LIVRE SECOND.

PÈRES APOLOGISTES.

Tableau général des persécutions et des écrits publiés à cette époque contre le christianisme.

JÉsus-Christ avoit comparé sa parole à une semence jetée en terre. (Marc, iv. 31.) D’abord imperceptible, elle prend racine, elle germe, s’élève et s’accroît; elle étend à la fois ses racines et ses rameaux. Bientôt vous la voyez qui monte et se propage dans les airs; les vents et les tempêtes soufflent sur cette lige en apparence mal assurée, foible, et tremblante au moindre choc. Vous croyez qu’ils vont l’abattre et la disperser sans qu’il en reste plus de trace; mais leurs efforts impuissants n’ont servi qu’à l’endurcir et à la fortifier, jusqu’à ce que, parvenue à sa hauteur, elle ait déployé la pompe de son branchage, où les oiseaux du ciel viennent chercher leur aliment et leur abri (1).

(1) Cum autem creverit, majus est omnibus oleribus, et fit arbor, ita ut volucres cœli veniant, et habitent in ramis ejus. Matth. xiii, 32.

Nous sommes arrivés à cette période de tribulalions qui devoit précéder celle des triomphes promis par la même bouche qui avoit annoncé les combats et les persécutions (2). Le christianisme venait renouveler le monde tout entier. Aussi tout s’arme à la fois contre la religion nouvelle; la synagogue et les écoles de la philosophie, les tribunaux et les aréopages, les rois et les peuples, la politique et la superstition. Le faux zèle et l’hypocrisie qui s’alarment pour leurs antiques préjugés (1) et leur culte mercenaire, l’orgueil philosophique, le plus implacable de tous, secrètement jaloux des progrès d’une secte sans ambition et sans intrigue (2), répandent l’effroi contre un Evangile qui unit tous les hommes dans les liens d’une charité mutuelle, mais qui parle d’un autre royaume (3); qui promet d’immortelles béatitudes après la mort, qui condamne la vie présente aux plus durs sacrifices, qui prie pour ses persécuteurs; mais qui n’admet point de partage, et qui, du haut de cette croix dont il a fait son trône, prononce qu’il faut être tout entier pour lui, ou tout entier contre lui (1).

(2) Tradent vos in conciliis, et in synagogis suis flagellabunt vos, et ad prœsides et ad reges ducemini propter me... et eritis odio omnibus propter nomen meum. Matth. x, 17, 18, 22. — Cum Dei prœdicatione et prophetica contestatione ante prœdictum sit, persecutiones quœ nos humanitus lœderent non defuturas. S. Cyprian, ad Demetrian. pag. 283, col. i, ed. Pamel.

(1) Origen, contr. Cels. Lib. i, n° 52, pag. 40, ed. Cantabr.

(2) Nobis ab omni gloriœ  et dignitatis ardore frigentibus. Tert. Apolog. c. xxxviii.

(3) Ergo rex es tu? Respondit Jesus: Regnum meum non est de hoc mundo. Joan, xviii, 36. Omnis qui se regem facit, contradicit Cœsari. Joan, xix, 12. Dicit eis Pilatus: Regem vestrum crucifigam? Responderunt pontifices: Non habemus regem, nisi Cœsarem. Ibid. 15.—S. Justin: «Quand vous entendez parler du royaume de Dieu, l’objet de notre espérance, vous vous imaginez aussitôt qu’il s’agit d’un royaume terrestre; vous vous trompez, c’est du royaume de Dieu même. » Apol. 1, n°2.

(1) Nemo potest, duobus dominis service.— Qui non est mecum, contra me est. Matth. vi, 24. Luc. xi. 23. —Celse, dans Origène, censure comme séditieuse et antisociale, la maxime, que l’on ne peut servir deux maîtres. Liv. viii, pag. 383.

Les Juifs avaient été les premiers à repousser avec acharnement une doctrine qu’ils accusaient d’attaquer le fondement sacré de leur législation politique et religieuse, de méconnaître la divinité en paraissant, la multiplier, d’abroger les antiques cérémonies en prétendant les épurer, de réduire leurs oracles au silence en se prévalant de ces mêmes oracles (2). Leurs yeux, fascinés parles brillantes espérances qu’ils s’étaient faites d’une domination qui mettrait sous leurs pieds et les vainqueurs du monde et les dieux des nations, rejetaient sans examen un Messie pauvre, obscur, dont les miracles ne leur paraissaient pas au-dessus de la puissance des démons (3); et dont les vertus, bien que supérieures aux atteintes de la calomnie, ne lui avoient valu d’autre récompense que l’ignominie d’un gibet. Tous les monuments de notre histoire attestent que cette nation, si nécessaire à !,accomplissement des prophéties, était la plus ardente à se venger contre les chrétiens du châtiment qui la poursuivait (1). Dispersée par toute la terre, elle leur suscitait sur tous les points de la terre d’implacables persécuteurs, empressés de se signaler partout où il fallait agir contre eux (2), peut-être dans le dessein de détourner l'accusation qui dans les préjugés des peuples les confondait avec les chrétiens (3). Ennemis d’autant plus dangereux, qu’ils se vantaient avec justice d’être les aînés de la famille à qui l’on venait disputer un antique héritage; et que, mêlant à leurs jalouses fureurs de spécieux arguments, ils produisaient contre la croyance nouvelle des titres réputés par elle-même inviolables (4)·

(2) S. Justin. Dialog, cum Tryph. pag. 49, edit, in-fol. Colon. 1686

(3) Dicunt: Dœmonium habet. Matth. xi, 18. Luc. xi, 15. Celse, Porphyre, Julien, reconnaissent que Jésus et ses apôtres ont fait des miracles, et cherchent à les expliquer par les secrets de la magie. Voy. Celse dans Orig. liv. i, n° 45, 68. Bullet, Etablissem. du christian. pag. 150 et suiv. édit. in-8°, Paris, 1814, Méquignon. Bossuet, Disc. sut l'hist. univ. pag. 361. éd. in-4°, Paris 1681.

(1) Tot hostes ejus, quoi extranei, et quidem propria ex œmulatione Judœi. Tert. Apol. n°7. On le voit encore au temps de S. Jean Chrysost. qui le leur reproche énergiquement. Hom, xliv, in Matth. tom. i. Nov. Test. edit. Morel. pag. 491.

(2) Tillem. Mém. ecclés. tom. ii, pag. 169, 341.

(3) Celse, dans Origène, liv. ii, n°3, 4, liv. m, n°7- Sueton. in Claud. cap. xxv. S. Chrys. hom. lxxvi, Matth. tom. i. Nov. Test. pag. 798.

Julien affectait de les confondre avec les Juifs, tant par la dénomination de Galiléens, que par les rapprochements de la contrée et de la doctrine. Voy. sa lettre li aux habitants d’Alexandrie, où il les taxe de faux frères révoltés contre la loi de leurs pères.

Les philosophes dédaignèrent d’abord une secte ennemie du faste et de l’ostentation, sortie d’une contrée chargée à leurs yeux du crime de la haine de tout le genre humain (1). Ils ne tardèrent pas à s’alarmer de ses progrès: et s’associant à la haine des pontifes, et à l’ignorance des peuples, ils ne ménagèrent rien pour faire succomber le christianisme sous le poids des plus graves calomnies ou des plus perfides travestissements.

(1) Ergo abolendo rumori Nero subdiditreos, et quœsitissimis pœnis affecit, quos per flagitia invisos vulgus christianos appellabat. Tacit., 4nu. lib. xv.

La persécution, qui avait commencé parfaire du Maître sa première et sa plus éclatante victime, s’acharne contre les disciples. Autorisée par les pontifes, arbitres suprêmes de la religion, commandée par les Césars, qui croyaient devoir aux dieux du Capitole la prospérité de l’empire (2), attisée par toutes les passions humaines que l’Evangile venait détrôner, elle reçoit des arrêts de la politique une sanction légale, et du fanatisme des peuples les plus barbares développements. On ignore ce que c’est que le christianisme, et l’on n’en décerne pas moins contre lui les plus affreux châtiments (3). Les voleurs de profession, les parricides eux-mêmes trouveraient des défenseurs: les chrétiens sont les seuls qui n’en puissent obtenir (4). L’aveu que l’on est chrétien emporte avec soi la confession de tous les crimes (1); et pour échapper à ce supplice que l’on suppose provoqué par la conviction des crimes les plus abominables, il suffit. de nier que l’on soit chrétien (2). Un empereur bien digne d’attacher le premier nom à la liste des princes déclarés contre le christianisme, parce qu’il s’était déclaré l’ennemi du genre humain (3), Néron enchérit sur ses propres cruautés dans l’exécution des chrétiens; et le grave Tacite qui les raconte froidement, semblerait disposé à les lui pardonner, si elles avaient eu pour objet l’utilité publique plutôt que les caprices de sa tyrannie sanguinaire ( 1 ).

(2) Ep. Jul. imper. lxiii. ad Theod. Symmaq. Requête aux empereurs en faveur du paganisme. Ép. liv, Liv. x.

(3) Osores eorum causam inimicitiarum dicere nequeunt. S. Justin, ad Diognet., pag. 497. Tertull. Apologet. n°i, pag. i, edit, de Rigaud.

(4) Nonne absurdum est ut, cum latro non statim propter nomen ei intentatum puniatur, priusquam rei veritas exquisita noscatur, nos convitia pati, et odium, non examinata causa. Tatian. adv. gentes, pag. 164. Propositum est edictum quo cavebatur ut religionis illius homines carerent omni honore ac dignitate, tormentis subjecti essent, ex quocumque ordine aut gradu venirent; adversus eos omnis actio caderet, ipsi non de injuria, non de adulterio, non de rebus ablatis agere possent; libertatem denique ac vocem non haberent. Lactant. De morte Pcrsec. n° 13.

(1) Minuc. in Octav., p.84. — Nomen ipsum, etiamsi flagitiis careat, ut flagitia cohœrentia nomini puniantur. Plin. lib. x, epist. 97. ad Traj De nostris nomen ipsum, tanquam criminis comperti, argumentum arripitis. S. Just. Apol. ii, pag. 55. Examinentur vita ipsorum, nomen ne culpetur. Athenag. Legat, pag. 2. A la suite de S. Justin, édit. de Cologne, 1686.

(2) S. Justin, supr. pag. 58 et 59. Utrumque ex altero redarguimus, et ignorare illos dum oderunt, et injuste odisse, dum ignorant. Tert. Apol. n° 1.

(3) Reperietis primant Neronem in hanc sectam cum maxime Romœ orientem Cœsariano gladio feriisse. Tert. Apol. n° 5, pag. 6, et n°21r pag. 22.

(1) Primum correpti qui fatebantur, deinde indicio eorum mUltitUdo ingens, haud perinde incrimine incendii, quant, odio hUmaNI genesis convicti sunt; unde, quanquam adversus sontes et novissima exempla meritos, miseratio oriebatur tanquam non utilitate publica, sed in sœvitiam unius absumerentur.'Tac. Ann. lib. xv. LaBletterie, tom. ii, pag. 250, 252. Paris, in-12, 1774.

Plus les calomnies sont absurdes, plus elles s’accréditent parmi les peuples. La résignation des martyrs irrite les bourreaux (2); et le berceau du christianisme, comme autrefois celui de Moïse, nage dans le sang. Rien n’est épargné, ni âge, ni sexe, ni condition, ni vertus, ni talents (3). La mort toute seule serait trop douce pour des hommes réputés ennemis des dieux et de l’état; il faut la multiplier, la prolonger lentement, la recommencer plusieurs fois, en sorte qu’elle n’arrive qu’à force de tortures (4). Ce n’est point là une simple période de quelques jours, de quelques mois, de quelques années; le même système de persécution et de barbarie persévère durant trois cents années; et durant tout ce temps, vous ne pouvez, suivre l'Église de Jésus-Christ qu’à la trace du sang qu’elle répand, et à la lueur des bûchers allumés contre elle.

(2) Voyez en les preuves à la pag. 404 du savant ouvrage de Bullet sur l’Etablissem. du Christian. Paris, 1814, in-8°.

(3) Multi omnis œtatis, omnis ordinis,utriusque sexus etiam vocantur in periculum et vocabuntur. (Ep. Plin. ad Traj.).

(4) Datis legibus ut post tormenta damnati lentis igibus urerentur. Lactant. De morte pers. n° 21. Exquisitos dolores corporibus immittunt; et nihil aliud devitant, quam ut forte moriantur pertinaci stultitia. Jubent curam tortis diligenter adhibere, ut ad alios cruciatus membra renoventur, et reparetur novus sanguis ad poenam. Idem. Inst. divin. lib. v, cap. xi, pag. 491. Edit. Varior.

Cependant malgré tant d’obstacles; malgré l’effroyable conspiration des rois et des peuples, (Ps. xi. 1.) malgré tous les efforts des enfers déchaînés, (Matth., xvi. 18) l’oracle de Jésus-Christ s’accomplissait (1). La foi chrétienne se propage par les obstacles même qui l’auraient renversée infailliblement, si elle n’eût été qu’humaine (2). Dans un discours de quelques lignes, on l’a vue à ses commencements conquérir à la foi de Jésus-Christ, d’abord trois mille, puis cinq mille, et bientôt des cités entières de ces mêmes Juifs qui viennent de le faire mourir (3), abaisser la majesté des faisceaux romains (4), et se faire écouter à Athènes dans son aréopage. Du fond des cachots, elle proclame le Dieu inconnu (1), impose silence aux oracles des fausses divinités, les fait trembler sur leurs autels, réduit leurs pontifes à d’impuissantes fureurs et à la plus honteuse solitude (2). Ce que tant de législateurs et de philosophes unis ensemble dans une si longue succession de siècles n’avaient pu faire avec leurs codes et leurs savants traités, elle l’exécute par quelques épîtres échappées à la plume d’un barbare sans lettres et sans doctrine (3). Elle donne à l’univers des vertus dont le nom mène n’avait pas été jusque-là soupçonné; crée des mœurs dans Corinthe; ordonne la pénitence. Elle entre avec empire au forum et dans les palais comme dans les chaumières; compte des disciples au sénat, clans les camps, à la cour des empereurs (1), et va planter ses étendards jusques au sein de Rome (2). Elle dompte les nations les plus sauvages, fait retentir ses hymnes sacrées dans les déserts inaccessibles, s’établit en souveraine, là où les aigles du peuple-roi n’avoient pu pénétrer; et, comme le dira bientôt saint Jean Chrysostôme, élève de glorieux trophées au sein des mers les plus reculées, et proclame aux extrémités du monde l’Evangile de la paix et de la charité.

(1) Magis autem augebatur credentium ut Domino multitudo vivorum ac mulierum. Act. v, xiv. Et verbum Domini crescebat, et multipli cabatur numerus discipulorum in Jerusalem valde. Act. vi, 7.

(2) Origen. Adv. Cels. liv. i. pag. 18.

(3) Qui receperunt sermonem ejus (Petri) baptizati sunt in die illa ani circiter tria millia. Act. ii, 41. Multi autem eorum qui audierant verbum, crediderunt; et factus est numerus vivorum quinque millia. Act. iv, 4. Sequenti vero sabbato, pene universa civitas convenit audire verbum Dei. Act. xiii, 44.

(4) Act. xxiv, 25. — Expression de Bossuet, Serm. sur la vérité de la relig. dans Serm. choisis, pag. 352. Paris, 1803.

(1) Act. cap. xvi. — Quidam viri adherentes ei ( Paulo ) crediderunt; in quibus et Dionysius areopagita. ibid. vers. 34.

(2) Et videtis et auditis quia non solum Ephesi, sed pene totius Asiœ Paulus hic suadens avertit multam turbam, dicens quoniam non sunt Dii qui manibus fiunt. Act. xix, 26. Porphyre en convient en ces termes: « Esculape et les autres dieux ne sont plus parmi nous; car depuis que » Jesus est adoré, personne n’a éprouvé l’assistance publique des dieux. » Dans Eusèb. Prépar. évang. liv. v, ch. 1. Julien répète les mêmes plaintes dans ses lettres confidentielles aux prêtres et aux magistrats du paganisme, en particulier Lettre iv à Aristomène. Dans son Misopogon, il se plaint qu’Apollon avait abandonné son temple de Daphné, si célèbre par ses oracles, pag. 96; et Libanius ne le dissimule pas davantage. Tom. ii, oper. pag. 185. Voy. Bullet, Établissem. du christ. pag. 274.

(3) Lactant. Div. instit. lib. iii, cap. xvii. S. Joan. Chrysost. Homil. lxxv, in Matth. tom, i. nov, Test, pag. 787, edit. Morel. Origen, adv. Cels. lib. iii, pag. 128, 129. lib. vi, pag. 275. S. August. Epist. ad Volusian. cxxxvii, n° 17.

(1) Hesterni sumus, et vestra omnia implevimus, urbes, insulas, castella, municipia, conciliabula, castra ipsa, tribus, decurias, palatium, senatum, forum. Tert. Apolog. cap. xxxvii. pag. xxxiii, edit. Rigaud.

(2) Maximœ et antiquissimœ et omnibus cognitœ a gloriosissimis duobus apostolis Petro et Paulo Romœ fundatœ et constitutœ ecclesiœ. S. Iren. adv. hœres. lib. iii, cap. iii, pag. 322, edit. Feu-ardent. Tert. prœscr. cap. 36. Oros. Hist. lib. vii, cap. 5. Lactant. De morte persecut. cap. ii. Qua re ad Neronem delata, cum animadverteret non modo Romœ. sed ubique quotidie magnam multitudinem a cultu idolorum, et ad religionem novam, damnata vetustate, transire.

Une aussi étonnante révolution s’était faite bien long-temps avant que le premier empereur chrétien n’abrogeât les édits de proscription en vigueur contre le christianisme (3). Ce n’est donc pas à la protection de Constantin et de ses successeurs que le christianisme a dû sa propagation.

(3) Voy. le ch. x du Panégyr. de Constantin, par Eusèbe, qui le prononça eu sa présence, et le ch. 1, du liv. viii de son Histoire.

Il n’y avait que trente ans écoulés depuis la mort de son fondateur; et déjà, dans Rome, si éloignée de la Judée, l’histoire nous montre une infinité de disciples, à qui un contemporain rend ce témoignage: que leur foi était célèbre dans tout l’univers; et saint Paul ne craint pas d’ajouter que l’Évangile qui leur avait été prêché, l’était également par toute la terre, et qu’il y portait des fruits (1).

(1) Fides vestra annuntiatur in universo Mundo. Rom. 1, 8. — Evangelii quod pervenit ad vos, sicut et in universo mundo est, et fructificat, et crescit. Coloss. 1, 6.

«Nous sommes d’hier, disait Tertullien à tous » les persécuteurs du nom chrétien; et déjà vous » nous voyez répandus dans toutes les contrées » soumises à votre domination (2).» Avant lui un autre de nos apologistes, saint Justin, si voisin des apôtres, avait comparé l'Église, si horriblement déchirée par les persécutions, à la vigne qui, émondée par le fer, porte des fruits plus abondants et plus vigoureux (3). La même déclaration était faite à la fois par saint Irénée, saint Clément d'Alexandrie, Origène, Arnobe, Minucius Félix.

(2) Voy. la note i de la page 219. Il l’affirme avec toute la pompe de l’éloquence dans son discours aux Juifs, ch. vii. pag. 212.

(3) Dialog, cum Tryph. pag. 337.

Elle était confirmée authentiquement par les aveux du philosophe Celse, de Sénèque, de l’historien Tacite dans ses Annales (4), des empereurs dans leurs édits publics, de Pline dans sa fameuse Lettre à Trajan, où il accuse un très-grand nombre de personnes de tout âge, de tout ordre, de tout sexe d’être chrétiens. Ses paroles sont remarquables: » Ce mal contagieux n’a pas seulement infecté les » villes, mais il a gagné les villages et les campagnes, au point, ajoute-t-il, que les temples de l’idolâtrie étaient presque déserts, et les sacrifices » abandonnés (1). »

(4) Du philosophe Celse. Ους απο του πληθουσ ωναμασεν. apud Origen. adv. Cels. lib. v, pag. 272. εισ δεπλητος σπαρεντες. Ibid. lib. iii, pag. 118. De Sénèque, Apud S. August, tom. vii, ed. Bened. pag. 158, 106. De civit. Dei, lib. vi, cap. 2, où il dit, en parlant des chrétiens (qu’il confond avec les juifs): «Que les institutions de ce peuple impie avaient »pris un tel accroissement, qu’elles étaient déjà adoptées par tout le » monde, en sorte que les vaincus donnent la loi aux vainqueurs. »

De l'historien Tacite: Repressa in prœsens exitialis superstitio erumpebat, non modo pet Judæam, sed per urbem etiam. Annal. Lib. xv. cap. xliv. tom. ii, pag. 250.

Des empereurs dans leurs édits publics: Lettre d’Adrien et de Marc Antonin à la suite de l’apologie de S. Justin (à son article). L’empereur Maximin, écrivait aux habitants de Tyr: « Que l’erreur et l’impiété chrétiennes s’étaient répandues presque par tout le monde. » Eusèb. Hist, ecclés. lib. ix, ch. vii; et aux gouvernements des provinces de son obéissance: «Dioclétien et Maximien nos pères et prédécesseurs, ayant vu que presque tous leurs sujets renonçaient au culte des dieux, pour embrasser la secte des chrétiens, etc. » Ibid. ch. 9. — Ce qui empêcha d’abord Dioclétien de se livrer à toute sa haine contre le christianisme, c’était « l’inutilité des efforts faits par ses prédécesseurs, pour anéantir une secte que le sang même de ses martyrs ne faisait que féconder, et le danger, dit-il, de troubler la paix de l’univers, en répandant le sang d’un si grand nombre de personnes. » Lactant. De morte persecut. cap. ii. On en peut voir la preuve dans les détails de la persécution racontée par Eusèbe, Hist. liv. viii, ch. iv.

(1) Multi omnis œtatis, omnis ordinis, utriusque sexus... Certe satis constat prope jam desolata templa et sacra solemnia diu intermissa. lib. x, epist. xcvii. alias cii.

Ce langage exprimé de la part des adversaires avec l’amertume de l’orgueil qui ne peut se dissimuler sa défaite (1), de la part de nos apologistes avec la fermeté du témoignage qui se doit à la vérité (2), quelquefois même avec l’enthousiasme que donne l’espérance du triomphe (3), n'a rien qui soit contredit par l’état d’humiliation où la violence des persécutions retint la foi chrétienne durant les trois premiers siècles. Le divin Législateur qui ne voulait pas que son Eglise dut rien aux hommes, la laissait aux prises avec les hommes, pour manifester sa vertu par l’impuissance de leurs efforts. La lumière s’échappait à travers les nuages; mais les nuages couvraient tout l’horizon. C’était une lutte engagée entre le ciel et l’enfer, où la toute-puissance de l’un bravait sans cesse l’éternelle malignité de l’autre. Repoussé de toutes parts, le christianisme perçoit de toutes paris, et croissait par les persécutions mêmes. Non pas qu’il lire des persécutions sou principe d’énergie: S'il en était ainsi, il en aurait fallu conclure que la paix serait devenue son écueil. A la même époque où il parut, diverses sectes s’élevèrent dans la Judée, et pas une ne résista aux édits et aux armes de la puissance civile (1). Le paganisme, dans un sens contraire, environné de la faveur des princes, de sa longue prescription, de la reconnaissance des peuples qui croyaient lui devoir et la prospérité de l’empire et leur propre salut, soutenu par la pompe de ses fêtes et de ses spectacles, plus puissamment encore, par une éclatante complicité avec tout ce qui entraîne et perpétue la séduction du cœur et de l’esprit, n’aurait dû s’affaiblir jamais, puisqu’il ne fut jamais persécuté par les empereurs chrétiens. Pourquoi donc, demanderai-je avec tous nos saints docteurs, une différence aussi essentielle entre le christianisme et tous les autres cultes? Si ce n’est, répondent-ils, que le christianisme seul puisait dans la divinité de sa source le germe de vie et d’immortalité qui le propageait malgré toutes les contradictions, comme il devait le maintenir au milieu des pièges et des langueurs de la paix (1) ?

(1) L’empereur Marc-Antonin, dans l'édit cité plus haut à la page 221, adressé aux états d’Asie, s’exprime en ces termes: « Les chrétiens demeurent victorieux de vos tourments, puisqu’ils aiment mieux mourir que de vous céder. — Dans les actes des martyrs S. Épipode et S. Alexandre, on lit: Tune judex: Christiani.... persecutores suos vicisse se judicant. Ap. Ruynart, pag. 66.

(2) Ergo vincimus cum occidimur, Tertul. Apolog. cap. L Christianus occidi potest, vinci non potest. S. Justin, ad Diogn. pag. 498, et Apolog. I, pag. 54.

(3) B. Alexander dixit: Putas ne ergo extinctas animas quas fudisti? Illœ quidem cœlum possident; sed versa vice persecutores in illo agone perierunt.Fallit enim te opinio tua. Extingui non potest nomen christianum, quod ita Deo fundante firmatum est. Apud Ruynart. Act. martyr. pag. 66.

(1) C’est le raisonnement de Lactance et d’Origène. Le premier; Tot semper latrones perierunt, et quotidie pereunt; utique multos et ipse damnasti: Quis eorum post crucem suam non dicam Deus, sed homo appellatus est? Divin, inst. lib. v. cap. iii. Origen, adv. Cels. lib. i, n°27 et suiv. pag. 22, 25.

(1) S. Justin. Ep. ad Diogn. pag. 499. Apolog. ii, pag. 49. Origen. adv. Cels. supr. S. Joan. Chrysost. passim.

Mais jusqu’au moment où cette paix, achetée si chèrement, lui devait être enfin accordée; timide, cachée dans les antres profonds, soigneuse de cacher à l’œil des profanes le secret de ses mystères (2); heureuse de mêler, durant le silence des nuits, l’hymne de la piété et la lecture des saints livres aux accents de la prière et aux gémissements des mourants, du pied des autels érigés à la hâte sur les corps des martyrs égorgés la veille, et toujours prête à cimenter de son propre sang la pierre du nouveau temple, l'Église de Jésus-Christ osa enfin élever en faveur de l’innocence une voix suppliante; et la vérité courageuse unie au talent, produisit ces éloquentes apologies où le christianisme est vengé si puissamment des outrages de la calomnie et des préventions de l’ignorance.

(2) « Que le peu que nous venons de vous découvrir de nos mystères » vous suffise, dit S. Romain au gouverneur Asclépiade qui l’interrogeait » sur sa croyance. On doit sur ces matières garder un respectueux silence; et Jésus-Christ notre maître nous défend de jeter les perles devant les » pourceaux, de crainte qu’ils ne les foulent sous les pieds et n’en ternissent l’éclat et la blancheur. » Prudent. Hymn, de coronis, apud Ruyn. Act. martyr, pag. 382, tom. ii, de la Trad. franç. par Drouet de Maupertuy, pag. 14. « Nous ne révélons point nos mystères sans discernement » à quiconque vient à nous. Nous ne communiquons notre doctrine qu’après avoir bien examiné les mœurs et sondé les dispositions de chacun. » Origén. contre Celse, liv. vi, n° 10. Non enim gentili cuiquam de Patre et Filio et Spiritu Sancto arcana mysteria declaramus; neque palam apud catechumenos nos de mysteriis verba facimus; sed multa sœpe loquimur occulti, ut fideles qui rem tenent intelligant, et qui non tenent non lœdantur. Acta S. Archel. edit. Fabric, pag. 195,et S. Cyrill. Hierosolim. Catech. lib.vi. n° 29.

Il devenait impossible de se défendre sans attaquer à son tour. Pour que le christianisme accomplît ses destinées, et l’emportât sur la synagogue, sur l’idolâtrie, sur la fausse sagesse du siècle, il fallait tout abattre, tout anéantir autour de lui. Et cette entreprise, le christianisme osa la concevoir. Il l’a exécutée dans un temps où les dieux du paganisme étaient assis encore sur le même trône que les Césars; où les Césars eux-mêmes reconnaissaient ne régner que par la faveur de ces dieux protecteurs de leur empire; dans un temps où l’orgueil des sophistes s’était emparé de tous les sanctuaires de la science et de la sagesse, où toutes les passions tenaient les esprits et les cœurs enchaînés par des liens que fortifiaient de concert la nature, la coutume, la législation, les préjugés, l’éducation. C’est alors, au sein de Rome et d’Athènes au milieu des villes les plus voluptueuses et les plus éclairées, que le christianisme, non content de repousser les calomnies, ose intenter l’accusation; et, du pied des échafauds, s’avancer sur le champ de bataille. Cette Église, regardée dans le monde comme une étrangère, et n’étant à ses propres yeux qu’un néant (1), la voilà descendue dans une arène tout entière fumante du sang de ses martyrs. Et là, pâle, tremblante, traînant pour ainsi dire après soi les lambeaux des bûchers dont la seule lueur la faisait reconnaitre, portant encore sur le front les écriteaux qui la condamnaient à l’infamie et au supplice, on la voit engager fièrement le combat contre tout l’univers, provoquer à la fois les juifs, les païens et les philosophes, rétorquer avec autant d’érudition que de vigueur et d’habileté, contre les adversaires du christianisme, leurs propres arguments; et, tandis que, d’une main elle sape jusque dans leurs fondements tous les autels de la superstition, et toutes les écoles de la sagesse humaine, de l’autre, elle élève au seul Dieu de l’univers un temple tout rayonnant des trophées du génie et de la gloire de ses prédicateurs.

(1) Tanquam purgamenta hujus mundi. 1 Cor. iv. 13. Ανθροποι ουδενος αξισι S. Just. Dialog. cum Tryph. pag. 225.

Au reste l’homme ne fut pour rien dans cette œuvre. Le même Esprit divin qui avait donné à ses premiers apôtres (Act. ii. 3,4.) le don des langues pour en faire les prédicateurs des nations, dirigea la plume de leurs premiers successeurs. Quelques hommes, sortis du milieu des barbares (2) (car c’était ainsi que l’orgueil des Grecs et des Romains qualifiait tout le reste de l’univers), ou bien appelés, des ténèbres de la gentilité à la lumière évangélique (1), (car plusieurs d’entre eux, tels que saint Justin, Arnobe, Minucius Félix, Tatien, avaient commencé par être païens (2); devenus membres d’une secte obscure, déclarée infâme, dévouée à l’obscurité par son propre choix (3), ou aux échafauds par les édits sanguinaires de ses oppresseurs (4), attaquent à la fois ce colosse antique du paganisme, et ne lui laissent plus que des ruines dégradées.

(2) Non decet vos, o Grœci, odio tanto persequi barbaros. Tatian. ad Grœc. initio, pag- 141. A la suite du S. Justin, édit. de Cologn. 1686.

(1) De vestris fuimus fiunt, non nascuntur Christiani. Tert. Apol. n°18, pag. 16.

(2) Ego ipse Platonis disciplinœ sectator, cum calumniose audirem christianos deferri, etc. S. Jusl. Apolog. i, pag. 50. — Valedixi Romanorum jactantiœ, Atheniensium frigido sermoni, et barbaricam nostram philosophiam complexus sum. Tatian. pag. 170.

(3) Latebrosa et lucifugax natio. Minue. in Octav. pag. 20. Celse en explique la raison: » C’est, dit-il, pour se mettre à couvert des supplices qui leur seraient autrement inévitables. «Apud Origen. liv. i, n° 5.

(4) Christianos ad leones. Tertull. Apolog. pag. 36. Sceleratissimœ gentis (Senec.). Exitialis superstitio (Tac.). Genus hominum superstitionis novœ atque maleficœ (Sueton.). Sarmentitii et semaxii. Tert. Apol. n° 50.

Avec les juifs et les païens, l'Église naissante avait de plus à combattre une troisième sorte d’adversaires non moins redoutable. C’étaient les hérétiques, corrupteurs de sa doctrine et de sa morale, féconds en artifices, se faisant pardonner le nom de chrétiens à cause des services qu’en recevaient les communs ennemis du christianisme. La remarque en a été faite par saint Justin, Lactance, saint Cyprien (1); et les faits la justifient. Tandis que les ennemis de Jésus-Christ épuisaient contre ses vrais adorateurs les tortures anciennes, et qu’ils en inventaient de nouvelles; les hérétiques, qui l'étaient de notoriété publique, jouissaient constamment de la plus douce tolérance. Adroit machiavélisme renouvelé dans tous les siècles, par lequel, d’une part, l’idolâtrie, tentait d’affaiblir le christianisme en favorisant ce qui le divisait, de l’autre, ménageait des prétextes à la superstition, en imputant à ceux qui demeuraient dans l’unité les fautes souvent scandaleuses de ceux qui en étaient sortis (2).

(1) S. Just. Apol. i, pag. 21. —Lactant. Div. inst. lib. iv, cap. xxx. — S. Cypr. Epist. lxi, ed. Oxon. ad Lucium. lviii, ed. Pamel. « L’ennemi de Jésus-Christ ne persécute que les soldats de Jésus-Christ; il » méprise et laisse les hérétiques, parce qu’il les a déjà vaincus et assujettis, mais il s’efforce de terrasser ceux qu’il voit encore demeurer » debout. »

(2) « On remarque que ce fut particulièrement du temps d’Adrien, » que l’on commença à découvrir les abominations des Carpocratiens et » de quelques autres hérétiques du même genre, dont les infamies retombaient sur les plus saints des catholiques; parce que les païens confondaient ensemble tous ceux qui portaient le nom de chrétiens, et que, sans s’informer de la vérité des choses, ils les haïssaient tous » comme coupables des mêmes crimes qu’on avait découverts dans ceux «qui s’attribuaient ce nom sacré. Tillem. Mém. tom. ii, pag. 225, et Bossuet, Disc, sur l'hist. univ. 2e part. pag. 393, 394., éd. in-4° Paris, 1671.

C’était sur ce vaste champ de bataille que l'Église se trouvait jetée. (Matth., xxvi. 63.) Comme son divin instituteur, elle n’avait opposé d’abord que le silence à ses calomniateurs. Ses premiers disciples savaient mourir, ils ne savaient pas disputer. Son silence même paraissait un aveu tacite des crimes dont elle était chargée (1). A la voix éloquente de ses vertus et de son sang, elle voulut à la fin joindre la voix de ses écrits; et, tout en justifiant sa créance, démontrer l’insuffisance, l’impiété, l’erreur de tout ce qui s’en éloignait (2).

(1) Préface du traité d’Orig. contre Celse.

(2) « C’est là le grand, l’unique objet de la discussion; et la chose » vaut bien la peine d’être examinée. Vous êtes en droit d’exiger de » nous que nous prouvions que vos dieux n’en sont pas et qu’ils ne méritent aucun hommage. » Tert. Apol. n° 3.

Tel fut l’objet de tant d’excellents ouvrages dont se compose la seconde classe de ces écrivains ecclésiastiques que nous proposons à votre émulation comme étant une des sources les plus fécondes de notre éloquence sacrée. Vous ne tarderez pas, Messieurs, à reconnaitre combien nos plus célèbres prédicateurs ont profité de cette étude, autant pour fortifier leur enseignement de l’autorité de ces vénérables patriarches de notre foi chrétienne, que pour enrichir leur propre génie de toute la vigueur de leur dialectique et de l’éclat de leur talent.

II est bon que vous sachiez quels ont été les adversaires et les défenseurs dans une cause, où il n’est permis à personne d’être indifférent. Nous allons vous donner une notice des principaux écrivains qui, à cette époque de notre histoire, ont combattu la religion chrétienne par les calomnies et les sophismes qui se répètent encore de nos jours. Les plus fameux ont été Celse, Lucien, Porphyre, Hiéroclès, l’empereur Julien. Après, viendront nos apologistes les plus célèbres, tant de l'Église grecque que de l'Église latine.

 

§ I. ÉCRIVAINS CONTRE LE CHRISTIANISME.

I. CELSE.

Celse, «le grand ennemi des chrétiens, et qui « les attaqua dès les premiers temps avec toute l'habileté imaginable (1), » vécut, selon la plus commune opinion, vers le milieu du second siècle de l’ère chrétienne. Qu’il fût épicurien ou platonicien, n’importe (2). Ce qu’il y a de plus sûr, c’est qu’il rassembla dans un long acte d’accusation auquel il donna le titre de Discours véritable, tous les mensonges et les chicanes que la haine répandait contre la religion naissante. Nous lui accordons sans regret cet éloge, que l’on saura bien apprécier à sa juste valeur: Qu’il a épuisé toutes les calomnies qu’il soit possible d’imaginer contre le christianisme, en sorte qu’il ne reste à ses modernes détracteurs pas même le déplorable mérite de l’invention.

(1) Bossuet, Disc, sur l'hist. univ. 2e part. pag. 82, édit. in-4°.

(2) Voy. Tillem. Mém. tom. ii, pag. 374. Fleury, D. Ceillier, etc.

L’ennemi du christianisme le fait d’abord attaquer par un juif. Bientôt il lève le masque; et, enveloppant le christianisme dans la cause du judaïsme, il ne fait grâce ni à l’un ni à l’autre. On voit qu’il connaissait à fond l’ancien et le nouveau Testament, ainsi que les ouvrages composés par les premiers chrétiens. Après qu’il a chargé les deux religions de calomnies et d’invectives, il entreprend la justification du polythéisme, qu’il explique tantôt historiquement, tantôt d’une manière allégorique: Homère et Platon lui étaient familiers. On ne peut lui refuser de l’érudition, de la vivacité, ni une certaine adresse dans l’art de donner à ses objections l’arme toujours puissante du sarcasme et de la plaisanterie.

L’ouvrage de Celse nous a été conservé en entier par Origène, qui le suit pas à pas, et le laisse sans réplique.

II. LUCIEN.

Après Celse vint Lucien, plus bel esprit, et non moins savant, qui se plut à décocher contre les chrétiens quelques traits, dans son Histoire du philosophe Pérégrinus, et dans le dialogue intitulé Philopatris (1); peut-être encore dans quelques autres de ses ouvrages satiriques (1).

(1) On place, communément sous le règne d’Antonin le fait qui a valu à ce Pérégrinus la misérable célébrité dont il jouit. Lucien, qui le raconte comme témoin oculaire, y mêle des circonstances remarquables. Voici le sommaire de son récit. « Cet homme aimait, dit il, à changer son nom en celui de Protée; il était cynique de profession, et sa jeunesse avait été signalée par plusieurs crimes honteux qui pensèrent lui coûter la vie. Je n’insiste pas sur ces crimes, poursuit l’historien, mais je crois que ce que je vais dire est bien digne d’attention. Ennuyé de ce que son père, déjà parvenu à un âge avancé ne mourait pas assez tôt » il l’étouffa. Le bruit de ce forfait s’étant répandu, il s’en déclara coupable, en prenant la fuite; et après avoir longtemps erré, il vint dans la Judée où il s’unit aux chrétiens, et apprit d’eux leur admirable doctrine. En peu de temps il leur fit bien voir qu’ils n’étaient que des novices auprès de lui; car il ne devint pas seulement prophète, mais chef de leur congrégation. Il expliquait leurs Écritures, et en composait lui-même; si bien qu’ils le révéraient comme leur législateur et leur patron, et en parlaient comme d’un dieu. Cependant celui qu’ils adorent a été crucifié dans la Palestine, pour avoir introduit cette secte. Sur ces entrefaites, notre Protée ayant été arrêté et mis en prison à cause de sa nouvelle doctrine, cette disgrâce le combla de gloire (qui était tout ce qu’il désirait le plus au monde), le mit en plus grand crédit parmi ceux de cette religion, et lui donna la puissance de faire des prodiges. Les chrétiens, extrêmement affligés de sa détention, remuèrent ciel et terre pour le tirer de là; et n’en pouvant venir à bout, ils essayèrent du moins de s’en dédommager, en ne le laissant manquer de rien. On voyait dès le point du jour, à la porte de la prison, une troupe de vieilles femmes, de veuves et d’orphelins, dont plusieurs passaient les nuits auprès de lui, après avoir corrompu les gardes par argent. Ils y prenaient ensemble des repas préparés avec soin, et s’y entretenaient entre eux de discours religieux. L’on n’y appelait cet excellent homme que du nom de nouveau Socrate. Il lui arriva même des députés des églises d’Asie envoyés pour le consoler et lui apporter des secours d’argent; car c’est quelque chose d’incroyable que l’empressement avec lequel les gens de cette religion s’assistent dans leurs besoins. Ils n’épargnent rien en pareil cas. Pérégrinus profita bien de leurs largesses, qui lui fournirent de quoi se faire un gros revenu. Les malheureux sont fortement persuadés qu’ils jouiront un jour d’une vie immortelle; et ils courent d’eux mêmes s’exposer à la mort et aux supplices. Leur premier législateur leur a mis en tête qu’ils sont tous frères. Après qu’ils se sont séparés de nous, ils rejettent constamment les dieux des Grecs, et n’adorent que ce sophiste qui a été crucifié; ils règlent leur « mœurs et leur conduite sur les lois, méprisant tous les biens de ce monde, et mettant en commun ce qu’ils possèdent.

Cependant Pérégrinus fut mis en liberté par le gouverneur de Syrie, qui aimait la philosophie, et ceux qui en font profession. S’étant aperçu que cet homme désirait la mort par vanité et pour se faire un nom, il l’élargit, le méprisant assez pour ne vouloir pas le punir du dernier supplice.

Pérégrinus retourna dans son pays; et s’y voyant inquiété à cause de son parricide, il apaisa les murmures en se présentant devant l’assemblée du peuple, en équipage de philosophe, le bâton à la main et la besace sur l’épaule, et mieux encore, en distribuant de l’argent à ses dénonciateurs. Il reprit son métier d’aventurier, jusqu’à ce qu’abandonné par les chrétiens, et partout diffamé pour les plus honteux excès, il passa dans la Grèce, où il fit courir le bruit qu’il se brûlerait aux jeux olympiques, apparemment pour ressembler à Hercule. » Lucien, qui s’égaie à son ordinaire sur cette étrange bravade, soupçonne à ce nouvel Hercule la secrète espérance qu’on ne le prendrait pas au mot. Mais la partie était trop bien engagée. « A la fin des jeux, Pérégrinus accompagné d’une foule de cyniques qui tenaient des flambeaux à la main, alla mettre le feu au bûcher qu’il s’était préparé, et s’y jeta en invoquant ses dieux. » Lucien ajoute à son récit quelques plaisanteries qui semblent faire allusion aux miracles qui s'opéraient à la mort et sur les tombeaux des martyrs chrétiens. II le termine par ces mots: «Telle a été la fin d’un homme qui n’a jamais en de passion que pour la gloire, sans aucun amour de la vérité. »

Son dialogue intitulé Philopatris ou le Catéchumène, est une satire plus violente encore contre les mystères et les sacrements du christianisme. « Par qui veux-tu que je jure? demande un des personnages. L’autre répond: Par le Père céleste, éternel, tout-puissant; par le Fils issu du Père, par le Saint-Esprit procédant du Père; un de trois et trois un. (Trad, de Perrot d’Ablanc. ) Il ne faut pas divulguer ces mystères; mais je t’apprendrai si tu veux ce que c’est que cet univers; comment et par qui il a été formé, ainsi que me l’a enseigné le Galiléen qui a été ravi au troisième ciel, où il a appris des choses merveilleuses. Car j’étais auparavant comme toi; mais il m’a renouvelé par le baptême, et m’a racheté des enfers pour me mettre dans le chemin des bienheureux. »

Il donne l’histoire de la création du monde, telle a peu près que Moïse la raconte: « Les ténèbres furent dissipées par une lumière invisible, incorruptible, incompréhensible; et le chaos dissous d’une seule parole qui fonda la terre sur les eaux, comme l’a dit ce bègue (Moïse), étendit le firmament, forma les étoiles fixes, et donna le cours aux planètes que tu adores comme des dieux, orna la terre de fleurs, et créa l’homme du néant. C’est cet esprit qui est dans le ciel, d’où il contemple les choses justes et injustes, et écrit en un livre toutes les actions des hommes pour rendre à chacun selon ses œuvres, au jour qu’il a déterminé. » ( Même traduction.)

Il parodie d’autres paroles de nos Ecritures, telles que celles-ci: « Qui » fait mal à son prochain, il lui en sera fait à lui-même. Dieu a étendu le ciel comme une peau. Celui qui a créé l’homme, pénètre tous les secrets de son cœur. »

Il représente les chrétiens comme des gens pâles, décharnés, courbés contre terre, ne se plaisant qu’à s’entretenir de nouvelles fâcheuses; sur quoi il s’écrie: « O pauvres malheureux ! ne vous élevez point de paroles, de peur d’irriter les lions qui ne respirent que le sang et le carnage. »

Il parle des jeûnes des chrétiens, de l’usage où ils étaient de passer les nuits à chanter des hymnes et des cantiques, de commencer l’oraison par le Père, etc.

Cet écrit, s’il est de Lucien, fut composé sous Trajan, dont il célèbre la victoire sur les Perses.

(1) Eosdem (Christianos) in asino quoque suo semel ex obliquo perstringere videtur. Cave, Script, eccles. pag. 57.

 

III. PORPHYRE.

Porphyre, au troisième siècle, renouvela le combat: il publia contre la religion chrétienne un ouvrage divisé en quinze livres (2). Saint Augustin, admirant la subtilité de son esprit, l’appelle le plus habile des philosophes (1). Notre saint docteur ne courait aucun risque à être généreux. Il ne nous en reste que des fragments.

(2) Ce sont nos écrivains ecclésiastiques qui nous ont fait connaître les ouvrages de nos adversaires. Porphyre doit à Eusèbe de Césarée, à S. Grégoire de Nazianze, à S. Jérôme, à S. Augustin, comme Celse à Origène, de n’être pas mort tout entier.

Le grand système des attaques livrées au christianisme par Porphyre et en général par toute l’école platonicienne, depuis Jésus-Christ, était de détruire la divinité de ses miracles par ceux de la théurgie ou de l’opération des démons. Porphyre en fait une science dont il établit les principes et les règles; explique, par les secrets de la magie, les œuvres extraordinaires de Jésus-Christ qu’il ne dissimule point; verse, autant qu’il peut, le ridicule sur sa personne et sur ses disciples. Il rapporte, entre autres choses, que « Quelqu’un ayant demandé â Apollon à quel dieu il devait s’adresser pour faire quitter à sa femme le christianisme, Apollon lui répondit: Il vous serait peut-être plus aisé d’écrire sur l’eau ou de voler dans les airs, que de guérir l’esprit de votre épouse impie; laissez-la donc, dans sa ridicule erreur, chanter d’une voix lugubre un Dieu mort qui a été condamné publiquement à un supplice cruel par des juges très-sages. S. Aug. De civ. Dei, lib. xix, cap. xxiii. tom. vii, edit. Bened. pag. 566.

Porphyre trouva des disciples enthousiastes qui enchérirent encore sur les leçons de leur maître. Jamblique, le plus célèbre d’entre eux, publia, sous le titre de Mysteriis, un livre plein de rêveries et d’impiétés, où il abuse évidemment de l’esprit et des expressions de nos livres saints. La théurgie est, selon lui, l’entière purification de l’âme, sa parfaite délivrance, le principe de sa transformation, le lien qui l’unit aux puissances supérieures, au souverain maître de l’univers, le germe de la béatitude céleste, la béatitude céleste elle-même. Dans un autre de ses livres, qu’il intitula Vie de Pythagore, ce philosophe est mis en parallèle avec Jésus-Christ, et les contes les plus absurdes, en opposition avec les récits augustes de nos saints Evangiles.

(1) De civit. Dei, lib. xxii, cap. iii, tom. vii, pag. 657. — S. Jérôme est bien plus tranchant: Discant ergo Celsus, Porphyrius, Julianus, rabidi adversus Christum canes. Polog. lib. de script. eccles. tom. iv, pag. 98.

 

IV. FRONTON.

Sous l’empereur Commode, l'orateur Fronton avait débité des harangues pleines des plus violentes déclamations contre les chrétiens. Non ut affirmator testimonium fecit, dit de lui Minucius Félix, sed convicium ut orator adspersit (1). A défaut de preuves, il est toujours plus facile de dire des injures.

1) Minuc. in Octav. pag. 303, edit, in-8°, Lugd. Batav. pag. 303.

 

V. HIÉROCLÈS.

Hiéroclès, magistrat païen, composa un ouvrage plus sérieux sous le nom de Philalethès, ou V Ami de lavérilé,à&ns lequel il s’attachoit particulièrement à dëcre'diter les miracles de Jésus-Christ, en leur opposant ceux d’Apollonius de Tyane. Eusèbe l’a combattu par une refutation directe. On conjec-turc que c’est le même que Lactance a flétri en passant, dans l’endroit de ses Institutions, où il parle d’un philosophe si humain dans son langage, qui choisissait pour calomnier les chrétiens le moment où la sanguinaire persécution de T)io— clétien et de Maximin se déchaînait contre eux avec le plus de fureur; comme si ce n’eût pas été assez, de leur ôter la vie, sans leur ravir encore l’honneur (2).

(2) Lactant. Dû’, inst. lib. v, cap. 11, page 4*u· 1*2י, ed. varior.

 

vi. l’empereur JULIEN.

Mais le pins vraiment dangereux de tous ces adversaires, fut l’empereur Julien, surnommé l’Apostat. Libanius, philosophe païen, ami de ce prince, et qui nous a laisse' son oraison funèbre, en parle en ces termes: « Quand Julien parvint à l’empire, ceux »qui suivaient une religion corrompue (il parle des »chrétiens) craignoientbeaucoup, ets’attendoient » que le nouveau maître alloit inventer contre eux de » nouveaux genres de tourmens, au prix desquels »lesmutilations, le fer, le feu, être submergé dans »les eaux, enterré tout vif, paroîtroient des peines »légères; car les empereurs précédons avoient em» ployé contre eux ces sortes de supplices, et ils s’at-» tendoient à se voir exposés à de plus cruels (1).» Julien prit une marche différente. Sans renoncer tout-à-fait au système des persécutions sanguinaires (caries païens eux-mêmes lui en ont reproché, et ses propres lettres en offrent la preuve) (2), il les attaqua par les séductions et par des écrits.

(1) Orat.fun. n° 58. Bibl. §7’. Fabtic. tom. vu, pag. 283. Bullet, pag. 31.

(2) L’expérience lui avoit bien appris que le christianisme prenait des accroissemens par le carnage que l’on faisait de ceux qui le professaient (Liban, dans Bullet,supr.). Toutefois, bien qu’il eût changé de système, il ne laissa pas d’y avoir sous son règne des martyrs, et par ses ordres. On peut voir dans Tillemont le tableau de la persécution exécutée et commandée par ce prince, surtout contre les catholiques(Mém. t. vu, art.vu, vin et suiv.). Les violences exercées contre les chrétiens, dans les villes de son empire où le paganisme s’étoit relevé, non-seulement n’étoient ni prévenues, ni réprimées; elles étoient approuvées, soit par une connivence ouverte,soit par des ordres directs. Si la fureur des païens s’est portée jusqu’à profaner et détruire des tombeaux, et violer la cendre des morts, ce n’est là qu’un excès de zèle dont ne saurait les punir un père qui leur est plus cher que leurs propres enfans. Rlisopog. pag. 9a. A travers sa feinte modération, perce le fanatisme à qui il faut du sang· *Ces hommes sans religion (désignant par-là les chrétiens), que mon ״frère Constance de glorieuse mémoire faisoit manger à sa table, je les ·> ai précipités de mes propres mains dans des cachots affreux, pour faire ״périr parmi nous jusqu’à la mémoire de leurs noms. ״Lettre xxv à la comm. des Juifs. Il ne se contentait pas de livrer les chrétiens au ridicule par le mot de Galiléens; il les désigne par celui à’Athées, plus fait pour irriter les peuples et provoquer leurs vengeances, Fragm. n° 557· Il veut que les Galiléens soient chassés de toutes les fonctions publiques, même du sein de leurs familles. Lettr. xtix à Arsac. pontife de Galatie. Aussi les païens eux-mêmes ont-ils blâmé Julien d’avoir été un trop grand persécuteur des chrétiens, quoiqu’il affectât de s’abstenir de verser leur sang. jMrnius religionis christiance insectator, perinde lamen ut cruore abstineret, dit Eutrope (lib. x, n" 16.). 11 ne réussit pas mieux à éteindre le christianisme par ses artifices et ses livres, que ses prédécesseurs n’avoient fait par leurs édits et leurs échafauds.

Julien est comme écrivain ce qu’il étoit comme empereur. Sa haine contre le christianisme n’éclate point par des aggressions à découvert;il ne déploie pas un grand appareil de guerre. Ce n’est pas la tactique sérieuse de l’érudition et de la dialectique; il s’en tient en quelque sorte à de simples escarmouches. Au système vieilli des calomnies absurdes et dégoûtantes dont on avoit chargé les chrétiens, il substitue les traits de saitre décochés comme au hasard, les insidieuses allusions, les louanges hypocrites et les diffamations, remplaçant les échafauds par les sarcasmes, et les proscriptions par le ridicule. Aussi n’avons-nous de lui aucun ouvrage direct contre le christianisme (1), mais seulement des invectives éparses dans sa correspondance confidentielle, soit avec les philosophes de son temps, et les prêtres des idoles, soit avec les gouverneurs de province.

(1) Il semble avoir eu le dessein d’en composer un en trois livres, ou il se flatte de porter au christianisme des coups plus décisifs que ne !’avoient fait avant lui Celse, Hiéroelès, Porphyre, dont il répète les objections; il ne l’a pas exécuté. Il n’a fait que ramasser des pensees confuses, entassées sans aucun ordre. S. Cyrille en a conservé les prin-eipales dans ses livres contre ce prince. Il nous apprend dans la préface de sa réfutation que les philosophes de la cour impériale avoient eu la plus grande part à l’ouvrage que le prince méditoit.

» Je ne veux point, écrîvoit-il, qu’on traîne aux «autels les Galiléens, ni qu’on leur fasse le moindre « tort; ils sont plus insensés que médians. Tâchons, »s’il est possible, de leur faire entendre raison, et «de les gagner par la douceur. Nous ne devons pas «les haïr, mais les plaindre. Ils ne sont déjà que «trop malheureux de se tromper dans la chose du «monde la plus essentielle (2).

(2) Epist. vu, pag. 120. xmi. 196.

» Il y a un peu plus de trois cents ans que Jésus-«Christ est renommé pour avoir persuadé parmi «vous quelques misérables. Pendant sa vie, il n’a «rien fait qui mérite qu’on en parle; à moins qu’on «ne compte pour de grandes actions d’avoir guéri »les aveugles el les boiteux, et conjuré les dérno-»niaques dans les bourgades- de Bethsaïde et de »Béthanie (1 ).

(1) Dans S. Cyr. liv. x. La Blett. Vie de Julien, pag. 550, note. Fleury, Hérault-Bercast., Hist. del'Egl., toi». 11, pag. 281 et suiv.

» Que ceux qui ont vu ou entendu parler de ces » hommes assez sacrilèges pour insulter aux temples »et aux images de nos dieux, ne forment aucun doute » sur la puissance el la supériorité de ces mêmes »dieux. Qu’ils ne prétendent pas nous en imposer »par leurs sophismes, et nous effrayer par leur cri »de Providence. Il est vrai que les prophètes parmi »les Juifs nous ont reproché tous ces désastres... »Mais il est certain qu’il n’y a jamais eu parmi les »Juifs de bons prophètes, ni de savans interprètes » des volontés divines. La raison en est claire: » ils ne se sont jamais appliqués à cultiver, et à per» fectionner leur esprit par l’étude des sciences hu»marnes; ils n’ont jamais tenté d’ouvrir des yeux »que fermoitl’ignorance, ni de dissiper des ténèbres qu’entretenoit leur aveuglement.... Ces prétendus maîtres de sagesse qui se vantent de nous »donner les idées les plus simples de la divinité, »sont bien inférieurs à nos poètes (2).

(2) l-’ragm. pag. 540. Bullet, pag. 279 et suiv.

»Le devoir des peuples est de présenter des victimes. Mais non; vous permettez à vos femmes »de vous ruiner en faveur des Galiléens; elles font» admirer !’impiété à une foule de mise'rablesqu’elles »nourrissent à vos dépens; vous donnez vous-mêmes »à vos femmes l’exemple de mépriser les dieux; et »vous osez vous croire innocens (1) !

(1) Alisopog. tract, par La Blet. pag. 536. Kie de Jovien.

»Ceux qui enseignent doivent être de bonnes » mœurs, et conformer leurs senlimens aux maximes »publiquement reçues, et à ce qu’ils enseignent »eux-mêmes. Conséquemment, il est de mauvaise »foi d’expliquer aux jeunes gens les anciens au-» teurs, les leur proposant comme de grands person-»nages,et condamnant en même temps leurreli-»gion. Homère, Ile'siode, Démosthène, Hérodote, »Thucydide, Isocrate etLysias ontreconnu les dieux »pour auteurs de leur doctrine. Les uns ont cru être »consacrés à Mercure, les autres aux Muses. Puis-» qu’ils ( les chrétiens ) vivent des écrits de ces au-»teurs, ils se déclarent bien intéressés de trahir leur » conscience pour unpeu d’argent. Jusqu’ici il yaeu » plusieurs raisons de ne pas fréquenter les temples; »et la terreur répandue partoutétoit une excuse de »ne pas découvrir les senlimens les plus véritables »touchant les dieux. Mais puisqu’ils nous ont eux-»mêmes donné la liberté, il me paroîlabsurde d’en-»seigner ce que l’on ne croit pas. Si ceux-ci esti-»ment sage la doctrine des auteurs dont ils sont les »interprètes, qu’ils commencent par imiter leur »piété envers les dieux. S’ils croient qu’ils se sont »trompés sur ce qu’il y a de plus important, qu’ils »aillent expliquer Matthieu et Luc, dans les églises » des Galiléens. Cette loi n’est que pour ceux qui »enseignent pour les jeunes gens, ils auront la li-»berté d’apprendre ce qu’ils voudront. Il seroit »juste de les guérir malgré eux comme des fréné-»tiques; mais je leur fais grâce, et je crois qu’il faut, »instruire les ignorans et non pas les punir (1). »

(1) Traduit par Fleury, Hist, ecclés. liv. xv,n’ 6, t. 11, pag. 11, edit, in 12.— D. Cellier, Hist, des écriv. tom. vin, pag. 5yg. « U n’y a rien, »dit à ce sujet Tillemont, de plus célèbre dans toute la persécution »de Julien, que la défense qu’il fit aux chrétiens par une loi expresse «dès le commencement de son règne d’apprendre les lois humaines et » d’étudier les auteurs païens. Cette loi suivit apparemment celle qu’il »publia pour défendre aux anciens d’enseigner la rhétorique, la gram-«maire et même la médecine.» Mëm. tom. vu, pag. 544·

Voici comme en parle saint Jérôme: « Julien se » disposant à porter la guerre contre les Partîtes, »publia contre notre divin Sauveur sept livres, » où il se confond lui-même dans les fables qu’il » invente. Si j’élois dans l’intention de lui répon-» dre, vous seriez le premier à m’en dissuader. »Mérite-t-il qu’on déploie contre lui la massue » d’Herculc ? Il a été assez confondu par celui qu’il » appeloit le Galiléen, et qui a châtié ses blasphèmes » par le trait dont il l’apercé dès le commencement » du combat (2). »

(2) Epist. ad Magnum, tom. 1v, cd. Bened., pag. 65.5.

 

§II. ESPRIT DE LEURS OUVRAGES.

Le christianisme avoit donc à lutter contre tous les genres de persécution, attaqué à la fois parles Césars, les peuples, les philosophes.

Ces derniers secondoient puissamment les efforts de l’autorité, et les mouvemens de la haine publi-que par une guerre de plume non moins formidable que la flamme des bûchers.

Leurs attaques portaient sur la doctrine, sur la morale, sur les disciples. La doctrine: Ce que l’on y croyoit des dieux du paganisme; ce que l’on y croyoit de Jésus-Christ.

Les chrétiens se faisoient gloire de professer que les divinités adorées par le paganisme n’avoient été que des hommes, ou n’éloient que des démons( 1); flétris par les désordres les plus honteux, et châtiés dans les enfers par d’éternels supplices; idoles vaines et impuissantes, dont le culte étoit aussi ab-surdc aux yeux de la raison, qu’il étoit abominable à ceux de la religion. Le christianisme, qui réprou-voit ces sortes de divinités, étoit accusé de n’en admettre aucune. De là ce nom cVathées et d’impies ( 1 ), prodigue' aux chrétiens dans les tribunaux, dans les émeutes populaires, dans les écrits des philosophes, et dans l’opinion publique. La prévention s’accréditait par l’éloignement invincible où ils se te-noient des assemblées publiques, des temples et des fêtes consacrées au paganisme, des spectacles et des fêtes instituées en l’honneur de la religion de l’état (2). Quelle différence d’un culte qui se célébroit dans de somptueux édifices enrichis de tous les chefs-d’œuvre de l’art, et dont la magnificence, rehaussée par la présence des Césars et la pompe de leur cour, sembloit rendre les immortels eux-mêmes visibles aux yeux des hommes, où l’air était parfumé des plus douces essences, où les pontifes, partagés en chœurs nombreux, tous vêtus superbement, tous couronnés de guirlandes, pre'sen-tant à l’autel les victimes ornées de fleurs, ne marclioient qu’au bruit des plus mélodieux cou-certs, à travers les îlots d’un peuple immense qui venoit remercier les dieux de lui avoir donne' l’em-pire du monde: quelle différence avec un culte sim-pie, enfermé dans les souterrains et dans le silence des nuits, se dérobant à tous les regards, sans appareil extérieur, sans images ni statues connues du peuple (1), sans hécatombe sanglante, n’intercom-pant ses tristes psalmodies que par de plaintifs gémissemens! El cette farouche misanthropie, ces éternelles austérités, ces lents suicides, cette fuite des dieux et de la société tout entière qui les met-toit en guerre avec tout le genre humain; quel en étoit l’objet? En l’honneur de qui cette conjuration déclarée contre le ciel et la terre, contre les autres et contre eux-mêmes (1) ? En l’honneur d'un homme obscur, d’un Juif né dans la lie d’une na-lion odieuse à tous les peuples; dont la vie, sans autre éclat que celui de. sa mort, s’ctoit terminée par un supplice infâme (2). Mais quelle doctrine encore ce prétendu Messie éioit-il venu révéler au monde? Une doctrine inouïe jusque-là, suspecte par sa nouveauté seule, hérissée de mystères incon-eevablcs à la raison, contraires à la nature (3). C’é-toit là l’étrange divinité à laquelle on venoit subs-tituer un Jupiter escorté de toute la gloire de Γ0-lympe, et des adorations du genre humain; la doctrine que l’on prétendoil élever sur les ruines de l’ancienne croyance universelle, soulenue par l’ap-plaudissenient des sens, par tous les monuinens du génie (1)!

(1) Deos non esse quos colit vulgus, hinc notant est... S. Cypr. de idolor. irazû. Tertull. Αρο1.η"χ, p. 8, edit. Oxon. Provocamusa vobis ad conscientiani vestram: ilia nos judicet, ilia nos damnel, si pote rit uegare omnes islos deos vestros homines Jùisse.—Si eadem et dœmones operantur quœ et dii vestri, ubi est ergo prœcellenlia dirinitatis ? Ibid, n" xxm. Unde manifestum est homines illos Juisse, quos etnalos legimus, et niortuos scimus. Minuc.. in Octav. pag. 67. Putatis deos esse quos nos dœmones scimus. Tert. Apol. n° 2.

(1) Ως άθεων xas ασεξωνχριστιχνων cv-ων. Quasichiïstiani sintalheiet impii. Apud S. Justin. Apol.u, p. 56. Aips αθίους: Toile atheos. Apud Euseb. lib. iv, cap. xv.

(2) Nos qui moribus el pudore censentur, merilo malis voluptalibus et pompis veslris et spectaculis abslinentus, sacrificiorum reliquias et pocula delibata contcmnimus.....Sola vobis relinquimus lempla. Tort.

Apol. nק5 ״. el Orig. contr. Cels. lib. vin, n° 21, 24, 28. Nos veto suspensi intérim atque solliciti, honestis ■voluptatibus abstinelis; non spectacula visitis, non pompis inlerestis; convivia pubhca absque vo-bis, sacra certamina, prœceptos cibos, et delibatos allaribus potus abhorrelis. Sic rejormidatis deos quos negalis. Non floribus capul nectilis, 71011 corpus odoribus honestatis. Octav., apud Minuc. pag. 115, > 14· Saint Justin, Apolog. 11, pag. 58 et 69.

(1) Culte simple, enfermé dans les souterrains. La persécution ne laissoit d’asile aux chrétiens que dans les réduits les plus reculés, les catacombes, Baron, (ad ami. 5y, n°gg), cryptes ou caves souterraines, que Terttdlien nomme dre ce sepulturanim (ail. Scap, n° 5);cimetières hors des villes ou sépulcres des martyrs, Gesta purgal. Cœcil. ad cal cem Oplat. pag. g6. Encore souvent la rigueur des édits et des perse־ cuteurs venoit-elle les enchâsser, ouïes y ensevelir eux-mêmes; témoin ce que Lactance raconte d’un gouverneur de Phrygie sous Dioclétien, qui fit porterie feu à l’endroit où étoient rassemblés les chrétiens, et les y fit tous périr: Universum parilej' populum cam ipso panier con-venticido concremavil. (Inst. lib. v, n° 11, pag. 490.) El dans le silence des nuits. Latebrosa et lucifugax natio. Minnc. pag. 75. Se dérobant à tous les regards. Nunquam palam loqui, nunquam libéré congrcgari. Noctumis congregationibus, non sacro quodam, sed piaculoJlederan lur.Ibid, pag. 7.5, gô, edit. Varior. Sans images ni statues. Orig. adi׳. Cels. lib. vu, pag. ô-j. Putatis autem nos occullare quod colimus. si delubra et aras non habenms? Minuc. pag. g5.

(1) Homines deploratœ, inlicitœ ac desperatœ factionis, gras sari in deos non ingemiscendum est ? qui de ultima colleclis fece imperilio-ribus, plebem prqfanœ conjurationis instituant;.... Templa ut busta despiciunl ipsi seminudi. Minuc. pag. yo, ÿ5.

(2) Par un supplice infâme. Celse dans Orig. liv. 11, pag. 60.« Les » chrétiens ont quitté les dieux éternels pour adorer un Juif mort. » J ulien, dans S. Cyrille, liv. v. Colitis hominem natum,et quodpersonis infâme est vilibus, crucis supplicia interemptum, et Deum fuisse contenditis, et superesse adhuc creditis, et quotidianis supplicationibiis adoratis. Arnob. lib. 1, n° 25. Volusien dans S. August. Lettre cxxxv. Tryphon dans S. Justin, pag. 249-

(3) Pline, Suétone, Tacite, J ulien: « C’est à nous, à nous seuls à parlei » la langue des Grecs; a nous à rendre aux dieux le culte qui leur est dû. • Pour vous, votre paitage est la stupidité et la grossièreté; toute votre י sagesse consiste à dire: Je crois. «Julien, Epist. xxi ad Pleb. Alezan. Idem. Epist. xxm ad Theodor, pontifie. dansS. Gregor. Nazianz. et S. Cvrill. Ilierosolym. Nobis objectare consuetis novellam esse rehgto-lient nostram, et ante dies natam propemodum paucos. Arnob. p. gâ.

Dans le dialogue de S. Justin avec Tryphon, ou lit que » les corn-׳ mandemens prescrits par !’Évangile sont d’unesihaute perfection, qu’il «·Ί impossible â qui que ce soit de les observer. » pag. 23y.

(1) Celse dans Origène: » Λ plus forte raison, les chrétiens ne sou-»tiendront pas la comparaison de leur Jésus avec Jupiter ou Apollon. » Liv. n, pag. 134· Julien s’adressant aux chrétiens, leur demande avec une feinte pitié: »Pourquoi, méprisant nos dieux, avez-vous embrassé la reli »gion des Juifs ?Est-ce parce que les dieux ont donné l’empire à Rome ? » Répondez-moi: Lequel vaut mieux d’être toujours libre et de comman-» der pendant deux mille ans à la plus grande partie de la terre et de la »mer, ou d’être assujetti à des étrangers? je ne crois pas que personne »soit assez insensé pour préférer le second. » Dans S. Cyrill. liv. vi, et vu. Et Fleury, Hist. ecclés. liv. xv, n°34, tom. iv, éd. in-12, pag. 72.

Symmaque de même, personnifiant la ville de Rome dans sa requête en faveur du paganisme présentée aux empereurs Valentinien, Théodose el Aicadius, la fait parler dans ccs lennes: » Princes très-bons, pères » de la patrie, révérez cette longue suite d’années que je dois à ma re-»ligion. Qu’il me soit permis de pratiquer mes anciennes cérémonies; »je n’ai pas eu lieu de me repentir d’y avoir été fidèle jusqu’ici. Que je »puisse vivre suivant mes antiques institutions, parce que je suis libre. »C’est le culte que je rends aux dieux qui m’a soumis toute la terre; »ce sont mes cérémonies sacrées qui ont repoussé les Gaulois du Capi »tôle, etAnnibal du pied de mes murailles. » Ep, liv, liv. x.

Après le maître, qu’étoient-cc que ces apôtres ן chargés par lui d’aller répandre son enseignement ? Quelques Juifs, en butte à l’animosité de leurs concitoyens, aux jaloux ressentimens des prêtres; d(* misérables pêcheurs, sans lettres, sans science, sans nulle éducation (2); tantôt foibles, timides, dépourvus de l’énergie nécessaire aux grands crime.'» comme aux grandes vertus (1); tantôt des enthou-siastesde qui toute !’habileté' consiste à s’être appro־ x prie quelques lambeaux des livres de Platon (2): et dont toute la célébrité leur vient de leur démence (3): douze hommes dont la condition, l’extérieur, le langage et les manières n’inspirent que le mépris (4). Ils parlent de miracles qu’ils attribuent à leur Je'sus, et lui donnent le nom de Dieu, parce qu’il auroit opéré des œuvres en effet surnaturelles. Etoit-ce donc quelque chose de si mémorable et de si extraordinaire que de guérirdes boiteux, demarcher sur les eaux, de rendre la vue à des aveugles, de conjurer des démons(5) ?Mais, en supposant ces miracles vrais, les disciples en ont opéré déplus grands(6).

(2) !Ζωτικοί. Celse dans Origène, liv. >11, u68 ״. Homines ntslicos et pauperes. Dans S. Jérôme, in ps. 91. 7llilteralos, paupereà el imperitos. Octav. apud Minue.

(1) D’où vient que Cclse et Julien appellent les apôtres des gens sim-pies, ne pouvant faire par eux-mêmes ni bien ni mal. Celse dans Ori-gène, pag. 86. Édit. Cantabr. Le bon homme Jean, s’écrioit lesophisle r ouronné. Voy. Fleury, supr. pag. >02.

(2) Celse insiste longuement sur ce qu’il appelle le plalonisme de« chrétiens, ou les larcins faits par eux à l’école du Pyrée. Origène le réfute dans son cinquième livre, pag. 2B et suiv.

(3) Μωρία» εινα! τον z.oycv ■ηρ,ων. Tbeoph. ad Autolic. pag. 381. Tatian. adv. gentes. pag. 270, â la suite de S. Justin.

(4) Celse dan« Origène, pag. 86.

(5) Fleury, Tillemont, Abbadie, tous nos apologistes, ont recueilli les.!veux des païens en faveur des miracles de Jésus-Christ. On peut con-suiter à ce sujet, le premier dans son Hist. ecclés., liv. xv, tom. 1v, édit. in-12,pag. 101; La Bletterie, par rapport à ceux de Julien, dans sa vie de ce prince, pag. 147; Bullet et Colonia sur les aveux que fournissent les calomnies même débitées par les Juif«.

(6) Celse dan« Orig. pag. 55.

Avant eux, les prophètes de la Jude'e en avoient fail encore de plus extraordinaires; se donnoicnt-ils pour Fils de Dieu (1)?Jésus a fait des miracles;soit. Elevé dans les sciences des prêtres de l’Egypte, il tenoil d’eux les secrets de la magie (2). A leur exemple, il a fasciné les yeux d’une multitude ignorante el superstitieuse. Ces sortes de prestiges ne se sont-ils pas fréquemment renouvelés sous nos yeux !' Témoins tous ceux que l’on raconte d’un Apollo-nius de Thyaue, d’un Maxime, d’un Apulée, de tant d’autres, qui ne furent que des imposteurs. Des encliantemens ne sont pas des prodiges. Ils lescroicnt, qu’en conclure ? que ce fut l’œuvre du démon. Pourquoi a-t-il refusé d’en faire quand il en a été requis ? pourquoi ne s’est-il donné pour témoins que des hommes de néant? Quels biens, après tout, ces miracles ont-ils procurés à sa fa-mille, à sa secte, à sa nation (3) ? Il venait, disoit-on, accomplir les oracles des prophètes, en se faisant reconnoitre pour le Messie qu’ils avoient annoncé? Mais ce Messie tant promis à la Judée, ce devait être un puissant monarque, libérateur de son pays; il ira s’asseoir sur un trône de gloire plus éclatant que celui des Salomon et des David; el de là, à la tete d’armées formidables, il subju-gucra toutes les nations, et enrichira de leurs dépouilles le temple de Jérusalem (1). Celui-ci, il ne montre pour berceau qu’une étable, pour trône qu’un gibet infâme, pour sa royale cour el pour armées, qu’une troupe stupide de femmes de mauvaise vie, d’hommes grossiers et corrompus, de bateleurs et d’esclaves (2), qui négligent les biens presens pour je ne sais quels biens à venir, meurent tous les jours par un choix volontaire, dans l’espoir d’une résurrection chimérique (3). Ce Dieu qui s’étoit montré si puissantsurlesâmcs et sur les corps, il avoit donc laisse' sa divinité au fond de son sépulcre ? carde quel secours est-il à ses adorateurs? Bonnes gens qui se promettent d’immortelles félicités après la vie, et qui, en attendant, ne sauroient compter sur un joui־ de paix! Leur Dieu ne sait pas les garan-tir de la plus cruelle mort, également méprisable s’il le veut et ne le puisse pas, ou s’il le peu! et qu’il ne le veuille pas (1).

(1) Ibid. pag. 44 et suiv. Dicil incrcdulus quod et prophelœmiracula multajecerunt. Isid. Sevill. de nativ. Domini, cap. 17.

(2) Ibid. pag. 22, 5y. Hicroelès réfuté par Eusèbe. Démonstr. èvang’ pag. 511, 514· Et Bossuet, Disc, sur l’iiist. univ. pag. 380, in-4", Paris, 1681. Les lettres 155 et 156 de S. Augustin. —Magns fuit; clandesr tinis artibus omnia ilia perfect L; Ægyptiorum ex adytis, angelorum potentium nomina et remotasJuratus est disciplinas. Arnob. ade. genl. lib. 1, pag. 25. Nejacta ejus mirabilia uegarel, voluit ostendere Apol-loniumvel paria, veletiam majoraJ'ecisse. Lact. div. inst., lib. v cap. 5, pag·464·

(3) Celse dans Orig. liv. 1, n" 67 el 68. — Julien dans S. Cjrill. liv. vi. «:Quels biens Jésus a-t-il procurés aux siens, qui n’ont pas même «voulu le reconnoitre? Mais lui qui comniandoit aux demons, et les chassoit, qui marchait sur les eaux de la mer, qui, à ce que vous pré» tendez, aurait créé le ciel et la terre, il n’auroit pu changer les senti-מ mens de ses amis et de ses proches pour leur procurer le salut ? »

(1) «Le Juif, sous le masque de qui Celse se cache dansOrigène, dit »que le Messie annoncé par les prophètes de voit être un puissant monar-»que dominateur de tous les peuples de la terre. » Orig. pag. 78. Telle étoit en effet l’opinion répandue chez les Juifs et dans tout !Orient au temps ou Jésus-Christ parut. Sueton. inKespas. cap. 4. Bossuet, Disc, sur l’hist. tuiiv. pag. 344 et suiv.

(2) Julian. Apud S. Gregor. Naz. Orat. n. S. Cyrill. lih. vi. Cels. ap. Orig. pag. 141 et suiv. Octav. ap. Minuc. pag. g8.

(3) Spernunl tormenta prœsentia, dum incerta metuunt et futura, el dum mori post mortem timent, interim mori nonliment. Minuc. pag. 79, 80.

A des dogmes incompréhensibles, le ch ris lia-nisme joint une morale sévère. Si les premiers sont peu attrayans pour la raison, ses préceptes ne sont pas moins repoussans pour la nature. Les adver-paires du christianisme ne manquaient pas de s’eu prévaloir; et nos apologistes n’avoient garde de le dissimuler.

Du haut du Capitole, les dieux du paganisme consacroient tous les vices (2). Point de passion qui n’eût scs dieux, ses prêtres, ses temples, son culte, ses sacrifices, ses mystères, scs adorateurs et ses initiés (3). La philosophie étoit forcée d’en rougir pour sa religion. Du milieu des ténèbres du paganisme, quelques sages élevoienl leur voix contre d’aussi monstrueux désordres (1). Ils n’étoient pas les premiers qui l’eussent fait. Avant eux, l’ancienne philosophie avoit bien senti le besoin de la réforme; mais en même temps elle avoit reconnu son impuissance à l’opérer. Platon entre autres avoit déclaré qu’un Dieu n’étoitpas de trop pour un si grand ouvrage, et qu’il ne falloit pas ]’espérer, à moins que, prenant en pitié notre pauvre nature, la Divinité ne vînt en personne révêler aux hommes les secrets de la véritable sagesse (2). Dautres encore avoient entrevu diverses vérités morales; mais faute d’en connoîlre le véritable principe, jamais aucun d’eux ne les fonda sur une base solide, ou n’ima״ina de les réunir en un corps de doctrine. « Ils ont bien saisi quelques »maximes; mais, trop peu nombreux pour les ré-»pandre, trop timides pour les publier, trop divisés pour les concerter, trop foibles pour les faire »recevoir, trop peu vertueux pour leur concilier »le respect; de combien de fables encore ne les »avoicnt-ils pas mêlées? Dieu avoit abandonné le »inonde à la sagesse humaine, et voulu faire pré-»céder l’avéncment de Jésus-Christ par quarante »siècles des plus épaisses ténèbres de la raison, à »côté des plus brillantes lumières du génie; pour »faire sentir à l’esprit humain toute l’insuffisance »de scs lumières et la vanité de ses efforts (1). »

(1) Ecce pars vestrum et major, melior ut dicitis, egetis, algetis, opéré, fame laboralis; et Deus patilur, dissimulât. Non vult, autnon potest opitidari suis; ita aut invalidas, aut iniquus est.... ubi Deus ille quisubvenire reviviscentibus potest, viveutibus non potest, td. p.1o2.

(2) Les païens eux-mêmes en convenoienl: Ovide dans ses Tristes. liv. 11, vers 287. Sénèque dans son livre de la brièveté de la vie.·«Prêter »des vices aux dieux, qu’esl-ce autre chose que de fournir aux hommes »un sujet légitime d’excuser leurs désordre* par de tels exemples? »

(3) C’est ce que les apologistes du < hii-tianisme reprochent avec tant d’énergie à la gentilité. Voy. S. Justin, Arnobe, S. Clément Alexandrin, S. Cyprien, etc.

(1) !idem estis qui Senecam aliquem pluribus el amariaroribus de veslra superstitione peroranlem probatis. Tert. Apol. pag. 14· Bossuet, Disc, sur l’hist. univ. in-4°, pag. 584·

(2) « Le genre humain est condamné à dormir dans le sommeil de »!’ignorance, à moins que Dieu n’en prenne soiu, en lui envoyant quel» qu’un pour l’éclairer. » Socrate dans Platon: « Ce n’est point chose facile * de découvrir le Père et le Créateur de toutes choses; et quand on par» viendrait à le découvrir, il ne le seroit pas davantage de le faire con-»noîtreà tous. Platon. Apolog. deSocr. et 2e Alcib. Voy. Turrelin et Ver-net, '.Traité de la vérité de la relig. chrét. sect. 1. ch. iv, pag. 5ÿ et suiv.

(1) M. l’évêqnc de Langres, cardinal delà Luzerne, Instruct, past, sur lavérilé du Christian, pag. 22, édit, in4°־; pag· 44» éd. in-12, Paris, 17S6. C’est là tout l’objet et l’analyse des libres deLactance, De la vraie et de la fausse sagesse. Quia fieri lion potuit ut homini perse ipsum ratio dirina notesceret; non est passas hominem Deus lumen sapientice recpii-renient diutius oberrare. In proem, pag. 4· Tertullien établit ces mêmes vérités aux cb. 46 et 4" de son Apologétique avec une énergique précision. Origène les développe savamment dans la réfutation de Cehe.

(1 Cor., 1, xi.) Il étoit écrit que la seule vertu de la croix aurait tout l’honneur de la victoire; que seule elle feroit la réforme du genre humain, et confondrait également et l’orgueil des faux sages, et les violences des persécutions.

Le christianisme vint donner au monde des vertus nouvelles; la règle des mœurs sortit tout entière du sein de son divin auteur; toutes les vertus furent déterminées, tous les vices combattus, toutes les passions enchaînées. L’artisan le plus grossier, le plus simple enfant devint plus instruit de ses devoirs que ne l’étoit le plus savant des philosophes (1).

(1) Deum quilibet opifex chiïstianus et invertit et ostendit; et exirule totum quod in Deo quceritur re quoque assignat. Innocentiam a Deo edocti^et petficte eamnovin1us.,utaperfecto magistro revelatani. Tert. Apol. n° 47·

Les ennemis du christianisme se récrièrent, qu’à force d’etre parfaite, la loi de !’Evangile e'toit impraticable (2); que tant d'austérité n’étoit qu’une agreste barbarie (3), qu’une misanthropie insupportable, tout-à-fait contraire au bien de la société' (4)· Et certes, il faut l’avouer, une semblable morale ne pouvoit convenir à des païens qui rapportoient tout au plaisir des sens; à des philosophes plus habiles à disserter sur la vertu qu’à la mettre en pratique: à des Juifs dont !amorale, bien que divine dans ses élémens comme dans son auteur, les aban-donnoit encore à la dureté de leur cœur (5).

(2) Tryphon dans S. Justin. Dialog, pag 227.

(3) <■ Hommes misérables qui ont embrassé une loi dure, austère. • qui respire une agreste barbarie. ־ Julien dans S. Cyrill. liv. vj.

(4) Tertull. Apol. cb. x n. Voy. Fleury, Moeurs des chrét. n° xvi. S. \ugustin, Ep. cxxxvm ad Marcel. n° 9.

(5) Plane confitebor, quinam. siJorte, ■vere de sterilitate Christiana rum conqueri possunt. Primi erunt lenoties, turn sicarii, venerarii, magi.Tetl. Apol. n" 4â. pag. 58.

Cependant, par la plus monstrueuse contradiction, ces mêmes hommes contre qui il devenoit impossible de préciser aucune autre accusation que celle du nom qu’ils portoient (6);ces chrétiens à qui il suffisait, pour échapper à la mort, de nier qu’ils le fussent (1); à qui la haine la plus forcenée ne pou-voit refuser cet honorable témoignage que c’étoienl de bonnes gens, à leur religion près (2); tant de millions de vieillards, de femmes, de vierges, d’en-fans, dont toute l’erreur ou la faute consistait à ne vouloir pas brûler quelques grains d’encens devant des simulacres (3), se trouvaient chargés dans l’opinion publique de forfaits et d’infamies bien plus difficiles à concevoir que tous les mystères qui fon-doient leur croyance; et partout on les en punissait, sans se donner nulle part la peine d’examiner non-seulement si ces crimes étaient prouvés, mais s’ils étaient possibles (4). Leurs assemblées, qu’ils avoient pourtant grand soin d’arrêter du moment où elles étaient défendues (1),étoient présentées sous les plus noires couleurs, même du temps des meilleurs princes. La haine des peuples entraînés par l’impulsion des règnes précédens ne gardoit aucune mesure. Les supplices des chrétiens étoient devenus des spectacles aussi nécessaires que ceux du Cirque (2). ZXous aurions peine à le croire, malgré tout le respect du à ceux qui nous ont transmis ces intéressans mémoires, si de nos jours, et dans un siècle tout semblable à celui dont nous parlons ici, nous n’avions vu de nos propres yeux les mêmes emportcmens dans la calomnie et dans les exécutions.־ C’est que, de la part d’une multitude égarée, la fureur de croire va encore au delà même des espérances de ceux qui la dirigent; à plus forte raison quand elle est excitée par ceux qu’elle révère comme étant les dépositaires de la puissance et les arbitres de ses jugemens. Il faut le redire, à la honte de l’humanité, à la honte de ces philosophes qui s’acharnoicnt sur leurs victimes, et associoient les plus grossiers mensonges aux sanguinaires clameurs des bourreaux (5). On disoit donc qu’ils avoient une doctrine occulte, et des initiations secrètes dont ils couvraient leur culte et leurs abominations (1). On disoit qu’ils se réunis-soient pour adorer une tête d’âne (2); que dans leurs assemblées nocturnes, ils égorgeoient un en-faut; qu’après l’avoir fait rôtir et couvert de farine, ils le mangeoient (5); qu’à la suite de ce repas, ג> on je toit un morceau trempé dans son sang à un chien attaché au chandelier, que ce chien en sautant renversoit la seule lampe qui les éclairoit, et qu’ensuite, à la faveur des ténèbres, tout ce qu’ils étoient d’hommes et de femmes se mêloient indifféremment comme des bêtes, selon que le hasard les assemblait (4). »

(6) N<.scio quid et qualenus aut puniri solebat, aut quœri. l’lin. ad Traj. Epi st. rxvn. lib. x. S. Justin, Apolog.tt. pag. 54·

(1) Adeo conjitemini innocentes esse nos, quos damnare statim ex confessionenon vullis. Tert. ad Scap. n" 4, pag. 87. In nostrapotestate est, ut cum inquirimur, negemus. S. Just. Apol. 11, pag. 5y.

(2) Bonus vir C. Seius, tantum quod christianus. Tert. Apolog. pag· 4. n° 5.

(3) « Quand les chrétiens étaient pris, on les menait devant le ma »gistrat, on leur faisait faire sur-le-champ quelque acte d’idolâtrie, ou »dire quelque parole injurieuse contre Jésus-Christ. Fleury, Mœurs des chrét.n0 19. pag,2 26. Cum, prœeunte me, deos appellarent, ctima-ginituœ,quant propter hocjusscram cum siniulachris numinum afferri, thure ac vino supplicarcnl, prœtevea maledicerent Christo {quorum nihil cogi posse dicunlur, qui sunt révéra christiani'), esse dimittendos putavi. Plin. ad Traj.

(4) Idea eteredunt denobis quœ non probantur, et nolunt inquiri. ne probentur non esse quœ malunt credi. Tert. Apol. n° 2. Quant sit iniquum incognitos et inexploratis judicare. Minnc. pag. 256.

(1) Quod ipsum facere desiisse, post edicluni meum. Plin. ad Traj.

(2) Trajan:« Nous ordonnons qu’lgnace soit lié et conduit par des י soldats dans la grande Rome, pour y être la pâture des bêtes, et le ״spectacle du peuples » Act. martyr. Ruynart, pag. 69S.

(3) Ut qui ejus (Cclsi philosophi) calumniis credat, chnstiunos lanquam impios ad internecionem prosequatur odio. Origen. contr. els. lib. ri, pag. 2qj.

(1) Nunc ad illam occultorum J'acinorum infamiam... Orig. contr. Cels. pag. 143. Dicimus tatnen semper, nec vos quod tamdiii dicimus, eruere curatis. Tort. Apol. 6 et ך. î\ec inlelligebamus ab his fabulas istas semper ventilari, et nunquam vel investigari vel probari. Minuc. pag. 256.

(2) Tert. Apol. n° 16. pag. 16. Minuc. pag. 83.

(3) Judœi Christiana! doctrinœ initio, sparso rumore quod ejus sectœ homines maclati pueri carnibus vescerentur, et quod, quotiesin eis li-beat dare, occultis libidinibus, extincto lumine, constuprare quant pri-mam nactus Juerit. Orig. contr. Cels. pag. 3g3 et 3g4. Aiunt nostras uxores esse communes, et promiscuo concubitu nos uti criminantur. His accedit, quod crimini nobis vertunt, quasi nec a propriis sororibus nobis temperemus, verum el has incesta libidine temerario ausu viole-mus. Istudprœlerea et crudelissimum et immanissimum est, quod nobis intendant crimen, dum impio ore garriunt, nos humants vesci carnibus. Theopli. ad Antol. lib. 111., pag. 11g.

(4) Fleury, Moeurs des chrét. n° 16, pag. 215. 1.

La vie publique et particulière des chrétiens répondoit à toutes les calomnies (1); car elle etoit alors la fidèle image de leurs maximes. Sobres jusqu’à l’auste'rité, doux, patiens jusqu’à be'nir ceux qui les maudissaient, religieux observateurs de leur parole, s’engageant par serment à ne corn-mettre ni vol, ni adultère, à ne point nier un de'pôt; ne se rassemblant que pour prier ou célébrer en commun leurs agapes; hospitaliers; tout commun entre eux (2); ne formant qu’une seule famille; point de pauvres parmi eux, parce qu’il n’y avoit point de riches, ceux qui l’e'toient de'po-sant leurs biens aux pieds des apôtres et de ceux qui les avoient remplace's (3). Leur charité' ne se bornoit point à ceux qui étoient de leur religion; elle embrassoit tous les hommes: les idolâtres eux-mêmes, quand ils e'toient dans la ne'cessile', trou-voient toujours auprès d’eux les secours dont ils avoient besoin (4)· Mais ces vertus elles-mêmes, empoisonnées par la malignité publique, devenoient autant de chefs d’accusation (1). Ces mystères, que l’on cachoit aux étrangers avec tant de précaution, bien que, selon Origène, on connut mieux déjà ce que prêchaient les chrétiens que ce qu’cnseignoientles philosophes (2), ils couvraient des ombres du secret les plus odieuses saturnales, et des festins horribles que l’on ne pouvait bien coin-parer qu’à ceux des Atrée et des Thycste’(5). La cha-rité qui les unissait les uns aux autres, était une conspiration; la fraternité qui régnoit dans leurs as-semblées etprésidoit à leur langage, le prétexte dont on appuyait l’accusation d’inceste et de débauche; leurs aumônes n’étoient que des moyens de séduc-tion pour attirer à leur parti les pauvres et les es-claves. Leur peu de fréquentation avec les païens, avoit l’air d’une haine déclarée non-seulement contre leurs institutions, mais même contre leurs personnes: Et on le leur rendoitbien par le soin que l’on prenoit de n’avoir avec eux aucun commerce, pas meme de se laisser rencontrer avec un chré-lien (1). Leur vie retirée; les jeûnes qu’ils affec-toient aux jours de réjouissances publiques, pour témoigner qu’ils ne prenaient point part à leurs scandales(2); le mépris qu’ils faisoient de la vie et de la mort (5); l’apparente austérité de tout leur extérieur;la résistance invincible avec laquelle on les voyait refuser de sacrifier dans les temples, de participer aux viandes offertes aux dieux de l’em-pire, de jurer par le génie du prince, quelles que pussent être les menaces, les promesses et les ar-tifices (4); les prédictions qu’ils ne cessoient de faire des jugemens de Dieu, prédictions suc-cessivement justifiées par les fléaux qui s’accu-muloient sur les juifs, sur tout l’empire, sur celte nouvelle Babylone enivrée du sang des saints confesseurs (1); l’ardeur avec, laquelle on les voyoil courir au martyre comme des abeilles à leur ru-die (2), étaient interprétés comme autant d’actes d’un fanatisme sombre, d’un furieux désespoir; le-vain dangereux qu’il falloit anéantir dans le sang de ses coupables propagateurs (5). Qu’il survînt de ces événements extraordinaires où le Dieu des chrétiens manifestait hautement que leur religion étoit sou ouvrage, tels que la victoire de Marc-Au-rèle sur les Quades (4), l’incendie du temple de Daphné, ou la dernière destruction du temple de Jérusalem, au moment où Julien en voulait relever les ruines (5); l’empire que les prières et les exor-cismes des chrétiens obtenaient tous les jours sur les païens (1); on avoit bientôt éludé la force de l’argument, soit en les oubliant, soit en les rappor-tant à d’autres principes (2), soit en mettant sur le compte de la magie, tout ce qu’ils avoient de surnaturel (5). A la faveur de ce mot, on ne réus-sissoit que trop à décréditer les vrais miracles, par d’artificieuses comparaisons avec les prestiges des imposteurs et des démons; comme on opposoit les oracles des fausses divinités à la divine inspira-tion de nos prophètes (4). Les disciples pouvoienl-ils cire plus favorisés que le maître? Or, puisque Mattb.x,?4. le maître, avec toute la puissance de ses prodiges et de ses divinations, n’avoit pu se soustraire à Fin-digence, à l’ignominie, aux supplices, à la mort, les disciples devoient-ils être d’une meilleure con-dition (!)? C’étoit, concluoit-on, des hommes dignes de tousles maux, également en horreur au ciel et à la terre; le fléau des sociétés à qui ils se rendoient inutiles par leur désœuvrement; dan-gereux par leur révolte contre les dieux et contre le prince (2); des misérables de la dernière lie du peuple, sans doctrine, sans lettres; n’entraînant dans leur sacrilège démence que des esprits foibles et crédules comme eux (3), qu’ils berçoient du fol espoir d’une résurrection chimérique, et. qui, en attendant, se condamnaient à toutes les misères (4); tous gens faits, en un mot, pour les bûchers et pour les croix (1); à qui donc l’on rendoit service en les envoyant à la mort, et les de'barrassant d’un monde à qui ils se faisoient gloire d’être ctran-gers (2).

(1) Sivobiscum christiani coniparemur, quamvis innonnullis disciplina nostra minor est, multo tamen vobis meliores depreltendemur. Pos enitn adulteria prohibais, ctfiacitis; nos uxoribus nostris solum-modo vivi nascimur; vos scelera admissa punitis; apud nos et cogitare peccareest: vos conscios timetis; nos etiam conscientiam solam, sine qua esse non possumus. Denique de vestro numéro career exœstuat. Christianus ibinullus, nisi aut reus sucereligionis aut profit gus. Minuc. pag. 533. Tertull. Apolog. pag. 5g.

(2) Omnia indiscreta sunt apud nos, prœter uxores. Tert. Apol. pag. 55. Fleury, Mœurs des chrétiens.

(3) Tert. ad Scap. n° 5. pag.87. Origène, liv. vu, n° 58. S. Justin, Apol. 11, Clém. Alex, strom. liv. v. Lactantlib. vi, cap. xxm.

(4) Julien:« Les Galiléens nourrissent non-seulement les pauvres de leur communion, mais ceux delà nôtre. » Ep.ad Arsac. Galat. pontif.

(1) Pline à Trajan: AJfirmabant hauc fuisse summum vel culpœ suœ velerroris: quod esseitl solid stato die ante lucent concentre, carmen-que Christo quasi Deo dicere secum invicem, seque sacramento non in scelus aliquod obstringere;sednefurta, ne latrocinia, ne adulteria committerent, ne fidem /allèrent, ne deposituin appellati abuegarent. Qnibus peraeds, morem sibi diseedendifuisse, rursusque coeundi ad capiendum cibum,promiscuum tameuet innoxium.—Oct. apud Minuc. Passim inter eos queedam libidimun religio miscetur; ac se promiscue ap■ pellant f paires ac sot ores, ut edamnon insolens stuprum intercessions sacri ttominis jial incesluni. pag. 81, 82.

(2) Orig. contr. Cels. liv. 1, pag. 7.

(3) Athenag. Légat, pag. 4.

(1) Ea de causa nos ita aversantur, ut ne simplex colloquium cum homine christiano habere velint. Orig. pag. 2g4·

(2) Fleury, moeurs des chrët. n° xvi, pag. 215, 216. éd. Paris, 1810.

(3) « Quel plaisir plus grand que le mépris du monde, se contenter »de peu, ne point craindre la mort? Vous foulezaux pieds les dieux des »gentils, vous vivez à Dieu.· Voilà les plaisirs, les spectacles des chré-tiens.» Tert. deSpect. cap. 29. pag. 102.

(4) Preuves dans Bullet, pag. 407 et suiv. Fleury, mœurs, n° 19. pag. 126. Tert. Apol. n° 27 et suiv. pag. 28.

Celse insulte au courage des martyrs, â leur respect pour la vérité. Orig. pag. 8. S. Justin avoit répondu: J7ivere nolumus mendacium lo-quentes. Apol. 11, pag. 57. Tous les martyrs et tous les apologistes le répètent, et meurent en le disant.

(1) Cyprian, ad Demetrian. pag, 130,ed. Oxon. Tertull. A polo g. pag. 5;. Omnia signa hœc ininiinentis îrœ Dei quant necqsse est quoquemodo possutnus ut et annunciemus et prœdicemus. Lucien ( Philop.')« J’aper-»eus des gens pâles, défaits, courbés contre terre, qui n’eurent pas »plutôt jeté les yeux sur moi, qu’ils nous abordèrent joyeux en nous de-»mandant si nous n’apportions pas quelque mauvaise nouvelle; car ils » paroissoienl désirer des événeinens fâcheux. »

(a) Dans S. Jean Chrys. Panég. des SS. martyrs, etc., tom. 11, edit. Morel, pag. y49·

(5) Dans Tacite le christianisme est: Exitialis superstitio. Annal. liv. xv. Dans Sénèque; Sceleratissimœ gentis consuetudo. Ap. S. Aug. de civit. Dei. lib. vi, cap. 11. Dans Suéion. Superstitio nova:Juriosa opinio atque malefica. D’où l’on concluoil: Eruenda prorsus hœc et exsecranda consensio. Oclav. ap. Mimic, pag. 81.

(4) Rapportée par Dion Cassius P~ie de Marc-Antonin. Voy. Tillem. mém. tom. 11, pag. 320.

(5) Voy. sur ce double événement, la vie de Julien par La Bletterie, pag. 380. Bullet, Etablis, pag. 2;4 > 281. Tillcm. Mém. tom. vu, p.38g.

(1) Tertullien.· « Un grand nombre d’entre vous sait que les dé-»mons sont contraints d’avouer leurs impostures lorsque nous les tour » mentons pour les chasser des corps, et que nous les en faisons sortir par »!’efficacité des paroles qui les gênent et des prières qui les brûlent. » Apol. n° 25. S. Cypr. ad Demelr. pag. 135. S. Justin. Dialog, pag. 511, Minuc. Origène, Arnobe:«Les païens reconnaissent que les chrétiens font taire les oracles et chassent les démons. Adv. gent. lib. 1, Lactant. Inst. div. lib. iv, cap. 27. S. Athan. lib. de incarn. n° 4/ et 48.

(2) Les païens attribuèrent la miraculeuse délivrance de Marc-Aurèle et deson armée, les uns à un magicien nommé Armupbis, les autres à un certain Julien de laChaldée.

(3) Celse en vingt endroits du livre d’Origène. Lucien leur donne la même qualification dans son dialogue du Catéchumène. Tous les Juifs prelendoient expliquer de la même manière les miracles de J. C. et de ses apôtres. Voy. Bullet, pag. 160 et suiv. Lact. pag. 464· Le préfet As-clépiade appelle S. Romain, le grand magicien Summum magum, dans Prudence Z>e Coron. hymn. x. S. Ambroise dans son xc sermon, à l’oc-casion de sainte Agnès, rappelle que le peuple s'écriait: Toile magam! toile malejicam !

(4) Miracles d’Apollonius, d’Apulée, de Porphyre, de Maxime, etc. opposésàeeux de J.-C. et des apôtres. Voy. Bullet, Etabliss. pag. 227. Sur les oracles opposés aux prophéties: Voy. le discours de Théodoret Des vrais et desjaux oracles. Lactant. Inst. div. lib. 11, cap. vu. xiv, hhaftic, Traité de la divin. de Jésus-Christ. ve sect. ch. vi, pag. 30g, édit. Rotcrd. 1689.

(1) Celse dans Orig. liv. 111. pag. 120. Julien parlant des chrétiens.· Leur admirable loi promet aux pauvres le royaume des deux; il est juste de leur en faciliter la route. La Bletter. pag. 265. Tiliem. Mém. tom. vu, pag. 338 et suiv.

(2) Arnob. pag. 1g, 24· Volusîen dans S. Aug. lett. ix. Contemptis-ùmœ inertiœ. Sueton. in Domit. cap. xv. Μαλαχία γνωμησ xat σώματος. Eunaplius christianus inir,tiens deorum et imperatorum. Act. martyr. Ruinart, pag. 440· Circa majestatem iifamamur. Tert. ad Scap. n° 2, pag. 85.

(3) Celse dans Orig. liv. 1,11° 13; liv. 111, 11» 5g et 62. Minuc. pag.71. Theophil. ad Anlolyc. lib. 11, pag. 80.

(4) Minuc. pag. 79, 80. Dum mort post mortem liment, interim mort non tintent.

(1) Sarnientitii, semaxii. Tert. apol.n° 50. Id cqlunt quodmerentur. Oclav. apud Miuue. pag. 86.

(2) Omnia patiuntur tanquam peregrini. S. Justin, ad Diogn. pag. igy. Evadimus cum obducimur. Tert. apol. n 50. pag. 44·

Falloit-il s’étonner après cela que les dieux, irrités de la désertion dël leurs autels, donnassent aux maîtres dumondc le signal etl’ordre de la vengeance, par les fléaux divers dont ils les châtioient (3). Aussi, que le Tibre vint à se déborder, ou le Nil à refuser son inondation accoutumée; que quelque province fût affligée par la sécheresse ou la morta-lilé; que les nations barbares, impatientes du joug, se répandissent sur les terres de l’empire (4): c’é-toit le courroux du ciel qui s’expliquait et demandoit ses victimes. Les persécutions elles-mêmes fournissoieiit sans cesse de nouveaux: motifs aux persécutions. On supposoit qu’ils étoient criminels, puisqu’ils étoient partout traites en coupables; et l’on préjugeait l’énormité des crimespar la rigueur des châlimens (1). Le sang chrétien ruissela par torrens durant le cours de trois cents années: c'est l’expression d’un païen, de Libanius lui-même, connu par sa haine contre les chrétiens (2). Un écrivain moderne a réuni, dans un tableau tracé avec précision, les supplices divers auxquels les chrétiens étoient condamnés: les notes que nous ajoutons à son texte justifieront pleinementchacune des circonstances. « Poursuivis comme des bêles » féroces, les supplices ordinaires parais soient trop » doux pour des hommes regardés universellement »comme les ennemis des dieux et de la patrie. On »renouvelle, on ('puise, on invente des tourmens »qui font frémir(3). Partout les chrétiens sont battus de verges, écorchés par des ongles d’airain; on »les déchire par le fer; on les consume par le feu; » on les suspend sur des chevalets; on les cloue sur »des croix; on se fait un jeu barbare de les voir »mettre en pièces par les chiens, dévorer par les »lions. Ils sont couverts de lames embrasées, assis plongés dans l’huile »sur des chaises ardentes »bouillante, brûles à petit feu. On les brise, sous »des meules; on les submerge dans les dots; on »les enterre tout vils; on les coupe par morceaux. » Dans leurs corps couverts de blessures on ne déchire plus que des plaies; on ménage avec cruauté' »les inomens qui leur restent à vivre; on choisit »parmi les supplices ceux qui font mourir le plus » lentement; on les gue'rit par des soins barbares » pour les mettre en état de souffrir de nouveau. La » pitié est éteinte pour eux dans les cœurs des hom-»mes; et le peuple qui voit presque toujours avec » quelque mouvementde compassion les plus grands » criminels sur l’échafaud, applaudit aux tourmens »des chrétiens par des cris d’allégresse (1). La »mort même ne les inet point à couvert de la rage »de leurs persécuteurs. On s’acharne sur les tristes restes de leurs corps; on les réduit en cen-»dres, et on les jette au vent pour les anéantir, s’il »est possible (1). L’horreur qu’on a contre eux »n’est pas satisfaite du supplice de quelques par-»ticuliers. Rome s’enivre de leur sang; elle en fait »couler des fleuves; elle en inonde la terre. On »n’épargne ni âge, ni sexe, ni rang, ni condition. » Ce n’est point une persécution de quelques jours, »de quelques mois, de quelques années; c’est par »des siècles qu’il faut compter le temps des souf-»frances de !’Eglise. On ne peut la suivre durant »trois cents ans qu’à la trace du sang de ses mar-»tyrs (2). »

(3) Hos (tememotus} chrislianorum hostes in odium chrislianorum convertebant, quasi vero chrislianorum causa DU, romano imperia irascc-rentur, chrislianorum proinde quasi χαθαρρατων sanguine saliandi. Dod-wel, Dissert. Cyprian. Diss. xi, n" 54· A la suite du S. Cyprien de l’édit. d’Oxford, pag. 76, col. 2.

Nemo sciât, aiebal, ne spe gaudeant christiani. Tert. ad Scap. n° 5, pag. 86. édit. Rigalt.

Dixisti per nos Jieri, et quod nobis debeant imputari omnia ista qui-bus nunc mundus quatitur et urgetur, quod DU vestri a nobis non co-lanlur. S. Cypr. ad Demetriau. ed. Oxon. pag. 150.

(4) Si Tiberis ascendit ad mœuia, si NUus non ascendit in aiva, si cælum stetit, si terra movit, si James, si lues; statim christianos ad leonem. Tert. ΛροΙ. n° 40· Arnob. pag. 7 et 9.

(1) Fleury, Moeurs deschrél. !!1 ״(j, pag. 217.

(2) Ποταροιίεαιαατοσ. Liban. Orat.Jùn. Julian, dans Bibl.gr.Fabric. lib. vu, pag. 283. « Qu’on remarque ici dans la bouche d’un païen, et »d’un païen très-instruit, ces expressions qu’on a osé nous reprocher » comme des exagérations outrées et comme des impostures de nos coin-»pilateurs de martjrologes. » Bullet, Ftabliss. note Si.

(3) S. Justin: « On nous décapite. on nous attache à des croix, on »nous expose aux bêles, on nous tourmente par les chaînes, par le feu, »et par tous les autres supplices les plus cruels, parce que nous ne vou-»1011s pas renoncer à notre foi: » Dial.cuui Trjph. pag. 53y. « Je m’ai-»tends bien à me voir quelque jour dans les fers ou attaché à un poteau »pour y souffrir le dernier supplice. » Apol. 1, pag. 46.

Sic iia nos ad Deunt expanses ungidœ fodiant, cruces suspendant, ignés lambant, gladii gutlura detruncent, bestiœ insiliant. Tert. apol. n° 30.

llasta illic etgladius et camifex prœsto est; unguia effodiens; equuleus extenders · ignisexurens..Idhominis corpus unum supplicia pluraquam membra sunt. Cypr. ad Donat, pag. 5, edit. Oxon. Idem De lapsis, pag. 91. Innoxios, Justos, Deo caros donio privas, patrimonio spolias, catenis prends, carcere includis, bestiis, gladio, igné periniis. Ncc saltern contentus es dolorum nostrorum compendia et simplici ac veloci brevitate pœnarum; admoves laniandis corporibus longa tormenta, multiplicas laccrandis visceribtis nunierosa supplicia; necJeritas atque imnianitas usitalis potest contenta esse tormentis; excogitat novas pœnas ingeniosa crudelitas. Id. ad Demetr. pag. 152.—Euseb. Paneg. Constant. cap. vu.

Nero tœda, papyro et cera supervestiebat, et sic ad ignem admoven jubebat. Voy. l’anc. comment, de Juvénal cité par Bullet, pag. 171.

Sadoth évêque de Séleucie et ses compagnons, au nombre de cent vingt-sept, furent menés en prison, où ils souffrirent des maux iucroya-blés, durant l’espace de cinq mois entiers. On les en tira trois fois pour les étendre sur le chevalet; on leur lioit les jambes avec des cordes qu’on serroit si fortement, qu’on entendoit craquer leurs os; on finit par les décapiter. Butler, Pies des saints, tom. 11, au 20 févr. pag. 244·

S. Julien de Cilicie est déchiré à coups de fouet. On applique le fer et le feu sur ses blessures. Puis on le jette dans la mer, enfermé dans un sac avec des scorpions, des serpens et des vipères. S. Jean Chrysos. panégyr. Bolland. ad 9 Jan. pag. 571.

S. Ulpien est jeté dans la mer enfermé dans un sac de cuir avec un chien et un aspic. Eusèbe. Martyrolog. Baron, pag. 105.

S. Philippe est traîné par les pieds sur le pavé de la ville, en sorte que tous ses membres sont déchirés; après quoi il est battu de verges et jeté au feu. Ruynart, pag. 449·

On brise les mâchoires à S. Taraque.On perce avec des pointes les côtes de S. Andronique, et l’on agrandit ses plaies avec des têts de pots cassés. On frappe S. Probe avec des nerfs de bœuf sur le dos; après lui avoir rasé la tète, on met des charbons ardens dessus. Ruyn. pag. 458.

Les livres des chrétiens n’éloient pas plus épargnés que leurs per· sonnes. Jubemus auctores algue principes una cum abominandis scrip-turis eorum severiori pœiia subjici, ita ut flammis exuranlur. Edict. Diocl. et Maxim, dans Baron, adann. 287. Tillem. Mém. tom. v, pag. 21.

(1) Tertull. Apolog. pag. 37. Athcnag. Légat.γΆ2.״ et 5. Voy. les actes des martyrs recueillis par Baronius, 1). Ruynart, Fleury, Tillemont. Butler, surtout dans le curieux ouvrage de Gallon, De sanctor. mat'■ ly runi cruciatibus cumJiguris Tempesle. Paris, 1660, vol. in4°־.

(1) iïou tantum artus hominum dissipât, sed et ossa ipsa comminuit, et in cineres furit, ne guis exstet sepulturce locus. Lact. Jnst. lib. vi, pag. 489 et 490. Ipsi BaccanaliumJuriis nec mortuis parcunt chnstui -nis, gain illos de reguie sépultures, deasylo guodam mortis, jam alios, jam nec lotos avellant, dissecent, distrahant. Tert. Apol. 11" 3ÿ, pag. 53. Aveu de Julien dans La Bletterie, J'ie de Jovien, pag. 322 et 530. Paris, 1776.

(2) Bullet, Établiss. du christ, pag. 62.

Dioclétien, dans les commencemens de son règne, pressé de persécuter les chrétiens, s’en étoit défendu, parce que, disoit-il, il deviendroit trop dangereux de répandre le sang de tant de personnes, et de s’exposer à troubler tout l’univers (3). Bientôt, imitateur plus docile de ses prédécesseurs, il renouvela les édits de proscription, s’unit à Maximien pour ordonner les épouvantables bouchéries que nous racontent les historiens de ces temps-là; et la reconnaissance de l’empire érigea en l’honneur des deux princes ce double monument, où on les félicite conjointement de leurs victoires sur le christianisme. Voici la première;

(3) Lactant. De morte persec. n° 11. Tilleni. tom. v, pag. 19.

DIOCLÉTIEN, JOVIEN, MAXIMIEN, HERCULE, CÉSARS AUGUSTES.

POUR AVOIR ÉTENDU !?EMPIRE ROMAIN DANS !?ORIENT ET DANS !?OCCIDENT, ET POUR AVOIR ÉTEINT LE NOM DES CHRÉTIENS QUI CAUSOIENT LA RUINÉ DE LA RÉPUBLIQUE.

NOMINE CHRISTIANORUM DELETO

QUI REMPUBLICAM EVERTEBANT.

Voici l’autre:

DIOCLÉTIEN, CÉSAR AUGUSTE.

POUR AVOIR ABOLI EN TOUS LIEUX LA SUPERSTITION DE CHRIST.

SUPERSTITIONE CHRISTI UBIQUE DELETA (*).

(*) Rapportée par Bullet, Elabliss. pag. 207, d’après Baronins I l’année 50|. Néron s’en étoit vanté de même, comme on le voit par cette inserip-tion en son honneur: Neroni. Claud. Cais. Aug. pont. max. od. proving. P.ATRONIB. ET. H1S. QUI. NOVAM. GENERI. HUM. SUPERSTITION. 1NCULCAB. PURcat. Dans Bingham, Orig.eccles. tom. !,pag. 21.

Il n’y a donc plus de chrétiens dans le monde.

Cependant, sous les princes qui les remplacent immédiatement, il s’en retrouve encore, et par peuples entiers (1). Galère enchérit sur la cruauté des siècles précédens. Frappé par la vengeance du ciel, il meurt comme Antiochus, et se repent comme lui, mais trop lard. La persécution un moment ralentie s’est bientôt rallumée. Maximin 11 est encore obligé de s’avouer vaincu par Γ invincible opiniâtreté des chrétiens (2). Leur sang recommence à couler sous le règne de Licinius; et le mot de Tertullien s’est encore vérifié à la lettre, que le sang des martyrs est une semence nouvelle de chrétiens, Sanguis marlyrum semen chrisiianorum (3). Julien, parvenu à l’empire en 560, se plaint hautement que le paganisme manque de victimes et de sacrificaleurs (4); qu’il ne se trouve plus dans une ville telle qu’An-tioche, qui donnait le ton à l’Asie, une libation, un peu d’huile, pas même un grain d’encens pour son Apollon; et que le christianisme TRIOMPHE partout (5).

(1) Voy. Tillem. Mém. tom. v, pag. go, 98.

(2) Eusèb. Hist, ecclés. liv. ix, c. g.

(3) Apolog. n° 50. pag. 45.

(4) Ep. xlix ad Arsac. Galat. pontif.xwii ad Liban.

(5) Alisopog. pag. 335. de la traduet. de La Bletterie. « Il ne préten-» doit pas moins, s’il fût revenu victorieux des Perses, que de faire un 11010-»causte agréable à ses démons de tout ce qu’il y avoit de chrétiens dans ®sonempire, et de placer dans ses Eglises l'idole de son infâme Venus. »11 avoit déjà marqué un jour pour détruire le christianisme, et en »abolir même le nom. Ilavoit voué le sang des fidèles à ses démons. » Tillem. tom. vu, pag. 421.

Celui qui met un frein à la fureur des flots

Sait aussi des médians arrêter les complots.

Le christianisme, place' entre les bourreaux et les philosophes, répondait aux premiers, en se lais-saut égorger, aux seconds, en justifiant son inno-cence par les écrits que nous avons encore pour la plupart.

Nous vous avons fait connoître quels furent les principaux adversaires du christianisme, et leurs ouvrages, pour vous présenter ensuite la substance des objections. Maintenant quels ont été les princi-paux défenseurs du christianisme ? Nous les par-tagerons en deux classes: les Apologistes grecs, les Apologistes latins.

 

SECTION PREMIÈRE.

APOLOGISTES GRECS.

Quadrat et Aristide furent, parmi les Grecs, les premiers qui portèrent aux pieds du trône la justification des dire'tiens, de leur doctrine et de leurs mœurs Us vécurent sous le règne de Trajan au second siècle de !,Eglise, encore si près des apôtres, qu’il n’est pas rare de voir dans les anciens mo-numens leurs noms honorés de cette glorieuse qualification comme de celle d’Evangélistes. Us formoient, dit Eusèbe, le second degré de la tradition venue des apôtres (1).

(1) D. Cellier, Hist. tom. 1, pag. 6S8.

Ces dignes successeurs des Paul et des Barnabé, après avoir commencé par distribuer leurs biens aux pauvres, alloient en divers lieux exercer la fonction d’Evangélistes, a Quand ils avoient posé dans une »contrée infidèle les fondemens de la vérité chrétienne, ils y établis-י soient des pasteurs à qui ils confioient le soin des âmes qu’ils avoient ״acquises à Jésus-Christ, et passoient ensuite dans d’autres pays; car ״!’Esprit-Saint opéroit encore alors par ses serviteurs un grand nom-־ bre de prodiges extraordinaires; de sorte que, dès qu’ils commençaient ״à prêcher, on voyoit quelquefois des peuples entiers embrasser tout ״d’un coup la foi du vrai Dieu. ״ Eusèbe, Hist, eccles. liv. 111, ch. xxxvn.

1. QUADRAT.

An de Jésus-Christ 126.

Disciple des apôtres (1), Quadrat gouvernent l’église d’Athènes, après le saint martyr Publius, qui avoit succédé immédiatement à saint Denys l’arcopagite (2). Il adressa et présenta, dit-on, lui-même son apologie à l’empereur Adrien, vers l’an 12G de Père chrétienne (3), au moment même où ce prince, s’étant fait initier aux mystères d’É-leusis, donnoit par un acte aussi favorable aux su-perstitions du paganisme, un nouvel élan à la per-sécution déclarée contre les chrétiens. Eusèbc qui l’avoit lue vante l’excellent esprit de son auteur et la pureté de sa doctrine. Il ne nous en reste qu’un fragment conservé parcel historien. Quadrat, pour montrer la différence des miracles de Jésus-Christ d’avec les prodiges des imposteurs, s’exprime ainsi:

« Mais pour les œuvres de notre Sauveur, ce n’c-loient pas des prestiges d’un moment, elles sub-sistoient et se conservoient sensibles à tous les yeux., Semper conspicua erant, parce qu’elles étoient vraies. Les malades qu’il guérissoit, les morts qu’il rendoitàla vie, n’ont pas seulement paru gue'ris et ressuscités; ils sont demeurés tels et pendant que le Sauveur étoitsur la terre, et même long-temps après qu’il l’eut quittée, en sorte que quelques-uns d’entre eux ont vécu jusqu’à nos jours (1 ). » Ce peu de ligne s suffit pour justifier les éloges qu’Eusèbe, saint Jérôme, Photius ont donnés à l’auteur (2), et pour regretter la perte de l’ouvrage.

(1) Ilieronyni. in Catalog. cap. xix, pag. 109, tom. iv.

(2) Est-il bien prouvé que ce soit le même, ainsi que l’avancent S. Jé-rome, et les écrivains qui l’ont copié ? M. de Valois piouve par de so lides raisons qu’on a tort de confondre l’apologiste avec l’évêque d’A-llièncs. Voy. Noël Alexandre, Hist. ccclés. tom. 11, pag. 26/!, col. 2.

(3) Voy. Tillem. ftlém. tom. 11, pag. 588, note 6. Gave, Script, pag. 52.

(1) Euseb. Hist. lib. iv, cap. 111.

(2) Euseb. supr. Hier, supra, et Ep. lxxxiii ad Magn. 10m. iv, cd. Bene.d. Col. 656. Phot. cod. 162, pag. 548. D. Cellier, Hist, des ècriv. tom. 1, pag. 689, 690.

 

II. ARISTIDE.

Vers le même temps.

Aristide étoit d’Athènes, où il exerçait la profession de philosophe. Converti au christianisme, il voulut en étendre les conquêtes, en écrivant pour lui. Il en présenta l’apologie au même empereur. Il ne nous reste de celle-ci que l’idée du plan dans laquelle elle avoit été conçue. C’étoit par les raisonnemens plutôt que par les faits, surtout par les témoignages des philosophes, que le christianisme y étoit défendu (3).

(3) Tillem. Mém. tom. 11, pag. 254·

Pour cette fois la défense de la vérité ne fut pas vaine. Saint Jérôme affirme qu’Adrien cédant à la force du raisonnement et de la vérité, fit cesser, du moins pour quelque temps, la violence de la per-sédition (1). Elle se ralluma sous ses fils.

(1) « L’admirable génie de l’apologiste se fit si fort admirer dans cette »pièce, dit Tillemont d’après S. Jerùme, qu’elle eut la force d’étein-» dre la persécution dont l’Église étoit alors agitée. » Mém. tom. 11. pag. 253.

 

III. AGRIPPA.

Nous avons également perdu l’apologie composée par Agrippa-Castor, contemporain de l’un et de l’autre, dont l’ancien historien de !’Église parle avec éloge (2). C’étoit une défense de la vérité catholique contre les erreurs de Basilide, plutôt qu’une apologie directe du christianisme.

(2) Euseb.lib. iv, cap. vu. Voy. D. Cellier, tom. 1, pag. 691.

Outre ces diverses apologies, on parle d’un autre ouvrage en faveur de la divinité de Jésus-Christ, publié vers l’an i/jo de l’èrechrétienne par Aris-ton de Pella sous ce titre: Dispute ou Dialogue de Jason et de Papisque, qui n’étoit pas inconnu à Celse (3), et sur lequel on peut consulter nos sa-vans historiens.

(3) Voy. Origènecontre Celse, liv. iv, pag. 199.

La divine Providence nous a dédommagés de toutes ces pertes, par la conservation des deux apologics de saint Justin, philosophe et martyr.

IV. SAINT JUSTIN.

Vers 150 de Jésus-Christ.

Né à Sichem, l’ancienne capitale de la Samarie dans la Palestine, élevé dans le paganisme, Justin eut de bonne heure la curiosité de connaître les sectes diverses de philosophes qui en partageoient les écoles, quand enfin la lecture de l’Evangile fit briller à ses yeux la lumière d’une autre philosophie bien plus digne de ses recherches. « De ce moment, dit-il lui-même, il commença à être philosophe (1); et l’un des plus puissans motifs qui déterminèrent sa conversion, fut la secrète admiration dont Γavoit pénétré le courage invincible des chrétiens au milieu des tortures. Je n’igno-rois pas (c’est lui encore qui parle) de combien de crimes la haine publique les chargeait. Mais en les voyant affronter la mort, et ce qu’il y a de plus terrible, je reconnus qu’il étoit impossible que de tels hommes fussent coupables des crimes honteux qu’on leur reprochoit. Car comment une personne avide de plaisirs, abandonnée à la débauche, pourroit-elle recevoir avec joie une mort qui va la priver de tout ce qu’elle trouve d’heureux et d’agréable dans le monde? Au contraire, ne fera-t-elle pas bien plutôt tous ses efforts pour prolonger par tous les moyens une vie qui est pour elle le Lien suprême, et pour se dérober aux yeux des ma-gislrats, bien loin d’être soi-même son dénonciateur et son bourreau (1).»

( 1 ) liane ipsam solam comperi esse certain alque utilem philosophiam. Dial, cum Tryph. pag. 225.

(1) Apol. 1, pag. 50.

Nous avons, Messieurs, à vous faire connoître les principaux ouvrages de ce pieux et savant con-fesseur, à savoir:

Son Exhortation aux Gentils,

Son Dialogue avec le Juif Tryphon,

Ses deux Apologétiques,

Sa Lettre à Diognète.

Le premier, qui est sans doute celui dont Eusèbe fait mention sous le nom d’Eleuchus ou réfuta-tion (2), suivit de près son changement de religion. Il est partagé en deux livres qui semblent faire deux discours distincts, mais ne forment eu effet qu’un seul tout, quoique marqué par des titres dif-férens.

(2) Labbe, descript, eccles. pag. 666. Ca\e, Eleuchus scu oratio ad Grœcos. Script, eccles. pag. 58.

Jamais combat aussi sérieux n’avoit été livré au paganisme. Saint Justin a l’honneur de l’avoir coin-mencé, el de l’avoir soutenu avec un talent égal à son courage: la première partie est celle qui a con-serve' le titre Exhortation aux Gentils.

(Page1.) « Animé du désir de vous gagner à la vérité, je commence par prier Dieu de m’inspirer ce que je dois dire, et d’e'clairer votre esprit, en éloignant de vous la pensée, que ce seroit vous mettre en contradiction avec vos pères, que d’embrasser des opinions différentes de celles qui ont dirigé leur croyance; les mêmes choses changent souvent de face, quand elles sont examinées de plus près. Me proposant donc de vous entretenir de la vraie religion, le premier, le plus précieux de tous les biens au jugement de quiconque veut n’avoir point de risques à courir après la mort pour le jour où nous aurons tous à rendre compte de nos actions (vérité proclamée, non-seulement par ceux de nos prophètes et législateurs inspirés de Dieu qui forment la longue chaîne de nos ancêtres, mais par ceux-là même que vous qualifiez de sages, poètes et philosophes, à qui vous supposez une inlelli-gence divine); j’ai cru ne pouvoir mieux faire que de rechercher quels ont été les fondateurs de notre culte et du vôtre, quelles en ont été les mœurs, dans quel temps ils ont vécu; et cela, fondé sur le double motif de détromper ceux qui s’attachent à une religion convaincue d’être fausse, bien qu’elle leur vienne de leurs pères, et de démontrer par toute !,autorité de l’évidence, que la nôtre nous vient d’une antiquité bien plus reculée.

(Pages 2 et suiv.) Quels sont donc ceux que vous reconnoissez pour être les auteurs de votre religion? sonl־ce les poètes? sont-ce les philosophes?»

Et tout de suite, il présente les absurdités el les infamies que les poêles ont mises sur le compte de leurs dieux. Les nombreuses citations qu’il en lait sont autant de preuves de celte conséquence:

« Si vous ajoutez foi à ce qu’ont écrit ces hommes si vantés, il faut que vous confessiez ou que vos dieux étoient. réellement tels qu’ils les ont peints, ou que ce n’étoient point des dieux. »

Passant aux philosophes, il anéantit de la même manière leur autorité; il les fait tous passer en revue depuis Thalès de Milet jusqu’à Einpédocle; (Pages 7 et suiv.) il fait voir qu’il n’en est pas un seul qui ait donné une idée supportable de la Divinité; qu’ils ne s’entendent pas mieux sur la nature de l’âme; que tous se contredisent, se combattent les uns les autres; qu’ils ne montrent tous que la plus gros-sièrc ignorance.

״Dans cette confusion et cette opposition per- Pages, pétuellcs, l’homme sage remarque une vérité: C’est qu’ils s’accordent tous dans une seule chose, qui est de se traiter tous d’hommes trompés et from-peurs.

» Mais, poursuit-il, si vos poètes et vos philoso-plies n’ont pu vous donner les vrais principes de religion, à qui devez-vous recourir pour con-noîlre enfin une science aussi importante? C’est aux prophètes qui ont. été inspirés par la Divinité. Page s. Ceux-là ne doivent rien aux artifices du lanoa^e.

Dans leurs écrits, nulle rivalité entre eux, nulle contention. Us ne rendent leurs oracles que cou-fonnémenl aux impressions que leur communique le divin Esprit dont ils sont les instrumens; que pour révéler aux hommes les volontés du Seigneur et les secrets de sa Providence. Aussi les entendez-vous parler uniformément de Dieu, de la création, de l’origine des choses, de l’immortalité defame, du jugement qui nous attend après la vie, de toutes les vérités nécessaires à notre instruction. »

(Pages 9, 10 et suiv.)  A leur tête, il met Moïse, et cite les témoignages qu ont rendus a ses lumieres et a ses talens les plus grands écrivains du paganisme. U fait voir que Moïse a existé, et a écrit long-temps avant (page 13.) même que l’art d’écrire fut connu des Grecs; que sa doctrine n’étoit point ignorée des Egyptiens; et (Page 15.) que c’est de ses livres que la plupart des auteurs païens ont emprunté ce qu’ils ont dit de plus sage sur Dieu et son culte; ce dont il rapporte beaucoup d’exemples tirés de Pythagore, de Platon? d’Orphée, de Sophocle et d’Homère. Il fait voir (Page 18.) que tous les prophètes qui ont existé après Moïse, ont toujours enseigné les mêmes vérités, établi les mêmes principes, rendu témoignage à la même religion; et conclut en disant aux païens:

(Pages 32-33) «Le seul parti qui vous reste à prendre est, de convenir que ce n’est qu’auprès des prophètes, des hommes inspirés, que vous pouvez sûrement vous instruire, cl prendre une juste connoissance de ],Être supreme et de la véritable religion. »

Dans la seconde partie, sous le titre particulier de Discours aux Grecs, saint Justin justifie son changement de religion. C’est avec connoissance de cause (Page 37.) qn’il a renonce' an paganisme, dont le culte ne lui présentait rien de saint, rien qui lut digne de la divine majesté; toutes les fictions des poêles, qui fondent la théologie du paganisme, n’étant que des monumens de délire et d’impiété. (Page 39.) « Quelle école de morale, demande-t-il, étoit-ce que les exemples de ces dieux, consacrés par les chants de la poésie, et par les hommages de leurs adorateurs ? Iiépou-dez, ô vous liabitans de cette Grèce si polie ! Vous vous indignez contre votre fils, quand vous le voyez s’abandonner à de coupables excès: votre Jupiter est-il moins coupable que lui ? (Page 40.) Vous répudiez votre femme, quand elle oublie scs devoirs: mais une Vénus a chez vous des temples. Si c’étoient d’autres qui vous parlassent ainsi, vous crieriez à l’outrage. Est-ce moi qui accuse vos dieux ? ne sont-ccpas plu-tôt et vos poètes et vos historiens ? Laissez donc Là ces fables ridicules. \ enez prendre part à la sagesse incomparable qui se puise à la source de la divine parole. Rcconnoissez, non un Jupiter souillé de crimes, mais un lioi du ciel, incapable de corrup-lion; dont les héros ne savent ]!as verser le sang des peuples, mais ne répandent que le leur propre ־. qui n'accorde point sa prédilection ni à la vigueur des membres el à la beauté des formes, ni à la noblesse du sang, mais à la seule beauté de Pâme, à l’innocence et à la vertu. O puissance toute céleste, qui du moment où elle s’est rendue maîtresse du cœur, y établit la paix, en chasse les passions! O doctrine toute divine, qui forme non des poètes, des philosophes et des orateurs, mais qui, de mortels, nous fait devenir immortels, qui nous associe ־ à la nature de Dieu lui-même, et qui de la terre nous élève dans le ciel ! λ oilà celle dont le charme secret m’a conduit à la doctrine nouvelle que je professe, λ enez avec moi: apprenez ce que j’ai appris; et puisque j’ai été ce que vous êtes, ne désespérez pas d’être un jour ce que je suis. »

Dialogue avec Tryphon, traité de controverse contre les Juifs. Le principal interlocuteur est Try-phon, personnage distingué dans sa nation, puisqu’il y est qualifié prince (1). Notre saint martyr lui raconte l’histoire de sa conversion.

(1) Tillcm. Mem. 11, pag. 585. Euseb. Hist, ecclés, liv. 1v, rh. XVIÎI.

(Pages 218, 219.) « Plein du dessein de me former à la philosophie. j’étois allé à l’école d’un stoïcien. J’y demeurai assez de temps, jusqu’à ce que, voyant que je n’avançois point dans la connoissance de Dieu, que cet homme ignoroit jusqu’à la mépriser, et ne la croire point nécessaire, je le quittai pour un autre de ceux qui se nomment péripatéticiens. Celui-là, qui avoit de lui-même l’idée la plus avantageuse, me garda quelque temps auprès de lui. Mais. un jour, m’ayant demandé son salaire, cette proposition me partit si peu digne d’un phi-losoplie, que je me déterminai à l’instant même à quitter son école.

« Mais le désir où j’étois d’être instruit de ce qui fait l’objet essentiel de la philosophie. ne laissant aucun repos à mon esprit, je m’adressai à un pythagoricien, jouissant d’une grande consi-dération, qui n’étoit pas moins que l’autre plein de son mérite, et lui demandai de m’admettre au nombre de ses disciples. Sa première question fut celle-ci: Savez-vous la musique, l’astronomie, la géométrie ? car, à moins de ces préliminaires, vous ne croyez pas sans doute pouvoir arriver à rien de ce qui mène à la béatitude, c’est-à-dire, à la con-temptation de !’Etre, bonté cl beauté essentielles el souveraines. Sur ma réponse que je n’en savais pas un mot, il me renvoya. J’espérois ê^re plus heu-roux auprès des platoniciens. C’étoient alors les plus accrédités. J’allai trouver l’un d’entre eux qui passoit pour le plus habile de cette école. Je la ire-quentois assidûment, et je fis d’assez rapides pro-grès dans la connaissance de sa doctrine. J’en étois enchanté: la contemplation des idées intellectuelles semblait me donner des ailes pour m’élever bientôt jusqu’à la plus haute sagesse; je le croyois du moins ־, ce n’éloit qu’une erreur. Un jour que, m’a-handonnant à celle espérance, je marchais pour gagner le bord de la mer, comptant y être seul et pouvoir m’y livrer mieux à la méditation; tout près d’arriver, j’aperçus à quelques pas de moi quelqu'un qui marchait derrière moi. C’étoit un homme d’un âge déjà fort, avancé; la douceur et ]a gravité paraissaient également sur son visage. (Pag. 228.) Je m’arre-tai, et me retournai vers lui pour voir qui c’étoit; et je le considérais attentivement sans rien dire. Ce fut lui qui engagea la conversation. Est-ce que \ous me connaissez.? me dit-il. Je répondis que non. — D’où vient donc que vous me regardez si fixement ? — C’est, répliquai-je, que je suis surpris de vous rencontrer dans un lieu où je me croyois tout seul. — Mais vous-même, qu’y étiez-vous venu faire?—J'exposai pourquoi. »

(Pag. 222. et suiv.) Le vieillard prend occasion des réponses de Justin, pour lui apprendre les secrets d’une autre philosophie bien plus certaine, bien plus nécessaire que toutes celles des écoles profanes. Celui-ci argumente dans le sens des platoniciens sur la nature des âmes, sur l’essence divine, sur les récompenses et les châtimens à venir. Le vieillard le presse si fort, tantôt parties questions agréables, tantôt par des comparaisons sensibles, tantôt par de solides raisons, qu’il le réduit à avouer que les philosophes n’avoicnt pas connu la vérité (1). Apres avoir battu en ruines leurs systèmes, il Fins-truit à quelle école s’apprend la véritable sagesse, indiquant les prophètes.« C’est d’après leurs écrits (Page 224.) que vous connoîlrez et les principes et la lin des choses, tout en un.mot ce (pie les philosophes doivent savoir. »

(1) Tillem. Mém. tom. 11, pag. 551.

Saint Justin est interrompu par Tryphon: (Pag. 225.) « Ne valoit-il pas mieux vous attacher à la philosophie de Platon, que de vous laisser abuser par des mensonges que nous débitent des hommes de néant? En renonçant à Dieu pour un homme sur qui vous fondez votre confiance, quel espoir de salut vous reste-t-il? Ce Christ, s’il est venu et s’il est (Page226.) quelque part, il est encore inconnu, aussi-bien à lui-même qu’à tous les autres. »

(Pag. 228.) L’apologiste du christianisme repousse l’accusalion par l’analogie des deux testamens, comme établissant une même croyance dans le seul Dieu adoré par les chrétiens comme il l’étoit par les Juifs. Après avoir établi doctement l’insuffisance de la circoncision lévitique, il en vient à la divinité (Page 217.) de Jésus-Christ, dont il marque le double avénement: le premier, dans l’état d obscurité où il s’est (Pages 259 et suiv.) montré durant sa vie mortelle; l’autre, dans l’éclat de la gloire qui l’accompagnera au jour du dernier jugement: ce qu’il appuie par de savantes explications des Psaumes, par les figures de l,ancienne (Page 180.) loi, par les noms que lui donnent nos saintes Écritures. (Page 283.) 11 s’attache particulièrement au psaume xxi, Deus, Deus meus, quarc me dereliquisti, dont il Page 525. donne un savant commentaire, e'tendu à toutes les circonstances de la passion et de la résurrection du Sauveur; d’où résulte le témoignage le plus décisif en faveur de Jésus-Christ, comme étant le Messie prédit par David. Au reproche que Jésus-Christ étoit ignoré, il répond par !,affirmation qu’il n’y (Pag. 545.) a pas une contrée du monde où il n’y ait des chrétiens; démontre que les prédictions faites sur la future vocation des gentils concernoient les chrétiens par-là devenus le vrai peuple de Dieu; et que dans la personne de Jésus-Christ se trouvent accomplis tous les oracles du prophète. Appliquant à !,Église chrétienne ces paroles du (Ps. cxxvii 5.) psalmiste: Uxor tua sicut vitis abundans, dit: (Page 55;.)   « Vous avez tous les jours la preuve que rien ne peut ébranler, pas même intimider la foi que nous avons en Jésus-Christ. On a beau nous égor-ger, nous attacher à des croix, nous exposer aux bêtes, nous jeter dans les flammes, nous éprou-ver parles tortures les plus cruelles: vous nous voyez fermes, intrépides dans la confession de notre foi. Plus la cruauté s'exerce contre nous, plus aussi s'accroît le nombre et la ferveur des disciples de Jésus. Nous ressemblons à la vigne qui porte des fruits à mesure qu’on la taille. »

Cet ouvrage est parsemé de maximes utiles pour la direction des mœurs.

« Sur la sanctification du dimanche: Vous vous (Page 251.) imaginez célébrer ce saint jour en le passant à ne rien faire: combien vous êtes loin de l’esprit de son institution! Il consiste à s’abstenir de tout péché, à éviter le parjure, la fraude, la font ica-tion. C’est là la manière de le célébrer la plus agréable au Seigneur. »

(Page 261.) « La circoncision du Juif ne fut qu’un signe distinctif; la circoncision du chrétien qui lui est conférée par le baptême est un sacrement qui le sanctifie. »

« La même voix qui autrefois appela Abraham, nous a appelés en nous commandant de quitter notre ancienne manière de vivre. Et de même que le saint patriarche a cru aux promesses de Dieu; de même nous autres chrétiens, en vertu de la foi que nous avons en Dieu, nous avons renoncé à toutes les choses du monde. Les vrais Israélites, c’est nous, nous qui sommes devenus les en fans d’Abraham, d’isaac et de Jacob; nous qui avons la connaissance du vrai Dieu par Jésus-Christ crucifié. »

«Quiconque ne vit pas conformément aux saintes (Page 63.) règles établies par Jésus-Christ, a beau se dire chrétien; il ne l’est pas.

(Page 504.) Contre le zèle outré: «Nous connoissons des gens qui, si on les laissait faire, damneraient !,univers lout entier. Ils n’ont à prononcer que des sen-tences de condamnation; et il ne tient pas à eux que les portes de l’enfer ne s’ouvrent à leur coin-mandement. Hommes atrabilaires qui interprètent l’Evangile au gré de leurs passions! »

(Pag. 505.) «Nous ne sommes que chair (que foiblesse); il n’y a en nous rien de bon. Ptecourons donc au céleste médecin qui seul peut guérir nos âmes (1). »

(1) Dans la lettre à Zéna et à Sérénus que l’on conteste justement à notre pbilos. martyr. Voy. D. Cellier, tom. 11, pag. 49· Noël Alex. tom. 11, pag. 296.

« Celui qui veut bien vivre doit éviter de voir et d’entendre bien des choses; et, s’il n’en peut évi-ter la rencontre, qu’il se bouche les yeux et les oreilles. »

La persécution un peu ralentie par les sages dis-positions d’Adrien, n’en avoit pas moins donné des martyrs à !’Eglise; et la haine des peuples étoit bien loin d’être calmée sous Antonin, puis-qu’elle rendit nécessaires de nouvelles défenses en faveur des chrétiens opprimés (2). Ce fut sous son règne que saint Justin publia ses deux Apolo-gies , adresse'es aux empereurs.

(2) Pro his qui ex omni hominum genere injuste odiis iniquis, et vio-lento: vexationi obnoxii sunt, dit S. Justin , dès les premières lignes de son Apologie, pag. 53. Et dans son Dialogue : l'os namque in srnago· gis et convenlibus uestris diris exsecraniini omnes qui se tantummodo christianos essejatentuv. Pag. 525. Antonin lui-même se plaint, dans son rescrit en faveur des chrétiens, qu’ils étaient persécutés , calomniés. Dans V.ipolog. 11 de S. Justin, pag. 100, et Bolland. ad 15 mai.

Première Apologie. Nous appellerons la première celle qui est le plus ordinairement placée à ce rang, quoi qu’il y ait de fortes raisons de croire qu’elle n’a paru qu’à la suite de l’autre (1).

(1) On peut consulter à ce sujet D. Cellier Hist. des écrit/. tom. 11, pag. 9 et 10, ainsi que la note 12 de la pag. 495 tom. 1, de la Bibliôih. portât, de Tricalet ; el discuter leur opinion contradictoirement à celle de Du Pin , Biblioth., tom. 1, pag. ni. note.

Elle fut publiée à Piome vers l’an 150 de Jésus-Christ. Remarque importante pour noire tradition catholique, parce qu’elle prouve incontestablement que les cérémonies de la messe et du baptême, qui s’y trouvent décrites comme étant pratiquées dans la première Eglise du monde, sont les mêmes aujourd’hui, et de tout temps, en usage parmi nous; témoignage décisif en faveur de l’antiquité de notre liturgie.

Cette apologie se divise naturellement en trois parties. Dans la première, le saint martyr se plaint de ce que l’on condamne les chrétiens, sans les connaître, sur leur nom seul, et d’après des bruits calomnieux. Il expose la sainteté de leur morale et la sainteté de leurs mœurs. Dans la seconde, il élablit quelques-uns des dogmes principaux du chris-tianisme, dont il prouve la divinité par les pro-phélies. Dans la troisième, pour détruire les calomnies répandues contre les mystères et les assent-blées des chréliens , il expose ce qui se passoit dans ces assemblées.

Si jamais ouvrage a dû être regardé comme un chef-d’œuvre de sagesse, de force de raisonnement, de liberté franche et généreuse dans la défense de la vérité, c’est celui-ci.

«-A l’empereur Titus AElius Adrien Antonin pieux, Auguste César, et à son fils Vérissime, plii-losophe, et à Lucius, philosophe, fils de Lucius César par la nature , et de l’empereur par adoption , amateurs de la science, et au sacré sénat et à tout le peuple romain ; au nom de tous ces hommes de tous les états, victimes d’une haine injuste et d’une cruelle persécution : Justin, fils de Priscus Bac-chius (1), originaire de la nouvelle Flavia (2), de la province de Samarie en Palestine, l’un de ces persécutés, présente humblement cette requête.

(1) Rulfin paraît avoir lu Priscifilius Bacclùadis, fils de Priscus, petit-fils de Bacchius. D. Prud. Marand. edit. $. Justini.

(2) Ancienne Sichem ou Sicar, capitale de la Samarie au temps d’Alexandre le-Grand, (Josèpli. À tilt ף . jud. lib. 11, cap. vin.) surnommée Flavia, du nom de la famille de Vespasien, comme on le voit par les médailles. On la nomme aujourd'hui 5’aplouse , par corruption de A'ea-polis. Nta׳ ττολίως dans S. Justin.

«La raison prescrit à quiconque se pique de piété et de philosophie , non-seulement de n’estimer que la vérité, de ne respecter qu’elle, d’abandonner sans hésiter les opinions contraires à la saine moraie, quelque ancienne qu’en soit la source. S’il y a des usages et des lois contre lesquelles la jus-tice réclame; elle veut, cette raison, qu’on n’y ait au-cun égard. Bien plus , elle fait à l’ami de la vérité un devoir d’être disposé à tout souffrir, à mourir même s’il le falloit, plutôt que de manquer à ricn de ce qu’il faut dire et faire pour l’amour de la justice. Princes, vous vous entendez appeler partout pieux et philosophes, zélateurs de la justice , amis des lettres. L’êtes-vous en effet ? c’est ce que l’événe-ment, démontrera. Car ce n’est ni pour vous flatter, ni pour gagner vos bonnes grâces, que nous avons mis la plume à la main ; nous ne vous demandons autre chose que de vouloir bien nous juger sui-vant les règles d’une droite raison. C’est pour empêcher qu’entraînés par la prévention, par de superstitieuses complaisances , par des mouve-mens peu réfléchis, par de perfides rumeurs que le temps a fortifiés , vous ne portiez des jugemens contre vous-mêmes. Je dis contre vous-mêmes : car pour nous, nous sommes persuadés qu’on ne peut nous faire du mal, tant qu’on ne pourra pas nous convaincre d’être, ce qu’on nous accuse d’être sans nous entendre, des malfaiteurs et de mauvais citoyens. (Page 54.) Vous pouvez bien nous ôter la vie : nous faire du mal, non. Et qu’on ne croie pas qu’il y ait dans notre langage aucune présomption. Nous supplions que l’on informe contre nous. Si les crimes que l’on nous .impute sont prouvés ; que l’on nous punisse comme nous le méritons, et même avec encore plus de sévérité. Mais s’il est impossible d’en prouver un seul; seroit-il raisonnable de sacrifier des innocens à des bruits caloin-nieux ; et surtout de compromettre votre propre honneur par des exécutions que la passion seule , et nullement la justice , auroit commandées?

» Tout homme sensé conviendra que la seule forme légitime des jugemens consiste, pour les sujets, à rendre un fidèle compte de leur vie et de leurs discours ; pour les princes, à juger, non en tyran, mais selon les conseils de la piété et de la philosophie. C’est alors que ceux qui commandent et ceux qui obéissent sont vraiment heureux. Aussi, un ancien (Platon) disoit-il qu’à moins que les princes et les sujets ne soient philosophes, il n’y a point de prospérité à attendre pour un état. Ce que nous devons faire nous, c’est d’exposer à tous les yeux notre vie et notre doctrine, pour n’avoir pas à encourir les châtimens que méritent ceux-là seuls qui commettent les crimes dont on nous charge par ignorance et par entêtement. Voire devoir à vous , princes, celui qui vous est imposé par la raison, c’est de témoigner en nous écoutant que vous êtes des juges intègres; autrement vous deviendriez inexcusables au tribunal de Dieu.

» On prononce contre nous sur le simple énoncé de notre nom , isolément, sans examiner par les faits s’il est bien, s’il est mal d’être chrétien. Un nom est en soi quelque chose d’indifférent, qui n’est susceptible de louange ou de blâme, qu’au tant qu’il est prouvé que celui qui le porte soit innocent ou coupable. Tous les autres accusés de votre religion , (Page 55.) vous ne les condamnez pas qu’ils ne soient con-vaincus: et nous, sur la seule dénonciation, l’on nous juge : punis si nous l’avouons, acquittés si nous le nions. Preuve que toute la procédure porte sur un simple nom. Quand on nous accuse, il ne tiendroit qu’à nous d’éviter tout châtiment; il nous suffiroit de nier. Mais nous ne voulons pas d’une vie achetée par un mensonge. (Page 57.) Pleins du dé-sir de posséder une autre vie pure, éternelle, nous nous hâtons de confesser que nous sommes chré-tiens, pour aller plus tôt vivre au sein du Dieu créa-leur et père de toutes choses; persuadés que nous sommes qu’on jouira de ce bonheur en témoignant à Dieu, par ses actions, qu’on le sert, qu’on aspire à lui être uni à jamais dans cette vie nouvelle, où il n’y a plus de mélange. Voilà l’abrégé de la doc-trine que nous tenons de Jésus-Christ, et l’objet de nos espérances.

מ Nous attendons après la mort un jugement qui sera prononcé, non par Minos el Rhadamanlhe , mais par Jésus-Christ ,’après une résurrection qui rendra nos corps aux mêmes âmes qui les avoient animes. Nous croyons que les méchans seront li-vrés à un supplice non pas de mille ans , comme l’a dit Platon, mais qui n’aura jamais de fin, comme !’affirme notre divin législateur. On nous répondra que cela est incroyable et impossible. Si c’est là une erreur; du moins elle n’a rien de dangereux à la socie'te'. L’essentiel est qu’on ne puisse nous convaincre d’aucune mauvaise action.

(Page 58 et suiv.) » Nous reconnoissons un Dieu qui n’a besoin de rien, et qui donne tout aux hommes. Nous sommes certains que les offrandes qui lui sontvéritablement agréables, sont çelles des vertus qui composent son essence incommunicable, et que nous nous proposons pour modèle. Nous avons appris que cet Etre souverainement bon, a fait toutes choses ; qu’il a créé, pour l’amour des hommes , tout ce qui existe ; que ceux qui se montrent dignes de lui par leurs œuvres, fidèles à sa loi, dociles à sa volonté, seront appelés à jouir de sa compagnie, à régneravcc lui au sein d’une gloire incorruptible, immortelle. Car, après qu’il a bien voulu s’occuper de nous, quand nous n’étions pas ; à plus forte raison nous récompensera-t-il lorsque nous nous porterons à faire ce qui lui plaît. 11 est évident que nous n’avons pu contribuer en rien à notre existence. Mais qu’en-suite nous choisissions et nous pratiquions ce qu’il nous commande; nous ne le pouvons que par les facultés qu’il nous a données, par les impressions secrètes qu’il nous communique, et par les· lu-inières de la foi.

»Nous croyons qu’il est de l’intérêt de tous les hommes, non-seulement de n’êtrepas détournés de cette doctrine, mais d’y être puissamment encou-rages. Car ce que l’on attendroit vainement d’au-cune législation humaine; le Verbe divin, raison essentielle, de qui nous tenons notre loi, l’auroit fait sans les perfides manœuvres des démons, qui, pour en éloigner les hommes, ont soulevé contre nous toutes les passions, et nous ont noircis par les plus odieuses diffamations.

» Quand nous vous parlons du royaume de Dieu, l’objet de notre espérance, vous vous imaginez aussitôt qu’il s’agit d’un royaume tel que ceux de la terre. Désabusez-vous. Pour vous détromper, il vous suffiroit d’assister à l’interrogatoire d’un chrétien. Quand on nous demande si nous le sommes, nous (Page 59.) le confessons. Si nos espérances se bornoientà un royaume de la terre ; nous nierions, nous nous cacherions pour éviter la mort, et parvenir au terme de noire ambition. Mais parce qu’elle n’est point limitée à ce cercle étroit des choses d’ici-bas; nous ne cherchons point à arrêter les coups qui nous frappent, sachant bien d’ailleurs qu’ils sont tôt ou tard inévitables.

»Sommes-nous moins que les autres citoyens, en état d’entretenir et de cimenter l’ordre ei la prospérité publique? Nous enseignons que personne n’échappe aux regards de Dieu, ni le méchant, ni l’avare, ni le calomniateur secret, ni l’homme ver-tueux ; et que chacun est destiné à un bonheur ou à un malheur éternel, en conséquence de ses œuvres. Si tous les hommes connoissoient bien cette doc-trine, aucun d’eux ne voudrait se rendre criminel pour si peu de temps, et courir le risque d’un en-fer qui durera autant que l’éternité ; il se contien-droit à quelque prix que ce fût, et cultiveroil la vertu, tant pour se garantir du châtiment, que pour mériter les récompenses. Ce ne sont pas vos lois, ni vos échafauds qui arrêtent le criminel lorsqu’il agit dans l’ombre , et qu’il se croit assuré de l’im-punilé. Il sait bien que vous n’êtes que des hom-mes, et que l’on peut échapper à votre justice; mais, avec l’intime conviction qu’il y a un Dieu, à l’œil de qui rien n’échappe, pas même les plus secrètes pensées, n’y eût-il que la crainte, du châtiment, ce seul frein ne seroit-il pas un bienfait pour la société tout entière? Mais vous avez l’air de craindre que tout ce que vous avez de sujets ne soient vertueux, parce qu’il ne vous resterait personne à punir. C’est là agir en bourreaux, nullement en bons princes. Les démons peuvent bien vous le suggérer: il leur faut à eux des victimes , et la servile obéissance de ceux qui leur ressemblent. Mais vous, partisans sincères de la piété et de la philosophie.non, nous ne vous soupçonnerons pas de sentimens aussi déraisonnables. Si pourtant la voix du pre'jugé l’emporloit sur celle de la ve'rité, vous êtes maîtres de faire ce qu’il vous plaît, comme les voleurs d’agir quand ils sont sans témoins.

»Personne n’aime à souffrir; moins encore are-cueillir, ou à léguer après soi l’indigence, la misère, l’ignominie.Pourquoi donc nous y exposons-nous? (page 60.) Nous savons que c’est là une des prédictions que nousalaissées notre divin maître, Jésus-Christ, de qui nous tenons le nom de chrétiens. Les pcrsécu-lions mêmes que nous avons à subir nous confirment la vérité de sa doctrine. L’accomplissement de ses prédictions devient un nouveau témoignage de sa divinité ; car à Dieu seul appartient de connoître l’avenir.

» On nous accuse d’être athées, nous qui adorons un Dieu, créateur universel. Nous ne l’honorons point par des libations, ni par de sanglans sacri-fices; mais par nos prières, nos louanges et nos actions de grâces. Nous croyons que le seul usage convenable des choses qu’il a créées pour notre subsistance, n’est point de les consumer inutilement par le feu, mais de les partager avec les pauvres. Nous chantons des hymnes en son honneur.^

Nous lui adressons sans cesse, nos hommages, el lui rendons grâces pour la vie qu’il nous adonnée, pour tous les bienfaits de sa providence, de la gloire future à quoi il nous appelle au sortir de la vie présenté, de la grâce qu’il nous a faile en nous éclairant du flambeau de la foi : un pareille croyance suppose-t-elle des athées?

»Celui de qui nous la tenons, c’est Jésus-Christ qui n’est venu dans le monde que pour l’y établir, qui a été crucifié sous Ponce Pilate, gouverneur de la Judée pour les Fiomains du temps de l’empereur Tibère. Nous lereconnoissons commeFils du vrai et unique Dieu. Avec le Père cl le Fils, nous adorons l’Esprit-Sainl qui a parlé par les prophètes (1).

(1) Dans une discussion purement théologïque, il faudroit traduire : Nous reconnaissons, en second lieu, Jésus Christ fils du vrai el unique Dieu, et enlroisilmelieu, l’Esprit-Saint. Expressions quiontlaissé croire que S. Justin admettoit quelque différence entre ks personnes divines. Le savant Bullus, dans sa Déjensede laJbide Nicèe, a bien éclairci la dif-ficulté et pleinement justifié notre saint docteur, en prouvant, par tout ],ensemblede sa doctrine, qu’il ne distingue point l’essence du Père, de celle du Fils, et du Saint-Esprit, mais uniquement l’ordre dans le-quel nous graduons les trois personnes divines eu parlant de leurs rap-« ports entre elles.

(Page 61 , 62. et suiv.) »Quelle folie, se récrie-t-on, d’adorer avec un Dieu immuable , éternel, créateur de l’univers, un homme morl sur une croix! Et c’est là un mystère qui effarouche l’ignorance. Dans l’exposé que nous allons vous en faire, nous vous demanderons de ne vous laisser pas dominer par des préventions étran-gères que nous avons nous-mêmes partagées avant que nos yeux ne s’ouvrissent à la lumière, abandonnés, comme vous l’êtes aujourd'hui, aux impi es־־ sions des sens el des passions.

»Autrefois nous ne connaissions de plaisirs que ceux de la débauche ; aujourd’hui la chasteté fait toutes nos délices. Au lieu de l’indigne commerce avec les démons que nous affections par l’usage des sortilèges et de la magie : nous nous dévouons tout entiers au Dieu bon et immortel. Nous étions impa-tiens de nous enrichir par toutes sortes de moyens ; maintenant nous mettons nos biens en commun; ou si nous les retenons, ce n’est que pour en faire part à tous ceux qui en ont besoin. Les haines, les san-guinaires emportemens formaient nos mœurs ha-bituelles; aujourd’hui, unis par les liens d’une charité mutuelle, nous prions même pour nos en-nemis. Ceux qui nous persécutent avec tant d'in-justice, nous travaillons par les seules voies de la douceur, à les gagner, en leur persuadant de vivre comme nous dans l’obéissance à la loi de Jésus-Christ, pour avoir droit aux mêmes récompenses qui nous sont promises. »

Saint Justin met sous les yeux de ses-juges les principales maximes de la morale chrétienne, rap-portées textuellement du livre des Evangiles, sur le devoir de la continence, de la chasteté, de la charité, de l’aumône, du pardon des injures, de la soumission envers les princes ; sur le culte de Dieu, sur les sermens, etc.

« Doctrine admirable , poursuit-il, qui a trouvé des disciples dans toutes les classes, a réformé les mœurs d’une foule innombrable de personnes que nous voyons encore avec orgueil persévérer jusqu’à l’àge le plus avancé.dans ]a plus haute perfection! » L’auteur de ces saintes maximes les a exprimées dans un langage bref et précis. Ce n’est, point un sophiste qui disserte. Il parle comme étant la vertu de Dieu , la raison, le Verbe par essence.

(Page 164.)  »S'il en est parmi ceux qui se disent chrétiens, dont les mœurs ne soient pas conformes à ces maximes, (et Jésus-Christ n’a pas manqué de nous !en avertir): ils ont cessé de l’être. Car ce n’estpoint par la seule profession, mais par les mœurs que l’on est chré-lien. Ceux-là nous sommes les premiers à provo-quer contre eux-mêmes la rigueur de votre justice. »Nous donnons à tous vos sujets l’exemple de la fidélité à payer les impôts. Nous avons appris de Jésus-Christ à rendre à César ce qui est àCésar, (Matth.,xxii. 21.) et ù, Dieu ce qui est à Dieu. Nous n’adorons que Dieu seul. Pour tout le reste , nous vous obéissons avec joie. Nous reconnoissons dans vos personnes les maîtres . les empereurs de la terre ; et nous prions Dieu qu’avec la souveraine puissance il vous accorde une raison droite.

» Jetez les yeux sur ceux qui siégèrent avant vous sur le même trône où vous régnez. Ils sont morts comme les derniers de leurs sujets; mais en mourant, leur existence ne s’est pas ane'antie clans le tombeau. Un châtiment immortel attendait ceux qui vécurent dans le crime. Pour ne pas vous laisser endormir dans une sécurité funeste, écoutez les preuves que nous allons vous fournir du dogme de l’immortalité de l’âme. »

(Page 65 et suiv.) Il le démontre par des raisonnemens puise's dans les traditions du paganisme ; par l’aveu de ses philosophes et de ses écrivains les plus célèbres ; par les pratiques superstitieuses, et les croyances mythologiques.

« Pourquoi donc nous fait-on, à nous, un crime de dogmes qui nous sont communs avec vos poëtes et vos philosophes? Est-ce parce qu’on les trouve chez nous sans mélange d’erreur, et que nous seuls en donnons de solides preuves? »

Au dogme de l’immortalité des âmes est lié intimement celui de la résurrection des corps. Saint Justin en appuie la certitude sur le fait sans cesse renouvelé sous nos yeux de la génération, de lare-production de nos corps par la propagation, etnon moins impénétrable à notre intelligence. « Nous ne saurions la concevoir, et cependant nous sommes forcés de la reconnoitre. C'est que, ce quiestincom-préhensible et impossible pour l’homme ne l’est point du tout pour Dieu.

»Si le paganisme n’étoit pas fondé à repousser des dogmes que ses sages lui avoient appris à res-pcctcr, étoit-il plus en droit de se soulever contre les mystères du christianisme, bien moins contraires à ]a raison que tous ceux dont il avoit composé !’histoire de ses divinités et de tout son culte ? »

Saint Justin se trouve donc engagé naturellement dans la discussion de l’idolâtrie ; ce qu’il fait encore ici avec autant d'e'rudition que de sagacité.

Page 68. « Bien que nous ayons nos dogmes et nos mys-tores comme les Grecs; seuls, nous sommes cou-pables d’en avoir. On nous hait, on nous poursuit pour le seul nom de Jésus-Christ. Nous avons beau ne rien faire contre les lois, on nous traîne à la mort comme des scélérats. L’exercice de tous les cultes est permis , il n’y a que le nôtre de pros-crit. Partout on est libre d’adorer les arbres , les fleuves, les rats, les chats, les crocodiles, tous les animaux. Ce que l’on adore en un lieu ne l’est pas dans un autre, et fait crier réciproquement à la profanation tout ce qui ne s’accorde pas dans l’objet du culte consacré, sans que pour cela on se traite en ennemis. Nous seuls nous sommes les en-nemis du genre humain, parce que nous n’adorons pas les mêmes dieux que vous ; que nous n’of-irons à des morts ni libations, ni parfums, ni cou-ronnes, ni sacrifices. Comment serions-nous d’ac-cord avec vous ? (Page 69.) vous ne l’êtes pas avec vous-mêmes. Les dieux révérés en certains pays ne sont ailleurs que des bêtes, que des victimes pour les dieux. »

Ces trails suffisent pour indiquer avec quelle force de raisonnement et d’expression l’apologiste révèle les absurdités elles infamies du paganisme.

11 attaque avec une égale vigueur les hérétiques de son temps, qui sembloientfaire cause commune avec les païens. Les ménageniens dont on usoit envers eux, la haute protection qui se dé-çlaroit en leur fa-veur,étoit une sorte de persécution nouvelle ajoutée aux rigueurs que l’on exerçoit contre les catholi-ques.Onles confondoitavec eux sous la dénomina-lion générale de chrétiens ;mais on avoit soin de les excepter de la proscription qui pesoit sur les vrais disciples de Jésus-Christ. (Page 70.) « Est-ce, demande saint Justin, que vous n’avez pas à leur imputer comme à nous ces mensongères abominations dont se repaît la haine des peuples, quand elle nous accuse de nous réunir, la nuit, à la lueur d’un flambeau bientôt après renversé, pour nous livrer à d’incestueuses débauches, et manger de la chair hu-maiue ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que les persécutions ne s’étendent pas sur eux ; c’est que, bien loin de les punir de mort pour la profession de leurs dogmes, vous les encouragez meme à les répandre. Non pas que nous vous demandions de persécuter personne, à Dieu ne plaise ! Nous sommes si loin de vouloir du mal à qui que ce soit, que nous regardons comme criminels et coupables de prostitution et d’homicide ceux qui exposent leurs enfans nouveau-nés ; ce qui seroif pourtant une suite nécessaire de ces désordres et (Page 71.) de ces mélanges que l’on nous impute....L’unique fin que nous nous proposons dans le mariage, c’est d’avoir des enfans, et de nous appliquer aies élever. Et si nous n’avons point la volonté de nous marier, nous demeurons dans la continence et dans un célibat perpétuel (1). »

(1) II n’eût pas été possible de faire passer dans une traduction lit-rérale l’énergique description du commerce infâme que l’on faisoit partout des enfans de l’nn et de l’autre sexe. Nous avons profité du pri-vilége de l’analyse, et encore bornée à la foible imitation de D. Cellier à cet article, tom. 11, pag. 14 et 15. « Telles étoient, dit à ce sujet l’abbé »Fleury, les mrcurs dès Romains sous un des plus sages de leuiscmpe-״reurs: encore ne dis-je pas tout ce que S. Justin en rapporte. » rlisl. r.cclés. tom. 1, pag. Syo.

(Page 73 et suiv.) Venant aux preuves delà divinité de Jésus-Christ, saint Justin l’établit par les prophéties, dont il explique les principales, commençant par celle de Jacob ; expose et développe celles d’Isaïe . de Michée et des autres , qui ont prédit les humiliations et la gloire future du Messie. Les païens pouvant mettre sur le compte de ce qu’ils appeloient fatalité la prescience divine manifestée dans les prophètes, Saint Justin prévient l’objection, et la réfute en montrant que, « Selon ces mêmes prophéties, les cliâtimens et les récompenses, la félicité et les peines sont distribuées à chacun en raison du mérite des œuvres. (Page 80.) Ce qui ne pourrait se dire, si tout arrivait nécessairement par I’enchaineinent des destinées.

»Si tout arrive par la force.d’un destin׳aveug-le et invincible; si un tel est homme de bien, et un tel scélérat, parce que le destin l’a voulu ;.dl s’ensuit, que l’un n’est point louable, et l'autre n’est point répréhensible ; qu’il n’y a plus de liberté ni de choix dans nos actions, ni par conséquent de me'-rite. Si le genre humain est dépouillé du pouvoir de choisir ,librement entre le bien et le mal011 ,׳ ne peut donc lui imputer aucune de ses actions. Nous pouvons aisément démontrer le ,contraire ; c’est-à-dire que l’homme embrasse, librement la vertu,, et se plonge, librement.dans, Je,vice.; puis-quq le même homme passe successivement, quand il veut, du vice à la ,vertu, et de la vertu au vice. Or, s’il étoit arrêté par,le destin, qu’il seroit bon ouiné-chant, il ne serait point susceptible des contraires; il ne changerait pas sisoüvent. Disons mieux : Si nous admettons le fatalisme ,;il·n’y a plus.ni bons, ,ni méchans.Il faut.tout rejeter sur le.,destin^,etJe reconnoitre seul auteur de tant de contradictions ; il faut avouer, nous l’avons déjà dit, que le vice et la vertu ne sont plus que des mots, inventés par les ,hommes, et dans le vrai, vides de sens; ce qui devient, comme la saine raison le dçmontre , la sou-vermine ,impiété et la souveraine injustice. Nous soutenons seulement qu’il est d’une destinée inévitable que ceux qui auront choisi la vertu reçoivent pour récompense les honneurs qu’ils auront nié-rites, et que ceux qui auront préféré le vice aient également le salaire qui leur est dû. Dieu n’a pas créé l’homme semblable aux plantes , ni aux bêtes, qui sont incapables de choisir et de se déterminer librement. Et l’homme, je le répète, ne seroit digne ni de louange ni de récompense, s’il ne faisoit pas le bien par l’effet de son choix, mais par une suite nécessaire de sa nature; il ne mérileroit pas davantage d’être puni s’il faisoit lé mal, puisqu’il ne dépendroit pas de lui de l’éviter...

(Page 81.) » Par le fidèle accomplissement des prophétie^ qui annoncèrent les e'vénemens exécutés sous vos yeux, tels ·que la désolation de Jérusalem et de son temple, la vocation des gentils; on peut, on. doit conclure à la certitude dë celles qui annoncent les e'vénemens réservés à l’avenir, comme le second ׳avènement de Jésus-Christ, la résurrection et le jugement général. (Page 82.) C’est l’autorité de ces prophéties qui nous forcé à croire.... (Page 88.) Car enfin tombe-t-il sous le sens que nous eussions pu croire à un homme mort sur une croix ; consentir à l’adorer comme étant le fils unique de Dieu, lé juge futur de tout le £enre humain: si nous n’avions les preuves les plus authentiques des prédictions qui avoient annoncé sa venue , et de la parfaite correspondance de cés mêmes prédictions avec les faits? »

11 restoit à saint Justin de justifier les chrétiens sur les crimes secrets dont on accusoit leurs assemblées. C'est pour répondre aces calomnies, qu’il (Page 95.) apprend ce qui avoit lieu dans leurs réunions , quoique régulièrement il ne fût pas permis d'en parler devant ceux qui n’étoient pas chrétiens (1).

(1) Voyez à ce sujet !’épître synodale des Pères d’Alexandrie ou Apologie contre les Aliens, dans S. Athanase, tom. 1, édit, des Béné-diet. pag. 133.

Voici, Messieurs, tout ce passage si justement célè־־ bre, d’une si haute importance tant pour le dogme que pour ]a discipline, et que nous pouvons appe-1er foudroyant pour l’hérésie. Nous le donnons textuellement d’après la traduction de l’abbé Fleury, à quelques éclaircissemens près, que le dernier éditeur de saint Justin, D. Prudent Marant, a cru. devoir y mêler(2).

(2) Dans Tricalet, Biblioth. portât, tom. 1, pag. 5<j, note.

« Nous exposerons maintenant de quelle ma-גג nièce nous sommes consacrés à Dieu, etrenouve-»lés par le Christ; de peur que l’on ne s’imagine » que nous le dissimulions malicieusement. Ceux »qui sont persuadés de la vérité de notre doctrine , » et qui s’engagent à mener une vie conforme à cette » croyance , nous les obligeons à jeûner , à prier , »à demander au Seigneur la rémission de leurs péchés (Page 94.) passés. Nous prions, nous jeûnons avec eux. »Ensuite nous les amenons au lieu ouest l’eau, et »ils sont régénérés de la manière que nous l’avons »été; car ils sont lavés dans l’eau au nom du Sei-»gneur. Dieu de toutes choses, et de notre Sauveur » Jésus-Christ, crucifié sous Ponce Pilate, et du Saint-»Esprit, qui a prédit par les prophètes tout ce qui »regardait le Christ. Nous appelons cette ablution, »illumination; parce que les âmes y sont éclairées.... (Page 97.) » Après cette ablution, nous introduisons le nouveau »fidèle dans le lieu où tousles frères sont rassem-»blés, pour prier en commun avec ferveur, tant »pour eux-mêmes que pour l’illuminé et pour les »autres, quelque part qu’ils soient; afin qu’ayant »connu la vérité, nous puissions par les œuvres et »!,observation des commandemens arriver au salut » éternel. Les prières finies , nous nous saluons par »le baiser :puis les prières achevées, on présente à »celui qui préside aux frères du pain et une coupe »de vin et d’eau. Les ayant pris , il donne louange »et gloire au Père par le nom du Fils et du Saint-»Esprit, et lui fait une longue action de grâces »pour ces mêmes dons dont il nous a gratifiés. Les »prières et l’action de grâces terminées, tout le »peuple assistant dit à haute voix Amen , mot hé-»breu qui veut dire, ainsi soit-il. Ensuite ceux que. »nous appelons diacres, distribuent à chacun des »'assistans le pain , le vin et l’eau consacrés par l’ac-» tion de grâces, et en portent aux absens. Nous ap-»pelonscelte nourriture Eucharistie; elil n’est per-»mis à personne d’y participer, s’il ne croit la vérité »de notre doctrine, s’il n’a élélavé par la rémission »des péchés et la nouvelle vie, et s’il ne vitcon-»formément aux préceptes de Jésus-Christ. Car »nous ne les prenons pas comme un pain commun » et comme un breuvage ordinaire;(Page 98.) mais de même » que Jésus-Christ notre Sauveur, ayant été fait chair »par le Verbe de Dieu ( uni à notre nature ) a eu »véritablement chair et sang (qu’il, a pris) pour »notre, salut ; de même nous avons appris que cet »aliment, qui par transformation nourritnotre chair »et notre sang , ( est transformé ) par l’efficace de »la prière eucharistique contenant la parole que » nous avons reçue de lui, et devient la chair et le »sang de ce même Jésus qui a été fait chair (1). Car »les apôtres nous ont appris dans les mémoires »qu’ils nous ont laissés, et qu’on nomme Evangiles, »que Jésus-Christ leur avoit ordonné d’en user »ainsi. lorsque ayant pris le pain et ayant rendu »grâces, il dit : Faites ceci en mémoire de moi; y>ceci est mon corps; el qu’ayant pris pareillement la »coupe et rendu grâces , il dit : Ccci est mon sang.

(1) « Voilà précisément les deux choses qui concourent au mystère de »!’Eucharistie ; la prière qui l’obtient, et la parole qui l’opère ; la prière »de !’Église, et la parole de Jésus-Christ. Mais de quelque manière » qu’on lise, Γ. paroît toujours que S. Justin attribue le mystère delà » transsubstantiation à l’efficace de cette parole que nous avons reçue de *Jésus-Christ : ceci est mon corps, ceci est mon sang , comme lui-même »l’explique immédiatement après.» Tiicalet. supr. pag. 60.

» Ensuite nous nous rappelons ces choses en mémoire les uns aux autres. Ceux qui ont du bien, »soulagent tous les pauvres; et nous sommes tou-»jours les uns avec les autres. En toutes ces offran-»des nous bénissons le Créateur de toutes choses »par son Fils Jésus-Christ et par le Saint-Esprit.

« Et le jour que l’on appelle du soleil (c’est ainsi »que les païens nommoient le dimanche ) (1) , tous »ceux qui demeurent à la ville ou à la campagne »s’assemblent en un même lieu. On lit les écrits des »apôtres et des prophètes, autant que l’on a de »temps. La lecture finie, celui qui préside fait un »discours au peuple pour l’instruire et pour l’ex-»horter à mettre en pratique les sublimes maximes »de vertu et de religion qu’il ,vient d’entendre. En» suite nous nous levons tous pour faire notre prière »en commun.... On distribue à tous ceux qui sont »présens les choses sanctifiées, et on en envoie »aux absens par les diacres (2). »

(1) On lit dansl’épître catholique de S. Barnabe : Diem dominicum in lœtitia agimus, in quo Jesus resurrexii a mortuis (n° 15 ). Tertullien , Die dominico jejunium nefas ducimus. De corona, n° 5; et dans son Apologct. n° 16. S. Cyprien : Interim nobis hoc die dominico auspi-catus est."Voy. à ce sujet la note 7 de Paméliusstir VEpitr. xxxm de S. Cy-prien , pag. 66 de son édition.

(2) Fleury, Hist, ecclés. tom. 1, pag. 070, י~ךס. édit, in-12, liv. 111, ΊΊΙΙοιη. Méni. ecclés. tom. 11, pag. 070.

(Page 98.) »Les aumônes, que chacun fait avec la plus grande »liberté, sont remises entre les mains du prélat, » qui est chargé d’assister les veuves, les orphelins, » les étrangers, les malades, tous ceux en un mot qui sont dans le besoin pour quelque cause que ce «soit. Nous avons coutume de nous assembler le jour » du soleil, parce que c’est le jour auquel Dieu corn-»mença de créer le monde ; que c’est ce même jour » que Jésus-Christ notre Sauveur est ressuscité, qu’il » est apparu à ses apôlres, et leur a enseigné ce que » nous venons de mettre sous vos yeux.

» Si cet exposé vous paroît conforme à la raison , (Page 99.) »autant qu’il l’est à la vérité, daignez, princes, le » prendre en considération. Si au contraire vous ne » le jugez point assez sérieux, dédaignez-le ; vous en » êtes bien maîtres ; mais du moins ne traitez pas » en ennemis publics, ne punissez pas de mort des » hommes qui ne sont point coupables ; car nous » vous avertissons qu’il y aura un jugement de Dieu » auquel vous ne pourrez échapper si vous mainte-»nez ce système d’oppression. Quant à nous, nous » dirons toujours : Que la volonté de Dieu soit faite. »

L’illustre apologiste ajoute à la fin de sa défense la lettre adressée par l’empereur Adrien (1) à Minucius Fundanus, et celle de l’empereur Antonin en faveur des chrétiens.

1) Les chrétiens furent persécutés avec violence dans les commen-cemens du règne d’Adrien. On peut en voir les preuves dans nos écrivains ecclésiastiques ; et nous comptons un grand nombre de martyrs à cette époque. Mais, dit Eusèbe, la vérité chrétienne répandait aussi alors le plus vif éclat. P/׳é/2arat. évangél. liv. iv, ch. xvn. Elle péné-troit jusqu’à la cour des princes. Lainpride atteste que l’empereur Adrien revenu de ses préventions , et encore, après lui Alexandre Sévère’ conçurent le dessein de reconnoitre publiquement la divinité de Jésus-Christ, et d’élever des temples en son honneur. Tibère y avoit pensé avant eux.

LETTRE D’ADRIEN.(*).

(*) Elle est aussi rapportée par Eusèbe, Ilist. ecclés. liv. iv, ch. 1λ. Bullet l’a transcrite dans son ouvrage de VÉtablis, du Christian. pag. 12 et 211. On peut la voir'égaleinent dans Tilk-inout el D. Cellier.

(Page 99.) “ J’ai reçu la lettre de l’illustre Sérénius Granianus(1) à qui vous avez succédé. Je suis d’avis qu’il faut examiner le fait pour éviter les troubles, et pour ne plus laisser lieu à la calomnie. Si les hommes des provinces veulent soutenir leurs plaintes contre les chrétiens, devant votre tribunal, qn’ilsprennent cette voie, mais qu’ils s’abstiennent à l’avenir des plaintes vagues et des clameurs. Car il est bien plus raisonnable, si quelqu’un veut accuser les chrétiens, que vous en preniez connoissance. Si donc quelqu’un les accuse , et prouve qu’ils ont fait quelque chose contre les lois, vous en jugerez se-Ion la nature du délit. Mais si, sous prétexte de leur nom seul, on les calomnie , vous punirez sévèrement un procédé si cruel. »

(1) Proconsul d’Asie qui avoit représenté à l’empereur que c’étoit une injustice criante de condamner les chrétiens pour leur nom seul et d’apiès les clameurs de la populace.

LETTRE, OU CONSTITUTION DE L’EMPEREUR ANTONIN-LE-PIEUX, EN FAVEUR DES CHRETIENS (**).

(**) Eusèb. /list. ecclés. liv. 1v, cli. 15. Bullet, pag. 15 el2?0. Tillcm. D. Cellier, Fleury. Périonius, un des plus anciens commentateurs de S. Justin, veut que celle-ci ail été ajoutée après coup. Ed. de S. Justin, imprim. roy. Paris, 1551 et 1554» torn, ri, pag. 66. Qu’importe? elle n’en est pas moins authentique. «Pièce importante pour l’histoire de ce »tcmps-là, où l’on voitavee joie la justification ou plutôt le panégyrique »des chrétiens prononcé par la bouche d’un prince païen. ״ Tillcm. Mém. tom. 11, pag. 585.

(Pag. 100.)    “ L’empereur Antonin aux villes d’Asie, salut.

« Je pensois que vous pourriez laisser aux dieux le soin de découvrir les gens dont vous vous plai-gnez. C’est aux dieux, bien plus qu’à vous, qu’il appartient de tirer vengeance de ceux qui leur re-fusent les honneurs divins. Vous les persécutez, vous les accusez d’athéisme et d’autres crimes que vous ne sauriez prouver. Mais vous ne prenez pas garde qu’ils obtiennent tout ce qu’ils ambitionnent, quand ils meurent pour leur doctrine ; que leur mort même est une victoire sur nous, puisqu’ils la bravent plutôt que de se soumettre à ce que vous exigez d’eux. Il est aussi à propos de vous donner des avis touchant les tremblemens de terre présens et passés. Comparez la conduite que vous tenez en ces occasions avec celle que tiennent les chrétiens. Au lieu qu’alors ils mettent ])lus que jamais leur conliancc en Dieu; vous perdez courage. Aussi il semble que, hors ces calamités publiques, vous ne connoissezseulementpaslesdieux ;vousnegligez toutes les choses de la religion, et vous ne vous souciez point du culte de !’Eternel. Et parce que les chrétiens !’honorent, vous les chassez et vous les persécutez jusqu’à la mort. Plusieurs gouver-ucurs île province ayant écrit à mon père, au sujet «le ces mêmes hommes, il leur fil réponse qu’il ne falloit pas les inquiéter, à moins qu’ils n’entreprissent quelque chose contre le bien de l’état.

Quand on m’a écrit sur le même sujet, j’ai fait la même réponse. Que si quelqu’un continue à accuscr un chrétien à cause de sa religion, que l’accusé soit renvoyé absous, même étant convaincu d’être chrétien, et que l’accusateur soit puni. »

Si les empereurs suspendoient quelquefois la rigueur des lois portées contre les chrétiens, la persécution, toujours coutinuée par les peuples, n’en avoit pas moins son cours. Jésus-Christ ne tient rien de la faveur des hommes, pas plus qu’il ne craint leurs fureurs.

Seconde Apologie. La seconde apologie n’a point l’étendue ni la célébrité de la première. Voici le fait raconté par saint Justin, qui y donna occasion (vers l’an 166). (Page41.) « Une dame païenne avoit mené long-temps une vie fort déréglée, suivant en cela l’exemple de son mari, païen lui-même. Convertie à la foi chrétienne, elle voulut en״a״er son époux à imiter son changement de mœurs. N’ayant pu l’y amener, elle crut pouvoir s’autoriser des lois romaines pour demander le divorce avec son mari, qui l’avoit dénoncée comme chrétienne , elle, et celui qui l’avoit rendue chrétienne. La plainte lut reçue, et devint l’occasion du martyre de plu-sieurs chrétiens. Saint Justin rappelle ce fait dès l’exorde de sa requête adressée comme l’autre aux empereurs et à tout le peuple romain.

« Ce qui vient d’arriver sous le préfet Urbicius, el ce qui arrive tous les jours dans tout l’empire, me met dans la nécessité de vous adresser celle apologie pour des hommes innocens qui sont toujours ex-posés à subir le même sort, et qui n’en sont pas moins vos semblables, quoique le haut rang où vous êtes vous le fasse oublier. »

(Page43.) Les païens disoient aux chrétiens : Si vous êtes si assurés, et si empressés de vous réunir à votre Dieu , que ne vous tuez-vous vous-mêmes , et que ne nous laissez-vous par-là en repos? Saint Justin ré-pond : « Pourquoi n’en agissons-nous pas ainsi ? pourquoi, lorsque l’on nous interroge, confes-sons-nous hardiment que nous sommes chrétiens ? Je vais vous le dire. (Page44) Nous savons que Dieu avoit ses desseins en créant la société humaine; nous savons qu’il regarde avec complaisance ceux qui le prennent pour modèle, rendant hommage à sa puissance et à la sagesse de ses œuvres ; et qu’il s’offense de ceux qui, par leurs discours ou par leurs actions , se mettent en opposition avec les lois de la Providence. En nous rendant homicides de nous-mêmes , nous détruirions . autant qu’il est en nous, la société humaine; nous arrêterions avec nous les progrès de la vraie religion. Maintenant pourquoi, quand on nous interroge, ne nions-nous pas? C’est qu’il n’y a pas de rnal a avouer ce que nous sommes ; c’est que tout mensonge est regarde' parmi nous comme criminel envers Dieu; c’est que, par la profession publique que nous faisons de la vérité, nous cherchons à vous désabuser des injustes préventions où- vous êtes contre nous. Vous nous dites que, si le Dieu que nous servons étoit capable de nous défendre , il ne nous laisseroit pas dans l’oppression, victimes de l’injustice et de la cruauté de nos persécu-leurs. Ce sophisme veut une réfutation. L’empire et la providence de Dieu sur le monde n’empêchent pas le cours ordinaire des choses. Il permet qu’il y ait des génies malfaisans, dont les artifices corrompent les jugemens des hommes, et les portent à (Page46.) toutes sortes d’excès. L’existence de ces mauvais génies ou démons a été reconnue par vos poètes et vos philosophes eux-mêmes. Mais ils n’ont d’autre puissance que celle que Dieu veut bien leur abandonner; puisque tous les jours des chrétiens chassent sous vos yeux, au nom de Jésus crucifié, les démous du corps des hommes, ce que tentent vainement vos magiciens (,t vos enchanteurs. Or, ce pouvoir que Jésus-Christ donne aux chrétiens sur les démons est le l(:moi״na<>e de la vérité de notre doctrine sur)»' redoutable jugement qui sera exercé un jour et sur eux et sur leurs adorateurs, reserve's à des feux vengeurs , et qui ne s’éteindront jamais.

(Page47.) »A ce mot de feux éternels, vous vous récriez que c’est là un vain épouvantail; et qu’au lieu de dégrader l’àme par l’impression d’une crainte servile, il faudrait bien plutôt l’élever à la pratique du bien par un mouvement libre , fondé sur le seul charme de la vertu. Je réponds que s’il n’y a point d’enfer, il n’y a point de Dieu; ou que s’il y en a un, il est indifférent sur le bien ou sur le mal.

Il n’y a donc ni vice ni vertu; et c’est injustement que tous les législateurs ont décerné des peines contre les transgresseurs des lois. Que s’ils ne sont pas injustes, le chef des législateurs ne sau-roit l’être, lui qui n'ordonne rien que par sa suprême sagesse ; et les chrétiens ne peuvent l’être en suivant sa loi.

» Eh! quelle comparaison encore entre les autres (Page49.) législateurs et celui-là! Combien notre doctrine et notre morale ne l’emportent-t-elles pas sur celles qui n’ont eu pour auteurs que des hommes! Ceux-ci n’ont fait qu’entrevoir la vérité : Jésus-Christ seul l’a puisée à la source. Aussi, le plus célèbre d’entre eux, Socrate n’a-t-il trouvé personne, pas même un seul de ses disciples, qui ait voulu souffrir la mort pour sa doctrine ; tandis que pour Jésus-Christ non-seulement des sages et des savans, mais une multitude d’ignorans et de gens du peuple ont bravé les menaces, les tortures et la mort. Ne vous en étonnez pas. Les premiers étoient abandonnés à la foiblcssc humaine; et c’est la force même du Verbe de Dieu qui soulientles chrétiens. (Page 30.) Moi-même, sectateur de la philosophie de Platon, en voyant d’une part les chrétiens traduits devant les tribunaux par la calomnie, et courant avec intrépidité à la mort, j’ai compris qu’il n’étoit pas possible qu’ils fussent des esclaves de la volupté. Ainsi je ne réponds rien aux accusations que l’on fait contre eux en ce genre , el dont on s’efforce d’arracher par les plus affreuses tortures, l’aveu à leurs enfans, à leurs esclaves, à des femmes foibles cl délicates. J’en appelle à la justice du Dieu qui voit tout. » (Page58.)

Lettre à Diognet. On n’est pas généralement d’accord qu’elle soit de saint Justin (1); mais il n’est pas non plus démontré qu’elle n’en soit pas. Ce qu'il y a de certain, c’est que l’auteur, quel qu’il soit, ne peut pas être éloigné du temps où vécut le saint martyr. Tillemont le croit antérieur (2). Si scs conjectures sont vraie s, l’ouvrage n’en est que plus précieux.

(1) Elle manque à l’édit, de Rob. Étienne , gr. et lat.in-fol. imprim. roy. 1651, ou plutôt de Joach. Périonius qui en est le principal Iraduc-teur.

(2) Mém. tom. 11, pag. 5y2. Combattu par Du Pin, Bibtioth. loin. 1, . pag. 122.

L’apologiste répond aux principales accusations dirigées contre les chrétiens. « Ils n’adorent pas les dieux du paganisme, parce qu’ils ne les reconnois-sent pas pour être dieux. Mais ceux-là même qui les adorent, quelle idée se font-ils donc de la Di-vinité, pour honorer comme ils font des statues de pierre, d’airain, ou de quelque autre matière vile et terrestre, travaillée par la main des hommes?

»Les chrétiens s’éloignentde la religion des Juifs, (Page495.) parce qu’ils n’ont rien de commun avec leurs superstitions.

»Ils s’isolent des autres peuples. Calomnie. Ils ne (Page496.) s’en séparent que dans ce qu’ils ont de criminel ou de frivole. Ils fraternisent avec tous, (Page497.) comme concitoyens; ils endurent tout, comme étrangers. Point de contrée étrangère qui ne soit leur patrie ; point de patrie qui ne leur soit étrangère. Ils mangent en commun, mais toujours avec modestie. Ils sont dans la chair, mais ne vivent point selon la chair; ils habitent le monde, mais ils obéissent à une lé-igislation qui leur vient du ciel. Du reste, ils sont )partout soumis aux lois de l’état, et aux coutumes des lieux. Ils enchérissent encore par leur genre de vie sur la sévérité des lois. Ils aiment tout le monde.· et tout le monde les persécute. On les niéconnoît, et on les condamne, on les traîne à la mort: mais la mort est pour eux le principe d’une vie nouvelle. Ils sont pauvres, et ils répan--dent des largesses. On les décrie, et les opprobres dont on les charge font leurs litres de gloire. Tout en déchirant, leur réputation, on ne peut leur refuser l’hommage dû à l’innocence des mœurs. On les maudit: ils ne se vengent que par des bénédic-lions. Bien qu’irréprochables , on les punit comme des scélérats. Les Juifs unis aux païens les combattent avec acharnement, et leur haine ne saurait ar-liculer rien de précis. Pour tout dire en un mot, les chrétiens sont dans le monde ce que l’àme est dans le corps. De même que celle-ci réside dans le corps, mais est distincte du corps ; ainsi les chrétiens ha-bilent le monde, disséminés sur tous scs points, mais ils n’appartiennent pas au monde.

»La doctrine qu’ils professent, ce ne sont pas les hommes qui la leur ont donnée. Elle leur vient de Dieu, qui l’a fait connaître, non par le ministère d’un ange , mais par l’organe de son Verbe. Il l’a envoyé sur la terre,, non comme un״monarque qui vient (Page499.) imposer à des sujets, un joug tyrannique, mais comme un roi tout débpnnaire, qui met son royal fds en possession de ses .états ; mais comme un Dieu sauveur qui ne demande que dès hommages libres et volontaires.

» Avant sa venue, personne nc.co.nnoissoit Dieu. Eh! d’où auroit-on appris à -le ·conuoître ? étoit-cè à l’école de ces philosophes qui 11’out su publier jamais que des contradictions et des mensonges? Il n’y avoit que lui qui pût se découvrir aux hommes.

Il se manifeste par la foi, à qui seul il est donné de le voir. Toujours bon, toujours miséricordieux, quand les hommes ne méritoient que sa colère, il conçut en leur faveur le dessein le plus généreux, le plus ineffable, pour !,execution duquel il s’est associé son divin fils. Long-temps il l’avoit retenu (Page380.) caché ; mais quand le moment est enfin arrivé de révéler au monde les conseils préparés dès le corn-mencement; c’est alors que les bienfaits de la divine incarnation se sontmanifestés et répandus sur nous. Jésus-Christ est venu prendre nos péchés. Dieu (Isa. liii.12) lui-même nous a donné son propre fils pour être le prix de notre rédemption; substituantl’innocent, le juste, à la place des criminels. Oubliant toutes les offenses dont nous nous étions rendus coupables, il a fait de celui qui étoit sans péché la rançon de ceux qui en étoient couverts ; et le Dieu immortel a satisfait en mourant pour les hommes condamnés à la mort.

» Qui est-ce qui pouvoit couvrir nos péchés, si ce n’étoit sa justice? Comment la rébellion des serviteurs pouvoit-elle être expiée autrement que par l’obéissance du Fils ? O échange incompréhensible! O surprenant artifice de la sagesse de Dieu!

Un seul est frappé, et tous sont délivrés; le juste est déshonoré, et les coupables en même temps remis en honneur; l’innocent subit ce qu’il ne doit pas; et il acquitte tous les pécheurs de ce qu’ils doivent. L’iniquité de plusieurs est cachée dans un seul juste , et la justice d’un seul fait que plusieurs sont justifiés (1).

(1) Ce paragraphe est de la traduction de Bossuet, et se trouve dan» deux de ses sermons, sur la Circoncis, tom. 111, pag. 205, el ledim. de la Quin<juages. ibid. pag. 548 , ainsi que dans la seconde partie de son •            Disc, surl’hist. univ. a la pag. 289, éd. in-4’» Paris, 1681.

» Aussitôt que vous aurez appris à connoître Dieu, quelle douce joie remplira votre cœur ! combien vous voudrez aimer le Dieu qui vous a prévenu de tant d’amour! En commençant à l’aimer, vous lui ressemblerez par la bonté. Quoi ! un homme ressembler à Dieu ! Ne soyez pas surpris d’un pareil langage : oui, lui ressembler, avec la grâce de Dieu, non par sa toute-puissance , et la souveraine autorité de sa domination, ni par son inépuisable magnificence; mais être miséricordieux envers le prochain, bienfaisant à l’égard de ses inférieurs , partager ses biens avec les indigens , c’est en être le dieu, c’est imiter Dieu lui-même. C’est alors que vous comprendrez que le monde tout entier ne forme qu’une sorte de république gouvernée par Dieu; alors vous serez initié dans le langage des mystères de Dieu.

(Page501.) »Moi-même, je ne vous parle pas de choses qui me soient étrangères, opposées à la droite raison ; moi-même, ayant eu le bonheur d'être le disciple des saints apôtres, la doctrine que j’en ai reçue, je la transmets fidèlement à ceux qui se rendent dignes d’être les disciples de la vérité. »

Il ne manquoit plus à saint Justin que la couronne du martyre : il l’avoit assez ־méritée aux yeux îles hommes pour l’obtenir au jugement de Dieu. Elle lui fut accordée fan 167 de Jésus-Christ. Nous avons encore le procès verbal de sa généreuse confession (1). Il paroît que son dénonciateur fut un philosophe de la secte des cyniques, nommé Crescent, persécuteur déclaré de saint Justin qui, dans sa première Apologie, avoit démasqué son or-gueil et sa corruption (2). Tatien, qui ne le con-noissoit pas moins bien, accuse de même l’inso-lencc de son faste , la dissolution de ses mœurs, sa lâche hypocrisie dans la défense de ses dieux, quand il n’en croyoit aucun (3). Un tel homme ne pou-voit pardonner à notre philosophe chrétien ni ses vertus ni ses talens. Condamné par Rustique , préfet de Rome , à être battu de verges et décapité , il souffrit la mort pour le nom de Jésus-Christ avec autant de courage qu’il en avoit mis à le défendre.

(1) Voy. D. Cellier, ton!, n, pag. 71. Tillemont; Fleury, Ruinai t, Jeta, pag. 45.

(2) Apolog. 11, pag. 46.

(3) Contr. gent. pag. 160, à la suite du S. Justin, édit, de Cologne, 1686.

Il seroit trop long de rapporter les jugemens qui ont été portés sur cet illustre Père. Photius, cité par la plupart des écrivains postérieurs , rend hautement justice à sa profonde érudition. « Seule» ment, ajouie-t-il, saint Justin a cru indigne de lui »de mêler à la beauté naturelle de sa philosophie »des couleurs étrangères ; et bien que son élocu-»tion soit énergique et savante, rien n’y ressent les »grâces de l’orateur. Il néglige l’élégance du lan-»gage, et n’emprunte d’ornemens que ceux de la » vérité (1). » Ce que Photius appelle élégance du langagenous intéresse peu. Il nous est bien plus important d’y rencontrer, avec saint Jérôme , un autre genre de modèle, la substance d’une doctrine toute céleste, une générosité vraiment apostolique, la gravité des sentences et la force des mouvemens (2).

(1) Cod. cxv, pag. 504· Voy. Du Pin; Bibl. tom. 1, page 127. Til-lemont, tom. 11, pag. 372.

(2) Ep. lxxxiii ad Magn. lom. iv , ed. Bencd., col. 72.