APOLOGISTES LATINS.
TERTULLIEN.
TERTULLIEN , prêtre de Carthage , publia son Apologétique vers l’an 1 g4 Jésus-Christ, sous l’empire de Sévère. Il l’adressa aux magistrats romains, soit à ceux mêmes qui siégeoient dans la capitale de l’empire et du monde, soit au proconsul et autres officiers qui tenoient leur tribunal à Carthage ( 1 ).
(1) « Les uns ont prétendu qu’il n’étoit point à Rome lorsqu’il a écrit cet ouvrage, et que c’est aux sénateurs de Carthage qu’il l’adressa ; ce qui les a obligés de faire trouver en Afrique un capitole, un cirque , des pontifes, des coutumes et des lieux qu’elle ne vit jamais. » (Vas-soult, Préf. de sa trad.fran. de l’Apolog., sans indication de pages. ) C’étoit là en effet l’opinion de Pamelius, l’un des plus savans éditeurs de Tertullien. Henri de Valois et Tillemont, qui l’ont combattue, ( Hist, ecclés., liv. v, chap. 5 ), ont été suivis par Petit-Didier (Remarq. surla Biblioth. de Dupin, tom. 1 , pag 165), et par le nouveau traduc-leur de P Apologétique , l’abbé de Gourcy. Voy. sa préf., pag. 18.
On pourvoit de même élever des doutes sur la date que l’on assigne ordinairement à la publication de cet ouvrage. Dupin la fixe à l’an 200 de Jésus-Christ (Bibl. ton!. 1, pag. 250.) ; de Gourcy la recule deux ans plus tard. Ces sortes de discussions nous sont étrangères; nous les indiquons sans les approfondir.
Tous les fidèles chrétiens se sont accordés à mettre cet ouvrage au premier rang des chefs-d’œuvre que l’antiquité chrétienne nous a transmis. Sa réputation s’étendit bientôt aussi loin que !,Église elle-même, c’est-à-dire, au rapport d’Eu-sèbc, jusqu’aux extrémités de l’univers (1). « L'Apologètique, dit l’abbé Fleury, est la plus ample » et la plus fameuse de toutes les apologies des » chrétiens (2). » Saint Augustin et saint Jérôme ont vanté la prodigieuse érudition de l’auteur, son éloquence mâle et généreuse, toute en raisonne-mens, en images, en mouvemens pathétiques (3). Fière et imposante , elle attache l’esprit par l’éléva-tion des principes, la profondeur, quelquefois même la hardiesse des pensées, et le cœur par une sorte de mélancolie sombre et presque dramatique, qui la rend plus intéressante encore; c’est celle du héros calme , mais sensible, qui marche à la mort en bravant ses assassins, mais en déplorant l’ini-quite' de ses juges. Jamais auteur ne s’est mieux peint dans ses ouvrages que Tertullien. On sait que saint Cyprien, qui l’appeloit son maître , ne passoit pas un jour sans le lire (4)· Et, dans un siècle plus récent, notre Bossuet a bien fait voir quels disciples un tel maître pouvoit former. Vin-cent de Lérins le nomme sans difficulté le premier écrivain de !,Église latine (il est vrai qu’il n’a pu parler de saint Augustin). Il ne voit personne à qui le comparer sous les rapports de l’e'rudition tant sacrée que profane. 11 se plaît à louer sa vivacité d’esprit, la véhémence entraînante de sa dialectique, toujours irrésistible, soit dans l’attaque, soit dans la défense, l’énergie inimitable de son style , et l’éclat de ses sentences (1). Sa plume est la foudre ; elle brille, elle tonne , elle renverse et ne laisse dans les lieux qu’elle frappe que des ruines. Sa critique n’est pas seulement la lumière qui éclaire, c’est la flamme qui dévore. Lactance , qui juge sa diction plus sévèrement, n’en rend pas moins hommage à sa prodigieuse science , et aux services qu’il a rendus (2). Nous ne désavouerons pas en effet que le style de Tertullien est dur (3) à force de vigueur, obscur à force de précision , enflé même, si l’on veut (4), parce que l’idiome qu’il parle, quelque riche qu’il soit, secondant mal la grandeur de sa pensée et la chaleur de son sentiment, il sort de la règle et de l’usage pour se créer un langage nouveau. Au reste, ces défauts, qui tiennent à son pays autant qu’à son propre genie (1), sont rachetés par tant de beautés, qu’on peut les exagérer, même sans nuire à laréputationde l’auteur. « Avouons aux plus délicats que son style est de fer, a dit un moderne écrivain ; mais qu’ils nous avouent aussi que de ce fer il a forgé d’excellentes armes, et qu’il a défendu l’honneur et l’innocence du christianisme (2). מ
(1) Eusèb. Hist. ecclés., liv. 11, ch. 2.
(2) Hist, ecclés. liv. v, n° 4,pag· 15, tom. 11, éd. in-12, Paris, 1y25.
(3) S. Aug. tom. vin, ed. Bened. pag. 24, ton!, vi, pag. 372. S. Jé-rôme , tom. iv , pag. 656, edit. Martianay.
(4) Dupin, Biblîoth. des auteurs ecclés., tom. 1, pag. 282 , d’après S. Jérôme ; de Kir. illustr., cap. lui, pag. 284.
(1) Commonüorium., lib. 1, cap. svi, pag. ?4 ■י , edit. Baluz.
(2) Divin. instit., lib. v, cap. 1, pag./;5g, edit. Lugd. Batav. 1660. Angel. Politian., lib 1v, Epistol. pag. 145, edit. Amstelcd. 1644·
(3) Bossuet lui-même, qui l’admiroit avec tant de franchise , en convient. Ce dur Africain, dit-il, parlant de Tertullien, peut-être par allusion à ses principes comme à son langage. l'ie de Bossuet. par M. de Beausset, tom. 1, pag. S3, édit. Le Bel.
(4) Fénelon, Dialog, sur l’èloq., pag. 226, éd. Paris. 1y40.
(1) Houteville , Relig. prouvée par lesfaits , dise, prélim., pag. 56.
(2) Balzac, liv. v, lettr. 11 à M. Rigaut. — Un écrivain d’une grande renommée n’a point parlé de Tcrtullien en termes aussi honorables. S’il fauten croire le P. Malebranche , l’auteur de l’Apologétique, des Près-criptions, des Livres contre Marcion, contre les spectaclesn’auroit été qu’un visionnaire (Rech. de la vérité, liv. 11, ch. 5, tom. 11, pag. 300־) ; et il en donne pour preuve son livre dePallio. On a plus d’une fois rétorque l’épithète contre l’accusateur lui-même. Nous ne croyons pas le reproche mieux fondé pour l’un que pour l’autre. Peut-être Tertullien seroit plus facile à défendre que Malebranche. Au reste le trait de l’oratorien ne porte que sur un petit traité qui n’est qu’une satire . qu’un jeu d’esprit, et n’est pas encore l’ouvrage d’un visionnaire.
Quant à la conduite de l’ouvrage, elle est sans reproche; la méthode en est régulière, la marche vive et pressante , les matières sagement graduées. Les conséquences les plus décisives viennent toujours s’y enchaîner aux principes les plus lumineux. L’esprit, le bon sens, l’érudition s’y font remarquer également. L’imagination vive et brillante de l’auteur fait à tout moment jaillir de sa pensée des expressions éclatantes, souvent des traits de ge'nie qu’il devient difficile de transporter dans toute autre langue.
Yé Apologétique et les Prescriptions 3 déjà souvent publie'es en français, Font été avec une supériorité remarquable par l’abbé de Gourcy, vicaire-général de Bordeaux, et membre de l’académie de Nancy. Il commença, par ces deux ouvrages, la Collection des Apologistes demandée par l’assemblée du clergé de 1776. Sa traduction parut en 1780, 1 vol. in-12. 11 y auroit eu de notre part une vanité ridicule à prétendre faire mieux : nous l’avons corn-munémenl suivie en l’abrégeant. Nous retranchons tout ce qui ne pourrait plus être aujourd’hui présenté à nos auditoires; les détails d’une érudition curieuse seulement pour les antiquaires; les plaisanteries qui vont, trop souvent peut-être, jusqu’au sarcasme. Tertullien n’est point un homme qui demande grâce , mais qui se rit de ses bourreaux.
J’observerai que, dans sa préface et dans ses notes de ΓApologétique3 l’abbé de Gourcy ne rend pas assez de justice à la traduction que Vassoult en avoit publiée avant lui ( 1 ).
(1) U Apologétique de Tertullien fut traduite du latiu ׳■n grec peu de temps après sa publication. On ignore par qui; cette traduction n’est point parvenue jusqu’à nous. ( Le Aourry, Appar., tom. 11, pag. 12 13 et seq.} Le même ouvrage a été depuis traduit plusieurs Ibis en notie langue: par L. Giry (1636 et 1684 ) et par Vassoult en 1y15. Cette seconde traduction vaut beaucoup mieux que la première ; on estime surtout la préface et les notes. Celle de l’abbé de Gourcy, venue après, l’a fait oublier. Elle n’est pourtant pa3 sans mérite. Nous avons profité de l’une et de l’autre.
On vient de publier une quatrième traduction de ΓApologétique, faite il y avoit déjà long-temps par l’abbé Meunier, mort en 1780. L’éditeur, M. Dampmartin, a la bonne foi de convenir qu’elle est bien loin d’être parfaite ; et il ajoute que si l’auteur revoyoit aujourd’hui son ouvrage , il y feroit d’utiles changemens. Il nous semble que ccs utiles changemens se trouvent exécutés par le talent bien supérieur de l’abbé de Gouicy.
L’édition que nous avons suivie dans tout notre travail sur Tertullien, est celle de N. Rieault, infolio, Paris ( 1 ).
(1) Q. Septim. Florentis Tertulliani opera, cum adnotationibus Nie. Rigaltù junsconsulti, Paris, 1634 et 1664. Nicolas Rigault, plus lifté-rateur que jurisconsulte. Ses notes ne doivent être lues qu’avec défiance.
Nous mettons en tête ses Défenses du christia-ntsme contre les ennemis divers qui le combat-toient ; puis ses ouvrages sur le dogme et sur la mo-raie. Nous terminons par le livre des Prescriptions, réuni au traité de saint Cyprien sur V Unité delà foi.
Nous avons recueilli les principales imitations qui en ont été faites par nos prédicateurs français. Nos jeunes orateurs apprendront, par cette méthode, combien la lecture des Pères peut leur être profitable.
OUVRAGES DE TERTULLIEN.
1. Apologétique ;
2. Contre les gentils ;
3. A Scapula ;
4« Du. témoignage de l'âme;
5. Contre l'idolâtrie-,
6. De la couronne;
ך. Contre les Juifs;
8. Contre Marcion ;
g. Contre Hermogène et les C aient! ni en s ;
1 0. Contre Praxéas ;
\ \. De la chair de Jésus-Christ ;
12. De la résurrection de la chair;
15. De l'âme ;
14· De l'Oraison dominicale ;
15. Du Baptême ;
16. De la Pénitence;
\ך. Du jeûne;
18· De l'ornement des femmes ;
19. Que les vierges doivent être voilées;
20. Livres à sa femme ;
2 1. Exhortation à la chasteté ;
2 2. De la pudicité ;
25. De la patience;
24· A ux confesseurs ;
25. Le scorpiaque ;
26. De la fuite en temps de persécution ;
ך.<. Du manteau ;
2 8. Des spectacles;
2g. Traité des prescriptions.
I. S’il ne vous est pas libre, souverains magistrats (Page !.) de l’empire romain, cpii rendez vos jugemens en public et dans le lieu le plus éminent de cette capi-taie, s’il ne vous est pas libre, sous les yeux de la multitude, de faire des informations exactes sur la vie des chrétiens; si la crainte ou le respect humain vous portent à vous écarter en cette seule occasion des règles de la justice ; si la haine du nom chrétien, comme il arriva dernièrement, trop disposée à recevoir les délations domestiques, ferme les oreilles à toute défense judiciaire: que du moins la vérité puisse se faire jour jusqu’à vous, en vous adressant par écrit ces modestes réclamations(1). Elle ne demande point de grâce , parce que la persécution ne l’étonne pas. Etrangère ici-bas, elle s’attend bien à y trouver des ennemis. Fille du ciel, c’est là qu’elle a son trône et son berceau, ses espérances, son crédit et son triomphe.Pour le présent, toutce qu’elle demande, c’est de n’être pas condara-née sans être entendue ( 1 ). Qu’avez-vous à craindre pour vos lois, en lui permettant de se défendre dans le siège de leur empire ? Ne leur seroit-il pas plus ho-notable de ne condamner la vérité qu’après l’avoir entendue (2) 1 Au lieu qu’en la condamnant sans l’entendre, outre la haine que votre injustice vous attire, vous donnez lieu de croire que vous ne lui permettez pas de se défendre, parce que vous ne pourriez plus la condamner si vous l’aviez entendue.
(1) L’abbé de Gourcy traduit : ״ que la vérité puisse du moins, par 1;■ canal secret de nos lettres , parvenir jusqu’à vous , occulta via littera-rum.»Le mot lettres présente ici une équivoque qui laisseroit croire que Tertullien adresse des lettres. Litteranun; c’est l’écriture, opposée à la parole.
(1) Bossuet traduit :« Tout le droit qu’elle peut avoir d’elle-mème sur la terre , c’est qu’on lui laisse, pour ainsi dire , passer son chemin et achever son voyage en paix.» (Panégyriques , pag. 585, vol. vides Sermons, édit, de Versailles, Lebel,1816.)
(2) Nous lisons, avec Pamelius , Havcreamp, Rigaut, Vassoult, etc., etiam audiLam, plutôt que inauditam, que substitue l’abbé de Gourcy. Les motifs dont il appuie son changement, pag. 156 , ne nous paraissent pas avoir la justesse dont il accuse tous les autres de manquer.
Le premier objet sur lequel nous appellerons vos regards, c'est l’injustice de la haine qui s’attache au nom chrétien ; injustice qui se manifeste et s’aggrave par l'ignorance même dont on voudroit la défendre. Car enfin, quoi de plus injuste que de haïr ce qu’on ne connaît pas ? Fut-ce même quelque chose de haïssable eneffet, il ne l’est qu’autant qu’on sait qu'il le mérite. Tant qu’on l’ignore, sur quoi justifier la haine qu’on lui porte ? C’est par le fait plutôt que par le sentiment qu’il faut juger si la haine est le'gitime ou non. En haïssant parce que l’on ne connaît pas, qui empêche que la haine ne porte à faux ? De là nous concluons, et que l’on ne nous connoît pas tant que l’on nous perse'cute, et que l’on a tort de nous persécuter tant que l’on ne nous connoît pas (1).
(1) « Le reproche que Tertullien faisait aux philosophes de son »temps, qu’ils ne combattaient la foi que parce qu’ils ne la connois-»soient pas , que parce qu’ils ne ■voulaient pas la connoitre , ne convient » pas moins aux incrédules de nos jours. » ( Le P de Neuville ( Charles), Avent., pag. 585 ) :« On pourroit faire à ceux qui nous vantent sans »cesse leurs doutes sur la religion, la même réponse que Tertullien »faisait autrefois aux païens, sur tous les reproches qu’ils faisoicnl »contre les mystères et la doctrine de Jésus-Christ. Ils condamnent, » disoit ce Père, ce qu’ils n’entendent pas, etc. « ( Massillon , Doutes sur »la relig. Carême, tom. 111, pag. 23g-24!.) Tout ce morceau est de la plus grande éloquence.
La preuve que l’on ne nous connoît pas (et cette ignorance dont on se prévaut est une injustice coupable) (2), c’est que tous ceux qui ont commencé à nous haïr parce qu’ils ne nous con-noissoient pas, du moment où ils apprennent ce que nous sommes renoncent à leurs préven-lions (3). C’est là ce qui nous donne nos chrétiens. Parceque l’on apprend à nous connaître, la haine se tourne contre ce que l’on étoit aupara-vant ; on ne craint plus de professer un titre que condamnoit une haine aveugle. Et c’est là ce qui a formé cette société innombrable dont l'accrois-sement fait notre crime. «La ville est en étal de siège ; les campagnes, les îles, les châteaux, tout est plein de chrétiens.» λ oilà le cri qui retentit de toutes parts. Vous en voyez de tout sexe, de tout âge, de toute condition, se ranger sous cette ban-nière ; quelle calamité ! Et de cela même vous n’in-férez pas qu'il y avoit là quelque bien qui vous échappe! On s’interdit des soupçons plus équita-blés ; on ne songe pas à prendre une connoissance (Page 2.) plus exacte. Il n’y a qu’ici que la curiosité soit morte. On aime à rester dans l’ignorance, là où d’ordinaire on est jaloux de connoître. On s’en tient à ses préventions , parce que c’est un parti pris de haïr.
(2) L’abbé de Gourcy traduit : Cotre ignorance est un témoin qui vous condamne, en déposant contre vous. Nous n’avons pu admettre ce sens , qui coupe la phrase.
(3) Bourdaloue traduit :« Ils ne haïssent les chrétiens que parce ״ qu’ils ne les connaissent pas ; et du moment où ils les connoissent, » ils commencent à les aimer. »( Serm. de l'avcuglern. spirit. Carême, tom. 11, pag. 52g. )
On va me dire : « De ce qu’un grand nombre em-brassent le christianisme il ne s’ensuit pas que ce soit un bien. Que de gens embrassent tous les jours le mal ! Que de transfuges de la vertu ! »
Qui le conteste? Mais, de tous ceux que le vice entraîne, il n’en est pas un qui ose le faire passer pour la vertu. Pas une sorte de désordre à quoi la nature n’ait attaché un sentiment ou de crainte ou de honte. Tout malfaiteur appréhende d’être vu , tremble s’il est découvert, nie quand on le dénonce; mis à la question, ou n’avoue pas, ou n’avoue que par contrainte ; condamné enfin, s’afflige et se désole, se fait le procès à lui-même; il s’en prend ou à la fatalité ou à son étoile.
Voit-on rien de semblable dans un chrétien ? Jamais il ne rougit, jamais il ne se repent que de ne l’avoir pas toujours été. Dénonce comme tel, il s’en fait gloire; accusé, il ne se défend pas ; interrogé, il est le premier à confesser qu’il l’est; condamné, il rend grâces. L’étrange sorte de mal que celle qui n’a aucun des caractères du mal, ni crainte , ni confusion, ni détours, ni repentir, ni regrets ! Quelle espèce de crime que celui dont le prétendu coupable se réjouit, dont l’accusation fait tous ses vœux, dont le châtiment comble son bonheur? Appellerez-vous cela travers d’esprit dans le chrétien? Mais, de votre avis, vous ne les connoissez pas.
II. Quand vous auriez la certitude que nous sommes vraiment criminels, et au plus haut degré , pourquoi nous traitez-vous autrement que nos pareils , c’est-à-dire que les autres coupables, puisque là où le délit est le même, le châtiment doit l’être aussi? Que d’autres soient accusés des mêmes crimes qu’on nous suppose, ils ont le droit, de se défendre, soit par eux-mêmes, soit par l’organe vénal d’un avocat. Ils sont libres de contester et de répliquer, parce que la loi défend de condamner personne sans l’entendre, sans qu’il se soit dé-fendu. Les chrétiens sont les seuls à qui il soit in-terdit de parler pour justifier leur innocence, pour éclairer la vérité, et prévenir des arrêts iniques. Tout ce qu’on leur demande, pour servir la haine publique, c’est de faire l’aveu de leur nom; car, pour la preuve du crime, il n’en est pas question. Mais quand il s’agit de tout autre prévenu , il ne vous suffit pas, pour motiver un jugement, qu’il se soit déclaré lui-même homicide, sacrilège, inces-tueux, ennemi public (car ce sont là les beaux titres dont on nous honore ) : il vous faut de plus l’enquête rigoureuse des circonstances, de la qua-lité du fait, du lieu, du temps, de la manière: des témoins qui déposent des complices qu’il peut avoir eus. Ptien de tout cela dans la cause des chrétiens. Mais ne devroit-on pas également arracher de la bouche des chrétiens l’aveu des crimes qu’on leur impute si calomnieusement? Il faudrait vé-rifier combien d’enfans l’on a égorgés pour en savourer la chair ; combien d’incestes déjà commis dans l’obscurité des nuits ; le nombre de cuisiniers, de chiens dont on a emprunté le minis-tère(1). Quelle gloire pour le magistrat qui se-roit venu à bout de découvrir un chrétien signalé déjà par cent infanticides !
(1) Voyez tome 1 de cet ouvrage, à l’article Persécution, pag. 25y.
Au mépris de toutes ces précautions, il est défendu même d’informer contre nous. La preuve en est dans la lettre de Pline, gouverneur de Bithy-nie, à l’empereur Trajan. (Page 3.) Après avoir condamné à mort plusieurs chrétiens, en avoir privé d’autres de leurs emplois, épouvanté de leur nombre, il finit par consulter ce prince sur la conduite qu’il avoit à tenir à l’égard des autres. 11 expose , dans cette lettre, que tout ce qu’il a découvert des assemblées secrètes des chrétiens, outre leur entêtement à ne vouloir pas sacrifier, se réduit à ceci : qu’ils se réunissent avant le jour pour chanter des hymnes en l’honneur du Christ et de Dieu, et pour entretenir parmi eux une exacte discipline , tendante à éloigner l’homicide, l’adultère, la fraude, la trahison, et généralement tous les crimes. L’empereur répond qu’il ne faut pas les rechercher, mais les punir, quand ils seraient dénoncés. Etrange jurisprudence ! monstrueuse contradic-lion! Si l’on ne doit point les rechercher, ils ne sont doncpointcoupables ; si l’on ne doitpoint lespunir, ils sont donccriminels. Epargner et sévir à la fois , dissimuler et condamner ! Pourquoi *vous contredire aussi grossièrement? Si vous condamnez les chrétiens, pourquoi ne les recherchez-vous pas? et si vous ne les recherchez pas, pourquoi ne pas les absoudre? Il y a dans toutes les provinces des forces militaires en permanence pour donner la chasse aux voleurs. Contre les criminels de lèse-majesté et les ennemis publics tout citoyen est soldat; la surveillance et les informations s’éten-dent sur tout ce qui offre l’apparence de compli-cité et d’intelligence. Il n’y a que le chrétien qu’il soit défendu de rechercher. Mais le dénoncer , non; comme si la recherche pouvoit amener autre chose que la dénonciation. Vous ne le condamnez quand on le dénonce, que parce que personne n’avoit pensé à en faire la recherche ; et s’il de-vient punissable, ce n’est point qu’il soit criminel, mais parce qu’il s’est laissé découvrir, quand on n’avoit pas droit de le rechercher. Par suite, vous violez toutes les formes prescrites dans toutes pro-cédures criminelles. Vous mettez les autres à la question, pour les faire avouer ; les chrétiens, pour les contraindre à nier. Mais si c’étoit un crime , nous le nierions : et vous feriez bien d’employer les tortures pour nous forcer à l’avouer.
Direz-vous que , si vous n’allez pas auxinforma-lions contre nous, c’est parce que le nom seul de chrétien emporte avec soi la conviction de tous les crimes ? Mais qu’un homicide avoue son crime, vous avez beau savoir ce que c’est que le meurtre commis par lui , vous n’en voulez pas moins con-naître toutes les circonstances du délit. Votre in-justice est encore plus criante de vouloir, lorsque le seul nom de chrétien nous présente à vos yeux comme chargés de tant de crimes, nous obliger par la violence des tourmens à nier que nous le soyons, pour être déchargés de toutes les autres accusations qu’enferme ce seul nom. Apparemment que vous ne voudriez pas voir périr des hommes que vous regardez comme des monstres de crimes? Vous dites à ce chrétien réputé homi-eide et sacrilège : Atez. S’il persiste à se dire chrétien, vous le faites déchirer. Cependant vous ne dites point à un homicide, nie ton crime; et vous n’ordonnez point qu’on déchire un sacrilège pendant qu’il avoue. Si donc vous n’en usez pas de meme av.ee nous, tout en nous accusant de ces mêmes crimes , vous ne nous en croyez donc pas coupables (1) ? Vous nous déclarez donc innocens, puisque c'est par la seule raison de cette innocence que vous ne voulez pas que nous persévérions dans un aveu que vous vous sentez forcés de condamner, non par justice , mais par nécessité. Tel homme crie, Je suis chrétien: il dit ce qu’il est, et vousvoulez entendre ce qu’il n’est pas. Assis sur vos tribunaux pour obtenir des accusés ]a confession de la vérité, vous voulez nous contraindre nous seuls au monde de mentir. Vous demandez si je suis chrétien, je réponds que je le suis. Pourquoi user de violence pour me forcer à dire le contraire? Ne vouliez-vous que me corrompre? J’avoue, et vous me tourmentez. Que feriez-vous si je niois ? Que les autres nient, vous ne les croyez pas sur parole ; nous , que nous venions à dire non , on s’en contente.
(1) Ici nous avons suivi le sens que le traducteur Vassoult donne à la phrase embarrassée du latin. L’abbé de Gourcy lui prête un tout autre sens, que nous n’avons pu saisir malgré toutes les subtilités de l’explication qu’il en donne, pag. 158.
Un tel renversement de choses doit vous faire craindre qu’il n’y ait quelque force secrète qui vous fait ainsi agir contre toutes les formes , contre la nature même des jugemens , contre les lois. Car, si je ne me trompe, les lois ordonnent de de'cou-vrir les coupables , non de les cacher; de les condamner quand ils ont avoue', et non point de les absoudre. Telle est l’intention exprimée par les décrets du sénat, par les édits des empereurs.
Le pouvoir dont vous êtes dépositaires n’a rien de tyrannique , il est réglé par les lois. Il n’appartient qu’aux tyrans d’employer les tortures comme peines. La loi ne les ordonne chez vous que comme supplément aux enquêtes. La rigueur n’en est légitime que jusqu’à l’aveu du coupable.(Page 4.) S’il les prévient par la confession ,elles n’ont plus d’objet: il ne reste plus qu’à prononcer , qu’à appliquer au délit la peine portée par la loi, non à l’y soustraire.
Il n’est pas un juge qui se montre jaloux d’absoudre un coupable; il ne lui est pas permis de le vouloir. Cela étant, il ne forcera personne à nier. Vous, au contraire ,persuadés, dites-vous, que ce chrétien est souillé de tous les crimes ; que c’est un conjuré contre les dieux et les empereurs, contre les lois et la morale , en un mot l’ennemi de la nature entière, vous le forcez à nier pour être à même de l’absoudre ; autrement la chose est impossible. C’est là une violation manifeste de toutes les lois. Vous exigez donc qu’il nie ce qui fait son crime, pour le donner après comme innocent , malgré lui-même, malgré tout ce qui s’est passé.
Quel étrange aveuglement de ne pas voir que celui qui avoue de son propre mouvement mérite bien mieux d’être cru que celui qui ne désavoue que parce qu’on l’y contraint ! Pouvez-vous compter sur un désaveu arraché de la sorte ? Et le même homme qui vient de mentir à sa conscience, ne pourra-t-i]pas, au sortir du tribunal, se moquer de son juge, en redevenant chrétien ?
Il est donc évident que ce dont nous avons à nous justifier, ce n’est point d’aucun crime corn-mis par nous , mais uniquement d’un nom qu’une jalousie de religion s’acharne à persécuter. On croit sur notre compte ce qui n’a jamais été prouvé; on ne veut pas aller auxinformations, parce que l’on a peur de n’avoir point les preuves du mal que l’on aime à supposer. Une prévention envieuse est bien aise de se conserver le droit de condamner, sur une simple déclaration, un nom qu’il lui est plus facile d’accuser que de convaincre de crime. Et il est si vrai qu’on n’en veut qu’à notre nom, que quand nous le confessons on nous met à la torture , on nous traîne au supplice quand nous persistons; et si nous nions, l’on nous absout. Pourquoi vos procès verbaux ne nous chargent-ils que du nom de chrétien, jamais du titre d’assassin, d’incestueux, atteint de quelqu’un de ces crimes dont vous savez bien que nous sommes incapables ? Il n’y a que dans la cause des chrétiens que le mot seul de crime soulève votre délicatesse. Mais si le nom chrétien n’est celui d’aucun crime, n’est-ce pas le comble de la déraison qu’il suffise cependant pour nous rendre criminels ?
III. Que dis-je? la haine que nos ennemisportent à ce nom les aveugle pour la plupart au point qu’ils ne sauroient dire du bien d’un chrétien sans y mêler la censure de son nom: L’honnête homme que Caïus Saïus! c’est bien dommage qu’il soit chrétien. Un autre: Un homme aussi sage que Lucius. s'être fait chrétien! je n’en reviens pas. El personne ne remarque que Caïus n’est honnête homme, ni Lucius un sage, que parce qu’ils sonl chrétiens, ou qu’ils ne sont devenus chrétiens que parce qu’ils étoient sages et vertueux. On loue ce que l’on sait, on blâme ce que l’on ne connoît pas: et l’on flétrit l’un par l’autre, comme si la justice ne demandait pas de pre'sumer de ce que l’on connaît en faveur de ce que l’on ignore, plu-lot que de faire de ce que l’on ne voit pas la mesure de ce que l’on voit. D’autres fois, en parlant de tels et tels , qui, avant de s’être convertis au cliris-tianisme, s’étoient signale's par une vie dissipc'e, dissolue, scandaleuse même , on cherche à les de'crier par de satiriques rapprochent!ens qui tournent à leur éloge ; tant la haine est maladroite! 011 dit : Voyez cette femme galante, ce jeune homme voluptueux, ce coureur de plaisirs, les voilà dire-tiens. On ne voit pas que c’est faire à ce nom honneur de leur changement... (1) Il est donc vrai que l’on hait un nom innocent, dans des hommes irréprochables.
(1) Belle imitation de tout ce morceau dans Molinier,Serai. c/zoïsz«, tom. 1, pag. 155.
C’est la secte, dit-on, qu’on hait dans le nom de (p;1J 5.) son auteur. Mais est-ce une chose nouvelle que des disciples prennent le nom de leur maître? Les platoniciens, les épicuriens, les pythagoriciens, ne portent-ils pas celui de leur philosophe ? Jamais on ne l’a trouvé mauvais. A la bonne heure, si l’on prouve qu’une secte soit mauvaise et l’auteur dangereux, on prouvera par là même que le nom est mauvais, qu’il doit être réprouvé. Pourquoi ? A cause de la secte et de son auteur. De même, avanl de prendre en aversion le nom de chrétien, il falloil s’attacher à connoître la secte par l’auteur ou l’au-leur par la secte. Mais ici, sans nulle information , sans e'claircissement ni sur la secte ni sur l’auteur, on accuse, onperse'cute le nom de chre'tien.Un sim-pie mot fait condamner sans ombre d’examen un auteur et une secte qu’on ne connoît pas , et qui ne se trouvent criminels que dans leur nom (1).
(1) « Qui dit un chrétien , croit dire un possédé , un parjure, un sacri-»légc, l’ennemi du ciel et de la terre, du prince et de la patrie, de la י raison et des mœurs. La qualité de chrétien passe pour une conviction »d’impiété, de meurtre, de rébellion; il semble qu’en la prenant »on ait quitté toutes les vertus, et qu’on se soit dévoué à tous les vices. » Ch. de Neuville , Serm. sur l’établ. de la relig. Car., tom. iv, pag. 166.
IV. Après avoir e'tabli dans cette sorte de préambule combien est injuste le principe de la haine générale qui pèse sur nous, je vais maintenant démontrer le fait de notre innocence. Non-seulement je justifierai les chrétiens des crimes qui leur sont imputés, mais, devenu à mon tour accusateur, je ferai voir que les vrais coupables ce n’est pas nous. Je ferai voir à nos calomniateurs que nous sommes incapables des horreurs que nous sommes trop en droit de leur reprocher à eux-mêmes, et cela pour les forcer à rougir de leur prévention contre des hommes à qui ils devroient, je ne dis plus rendre l’hommage que le crime doit à la vertu, mais à qui du moins, pour parler leur langage, ils devroient pardonner de leur ressembler. Je répondrai sur chacune des choses qu’ils nous accusent de faire en secret, tandis qu’ils se les permettent en public, et pour lesquelles on nous traduit comme des scélérats, des insense's qu’il faut dévouer aux supplices et au mépris public.
Parce que la vérité dont nous vous faisons entendre la voix a réponse, à tout, et que Ton croit lui fermer la bouche en lui opposant en dernier ressort l’autorité des lois , après lesquelles , nous dit-on, il n’est pas permis de revenir sur ses pas , et dont les souveraines dispositions doivent passer avant tout, je m’arrêterai un moment sur la discussion de ces lois, dont vous êtes les organes.
Premièrement donc , après que vous avez prononcé despotiquement, et sans nulle restriction qui adoucisse l’arbitraire de la sentence, Il vous est défendu d’être chrétien, n’est - ce pas avouer publiquement que vous usez de violence? n’est-ce pas déclarer votre tribunal tyrannique, puisque c’est dire que notre religion est défendue, parce que vous voulez qu’elle le soit, et non parce qu’en effet elle doit l’être? Car si c’est parce qu’elle ne doit pas être permise que vous la défendez, c’est apparemment parce que tout ce qui est mal doit être prohibé, comme tout ce qui est bien doit être permis.Or,si je réussis à prouver que ce qui est interdit par votre loi est bien, j’aurai prouvé qu elle n’avoit pas le droit de le défendre, comme elle avoit droit de le faire si c’étoit mal. Si votre loi s’est trompe'e, c’est qu’elle est l’ouvrage d’un homme, car elle n’est pas descendue du ciel: or qu’y a-t-il de surprenant, ou qu’un législateur se soit trompé, ou qu’il revienne sur son propre ouvrage ? Les Lacédémoniens changèrent les lois de Lycurgue; et ce législateur se fit justice à lui-même, en allant loin d’eux se condamnera mourir de faim. Vous-mêmes, à l’aide du flambeau de l’expérience qui vous fait percer les ténèbres de l’antiquité, ne portez-vous pas tous les jours la faux dans cette vieille et obscure forêt de votre législation , réformée sans cesse par les ordonnances nouvelles qui émanent de vos royales cours ? L’empereur Sévère,(Page G.) tout ennemi qu’il est des innovations, ne vient-il pas d’abroger une loi peu réfléchie, quoique vénérable par son antiquité, la loi Papia, qui obligeoit d’être père avant l’âge que la loi Julia prescrit pour le mariage ? Et cette loi barbare qui mettoit le débiteur à la discrétion de son débiteur, et lui donnoit sur sa personne droit de vie et de mort, n’a-t-elle pas été abolie par les suffrages unanimes du peuple romain? La peine de mort a été commuée en une peine infamante suivie de la confiscation des biens, et l’on a mieux aimé ménager le sang que la honte.
Que de lois à réformer encore dont vous ne connoissez pas le vice ! S’il est vrai que ce n’est ni leur antiquité, ni le nom de leurs auteurs, mais la seule équité qui les doit consacrer, on peut conclure que, du moment où on en reconnoît l’in-justice, on a droit de les révoquer, n’importe leur sévérité. Doit-on leur faire plus de grâce, si à l’in-justice elles joignent l’extravagance, comme celles qui ne sévissent que contre un nom? Si l’inteii-tion de la loi est dirigée contre les actions, pour-quoi, à notre égard, s’arrête-t-elle au seul nom, tandis qu’elle ne condamne les autres que sur la preuve du fait? Je suis incestueux: pourquoi la loi n’informe-t-elle pas contre moi? J’ai égorgé un enfant : que ne me met-on à la question? J’ai manqué aux dieux, aux empereurs : pourquoi ne pas me permettre de me justifier, si je le puis? 11 n’y a point de loi qui défende d’examiner les preuves du crime qu’elle condamne. 11 n’y a point de juge en droit de punir, s’il ne sait que le crime a été commis. Il n’y a pas de citoyen qui observe bien rigoureusement une loi , s’il ne sait ce qu’elle punit.
Il ne suffit pas qu’une loi se rende, pour ainsi dire, à elle-même le témoignage de son équité; il faut qu’elle en persuade ceux qui doivent s’y sou-mettre. Elle devient suspecte , quand elle ne veut pas qu’on l’examine ; criminelle , si elle commande une obéissance aveugle.
V. Pour remonter à l’origine de ces lois dont vous vous armez contre nous, il y avoit un ancien décret qui défendoit aux empereurs d’introduire aucune divinité' nouvelle sans !,approbation du sénat. M. AErailius sait ce qui arriva, à ce sujet, à son dieu Alburnus.il n'est pas indifférent à notre cause que , dans votre législation, la divinité s’ap-pre'cie au gré des opinions humaines. Si le dieu ne plaît point à l’homme, il ne sera pas dieu. C’est au dieu à rechercher la faveur de l’homme (1).
(1) Application par Bourdaloue, Serm. sur le scand. delà croix, Dominic, tom. 1, pag. 450.
En conséquence, Tibère, sous le règne de qui le christianisme commença, informé, par tousles récits qui lui en venaient de la Palestine, des preuves frappantes que son auteur y avoit données de sa divinité, en rendit compte au sénat, appuyant de son propre suffrage ce qu’il avoit entendu dire (2). Le sénat les rejeta, parce qu’elles n’avoient pas été soumises à son examen; mais l’empereur, persistant dans son sentiment, menaça de punir ceux qui persécuteraient les chrétiens.
(2) Attesté par Eusèhe , Hist, ecclés. liv. 11, ch. 11. Voy. le chap, xxi de l’A pologétique de Tertullien. Tillem. Mém.Xom. 1, pag. 145.
Consultez vos annales, vous verrez que Néron est le premier qui ait armé la puissance impériale contre les chrétiens , quand ils commençaient à se faire remarquer, surtout dans Fiome. Nous rcgar-dons comme titre de gloire, pour notre religion, que le premier de ses persécuteurs ait été' un Néron; car il suffit de le connoître pour comprendre qu’un lel prince n’a pu condamner que quelque chose d’éminemment bon. Domitien, qui lenoit un peu de ׳Néron pour son humeur sanguinaire, avoit essayé, après lui, la persécution; mais, comme il étoit homme, il changea aisément de système, et rappela même ceux qu’il avoit exilés. Voilà quels ont été nos persécuteurs : des hommes sans justice, sans piété, sans mœurs, dont vous ne parlez communément que pour condamner leur mémoire, et dont souvent vous réparez les injus-lices en rétablissant ceux qu’ils avoient conoam-nés. Mais, de tous les princes qui jusqu’ici aient concilié le respect pour la religion avec la sagesse de la politique, nommez-en un seul qui se soit déclaré contre nous. Et nous, au contraire , nous pouvons en citer un qui nous a hautement défendus; c’est Marc-Aurèle. Qu’on lise la lettre où ce prince, dont le témoignage est parmi vous d’un si grand poids , atteste que la soif cruelle qui désolait son armée en Germanie fut apaisée par la pluie que le ciel accorda aux prières des soldais chrétiens (1). S’il ne révoqua pas expressément
(1) Ce fait est attesté, non seulement par nos auteurs chrétiens, mais par les païens eux-mêmes. Eusèbe cite le témoignage d’Apollinaire , à qui l’on peut en ajouter bien d’autres, comme l’ont fait H. de Valois dans ses savantes notes sur le chap, v du liv. v d’Eusébe, et D. Ruinart dans sa Préface des Actes des martyrs, pag. xli et xlii. V. Bullet. Etabliss. du Christian., pag. 15, 220 et stiiv.
les édits contre les chrétiens . du moins les mesures qu’il prit les laissèrent-ils respirer, en les mettant à l’abri des délateurs punis encore plus sévèrement qu’eux-mêmes.
Quelles lois sont-ce donc que celles qui ne sont exécutées contre nous que par des princes impies, injustes, infâmes, cruels, insensés; que (Page 7.) Trajan a éludées en partie, par sa défense de rechercher les chrétiens ; que n’autorisent ni un Adrien , si curieux en tout genre, ni un \es-pasien , le destructeur de la nation juive, ni un Antonin-le־Pieux et Vécus! Cependant c’étoit à des princes vertueux à exterminer une secte de scélérats, et non pas à d’autres scélérats.
VI. Que ces religieux et si zélés observateurs des lois et des usages de leurs pères me répondent maintenant ; qu’ils me disent s’ils ont toujours été bien fidèles à respecter, à suivre, sans jamais s’en écarter, les antiques ordonnances; s’il ne leur est pas arrivé de sortir de la ligne qui leur avoit été tracée ; si, au contraire, ils n’ont pas entièrement aboli, et effacé même de leurs souvenirs les plus utiles et les plus salutaires règlemens établis pour la direction des mœurs. Que sont devenues ces lois somptuaires, frein du luxe et de l’ambition ? Je vois l’affranchi d’hier disputer de faste avec le sénateur. Je vois les théâtres se multiplier, devenir des édifices réguliers; ce fut sans doute pour ga-rantir du froid ces voluptueux et délicats spec la-tears, que les Lacédémoniens inventèrent leurs manteaux. Je vois nos dames romaines se con-fondre avec les courtisanes par l’immodestie de leurs parures, par la licence des repas, sans res-pect pour les anciennes lois tutélaires de la fru-galité et des bienséances. Il faut aujourd’hui que le corps d’une femme se ploie tout entier sous le poids de l’or. On ne s’épouse qu’avec l’intention de se quitter, et le divorce devient le bénéfice du mariage.
Vous vous piquez d’une scrupuleuse exactitude à ne rien enfreindre des coutumes de vos pères sur la religion; combien n’en avez-vous pas transgressé! Vos consuls, de l’aulorilé du sénat, avoient banni non-seulement de Rome , mais de toute l’Italie, le dieu Bacchus avec lous ses sacri-lices. Les consuls Pison et Gabinius, qui cepen-danl n’étoient pas chrétiens , avoient interdit l’accès du Capitole, c’est-à-dire du palais des dieux, à Sérapis, à Isis, à Ilarpocrate , au dieu à tête de chien ; ils ont renversé leurs autels, pour ré-primer les désordres de ces vaines et infâmes su-perstilions. Vous les avez rétablis depuis dans les honneurs de la majesté souveraine. Où donc esl ]a religion? Où donc est ce prétendu respect pour les antiques institutions? Tout est changé, costume , mœurs , usages , jusqu’à la langue elle-même ; vous n’en avez plus rien. Vous avez toujours à la bouche les louanges de l’antiquité ; et chaque jour amène sa nouveauté : également empressés et de vous éloigner des exemples de vos pères (Page 8.) dans ce qu’ils avoient de bien, et de n’en retenir que ce qu’ils avoient de mauvais. Je pourrai même vous prouver, dans la suite, que, semblables en ce point aux chrétiens, à qui vous en faites cependant un crime capital, vous négligez, vous méprisez, vous détruisez le culte de vos propres divinités. levais à présent répondre aux accusations des crimes secrets, pour passer ensuite aux autres.
VII. Nous sommes, dans l’opinion publique , les plus méchans des hommes , parce que, dit-on , dans nos mystères, nous égorgeons un enfant, dont nous mangeons la chair -, qu’à la suite de ce repas, nous nous livrons à des incestes, lorsque des chiens, complices de ces abominations, ont renversé les flambeaux , et qu’en nous plongeant, dans l’obscurité ils nous ont débarrassés tout à la fois de la lumière et de la pudeur. On le dit, et depuis si long-temps qu’on le répète, vous n’avez pas encore eu la curiosité de constater le fait! Commencez donc enfin à vous en assurer, si vous le croyez, 011 à ne plus le. croire, si vous ne daignez pas vous en assurer. Votre refus de le faire prouve bien qu’il n’y a rien de re'el dans ce que vous n’avez pas le courage de ve'rifier. Ce ne sont pas là les instructions que vous donnez à vos exécuteurs ; ils nous demandent, non pas d’avouer ce que nous faisons, mais de nier ce que nous sommes.
La religion des chrétiens a commencé, comme je l’ai dit déjà, sous Tibère. La vérité s’est fait haïr dès qu’elle s’est fait connoître. Autant d'étrangers, autant d’ennemis (1) : les juifs, par jalousie; les soldats, par l’avidité du pillage ; nos ser-vitenrs , par la malignité naturelle de leurprofes-sion.Tous les jours on nous assiège, tous les jours on nous trahit. Le plus souvent on vient à main armée nous surprendre dans le lieu de nos assern-blées. Est-il arrivé jamais que personne ait entendu les cris de l’enfant égorgé par nos mains ? Nommez-moi le dénonciateur qui ait fait voir au juge nos lèvres ensanglantées. Quelle femme chrétienne a montré aux yeux de qui que ce soit la preuve de son opprobre ? Mais si quelqu’un avoit été témoin de ces abominations, les auroit-il cachées? Se seroit-il laissé corrompre par les mêmes hommes qu’il traînoit devant les tribunaux? S’il es.tvrai que nous nous tenions toujours renfermés dans les ténèbres, comment ce que nous faisons a-t-il été découvert? Par qui notre secret a-t-il pu être trahi? Par des indiscrets? Impossible. On connoît la rigueur du silence dans les mystères. S’il est inviolable dans ceux d’Eleusis et de Sa-mothrace , à plus forte raison dans les nôtres, où celui qui les trahiroil !!’échapperait pas à la vengeance des hommes dans cette vie, à la justice de Dieu dans l’autre. Par des étrangers? D’où l’au-roient-ils su? Lorsque l’on a tant de soin d’écarter les profanes des initiations les plus innocentes , manquerions-nous de précautions pour les nôtres, que l’on suppose si criminelles?
(1) ־ En paraissant dans le monde , la religion chrétienne excita la »haine publique, et y trouva un mépris égal à la haine : Cuni odio sui »simul cœpitesse veritas : tôt inimici quoi extranet. Opposée à tout, »tout s’oppose à elle; autant d’obstacles qu’il y avoit de passions dans «les hommes ; autant d’ennemis qu’il y avoit de gentils et de juifs ; ·autant de persécutions qu’elle eu a pu souffrir, sans être détruite: ·voilà les commencemens de cefie religion. · Molinier, Serm. choisis, tom. t, ג' part. pag. 255.
Je 11e vois plus que la renommée qui ait pt! vous en instruire. Tout le monde sait ce que c'est que la renommée. L’un de vos poètes l’appelle un monstre que rien n’égale en vitesse (1) ; qui ne vit guère que de mensonges qu’il mêle à la vérité même qu’il altère soit en plus soit en moins. 11 ne se soutient qu’autant que la chose qu’il publie reste dans l’incertitude (2). Est-elle sûre? plus de renommée ; on ne doute plus, on affirme. Des on dit ne sont pas la chose. Qui donc peut ajouter foi aux discours de la renommée? Ce n’est pas le sage, qui ne croit qu’autant qu’il est sûr.
(1) Fama malumquo nonaliud velocius ullum. Virg. Æneid. lib. iv.
(2) Bourdaloue traduit avec plus de fidélité : « K’est-ce pas le caractère· ״de ce bruit commun , de ne subsister que pendant qu’il impose, et de » s’évanouir du moment qu’il n’impose plus ? Cependant, poursuivait ״Tertullien, c’est le bruit commun que l’on nous objecte continuelle-״ment, et dont on s’autorise pour ne nous rendre aucune justice. » Semi, sur la médisance , Domin. tom. ni, pag. 266.
Un principe que l’on ne nous contestera pas, c’est que, quelque universelle, quelque probable qu'une chose puisse être , elle a dû avoir un commencement, et que depuis elle a passé par une infinité de bouches et d’oreilles. Ce mot jeté au hasard se trouve bientôt tellement enveloppé, (Page g) que personne ne s’occupe de remonter à la source que le mensonge a infectée : ce qui arrive tantôt par jalousie, tantôt par de simples conjectures, tantôt par cette vieille disposition, naturelle à tous les hommes, qui leur fait trouver du plaisir à mentir. Heureusement que tout se découvre à la longue; cela a passé en proverbe parmi vous. La nature a voulu que rien ne pût être long-temps caché, pas même ce qui a pu échapper à la renommée.
VIII. Vous avez donc raison de mettre sur le compte de la renommée seule les crimes dont on nous charge depuis tant d’années. C’est à son témoignage que vous en appelez contre nous, bien que depuis si long-temps elle n’ait pu réussir encore à prouver rien de ce qu’elle a re'pandu et propagé si loin. J’en appellerai, moi , à la nature : qu’elle soit juge entre nous et ceux qui croient à de tels bruits.
Je suppose que nous promettions une récoin-pense à la suite de ces abominations ; et cette récompense, ce n’est rien moins que la vie éternelle. Commencez par y croire. Je n en demande pas davantage pour le moment. Eh bien, vous y croyez: la voulez-vous à tel prix? λ enez : plongez le fer dans le cœur de cet enfant, qui n’a pu faire de mal à personne , qu’on n’accuse d’aucun délit, et que tous les membres de l’assemblée regardent comme à lui. Ou , si c’est à un autre que vous à l’égorger, assistez à l’exécution. Regardez mourir, avant qu’il ait commencé à vivre, cet être de meme sang que vous ; calculez le moment où cette âme va s’échapper de ce corps qu’elle habite depuis si peu de temps. Ptecueillez ce jeune sang; trempez-y votre pain , savourez-le , mangez sans répugnance. Observez bien, durant le repas, la place où est votre mère, votre sœiir, afin qu’il n’y ail pas de méprise pour l’instant où les flambeaux éteints vous laisseront dans l’obscurité; car ce seroit un crime contre la religion, du manquer un inceste. Voilà l’initiation, voilà le sceau qui vous met en possession d’une vie étemelle. Je vous le demande à vous-mêmes, en voudriez-vous à semblable condition ? Si ce n’est qu’une chimère, pouvez-vous y croire? Mais vous y croiriez, je garantis que vous n’en voudriez pas «à pareil prix. Vous en voudriez, certes, ce n’est pas là le chemin qui vous y condui-roit. Mais ce qui vous scroit impossible à vous , seroil-il plus possible à d’autres? Ou bien si d’autres le peuvent, vous aussi, pourquoi ne le pourriez-vous pas? Apparemment que nous sommes d’une nature differente. Sommes-nous des mous-très? la nature nous auroit-eile organisés singu-lièrernent pour l’inceste et pour les repas de chair humaine? Si vous croyez un chrétien capable de ces horreurs, vous l’êtes vous-même , puisque vous êtes un homme comme lui ; et vous Ten devez croire incapable, si vous sentez que vous l’êtes, parce qu’il est un homme comme vous.
Mais on n’en dit rien à ceux qui doivent être initiés, et nous profitons de leur ignorance pour les engager . Comme s’ils pouvaient ignorer les bruits qui courent à ce sujet ; comme s’ils n’avoient pas le plus grand intérêt à les approfondir, à s’assurer de la vérité.Pourtant c’est, ce me semble, un usage auquel on ne manque jamais, quelque part qu’on veuille être initié, d’aller d’abord trou-ver !’hiérophante pour savoir de lui les préparatifs qu’il y a à faire. Voici donc ce que le nôtre répond : « Il faut vous pourvoir d’un enfant bien délicat, » qui ne sache pas ce que c’est que la mort ,qui rie» à la vue du couteau leve' sur sa tête ; il vous faut » un pain pour le tremper dans le sang coulant à » grands flots; de plus, des chandeliers, des tor-מ ches, quelques chiens pour renverser les flam-» beaux : surtout ne manquez pas d’amener avec » vous votre mère et votre sœur. » Mais si elles ne veulent pas ; si je n’ai ni mère ni sœur, si je suis le seul chrétien de ma famille? On ne seroit donc pas bon chre'tien , si l’on n’avoit ni mère ni sœur?
Mais encore, je le suppose, avant l’initiation on ne savait pas un mol de tout cela. Du moins on le sait après ; et on le souffre , on ne réclame pas ? Craindroit-on d’être puni? On est sur en nous accusant de trouver des protecteurs. Et quel châtiment craindre , quand la mortelle-même devient pre'férable au tourment de vivre avec le poids de tant de crimes? Je veux que la crainte leur ferme la bouche. Pourquoi persister à être chrétien ? Des engagemens qu’on n’eût pas pris si on les eût connus , on les rompt aussitôt qu’on les con-noît.
IX. Donnons à cette justilication une nouvelle force en rétorquant l’argument, et prouvant que ces crimes dont vous nous accusez sans nul fondement, vous vous les permettez , et en secret et en public ; et c’est pour cela peut-être que vous nous en croyez capables. En Afrique, on immoloit publiquement des enfans à Saturne , jusqu’au pro-consulat de Tibère, (Page 10) qui fit attacher les prêtres de ce dieu aux arbres mêmes du temple qui couvroient ces affreux sacrifices , comme à autant de croix votives : j’en prends à témoin les soldats de mon pays, qui exécutèrent les ordres du proconsul ; ce qui n’a pas empêché que ces détestables sacrifices ne se fissent toujours en secret. Les chrétiens ne sont pas les seuls qui bravent vos ordonnances. Le crime qui a pris racine ne s’extirpe jamais corn-plètement; et puis un dieu ne change pas.Saturne, qui n’a pas fait grâce à ses propres enfans, au-roit-il épargné davantage des enfans étrangers , que leurs pères et leurs mères venoient eux-mêmeslui offrir, et qu’ils caressoient, au moment qu’on les immolait, pour les empêcher de pleurer? Il y a loin encore de l’homicide au parricide.
Ce n’étoient pas des enfans, mais des hommes faits que les Gaulois sacrifiaient à Mercure. Vos théâtres peuvent vous apprendre ce qui se passoit dans la Tauride. Encore aujourd’hui , dans Ja ville la plus religieuse de l’univers , chez les descendants du pieux Enée , vous avez un Jupiter que,dans les jeux célébrés en son honneur, on arrose de sang humain. C’est, m’allez-vous dire, du sang de criminels condamnésauxbêtes. Cessent-ils d’être hommes? Est-ce par honneur pour le dieu qu’on lui sacrifie de tels hommes? toujours du moins sont-ce là autant d’homicides. Oh! que ce Jupiter doit vous sembler chrétien! qu’il est bien le fils unique de son père pour la cruauté' !
Mais comme il importe peu qu’en fait de meurtres d’enfans le motif soit la religion ou le caprice, l’assassin un père ou tout autre , c’est au peuple que je vais m’adresser.
Peuple alte're' du sang des chre'tiens, juges si intègres pour vous , si rigoureux pour nous, corn-bien, dans cette immense multitude, n’y en aura-t-il pas de qui je vais frapper les consciences, en vous reprochant que c’.est vous - mêmes qui êtes les meurtriers de vos enfans ! Il n’y a de diffe'rence que par le genre de supplice. Par raffinement de cruauté', ou vous les noyez, ou vous les faites mourir de faim et de soif, ou vous les exposez aux chiens: ce seroit une mort trop douce de périr parle fer. Pour nous, l’homicide, quel qu'il soit, est de'fendu... Nous ne nous permettons pas même sur nos tables le sang des animaux ; et vous le savez bien, puisque, parmi les e'preuves diverses imagine'es pour faire succomber ]a foi des chrê-tiens, vous leur pre'sentez des viandes pleines de sang. Or, je vous le demande, pouvez-vous croire que des hommes accoutume's à ne voir qu’avec horreur le sang des animaux , soient si fort al-te're's de celui de leur semblable , à moins peut-être que vous n’ayez trouve' celui-ci plus délicat ?
On nous accuse d’inceste: mais qui peut prêter plus justement matière à ce soupçon que ceux qui en ont reçu des leçons de Jupiter lui-même? Réfléchissez à combien d’incestes peuvent donner lieu parmi vous les méprises qui re'sultent du de'rè-glement des mœurs. Vous exposez vos enfans , vous les abandonnez à la pitié, ou les émancipez, pour les faire passer dans des familles étrangères, qui leur donnent de plus dignes pères. Insensiblement le souvenir d’une famille à laquelle on ne tient plus s’efface ; et avec l’erreur le crime d’inceste se répand et se perpétue. Jouets éternels de la bon-teuse passion qui vous domine , vous la portez avec vous à la ville, dans les campagnes , par delà les mers; et les fruits déplorables de votre incontinence, semés en tous lieux, inconnus à vous-mêmes, finissent par s’allierensemble ou avec leurs auteurs , sans le soupçonner.
Parmi nous règne la cbasteté la plus sévère , la plus inviolable. Nous trouvons dans notre éloignement pour tout excès le rempart le plus assuré contre l’ombre même de l’inceste. Nous vous citerions des chrétiens qui , pour mieux se garantir, restent vierges jusqu’au tombeau, innocenssous les rides de la vieillesse. Si vous aviez pris garde aux désordres qui se commettent parmi vous , vous n’en accuseriez pas les chrétiens ; mais par un double aveuglement, qui n’est que trop commun, vous ne voyez pas ce qui est, vous croyez voir ce qui n’est pas. C’est ce que je vous ferai observer pour tout le reste : venons à ce qui est public.
X. a Vous n’adorez pas nos dieux , nous dit-on, et vous n’offrez pas des sacrifices pour les empereurs. »
Il est vrai que ne rendant aucun culte à vos divinités, nous ne leur offrons point de sacrifices pour les autres, parce que nous ne leur en offrons pas pour nous-mêmes ; et voilà pourquoi nous sommes poursuivis comme criminels de lèse-ma-jeslé divine et humaine. C’est là le point capital de notre cause , ou plutôt la voilà tout entière: il mérite bien d’être examiné de près. Nous demandons seulement de n’être point jugés par la prévention ou par l'injustice: l’une renonce à trouver la vérité, l’autre se refuse à sa lumière.
Nous avons cessé d’adorer vos dieux depuis que nous avons reconnu que ce n’en étoient pas. Vous êtes donc en droit d’exiger de nous que nous démontrions qu’ils ne sont pas dieux, et qu’il ne leur est dû aucun culte. Autrement, nul doute qu’il ne fallût les adorer; et les chrétiens seroient justement punissables s’il éloit certain que ces dieux qu’ils refusent d’adorer, d'après leur persuasion qu’ils n’en sont pas , le fussent effectivement. «Qu’importe, dites-vous, votre opinion? Ce sont des dieux à nous. » J’en appelle de vous-mêmes à votre conscience ; qu’elle nous juge ; qu’elle nous condamne, si elle peut nier que tous vos dieux aient clé des hommes. Si elle nous le conteste , il sera facile de l’en convaincre par le témoignage des monumens de l’antiquité qui vous en ont transmis la connoissance, encore subsistans parmi nous, (12.) par celui des villes où ils sont nés, des pays où ils ont vécu, où ils ont laissé des traces de leur existence, où l’on fait voir encore leurs tombeaux , à commencer par Saturne...
XL « A la bonne heure qu’ils aient été des hommes durant leur vie , toujours sont-ils devenus dieux après leur mort.» Examinons comment. D’abord vous ne me refuserez pas d’admettre qu’il existe par-dessus tout un Dieu suprême , et propriétaire de la divinité, qui l’auroit communiquée «à des hommes ; car ceux qui ne l’avoient pas n’ont pu se la donner à eux-mêmes , et personne n’a pu la leur donner que celui qui la possédait en propre: car, enfin, ce seroit une absurdité de prétendre qu’on puisse tout seul se faire Dieu. Si l’on étoit maître de le devenir àson gré, on n’auroit pas commencé par être homme ; on auroit voulu être quelque chose de mieux. Si donc il existe un être qui puisse faire des dieux, je reviens à l’examen des raisons qui l’auroient pu déterminer à en faire parmi les hommes. Je n’en vois pas d’autres que les services dont ce grand dieu auroit eu besoin dans ses fonctions. Mais ne seroit-ce pas une chose (Page 15.) indigne de lui qu’il eût besoin de quelqu’un, et surtout d’un mort? Ne valoit-il pas mieux le faire dieu pendant sa vie ? et d’ailleurs quel service pouvoit-il en attendre ? Il n’en avoit pas eu besoin pour créer le monde tel qu’il est avec ce carac-tore de haute sagesse et de puissance qui suppose, dans celui qui l’a fait, un être infiniment parfait. Sa providence n’a rien cre'e' pour l’entretien et la conservation de l’homme, qui n’ait été fait avant l’homme. On dit bien que les hommes ont découvert différentes choses nécessaires à la vie , mais non pas qu’ils les ont faites. Or ce qu’on découvre existoil auparavant, et doit être attribué à celui qui Fa fait et non pas à celui qui n’a pu que le décou-vrir.Si donc rien ne manquait à l’univers dès les conimencemens, si toutes les parties de l’univers servoient aux usages pour lesquels elles étoient destinées, qu’étoit-il besoin de faire des dieux pour leur assigner des emplois et des fonctions qui n’en étoient pas moins remplis sans eux et avant eux?
Donnez-nous une meilleure raison, et dites que ces prétendus dieux le sont devenus en récompense de leurs vertus. C’est donc reconnoitre que ce dieu, fabricateur de dieux, est éminemment juste, et qu’en conséquence il n’a pu ni prostituer ni prodiguer une aussi magnifique récompense. Il est donc curieux de voir si vos dieux n’auroient pas mérite plutôt d’être précipités au fond du Tartare que d’être élevés dans le ciel. Car vous ne désavouez pas toujours qu’il y ait un enfer, un ténébreux séjour destiné aux impies qui ont ou-tragé la nature en maltraitant leurs pères, en abu-sant de leurs propres sœurs , en souillant le lit conjugal, en ravissant des vierges , en corrompant de jeunes enfans ; à ceux qui ont fait métier de brigandage, en pillant, massacrant, volant, men-tant sans pudeur; à tous ceux, en un mot, qui res-semblent à quelqu’un de vos dieux notoirement couverts de crimes et d’infamie , et qu’il est im-possible d’absoudre, à moins de prétendre qu’ils n’ont pas été des hommes. Mais il vous est égale-ment impossible et de nier et de soutenir qu’ils aient pu devenir dieux; car si vous n’êies établis que pour punir ceux qui les imitent, si parmi vous-mêmes tout ce qui a conservé des mœurs se croiroit déshonoré d’entretenir quelque corn-merce avec des mécréans et des infâmes, s’il craint de leur parler, et d’habiter sous le même toit, et s’il étoit vrai que Dieusefùt associé de pareils hommes, pourquoi condamneriez-vous ceux dont vous ado-rez les collègues? Votre justice elle-même fait le procès aux habitans du ciel. Faites l’apothéose des plus grands scélérats, vous êtes sur de flatter vos dieux en rendant un culte divin à leurs semblables.
Mais brisons sur ces infamies. Je suppose que vos dieux ont été des hommes vertueux, bienfai-sans, irréprochables. Cependant, combien n’avez-vous pas laissé dans les enfers de sages quivaloicnt mieux encore ! un Socrate, un Aristide le juste, un (Pagei{.) Thémistocle, célèbre par sa valeur, un Alexandre avec sa colossale grandeur, et l’heureux Polycrate, et le riche Crésus, et l’éloquent Déraosthène. Qui d'entre vos dieux surpassa jamais un Caton en gravité et en prudence , un Scipion en science militaire, un Pompée en élévation de sentimens, un Sylla en bonheur, un Crassus en opulence, un Cicéron par les ressources du talent? C’étoient ]à des hommes que le Dieu suprême, à qui l’avenir ne peut être caché, auroit bienfait d’attendre pour leur décerner les honneurs divins. Il s’est trop pressé, à mon avis, il a trop tôt fermé le ciel, et il rougit d’entendre les murmures des âmes qui méritoient bien mieux les préférences.
XII. Je finis sur cet article. J’aurai l’occasion de vous faire voir ce qu’ils ne sont pas, après vous avoirmontré ce qu’ils sont. Quant à leurs personnes, je ne vois que des noms d’anciens morts, je n’entends raconter que des fables, unique fondement du culte qui leur est rendu. Quanta leurs simulacres, même matière que celle qui est employée dans la composition des choses les plus communes....
En n’adorant point de vaines idoles, inanimées comme les objets qu’elles retracent, ne me'ritons-nous pas plutôt d’être loués que d’être punis comme nous le sommes, puisque nous ne faisons que re-jeter un culte monstrueux? Pouvons-nous craindre d’offenser ce qui n’est pas , ce qui par conséquent ne peut rien sentir?
XIII. « Mais enfin, ce sont des dieux pour nous. » Comment donc se fait-il que vous n’ayez pour eux que des insultes et des outrages, que les procédés du sacrilège et de l’impiété? Vous les appelez vos dieux, et vous les méprisez! vous les redoutez et vous les mettez en pièces! vous faites profession de les défendre , et vous vous en moquez! Jugez si je dis rien de trop. En premier lieu, chacun étant libre de porter où il veut ses adorations, ceux à qui vous les refusez ne s’en tiennent-ils pas offensés? La préférence que vous donnez à ceux-ci est une injure pour ceux-là. On ne choisit qu’en excluant. Ceux dont vous ne voulez pas, vous les avilissez; et vous n’avez pas peur de leurs ressen-timens !
Les chapitres suivans traitent des diverses familles de dieux adorés par les païens, de l’idée qu’en donnent les poètes et les philosophes, de l’impiété du paganisme dans ses superstitions, ses livres et ses spectacles.
Sur vos théâtres les plus infâmes des hommes se travestissent en dieux. Un vil histrion, décrié pour ses turpitudes, joue une Minerve, de'esse de la sagesse, et vous applaudissez ! N’est-ce pas là outrager la majesté' divine, la profaner....? Dirai-je que c’est dans vos temples, que c’est au pied des autels que se concertent les plus coupables intrigués (1), que se me'ditent les adultères , que se réunissent les rendez-vous les plus impurs ?...
(1) Bourdaloue : « La calomnie suscitée du temps de Tertullien contre les fidèles, savoir : Que les plus honteux engagemens se for-niaient et s’entrelenoient à la laveur des autels, inter aras lenocinia ·tractari, etc. ( Carême, tom. 11, pag. 2gâ. ) » La mémoire du savant prédicateur l’a trompé. C’est aux païens seuls que le reproche s’adresse.
Dans le chapitre suivant , Tertullien répond à la calomnie que les chrétiens adoraient une tète d’âne ou le. soleil־
(Page 18.) XVII. Ce que nous adorons est un seul Dieu unique , qui, pour annoncer sa majesté suprême , a créé de rien cette niasse immense de tout ce qui existe. Sa parole a commandé , sa puissance a fait exécuter, sa sagesse a ordonné. Invisible , quoique partout il se manifeste ; impalpable , quoique sa grâce nous trace son image; incompré-bensible , quoique l’intelligence humaine puisse arriver jusqu’à lui. C’est par là même que se prouvent et sa vérité et sa grandeur car ce qu’on peut voir et mesurer à la manière ordinaire est moindre que les organes qui l’aperçoivent ou le touchent.
Ce qui est immense ne peut être connu que de soi-même. C’est !,impuissance même où nous soin-mes de le concevoir qui nous donne l’ide'e de Dieu. Son essence sans bornes le découvre à la fois et le dérobe à nos regards. Le plus grand crime dans l’homme est de ne pas reconnoitre celui qu’il lui est impossible de méconnaître.
Voulez-vous qu’on vous prouve son existence par cette foule d’excellens ouvrages de ses mains, qui nous soutiennent, qui nous conservent, qui nous réjouissent; par ceux mêmes qui nous impriment sa crainte ; par le seul témoignage du sens intime. Interrogez votre âme elle-même : du fond de cette prison d'un corps qui l’enchaîne, du sein de tous les préjugés qui arrêtent son essor, de la fange même de ces passions terrestres qui !’énervent, lorsqu’elle s’éveille , comme au sortir de l’ivresse ou d’un profond sommeil, rendue tout à coup à sa constitution naturelle, elle proclame Dieu , elle l’invoque sous le seul nom qui lui convienne. Grand Dieu ! bon Dieu ! ce qui plaira à Dieu : ces paroles viennent à la bouche de tous les hommes. Elle la reconnoît aussi pour juge, quand elle s’écrie : Dieu a les yeux ouverts, je nie repose sur Dieu Dieu me fera justice. O témoignage de l’âme naturellement chrétienne! El quand elle tient ce langage, ce n’est point le Capitole qu’elle regarde, mais le ciel, parce qu’elle sait bien que c’est là que réside le Dieu vivant; de là qu’elle-mêmc tire son origine, puisqu’elle la tire de Dieu.
XVIII. Toutefois il a voulu nous rendre plus accès-sibles et sa nature et l’e'conomie de sa Providence, et ses commandemens. Dans cette vue, à ses premiers bienfaits il a ajoute' !’Ecriture, qui nous apprend à le chercher, à le connoître , à croire en lui, à le ser-vir.Dès le commencement, il a envoyé sur la terre des hommes dignes, par la justice et l’innocence de leurs mœurs, de le connaître et de le faire connaître. Iflesa inondés de sonEsprit, pour annoncer qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui a tout créé ; qui a formé l’homme du limon de la terre ( c’est là le vrai Prométhée); qui a établi dans le monde la succession invariable des saisons ; qui nous donne par les ouragans et les tonnerres l’impression de sa majesté et de ses redoutables jugemens ; qui nous a donné les préceptes à observer pour lui plaire, ces mêmes préceptes que vous ignorez ou que vous transgressez, mais auxquels sont attachées de magnifiques récompenses ; qui réserve pour la fin des temps une vie éternelle à ses serviteurs fidèles, un feu éternel aux idolâtres, pour le jour où tous les hommes qui sont morts depuis l’origine des siècles ressusciteront, et comparaîtront à son tribunal pour être châtiés ou récompensés selon leurs œuvres. Nous avons ri comme vous de ces dogmes: nous pensions comme vous; on ne naît pas chrétien, on le devient (1).
(1) De vestris fuimus : fiunL non nascuntur christiani. ( Voyez Ch. de Neuville , Serm., tom. iv, pag. 174·)
Les prédicateurs dont nous vous parlons, on les appelait prophètes , parce qu’ils pre'disoient l’avenir. Leurs prophéties et ]es miracles opérés par eux en témoignage du Dieu qu’ils annonçaient sont consignés dans nos livres sacrés, qui sont maintenant à la portée de tout le monde, grâce à la traduc-lion qui en a été faite par les ordres de Ptolémée Philadelphe... Qu’on les consulte , on y apprendra (·ge '9·) à connoître Dieu, et bientôt à croire en lui.
XIX. Le premier caractère d’autorité de ces livres leur vient de leur haute antiquité. Chez vous, comme partout ailleurs , l’antiquité va de pair avec la religion. Or les livres d’un seul de ces prophètes , qui sont comme un trésor où est déposée toute la religion des Juifs , et par conséquent la nôtre, devancent de plusieurs siècles ce que vous avez de plus reculé, vos édifices, vos raonumens, vos origines, vos institutions, votre histoire, vos langages les plus surannés, vos traditions, vos peuples et vos villes les plus renommées: ce n’est pas assez dire , vos dieux eux-mêmes , vos temples , leurs oracles et leurs sacrifices. Moïse a précédé d’environ huit cents ans la fondation de Ptome, de trois cents la ruine de Troie, de plus de cinq cents années la naissance d’Homère. Tous les autres prophètes venus après Moïse sont antérieurs et de beaucoup aux plus anciens de vos sages, de vos législateurs et de vos historiens.
(Page סב.) XX. Un autre caractère qui rend nos livres plus respectables encore , c’est la divine inspiration dont ils sont manifestement empreints. La preuve n’est pas loin ; c’est le monde tout entier, et son histoire passée, présente et future, qui nous la four-nissent(1).Ce qui arrive , ce que nous voyons tous les jours avoit été prédit. Il a été prédit que la terre engloutirait des cités ; que les mers feraient dis-paroître des îles; que les nations seraient en proie à des guerres étrangères et intestines : que les royaumes se choqueraient les uns aux autres ; que la famine, la peste , des bouleversemens désole-roient certaines contrées, en changeraient la face ; que la justice deviendroit plus rare ; que l’injustice prévaudrait ; que la pratique de toutes les vertus seroit languissante ; que l’ordre des saisons et des élémens seroit interverti ; que des mons-très el des prodiges troubleraient le cours de la nature.
(1) Molinier, tout le sermon sur la vérité delà religion chrétienne. Serm. chois. Tom. u, pag. 165 et suiv. Il conclut avec Tertullien : Idoncum , opinor, testimonium divinitatis veritas divinationis. Pag. 251.
Les maux que nous éprouvons , nos livres les racontaient à l’avance. L’événement fait la preuve île la prédiction; et c’est là , ce me semble, une assez belle garantie de leur divinité. Les prophéties déjà accomplies nous font croire celles qui ne doivent s’accomplir que par la suite , puisque celles-ci sont mêlées à celles qui s’exécutent journellement. Les mêmes bouches les ont prononcées , les mêmes mains les ont écrites, le même Esprit les a dictées. La prophétie confond tous les temps dans l’avenir qu’elle prédit, au lieu que les hommes, autant qu’il leur est possible, distinguent le temps à mesure qu’il s’écoule , séparant le présent de l’avenir, et le passé du présent. Avons-nous tort, dites-moi, de croire pour l’ave-nirceux que nous avons trouvés déjà si fidèles pour le présent el le passé ?
XXI. Comme j’ai avancé que les livres desJuifs, si vénérables par leur antiquité, servent de fondement à la religion des chrétiens , et que cependant on la taxe de nouveauté comme ne remontant pas au-delà du règne de Tibère, ce que nous ne désavouons pas , peut-être nous accusera-t-on de chercher à répandre des opinions nouvelles à l’ombre d’une religion célèbre, à qui, du moins, vous laissez son libre exercice, tandis que nous n’avons rien de commun avec elle, ni la date, ni l’abstinence de certaines viandes , ni la célébration des fêtes , ni la circoncision , ni le nom : ce qui devrait être, selon vous, si nous reconnoissions le même Dieu. On ne connoît Jésus-Christ que comme un homme ordinaire, que les Juifs ont jugé tel ; d’où l’on se croit fondé à nous accuser d’adorer un simple homme.
Cependant, bien loin d’en rougir, nous nous faisons gloire d’être persécutés et condamnés pour son nom ; et nous ne pensons point de Dieu au-Lrement que les Juifs. Pour me faire entendre, il est bon que je vous explique sommairement notre doctrine sur la divinité de Jésus-Christ.
Les Juifs étoicnt la nation chérie de Dieu, à cause de la justice et de lafoi de leurspères ; ce qui rendait leur peuple nombreux, et leur état florissant. Par une prérogative singulière, Dieu les instruisait en personne de ses commandemens. Mais , follement enflés des vertus de leurs pères, ils abandonnèrent sa loi pour se plonger dans l’impiété et dans toute sorte de crimes. Ils n’en conviendraient pas , le déplorable état où ils sont aujourd’hui le prouve assez. Dispersés , vagabonds, bannis de leur patrie, ils errent partout, sans avoir ni Dieu ni homme pourrai , sans qu’il leur soit permis de mettre le pied dans leur pays , même comme étrangers.
(Page 1ר.) Les saints oracles qui les menaçaient de ces malheurs leur annonçaient aussi que sur la fin des temps Dieu se choisirait des adorateurs plus fidèles de toutes les nations, de toutes les contrées de l’univers, auxquels il feroit passer sa grâce, mais une grâce plus parfaite, et proporlionne'e au mérite de l’auteur du nouveau culte. Or le dispensateur de cette grâce, le législateur de ce nouveau culte , ce bienfaiteur de l’univers dont il alloit être le réformateur et la lumière, on l’annonçoit comme fds de Dieu ; non pas né à la manière de vos dieux , pas même à la manière des hommes, mais conçu au sein d’une vierge , par un enfantement miraculeux (1). Je vais vous expliquer sa nature, pour vous faire entendre le mystère de sa naissance.
(1) Texte : Non pas un fils qui rougit du nom de fils, et des désordres de son père, etc. Par allusion aux généalogies de la fable. Senaut étend ainsi la pensée de Tertullien .־ « Il veut que le sein qui le porte soit l’image du sein de son Père , où il reçoit l’être sans corruption , et où, naissant de sa substance, il porte sans confusion le nom de Fils. Itaquidefngenüus, ut non erubescat in Jilii nomine. » Paneg. tom. 11, pag. 244·
Je vous ai dit que Dieu avoit créé le monde par saparole, sa raison et sa puissance. Vos philosophes mêmes conviennent que le monde est l’ouvrage de Dieu, c’est-à-dire de sa parole et de sa raison. Nous disons aussi que la propre substance de cette parole, de cette puissance et de cette sagesse de Dieu, qui a fait toutes choses, est Esprit; Verbe quand il ordonne, raison quand il dispose, puissance quand il exécute. Nous avons appris que cet Esprit est produit de Dieu ; qu’en le produisant Dieu l’a engendre', et que par là il est Fils de Dieu, Dieu lui-même, par !,unité de substance; car Dieu est Esprit. Le rayon sorti du soleil fait une portion du tout, mais le soleil est dans le rayon, puisque c’est son rayon; il ne se fait pas une se'paration, mais seulement une extension de substance. Ainsi le Verbe est-il Esprit d’Esprit, Dieu de Dieu , comme la lumière est une émanation de la lumière. La source de la lumière ne perd rien, ni de sa sub-stance ni de son éclat, en se répandant et se communiquant: de même ce qui procède de Dieu est Dieu et Fils de Dieu. Et les deux ne font qu’un. Autre en propriété , non en nombre ; en ordre,non en nature; sorti de son principe sans le quitter.
Ce rayon de Dieu, ainsi qu’il étoit prédit de tout temps, est descendu dans une vierge, s’est fait chair dans son sein; il naît homme uni à Dieu. La chair animée par !’Esprit se nourrit, croît, parle, enseigne, opère, et c’est le Christ. En attendant la preuve que nous sommes en état de vous donner, recevez toujours cette doctrine, ne seroit-clle qu’une fable comme les vôtres. Ceux qui, parmi vous, ont imaginé leurs fables pour décréditer la vérité par un faux air d’imitation , savoient qu’au fond le Christ devoit venir. Les Juifs le savoient ; car c’étoit à eux que les prophètes adressoient leurs prédictions. Ils l’attendent encore aujour-d’hui , et le grand sujet de contestation entre eux et nous ; c’est qu’ils soutiennent qu’il n’est pas encore venu. Deux avéneméns du Christ sont marqués dans les prophètes : le premier, dans la bassesse de la condition humaine ; il est passé : le second , réservé à la consommation des siècles , où il se manifestera dans toute la pompe de sa divinité. Les Juifs n’ont pas voulu reconnoitre le premier, et les confondent tous deux dans un seul, d’après l’idée qu’ils se sont faite d’un Messie plus éclatant. Leurs infidélités les ont empêchés de concevoir le premier, qui les auroit sauvés s’ils l’eussent cru. Leurs propres livres leur !nettoient sous les yeux l’authentique déclaration que Dieu, pour les en punir, leur a ôté la sagesse et !’intelligence , l’usage des yeux et des oreilles. (La., xliv. 18.) Parce que ses abaissemens ne leur laissoient voir dans sa personne qu’un pur homme, sa puissance devoit le faire passer à leurs yeux pour un magicien. (Page 22.) D’un mot, chassant les démons, rendant la vue aux aveugles , la santé aux lépreux, le mouvement aux paralytiques, la vie aux morts, soumettant les élémens, commandant aux flots de la mer agitée par les tempêtes, se faisant des eaux une terre ferme, il manifestait bien dans sa personne le Verbe de Dieu, son premier né, sa vertu, sa raison , !’Esprit qui en fait l’inaliénable essence. Mais les docteurs et les premiers de la nation, révoltés contre une doctrine qui les confondait, jaloux de voir le peuple courir en foule sur ■scs pas, forcèrent Pilate, gouverneur de la Judée pour les Romains, de le livrer à leur haine pour le faire mourir par le supplice de la croix. Lui-même il !,avoit pre'dit. Ce n’est pas assez ; les prophètes !,avoient pre'dit e'galement il y avoit plusieurs siècles. Attaché à la croix, il expira en parlant, et pre'vint le ministère du bourreau. A !,instant le jour disparut, avant midi. On ne vit qu’une éclipse de soleil dans un événement que Ton ignoroit avoir été prédit pour la mort du Christ. Faute d’en connoître la vraie cause , on prit le parti de nier; mais cette défaillance du monde qui sembloit expirer avec son auteur, vous la trouverez consignée dans vos archives (1).
(1) « Parmi les païens, Plilégon, auteur grec et affranchi d’Adrien , K marque exactement l’tclipse de soleil, arrivée la dix-huitième année »du règne de Tibère, temps précis de la mort de notre Sauveur. Les »annales de Rome faisaient mention de ce prodige; les registres de »!,empire en étoient chargés. De là vient que nos anciens apologistes »aussi bien que nos premiers martyrs y renvoyaient ordinairement les »païens. » ( Fromentières . Carême . tom. 11, pag. 187. )
Après que son corps eut été détaché de la croix, et mis dans le tombeau, les Juifs le firent garder avec soin par une troupe de soldats, pour empêcher que, comme il avoit prédit qu’il se ressusci-teroit de lui-même trois jours après sa mort, ses disciples ne vinssent l’enlever pour faire croire à sa résurrection. Mais le matin du troisième jour, la terre trembla tout à coup : l’énorme pierre qui fermait le sépulcre fut renversée ; les gardes effrayés se dispersèrent sans qu’il eût paru aucun des disciples ; et l’on ne trouva plus dans le tombeau que les dépouilles d’un tombeau. Cependant les principaux de ]a nation , intéressés à supposer un crime , pour retenir tributaire et defendant un échapper, n’en répandirent que les disciples de Jésus peuple prêt à leur pas moins le bruit l’avoient enlevé.
Le Christ ne se montra point à la multitude; l’impiété devait être punie par l’aveuglement, et les magnifiques récompenses promises à la foi mé-ritoient bien d’être achetées par quelques épreuves; mais il demeura durant quarante jours avec ses disciples dans la Galilée, qui fait partie de la Judée, leur enseignant ce qu’ils dévoient enseigner eux-mêmes. Après quoi, les ayant chargés de prêcher son Evangile par toute la terre, il s’éleva dans le ciel, environné d’une nuée qui le dérobait à leurs yeux ; prodige beaucoup plus sûr que celui de Romulus, dont vous n’avez pour garans que des Proculus. Pilate, chrétien dans le cœur, rendit compte de tous ces faits à Tibère (1). « Les Césars seroient chrétiens si le siècle qui nous persécute pouvoit se passer des Ce'sars, ou s’ils pouvoient être Ce'sars et chrélienstout ensemble ( 1). Les apôtres, fidèles à leur mission, se partagèrent le monde; et après avoir eu beaucoup à souffrir de la part des Juifs déclarés contre la religion de Jésus-Christ, pleins du courage que donne la conviction delà vérité, ils semèrent le sang chrétien (2) à Piome , durant la persécution de Néron...
(1) 11 y avoit eu dès les premiers siècles de !’Église des Actes de Pilate , réputés authentiques. C’étoit une relation que cet intendant de la Judée faisait à Tibère de ce qui s’éloit passé à la mort de Jésus-Christ; outre le procès qu’il en avoit instruit, elle contenoit diverses circonstances de la vie et de la résurrection du Sauveur, des miracles que l’on en publiait, et de l’opinion où l’on étoit de sa divinité. C'est ce que nous apprenons d’Eusèbe, qui ne trouvoit rien de surprenant â cette, conduite de Pilate, parce que c’étoit, dit-il, une coutume in-violablement observée par les gouverneurs de province d’avertir l’emp renr de tout ce qui s’y passoit d’intéressant. ( Hist. eccl. liv. 11, ch. 11.) S. Justin, martyr, avoit eu connoissance de ces actes. Us ne restèrent pas long-temps en leur entier, S. Epiphane nous apprend que les hérétiques y mêlèrent de coupables interpolations qni les discréditèrent. ( Hceres. l, cap. xi. ) Les païens achevèrent de les corrompre . ils y ajoutèrent même des blasphèmes contre la personne de Jésus-Christ. Ce sont ceux que l’empereur Maximin fit répandre dans toutes les parties de son empire , ordonnant que l’on en fît des lectures publiques partout où il y avoit des chrétiens.
(1) Trad, par Bossuet, Panégyr. de S. Thomas de Cantorb. tom. vi, édit, de Versailles, 1816, pag. 5g6. Ce mot a besoin d’etre modifié; il l’a été surtout par Bossuet, avec autant de justesse que d’éloquence, dans le panégyrique précité. Fenélon le cite dans son Discours pour le sacre de l'élect. de Cologne, 1re part. Le P. Lenfant en a fait un bel usage, appliqué à l’exemple, dans son sermon à ce sujet, tom. iv, pag. 019 et 520. « Tertullien n’osoit assurer qne la cour des Césars »pfit devenir chrétienne: Si Ccesares poluissent esse christiani. Tien-·droit-ilà la plupart des grands qu’on en doutât aujourd’hui? » Ch. de Neuville , Carême, tom. 1, pag. 299.
(2) Sanguiitem chrislianum seminaverunt. nos grands prédicateurs ont bien senti l’énergie de cette métaphore.
Voilà l’histoire et la date précise de notre secte , de Tiotre auteur et de notre nom. Que l’on cesse donc de nous calomnier. Que l’on ne soupçonne pas davantage que nous cherchions à en imposer. Nous ne croyons pas qu’il soit permis jamais de mentir sur le fait de la religion (1). En disant qu’on adore ce qu’on n’adore pas et! effet, on renie le véritable objet de son culte ; on abjure sa religion, en transportant à un autre les honneurs divins. Nous le disons, nous le proclamons à la face de tous les hommes et du pied des échafauds, sous les fouets qui nous déchirent, et font couler notre sang à grands flots , nous confessons hautement que nous (],age 2!.) adorons Dieu par le Christ. Croyez après cela que c’est un homme que nous adorons. C’est par lui et en lui seul que Dieu veut être connu cl adoré.
(1) « La religion , disoit Tertullien, est une chose sacrée , ou il n’es! jamais permis de mentir, puisque les moindres mensonges, les moindres déguisemens s’y changent en sacrilèges. »( Le ministre Claude, dans JZorc. choisis des protest,., pag. 191.)« Les chrétiens mouraient plutôt que de feindre d’être païens pour racheter leur vie. »( Gamba cérès. Serm.. tom. 1, pag. 220. )
Je répondrai aux Juifs que c’est par le ministère d’un homme, de Moïse , qu’ils ont appris à cou-naître Dieu 1 aux Grecs , qu’Orphée dans la Thrace. Musée à Athènes , Mélampc à Argos, Trophonius dans la Béotie, avoient leurs initiations et leurs mystères ; que vous-mêmes, ô maîtres du monde , vous tenez d’un homme, de Numa Pompilius, les gênantes superstitions auxquelles vous êtes asservis. Le Christ étoit-il moins qu'eux en droit de nous exposer le secret de la divine essence qui lui est propre ?... Examinez donc si la divinité de Jesus-Christ est bien prouvée. Et si la connoissance de sa religion conduit à la réforme des mœurs et à la pratique du bien, il en faudra conclure que toute autre religion en opposition avec elle est fausse : ce que je dis particulièrement de celle qui, comme la vôtre , s’enveloppant de noms et de simulacres de morts , n’a pour garantir sa divinité que quelques prétendus prodiges et des oracles.
XXIIe et XXIIIe chap. Tertullien explique ces prodiges par les prestiges des démons.
Toutes leurs manœuvres n’ont qu’un seul objet, la ruine de l’homme (1). Les dieux du paganisme ne sont que des démons ( pour preuve ) :
(1) Operado eorum est hondnis eversio. Noy. citant ce mot de Tertullien. 5677?»., tom. iv, pag. 1g5.
(Page 24.) Oue l’on amène devant vos tribunaux quelque possédé du démon , qui le soit notoirement. Un chrétien, quel qu’il soit, n’importe, commandera au malin esprit de parler ; et il confessera qu’il n’est en effet qu’un démon, et qu’ailleurs il se dit faussement dieu. Qu’on amène également quelques-uns de ceux que l’on croit agités parune divinité dont l’esprit les anime , et fait sortir avec effort de leur poitrine haletante des paroles entrecoupées ; et, n’osant mentir à un chrétien, s’ils ne. confessçpt pas qu’ils sont des démons, faites couler à l’in-slant même le sang de ce chrétien (1).
(1) Voy. encore Bossuet au même discours, pag. 197; et mieux encore l’éloquente Iraduclion qu’il fait de tout ce morceau , Serm. du premier dim. de carême. {Serm. foin, iv, pag. 258 el suiv. j
Que peut-il y avoir de plus manifeste et de plus (pno.ea;) sûr qu’une pareille preuve ? Voilà la vérité elle-même avec sa simplicité et son énergie. Que pour־ riez-vous soupçonner? De la magie ou de l’impos-lure ? vos yeux et vos oreilles vous démentiraient.
Non, vous n’avez rien à opposer à l’évidence toute nue.Si vos dieux le sont véritablement, pourquoi s’accusent-ils faussement de n’être que des démons? Est-ce par déférence pour nous ? -Vos dieux sont donc tributaires des chrétiens ? Mais quelle étrange divinité que celle qui est assujettie à des hommes, et, ce qui est plus humiliant encore, à des antagonistes! Si, d’un autre côté, ils sont anges ou démons, pourquoi répondent-ils ailleurs qu’ils ont un caractère divin ? Car enfin , de même que ceux qui, dans votre esprit, passent pour être des dieux, ne consentiraient pas, s’ils l’étoientréel-lement, à s’appeler démons, pour ne pas déchoir de leur divinité ; ni ceux non plus que vous savez certainement n’être que des démons n’usur-peroient pas dans d’autres temps le nom de dieux , s’il y en avoit effectivement ; ils ne se ha-sarderoient pas sans doute à profaner la majesté de leurs maîtres. Tant il est vrai que la divinité que vous adorez n’existe pas! puisque, si elle exis-toit, elle ne seroit ni envahie par les démons, ni désavouée par les dieux. Les uns et les autres s’accordant à confesser qu’ils ne sont pas dieux , reconnaissez donc qu’ils sont tous des démons; cherchez ailleurs la divinité. Les chrétiens , après vous avoir convaincus de la fausseté de vos dieux, vous font découvrir par la même voie quel est le vrai dieu. S’il est unique , c’est celui que reconnaissent les chrétiens ; il faut croire en lui et l’adorer comme la foi et les rits des chrétiens le prescrivent.
Que vos dieux vous disent après cela: Qu’est-ce que ce Christ? qu’est-ce que sa romanesque histoire? Un homme de la lie du peuple ; un magicien ressuscité; oui, parce que ses disciples ont trouvé moyen d’enleverson corps du tombeau? Qu’ils vous disent s’il est encore parmi les morts, s’il n'est pas plutôt dans le ciel, s’il ne doit pas en descendre sur les ruines du monde, au milieu des frémisscmens et des gémissemens de tous les mortels, les chrétiens seuls exceptés; s’il ne doit pas en descendre avec la majesté de celui qui est !’Esprit de Dieu , son Verbe, sa sagesse , sa raison , son Fils. Qu’ils rient avec vous de nos mystères. Qu’ils nient que le Christ, après la résurrection ge'ne'rale , jugera tous les hommes (1). Qu’en présence de son tribu-nal ils viennent nous parier encore d’un Minos, d’un Rhadamante, à qui Platon et les poètes ont donné cette commission ; qu’ils viennent du moins justifier leur commune ignominie, et nous deman-der grâce ; qu’ils fassent voir qu’ils ne sont pas d'impurs Esprits , quand les sacrifices infects et dégoiâtans dont ils se repaissent, et les obscénités de leurs poètes les en accusent ; qu’ils s’inscrivent en faux contre le jugement qui châtiera leurs abo-minations en confondant avec eux leurs adora-teurs et leurs ministres.
(1) Molinier a donné à ces paroles un magnifique développement. (Seim. chois., tom. 11, pag. 224 et suiv.
Or tout ce pouvoir que nous exerçons sur eux nous vient du nom de Jésus-Christ, et des menaces que nous leur faisons de la part de Dieu, au nom du même Jésus-Christ (2). Craignant Jésus-Christ en Dieu, et Dieu en Jésus-Christ, ils sont soumis aux serviteurs de Dieu et de Jésus-Christ. De là vient qu’au moindre attouchement, au moindre souffle de notre bouche, effrayés par la pensée et par l’image de ce feuéternel auquel ilssont destinés, vous les voyez sortir à notre commandement des corps qu’ils occupent, pleins de fureur, exhalant en votre pre'sence leur honte et leur désespoir. Vous les croyez quand ils mentent; croyez-les donc quand ils disent la ve'rite' contre eux-mêmes. On ment bien par vanité' ; jamais pour se de'sho-norer. Aussi sommes-nous plus porle's à croire ceux qui font des aveux contre eux-mêmes que ceux qui nient pour leur propre intérêt. Ce sont ces mêmes aveux de vos divinités qui nous donnent tant de chrétiens, parce qu’on ne peut les (Pa״e26.) croire sans croire au Christ. Oui, ce sont eux qui nous pénètrent d’une ardente foi pour nos saints livres, et prêtent à notre espérance un immuable fondement. Ils reçoivent de vos mains en sacrifice le sang des chrétiens : voudroient-ils perdre de si zélés, de si utiles adorateurs I s’exposeroient-ils, par un nouveau mensonge , à se voir un jour chassés par vous-mêmes, si vous deveniez chrétiens ?
(2) Origène atteste le meme fait dans sa réponse à Celse. Voy. le a* vol. de eet ouvrage, pag. 138.
XXIV. Une semblable confession de vos dieux , quand ils reconnaissent n’être pas des dieux, et qu’il n’y en a point d’autre que celui que nous adorons , suffit sans doute pour nous justifier du crime de lèse-religion romaine. Car s’il est certain que ce ne sont pas des dieux, il est par là même prouvé que ce n’est pas une religion ; et s'il n y a point de religion, parce qu’il est. certain qu’il n’y a point de dieux, il est certain aussi que nous ne pouvons pas violer la religion où il n’y en a point.
Au contraire , le reproche retombe sur vous-mêmes, puisque c’est vous qui, en adorant le mensonge, en méprisant, en repoussant la vraie religion , vous rendez coupables du crime trop réel d’irréligion.
Et certes, supposé même qu’ils fussent dieux, ne s’accorde-t-on pas généralement à croire qu’il y ait par-dessus tous les autres un Dieu plus élevé et plus excellent , maître de l’univers , dans qui réside la plénitude de puissance et la parfaite majesté (1) ? Tel est le système adopté par le plus grand nombre d’entre vous au sujet de la Divinité, que le pouvoir souverain est dans les mains d’un seul qui en partage les fonctions avec la multitude. Ainsi Platon représente-t-il songrand Jupiter escorté dans le ciel d’une armée de dieux et de dénions; et c’est d’après cette idée qu’il faut res-peeler , à l’égal de lui-même , tous ceux qu’il a établis· ses lieutenans.. Mais dites-moi., de quel crime se rendroit-on'coupable à l’égard de l’em-pereur, si, pour mieux mériter ses favèurs; on con■’ centroit sur sa personne seule tous ■ses hommages et toutes■ ses espérances? L’est-on davantage pour ne vouloir point donner a un autre la qualité de Dieu , pas plus que celle d’empereur à un autre que le prince ? Ne seroit-ce pas plutôt un crime capital d’appeler ou de souffrir qu’on appelle empereur qui que ce soit, hors l’empereur lui-même ?
(1) Témoin Homère, Platon. Voy. au 1er vol. de cet ouvrage la doctrine de S. Justin, pag. 501, d’Athénagores pag. 541 , de S. Clément d’Alexandrie , pag 5p2.
Permettez à l’un d’adorer le vrai Dieu, à l’autre Jupiter :à l’un de lever les mains au ciel, à l’autre vers l’autel de la foi: de prier, en comptant, celui-ci., comme vous dites, les nuages 3 celui-là, les pan-neaux d’un lambris : à l’un d’offrir à Dieu sa vie en sacrifice, à l’autre celle d’un bouc. Prenez garde que ce ne soit préconiser l’irréligion doter la liberté' de religion et l’option de la divinité; de ne pas me permettre d’adorer qui je veux, pour me forcer d’adorer qui je ne veux pas ( 1 ). Il n’y a point de dieu qui aime des hommages forcés ; un homme même n’en voudrait pas.... Tous les peuples du monde ont leurs cultes divers : il n’y a que nous à qui l’on refuse la liberté de conscience. Nous offensons les Romains ; nous ne sommes plus Romains, parce que le Dieu que nous adorons n’est pas celui des Romains. Mais que vous ז le vouliez ou non, c’est pourtant le Dieu de tous les hommes ; tous, nous lui appartenons. Mais chez vous il est libre d’adorer tout, hors le vrai Dieu , (Page 27.) comme s’il n’étoit pas juste que celui à qui tous les hommes appartiennent fût le Dieu de tons les hommes.
(1) Voy. la Politique sacrée, liv. vu, art. ni, xe propos, pag. 47■ du tom. vu, in4°־, éd. Paris; 1745· « Nulle puissance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable de la liberté du cœur. * Fênë-Ion , Disc.pour le sacre del’élect. de Cologne, 2' part.
XXV. Je crois n’avoir rien à ajouter à ma dé-monstration de la fausseté de vos dieux, et de la vérité du nôtre. L’autorité de vos dieux même est venue mettre le sceau à l’évidence et à la force du raisonnement. Mais puisque je viens de citer no-minativement les Romains , je ne refuserai pas d’entrer en lice avec ceux qui, préjugeant la ques-lion, affirment que c’est en récompense de leur zèle inviolable pour leur religion que les Romains seroient parvenus à ce comble de puissance qui les a rendus les maîtres du monde; et qu’il faut bien que ces dieux existent, puisque le peuple de tous qui s’est, montré le plus pieux à leur égard a été de tous les peuples le plus florissant. Voilà donc le prix magnifique dont la reconnois-sance des dieux a gratifié la ville qui les honore ! C’est Sterculus, c’est Mutune , c’est Larenline (1), vos dieux originaires, quiauroienl donc élevé votre empire à ce faîte de prospérité ? Car pour les dieux étrangers, je n’imagine pas qu’ils eussent été d’humeur à préférer un autre peuple au leur, et à livrer à des ennemis la terre où ils ont reçu le jour, où ils ont passé leur vie , où ils se son signalés, où leurs cendres reposent... Junon, par exemple, auroit-elle souffert que Carthage , cette cité plus chère à son cœur que Samos elle-meme, fût renversée par la race d’Enée ; cette cité où, comme parle le poëte, étoient déposées ses armes et son char, et qu’ elle ambitionnait, quelle s’ef-forçait de faire régner sur toutes les nations, si les destins retissent permis (1)? Epouse et sœur in-fortunée de Jupiter , elle ne pouvait rien contre les destins. Jupiter lui-même leur est soumis ; et cependant les Romains n’ont rendu jamais à ces destins , qui leur ont livré Carthage eu dépit de Junon, autant d’honneurs qu’à cette Larentine,la plus infâme des prostituées....
(1) Sterculus, dieu du fumier. Mutunus étoit chez les Romains ce que Priapc étoit chez les Grecs. Larentine ou Laurentia , femme du berger Faiistul·*, surnommée Lttpa , d’où le mot Lupanar.
(1) Virg. Æneid. lïb. 1.
La religion des Romains n’a point précédé leur grandeur. Leurs prospérités ne furent donc point la récompense de leur religion.
(Page 28.) Eh! comment les auroient-ils dues à leur religion, quand elles n’ont été l’ouvrage que du sacrilège?
Tout royaume , tout empire ne s’établit, si je ne me trompe , que par la force des armes , et ne s’agrandit que par les victoires. Mais et la guerre et les victoires supposent nécessairement des pri-ses et des renversemens de villes ; ce qui ne se fait pas sans que les dieux en souffrent. Un même désastre enveloppe et les murailles et les temples ; le carnage confond le prêtre et le citoyen; le pii-lage ne respecte pas plus le saint que le profane. Donc, autant de trophées des Romains, autant de sacrilèges; autant de victoires remportées sur les peuples, autant de triomphes sur les dieux ; autant de dépouilles enlevées à l’ennemi, autant de si-mulacres des dieux captifs. Et ces dieux se rési-gnent à recevoir les hommages de leurs ennemis! et ils donnent un empire sans bornes à ceux dont ils auroient dû payer les outrages plutôt que les adorations ! C’est qu’on outrage sans crainte comme on honore sans succès des dieux qui ne sentent rien....
XXVI. λ oyez donc s’il n’est pas plus raisonna-ble que celui-là dispense les couronnes, de qui dépendent et le monde avec ses royaumes, et ceux qui régnent dans le monde; que celui qui existoit avant les siècles, qui a fait et les siècles et les temps, ait arrêté souverainement pour des époques par lui déterminées la durée et les vicissitudes des em-pires ; que les cités s’élèvent ou s’abaissent au gré de celui qui régnoit avant qu’il n’y eût des cités sur la terre.... Si c’étoient véritablement vos dieux qui disposassent des couronnes, les Juifs qui les ont toujours méprisés n’auroient jamais eu d’em-pire. Vous avez vous-mêmes offert des victimes à leur Dieu, des offrandes à leur temple : vous avez honoré de votre alliance la nation que vous n’auriez jamais subjuguée sans le dernier attentat qu’elle a commis contre la personne du Christ.
XXVII. Nous nous sommes suffisamment justifiés du crime de lèse-majeslé divine , à l’égard de vos dieux, en montrant qu’ils n’en étoient pas. C’est ce qui fait que , quand on nous presse de sacrifier, nous le refusons par respect pour notre conscience , qui nous fait connoître avec certitude à qui s’adressent les hommages rendus à de vains simulacres et à des hommes déifiés. « Quelle folie s’écrie-t-on , d’aimer mieux perdre la vie par entêtement, au lieu de la sauver en sacrifiant, sans pour cela changer d'opinion! » C’est-à-dire que vous nous donnez le conseil de vous tromper. Nous savons bien par qui vous êtes inspirés ; et que du même atelier sortent et les artificieuses manœuvres employées pour nous séduire, et les violentes persécutions dont on use pour ébranler notre constance. L artisan de cette conjuration, c’est cet Esprit ange et démon qui , devenu notre ennemi par sa réprobation, et envieux des grâces divines, s’insinue dans vos âmes d’où il nous fait la guerre, et vous pousse par ses secrètes instigations à ces jugemens iniques et à ces condamnations irrégulières, (Page2θ.) dont je me suis plaint au commencement de cette apologie. Car, bien que la puissance des démons nous soit assujettie , néanmoins, tels que de médians esclaves , mêlant communément l’insolence à la peur , ils aiment à faire du mal à ceux qu’ils appréhendent ; la crainte ne va guère sans l’aversion. Condamnés sans espérance, ils ne goû-tent de consolation que dans la jouissance de faire dn mal , jusqu’au jour qui consommera leur châ-timent. Ce qui n’empêche point qu’en notre pré-sence ils ne se courbent sous le joug et ne rentrent dans leur condition. De loin ils nous bravent, de près ils sont à nos pieds. Ainsi lorsque, semblables à des esclaves échappés des fers ou des cachots, ils s’élancent contre leurs maîtres avec d’autant plus de fureur qu’ils sentent l’inégalité de leurs forces, obligés à combattre ces vils ennemis , nous leur tenons tête avec une fermeté égale à leur achar-nernent ; et nous n’en triomphons jamais plus glorieusement que lorsque nous mourons pour la foi.
XXVIII. Mais s’il y a une criante injustice à contraindre des hommes libres de sacrifier malgré eux, quand d’ailleurs on les voit remplir avec zèle leurs devoirs religieux , il n’y a pas moins d’extra-vagance à prétendre imposer à personne la loi d’ho-norer des dieux que, dans son propre intérêt, il devroit se rendre favorables, pour ne pas le mettre à même de vous répondre, si cela lui plaît : Je ne veux pas, moi , des bonnes grâces de Jupiter: de quoi vous mêlez-vous? Que Janus se fâche , qu’il me montre quel visage il voudra , que vous importe?
«Mais en sacrifiant, c’est pour les jours de l’empereur qu’on vous le demande; n’a-t-on pas droit de vous y contraindre? יי Autre artifice qui vous est suggéré parles mêmes esprits malins; et ils ne vous laissent pas plus libres de ne point, nous en faire un commandement, que nous de ne vous pas obéir, au risque de nous perdre : puisque vous redoutez, vous ménagez l’empereur bien plus que votre Jupiter lui-même sur le mont Olympe. Ce qui nous amène au second point d’accusation dirigée contre nous, à savoir le crime de lèse-majesté humaine , est d’une majesté bien autrement considérable.Vous avez,raison si vous le faites avec connaissance de cause, puisque le dernier des vivans vaut mieux qu’un mort quel qu’il soit. Mais vous cédez à l’impression d’une puissance que vous voyez; et par là, bien loin d’honorervos dieux, vous les outragez, en témoignantà des hommes plus de respectqu’à la Divinité. Aussi vous parjureriez-vous plutôt en jurant partons vos dieux que par le génie de l’empereur.
XXIX. Prouvez-nous d’abord que ces dieux à qui vous sacrifiez pour le salut des empereurs , ou de qui que ce soit, puissent en effet les protéger et les sauver; et si cela est, traitez-nous en criminels. Mais si ces esprits méchans , anges ou démons, sont capables de faire quelque bien ; si. après s'être perdus eux-mêmes, ils peuvent en sauver (Vautres ; si des condamnés peuvent absoudre ; si, enfin, des morts (car vous savez ce qui en est) peuvent venir au secours des vivans , qu’ils corn-mencent donc par défendre et leurs images et leurs statues, qui ne sauroient se passer des gardes que leur donne l’empereur. Ce sont eux-mêmes qui ont besoin que l’empereur les protège , car ils dépendent de lui. Plusieurs ont éprouvé sa co-1ère... Comment leur devroil-il sa conservation , tandis qu’eux - mêmes ils lui sont redevables de la leur?
Voilà donc pourquoi nous sommes criminels de lèse-majesté : parce que nous n’abaissons pas les empereurs au-dessous de ce qui en dépend ; parce que nous ne nous jouons pas du salut des empereurs, en le plaçant dans des mains de plomb. C’est donc vous montrer plus religieux à leur égard, (Page 50.) de chercher leur salut où il n’est pas , de le demander à ceux qui ne sauroientle leur donner, plutôt qu’au seul Etre de qui il dépend ; tandis que vous vous déchaînez contre les hommes qui seuls savent à qui le demander, et seuls peuvent l’ob-tenir ?
XXX. Or nous invoquons , pour le salut des empereurs, un Dieu éternel, le vrai Dieu, le Dieu vivant, un Dieu dont les empereurs eux-mêmes ont intérêt d’appréhender plus la colère que celle de Ions vos dieux ensemble. Ils savent bien quel est celui de qui ils tiennent l’empire, comment ils sont entrés dans le monde , et qui leur a donné l’être; ils sentent bien qu’il n’y a pas d’autre dieu que lui, qu’ils dépendent de lui seul, qu’ils ont le second rang à sa suite, le premier après lui, avant et par-dessus tous les dieux. Ils sont au-dessus de tous les hommes vivans, à plus forte raison donc au-dessus de ces dieux morts (1) ; ils commissent les bornes de leur pouvoir ; ils sentent qu’ils ne peuvent rien contre celui par qui ils peuvent tout. Qu’il déclare la guerre au ciel cet empereur , qu’il l’enchaîne à son char de triomphe ; qu’il place des sentinelles dans le ciel, qu’il rende le ciel tributaire : sa puissance ne va point jusque-là ; il n’est grand qu’autant qu’il reconnoît son maître dans le Dieu du ciel. Il appartient, lui aussi, à celui à qui le ciel et toutes les créatures appartiennent; c’est par lui qu’il est empereur, et qu’avant d’être empereur il est homme ; il tient son pouvoir des mêmes mains dont il tient l’existence. Les yeux levés au ciel, les mains étendues, parce qu’elles sont pures ; la tête découverte, parce que nous n’avons point à rougir; sans personne qui nous trace des formules de prières, parce que c’est le cœur qui prie, nous demandons pour nos princes , quels qu’ils soient, une longue vie , un règne Iran-quille , la sùrete' dans leurs palais , la valeur dans les arme'es, la fidélité dans le sénat, la vertu dans le peuple , la paix dans tout le monde, tout ce qu’un homme, tout ce qu’un empereur peut désirer.
(1) Belle imitation de tout ce passage dans Lame, Serm. pour le jour de Noël. Avent, pag. 404 et 405.
Je ne puis demander tout cela qu’à celui de qui je suis assuré de l’obtenir, parce qu’il n’y a que lui qui puisse l’accorder, que moi qui aie droit de le demander, comme son serviteur et son adorateur, prêt à être immolé pour lui. Je lui offre la plus précieuse victime, qu’il m’a demandée lui-même, la prière qui vient d’une conscience innocente, et d’une chair pudique, et du Saint-Esprit. Je ne lui offrirai pas quelques grains d’un vil encens, des parfums de l’Arabie , quelques gouttes de vin , ni le sang d’un bœuf languissant qui désire la mort, bien moins encore une conscience infecte. Je m’étonne de voir parmi vous les prêtres les plus corrompus s’attacher, dans le choix des victimes, à examiner les entrailles des animaux plus que les cœurs des sacrificateurs.
Tandis que nous prions les mains étendues vers le ciel, déchirez-nous, si vous voulez , avec des ongles de fer, attachez-nous à des croix, faites-nous consumer lentement par les flammes, plongez le glaive dans notre sein , livrez-nous aux animaux dévorans ; « !a seule posture du chrétien priant affronte tous yos supplices (1), » vous témoigne , par sa seule attitude, qu’il est prêt à tout endurer. Ali ! venez donc, ô vous, magistrats si humains ! hâtez-vous d’arracher la vie à des hommes qui l’emploient à prier pour les empereurs... La vérité , le dévouement à Dieu , voilà nos crimes.
(1) Traduit par Bossuet. Serin., tom. vm, pag. 2f.
XXXI. Maintenant noire langage devient celui de la flatterie ; c’est un artifice pour échapper à la persécution. Voilà, certes, un artifice bien imaginé ! Sans doute , vous croyez et vous nous laissez prou-ver tout ce que nous voulons.
Vous êtes donc dans la persuasion que nous ne prenons aucun intérêt à la vie des empereurs: eh bien, ouvrez, qui que vous soyez, nos Ecritures dictées par la voix de Dieu. Nous ne les cachons à personne , et diverses circonstances les ont fait passer dans les mains des étrangers. Vous y apprendrez qu’il nous est ordonné, par un excès de charité, de prier même pour nos ennemis, de souhaiter du bien à nos persécuteurs. Or quels sont les plus ardens et les plus acharnés persécu-leurs des chrétiens , si ce ne sont ceux dont ils sont accusés d’offenser la majesté? Vous y lirez qu’il nous est commandé, par une loi expresse et directe, (Roni, κηι 1 Tim. 11,) de prier pour les rois , pour les princes et pour les puissances , afin , est-il dit, que vous jouissiez d’une paix parfaite 3 (Page 51.) parce que l’empire ne sauroit être ébranlé que tous les membres ne le soient. L’e'tat peut-il souffrir sans que nous-mêmes (bien qu’une tourbe frivole nous regarde comme e'tran-gers ) nous n’en ressentions quelque contre-coup (1) ?
(1) M. l’évêque de Langres, Instr, pastor, pag. 46. Voyez aussi dans Bossuet ( Dtfense de la déclar. du clergé, liv. 11, cbap. 111, pag. 261 de la traduet. française) la substance , éloquemment exprimée , de cette doctrine , ainsi que , dans la Politique sacrée , le xve livre des Jraria-lions, et le v* Avertissement aux protestons. Partout l’évêque de Meaux s’appuie du nom et du langage de Tertullien.
XXXII. Nous ne jurons point par le ge'nie des empereurs... Nous révérons dans leurs personnes la divine Providence, qui les a établis pour gou-verner les peuples. Nous demandons à Dieu qu’il veuille bien conserver ce qu’il a voulu qui fut; et c’est là pour nous un grand serment.
XXXIII. Mais pourquoi parler davantage du religieux sentiment qui nous lie au prince? Il nous est commandé par l’opinion où nous sommes que c’est Dieu qui l’a choisi ; à ce titre , je le dirai har-diment : César esta nous plus qu’à personne , puis-que c’est notre Dieu qui l’a fait ce qu’il est. Je puis donc , plus qu’un autre, contribuer à sa conserva-tion , non-seulement parce que je la demande à celui qui peut l’accorder, et que je suis ce qu’il faut être pour l’obtenir ; mais encore parce qu’en abais-sant sa majesté au-dessous de Dieu, j’intéresse bien plus sûrement en sa faveur le Dieu à qui seul je le soumets. J’en fais le sujet, non l’égal de Dieu. Je n’appelleraipoinfl’empereur dieu,parce que je ne sais pas mentir, et que je ne veux pas l’insulter; parce que lui-même refuseroit de s’entendre appe-1er dieu. Puisqu’il est homme, un homme ne peut que gagner à céder à Dieu (1). C’est bien assez pour lui d’avoir le titre d’empereur, qui lui a été donné par Dieu. L’appeler dieu, c’est lui dénier sa qualité d’empereur : il ne peut être l’empereur sans être un homme. Lors même qu’il est porté sur ce pompeux char de triomphe , on a soin de l’avertir qu’il est homme : derrière lui est placé le héraut qui lui crie : Regardez après vous, souvenez-vous que vous êtes homme (2). Il jouit bien davantage de la gloire qui l’environne, en pensant qu’on a besoin de lui rappeler ce qu’il est (3). Il seroit moins grand de s’entendre nommer dieu , parce que ce seroit un mensonge. Sa vraie grandeur, c’est qu’il faille l’empêcher de se croire dieu.
(1) Larue, Senn, de Noël. Avent, pag. 4θ·ί·
(2) Belle application de ce fait dans Scnault, Panég. tom. in, pag. 78.
(3) h'oy. Bossuet , Senn. loin, vu, pag. 122.
XXXIV. Auguste, fondateur de l’empire, ne permettait pas qu’on lui donnât le titre de seigneur; c’est le privilège de la Divinité. Je consentirois à le. lui donner, mais dans un autre sens qu’à Dieu. Je ne suis point son esclave : le seul seigneur à qui j’appartiens, c’est le Dieu tout-puissant, liter-nel, son maître comme le mien. Il est le père de la patrie , comment en seroit-il le seigneur ? Le titre qui suppose la bonté et l’amour ne vaut-il pas mieux que celui qui annonce la puissance? Aussi les chefs de famille en sont-ils appelés les pères plutôt que les seigneurs.
Le nom de dieu convient bien moins encore à l’empereur. Ce n’est qu’à la plus honteuse et à la plus funeste flatterie qu’il appartient de le lui donner (1). C’est comme si vous alliez donnera un autre le titre d’empereur; ne seroit-ce pas là une insulte, la plus impardonnable , qui provoqueroit à la fois la vengeance du maître et sur vous et sur celui que vous auriez qualifié de la sorte ? Ne manquez pas à Dieu, quand vous voulez que Dieu pro-tége l’empereur. Cessez d’appeler dieu celui qui ne peut se passer du secours de Dieu. Si cette basse et sacrilège adulation ne rougit pas de son imposture, qu’elle en redoute les suites : c’est vouloir du mal à l’empereur, de lui donner le nom de dieu avant son apothéose.
(1) « O princes, nul ne vous manque plus de respect que celui qui »ose porter le mensonge à vosmeilles sacrées. Quiconque les flatte les »trahit. » M. l’anc. év. de Séncs , Serni. tom. 1, pag. 5ק.
XXXV. Les chrétiens sont donc les ennemis de l’état, parce qu’ils ne rendent point à la majesté (Page 52.) impériale des honneurs illusoires , mensongers , sacrileges ; parce que, consacre's comme ils le sont à la vraie religion, ils célèbrent les jours de fêtes de l’empereur par une joie tout intérieure, non par la débauche! Grande preuve de zèle en effet, d’allumer des feux et de dresser des tables dans les rues, d’étaler des banquets par les places pu-bliques, de transformer Rome en taverne, de faire couler des ruisseaux de vin, de courir par troupes çà et là pour se provoquer les uns les autres par des injures . par de scandaleux défis , par d’impudiques regards ! La joie publique ne se manifeste-t-elle donc que par la honte publique ? Ce qui viole les bienséances à tout autre jour de-vient-il bienséance aux fêtes de l’empereur? Faut-il, pour honorer César, fouler sous les pieds ces mêmes lois qu’ailleurs on observe par respect pour César? Quoi! la licence et la dissolution scroient piété? et de scandaleuses orgies s’appelleroicnl religion ( 1 ) ? Oh ! que nous sommes vraiment dignes de mort, d’acquitter les vœux pour les empereurs, et de prendre notre part de l’allégresse générale , sans cesser d’être chastes , modestes et réservés dans nos mœurs ! Quel crime de manquer dans un jour de joie à couvrir nos portes de lauriers , à allu-mer des flambeaux en plein midi ! Apparemment que l’honnêtete' commande, dans ces sortes de ré-jouissances, de donner à sa maison Fair d’un lieu de prostitution !
(1) Nos prédicateurs, Molinier entre autres, out fait d’heurctiscs applications de ce mouvement soit à la profanation des dimanches , soit aux joies dissolues des jours qui précèdent le carême.
Il seroit curieux de mettre à nu ces hommages O dont vous environnez, votre religion de la seconde majesté, lesquels fournissent contre nous prétexte à une seconde calomnie ; parce que , dit-on, nous refusons de célébrer, avec vous et comme vous, les fêtes des empereurs , par respect pour la modestie, pour les bienséances, pour la pudeur. On verrait où est la franchise et la vérité, ou dans les chrétiens , ou dans ces hommes qui nous refusent le nom de Romains, et nous traitent d’ennemis des empereurs. J’en appelle aux Romains eux-mêmes, à cette im-inense multitude qui remplit vos sept collines; quel est celui dont la langue, tonte romaine qu’elle est, épargna jamais un seul de ses empereurs? Le Tibre et les écoles de gladiateurs le savent. Et si la nature, avoit mis sur les cœurs un voile transparent, en est-il un seul où l’on n’aperçût les vœux secrets qui s’y forment et sans cesse s’y renouvellent en faveur de nouveaux princes, pour en obtenir les distributions accoutumées à chaque avènement au trône, et cela au moment même où retentit ce cri : Que Jupiter retranche de nos années pour les ajouter aux vôtres? Un chrétien Sait aussi peu proférer ces paroles que former des vœuxsecretspourun nouvel empereur.
Le peuple , dites-vous, est toujours peuple : soit. Mais ce peuple, c’est celui de Rome ; ce peuple, c’est celui qui est le plusviolemmentprononcé contre les chrétiens.Peut-être que les autres classes sont, à raison du rang qu’elles occupent dans l’état, sans reproche surlafidélité ; jamais rien d’hostile de la part ni du sénat., ni de l’ordre des chevaliers, des armées ־, pas l’ombre de conspiration à la cour. Mais d’où venaient donc un Cassius, un Niger, un Albinus, et ceux qui s’étoienl postés entre les deux bosquets de lauriers pour surprendre Pertinax, et ceux qui s’exercent dans les gymnases pour étrangler habi-leinent leurs maîtres , et ceux qui forcent le palais à main armée, plus audacieux que les Sigériens et les Parthéniens (meurtriers de Domitien)? Si je ne me trompe, tous étaient Romains, c’est-à-dire que ce n’étoient pas des chrétiens. Tous, jusqu'au moment où éclatoit leur révolte, sacrifiaient pour le salut de l’empereur, juraient par son génie, af-fcctoient plus ou moins de lui paraître fidèles, et ne manquaient pas surtout d’appeler les chrétiens des ennemis publics.
Les complices ou les partisans des dernières fac-lions qu’on découvre tous les jours, restes échappés d’un parti dont les parricides chefs viennent d’être moissonnés, n’étoient-ils pas les premiers à orner leurs portes des guirlandes les plus fraîches et les plus touffues? Quels vestibules étaient éclai-
res avec plus de pompe, et plus noircis par la fumée des lampes? La place publique n’étoit que pour eux : c’étoit à qui y porteroit les labiés les plus magnifiques. Eloit-ce pour prendre leur part de la joie publique? ou plutôt pour commencer à émettre certains vœux secrets sous le masque d’une autre solennité , et faire à l’avance , dans le fond de leurs cœurs , !’inauguration du nouveau prince que leurs espérances substituaient à celui qu’ils comptoient bien renverser ?
Ils ne sont pas moins prodigues de démonstrations,(Page 55.) ceux-là qui consultent les astrologues, les aruspices et les devins sur les jours des empereurs. Pour les chrétiens, jamais ils n’ont recours, même pour leur propre compte, à des sciences inventées par les anges rebelles et maudits de Dieu. Eh! d’où peut venir cette curiosité qui s’inquiète des jours des empereurs, à moins de tramer contre eux, à moins de désirer d’en voir le terme?
XXXVI. Si donc il est avéré que ces conspirateurs , ces ennemis, gardaient le nom de Romains, ne pourroit-il pas se faire aussi que nous, à qui on le refuse parce que l’on nous regarde comme des ennemis , fussions effectivement Ptomains(1) et rien moins qu’ennemis? Non, la fidélité et le dévouement dus aux empereurs ne consistent pas en lé-moignages extérieurs, sous lesquels la trahison sait si bien se cacher; ils consistent dans les sentimens que nous sommes obligés d’avoir pour tous les hommes , comme pour nos empereurs. Ce n’est pas aux empereurs seuls que nous devons vouloir du bien ; nous faisons le bien sans acception de per-sonnes , parce que c’est pour nous-mêmes que nous k faisons, sans attendre ni louange ni récompense d’aucun homme. Notre rémunérateur est Dieu seul, qui nous fait une loi de cet amour universel pour tous indistinctement. Nous sommes pour les em-pereurs tout ce que nous sommes pour tous ceux avec qui nous avons quelque rapport: il nous est également défendu de vouloir du mal à qui que ce soit, d’en faire, d’en dire, d’en penser même. Ce qui n’est point permis contre l’empereur, ne l’est contre personne : ce qui ne l’est contre personne, l’est peut-être encore moins contre celui que Dieu a fait si grand.
(1) Le nom romain étoit une sauvegarde que S. Paul n’avoit pas employée vainement.
XXXVII. Si, comme nous l’avons dit, il nous est ordonné d’aimer nos ennenps , qui pourrions-nous haïr? S’il nous est défendu de nous venger de ceux qui nous offensent pour ne pas leur ressembler , qui pourrions-nous offenser? Vous-mêmes, je vous en fais juges, combien de fois vous êtes-vous dé-chaînés contre les chrétiens, autant pour satisfaire à vos préventions que pour obéira vos lois! Combien de fois, sans meme attendre vos ordres, le peuple, de son seul mouvement, ne nous poursuit-il pas les pierres ou les torches à la main ! Dans la fureur des bacchanales, on ne laisse pas les chrétiens en paix dans leurs tombeaux; on les arrache de cet asile de la mort, sans pitié pour leurs restes me-connoissables : on ]es outrage, on les mutile encore après la mort, on les met en lambeaux. Cependant, nous a-t-on vus jamais chercher à nous venger, nous que Ton poursuit avec un si furieux acharnement, nous que l’on n’épargne pas jusque dans les liens de la mort? Pourtant il nous suf-firoit d’une seule nuit et de quelques flambeaux pour nous donner une ample vengeance, s’il nous étoit permis de repousser la violence par la vio-]ence. Mais à Dieu ne plaise qu’une religion divine ait recours, pour la vengeance , à des moyens humains, ni qu’elle s’afflige des épreuves qui la font connoître. Que si, au lieu d’agir sourdement , nous en venions à des représailles ouvertes , nous ne manquerions ni de forces ni de troupes. Les Maures, les Marcomans , les Parthes même , quelque nation que ce soit, renfermée dans ses limites, estelle plus nombreuse qu’une nation qui n’en a d’au-très que l’univers ? Nous ne sommes que d’hier, et nous remplissons toute l’étendue de vos domaines, les villes, les forteresses, les colonies, vos bourgades, vos conseils, vos camps, vos tribus, vos décuries, le palais, le sénat, le forum; nous ne vous laissons que vos temples (1 ). Quelle guerre ne serions-nous pas capables d’entreprendre, même à forces inégales , nous qui nous laissons tuer si volontiers, si dans nos principes il ne valoitpas mieux souffrir la mort que de la donner? Nous pourrions, sans même prendre les armes , sans nous révolter ouvertement, nous pourrions vous combattre, simplement en nous séparant de vous. Que cette immense multitude vînt seulement à vous quitter pour se retirer dans quelque contrée lointaine, la perte de tant de citoyens de tous états eût décrié votre (1־agc54.) gouvernement, et vous eût assez punis (2). Nul doute qu’épouvantés devotee solitude, de ce funèbre silence du monde tout entier comme frappé de mort, vous auriez cherché à qui commander. Il vous seroit resté plus d’ennemis que de citoyens. < Maintenant vous avez moins d’ennemis à cause de la multitude des chrétiens (3). »Mais sans nous, qui vous garantirait dans vos corps et dans vos âmes des atteintes que leur porte une autre espèce d’ennemis secrets non moins dangereux? je parle des démons, que nous repoussons, sans mettre nos services à intérêt. Il suffiroit, pour notre vengeance , <le vous laisser à la merci de ces Esprits immondes: mais vous, au lieu de reconnoitre que, loin de vous être nuisibles, nous vous sommes même nécessaires , vous nous traitez en ennemis. Nous , les ennemis du genre humain! nous ne le sommes que de l’erreur. Nous , une faction ! Du moins falloit-il compter au rang des factions innocentes une religion à qui l’on ne peut reprocher rien de ce qui rend les autres si communément redoutables. Qu’on les proscrive celles-là pour l’intérêt des mœurs publiques, pour empêcher que l’état ne soit déchiré par les partis , que les assemblées du peuple ou du sénat, que vos spectacles ne soient troublés, comme il arrive si souvent par les rivalités et les cabales , surtout dans un temps où la violence se met aux gages de qui l’achète ; à la bonne heure : mais nous, étrangers à toute espèce d’ambition et d’amour de gloire (1), nous ne savons ce que c’est que de former des ligues ; nous ne nous mêlons pas des affaires publiques. Le monde, voilà notre république. Nous renonçons à vos spectacles par le même principe qui nous fait renoncer à tout ce qui les a produits : nous savons trop bien que la superstition en est la mère. Bien plus , nous nous éloignons de tout ce qui y tient( !).Nous n’avons rien de commun avec les extravagances du cirque, avec les obscénités du théâtre, avec les jeux fe'roces de l’arène., avec la frivolité' des gymnases. Il a bien e'té permis aux disciples d’Epicure de se faire une ide'e du plaisir à à leur manière : en quoi vous offense-t-on de s’en faire une autre ? Si nous ne voulons pas nous con-noître en jouissance, tant pis pour nous. Si nous en avons que nous ne partagions pas avec vous, que vous importe? Nous condamnons les vôtres, j’en conviens, comme vous les nôtres (2).
(1) Belle application par l’abbé Poulie, Serm. sur les devoirs de la vie civile, tom. 1, pag. Si.
(2) Ch. de Neuville , Serm, sur l'établ. de la relig. Carême, tom. iv, pag. 168.
(3) Traduit par Bossuet , Serm. tom. 11, pag. g4·
(1) « Savez-vous, dit Tertullien, ce que c’est qu’un chrétien? En >· voici la définition en deux mots : C’est un homme froid pour la gloire , »et indilférent aux honneurs du siècle.» F1 oinentières, Car. ton! 1, pag. 55y.
(1) L’abbé de Gourcy traduit : Nous renonçons d'autant plus volontiers à vos spectacles, que nous en connaissons mieux l'institution, liée intimement à l'idolâtrie. Ce qui s’y passe nous touche peu. Ce n’est là que la moitié de la pensée. Tertullien : Æque spcctaculis vestris in tantum renunciamus, in quantum originibus eorum quas scintus de superslitione conceptas. Quin et ipsis rebus de quibus transiguntnr prœtersumus; et il l’explique par ce qui suit immédiatement : Nihil est nobis cum insania , etc.
(2) «Nous faisons ici chacun ce qui nous convient ; car comme le »sérieux de notie vie ne sauroit être de votre goût, vos divertissemens ne peuvent nous plaire. » Trad, de Moliniez, Serm. chois, tom. 1, pag.100.
XXXIX. A quoi donc, s’occupe cette faction clire'tienne ? c’est ce que je vais exposer. Après l’avoir justifiée du mal qu’on lui impute; il est bon de faire connoître le bien qu’elle fait. Unis ensemble par les nœuds d’une même foi, d’une même espérance, d’une même discipline, nous ne faisons qu’un
corps. Tous dirigeant nos prières vers le Seigneur, nous formons une sainte conjuration pour lui faire line sorte de violence, toujours surs de lui plaire ( 1 ). Nous l’invoquons pour les empereurs , pour leurs ministres, pour toutes les puissances, pour l’état présent du siècle, pour la paix, et pour le retardement de la dissolution générale de l’univers. Nous nous assemblons pour lire les Ecritures, où nous puisons, selon les circonstances, les lumières et les avertissemens dont nous avons besoin. Cette sainte parole nourrit notre foi, relève notre espérance . af-ferrait notre confiance, et, dans le feu de la persécution, fortifie la discipline et l’attachement aux pré־־ coptes divins.
(1) <׳■ Réunissons-nous tous ensemble; taisons, selon l’expression de ״Tertullien, une espèce de ligue contre la justice du ciel, pour la désar-amer. »L’abbé Clément, Carême, tom. 11, pag. 155.
C’est dans ces assemblées que se font les exhor-tâtions et les corrections; que se prononcent les censures au nom de Dieu (2). Assurés que nous sommes toujours de sa présence, nous jugeons avec un grand poids; et c’est un terrible préjugé pour le jugement futur, d’avoir pu mériter d’être retranché de la communion des prières, de nos assemblées, et de tout ce saint commerce.
(2) » L’Église a sa puissance , elle a ses lois et sa police spirituelle , «elle a ses ministres et ses magistrats par lesquels elle exerce, dit »Tertullien, une divine censure contre tous les crimes. » Bossuet, Panégjrr. de S. Thom, de Cant. pag. 584■
Des vieillards recommandables président ; ils parviennentàcette distinction, non par argent, mais par le témoignage d’un mérite éprouvé : car rien de (Page 55.) ce qui concerne le culte de Dieu ne s’achète ; et si nous avons une sorte de trésor , il ne s’amasse pas aux dépens de la religion. Chacun apporte chaque mois son modique tribut, lorsqu’il le veut et comme il le veut, en raison de ses moyens .־ car personne n’y est obligé ; tout est volontaire. C’est là comme un dépôt de piété qui ne se consomme point en repas ni en stériles dissipations : il s’emploie à la nourriture des indigens , aux frais de leur sépulture, à l’entretien des pauvres orphelins, des domestiques épuisés par l’âge, des naufragés. Qu’il y ait des chrétiens condamnés aux mines , relégués loin de leur patrie , ou détenus dans les prisons, uniquement pour la cause de Dieu ; on pourvoit à leur subsistance.
Il est vrai que cette charité même qui s’exerce parmi nous a fourni un nouveau prétexte à la calomnie. Voyez, dit-on, comme ils s’aiment; cela étonne nos censeurs, parce qu’ils sont bien loin de nous ressembler (1); voyez comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres. Eux, ils sont bien plutôt disposés à s’entr’égorger. Quant au nom de frères que nous nous donnons, ils le décrient, parce que, chez eux, tous les titres de parenté ne sont que des expressions trompeuses d'attachement. Nous sommes aussi vos frères par le droit de la nature, notre commune mère... Mais combien avons-nous plus de droits de nous regarder comme tels , ayant tous un même père, qui est Dieu, éclairés par le même Esprit de sainteté, enfantés à la même vérité, après être sortis du sein commun de l’ignorance !...Ne formant tous qu’un cœur et qu’une àme, nous ne faisons aucune difficulté de partager nos biens entre nous (1); tout dans notre société est commun, hormis les femmes.Nous son!-mes distingués des autres hommes par le seul point qui les unit. Ailleurs on fait un pacifique échange des droits du mariage , apparemment à l’imitation des sages les plus vantés de la Grèce et de Ptome, qui voyaient un Socrate , un Caton abandonner à leurs amis des femmes qu’ils avoient épousées, pour en avoir des enfans dont ils ne dévoient pas être les pères. Etoit־ce malgré elles? J’en doute fort. Indignement prostituées par leurs propres maris , auroient-elles fait grand cas de la chasteté conjugale ? Bel exemple de la gravité romaine et de la sagesse attique! Un philosophe , un censeur donner leçon d’impudicité! Que l’on s’étonne après cela d’entendre calomnier la charité qui règne parmi les chrétiens.
(1) Pas un moderne qui n’ait rappelé ce témoignage rendu à la charite des premiers chrétiens. Bourdaloue le met habilement en coutraste avec les mœurs des nouveaux chrétiens. [Serm. sur la charité. Dominic. tom, ni, pag. 298,■ éd. Rig. ) Voyez aussi M. l’anc. évêque de Senez (J. B. M.C. de Beauvais), Serm., tom. ni, pag. 54· Poulie, Serm. tom.־., pag. 107. Larue, Car. tom. n, pag. 102.
(1) Bossuet traduit :« Pour eux (les premiers chrétiens), ils n’hési ·toient pas à se communiquer leurs biens; parce que leur esprit et »leurs cœurs étoient comme fondus les uns dans les autres par un saint »mélange. » Sertn. du jour de la Puilec., tom. ix, pag. 128.
On accuse nos repas d’etre, non seulement criminels , mais somptueux. C’est apparemment pour nous que Diogène disoit: Les Mégariens mangent comme s’ils dévoient mourir le lendemain ־. ils bâtissent comme s’ils ne dévoient jamais mourir. (?ùatth., vu.3.) Mais on voit bien mieux une paille dans l’œil d’autrui qu’une poutre dans le sien... On ne parle que du luxe de nos festins. Le nom seul que nous leur donnons en indique le caractère ; on les appelle Agapes3 d’un mot grec qui signifie charité. Quoi qu’ils puissent coûter, nous y gagnons toujours, par le bien qu’ils procurent. Par là nous soulageons les pauvres. Ce ne sont point, comme les vôtres , des réunions de parasites qui font gloire de vendre leur liberté, et qui viennent à vos tables s’engraisser au prix de mille avanies. Nous traitons les pauvres comme des hommes (Page 56.) sur qui la divinité attache ses regards avec le plus de corn-plaisance.
Si le motif de nos repas n’a rien que d’honnête , jugez ce qui s’y passe par l’esprit de religion qui l’anime. On n’y souffre rien de bas, rien d’immo-dcste;onnc se meta table qu’après avoir adresse'une prière à Dieu; on ne mange qu’autant qu’on a faim ; on boit comme il convient de le faire quand on est chaste; on se rassasie comme devant se relever la nuit pour prier Dieu ; on converse comme sachant que Dieu e'coute. Après qu’on s’est lavé les mains, et que les flambeaux sont allumés, chacun est invité à chanter les louanges de Dieu, qu’il tire des saintes Ecritures, ou qu’il compose de lui-même : on voit par là combien il a bu. Le repas finit de même par la prière. On sort delà comme on y étoit entré, avec modestie, avec pudeur : on sort d’une école de vertu plutôt que d’un souper. Condamnez, proscriveznos assemblées, si elles ont quelque ressemblance avec celles dont le crime est le lien, si elles méritentaucun des reproches quisupposentdes factions. Mais ont-elles jamais faille moindre mal à personne ? Nous sommes dans nos réunions les mêmes que dans nos maisons, tous ensemble les mêmes que chacun en particulier, ne faisant ni tort ni peine à personne.
XL. Une assemblée d'hommes vertueux , chastes et pieux n’est point une faction , mais un sénat. Ce mot convient à ceux qui cherchent à rendre odieux des gens de bien, qui en demandent le sang à grands cris, qui couvrent leur animosité de pre'tex-tes mensongers, rejetant sur les chrétiens les calamités publiques. Que le Tibre déborde , que le Nil ne se répande point dans les campagnes, que le ciel refuse de la pluie, qu’il survienne un trem-blement de terre , une mortalité', une famine (1); on entend crier aussitôt: Les chrétiens au lion. Quoi! pour un seul lion, tout un peuple de chré-tiens! Mais dites-moi, avant Tibère, c’est-à-dire avant la naissance de Jésus-Christ, que de dé-sastres les villes, le monde entier, n’a voient-ils pas essuyés! Consultez !’histoire ; les îles d’Hiéra-nape, de Délos, de Pthodes , de Cos, englouties avec des milliers d’habitans; la plus grande partie de l’Asie ou de l’Afrique envahie, au rapport de Platon, par les irruptions de la mer Atlantique ; la mer de Corinthe mise à sec par un tremblement de terre ; la Lucanie détachée de l’Italie par la violence des îlots qui en ont faitun île sous le nom de la Sicile; de tels changemens dans le globe ont-ils pu arriver sans entraîner une foule de victimes? Où étoient alors, je ne dirai pas les chrétiens , ces contempteurs de vos dieux, mais ces dieux eux-mêmes, lorsque le déluge inondoil toute la terre ? Les cités où ils ont pris naissance, où ils sont morts, celles meme dont ils ont été les fondateurs, attestent qu’ils ne sont venus qu’après le déluge ; autrement elles ne subsisteraient pas aujourd’hui...
(1) M. le card. Maure !appelle éloquemment ces paroles dans son Panégyr. de S. duguslin, à la suite de son Essai sur l'cloi]. de la chaire . tom. 11, pag. 416·
De tout temps, la race humaine a provoque' les (1’3S« 57·) vengeances de Dieu, soit en ne le servant pas, lorsqu’elle le connoissoit, du moins en partie , soit en se forgeant d’autres dieux pour les adorer (1). El faute de chercher le vrai principe de la sagesse, le juge et le vengeur du crime, on s’est enfoncé dans la fange de tous les vices et des plus crimi-nelles passions : car en le cherchant, on le connoî-troit; en le connaissant, ou !’adorerait ; en l’ado-rant , on éprouverait sa miséricorde , au lieu d’irriter sa colère. Le même Dieu dont les hommes ont ressenti la vengeance avant qu’il y eut des chré-liens, les châtie encore aujourd’hui. G’éloit lui qui les avoit comblés de ses bienfaits , avant qu’ils se créassent des Dieux ; pourquoi ne reconnoî-troient-ils pas que ce sont les mêmes mains qui leur dispensent les maux dont leur ingratitude est punie?
(1) Bossuet : « Ce que dit Tertullien est très-véritable: que les hommes sont accoutumés il y a long-temps à manquer au respect qu’ils doivent à Dieu, et à traiter peu révéremmenl les choses sacrées , Se ntper humana gens male de Deo menât.. » Serm. 10m. vin, pag. 280.
Si pourtant nous comparons les anciennes ca-lamilés avec celles d’aujourd’hui; on verra quelles sont moindres depuis qu’il y a des chrétiens. De-puis celte époque, l’innocence a balancé le crime; la terre a eu des intercesseurs auprès de Dieu (2).
(2) Raisonnement appliqué au saint sacrifice de la messe par Bourdaloue , le P. Lenfant, etc.; d’autres fois, aux services rendus à toute la société par l’état religieux.
Lorsque le défaut de pluie menace nos campagnes de stérilité, et nos villes de famine, vous courez aux bains , vous ne quittez pas les lieux consacrés à la débauche, vous sacrifiez à Jupiter, vous ordonnez au peuple de superstitieuses cérémonies , vous cherchez le ciel au Capitole , et vous attendez que la pluie tombe des voûtes de vos temples, sans penser à Dieu, sans adresser vos vœux au ciel (1). Pour nous , exténués par les jeûnes et les austérités, purifiés par la continence, nous dérobant nous-mêmes à toutes les douceurs de la vie , nous, sous le sac et la cendre , nous désarmons le ciel, nous forçons sa clémence; et lorsque nous avons obtenu grâce , c’est Jupiter que l’on re-mcrcie (2).
(1) Larue, Pénit. dans les maux publics. Car. tom. 1, pag. 572 et suiv. Saurin, Semi. tom. v, pag. 562, et suiv.
(2) « Comparez, disoit autrefois Tertullien aiu païens, les massacres ״passés de l’empire à la tranquillité dont il jouit aujourd’hui. D’oïi ״ vient ce changement ? N’est-ce pas depuis que Dieu a donné des ״chrétiens au inonde ? Ex quo christianos a Deo orbis accepil. C’est «depuis que l’Evangile a montré à la terre des hommes justes qui «offrent au Seigneur des prières ferventes pour les princes et pour les ״rois, que les Césars sont plus heureux, l’empire plus florissant , les «peuples plus tranquilles; c’est nous seuls qui, levant des mains pures «au ciel, le fléchissons par nos clameurs; et cependant , lorsque nous «avons obtenu des grâces pour la terre, Jupiter en a tout l’honneur . dans votre esprit : El cum miscricordiam exlorserimus, Jupiter ho-«noralur. ״ Massillon , Mélange des bons, etc. Car. tom. 11. pag. 542 ; voy. aussi Le Chapelain , Lenfanl , Sur les ordres religieux, Beau-regard, ΛτΐΛ/yse, pag. 102. Paris, 1820.
XLI. C’est donc vous qui êtes à charge à la terre : vous qui , méconnoissant le vrai Dieu pour adorer des statues, vous rendez éternellement coupa-blés des maux qui pèsent sur l’empire. Là où il y a vengeance, il est bien plus à présumer qu’elle vient de celui qui châtie le mépris qu’on fait.de lui, que de ceux à qui l’on prodigue les hommages : il y auroit de leur part trop d’ingratitude de punir leurs propres adorateurs à cause de nous, et d’en-veloppcr dans les mêmes calamités des hommes qui se ressemblent si peu.
« Ne peut-on pas rétorquer la difficulté contre, nous-mêmes? Notre Dieu souffre donc que ses fidè-les serviteurs soient punis des impiétés de leurs en-1 ternis ?»
Apprenez à mieux connoître quelle estl’économie de la divine Providence : Dieu, qui a renvoyé après la fin du monde le jugement éternel de tous les hommes, ne précipite point avant ce terme la sépara-tion qui sera la suite du jugement. En attendant, il semble traiter de la même manière tousles hommes : il permet que les infidèles partagent les biens de ses serviteurs ; que ses serviteurs soient associés aux maux des infidèles; que les uns et les autres se res-sentent à la fois de sa clémence et de sa sévérité (1).
(1) Voy. !’éloquent commentaire de ces paroles de Tertullien dans Bossuet, Serm. du 3e dim. de Pâques, loin, vin, pag. 296.
Parce que c’est de lui-même que nous tenons ces lé-rite's, nous aimons sa bonté', nous craignons ses ri-gueurs.Pour vous, vous méprisez l’une et l’autre. D’où il suit que tous les maux qui sont pour vous de véritables punitions , ne sont pour nous que des avertissemens.Nousne nous plaignons point, parce que nous n’avons d’autre interet dans ce monde que d’en sortir plus tôt.
Nous savons de plus que ce sont vos crimes qui attirent sur la terre les fléaux du ciel. Et, quoique nous nous en ressentions nécessairement, faisant partie avec vous de la même socie'té , nous voyons avec joie !’accomplissement des divins oracles qui affermissent notre foi et notre espc'rance ; tandis que, s’il e'toit vrai que ces maux vous fussent envoyés à cause de nous par les dieux que vous adorez, (Page 58.) comment pourriez-vous adorer encore des dieux et si ingrats et si injustes, qui devroient au contraire vous en garantir et vous combler de biens, pour se venger de la peine que nous leur faisons ?
XLII. On nous fait encore un autre reproche. « Nous sommes, dit-on. inutiles à l’e'tat (1).» Comment? habitant avec vous, sans nulle différence pour la manière de se nourrir, de s’habiller ; avec les mêmes meubles , les mêmes besoins ; car nous ne sommes point des brachmanes, des gymnoso-phistes de l’Inde , qui habitions les forêts, et nous isolions du commerce des hommes. Nous n’oublions pas de payer à Dieu le tribut de la reconnois-sancc pour toutes les œuvres de ses mains, et nous ne rejetons rien de ce qu’il a fait. Seulement nous avons soin de n’en pas user avec excès ou sans bc* soin. Nous ne nous passons pas plus que vous des choses ne'cessaires à la vie. Comme vous, nous nous rendons au forum, aux marchés, aux bains, aux foires publiques , dans les boutiques, dans les hôtelleries. Nous naviguons avec vous, nous portons les armes, nous cultivons la terre, nous commerçons, nous exerçons les mêmes professions, etpour votre usage. Je ne comprends pas comment nous pouvons être inutiles à l’état, quand nous ne vivons qu’avec vous et par vous. Si je n’assiste pas à vos cérémonies je ne laisse pas de vivre ces jours-là (1) ; je ne me baigne pas durant les nuits des saturnales , pour ne pas perdre le jour et la nuit. Je ne maiiçe point en public aux jours de fête de Bacchus, comme foui les bestiaux qui s’attendent à mourir le lendemain: mais quelque part que je mange , ce sont les mêmes mets que vous. Je n’achète point de couronnes de fleurs; mais j’achète des fleurs. Et que vous importe pour quel usage ?...Nous n’achetons pas d'encens, il est vrai ; si les Arabes s’en plaignent, les Sabc'cns répondent que nous achetons des aromates, et en plus grande quantité, pour ensevelir les morts, que vous n’en perdez à enfumer vos dieux.
(1) Poulie , Serin, sur les devoirs de la vie civile, tom. 1, pag. 81. La même accusation , déjà réfutée par Origène (lib. vm de sa réponse au philosophe Celse J, s’est reproduite à des époques modernes. Bayle l’a soutenue, et Montesquieu lui a répondu dans son Esprit des lois (liv. xxiv, chap, vi, tom. 11, pag. 55y, édit. Bastien). L’auteur du Conlrul social a renouvelé le combat ; il a trouve un adversaire non moins pressant dans l’abbé Barruel. Helvienues, tom. iv, note, pag. 5;6.
(1) «On entendait autrefois les idolâtres reprocher aux premiers ע chrétiens qu’ils étoient oisifs dans le monde. Qu’appelez-vous oisifs? »demandait Tertullien. Je ne prends nulle part à vos fêtes, à vos dé-»bauches, à vos festins superstitieux. Les bains de Saturne et les »pompes de Bacchus, disoit-il, ne me sont rien. Si je ne cours pas avec »vous aux spectacles licencieux; si je ne mets pas ma belle humeur à »déchirer la réputation des autres; si je. ne porte pas au jeu le plus »liquide et le plus pur de mes biens ; si je n’ai pas le cœur de m’enrichir du sang des pauvres, ni le front de m’endurcir aux cris de mes »créanciers ; si je ne me fais pas de tous ces points-là des nécessités »chimériques, en suis-je moins homme d’honneur, moins fidèle, »moins obligeant, moins propre au service de l’état, aux devoirs de la » vie civile ? Si cereinonias tuas nonJrequento, attamen et ilia die homo >sum. »La Rue, Avent, pag. 54·
«Du moins, dites-vous , on ne peut nier que les revenus de nos temples ne diminuent journellc-ment. Qui est-ce qui met encore dans les troncs ? » C’est que nous ne pouvons suffire à donner aux hommes et aux dieux, et que nous ne croyons devoir donner qu’à ceux qui demandent. Que Jupiter tende la main , et nous lui donnerons. On sait que nous faisons plus d’aumônes dans les rues, que vous d’offrandes dans vos temples. Quant aux cou-tfibutions publiques , nous les acquittons exactement et sans fraude; et les impôts rendent grâces de ce qu’il y it des chrétiens au monde, parce que les chrétiens s’acquittent, de ce devoir par princi-pes de conscience et de piété (1) ; tandis que vous, si l’on examinoit de bien près le tort que vous faites au fisc par l’infidélité de vos déclarations , on trouveroit aisément que le seul article où vous ayez une sorte de droit de vous plaindre de nous est plus que compensé par tous les autres.
(1) Trad, par Boni daloue, Serm. sur la probité et la religion. Car. tom. 11, pag. 192. Voir aussi Ch. de Neuville, Serm. tom. m, pag. 25y.
XLIII. Je l’avouerai pourtant, il y a des gens qui peuvent dire que nous ne sommes bons à rien ; quels sont-ils? Je mets en tête ceux qui font mé-tier de servir la lubricité publique; puis , les ravis-seurs , les assassins, les empoisonneurs, tous ceux qui se livrent à des études criminelles: que perd-on ou que ne gagne-t-on pas à n’être bon à rien pour gens de cette sorte(2) ? Mais s’il étoit vrai que notre secte vous causât quelque préjudice, n’en obtenez-vous pas des secours qui vous en dédommagent bien ? Comptez-vous pour rien d’avoir parmi vous des hommes, je ne dis plus qui chassent les démons, qui invoquent pour vous le vrai Dieu, mais du moins de qui vous n’ayez rien à craindre.
(2) Imité par Massillon, Vérité cl’un avenir, Car. tom. 1, pag. 204· Respect humain, tom 11, pag. 108. Doutes sur la religion, Car. tom. m, pag. 228. Par Bourdaloue et tousles prédicateurs de son école dans les sermons contre les incrédules, contre les détracteurs de la piété , contre les spectacles, où ce mouvement a été souvent reproduit; nulle part que je sache avec plus de chaleur que dans un sermon du P. Beau-regard. Ce morceau a paru, mais dans une analyse informe, à la pag. 4G de ses Sermons imprimés à Paris , vol. 1, in-12, 1820.
XLIV. Une perte re'elle, une perte irréparable , (Page 39.) à laquelle personne ne fait attention, c’est celle de tant d’hommes vertueux, irréprochables , qu’on persécute, qu’on fait mourir tous les jours. Nous pre-110ns à témoin vos registres, vous qui tousles jours jugez les prisonniers et prononcez vos arrêts en conséquence des dénonciations qui vous sont faites : dans cette foule de malfaiteurs , assassins , voleurs, sacrilèges, suborneurs, cités à vos tribunaux, s’est-il jamais rencontré un chrétien? oubien parmi ceux qui vous sont déférés comme chrétiens, s’en trouve-t-il un seul coupable d’aucun de ces crimes? C’est donc des vôtres que lesprisons regorgent, que s’engrais-senties bêtes ; c’est de leurs cris que retentissent les mines: c’est parmi les vôtres qu’on prend ces troupeaux de criminels destinés à servir de spec-taeles. Nul d’entre eux n’est chrétien, ou il n’est que chrétien : s’il étoit autre chose , c’est qu’il ne seroitpius chrétien (1).
(1) Perusseau, De l'oubli de Dieu , Sevm.^ tom. 1, pag. 190. Moli-nier, Semi. tom. iv, pag. 58. Cambacérès :» Tons les principes de la »religion sont si étroitement unis à ceux de la probité, que manquer à »l’une ce seioil manquer à l’antre ; et qu’on cesse d’être chrétien, dés »qu’on cesse d’être honnête homme. » Seem., tom. 1. pag. 215.
XLV. Nous seuls donc , oui , nous seuls sommes innocens? Qu’y a-t-il là qui doive vous surprendre?
L’innocence est pour nous une nécessité (1), nous la coimoissons parfaitement, l’ayant apprise de Dieu même, qui en est un maître parfait.Nous la gardons fidèlement, comme ordonnée par un juge qu’on ne sauroit mépriser. Vous, ce sont des hommes qui vous l’ont enseignée , ce sont des hommes qui vous l’ont ordonnée : vous ne pouvez donc ni la connaître comme nous, ni craindre comme nous de la perdre. Eh ! peut-on compter sur les lumières de l’homme pour connoître la vraie vertu , sur son autorité pour la faire pratiquer? ses lumières égarent, son autorité est méprisée (2).
(1) Bretteville, Essais de serin. tom. n, pag. 106.
(2) Bossuet :« Je me défierois d’une prudence et je secouerois aisé> ment le joug d’une autorité puicment humaines. Celle-là est trop su »jette à l’erreur; celle-ci trop exposée au mépris : Tarn illaJaUiJàcilis, «quant isla conteinni, dit Tertullien. » (Semi. tom. 111, pag. zjoo.) AJ-leurs il traduit ainsi : « La prudence des hommes est trop imparfaite »pour découvrir le vrai bien à notre raison, et leur autorité est trop »foible pour pouvoir rien exiger de notre créance. La première , c’est » la prudence ,est peu assurée ; et la seconde, c’est l’autorité , peu consi-»dérable. » (Serin, tom. iv, pag. 068.) C’est l’extension de ces principes aux vertus mondaines qui a donné à Bourdaloue le fond de la 1re part, de son beau sermon sur la religion et la probité, de plusieurs des discours du ministre Saurin., torn. 1v, pag. 565 et suiv. etc.
En effet, quel est le code le plus excellent, de celui qui dit, Kous ne tuerez point, ou de celui qui prescrit de ne pas se mettre en colère ? Lequel est le plus parfait, ou de condamner l’adultère, ou de ne pas permettre la concupiscence des yeux ? Lequel creuse plus avant, de celui qui défend de mal faire, ou de celui qui défend de parler mal; de faire tort à personne, ou de se venger du tort qu’on a reçu (1)?Encore ces mêmes codes n’ont-ils de bien que ce qu’ils ont puisé à une source bien antérieure, je veux dire la loi divine (2).
(1) L’ancien év. de Sénez, Serm. tom. ni, pag. 29. M. l’évêque de Langres, card, de la Luzerne, Instr.past. pag. 25, éd. in4°־.
(2) L’abbé Poulie, Serm. ton!. 1, pag. 92. Cambac. Senn. tom. 1, pag. 213,214.
Je vous ai parlé déjà de Moïse et de son antiquité si fort antérieure à celle de tous vos législateurs. Quelle sanction pourroit-on garantira des lois bu-maines, quand il est si facile d’échapper à leur action (3) ? Elles n’atteignent pas les crimes secrets, ou les transgressent, soit par entraînement, soit par méprise. Et puis, comment punissent-elles ? par une peine qui ne dure qu’un moment , puisqu’elle ne s’étend pas au delà du terme de la vie. C’est ce qui faisoit mépriser à Epicure tous les tourmens et toutes les douleurs: Si la douleur est légère, disoit-il, elle est aisée à supporter; si elle est violente, elle ne dure pas. Il n’en est pas ainsi de nous. Persuadés que rien n’écbappe à l’œil scrutateur qui voit tout, qu’il y a des supplices éternels à éviter, nous sommes donc les seuls qui garantissions la vraie vertu, et parce que nous la connoissons de source , et parce que nous la mettons sous la sauvegarde des terreurs d’un avenir, non pas borné à quelques années, mais éternel. Nous craignons !’Etre souverain, que doit craindre à son tour celui qui juge des hommes qui le craignent ; nous craignons Dieu , et non le proconsul.
(3) Boismont, Sermon de charité, 2' part. pag. 24־ édit. in-4״. Lenfant, Serm. sur la sévérité des obligat. tom. v, pag. 179. M. l’év. de Langres, Instr, pastor. Poulie, Serm. tom. 1, pag. 97. Cambac. tom. ni, pag. 36 et suiv.
XLVI. Je crois avoir justihélcs chrétiens de tous les crimes que leur imputent des accusateurs altérés de leur sang. J’ai tracé , sans rien déguiser, le tableau de leur religion. L’autorité et l’ancienneté de nos Ecritures, la confession même des démons, . voilà mes preuves. Si quelqu’un entreprend de me réfuter, qu’il laisse là l’artifice du discours, qu’il réponde avec la franchise et la simplicité dont je lui ai donné l’exemple.
Mais l’incrédulité, forcée de reconnoitre les avantages du christianisme parla connoissance que lui en donnent nos rapports habituels , se retranche à dire qu’il n’a rien de divin; que ce n’est qu’une (pa״e 40.) secte de philosophie comme les autres. « Toutes n’enseignent-elles pas, ne professent-elles pas aussi bien que nous, la pureté des mœurs, la justice, la patience, la sobriété , la continence?»
Pourquoi donc, si notre doctrine est la même que la leur, ne nous permet-on pas, comme à elles, de la professer ? Pourquoi, si l’on y pense comme nous, n’y est-on pas obligé aux mêmes choses qu’il ne nous est pas possible à nous de refuser sans cou -rir risque de la vie ? A-t-on jamais contraint un philosophe de sacrifier aux dieux, de jurer par eux, ou d’allumer inutilement des flambeaux en plein midi ?
Tout leur est permis à eux; ils peuvent impunément saper par scs fondemens tout votre culte , déclamer contre vos superstitions; et vous leur applaudissez! La plupart même se déchaînent con-trc les empereurs; et vous les souffrez! Il ne vous en coûte pas plus pour leur accorder des récompenses, leur décerner des statues, que de nous condamner aux bêtes. Et vous n’avez pas tort. Ils prennent le nom de philosophes, et non pas de chrétiens : or le nom de philosophe ne met pas en fuile les démons; pourquoi? c’est que les philosophes mettent les démons à peu près au même rang que les dieux. On connoîl le mot favori de Socrate, Si mon démon le permet. Ce même sage, qui du moins entrevoyait la vérité puisqu’il nioit qu’il y eût des dieux, ordonnait bien, au moment de sa mort, qu’on sacrifiât un coq à Esculape , sans doute par reconnaissance pour son père Apollon, dont l’oracle l’avoit déclaré le plus sage des hommes. Apollon étoit bien inconséquent de prêter tant de sagesse à un homme qui ne reconnais-soit pas les dieux !
Plus une vérité porte ombrage , plus celui qui la professe ouvertement révolte tous les préjugés.Mais un moyen sûr de plaire à ceux qui la persécutent, c’est de l’altérer et de l’affoiblir. Telle est la me■ tliode des philosophes, qui se vantent deconnoîlre la vérité , et la corrompent, parce qu’ils n’ont d'au-tre but que la gloire. Les chrétiens, qui n’ont d’au-ire mobile que l’intérêt du salut, recherchent né-cessairemenl la vérité, et la professent franche-ment. Les philosophes ne sont donc pas , comme vous pensez, à comparer aux chrétiens, soit pour la doctrine , soit pour les mœurs (1).
(1) Voy. Massillon citant Tertullien, Carême, tom. iv, pag. 4950 י.
Thaïes (ou Simonide ) ,ce grand physicien, put-il répondre quelque chose de positif au roi Crésus sur la divinité, après avoir cependant pris plusieurs délais pour y penser ? Chez nous le dernier des ar-tisans connoît Dieu , le fait connaître aux autres , et satisfait à toutes vos questions sur l’auteur de l’univers (2) ; tandis que Platon vient vous assurer qu'il est bien difficile de le découvrir, et encore plus dangereux de le divulguer. Les philosophes pré-tendroient-ils nous le disputer pour la chasteté? Je lis dans l’arrêt de mort de Socrate qu’il fut condamné comme corrupteur de la jeunesse ; jamais on ne reprochera à un chrétien de violer les lois delà nature. Diogène ne rougissoitpas d’assouvir sa passion avec la courtisane Phryné ; Speusippe , disciple de Platon, fut tué en commettant un adultère : un chrétien ne connaît de femme que la sienne. Démocritè, se crevant les yeux parce qu’il ne pouvait commander à ses sens quand il voyait une femme, publie assez son incontinence par la punition qu’il s’impose : un chrétien garde ses yeux, mais ne les fixe sur aucune femme; il n’en a pas pour la volupté. Est-il question de modestie , je vois Diogène fouler de ses pieds, couverts de boue, l’orgueil de Platon par un orgueil plus grand encore : un chrétien est humble même avec le pauvre: De modération, Pythagore veut régner sur les Thu-riens, Zénon sur les Priéniens : un chrétien ne demande pas même à être édile. D’égalité d’àmc , Ly-corgue se laisse mourir de faim, parce que les Lacédémoniens avoient changé quelque chose à ses lois : un chrétien rend grâces à qui l’a condamné. De bonne foi, Anaxagore nie le dépôt qu’il a reçu de ses hôtes : la bonne foi des chrétiens est vantée même parmi les infidèles. De simplicité, lïristote fait chasser son ami Hermias des fonctions qu’il occupoit: un chrétienne sait point humilier (t’age 4!.) son ennemi. Le même Aristote flatte bassement Alexandre pour le gouverner; Platon, Denys le tyran pour être admis à sa table ; Aristippe , sous la pourpre, et sous le masque de la gravité, s’abandonne à la débauche ; Hippias est tué en voulant opprimer sa patrie: jamais un chrétien ne s’est rien permis contre l’état, même pour venger les chrétiens, quoique traités inhumainement.
(2) a L’artisan le plus grossier parmi nous est plus instruit de ses » devoirs que ne l’étoit le plus savant des philosophes. Les élémens de »religion que nous mettons entre les mains de l’enfance renferment »un corps de morale et de théologie plus étendu , plus développé, plus »piécis que tousles écrits, si vantés et si volumineux, des sages de l’an-»Equité.» M. l’év. de Lange. Instr, pastor, pag. 25. Et il cite notre, auteur. Conçoit-on que Bayle ait pu dire que Tertullien n’avoit remporté qu’un triomphe imaginaire snr les sages du paganisme ? Ce sceptique se plaint de ce que notre apologiste élève la science du plus mince artisan chrétien au-dessus de celle des plus fameux philosophes païens ; et Bayle ne prouve ici que sa mauvaise foi. Qui oserait soutenir aujour-d’hui que les plus beaux tiaitës de morale qu’aient jamais composés les Socrate et les Platon, renferment autant de vérités et de eounoissatices positives sur notre origine, sur nos devoirs, sur nos destinées , je ne dis pas que l’Evangile, mais que le simple catéchisme que l’on enseigne aux enfans? Aussi la sorte de défi que Tertullien propose ici à la sa-’gesse humaine a-t-elle été mille fois répétée dans nos chaires chrétiennes de toutes les communions; et la victoire est restée à notre défenseur.
« On dira peut-être qu’il en est aussi parmi nous qui s’écartent des règles de notre discipline. « Aussi-ne les regardons-nous plus comme des chrétiens; au lieu que vos philosophes, souillés de tant d’infamies, n’en conservent pas moins parmi vous le titre de sages, et la gloire de passer pour tels. Quel rapport y a-t-il donc entre un philosophe et un chrétien ? un disciple de la Grèce , et un disciple du ciel ? un homme qui ne s’occupe que de gloire, et celui qui est tout entier au soin de son salut? un homme qui parle en sage, et celui qui vit en sage ? un homme qui ne sait que détruire , et celui qui ne sait qu’édifier ? Comment pouvez-vous comparer le partisan et l’adversaire de l’erreur, le corrupteur et le vengeur de la vérité', celui qui la dérobe, et celui qui la possède et la conserve dans son intégrité ?
XLVII. L’antiquité de nos livres saints, établie précédemment, me fournit un moyen de plus pour vous amener sans beaucoup de peine à cette conséquence, que c’est le trésor auquel tous les sages venus après auroient emprunté leurs richesses. Si je ne craignois de trop grossir cet ouvrage, il me seroitaisé de le prouver. Quel poète , quelplii-losophe me citeriez-vous qui n’ait puisé à la source de nos prophètes (1) ?... Ces hommes, ambitieux de gloire et d’éloquence , venoient-ils à rencontrer dans nos Ecritures quelques-unes de ces maximes si bien faites pour exciter leur curiosité, ils se les sont appropriées.N’y reconnoissant pas le caractère de divinité dont elles sont empreintes , ils ne se fai-soient pas scrupule de les altérer en les dérobant, ils avoient trop peu d’intelligence pour en pénétre!■ les sens mystérieux, cachés aux Juifs eux-mêmes, «à qui ils croyoient pouvoir en faire le larcin impunément. Leur orgueil, dédaignant la beauté simple de la vérité, s’est jeté à travers les opinions les plus diverses, sans trouver nulle part de point fixe, mêlant le certain et l’incertain. Au lieu d’enseigner le dogme de l’unité de. Dieu, tel qu’ils l’avoient trouve, ils ont disputé sur sa nature, sur ses attributs, sur le lieu de sa demeure. Dieu est-il un pur esprit, a-t-il un corps? Les platoniciens ont dit oui, les stoïciens non. Epicure en fait un composé d’atomes; Pythagore , de nombres. D’autres, à la suite d’Héraclite, voient son principe dans l’élément du feu. L’école de Platon admet une providence, celle d’Epicure n’en veut point: elle enchaîne son dieu dans un repos immobile où il végète,nul pour tout ce qui arrive aux hommes. Les stoïciens le supposent hors du monde, qu’il meut comme le potier tourne sa roue; les platoniciens le placent dans le monde meme, qu’il régit comme le pilote conduit son vaisseau. Ils ne s’accordent pas plus sur le monde : selon les uns, il a été créé ; selon les autres, il est éternel : il finira, il ne finira pas. S’accorderont-ils mieux sur l’âme? Ceux-ci veulent qu’elle soildivine, éternelle ; ceux-là, qu’elle soit mortelle et corruptible: chacun ajoute ou change à sa fantaisie (1).
(1) Avant Tertullien, le même reproche leur avoit été fait par S. Justin , 1er vol. de cet ouvrage pag. 280 ; par Tatien , ibid. pag. 528; S. Clément d’Alex, ibid. pag. 5g2, 5g5. Nos modernes érudits, Huet, Fourmont, Thomassin, Lavaur, Guérin du Rocher, ont porté cette vérité jusqu’à la démonstration.
(1) Personne , après les Pères , n’a fait mieux ressortir les conlradic-lions des anciennes écoles que l’éveque de Meaux dans son Traité de la concupiscence, chap. xvm.
Il n’est pas étonnant que les philosophes, avec leurs imaginations, aient défiguré de la sorte la croyance primordiale , puisque de nos jours des hommes sortis de leurs écoles ont corrompu les nouveaux livres des chrétiens, en y interpolant des dogmes arbitraires et des systèmes philosophiques, faisant d’un seul chemin droit une multitude de sentiers détournés où l’on se perd. Ce que je dis en passant, de peur que le grand nombre de sectes qui divisent le christianisme ne fournisse un nouveau prétexte de nous comparer aux philosophes , et qu’on ne confonde avec elles la vérité de notre religion.
A tous les corrupteurs de l’Evangile nous opposons l’argument invincible de la prescription: que la seule véritable religion est celle qui, enseignée par Jésus-Christ, nous a été transmise par ses disciples. Tous les .novateurs ne sont venus qu’après (1).(Pag') Egarés par des esprits trompeurs, ils ont cherché dans la vérité même les armes dont ils ont combattu la vérité; infectant notre salutaire doctrine par un alliage impur, mêlant à nos saintes vérités des fictions qui en affoiblissoient l’autorité par un certain air de ressemblance avec elles, et réussissant à attirer à eux les esprits crédules. En sorte que l’on ne sait plus si l’on doit croire les chrétiens, par la raison qu’on ne croit point aux poètes ni aux philosophes , ou si l’on doit croire les poêles elles philosophes, sous le pre׳ texte qu’il ne faut pas croire les chrétiens.
(1) « Nous presorivi'.ns en général contre toute nouvelle interpréta-»tion par cette sente parole de Tertullien :On ne l’interprétoit pas ainsi פ dans tous lessiécles préeédens. Pareette voie, notre foi est invariable, »notre foi est certaine. Nous la tenons de !’Eglise, qui la tient elle-»même de Dieu. Pareette voie, nous tenons à nos pères et à tous les »siècles depuis Jésus-Christ. »Molinier, Serm. chois, tom. iv, pag. 147·
Ainsi, prêchons-nous le futur jugement; on se moque de nous: les poètes et les philosophes ont imaginé aussi un tribunal dans les enfers. Mena-çons-nous de feux souterrains destine's à la punition du crime; quels éclats de rire, c’est là le Phlégéton qui roule chez les morts. Parlons-nous de paradis, d’un lieu de délices proposé pour la récompense des âmes saintes; voilà les champs élysées que dé-bitent les poètes. Or qui est-ce qui a pu leur don-ner l’idée de fictions si semblables à nos mystères , sinon nos mystères eux-mêmes, beaucoup plus anciens? Nos mystères doivent donc paroître plus croyables et plus certains, puisqu’on croit même, ce qui n’en est que l’ombre et l’image. Feroit־on aux poètes , aux philosophes l’honneur de l’inven-lion ? ce seroit vouloir que nos mystères fussent l’image de ce qui n’est venu qu’après eux ; ce qui est contre l’essence des choses. Jamais l’ombre n’est avant le corps, ni la copie avant l’original.
XLVII... On a peine à concevoir le dogme de la résurrection des corps, et de l’immortalité des âmes. «Comment cette matière réduite en poussière pourra-t-elle redevenir un corps! » Homme , jetez les yeux sur vous-même, et vous n’aurez plus de peine à croire : qu’étiez-vous avant d’être homme?
Rien. Si vous aviez été' quelque chose, vous vous en souviendriez. Vous n’étiez rien avant d’être : pourquoi celui qui vous a appelé du néant à l’existence ne pourroit-il pas vous y ramener encore quand il le voudra ? Qu’y aura-t-il de nouveau ? Vous n’étiez pas, et vous êtes : vous ne serez plus, et vous recommencerez d’être. Expliquez-moi, si vous pouvez, comment vous êtes entré dans la vie, et puis ,vous me demanderez comment vous y pourrez revenir. Sera-t-il plus difficile de redevenir (Page 43.) ce que vous étiez déjà, que d’être ce que vous n’aviez pas encore été (1)?
(1) L’auteur des Serm. chois., dans Montargon, DicL. aposl. ton». וווי, pag. 67-70. L’év. de Sciiez, loin, m, pag. 180, 181.
Révoqueriez-vous en doute la puissance de Dieu, qui, en créant de rien ce vaste corps du monde, commandait au néant comme il commandera à la mort, répandait dans la nature l’esprit de vie qui l’anime , et de sa main divine imprimoit autour de vous les images frappantes de la future résurrection ? Vous voyez chaque jour la lumière expirer et renaître , les ténèbres lui succéder pour lui faire place ; les astres s’éteindre et se rallumer, le temps recommencer où il finit ; les fruits passer el revenir ; la semence ne se corrompre que pour se féconder; tout se conserver par sa destruction même, se reproduire par sa propre mort. Homme , créature si excellente, quand lu n’aurois appris à le connaître que par l’oracle qui t’appelle le seigneur de tout ce qui meurt et detout ce qui renaît ! toi seul eu mourant tu périrois pour ne jamais revivre? Non , quelque part que soit reste'e ta dépouille mortelle, quelque corps que ce soit qui ait détrait le tien, qui l’ait englouti, consumé, et, ce semble, anéanti, il tele rendra (1). Le néant obéit à celui à qui le monde entier obéit (2).
(1) « Tertullien a raison de dire que le néant est à lui aussi bien » que tout : Ejus est nihilum ipsum , cujus est totum. » Bossuet , Serin, pour le joui' des morts. Serm. tom. i, pag. 181.
(2) « Partant , ô abîmes et vous llammes dévorantes , et toi terre, mère commune et sépulcre de tous les humains, vous rendrez ces corps que vous avez engloutis. » Bossuet, Senn. tom. vin, pag. 48. Le Chapel. Serin, sur l'immortalité, tom. v, pag. 249, 2.5o. Lentant , Serm. sur la résurrect. de notre Seigneur, tom. vin, pag. 108, 109.
« Quoi donc , m’allez-vous dire , faudra-t-il toujours mourir, toujours ressusciter ? » Si le maître de l’univers l’avoit ainsi ordonné, il nous faudroit, bon gré, mal gré, subir sa loi : mais il n’a rien réglé là-dessus que ce qu’il nous a lui-même appris. La même sagesse qui a composé l’univers, ce tout si bien assorti des élémens les plus opposés, qui fait concourir à la perfection le vide et le plein, les êtres animés et inanimés, ce qui tombe sous nos sens et ce qui leur échappe, la lumière et les ténèbres , la vie et la mort ; la même sagesse a placé à la suite l’une de l’autre deux périodes de siècles bien différentes : la première, qui a coin-mencé avec le monde , et qui périra avec lui ; la seconde, que nous attendons, et qui se confondra avec l’éternité.
Lors donc que sera arrivé ce terme qui sépare le temps de l’éternité ; que la figure de ce monde s’évanouira ; que le temps, comme un rideau jeté à travers l’éternité, s’effacera, alors le genre liu-main tout entier, sorti du sépulcre ,comparoilra en présence de son Juge, pour recevoir la récompense ou le châtiment que chacun aura mérité pour la durée éternelle des siècles. Plus de mort, plus de résurrection nouvelle. Pientrés en possession de la même chair où nous sommes, nous n’en serons plus dépouillés jamais. Les fidèles adorateurs de Dieu, revêtus de l’immortalité, jouiront éternellement de Dieu. Les profanes, tous ceux qui ne seront pas irréprochables devant Dieu, seront la proie de feux également immortels , à qui Dieu communique sa divine substance qui les rend incorruptibles. « Vos philosophes mêmes reconnois-sent la différence du feu que nous voyons avec celui que nous ne voyons pas ; entre le feu qui sert à l’usage de l’homme, et celui qui sert à la justice de Dieu, soit que le dernier éclate dans la foudre, ou qu’il sorte du sein des montagnes. Celui dont nous parlons ne consume pas ce qu’il brûle; il répare à mesure qu’il détruit; ce qu’il dévore, il le rétablit. Vous en avez l’image dans les montagnes, où il s’entretient un feu qui ne s’y éteint pas; image sensible, te'moignage toujours subsistant de ce feu e'tcrnel allumé par une vengeance inexorable. « Puisque les monlagnes bru-lent toujours et ne se consument jamais, pourquoi les pécheurs el les ennemis de Dieu ne pourroient-ils pas toujours souffrir et toujours vivre , brûler sans cesse , et durer sans fin (1). מ
(1) Senault, bien plus fidèle que l’abbé de Gourcy, Panégyr. tom. ni, pag. 581,582.
XLIX. Ces dogmes, vous ne les traitez de préjugés (Page.j׳!) que chez nous; chez les philosophes et les poètes , ce sont des connoissances sublimes. Ils sont tous des génies de premier ordre , que l’on ne sauroit trop honorer ; nous ne sommes nous que des idiots , méprisables et dignes de tous maux (2).
(2) Développé par Cambac. Serm. sur les incrédules, tom. 1, prem. part. Lenfant, Faiblesse des esprits Jorts, Serm. tom. n, pag. y6etsuiv.
Préjugés tant qu’il vous plaira, ils n’en sont pas moins nécessaires: absurdités si vous voulez, mais elles sont utiles , car elles obligent à devenir meilleurs ceux qui les croient, tant par la crainte de supplices qui ne finiront pas, que par l’espérance d’un éternel bonheur. Quelle sagesse y a-t-il à condamner une croyance aussi profitable ? Accusez-vous plutôt vous-mêmes de préjugés , de blâmer des doctrines aussi avantageuses , et qui par-là ne sauroient être absurdes. Du moins ne sauroient-elles porter prejudice à personne. Et quand elles ne seroient pas aussi bien prouvées qu’elles le sont, toujours ne devroient-elles pas être traitées avec plus de rigueur que certaines opinions vaines et mensongères qu’on laisse circuler librement comme innocentes, que tout au plus on punit par le ridicule, jamais par le fer, par le feu, par les croix et par les bêtes.
Ce n’est pas seulement une multitude aveugle qui triomphe de ces barbares exécutions, et qui insulte aux victimes. Il en est parmi vous qui cher-client par ces injustices à gagner la faveur du peu-pie , et qui en font gloire; comme si le pouvoir que vous avez sur nous ne venoit pas de nous. Assurément je suis chrétien parce que je veux l’être : vous ne me condamnerez donc que parce que je voudrai bien être condamné. Puisque vous n’avez de pouvoir sur moi qu’au tant que je vous en donne, ce n’est donc pas de vous , mais de moi seul que vous le tenez ; et la multitude triomphe bien vainement de nous voir persécutés. C’est nous qui avons droit de triompher, puisque nous ai-ruons mieux être condamnés que d’être infidèles à Dieu. Et ceux qui ne nous aiment pas devroient s’affliger plutôt que se réjouir, puisque nous avons obtenu ce que nous avions choisi.
L. Cela étant, « pourquoi , nous dites-vous , vous plaindre d’être persécutes , puisque vous voulez l’être? vous devez aimer ceux de qui vous souffrez ce que vous voulez souffrir (1). » Sans doute nous aimons les souffrances , mais comme on aime la guerre, où personne ne s’engage , à cause des alarmes et des périls ; on n’en combat pas moins de toutes ses forces ; on se réjouit de la victoire après s’être" plaint de la guerre, parce qu’on en sort chargé de gloire et de butin. Nous combattons pour soutenir la vérité devant ]es tribunaux où l’on nous traîne; notre victoire, c’est d’obtenir le prix pour lequel ’nous avons combattu, la gloire de plaire à Dieu, la conquête de la vie éternelle. Nous perdons la vie : c’est là ce que nous demandions. En mourant, nous triomphons , nous échappons à nos ennemis. Appelez-nous gens de poteaux el de sarmens , à cause que vous nous faites périr dans les flammes ; ce sont là les palmes dont nous nous parons , ce sont là nos chars de triomphe. Les vaincus ont bien sujet de ne pas nous aimer ; ils nous regardent comme des furieux, des désespérés. Mais cette fureur et ce désespoir, quand ils sont ailleurs le produit d’un vain amour de gloire el de renommée, on en fait l’étendard de l’héroïsme. Scévola soutient, sans se plaindre, la main sur un brasier : quelle force de courage ! Empédocle se précipite dans l’Etna : quelle énergie! La fondatrice de Carthage , je ne sais quelle Didon, prend un bûcher pour un second autel nuptial : quelle chasteté ! Régulus ne veut pas qu’on l’échange contre plusieurs ennemis, et se résigne aux plus affreuses tortures : c’est là de la grandeur d’âme, ce qui s’appelle être libre dans les fers ! Anaxarque , tandis qu’on le broyoit dans un mortier , s’écrioit : Frappe, frappe l’enveloppe d’Anaxarque, car pour lui-même il n’en sent rien. Quel héroïsme de conserver (Page 45.) sa gaieté , en mourant d’une pareille mort!...
(1) Molinicr, Serm. tom. v!11, pag. 551.
C’est là une gloire légitime, parce que c’est une gloire humaine. 11 n’y a là ni préjugé, ni fanatisme, ni désespoir dans le mépris de la vie etdes supplices. Il est permis d’endurer pour la patrie, pour l’empire , pour l’amitié, ce qu’il est défendu d’endurer pour Dieu. Vous érigez des statues à ces héros profanes ; vous gravez leurs éloges sur le marbre et sur l’airain, pour éterniser leur nom, s’il ctoit possible , pour leur créer après la mort une existence nouvelle : le héros chrétien, qui attend de Dieu la vraie résurrection, et souffre pour lui dans cette espérance, n’est à vos yeux qu’un insensé.
Pour vous , dignes magistrats , assurés comme vous l’êtes des applaudissemens du peuple tant que vous lui immolerez des chrétiens, condamnez-nous, déchirez nos corps, appliquez-les à la torture, foulez-nous sous les pieds : vos barbaries sont les preuves de notre innocence ; c’est pourquoi Dieu permet que nous soyons persécutés. Derniè-renient, en condamnant une femme chrétienne à être exposée dans un lieu infâme, plutôt que dans !’amphithéâtre, vous avez reconnu que la perte de la chasteté est pour nous le plus grand des supplices , et pire que la mort elle-même־
Mais à quoi aboutissent enfin tous vos raffine-mens de cruauté? A enflammer de plus en plus le désir d’être chrétien. Nous multiplions à mesure que vous nous moissonnez ; notre sang devient une semence de chrétiens (1). Plusieurs de vos philosophes ont écrit des traités pour engager à supporter la douleur et la mort; mais les exemples des chrétiens sont bien plus Roquons que tous les ouvrages des philosophes. Ce prétendu entêtemenl que vous nous reprochez est la plus puissante instruction. Est-il possible d’en être témoin , sans être porté à rechercher ce que c'est que cette religion ; de la rechercher , sans s’y attacher, et désirer bientôt de souffrir pour obtenir en échange la plénitude de la grâce de Dieu, pour acheter au prix de son sang le pardon de ses péchés( 1 )? Car tout est mérité et gagne' par le martyre. C’est pour cela que nous vous remercions des arrêts que vous rendez contre nous. Mais que les jugemens de Dieu sont loin des jugemens des hommes ! Tandis que vous nous condamnez , Dieu nous absout.
(1) » Plus vous laites couler de sang, plus le champ de !’Église de-״vient fertile, et se couvre de moissons abondantes. Pour un de ses ״enfans que vous lui enlevez, mille se présentent et s’empressent de le ״remplacer.» (’,h. de Neuville, Etabliss. de la relig. Car. tom. iv, Pag· '79·
« Il n’y a que la loi chrétienne pour qui le sang de ses sectateurs ait ״été, selon le mot de Tertullien , comme une semence féconde : San-»guis martyrum semen chrislianorum. » Bourdaloue , Serm. sur la saint, et laforce de la loi chrét. Domin. tom. 1, pag. 516, éd. Rig.
(1) Voy. dans Bourdaloue , la judicieuse application qu’il fait de ce raisonnement à l’exemple. Serm. sur le zèle de la religion Dominic. tom. iv, pag. 217, éd. Rig. Commenc. de la !,0part.
Tertullien rappelle au chap. Il la lettre de Pline à Trajan sur les chre'tiens. Elle est la quatre-vingt-dix-septième du dixième livre, et se trouve en français d’abord à la page 8 de VHist. de Î’élabliss. du Christian, par Bullet (vol. in-8°, Paris, 1814), puis en latin , pag. 205.
Dans les chapitres xxxvi et xxxvii du même ouvrage , notre apologiste affirme que les chre'tiens ne savent point repousser la persecution par les armes ; et nous avons remarque' que nos conlro-versistes s’appuient particulièrement de son témoignage , pour établir cette proposition par l’autorité des premiers siècles. C’est là une vérité prouvée de la manière la plus éclatante par le martyre de la légion thébaine. En rappelant ce fait, qui d’ailleurs ne peut l’être trop, iiqus avons un motif particulier, analogue à l’objet d’un ouvrage tel que celui-ci, consacré à la gloire de l’éloquence cliré-tienne. Celte requête ou remontrance que tout le corps de la légion thébaine présenta à l’empereur Maximien par la voix de deux de ses tribuns, Maurice et Exupère , figurerait avec honneur parmi les harangues que Thucydide, Tite-Live , Salluste, nous ont transmises. Voici l’événement qui en fut l’occasion. Vers l’an 2 86, l’empereur Maximien étant passé dans les Gaules pour y combattre quelques peuples révoltés,fitvenird’Orientla légion thé-haine, toute composée de soldats chrétiens. Elle campa au pied du Mont Saint-Bernard, dans un lieu appelé autrefois A g annum, d’où vient le nom de Martyres agaunenses qui leur est resté dans leurs actes (1). Là, ayant reçu l’ordre de tourner leurs armes contre les chrétiens qui se trouvaient répandus dans la contrée, ils s’y refusèrent, en répondant qu'ils l’étoient eux-mêmes. Maximien commanda d’abord qu’ils fussent décimés jusqu’à deux fois ; enfin, sur leur refus réitéré de sacrifier aux idoles , tous furent massacrés, au nombre de six mille six cents (2), sans la moindre résistance de leur part(3).
(1) Ruynart, y/et. martyr, pag. 290. Défense de lavérité du martyre de ία légion théb. par D. Jos. Delisle, 1757, in-8°. Eclaircissent., sur le martyre de la lég. théb., etc. par M. Rivaz, Paris, 1779, in-S°. où la vérité de ]’histoire est vengée, invinciblement contre les objeo lions de quelques protestant.
(2) Voy. Tillem. Mém. tom. iv, pag. 425.
(3) Une si cruelle exécution n’étoit pas sans exemple chez les Romains. Dion Cassius rapporte au livre lxiv de son histoire, que Galba , bien moins cruel que Maximien , fit massacrer en un seul jour sept mille soldats prétoriens qui s’étoient mutinés, et qu’il fit décimer tout le reste.
Nous sommes vos soldats, seigneur, mais nous sommes aussi les serviteurs de Dieu, et. nous le confessons avec franchise. Nous vous devons le service militaire , mais nous lui devons l’innocence : nous recevons de vous la paye , et nous avons reçu de lui la vie : nous ne pouvons pas obéir à vos ordres quand ils se trouvent contraires aux siens , ni renoncer à notre maître qui est aussi le vôtre , quand vous ne le voudriez pas. Tant que l’on ne nous a rien demandé qui pût lui déplaire , vous nous avez vus obéir à vos ordres avec joie : mais quand il faudra désobéir à l’un de ces deux maîtres, nous lui obéirons plutôt qu’à vous. Vous pouvez employer nos armes contre les ennemis de l’étal et les vôtres , mais nous ne les tremperons jamais dans le sang des innocens. Pourriez-vous compter sur notre fidélité, si nous étions assez lâches pour en manquer à Dieu? Nous lui avons fait serment avant que de vous le prêtera vous , et vous ne pourriez pas compter sur le second , si nous étions capables de violer le premier. Vous nous ordonnez de chercher les chrétiens pour les punir : en voici , nous le sommes, il n’en faut pas chercher d’autres. Nous confessons tous Dieu le père ,auteur de tout, Jésus-Christ son fils et le Saint-Esprit. Nous avons vu égorger nos compagnons sans les plaindre , nous nous sommes réjouis de !,honneur qu’ils ont eu de mourir pour leur Dieu. L’extrémité à laquelle on nous réduit n’est point capable de nous porter à la révolte. Nous avons les armes à la main, mais nous ne savons ce que c’est que de résister, parce que nous aimons mieux mourir innocens que de vivre coupables.
Après !’Apologétique, viennent divers écrits du même père pour la défense du christianisme.