jour où sou cœur a été comblé de joie, et où il a été transporté d’amour pour les filles de Jérusa-lem ! C’est à vous, qui ne vivez pas selon la chair, mais selon l’esprit, qu’il est permis de comprendre toute l’étendue de cet amour, que le véritable paci-fique Salomon a allumé lui-même dans son cœur, cl qui l’a rendu digne de la couronne que sa mère lui a mise sur la tête.
Heureuse Jérusalem, qui êtes notre mère! plus heureuse encore, Marie, qui a couronné ce Sau-veur si grand et si puissant ! Elle l’a couronné le jour où elle le conçut dans son sein ; elle l’a cou-ronné le jour où elle lui donna la naissance ; elle a posé sur sa tête le diadème tissu par l'amour, qui déclarait au monde le chef et le monarque de tous ceux qui croiroicnt en lui.
Une fois morte au monde, ne souillez plus ni vos mains, ni votre cœur de la contagion du monde. Tenez-vous en éloignée sans cesse, occupée perpé-tuellement à faire retentir les cantiques sacres en l’honneur, non d’un homme mortel, mais de Dieu. A l’exemple de Marie, gardez bien et repassez dans votre cœur les paroles que vous avez entendues sur Jésus-Christ.
Le livre se termine par cette éloquente prière adressée à Dieu, pour celle qui en avoit été l’occasion (1) :
(1) Ambrosia , fille d’Eugène , nn des premiers citoyens de Milan , qui l'avoit confiée à la direction du saint archevêque.
Il est juste, ô Père des miséricordes, maintenant que je suis à la lin de ma course, et que j’ai achevé cet ouvrage, de vous adresser ma prière , et de rendre à votre bonté d’immortelles actions de grâces , de ce que les vierges ont rétabli sur la terre ]a vie des Anges dont nous étions déchus dans le Paradis terrestre. Que pouviez-vous faire de plus capable d’inspirer l’amour de la virginité, d’affermir dans la pratique de celte admirable vertu, d’en faire connoître le prix et l’excellence, que de faire naître votre Fils unique d’une vierge ? C’est l’ineffable présent que nous a donné la rédemption d’un Dieu sauveur; nous avons plus gagné que le péché d’A-dam ne nous avoit fait perdre. Votre Fils même, ve-nant sur la terre pour y chercher ce qui étoit perdu, ne pouvait s’y faire de demeure plus digne de sa sainteté, que de consacrer le soin d’une Vierge, pour être, à la fois, et le sanctuaire d’une parfaite chasteté, et le temple du Seigneur.....Daignez couvrir de votre protection toute-puissante , cette fille qui se dévoue à votre service, et qui veut vous appartenir toute entière. Je vous la présente comme victime, en qualité de pontife; comme ma fille, me substituant à son père. Soyez vous - même son guide et son soutien. Introduisez-la vous-même dans le sanctuaire du céleste époux qu’elle a choisi. Qu'elle mérite d’entendre ces bienheureuses paroles : Venez ici du Liban , ô mon épouse ! venez ici du Liban, vous passerez et vous repasserez ; c’est-à-dire, qu’elle partira du siècle présent pour repasser dans l’éternité. La voici au pied des autels, non plus avec la pompe et la recherche des parures du siècle, mais telle que Madeleine au jour où elle vint répandre ses parfums sur les pieds de Jésus-Christ. Mais afin quelle puisse se soutenir dans ses généreuses résolutions, et acquérir des trésors de mérite, joignez-vous à elle , ô Dieu tout-puissant ! La virginité ne marche jamais toute seule ; elle est toujours accompagnée d’une longue suite de vertus. A la pudeur dont elle est ornée, ajoutez la modestie, la sobriété, la continence. Donnez-lui un voile dans le sang de l'Agneau ; faites qu’elle porte dans sa chair la mortification de Jésus-Christ. C’est là le voile glorieux que vous mettrez sur sa tête; ce sont les riches vêtements dont vous relèverez l’éclat de son innocence. Ajoutez une ardeur toujours égale Pag 274. pour le service de la religion ; l’amour des humilia-tions, une charité ardente, un zèle inébranlable pour la vérité, un soin continuel de la modestie.
Qu’elle soit chaste comme la tourterelle, simple comme la colombe ; quelle ait un cœur plein de candeur ; quelle soit sobre à parler ; remplie de ten-dresse pour ses parents, de compassion pour les pauvres et les misérables , d’éloignement pour tout ce qui a l’apparence du mal.
viii. Invective contre une vierge qui s’étoit laissée corrompre.
Le recueil des ouvrages de saint Ambroise, relatifs à la virginité, se termine par l'invective contre une vierge qui s’étoit laissée corrompre. On n’est pas généralement d’accord que cet écrit soit de l'archevêque de Milan (1). On en retrouve une toute semblable dans saint Jérôme et dans saint Basile-le-Grand. Mais quelqu'en soit l’auteur, elle est digne de saint Ambroise, car elle res-pire toute la vigueur sacerdotale. On y développe avec chaleur tous les sentiments les mieux faits pour amener à une sainte confusion de sa faute celle qui avoit perdu ]a grâce et les privilèges de l’innocence; cet écrit n’est pas moins inte'ressant par les détails qu’il nous transmet de la discipline du temps.
(1) Voy. D. Ceillier, tom. va, pag. 4;6. Le savant bénédictin conclut par ces paroles : ״ Laissons saint Ambroise en possession de ce traité, qui n’a rien qui ne soit digne de lui.»
« S’il vous est devenu impossible de soutenir les regards des hommes ; où en serez-vous lorsque vous paroîtrez devant l’assemblée des saints patriarches , des justes et des prophètes , devant le chœur sans tache des vierges, et des saints Anges? Ne serez-vous pas confondue, anéantie par les éclairs qui sortiront de leurs yeux enflammés?....
Vous m’allez dire qu’avec une chair aussi foible ? vous n’avez pu résister à la violence de la tentation ; une sainte Thècle vous répondra, avec la troupe innombrable de ses compagnes : Nous aussi nous avions une chair non moins faible ; cependant toute la fragilité de la chair , ni toute la violence des tentâtions , ni les fureurs des tortures n’ont pu ébranler notre chasteté, pas plus que notre foi, La chair ne se rend pas avant que le cœur ne soit corrompu. L’âme s’est toujours ouverte au crime, avant que la chair ne vienne à succomber. « On m'a fait vio-lence. » Susanne étoit comme vous attaquée par la violence : elle a résisté. Quels cris avez-vous jetés pour échapper au ravisseur? Quelles cicatrices attes-tent vos combats? Quels vengeurs avez-vous invoqués contre l’outrage qui vous avoit été lait?
Votre père j votre mère ג dans les pleurs et dans le désespoir, étoient loin de s’attendre à un opprobre qui rejaillit sur toute votre famille. Que vous eussiez quitté la vie avant votre crime , vos parents auraient donné des larmes à votre séparation ; mais ces lar-mesn’auroient pas été sans consolation. Aujourd’hui ils sont réduits à vous pleurer, comme étant à la fois morte et vivante : morte à la gloire de la virginité dont vous êtes déchue, vivante pour l’infamie.
Vous aviez effacé de votre mémoire le jour où vous fûtes présente à l’autel pour recevoir le voile sacré. C’éloit la solennité de la Paque. Alors 7 dans celte grande et nombreuse assemblée de fidèles que la fête avoit attirés à l’église, vous marchiez comme une reine qui va s’unir à son epoux, à la clarté des flambeaux que les nouveaux baptisés portaient dans leurs mains, environnée de la brillante escorte de néophytes aspirants au royaume du Ciel. Vous aviez oublié l’exhortation qui vous fut adressée en ce.mo-ment, quand on vous disoit : Venez , ma fille , faites attention, vierge de Jésus-Christ, et oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi désirera votre beauté, parce qu'il est le Seigneur, votre Dieu. Quelle multitude de peuple accourut pour être témoin de l’alliance toute céleste que vous alliez pour toujours contracter avec Jésus-Christ! Après d’aussi solennels engagements, vous avez pu être infidèle, quand vous auriez dû répandre votre sang et perdre mille fois la vie, plutôt que de perdre la chasteté' ! Là, à la suite des exhortations qui vous mirent sous les yeux l’excellence de l’état que vous embrassiez, ou posa sur votre tête le voile sacré ; et tout le peuple chrétien, souscrivant à votre géné-reuse résolution, la ratifia à haute voix et par ses acclamations, en répondant Amen (1). Que si l’épouse adultère mérite la mort aux termes de la loi, bien qu’elle ne soit unie qu’à un simple mortel ; quel châtiment ne mérite pas l’adultère commis envers le céleste époux, en présence d’aussi augustes témoins .....
(1) Voy. Bourdaloue faisant allusion à ces paroles de saint Ambroise , dans un discours sur l’alliance de l'âme religieuse avec Dieu, Panégyr., tom. ir, pag. 314.
Encore si vous n’aviez nui qu’à vous seule ; ma douleur, quelque vive qu’elle eut été, auroit pu re-cevoir quelque adoucissement. Mais combien d’âmes ont été blessées par le scandale que vous avez donné ! Combien de vierges vous avez fait repentir d’avoir embrassé leur sainte profession ! Combien de chré-tiens vous avez porté à souiller leur bouche par des blasphèmes, et à condamner la voie du Seigneur ? Ce n’est pas tout : vous avez été cause que les Gentils ont fait contre nous des satires amères, et que la synagogue, insultant à votre foiblesse, s’est vantée de votre ignominie, comme d’un insolent triomphe remporté sur notre Eglise.
Pourtant le Dieu qui a dit par la Louche de son Prophète : Je ne veux, pas la mort du pécheur , ?nais qu’il se convertisse et qu’il vive. vous offre un re-mode dans votre blessure ; c’est la pénitence. Plus le crime est énorme , plus la vôtre doit cire rigou-reuse. Revétez-vous d’une robe de deuil; coupez ces cheveux qui ont servi à votre vanité, et donné occasion à votre perte ; exercez sur toute votre per-sonne une sainte cruauté. Comme c’est Dieu pro-prement que vous avez offensé , c’est de lui seul que vous devez attendre la rémission de votre crime , en le conjurant de vous être favorable au jour de son jugement. «Une grande plaie exige des remèdes forts et prolongés ; un grand crime exige nécessai-renient de meme une grande satisfaction (1). »
(1) Traduit par M. l'abbé de Trévern, Discuss, amie.,lum. 1, pag. 197. ( Sur la nécessité des œuvres satisfactoircs dans la pénitence. ) Grandi plagie alta et prohxa opus est ntedicina; grande scclus grandem hahcl ne-cessariam satisfactiouem.
ix. Livre des Mystères, ou des initiés.
Ce livre est un des plus précieux monuments qui nous soient parvenus de l’antiquité. Saint Ambroise y explique aux catéchumènes la nature et les cérémonies des sacrements de Baptême, de la Confirmation et de l’Eu-charistie. Les siècles modernes n’ont rien de plus pré-cis, ni de plus concluant.
On commencoit les cérémonies du baptême par ouvrir les oreilles du catéchumène , en disant ephphethay c’est-à-dire, ouvrez-vous, afin qu’il sût ce qu’on lui demandait, et ce qu’il avait à répondre; ensuite on le faisoit entrer dans le saint des saints , c’est-à-dire dans le bap-tistère, pour v recevoir le caractère de la régénération. Là , en présence du diacre, du prêtre et de l’évêque , il renonçait au démon , au monde et à ses plaisirs. En re-nonçantau démon, le catéchumène setournoità l'occi-dent comme pour lui résister en face, puis il se tournait à l’orient comme pour regarder Jésus-Christ. L’évêque faisoit après cela la bénédiction des eaux du ba:n sacré. On y plongeait le catéchumème, et dès lors il était pu-rifié de tous ses péchés. Au sortir des fonts, l’évêque faisoit au baptisé Fonction sur la tête, puis on lui lavoit les pieds et on le revêtait d’habits blancs, pour marquer qu’il s’étoit dépouillé du péché et revêtu des chastes vêtements de l’innocence. Après quoi il recevait le sceau spirituel, l’esprit de sagesse et d’intelligence , l’esprit de conseil et de force, l’esprit de connoissance et de piété , l’esprit de la sainte crainte , c’est-à-dire le sacrement de Confirmation , marqué dans les paroles de l’apôtre aux Corinthiens, qu’on récitoit tout haut : Dieu le Père vous a marqué de sou sceau ; Jésus-Christ , notre. Seigneur , vous a confirmé., et vous a donné les arrhes du Saint-Esprit dans votre cœur. Le nouveau baptisé étant ainsi pu-rifié marchait vers l’autel en disant avec le Psalmiste : J’entrerai à l’autel du Seigneur, à Dieu qui réjouit ma jeunesse. Il y allait avec empressement pour participer au festin céleste ; y étant arrivé , et voyant le saint autel orné, car on le couvrait de vases d’or et d’argent, d’étoffes de soie , de fleurs et de cierges , il s’écriait avec le même prophète : Vous avez préparé une table devant moi, c'est le Seigneur qui me nourrit, rien ne pourra me Ibid. r. manquer. Il ni a établi clans un lieu abondant en pâturage , et le reste du psaume ; puis , il assistoit pour la première fois au. saint sacrifice.
Toutes ces particularités sont marquées avec précision dans ce traité. Elles ne le sont pas moins dans l’ouvrage <jai suit, sous le titre des Sacrements , qu’il soit ou non de saint Ambroise, mais remontant sans nulle contesta-tion à celte haute antiquité. ( Quant au premier surtout ; voyez, dans le volume precedent, les Catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem. )
La rigoureuse conformité avec l’esprit de nos cérémo-nies , et toute la doctrine catholique s’y trouve si par-faitenient établie , que plusieurs protestants, dans l’im-puissance de la contester, ont pris le parti de disputer à saint Ambroisecetouvrage; d’autres, demeilleure foi, ont abandonné une opinion que démentent tous les manu-scrits.
S’adressant aux. initiés : « Vous êtes entrés par votre baptême dans la connoissance des mystères de la religion de Jésus-Christ, Ingressuses religionis mysterium. Rap-pelez à votre souvenir les demandes qu’on vous a faites, cl ce que vous avez répondu : Répété quid interrogatus responderïs. Vous avez expressément renoncé à Satan et à ses œuvres de ténèbres; vous avez abjuré le monde, son luxe et ses plaisirs : Renunciasti Diabolo et operibusejus; renunciasti mundo luxuries, acvoluptatibus ejus. C’en est fait : vous êtes engagés; vous avez donné parole à la face des autels , en présence de Dieu ; ses anges en sont les témoins : Teneturvoxtiiainlibroviventium;prœsentibus Angelis locutus rj. Maintenant, il n’est plus question de dissimuler et de nier : non est fallere, non estnegare.
Si vous vous montriez faussaires, ce chrême sacré dont vous fûtes oints au jour de votre Baptême, ce cierge qu’on vous mit en main , cette robe blanche dont on vous a revêtus; le prêtre, qui des ténèbres vous fit pas-ser à la lumière ; cet autel sacré, les pierres mêmes de ce temple s’éleveroient contre vous (1) ».
(1) Traduit dans Montargou , Dictionn. apostol. , tom. 1, pag. 385 , 386.
Après avoir détaillé les cérémonies des deux premiers sacrements , le saint archevêque expose celles qui ac-compagnoient l’admission à la table eucbaristiqne. 11 prouve l’excellence et la vérité du sacrement.
« Prenez garde, je vous prie (c’est la réflexion de saint Ambroise). Quand le Fils de Dieu parloit aux Juifs de ce sacrement, il ne disoit pas : Ego sum cibus , Je suis, la viande; mais il leur disoit : Caro meci were esteibus .*Ma chair est la viande dont il faut que vous soyez spirituellement nourris. Ce n’est point l’âme , ce n’est point la divinité de Jésus-Christ qui fait notre aliment spirituel dans Toucha-rislie, c’est sa chair (2). »
(2) Bctirdaloue, Mystères, tom. 1, pag 409.
Considérez quel est le plus excellent, ou de cette manne que Dieu donnoil aux Israélites dans le dé-sert, appelée le pain des Anges, ou de la chair de Jésus-Christ, laquelle est le corps de la vie même. Celle-là tomhoit du ciel ; celle-ci est au-dessus du ciel, et elle est la manne du Seigneur des Cieux.
Celle-là étoit sujette à se corrompre quand on la gardoit d’un jour à ]’autre ; et celle-ci est tellement éloignée de ]a corruption, que quiconque la mange avec piété, deviendra lui-méme incorruptible. L’eau coula d’un rocher en faveur des Juifs; mais pour vous coule le sang de Jésus-Christ même. Cette eau les désaltérera pour quelques heures ; le sang de Jésus-Christ vous lave et vous purifie pour toute l’é-ternité. Le Juif boit, et a encore soif; mais quand vous aurez bu de ce saint breuvage , vous ne serez plus altéré. Cette nourriture, et ce breuvage de l’ancienne loi n’étoient que des figures et des om-hres ; mais cette nourriture et ce breuvage sont la vérité. Que si ce qui n’étoit que l’ombre excite votre admiration, combien grande doit être la chose même ? En effet, la lumière est bien plus excellente que l’ombre ; la vérité, que la figure ; le corps du Créateur du ciel, l’est bien plus que la manne torn-bée du ciel....... Vous me direz peut-être : Je vois autre chose; comment m’assurez-vous que je reçois le corps de Jésus-Christ ? Prouvons que ce n’est pas ce que la nature a formé, mais ce que la hénédic-tion a consacré ; et que la bénédiction a plus de force que la nature, puisqu’elle change la nature même. Moïse tenoit un bâton en sa main, il le jeta à terre, et il devint un serpent. Les eaux des fleuves d’E-gyplc étoient pures ; et tout à coup on les vit couler en sang. Le peuple d’Israël étoit altéré, Moïse frappe le rocher , et il en sort de l’eau. Si la bénédiction des hommes a le pouvoir de changer la nature ; que dirons-nous delà consécration divine, où les paroles memes du Seigneur opèrent ? Car ce sacrement que vous recevez est formé par les paroles de Jésus-Christ. Que, si la parole d’Elie a pu faire descendre le feu du ciel ; la parole de Jésus-Christ ne pourra-t-ellc pas changer la nature des éléments? Vous avez lu dans l’histoire de la création du monde, que Dieu ayant parlé , toutes choses ont été faites. La parole donc de Jésus-Christ, qui a pu du néant faire ce qui n’étoit pas, ne peut-elle pas changer ce qui est, en ce qui n’étoit point? Car il n’y a pas moins de pou-voir à donner l’être , qu’à le changer. Mais pourquoi employer ici les raisonnements ? servons-nous plutôt des exemples que Jésus-Christ nous fournit ; et, par celui de son incarnation, établissons la vérité du mystère de son eucharistie. Est-ce selon l’ordre naturel que Jésus-Christ est né de Marie? n’est-il pas évident, au contraire, que c’est par un miracle qu’une vierge est devenue mère? Or, ce corps même que nous produisons par la parole , est le même qui est né d’une vierge. Pourquoi chercher l’ordre de la nature dans la production du corps eucharistique de Jésus-Christ, puisque Jésus-Christ est né d’une vierge, contre l’ordre de la nature C’est la véritable chair de Jésus-Christ, qui a été crucifiée et ense-velic ; c’est donc elle aussi qui est véritablement dans ce sacrement. Jésus-Christ le déclare lui-même? disant : Ceci est mon corps. Avant la consé-cration qui se fait par ces paroles célestes, on donne à cela un autre nom ; mais après la consécration , cela est nommé le corps de Jésus-Christ. Il dit lui-meme que ce qui est dans le calice est son sang. Avant la consécration , cela s’appelle d’un autre nom ; mais après la consécration, on l’appelle sang, et vous répondez amen, c’est-à-dire, il est vrai. Croyez donc de cœur ce que vous avouez de bouche ; et que vos sentiments intérieurs soient conformes à vos paroles. Jésus - Christ est dans ce sacrement, parce que ce sacrement contient le corps de Jésus-Christ. Ce n’est donc pas une nourriture corporelle^ mais spirituelle ; car le corps de Dieu est spirituel comme Jésus-Christ est le corps du divin esprit, parce que Jésus-Christ est esprit. Cette viande cé-leste fortifie notre cœur ; ce breuvage remplit de joie le cœur de l’homme. Après donc avoir reçu ce sacrement, soyons persuadés que nous sommes régénérés, et ne disons pas : Comment avons-nous pu être régénérés ? Il ne faut point chercher l’ordre de ]a nature là où est l’excellence de la grâce (1). »
(1) Traduit par D. Ceillier, article saint Ambroise, torn, vu, pa484 .״. 485 et 644·
x. Les six livres des Sacrements.
Il y a de fortes raisons pour douter que cet ouvrage soit de saint Ambroise. Les savants éditeurs qui le lui con-testent n’en prouvent pas moins qu’il est d’une haute antiquité. Il est évident que ces livres furent composés d’après les écrits du saint archevêque, et qu’ils ne sont que la substance de sa doctrine; on les cite communément sous son nom. Nous y retrouvons toulce que nous croyons et pratiquons encore aujourd’hui dans l’admi-nistration de nos sacrements : l’usage de toucher les na-rines et les oreilles de la personne que l’on présente au baptême; l’onction quiprécède Je baptême, les exorcis-mes,et le chrême qui accompagne Fonction, les interro-gâtions faites aux néophytes (1). Nous y voyons indiqué clairement le sceau spirituel par lequel celui qui avoit été baptisé devenait parfait chrétien en recevant le Saint-Esprit par la vertu de l’invocation de l’évêque, ce qui marque le sacrement de confirmation ; le changement qui se fait à l’autel eucharistique, du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ, par la vertu de ses propres paroles; plusieurs des cérémonies usitées dans le sacri-fice de la messe, et Içs paroles principales du canon, avec des explications sur tout l’ordre de la liturgie, tel à peu près que nous l’observons aujourd'hui, et qui en démon-trent invinciblement l'antiquité (2).
(1) Voy. te traité précédent des Mystères, , qui est incontestablement tie saint Ambroise.
(2) « La liturgie de Milan, dite Ambrosienne , reçut un nouveau lustre de notre saint docteur; mais il est prouvé par ses écrits mêmes, qu'elle étoit plus ancienne que lui , du moins quant à certains points empruntés de la liturgie romaine.» ( Godescard ; trad, de Butler, Vies des Saints , article saint Ambroise, ton!, xtr, pag. 48 , note , et il cite à Tap-pui Le Brun, Sonmani et Muratori. )
Prouvons-le par quelques passages.
L’auteur s’adressant aux néophytes :
Qu’avons-nous fait le samedi? (Veille des jours de Pâque et de Pentecôte, les seuls où le sacrement de baptême s’administroit avec solennité'.) Ce que fil le Sauveur, à l’égard du sourd-muet qui lui avoit été présenté : nous avons dit ephphetha (adaperire), vous touchant les oreilles et le visage, pour que vous fussiez disposés à entendre la parole de Dieu, et à répondre aux demandes qui allaient vous être faites par son ministre.
Vous êtes entré dans le baptistère : vous avez reçu l’onction, comme devenant l’athlète de Jésus-Christ, comme destiné à combattre contre le siècle (1).
(1) Saint Chrysostôme : «De même que l’on oignoit les athlètes par tout le corps avant de les exposer aux combats, ainsi on oint toutes les parties du corps de celui qui va être baptisé, afin qu’il n’entre dans la carrière cl dans la milice chrétienne, qu’après’ s’être disposé à corn-battre contre les ennemis du salut, et à en triompher. »
Nos plus anciens monuments parlent de ces onctions , et distinguent celles qui précèdent le baptême , d’avcc celles qu’on faisait après. On les faisoit sur tout le corps. On lésa réduites à deux, l’une sur la poitrine, l’autre entre les épaules ; symbole de la grâce que la vertu,de Jésus-Christ répand dans le cœur , et de la douceur du joug que sa loi impose.
Quelques théologiens modernes ont révoqué en doute la nécessité de l’onction et des exorcismes qui s’administrent au baptême; ils sont réfutés par l'antiquité et la doctrine constante de notre Eglise.
Il vous a été demandé : Renoncez-vous au démon et à ses œuvres? Qu’avez-vous répondu? J’y renonce. Renoncez-vous au siècle et à ses plaisirs? De meme vous avez répondu : J’y renonce. N’oubliez pas cette promesse ; c’est une créance à laquelle vous êtes en-eaaé, et dont le titre est inscrit non sur la terre, mais dans le ciel (1).
(1) Saint Augustin : » Vous avez ouï, et vous avez professé que vous renonciez au démou, à ses pompes et à ses auges. Voyez, nos très chers Frères, que vous l’avez juré en présence des Anges, et que les noms de ceux qui ont fait ces promesses sont écrits dans le livre de vie, non par la main d’un homme, mais par celui qui est au-dessus des puissances du ciel.» ( Lib. ri , de Symb., cap. 1. )
Salvien : « Quoi ! est-ce ainsi que vous devez aller contre la première chose que von» avez promise au Seigneur ? On ne vous a admis dans son Eglise, qu’après que vous eûtes renoncé aux pompes et aux œuvres du démon; et ce sont ces memes pompes que vous recherchez, lorsque vous vous trou-vez aux spectacles: c’est donc retourner au démon que d’aller dans ces lieux , et rétracter votre promesse ! » ( De Provid., lib. vi. )
Vous êtes entré dans l’eau sacrée du baptême ; qu’y avez-vous vu? De l’eau, un prêtre, un lévite. Est-ce tout? Oui, tout ; car rien ne manque là où se réunissent, dans leur plénitude, l’innocence, la piété, la grâce, la sanctification. Vous avez vu tout ce qu’il y avoit, des yeux du corps ; vous n’avez pas vu ce qui s’opère, parce que c’est là ce qui échappe aux sens. Ce qu’ils ne pénètrent pas, est bien plus excellent que ce qu’ils saisissent; il y a entre les uns et les autres objets toute la différence du temps et de l’éternité.
D’où cette eau du baptême reçoit-elle son effîcacité, si ce n’est de la croix de Jésus-Christ, delà mort de Jésus-Christ? c’est là tout le mystère. Les souffrances de la Passion, source de notre rédemp-lion, source de votre salut.
Le baptême conféré au nom de la très sainte Trinité.
Sur la demande qui vous a été faite : Croyez-vous à Dieu le Père tout-puissant? vous avez dit : J’y crois; et vous avez été plongé dans l’eau une première fois. Puis on vous a demandé : Croyez-vous en notre Seigneur Jésus-Christ et en sa croix? vous avez répondu : J’y crois; et vous avez été plongé une seconde fois, pour marquer que vous étiez enseveli avec Jésus-Christ, dans l’espérance qu’enseveli avec Jésus-Christ, vous ressusciterez avec lui. On vous a demandé après cela : Croyez - vous au Saint-Esprit ? vous avez répondu : J’y crois ; et une troisième fois vous avez été plongé (1).
(1) Tertullien : « Nous sommes plongés trois fois au nom de chaque personne de la sainte Trinité ». ( Adv. prax., cap. xxvi. ) Saint Atlianase en donne cette raison : « Pour représenter la mort, la sépulture et la res-snrrection du Sauveur. » ( Quœst. exxiv. ) Saint Ambroise , on l’auteur du livre des Sacrements , dit que c’est par allusion à la triple profession de foi de l’apôtre saint Pierre ( lib. 11, cap. vu ). La coutume de baptiser par immersion venoit, selon saint Basile ,de tradition apostolique: et les ca-nons des apôtres semblent exclure toute autre manière de baptiser. Pour-tant on rencontre des exemples assez frequents du baptême par simple in-fusion. Les malades n’en pouvaient recevoir d’autre.
La profession de foi qui étoit demandée, portait d’abord sur la croyance à la très sainte Trinité; de plus, à toutes les choses sacrées qui nous ont été laissées par la divine tradition , dit l’auteur du livre de la hiërar-chie ecclesiastique. Saint Jérôme : « C’est la coutume dans le baptême , après qu’on a interrogé sur la croyance de la Trinité , de demander : Croyez-vous la sainte Eglise catholique, la rémission des péchés?» (Dialog, adv. Lucif., cap. v. ) Saint Jean Chrysostôme : « Quand nous sommes prêts a être baptisés, on nous fait dire : Je crois à la résurrection des morts ; et c’est sur cette croyance que nous recevons ce sacrement.»
Saint Augustin nous apprend que cette profession de foi se faisoit en public, dans un lieu élevé. ( Confess., lib. vin , cap. ri. )
Ces immersions faites, quelles ont été les paroles prononcées par le prêtre? Les voici : Que le Seigneur qui vous a régénéré par l’eau et le Saint-Esprit, et vous a accorde la remise de vos péchés, vous oigne pour la vie éternelle. Vous l’entendez, pour la vie éternelle ; n’allez pas désormais sacrifier cette vie éternelle à la vie présente.
Le prêtre vous a lavé les pieds, comme Jésus-Christ l’a fait à ses apôtres.
Je sais bien que cet usage (de laver les pieds dans la cérémonie du baptême) n’existe pas dans l'Eglise romaine, dont nous suivons, pour tout le reste, les institutions, comme règle de notre discipline. En-fin, elle n’est pas dans cet usage, peut-être à cause de la grande quantité des catéchumènes. D’autres en expliquent ainsi le motif : parce que cette circon-stance ne tient pas au sacrement, on ne lave les pieds qu’en signe d’hospitalité. Autre chose est d’exercer l’humilité, autre chose est d’opérer la sanctification. Si nous en maintenons l’usage, si meme je le crois nécessaire, ce n’est pas pour blâmer ceux qui ne le font pas ; mais simplement pour justifier notre methode. Je souhaite de me confor-mer en tout à l'Eglise romaine; toutefois, nous avons aussi nos maximes et nos libertés: ailleurs, on fait mieux d’agir comme on le fait; nous, nous faisons mieux de nous en tenir à nos usages.
Sur le sacrement de Confirmation.
Immédiatement après la réception du sacrement de baptême , on procédait à l'administration du sacrement de confirmation (1).
(1) Toute la croyance de l'Eglise,au sujet de la confirmation, c’est que, par cette cérémonie extérieure, on donne le Saint-Esprit à ceux qui ont été baptisés; et c’est par l'imposition des mains de l’évêque, et par l’onction du chrême, qu’ils reçoivent cctle grâce. Tertullien .־ « Quand nous sommes « sortis des eaux du baptême , on nous oint d’une huile bénite ; ensuite on >> nous impose les mains pour faire descendre le Saint-Esprit. » ( Lib. de bapt., cap. vin.) Il ajoute : « Pour lors le Saiut-Esprit descend avec plaisir » sur ceux qui ont été purifiés , et bénis par les eaux du baptême; il re-» pose sur eux, les reconnaissant comme sa demeure , de même qu’il des-» rendit sur Jésus-Christ, sous la figure d’une colombe , après son bap-» terne. >>
Le baptême s’administre indifféremment par les mains de l’évêque, du prêtre on du diacre : nous l’avons vu dans Tertullien, saint Cyrille de Jé-rusalem, etc. Le concile d’Elvire permet même à tout fidèle laïque de don-ner ce sacrement en cas de nécessité ( Can. xxxvm ). Il n’en étoit pas ainsi de la confirmation, que l’évêque seul avoit le droit de. donner. Cette dis· tinetion remontait à la plus haute antiquité. Il n’est pas nécessaire d’en ac-cumuler les témoignages : on les trouve dans tous les livres qui traitent de nos sacrements. Le pape saint Innocent Ier, écrivait : « Les prêtres peu-» vent oindre les baptisés avec du chrême; mais non pas leur mettre de «cette meme huile consacrée sur le front, parce que eela n’est permis » qu’aux seuls évêques. » C’étoit, au fond , la même huile, mais préparée d’une manière particulière pour l’adininistralion de la confirmation. L’an-leur du livre De la hiérarchie ecclésiastique le dit expressément : « Nous » apprenons, dit-il, que cette liqueur est un composé de plusieurs matières, » qui exhalent des odeurs douces et agréables. » Et saint Augustin s’ex-prime dans les mêmes termes. ( Lib. vu cortr. Donat. )
Sur le sacrement de l'Eucharistie.
« Ce seroit vouloir ajouter des rayons au soleil, que de prétendre éclaircir par des réflexions ce que dit saint Ambroise, que la chair de Jésus-Christ que nous rece-vons dans l'Eucharistie est la même qui est née de la Vierge, qui a été crucifiée et qui a été mise dans le tom-beau. Qu’eût pensé saint Ambroise et l'Eglise de son temps, d’un homme qui aurait osé dire , que la chair de Jésus-Christ dans l'Eucharistie est différente de celle qui a été crucifiée et mise dans le tombeau? »
Les sacrements de la loi nouvelle^ à lc bien prcndre, remontent beaucoup plus haut que l’ancienne loi. La preuve? Les Juifs ne vont pas au-delà d’Abraham. Avant Abraham, nos mystères existaient; Melchisedech offrit le pain ct le vin.... Qu’étoit-ce que Melchisedech? On l,appelle roi de justice, roi de paix. Ces titres peuvent-ils appartenir à un homme? ils ne conviennent qu’à celui qui seul a droit de dire : Je vous donne ma paix.
Melchisedech nous est présenté encore comme étant sans père ni mère : en quoi il est l’image du Fils de Dieu... L’auteur de nos sacrements, quel est-il donc? si ce n’est notre Seigneur Jésus-Christ.
A la suite des deux sacrements de baptême et de confirnation , les nouveaux baptisés étaient admis à la table eucharistique (1).
(1) Tertullien : « On lave la chair daus l’eau du baptême, afin que ״ l’â'ine soit purifiée de ses taches; on fait l’onction sur la chair, afin que. « l’âme soit consacrée; la chair mange le corps et le sang de Jésus-Christ, » afin que l’âme soit remplie et engraissée de Jésus Chsist. » ( De resurr. earn., cap. vin.) L’auteur du livre Des sacrements : « Parce qu’il faut » perfectionner les baptisés , c’est pour cela , qu’après être sortis des fonds, » on leur donne le Saint-Esprit par la prière du prêtre; ensuite on les fait »> venir à l’autel. Etant a!rivés à l’autel, on leur disoit: Vous avez été lavés « dans les eaux du baptême, figurées par celle de la fontaine de Siioé : ״ vous allez être admis aux autels, pour y voir et pour y recevoir ces re-» doutables mystères , auxquels vous ne pouviez participer durant le temps « de votre aveuglement. » (Lib. ix.)
Vérité eucharistique. Institution du sacrifice du pain et du vin, figurée dans l’ancien Testament, désignée par les oracles précis des livres prophétiques de David et an-très (2).
(2) Imité par nos prédicateurs, rappelant l'oblation faite par Melchi-sedech , les figures de l’ancien Testament, et les textes de l'Ecriture. « Que veut donc nous dire Isaïe , quand il nous assure que les serviteurs du Seigneur mangeront, qu’ils boiront, etc.? Que veut dire le roi-prophète, quand, long-temps avant Isaïe, il nous annonce que Dieu, pour donner à manger à ceux qui le craignent, a fait l’assemblage des plus grandes mer-veilles?... etc., etc. » (Montarg״, Dictiomi. apost., t. vm,p. etsuiv.)
Vous m’allez dire, con est là qu’un pain commun. Oui, avant la consécration. Mais, apres la consé-cration, de pain qu’il étoit, il est devenu la chair de Jésus-Christ, par la vertu des paroles de Jésus-Christ lui-méme. Partout ailleurs, le prêtre prie en son propre nom ; ici, les paroles qu’il profère sont celles de Jésus-Christ; c’est donc la parole de Jésus-Christ qui opère ce sacrement. Et quelle est-elle? La même qui a fait le ciel et la terre. Avant la consecration, ce n’était qu’un pain matériel; après la consécration, je vous le répète, je vous l'affirme , c’est le corps de Jésus-Christ (1). Quand Jésus-Christ lui-même a parlé, est-il permis de douter de la vérité de sa parole ? « La parole d’Elie a pu faire descendre le feu du ciel pour consumer sa victime. Qu’étoit-ce cependant que le sacrifice d’Elie, en comparaison du sacrifice de Jésus-Christ? et la parole de Jésus-Christ ne pourrait transformer les substances pour nous donner notre victime! Sa toute-puissance a créé ce qui !l'existait pas ; son amour ne pourra-t-il pas changer ce qui était? l’un est-il plus diffîcile. plus impossible que l’autre (2)?»
(1) Tu forte diets : Meus panis est usitatus. Sed pants iste est ante verba sacrameutorum : ubi accesserit consccratio, de pane fit caro Christi. Consecratio autem quitus verbis et cujus sermonibtis ? Domini Jesu. A am reliqua omnia quie dicuntur in superioribus , a sacerdote di-cuntur ; laudes Deo deferuntur ; oratio petitur pro populo. Ubi~venitttr ut conficiatur vetterabile sacramentum , jam non suis sermonibtis utitur sacerdos , sed utitur sermonibus Christi. Ergo sermo Christi hoc conficit sacramentum. Qttîs est sermo Christi ? Nempe is quo facta sunt omnia.
« Saint Ambroise, comme prévenant les difficultés que dévoient former par la suite nos frères séparés, s’exprime ainsi : « J’avoue que le pain n’est » que du pain avant les paroles du sacrement ; mais dès que la consccra-” lion est survenue, je crois et je confesse que c’est le corps et la chair de » Jésus-Christ. C’est lui-même qui nous le dit. » ( Alontargon . Dictionn. apostol., loin, vn, pag. 491.)
(2) L’abbé Clément, Mystères, torn. 1, pag. 33;.
Ce n’est donc pas en vain qu’aptes l’avoir reçu, vous dites amen, déclarant, par cet acte de foi et cet aveu public, que vous croyez que c’est le vrai corps de Jésus-Christ (1).
(1) L’auteur du livre des Constitutions apostoliques : ״ Le prêtre ou l’évêque donne le corps de Jésus-Christ sous l’espèce du paiu , en disant : C’est le corps de Jésus-Christ ; et celui qui le reçoit répond : Je le crois, ou en vérité. Le diacre présente le calice , en disant : C’est le sang de Jë-sus-Christ qui vous est présenté pour boire. ; et on répond en buvant : A-nen , Je le crois. » (Lib. vnr, câp. xnr.)
L’auteur rapporte ]es paroles du canon de la messe avant et après la consécration , telles que nous les proférons au sacrifice de l’autel. Elles se terminaient dès-lors par l’oraison dominicale, dont l’auteur donne ici une explication succincte :
A l’occasion des paroles : Donnez-nous noire pain de chaque jour : «Non pas seulement le pain maté-rie! nécessaire à l’aliment du corps, mais le pain de la plus excellente substance, le pain de la vie éternelle, qui donne la nourriture et la force à l'âme (2). »
(2) Traduit par La Colombière, Serm. sur Γ Eucharistie , ton>. 11 , pag. 3-2.
Si c’cst un pain quotidien, pourquoi n’en faites- vous usage qu’une fois l’an? prenez chaque jour ce qui doit vous profiter chaque jour. Vivez de manière à mériter de le recevoir chaque jour (3). Quand on n’est pas digne de ic manger chaque jour, on ne l’est pas plus une fois dans l’année. Vous le savez, nous vous le disons tousles jours, que toutes les fois que nous offrons le saint sacrifice , nous vous rappe-Ions la mort , la résurrection, l’ascension du Sau-veur, et la rémission des péchés; et vous ne vous empressez pas de recevoir tous les jours ce pain de chaque jour (1)? Quiconque est blessé , cherche un remède pour se guérir. Nous le sommes tous, puis-que tous nous péchons. Or, le remède de nos blés-sures, c’est le vénérable et céleste sacrement (2).
(3) Acclpe quotidie , quod quotidie tibi profit. Sic vive ut quotidie mer cari s accipere.
(1 )-C’est un paiu, disent les saints docteurs, pain quotidien, ajoutent-ils. S’il fit quotidien , pourquoi ne le mangez-vous pas tous les jours? Vous nous entendez dire , poursuit saint Ambroise ; nous vous le disons tous les jours à l’autel , que chaque fois que le sacrifice s’offre, on renouvelle tous les mystères de notre foi en Jésus-Christ : ici , sa passion , sa mort ; là , sa résurrection glorieuse, ensuite son ascension triomphante ; et par-dessus toutes ces différentes images, la rémission des péchés est toujours signi-fiée. Vous le savez; vous l’entendez ce beau langage , Audis ; et cependant vous ne recelez pas ce pain quotidien de votre vie : Et panem istum quo-tldianum non assunùs.■» (L’abbé Clément , sur lu communion., Carême, tom. 111, pag. 228. Voyez aussi La Rue, Carême , tom. iv, pag. 443. ZMontargon , tom. 1, pag. 468, 514.)
(2) Ailleurs saint Ambroise dit: Il est des personnes qui s’imaginent que le devoir de la pénitence consiste pour elles à s’abstenir de la commu-uion. C’est, répond le saint docteur , agir contre elles-mêmes avee trop de dureté ; c’est s’exposer au châtiment, et refuser le remède. La plus sensible douleur qu’elies devraient éprouver, est d'être privés de cette grâce céleste. ( Depanitent., lib. ri, cap. ix, pag. 435. )
Nos pré locateurs, réfutant le prétexte du prétendu respect pour le sacre-ment. trouveront dans les paroles du saint archevêque une autorité de plus.
« De là , saint Ambroise soutient que se retirer de la communion , ce n’est point une piété selon l’esprit et les instructions de Jésus-Christ, qui ne nous a point dit : Respectez et retirez-vous , mais respectez et approchez-vous (1). »
(1) Ch. de Neuville, sur le désir de la communion, Carême, toin. iv . pag. 301.
Nous tirons encore de l’histoire des derniers moments du saint archevêque, un argument sans réplique , en faveur du dogme de l’eucharistie administré sous une seule espèce ; de celui de la présence réelle et du sacrement de l’extrême-onction , conféré aux malades. Le ré-cit en est fait par son diacre Paulin. «Honorât, évêque de Verceil, qui l’assista à sa mort, s’étant retiré pour aller prendre quelque repos, entendit une voix qui lui cria jusqu’à trois fois : Levez-vous, hâtez-vous , parce qu’il rendra bientôt l’esprit. Alors étant descendu, il présenta au saint, le׳ corps de Notre Seigneur. « A peine l’eut-il mangé, qu’il expira, emportant avec lui ce précieux viatique, afin que son âme fortifiée par cet aliment allât jouir de la compagnie des Anges (2). »
(2) Eita S. yimbros., n° xxiv. Bossuet allègue ce fait contre l’opinion des ministres protestants, en faveur de la communion sous les deux espèces, et presse l’argument de la manière la plus invincible. ( OEuvr. posth., tom. 11, pag. 116 et suiv.)
En recommandant ia fréquente communion , le même saint ne manque pas de rappeler au respect véritable qui est du au sacrement de l'Eucharistie.
« Au reste, vous savez, vous ne pouvez l’ignorer, que ces sortes de communions, quelque rares qu’elles soient, sont toujours trop frequentes; puisque, si Jésus-Christ entrant dans notre cœur, n’y aperçoit son esprit et sa vie ; loin d’etre un Dieu d’amour qui vous sanctifie, il ne sera qu’un Dieu vengeur י qui vous condamne et vous réprouve : Si non mutas Q'itam, magis occiditur, cjuam 'vivificatur. »
Enormité du crime de l’indigne Communion.
« Ali ! qu’est ceci? dit saint Ambroise. Vous adorez Jésus-Christ: et c’est en l’adorant que vous le percez. N’cst-ce donc que comme ces soldats dont il est parlé dans !,histoire de la Passion , par dérision , et pour lui insulter, que vous fléchissez les genoux devant lui, que vous l’appelez votre Christ et votre Roi ? Mais du moins encore ces soldats mêmes, ainsi que les princes de la synagogue , quand les prodiges arrivés à sa mort les curent forcés à le reconnoitre , ils s’en retournèrent tous en frappant leur poitrine (1). »
(1) L’abbé Clément, sur la communion , Carême, loin, ni, pag. 220.