ÉPÎTRE DE SAINT POLYCARPE, éVêQUE DE SMYRNE.
Vers l’an 80 de Jésus-Christ.
Saint Polycarpe est moins célèbre par ses écrits que par l'histoire de son martyre. Une semblable histoire vaut les meilleurs écrits. On la lira avec un grand intérêt dans Eusèbe (1), d’où les écrivains postérieurs l’ont tirée. Nous bornons son article au témoignage que lui a rendu saint Irénée, apôtre des Gaules, qui avait été son disciple. Je le transcris d’après une lettre de ce saint évêque adressée à Florin, qui après avoir été lui-même disciple de saint Polycarpe, étoit tombé dans l’hérésie. « Ce n’est point là, lui mande-t-il, la doctrine que nous » ont transmise les évêques qui nous ont précédés et « qui ont été les disciples des apôtres. Car étant encore fort jeune, je vous ai vu à Smyrne chez le bienheureux Polycarpe, lorsque vivant avec éclat à la » cour de l’empereur, vous veniez voir ce saint évêque, et que vous tâchiez d’acquérir son estime; car » je me souviens mieux de ce qui se passait alors, que » de tout ce qui est arrivé depuis. Les choses apprises » dans l’enfance se nourrissant et croissant en quelque sorte dans l’esprit avec l’âge, ne s’oublient jamais; de sorte que je pourrais dire même le lieu où » était assis le bienheureux Polycarpe, lorsqu’il prêchait la parole de Dieu. Je le vois encore: avec » quelle gravité il entrait et sortait partout où il allait! Quelle sainteté respirait dans toute la conduite de sa vie ! Quelle majesté sur son visage et dans » tout son extérieur! Combien étaient puissantes les » exhortations dont il nourrissait son peuple! Il me » semble l’entendre encore nous raconter de quelle » sorte il avait conversé avec saint Jean, et plusieurs » autres qui avaient vu Jésus-Christ; nous parler de » ses miracles, de sa doctrine, qu’il avait recueillis » de la bouche même de ceux qui avaient été les témoins oculaires du Verbe et de la parole de vie. » Dès lors j’écoutais toutes ces choses, je les gravais, » non sur des tablettes, mais dans le plus profond de » mon cœur. Je puis donc protester devant Dieu que, » si cet homme apostolique eût entendu parler de » quelque erreur semblable aux vôtres, il eût à l’instant même bouché ses oreilles et qu’il eut témoigné son indignation par ce mot qui lui était ordinaire: Mon Dieu! à quels jours m’aviez-vous réservé (1)! »
(1) Ecclesiœ Smyrnensis de martyrio S. Polycarpi epistola circularia. Apud Euseb. Hist, eccles. lib. iv, cap. xv. Halloix, Vies des écriv. de l'Église d’Orient, tom. i, not. ch. xiii. Cotel. Patr. apostol. tom. ii. Pag. 195.
(1) S. Iren. adv. hœres. lib. viii, c. Voy. Fragmenta in edit. Feu-ardent. pag. 510, Euseb. Hist, eccles. lib. v, cap. xx. Tillem. Mém. tom. ii, pag. 334.
L’abbé Clement fait une allusion ingénieuse à cette lettre dans un sermon sur l'Éducation, au sujet des impressions du jeune âge (1).
(1) Sermons du carême, tom. ii, pag. 400.
Le monument le plus considerable qui nous reste de saint Polycarpe, est son Épître aux Philippiens; qui, du temps de saint Jérôme, se lisait encore dans les églises d’Asie (2).
(2) In catal. oper. tom. iv, pag. 18.
Elle se trouve dans Cotelier, dans le ive vol. de la Bible in-fol. de Sacy, dans le recueil in-12 des Pères apostoliques, de Le Gras, indépendamment des éditions et versions qui en ont été publiées par Ussérius, Thomas Ittigius, et dans les grandes Bibliothèques des Pères.
A l’imitation des écrits des apôtres et de tous les grands hommes de ces temps sacrés, elle contient des instructions pour tous les fidèles, parcourt tous les rangs et les états, pour apprendre à chacun ses devoirs: et à tous en général elle inspire la plus grande horreur des doctrines nouvelles, et des hérétiques qui dogmatisaient alors.
Cette lettre, nourrie des pensées et des expressions de l’Évangile et des épîtres des apôtres que saint Polycarpe avait recueillies comme les ayant entendues de ses propres oreilles, témoigne combien ces saints livres étaient répandus dès ces premiers temps (3). En voici les principaux traits:
(3) Contre Fréret, Voltaire, etc. Voyez Bergier, Traité de la religion, iiie partie, art. i, pag. 30 et suiv. du tom. vii. OEuvres complètes, édit, de Besançon, 1820.
(Cotelier, Patres apostol. tom. ii, pag. 186.) Parlant de Jésus-Christ: « C’est ce Fils dont tout reconnaît le pouvoir, soit sur la terre, soit dans le ciel. Tous les esprits lui obéissent, comme au juge souverain des vivants et des morts; et Dieu redemande son sang à ceux qui ne croient point en lui. Mais ce même Dieu, qui l'a ressuscité d’entre les morts, nous ressuscitera aussi, si nous marchons dans la voie de ses commandements, et si nous aimons ce qu’il a aimé, en nous abstenant de toute injustice, de fraude, d’avarice, de calomnie, de faux témoignage, ne rendant point le mal pour le mal, (Rom. xii. 19.) outrage pour outrage, imprécation pour imprécation. Souvenons-nous donc toujours des instructions que le Seigneur nous a données. Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Remettez, et l’on vous remettra; (Matth., viii. 1. Marc, ii, 25.) soyez touchés de la misère de vos frères, et l’on sera touché de la votre. On se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serviez envers les autres. (Marc, xxiv.) Et ailleurs: Bienheureux sont les pauvres et ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume de Dieu est à eux. » (Matth., viii. 10.)
(Page 187.) « Ce n’est point de moi-même que je vous écris ces choses, mes chers Frères.... Ni moi, ni aucun autre homme, nous ne pouvons atteindre à la sublime sagesse du bienheureux Paul, ce glorieux apôtre, qui pendant qu’il était dans votre ville au milieu de ceux qui vivaient alors, y a prêché avec un zèle généreux et infatigable la parole de vérité; et qui depuis, éloigné de vous, vous a écrit des lettres où vous pouvez puiser tout ce qui vous est nécessaire pour avancer dans la foi que vous avez reçue. »
(Page 188.) « Que les prêtres soient tendres et compatissants envers tous; qu’ils ramènent ceux qui se sont égarés; qu’ils visitent les malades, et ne négligent ni la veuve, ni l’orphelin, ni le pauvre... Qu’ils ne croient pas légèrement le mal; et qu’ils n’usent point de trop de sévérité envers ceux dont ils sont les juges, sachant que nous sommes tous pécheurs... Séparons-nous des faux frères, ou de ceux qui se servant du nom de Dieu comme d’un voile pour couvrir leur hypocrisie, entraînent dans l’erreur les hommes vains et superbes. »
(Page 189.) «Soyons les imitateurs de Jésus-Christ; car nous ne pouvons le glorifier véritablement qu’en souffrant pour son nom. »
« Celui qui ne s’abstient point de l’avarice, tombera dans l’idolâtrie, et il sera réputé comme étant encore du nombre des païens. »
« Heureux celui qui croit les choses que vous croyez! Que Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et ce même Jésus-Christ son Fils, le pontife éternel, vous affermissent dans la foi. dans la paix, dans la douceur, dans la patience! »
On croit entendre saint Paul, ou plutôt le maître de Paul lui-même.
SAINT IRENEE, EVEQUE DE LYON.
Envoyé dans les Gaules par saint Polycarpe, vers 157 de Jésus-Christ.
Quoique les siècles apostoliques se terminent communément à l’an 166 de Jésus-Christ, époque de la mort de saint Jacques évêque de Jérusalem, nous croyons pouvoir les étendre jusqu’à saint Irénée; parce que cet illustre évêque fut disciple de saint Polycarpe, qui l’avait été de l’évangéliste saint Jean. Il est même des écrivains qui ont prétendu qu’il avait lui-même partagé avec saint Polycarpe le bonheur d’être formé par le saint évangéliste; opinion qu’il est impossible de défendre. Il n’a pu connaître que dans sa première jeunesse saint Polycarpe déjà avancé en âge (1).
(1) V. Tillem. Mém. ecclés. tom. iii, pag. 79. On place ordinairement la naissance de S. Irénée sur la fin de l’empire de Trajan, ou au commencement de celui d’Adrien, vers 140 de J.-C. Du Pin, Biblioth. tom. i, pag. 160.
Saint Epiphane, qui l’appelle le bienheureux successeur des apôtres (2), n’entend par-là autre chose, sinon qu’il fut un homme apostolique par sa doctrine autant que par ses vertus; titre que saint.
(2) Hœres. xxiv, n° 8.
Jérôme et Théodoret accompagnent des plus brillants éloges (1). Il lui suffit pour nous autoriser à le placer dans ces heureux temps.
(1) Hieron. Catal. pag. 112, et epist. lxxiii ad Magnum, tom. iv, pag. 656. Theodor. (Dial. 1, pag. 33.) Ireneum, ut apostolicorum temporum insignem ac omnibus venerandum theologum citat: Feu-ardent Epist. nuncupat. edit. S. Iren. D. Cellier, Hist, des écriv. ecclés. t. ii, pag. 194.
Saint Irénée commence la longue chaîne des docteurs de notre Église gallicane. Elle remonte presque jusqu’au temps des apôtres; puisque, entre lui et saint Jean l’évangéliste, il n’y a d’intermédiaire que saint Polycarpe et saint Papias. Ce fut saint Polycarpe qui envoya saint Irénée dans les Gaules, à Lyon, auprès de saint Pothin, son évêque, qui l’ordonna prêtre de cette Église (2). Eusèbe nous a conservé une lettre des saints martyrs de Lyon au pape Eleuthère, où ils le lui recommandent comme un homme rempli de zèle et d’amour pour le testament et pour la loi nouvelle du Sauveur (3). Après la mort de saint Pothin, arrivée en 177, saint Irénée fut placé sur le siège de cette grande ville. L'événement le plus mémorable de son pontificat, fut la dispute élevée dans toute l’Église sur le jour où l’on devait célébrer la fête de Pâques. L'évêque de Lyon, tant par la prééminence de son siège que par sa considération personnelle, présida le concile où cette affaire fut discutée.
(2) Gregor. Turon. Hist, franc, lib. 1, cap. xxvii, alias xxix. Colonia, Hist, littér, de Lyon, pag. 58, ou il corrige une méprise de Du Pin, et d’autres sur l’ordination de S. Irénée.
(3) Eusèb. Hist, ecclés, liv. v, ch. iv.
Avec un caractère marqué de modération, digne du nom de pacifique qu’il portait (1), saint Irénée ne laissa pas de se rendre partout formidable aux ennemis de la foi. « Il s’est chargé à lui seul de la » cause de l'Église contre toutes les hérésies (2). »
(1) Du mot grec: Ειρηνη. Eusèb. Hist, ecclés. liv. v, ch. xxiii.
(2) Racine, Hist, ecclés. tom.i. in-4°, pag. 155.
Ses ouvrages l'ont rendu justement célèbre. Nous avons perdu l’écrit qu’il avait publié pour la défense du christianisme contre les païens, sous le titre de la science (ou de la discipline, selon saint Jérôme ). Mais le plus considérable nous reste au moins en grande partie; c’est le Traité des hérésies, où, réfutant toutes celles qui existaient de son temps, il donna à l'Église les armes dont elle aurait à se servir pour repousser les hérétiques qui dévoient venir après lui. L’auteur avertit dès sa préface qu’il n’y faut pas chercher les ornements du langage (3). Ce défaut est avantageusement réparé par l'instruction qu’il procure, et qui le rend nécessaire à connaître pour l'intelligence de notre histoire et. l’étude de la controverse. C’est particulièrement sous ce rapport que Tertullien a eu raison de vanter la profonde érudition, et l’universalité de connaissances de son auteur: Omnium doctrinarum curiosissimus explorator (1).
(3) Nec vero nobis qui inter Gallos (Celtas) degimus, atque in barbara lingua ut plurimum operam ponimus, verborum artificium quod non didicimus, exposcas; nec vim conscriptoris in qua comparanda non elaboramus, nec dictionum ornamentum, nec persuadendi facultatem, cujus expertes et ignari sumus; verum ea quœ simpliciter, vere, ac vulgari sermone, benevolo anima excipe. Prœfat. lib. i, pag. 4, edit. Paris, in-fol. 1639.
(1) Adv. Valentin, n° 5, pag. 291, ed. Rigalt.
Bossuet en fait ce magnifique éloge: « Cet illustre » évêque de Lyon, l’ornement de l’Église gallicane, » qu’il a fondée par son sang et par sa doctrine (2). »
(2) Serm. tom. vii, pag. 102.
En effet, saint Irénée avait lu, et bien lu, tous les poètes et tous les philosophes de l’antiquité; ce qu’on reconnaît non-seulement aux fréquentes citations qu’il en fait, mais aune certaine sève d’imagination puisée à ces sources, et qui répand sur l’ingrate matière qu’il traite des ornements que l’on n’y attend pas. « Ce qui toutefois n’empêche point »qu’un sujet aussi embarrassé et ennuyeux (ce sont » les paroles du sage Tillemont), ne soit peu propre » à faire paraître la beauté du style et de l’esprit (3). »
(3) Mém. tom. iii, pag. 80.
Au reste, écrit en grec, il ne nous est parvenu, du moins en grande partie, que dans une version latine publiée peut-être du vivant même de l’auteur (4).
(4) Voy. D. Cellier, tom. ii, pag. 194.
Le Traité des hérésies est partagé en cinq livres, dont chacun est précédé d’un avant-propos qui en expose le dessein.
Nous nous bornerons à vous en présenter une analyse succincte, mêlée de quelques citations.
Livre 1er. (Edit, in-fol. Feu-ardent, Paris, 1639.) L’auteur commence par exposer les rêveries des Valentiniens sur la généalogie des, trente Éones, êtres imaginaires, espèces de divinités inferieures, qu’ils faisaient produire par le Dieu éternel, invisible, incompréhensible, qu’ils appelaient du nom de Bathos ou profondeur; ils lui donnaient pour femme ou la pensée. Ce ridicule système était formé sur la théogonie d’Hésiode, et sur quelques idées de Platon, mêlées de fausses interprétations de l’Evangile de saint Jean. Saint Irénée le réfute par l’autorité de l’Écriture, par celle du Symbole, dont il rapporte presque tous les articles, et par l’unanimité des différentes Églises dans la même foi; unanimité à laquelle il oppose la difficulté qu’ont les hérétiques de s’accorder entre eux. En effet il n’y avait pas un disciple de Valentin qui n’essayât de corriger ou de changer la doctrine de son maître. L’auteur rapporte plusieurs de ces variations; ce seul mot retrace à tons les souvenirs l’ouvrage immortel, l’un des chefs-d’œuvre des temps modernes, auquel peut-être celui de saint Irénée a donné lieu. De là notre savant docteur passe aux superstitions d’un autre hérétique nommé Marc, chef des Marcosiens. Il en signale quelques autres. Les principaux sont Ménandre, Saturnin, Basilides, Cerinthe, Carpocrate, les Ébionites, Cerdon, Marcion, dont il réfute les erreurs, observant que la corruption des mœurs est la source la plus ordinaire des mauvaises doctrines.
Les extraits suivants vous donneront, je crois, une idée suffisante de sa manière.
(Page 51.) « L’Église de Jésus-Christ répandue par toute la terre jusqu’aux extrémités du monde, a reçu des mains des apôtres et de leurs disciples le dépôt de la foi qu’elle professe. Elle consiste à croire en un seul Dieu, Père tout-puissant, qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve contenu: en un seul Jésus-Christ, fils de Dieu, qui s’est fait homme pour notre salut, et au Saint-Esprit qui, par la bouche des prophètes, a prêché les desseins de Dieu pour les temps à venir; l’avènement de Jésus-Christ dans sa chair, sa naissance au sein d’une vierge, ses souffrances et sa mort, sa résurrection, son ascension dans le ciel où ce bien-aimé fils de Dieu, notre Seigneur, devait s’élever dans sa chair, et pour la fin des siècles, son glorieux avènement dans la majesté de Dieu, son père, pour ressusciter tous les hommes, et rendre à chacun selon leurs œuvres; afin qu’à la présence de Jésus-Christ, Seigneur, Dieu, (Philip., ii. 11) Sauveur et Roi, tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, ainsi qu’il est ordonné par Dieu son père, que toute langue le confesse et lui rende l’hommage qui lui est du. Nous croyons que les esprits de malice, les anges rebelles, que les impies, les méchants, les hommes qui se sont abandonnés à l’iniquité, au blasphème, seront châtiés par le supplice du feu qui ne s’éteindra jamais; et que les serviteurs de Dieu, tous ceux qui, soit dès le commencement, soit après avoir fait pénitence de leurs péchés, auront persévéré dans l’observation de ses commandements, seront récompensés par le don d’une vie éternelle, incorruptible, au sein d’une immortelle gloire. »
«Tel est le symbole de foi qui a été donné à l’Église, (Page 53.) et qu’elle conserve fidèlement, comme étant réunie dans un seul et même domicile où il n’y a qu’une seule âme et un seul cœur, où tout ce qu’il y a de membres d’une même famille, reconnaissent, enseignent et transmettent la même doctrine. Car bien qu’il y ait dans le monde diversité de langages, il n’y a pour tous les peuples chrétiens qu’une seule et même tradition; en sorte que les Églises d’Allemagne, d’Espagne, des Gaules, de l’Orient, de l’Egypte ou de la Libye, celles qui se sont établies dans les régions situées au milieu du continent, n’ont point une croyance différente les unes des autres; mais que, semblable à l’astre du jour qui seul éclaire à la fois toutes les parties de l'univers, la lumière de la prédication évangélique brille également à tous les yeux, et se fait sentir à tous les hommes qui veulent connaître la vérité. Vous n’entendrez point sortir un autre langage de la bouche d’aucun de ceux qui gouvernent les Églises diverses, quelle que puisse être l’autorité de son éloquence; parce qu’il n’est qu'un maître au-dessus de tous. (Matt., xxiii.) La médiocrité de talents ne fait donc rien ici; il n’y a qu’une seule et même foi. Ni tout le génie des orateurs n’y peut rien ajouter, ni toute leur faiblesse n’en peut rien diminuer. »
Livre ii. (Page 144 et suiv.) Saint Irénée réfute les Éones et les Marcionites par les preuves tirées de la création du monde, et par les principes constitutifs de l’essence divine. C’est là que se rencontre ce glorieux témoignage rendu à la divinité du christianisme, et dont l’historien Eusèbe a bien senti toute la force (1): (Page 218.) « Qu’au nom de Jésus-Christ, fils de Dieu, les démons sont chassés si puissamment et si réellement, que plusieurs de ceux qui en avaient été possédés, guéris par la seule invocation de ce saint nom, embrassent très-souvent la foi chrétienne; que d’autres ont des visions, commissent les choses futures et les prédisent. Il en est parmi nous, ajoute saint Irénée, plusieurs qui après être morts ont été ressuscités et vivent encore; et il serait bien difficile de faire l’énumération des miracles que l’Église opère tous les jours en faveur des infidèles, au nom de Jésus-Christ. » Ce don des miracles était une des preuves les plus sensibles de la vérité chrétienne. Il s’est conservé bien longtemps dans l’Église catholique (1); et, comme l’observe notre pieux et savant auteur, c’était un de ses plus honorables privilèges, qu’il n’était pas au pouvoir des hérétiques de contrefaire. « On ne les voit pas ceux-ci rendre la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, ni chasser les démons, si ce n’est peut-être des corps de ceux où ils les ont fait entrer eux-mêmes; bien moins encore ressusciter les morts, comme Jésus-Christ et les apôtres l’ont fait, et comme nos fidèles le font. »
(1) Hist. ecclés. lib. v, cap. vii.
(1) S. Justin l’atteste dansées termes: « Les dons prophétiques subsistent encore parmi nous. » Origène, Tertullien, Théophile d’Antioche, les autres apologistes l’affirment de même. Eusèbe l’assure également pour le siècle où il vivait. Démonstr. évangél. liv . iii, pag. 169 et 132.
Livre iii. Saint Irénée y combat ses adversaires par l’autorité de l’Écriture et de la tradition. Les hérétiques s’en prévalaient aussi. « Lorsqu’on les » presse par l’Écriture, ils recourent à la tradition, » et quand on leur objecte la tradition, ils reviennent à l’Écriture. » Pour les mettre hors de défense, le saint leur fait voir, (Page 230) non-seulement le parfait accord qui règne entre l’une et l’autre, mais que toutes deux leur sont également contraires. Il suppose comme certain, que, si les apôtres ont tenu des mystères cachés pour les simples fidèles, ils n’ont pas manqué d’en faire part aux évêques, comme devant leur succéder dans le gouvernement des Églises. Aucun de ces évêques n’a enseigné que ce que nous croyons aujourd’hui; nous l’apprenons par ceux mêmes qui leur ont succédé sans aucune interruption, et que nous connaissons si parfaitement, qu’il nous serait facile d’en donner la liste exacte. Nous devons surtout recourir à l'Église la plus grande, la plus ancienne, et qui est connue de tout le monde; à l’Église fondée à Rome par les glorieux apôtres Pierre et Paul, laquelle conserve la tradition qu’elle a reçue de ses fondateurs, et qui est parvenue jusqu’à nous par une succession non interrompue. Par-là, nous confondons tous ceux qui embrassent l’erreur par amour-propre, par vaine gloire, par aveuglement, et par quelque autre motif que ce soit; car c’est à cette Église, à cause de sa prééminence, que chaque Église particulière, c’est-à-dire, chaque fidèle, doit s’adresser comme à la fidèle dépositaire de la tradition des apôtres. »
Pour montrer cette succession dans l’Église romaine, notre saint nomme les évêques qui l’ont gouvernée.
(Page 242.) « Qu’aurions-nous fait, demande-t-il, si les apôtres ne nous avaient laissé aucunes écritures? Certainement nous aurions suivi le canal de la tradition. C’est ce que font plusieurs nations barbares qui possèdent la foi, et ne connaissent l’usage ni de l’encre, ni du papier. On les verrait cependant se boucher les oreilles (1), si elles entendaient les blasphèmes des hérétiques, qui n’ont en partage que la nouveauté de leur doctrine: car les Valentiniens n’étaient point avant Valentin, ni les Marcionites avant Marcion. »
(1) Comme faisait le bienheureux évêque de Smyrne, S. Polycarpe, toutes les fois qu’il lui arrivait d’entendre quelque parole contraire à la vérité catholique. Voyez plus haut pag. 153.
Livre iv. Saint Irénée s’attache à démontrer l’unité de Dieu par l'accord des deux Testaments. Il établit que Jésus-Christ, en abolissant les anciens sacrifices, leur a substitué celui de son corps et de son sang, qui doit être offert dans tout le monde, suivant la prédiction de Malachie. (Malachie, i. 11.) Le dogme de la présence réelle est confirmé par la déclaration précise (Page 355.) qu’en fait le saint docteur; par la profession même qu’en faisaient les hérétiques qu’il combat (2).»
(2) La doctrine de S. Irénée se trouve encore mieux développée dans le second de ses fragments publiés en 1715 par un savant luthérien, Psaff, d’après un manuscrit de la bibliothèque de Turin, et qui étaient restés ignorés de tous les anciens éditeurs.
Au sujet des patriarches et des prophètes, (Page 329-354.) il démontre dans une longue suite d’excellents chapitres, que non-seulement leurs paroles, mais leurs actions mêmes sont généralement autant de figures de ce qui devait arriver dans l’Église.
Il donne la multitude des martyrs (Page 400.) comme une marque de la véritable Église; et soutient que les hérétiques ne peuvent se vanter du même avantage, bien que quelques-uns d’entre eux aient été mêles dans la foule de nos martyrs.
Il venge éloquemment la divine incarnation, et la vérité des prophéties: «Si l’on nous demande: Qu’a donc fait Jésus-Christ de si nouveau, en venant sur la terre? Apprenez, répondrai-je, qu’il a rendu tout nouveau, en paraissant dans le monde tel qu’il s’était fait annoncer par ses prophètes. Et c’était là en effet le caractère par lequel il avait signalé son avènement parmi les hommes: il devait tout renouveler, et rendre la vie à l’homme qui l'avait perdue. Un monarque se fait annoncer à l’avance par ses serviteurs, qu’il envoie au-devant de lui pour disposer ses sujets à le recevoir: et, quand il s’est fait voir en personne, qu’il a fait reconnaitre en lui les marques sous lesquelles il fut prédit, que ses peuples jouissent du bienfait de la liberté qu’il est venu leur apporter, qu’ils ont pu recueillir les fruits de sa présence et de ses entretiens; pense-t-on encore, pour peu que l’on soit raisonnable, à demander quels changements il a produits? Il s’est manifesté parmi les hommes; et en se donnant à eux, il leur a donné à la fois tous les biens qui faisaient l’objet du désir des intelligences célestes. Ses envoyés auraient été des prophètes menteurs, ils n’auraient pas été les envoyés de Dieu, si Jésus-Christ ne s’était pas fait voir tel qu’il avait été annoncé par eux, si tous leurs oracles n'avaient pas été accomplis. Il a dit: Ne croyez pas (Matt., v. 17.) que Je sois venu anéantir la loi et les prophètes; non, mais l'exécuter: car en vérité, je vous le dis: Le ciel et la terre passeront, jusqu’à ce que tout ce qui est dans la loi soit accompli parfaitement jusqu’à un seul iota et à un seul point. (Ibid., 18.) Ce qu’il a fait de son vivant, il le fait encore dans son Église, et le fera jusqu’à la consommation des siècles... »
« Dira-t-on que ces prédictions aient été un jeu du hasard, et qu’elles aient pu s’appliquer indifféremment à d’autre qu’à Jésus-Christ ? Pour répondre à cette objection, il suffit du parfait accord qui règne entre tous les prophètes. De plus, à qui pourraient-elles s’appliquer? à personne des temps passés; car ce que les prophéties nous racontent de ses souffrances, dans quelle autre histoire se rencontre-t-il? Où voyez-vous qu’à la mort de quelque autre que Jésus-Christ, le soleil se soit éclipsé en plein midi, que le voile du temple se soit déchiré, que les pierres se soient fendues, que des morts aient ressuscité, qu’un autre que Jésus-Christ soit sorti vivant du sépulcre au troisième jour, que les cieux se soient ouverts pour le recevoir? Est-il un autre que lui au nom de qui croient toutes les nations, et qui par sa mort et par sa résurrection leur ait ouvert un nouveau testament de salut, et d’affranchissement? »
(Page 443) Le livre v traite particulièrement de la rédemption opérée par notre Seigneur Jésus-Christ, et de la résurrection des corps. Il est terminé par une récapitulation des hérésies réfutées dans le reste de l’ouvrage.
Nous ne dissimulons pas qu’à tant de précieux témoignages, le saint docteur mêle cependant quelques erreurs sur des conséquences plus éloignées des principes, et que l'Église n’eut occasion de discuter que depuis lui. Il paraît avoir cru que les âmes justes ne verraient Dieu qu’après la résurrection. Au moins prétend-il, avec certains millénaires, qu’après la première résurrection, ces âmes régneraient mille ans sur la terre dans la société de Jésus-Christ; consultant moins ici son sens droit, que la vivacité de son zèle contre les hérésies régnantes. L'usage qu’il avait de combattre les explications allégoriques de l'Ecriture sur quoi elles portaient (et la mauvaise interprétation qu’il donne à un passage de l’Apocalypse, d’après Papias son maître, et le livre d’Hermas), le fit donner dans l’excès contraire, et prendre trop à la lettre les textes relatifs à la gloire de l'Église et au bonheur du ciel (1).
(1) Voy. Beraut-Bercastel, Hist, de l'Église, tom. 1, pag. 323. Tillem. tom. ii, art. Millénaires. Pluquet, Dict, des hérés. D. Cellier, tom. 11, pag. 194. Fleury, Hist, ecclés. liv. iv, n° 38, tom. i, pag. 483.
Il est hors de doute que saint Irénée scella de son sang sa foi en Jésus-Christ. Les traditions les plus anciennes et les plus respectables le comptent au nombre des martyrs. Il est étrange que, non pas seulement des écrivains protestants, tels que Cave et Dodwel, mais des catholiques, d’ailleurs non suspects, aient entrepris de lui enlever ce glorieux titre (1). Le savant P. Colonia le lui a restitué dans son Histoire littéraire de Lyon, où l’on peut voir sa dissertation a ce sujet (2).
(1) Severt, de Rubys, Paradin, Bosquet, évêque de Montpellier, dans son Hist, ecclés. de France, cités par Colonia.
(2) Trois, siècle, chap, iv, pag. 94 et suiv.
L’opinion la plus commune est que ce saint pontife reçut la couronne du martyre, l’an 202 de Jésus-Christ, durant la persécution de Sévère, l’une des plus cruelles qui aient ensanglanté l'Église; puisque, suivant une ancienne épitaphe en vers léonins qui se lit sur un pavé de mosaïque, qui est à Lyon dans l’église du Saint, le nombre de ceux qui furent martyrisés avec saint Irénée aurait été de dix-neuf mille (3).
(3) Butler, Vies des saints, art. S. Irénée, 28 juin, tom. v, pag. 455, note.
Le saint évêque avait formé des disciples dignes héritiers de ses vertus et de sa foi. On cite, entre autres, saint Hyppolite et Caïus, prêtre de Rome, désigné sous le titre de Prêtre des Nations, lequel se donnait autrefois aux hommes apostoliques qu’on ordonnait pour aller porter l’Évangile dans les pays infidèles, sans avoir aucun peuple ni aucun diocèse limite. On les voit aussi appelés du nom d’Evangélistes ou d’évêques apostoliques.
Ce ne sont pas là les seuls monuments que les siècles apostoliques fournissent au prédicateur: ce sont du moins les plus utiles, ceux dont il doit surtout se pénétrer, pourbien connaître et pour retracer dans ses mœurs, comme dans son langage, cette vénérable antiquité à laquelle tous les saints venus après s’efforcent sans cesse de nous ramener. « Qui me » donnera, disait dans son temps saint Bernard, » qui me donnera de voir, avant de mourir, l'Église » de Dieu comme elle était dans les premiers »jours (1) ! »
(1) Ep. cclvii ad. Eugen, pap. pag. 236 ed. Mabill. « On l'a du moins » admirée et souhaitée. Les vœux de tous les gens de bien ont été pour en » demander à Dieu le rétablissement. » Fleury, Ier disc. sur l'hist. ecclés. pag. 34, Ed. Paris, 1763.
Les plus célèbres après ceux que nous venons d’indiquer sont: Le livre d'Hermas, les Constitutions apostoliques, et le livre des Canons apostoliques. Nous y joindrons quelques notices des autres écrivains les plus célèbres de ces temps reculés.
HERMAS. Livre intitulé: le PASTEUR.
On conjecture, sans trop de certitude, que c’est le même dont saint Paul fait mention dans son Épître aux Romains (1). Il fut élevé au sacerdoce, et tint un des principaux rangs dans l'Église de Rome, sous le pontificat de saint Clément (2).
(1) Salutate Hermam. Rom. xvi. 14· Voy. Du Pin, Bibl. ecclés. tom. i, pag. 3, et la Critique de ce livre par Richard Simon, tom. i, pag. 3. Cotelier Patres apostolici, tom. i, pag. 75 et suiv. Tillem. Mém. tom. ii, pag. 112.
(2) C’est l’opinion de Le Gras dans la préf. du Pasteur, pag. 65, éd. in-12. Beraut-Bercast l’appelle un fervent laïque, Hist. de l’Égl. tom. i. pag. 201. Fleury ne prononce point. Voy. son Hist, ecclés. tom. i, pag.240.
L’ouvrage du Pasteur est divisé, en trois livres, dont le premier contient des visions ou apologues; le second des préceptes; le troisième des similitudes ou emblèmes (3).
(3) L’édition dont nous nous servons ici, est celle qui suit les livres apocryphes de l’ancien Testament, dans le ive vol. de la Bible in fol. de Desprez ou de Sacy.
Il n’y a rien de remarquable dans le premier, que la comparaison de l'Église avec une tour, dont la construction ne doit être achevée qu’à la fin du monde, et dont les élus sont les véritables pierres; longue allégorie qui n’a rien d’intéressant. Après l’avoir, ce semble, épuisée dans ce livre, l’auteur y revient encore dans le troisième, avec une égale obscurité.
Dans le second, l'ange tutélaire d'Hermas lui apparaît sous la figure d’un berger ou pasteur, afin de l’instruire; d’où vient à tout l’ouvrage le nom de Pasteur; témoignage incontestable de l'antiquité de la croyance chrétienne sur nos anges gardiens. L’auteur dit formellement que tous les hommes ont chacun deux anges, l’un bon et l’autre mauvais.
Le troisième est beaucoup plus important. L’ange y exhorte Hermas au mépris du monde, au désir du ciel, à la prière, aux bonnes œuvres, surtout à l’aumône, au jeûne, à la pureté du corps et à la pénitence; mais il s’y mêle des inexactitudes palpables sur le dogme. Duguet y découvre les germes des hérésies qui dans le siècle suivant ont agité l'Église. « L’auteur paraît n’entendre, dit-il, ni la Trinité, » ni l’incarnation, et favorise l’erreur qui fut depuis » celle d’Apollinaire, en ne parlant que du corps; » celle des Nestoriens, qui suppose un mérite; celle » des Ariens, en mettant Jésus-Christ au nombre des » créatures; celle des Photiniens, en ne le croyant » pas éternel et subsistant avant la création; et un » très-grand nombre d’autres erreurs qui suivent de » ses paroles, sans peut-être qu’il y ait pensé, ne paraissant en rien théologien (1). »
(1) Duguet, Confer, ccclés. tom. i. pag.7, col. 2.
Nous voyons les anciens eux-mêmes partagés sur l’époque précise à laquelle appartient cet ouvrage, et plus encore sur son mérite (2). Origène, qui le cite, n’en garantit jamais l'authenticité (1), ce qui lui laisse toujours une haute antiquité.
(2) Par exemple, S. Jérôme qui après l'avoir loué dans sa chronique, le taxe sans ménagement de folie, stultitia, dans son Commentaire sur Habacuc. liv. i, ch.i, tom. iii, pag. 1061.
(1) Si cui tamen libellus ille recipiendus videtur. Homel, viii, in libr. Numer. Homel. i, in Ps. xxxvii, et ailleurs.
Les Latins même qui en ont parlé avec le plus d’éloges, se trouvent obligés de revenir sur leurs pas. Ila mieux conservé sa renommée chez les Grecs, plus amateurs de l’allégorie. La plupart des critiques modernes ne paraissent pas en faire grand cas. On peut voir, sur celle diversité de jugements, nos savants écrivains, tels que Tillemont, D. Cellier, Duguet, Noël Alexandre, et Richard Simon dans le premier volume de sa critique de Du Pin. Quant à moi, sa lecture ne me présente de mémorable que les phrases suivantes:
Livre 1er. (Page 172.) « Celui qui se sent accablé sous le poids des ans et des infirmités, s’abandonne facilement au désespoir; il voit dans la mort le terme de ses souffrances, et la voit arriver sans chagrin. Mais qu’il apprenne tout à coup qu’il va faire une riche succession; tous ses maux sont oubliés; il semble avoir recouvré son ancienne vigueur. De même, au sein de vos tribulations, Dieu en a agi avec vous dans sa miséricorde; il vous a appelés au plus riche héritage, et vous avez recouvré vos premières forces. »
Livre II. (Page 175.) « Crois, avant toutes choses, qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui a tiré du néant toutes les créatures, et leur a donné toutes les perfections qui sont propres à chacune d’elles. Il les renferme toutes en lui-même; et, seul, il possède l’immensité de l’être. L’esprit n’est pas plus capable de le comprendre, que la parole de le définir. Crois donc en lui; crains-le, et que sa crainte te porte à t’éloigner de tout ce qui peut lui déplaire. Sois fidèle à garder ses préceptes. Abstiens-toi de toute iniquité. Pratique les devoirs de la justice dans toute leur étendue: c’est ainsi qu’en observant ce premier précepte, tu vivras en Dieu . »
«Ne tiens jamais de discours désavantageux à la réputation de personne; et ne prête pas volontiers l’oreille à la médisance: car si tu prends plaisir à l’écouter, tu participeras au péché de celui qui le commet. »
« Si la colère trouve accès dans ton cœur, l’Esprit-Saint, qui veut l’occuper tout entier, y sera comme à l’étroit, et s’en retirera. Il suffit d’un peu d’absinthe mêlée au miel pour en corrompre toute la douceur; (Page 178.) de même l’esprit de patience ne peut s’allier avec l’esprit de colère. »
« Si tu prétends faire le mal, et conserver en même temps la crainte du Seigneur, tu te trompes. Si au contraire tu es résolu de pratiquer le bien, tu trouveras alors dans la crainte du Seigneur la force, (Page 180.) la grandeur et la gloire. »
(Page 186.) «Abstiens-toi du mal, mais jamais du bien; autrement c’est tomber dans le mal. »
« Ceux qui sont pleins de foi demandent avec foi, et ils sont exaucés du Seigneur..... Si tu demandes quelque chose à Dieu et qu’il diffère de te l’accorder, garde-toi de te défier de lui. S’il a différé d’accomplir ta prière, c’est peut-être seulement pour t’éprouver, ou à cause de quelque péché dont tu t’es rendu coupable, même sans le savoir. Cependant ne cesse point de lui exposer tes besoins, et tu finiras par obtenir; mais si tu te rebutes, tu ne dois t’en prendre qu’à toi, et non pas à Dieu. »
« Ne livre point ton cœur à la tristesse; (Page 182. et suiv.) car elle est sœur de la méfiance et de la colère.... Elle ôte à la prière son activité, et l'empêche de s’élever avec pureté vers le ciel.... Ceux qui sont dominés par cette passion, vont s’adresser à des prophètes menteurs, qu’ils croient animés de quelque esprit divin, pour en apprendre ce qui doit arriver. Ceux-ci répondent dans le même esprit; ils amusent par des promesses illusoires; et parce qu’ils sont eux-mêmes livrés à l’esprit d’erreur, ils donnent des réponses vaines et trompeuses. Qu’en peuvent attendre autre chose des hommes qui aiment la vanité et le mensonge ? S’il leur échappe quelques vérités, c’est que le démon les remplit de son esprit, afin d’attirer dans ses pièges quelques-uns des justes. »
(Page 186.) «Le démon n’a aucun pouvoir sur ceux qui croient en Dieu de tout leur cœur; il peut bien les attaquer, non les vaincre. »
(Page 187.) « Considère cette vigne et cet orme qui la porte; voilà l’image du riche et du pauvre. La vigne porte du fruit: l’orme n’en a point. Cependant si l'orme ne la soutient, et qu’elle ne s’y attache, elle ne pourra pas porter beaucoup de fruit; car alors, comme elle est sans appui, et qu’elle rampe sur la terre, elle ne produit que de mauvais fruits. Si au contraire elle s’élève à la faveur de l'orme, elle porte du fruit et pour elle et pour l'orme.
Le riche possède des biens, mais aux yeux de Dieu, il est pauvre. Qu’il soutienne le pauvre, la prière que celui-ci adressera à Dieu pour son bienfaiteur, attirera sur l’un et sur l’autre les plus abondantes bénédictions. C’est par-là que le riche et le pauvre forment entre eux comme un commerce réciproque de bonnes œuvres. »
(Page 188.) « Vois ces arbres dépouillés de leurs feuilles: arides et sans vigueur, il n’y a entre eux aucune différence. C’est la figure de ceux qui vivent dans le siècle présent. (Page 193-174) — Celui qui s’abandonne un seul jour aux plaisirs des sens, est un insensé qui ne comprend pas à quelle perte il s’expose. Le lendemain il aura oublié la jouissance vaine à quoi il s’était livré la veille; car telle est la nature du plaisir: la mémoire s’en efface bientôt, ivresse passagère qui couvre l'âme de nuages. Il n’en est pas ainsi de la peine. Pour un seul jour de chagrin et de souffrance, des années entières de tribulations, parce que le souvenir en prolongera le sentiment. C’est alors que la mémoire vient retracer l’idée de ce plaisir si fugitif, si vain, dont on sent que le châtiment n’a été que trop mérité. Voilà à quoi s’exposent ceux qui succombent à la volupté: au lieu de la vie qu’ils possédaient, ils se sont donné la mort à eux-mêmes. »
Nous nous étendrons moins sur les CONSTITUTIONS APOSTOLIQUES, dont on a attribué le recueil au pape saint Clément; comme sur le livre des Canons des Apôtres. C’est une collection ancienne, à la vérité, de divers règlements de discipline établis dans plusieurs conciles des second et troisième siècles (1), et dont il suffit de connaitre la substance; or, on la trouve abondamment dans les analyses qui en ont été faites par nos modernes historiens de l'Église, en les choisissant bien.
(1) On ne pense plus aujourd’hui à mettre en problème l’antiquité de ces livres, quoiqu'on général on ne les fasse guère remonter plus haut que le quatrième siècle. Il serait difficile de leur assigner une origine plus reculée. Les anachronismes, les interpolations manifestes, les dogmes même erronés qui s’y rencontrent, ne permettent pas de les rapporter à une source aussi pure que les temps de nos saints apôtres. Voy. D. Cellier, Hist, des écriv. ecclés. tom. iii, pag. 634 et suiv. S. Epiphane est le premier qui en ait parlé, en les supposant composés par eux; opinion depuis longtemps abandonnée. Ils n’en sont pas moins précieux pour quiconque veut connaître nos traditions. On les a sou vent cités en chaire; et ils méritaient cet honneur.
Le texte des constitutions apostoliques et des canons des apôtres, se trouve, avec la version latine, dans le premier vol. de la Coll, des conciles, pag. 201 et suiv. et dans le premier des Pères apost. de Cotelier; le second contient un grand nombre de dissertations critiques à ce sujet.
(Cotel., Patres apostol. t.i, p.207.) L’auteur du livre des Constitutions commence par un bel éloge de l'Écriture sainte. « Que vous manque-t-il dans la loi de Dieu, pour que vous vous attachiez à la lecture des livres profanes ? Etes-vous curieux d’histoire ? Vous avez le livre des Rois. Vous aimez les philosophes, les poètes ? Vous trouverez dans nos prophètes, dans les écrits de Job. dans le livre des Proverbes, de quoi vous intéresser tout autrement que dans aucune des productions des poètes et des sophistes de la gentilité. Voulez-vous des compositions lyriques ? Vous avez les psaumes. Désirez-vous connaître les antiquités vraiment originales? Voici la Genèse. Connaître enfin la législation et les préceptes de la morale? Dieu vous met en main le code de sa loi sainte.
(Page 301.) « Voilà, dit-il ailleurs, les premiers livres que les pères et mères de famille doivent apprendre à leurs enfants. Instruisez-les dès leurs plus tendres années dans nos lettres sacrées; apprenez-leur la parole de Dieu; faites-leur connaître toute notre sainte Ecriture. »
(Page 355.) « Jésus-Christ n’a point aboli la loi naturelle; il l’a sanctionnée. Il n’a fait que rompre les liens qui empêchaient de la pratiquer. Le même Dieu qui a défendu l’homicide dans la loi ancienne, défend dans la nouvelle tout mouvement d’une colère injuste. Autrefois il a proscrit l’adultère; aujourd’hui il condamne jusqu’aux désirs qui le provoquent.
Le sixième livre présente deux témoignages de la plus liante importance en faveur du dogme catholique de la vénération due aux reliques des saints, et des prières pour les morts. (Page 361.) « Les restes des saints toujours vivants dans le séjour que Dieu habite ne sont point ni sans honneur ni sans efficacité. » Ce que l’auteur justifie par l’exemple du mort que les os du prophète Elisée rappelèrent à la vie. « Ce qui assurément ne serait point arrivé, ajoute-t-il, si le corps d’Elisée n’eût été saint. » (iv Reg. xiii.) Il recommande aux fidèles d’aller dans les cimetières, et de s’y réunir pour y prier en faveur des frères endormis dans le Seigneur, d’offrir pour eux le saint sacrifice du corps de notre Seigneur, d’accompagner leurs funérailles par le chant des psaumes.
(Page 324.) Sur les devoirs de l’épiscopal: « L’évêque doit regarder les péchés des autres comme les siens propres, et tenir ce langage aux pécheurs: Convertissez-vous, elle souffrirai la mort que méritent vos péchés, ainsi que le Seigneur l’a soufferte pour moi et pour tous les hommes. Médecin spirituel, sachez proportionner les remèdes aux infirmités; ne négligez rien pour les guérir. (1 Petr. v. 2.) Paissez le troupeau qui vous a été confié, non avec empire, avec mépris et hauteur; mais comme le bon pasteur qui rassemble dans son sein les agneaux, et soulage celles de ses brebis qui sont pleines. »
(Page 313.) « Le chrétien fidèle doit s’interdire sévèrement toutes chansons où il entre des sentiments passionnés, ou des noms consacrés par le paganisme. »
Tout le reste de l’ouvrage concerne la liturgie.
SAINT PAPIAS, ÉVÊQUE D’HIÉRAPLE.
Vers l'an 106 de Jésus-Christ.
A la suite des épîtres de saint Ignace et de saint Polycarpe, Eusèbe place quelques écrits de Papias, dont il est parlé en divers endroits du livre de saint Irénée contre les hérésies, comme ayant vu les apôtres (1); mais sans nous en apprendre autre chose, sinon qu’il était lié avec le saint évêque de Smyrne, et recommandable par son antiquité (2). Il ne faut pas ignorer le témoignage qu’il a rendu à la tradition; c’est Eusèbe qui nous l’a conservé au troisième livre de son Histoire: « Je ne balancerai pas à expliquer ce que j’ai appris des anciens, et que j’ai fidèlement retenu. Je rendrai ici témoignage de leur doctrine. Car je ne me suis plu jamais, comme on le fait aujourd’hui, dans la conversation de ceux qui parlent beaucoup, ni de ceux qui débitent des préceptes nouveaux et étrangers; mais je me suis attaché à ceux qui suivent ceux que le Seigneur nous a laissés. Quand je rencontrais quelqu'un qui eût vu les anciens, j’ai toujours eu la curiosité de lui demander ce qu’ils avoient coutume de dire, ce que disaient André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean, Matthieu, et les autres disciples du Seigneur; persuadé que les hommes qui avoient vu les anciens m’instruiraient mieux de vive voix, que je ne !,aurais pu faire moi-même par la lecture des livres (1). »
(1) Liv. ii, ch. xxxix, pag. 192, note 5, ch. lvii, pag. 219, note 6, liv. iii, ch. iii, pag. 234, note 1.
(2) Iste Papias Joannis auditor, Polycarpi familiaris, vir antiquus. S. Iren. lib. v, adv. haeres, cap. xxxiii, pag. 498. éd. de Feu-ardent.
(1) Dans Eusèbe, Hist. ecclés. liv. iii, ch. xxxix.
Un Espagnol, en correspondance avec saint Jérôme, lui avait demandé une traduction qu’il supposait avoir été faite par lui, des traités de Papias et d’autres livres. A quoi le saint docteur répondit « qu’il n’avait eu ni le temps, ni le talent de traduire « d’aussi excellents ouvrages, et d’en faire passer « dans une langue étrangère les beautés simples et « naturelles (2). Ce jugement suffit pour en faire regretter la perte. C’était une exposition des Discours du Seigneur (3).
(2) Epist. iii, tom. iv, pag. 578.
(3) Le président Cousin traduit: Explication des oracles du Seigneur, Trad. d’Eusèbe, tom. i. p. 140.
Son opinion erronée sur le règne futur de mille ans de Jésus-Christ, sur la terre, n’a pu empêcher qu’il n’ait été justement honoré comme, saint.
SAINT DENYS, ÉVÊQUE DE CORINTHE.
Vers l’an 171 de Jésus-Christ.
Il était d’un usage assez, fréquent dans la primitive Église, que les saints évêques étendissent leurs soins sur les diocèses les plus éloignés. Nous en avons la preuve dans saint Ignace d’Antioche et saint Polycarpe de Smyrne. Les limites des juridictions n’avaient pu être encore tracées avec la précision que les conciles postérieurs ne manquèrent pas d’établir (1). L’esprit de charité qui animait les hommes apostoliques en faisait autant de saints Pauls, embrassant dans leur pastorale sollicitude les besoins de toutes les Églises: d’où vient que leurs épîtres étaient honorés du litre d’œcuméniques, ou catholiques, et universelles, parce qu’elles s’adressaient également et aux fidèles et aux pasteurs, à ceux qui étaient loin comme à ceux qui étaient le plus près (2). On les lisait quelquefois à la spite des livres saints, et avant la célébration des saints mystères. C’était un témoignage solennel de la communion de foi qui unissait entre eux les évêques et les Églises (1).
1) La discipline des temps d’après a dù sagement apporter des restrictions à l’exercice de cette juridiction illimitée. On peut voir à ce sujet les lumineuses discussions auxquelles a donné lieu l’Acte de Constitution civile du Cierge publié en 1791. Nous les avons recueillis tant dans notre Collection ecclesiastique, publiée sous le nom de l’abbé Barruel, 14 vol. in-8°, Paris, 1791 et 1792, et dans toute la suite de cet ouvrage, que dans notre Collection des brefs du pape Pie vi, 2 vol. in-8°, Paris. 1798.
(2) Voy. Tillem. Mém. tom. ii, pag. 448. D. Cellier, Hist. tom. ii, pag. 80.
Nous devons à l’historien Eusèbe la conserva-tion au moins de quelques fragmens précieux de celte correspondance du saint évêque de Corinthe avec les Églises les plus éloignées. Il en avoit écrit un assez grand nombre, dont il ne reste plus que les litres, à l’exception des passages suivans. Dans celle qui fut envoyée aux Romains et au pape So-ter:« Rappelant l’usage remontant, dit-il, à la plus haute antiquité, où éloit cette Église, de répandre ses aumônes jusque dans les contrées étrangères; ici, ajoute-t-il, vous subvenez aux besoins de mes pauvres; fidèles aux anciennes institutions de vos pères. Votre pieux évêque n’a pas borné son zèle à les imiter par ses bienfaits; il a consolé en même temps par ses charitables discours les frères con-damnés à travailler aux mines, retraçant à leur égard la bonté généreuse d’un père pour ses enfans. »
(1) Usus veterum Patrum fuit non solum scripta prophetarum et apostolorum legere in ecclesia, eu ni fideles ad missarum solemnia con veniebant; sed summonim item pontificum, aliorumquc episcoporum epistolas, eas prœsertim quas irenicas sive pacificas aut communicatorias vocabant; quarum commercio imitas, pax, et communia, inter episcopos atque universœ Ecclesiœ membra, una fidei consensione, conservabantur. Card. Bona, Rer. liturgie. lib. ii. cap, vi. pag. 523, édit. Paris, 1676.
C’est dans la même lettre qu’il rend ce témoignage: « Que les apôtres Pierre et Paul, après avoir fonde ensemble l'Église de Corinthe, étaient passés à Rome, où ils avaient confirmé la foi par leur sang (1). » Il s’y plaint que les ministres du démon (appelant de ce nom les hérétiques) avoient altéré ses lettres, et les avoient remplies de leur venin, en y ôtant ou y ajoutant ce qu’il leur plaisait(2). « Mais, ajoute-t-il, c’est contre eux que cette funeste sentence a été prononcée: Malheur à vous ! Après qu’ils ont osé corrompre la sainte Ecriture, il n’y a plus de quoi s’étonner qu’ils n’aient pas ménagé davantage des écrits d’une bien moindre valeur (3). »
(1) L’empereur Néron s’étant déclaré le premier contre le vrai culte de Dieu, répandit le sang des apôtres, fit décapiter Paul et attacher Pierre en croix. La vérité de ce fait est attestée par les monuments des deux apôtres que l’on voit encore aujourd’hui dans les cimetières de Rome, (laïus, écrivain catholique qui vivait au temps de Zéphirin, évêque de Rome, en parle ainsi dans le livre qu’il a composé contre Proculus, chef de la secte des Cataphrygiens. « Pour moi, dit-il, je puis montrer les trophées de ces apôtres. Si vous les voulez voir, allez au Vatican, et sur la voie d’Ostie; vous y verrez les monuments de ceux qui ont fonde cette Église. » Denys, évêque de Corinthe, témoigne dans une de ses lettres écrite aux Romains, que ces deux apôtres souffrirent le martyre dans le même temps. «Tous deux après avoir semé dans notre ville la doctrine de l’Evangile, sont passés tous deux ensemble dans l’Italie, où ils ont confirmé la foi par leur sang. » Eusèbe, Hist. ecclés., liv. ii, ch. xxv.
(2) S. Irenée paraît faire à ceux de son temps le même reproche. Voy. pag. 509, édit, de Feu-ardent.
(3) Apud Euseb., supr.
Ses autres lettres contenaient, au rapport d’Eusèbe, des avis très-utiles pour la discipline ou la direction des mœurs. Elles ne sont point parvenues jusqu’à nous. Seulement saint Jérôme ( qui par conséquent les avait lues) observe que saint Denys s’attachait particulièrement à indiquer de quels systèmes de philosophie chaque hérésie avait tiré son venin (1); ce qui rappelle le mot de Tertullien, Que les philosophes avaient été les ancêtres des hérétiques (2).
(1) S. Hieron. Episl. lxxxii ad Magn. pag. 656, tom. iv.
(2) Advers. Hermogen. cap. viii, pag. 269, édit. Rigaut.
Mort vers l’an 181 de Jésus-Christ
« Pendant que la persécution s’exerçait avec le » plus de violence contre le nom chrétien, la vérité » ne manquait pas de généreux défenseurs qui combattaient le mensonge tant de vive voix que par » écrit. Parmi les plus illustres, je nommerai l’historien Hégésippe, de qui j’ai souvent emprunté les » témoignages pour les temps apostoliques. Il a renfermé en cinq livres, écrits d’un style sans prétention, l’histoire de la prédication des apôtres. »
C’est Eusèbe qui parle en ces termes de cet écrivain dont il rapporte quelques fragments. entre autres celui-ci:
« Du temps où je m’appliquais à l’étude de la philosophie platonicienne, j’entendis parler des accusations dont on chargeait les chrétiens. Je fus témoin de la manière dont ils couraient à la mort, bravant ce qu’elle a de plus terrible pour la nature; et j’en conclus qu’il était impossible que de tels hommes vécussent dans le crime et dans l’amour des plaisirs. Car ceux qui font consister la félicité humaine dans la jouissance des voluptés n’ont garde d’aller à la mort avec joie. Bien loin de l’affronter comme le font les chrétiens, ils emploient tout pour s’y soustraire, pour éluder les arrêts de l’autorité, et continuer leurs crimes avec leur vie (1). »
(1) Hist, ecclés, liv. iv, ch. viii; il en parle encore au ch. xxii du livre iv, comme ayant emprunté de ses ouvrages ce qu’il rapporte dans son histoire sur les premières hérésies, sur les divisions qui partageaient les Juifs. Sozomène en parle aussi, avec les mêmes éloges. Hist, ecclés. liv. i. ch. i, pag. 400· Peut-être cependant lui a t-on attribué divers passages qui semblent plutôt appartenir à S. Justin; tels que celui que nous venons de transcrire. Hégésippe était Juif de nation et passa du judaïsme à la foi de Jésus Christ. Il n’était pas éloigné du temps des apôtres; et on le voit souvent qualifié du titre d’homme apostolique, Tillemont le compte parmi les saints, voyez ses Mèm. tom. iii, pag. 47·
SAINT DENYS, EVEQUE D’ALEXANDRIE,
Mort en 252.
L’Église fondée par saint Marc à Alexandrie avait jeté dès sa naissance le plus grand éclat. L’Égypte fut des premières à reconnaitre la vanité de ses idoles; et devenue chrétienne, elle fut pour la vérité ce qu’elle avait été pour le mensonge, un de ses plus illustres sanctuaires. Alexandrie qui en était la capitale, le cédait à peine à Rome en grandeur, en magnificence, au rapport des historiens profanes (1); sans parler de l’avantage que lui donnaient la célébrité de son port, la splendeur de son commerce, et le nom de son fondateur. Les plus sublimes vertus y étaient communes. La piété de ses évêques, le nombre de ses confesseurs, la vie angélique que menaient les solitaires et les vierges de toute la contrée, excitaient l’admiration des ennemis mêmes du nom chrétien. Origène comptait Alexandrie parmi les Églises dont la belle discipline pouvait servir de modèle (2). Ce savant prêtre en avait encore étendu la renommée par la gloire de son École. Quand il mourut, saint Denys fut choisi pour le remplacer, l’an de Jésus-Christ 251; il était déjà prêtre. Saint Héracle, évêque d’Alexandrie, étant mort en 248, tous les suffrages appelèrent saint Denys au gouvernement de cette Église. L’empereur Dèce avait ordonné contre les chrétiens une persécution nouvelle. Toutes les provinces de l’empire furent arrosées du sang des saints confesseurs; c’est l’expression même des contemporains, témoins oculaires des cruautés par lesquelles les gouverneurs enchérissaient sur les ordres du prince (1). L’évêque d’Alexandrie dénoncé, recherché avec fureur, n’échappa cette fois que par les vues secrètes de la Providence, qui le réservait à de nouvelles épreuves, et à l’édification de toute l'Église. Dans le feu même de la persécution, il n’abandonna point son troupeau. Du lieu de sa retraite, il exhortait son peuple, soutenait les saints confesseurs, pourvoyait à leurs besoins, faisait enterrer les corps des martyrs (2). Lorsque la persécution se fut apaisée, saint Denys travailla à éteindre le schisme de Novatien, et à combattre diverses erreurs. Mais la persécution s’étant renouvelée sous l’empire de Valérien, saint Denys confessa généreusement la foi devant le préfet d’Egypte, qui l’exila dans un lieu éloigné, du côté de la Libye. Il y eut beaucoup à souffrir de la part des habitants, la plupart encore idolâtres, mais qu’il mil bientôt gagnés à la foi chrétienne, par la force de ses exemples et de ses instructions. Son exil dura deux ans. De retour à Alexandrie, sous Gallien, il trouva cette ville affligée d’abord par la famine, ensuite par une peste des plus meurtrières. Il mourut la dix-septième année de son épiscopat, l’an 264 de Jésus-Christ. Son zèle et sa science lui ont mérité le titre de Grand, que lui décernent saint Basile et saint Athanase (1). Il ne nous reste de lui que quelques fragments de lettres conservées par Eusèbe; et qui nous donnent l'idée de son caractère plutôt que du talent d’éloquence que saint Jérôme ajoute à son éloge (2); mais les détails que l’on voit de la persécution les rendent précieuses pour l’histoire. Voici de quelle manière raconte le saint évêque... « Je parle comme étant en présence de Dieu: il m’est témoin que je dis la vérité, et que je n’ai fui que par son ordre, non par aucun mouvement volontaire. Après que Dèce eut fait publier son édit de persécution, Sabin, préfet d’Egypte, envoya Frumentarius pour me saisir. Je l’attendis quatre jours entiers dans ma maison; lui, me cherchait à la campagne, sur les chemins, au passage des rivières, partout où il croyait que je m’étais caché, ou que je pouvais me rendre. Il avait sur les yeux comme un bandeau qui l’empêchait de trouver ma maison, où il ne s’imaginait pas que je pusse être demeuré, pendant que la persécution était allumée contre moi. Après ces quatre jours, Dieu m’ayant commandé de me mettre en marche, et daignant lui-même me préparer le chemin; contre l’attente de tout le monde je partis, accompagné de plusieurs de nos frères. Nul doute que je n’aie été conduit par un ordre particulier de la Providence, parce que depuis je n’ai pas été inutile à quelques-uns. Le soir du même jour, je fus pris, moi et ceux qui m’accompagnaient, par des soldats qui me menèrent à Taposiris. Timothée seul échappa par la fuite (1). »
(1) Herodian. lib. iv, Amm. Marcell. lib. xxii, cap. 40.
(2) Contr. Cels. lib. iii, pag. 129, edit. Cantbrig.
(1) S. Cypricn: Inexpugnabilem fidem superare non potuit sœviens diu repetita plaga, quamvis rupta compage viscerum torquerentur in servis Dei non jam membra sed vulnera. Fluebat sanguis... Erat ante in operibus candida; nunc facta est in martyrum cruore purpurea (Ecclesia nostra). Epist. Martyrib. et Confess. x, edit Oxon. ix, edit Pamel. — Laclance: Extitit... exsecrabile animal Decius, qui vexaret Ecclesiam. De mortib. persecut. cap. iv: S. Optat, lib. iii, advers. Parmen. pag. 62, edit. Du Pin.
(2; Lettre de S. Denys dans Eusèb. liv. vii, chap. ii. Tillem. tom. iv, pag. 249.
(1) S. Basile. Epist. 1, canon, ad Amphiloch. tom. ii, conc. Labbe, pag. 1715. — S. Athan. tom. 1, pag. 253.Voy. D. Cellier, Hist. des écriv. ecclés. tom. iii, pag. 272.
(2) Vir eloquentissimus. S. Hieron. in Prolog. lib. xviii. in Esaïam. tom. iii, pag. 478.
(1) Apud. Euseb. lib. vi. Hist, eccles. cap. xi, xli. ex S. Dyon. Alexandr. ep. advers. German. et epist. ad Fabium Antioch. episc.
« A Alexandrie, la persécution n’avait pas attendu l’édit de l’empereur. Ce fut je ne sais quel misérable faiseur de chansons qui l’excita. Cet homme parvint à soulever contre nous la populace, et la porta à venger l’ancienne superstition qu’il ne croyait pouvoir mieux défendre qu’en répandant notre sang. On commença par se saisir d’un vieillard nommé Métras, que l’on voulut contraindre à blasphémer. Parce qu’il n’en voulut rien faire, on le battit à coups de bâton, on le piquait au visage avec des pointes de roseaux, et ou finit par le lapider dans un des faubourgs de la ville. Puis on alla prendre une femme chrétienne, nommée Quinta, pour l’amener dans un temple d’idole, lui commandant de sacrifier en son honneur. Sur son refus constant, on la lia par les pieds, on la traîna par la ville sur les pierres et les cailloux qui déchiraient ses membres, en la fustigeant par tout le corps, et on la laissa morte sous un monceau de pierres. De là, les furieux se portèrent en foule vers les maisons des chrétiens, d’où ils les arrachaient avec violence, les dépouillant, brûlant ce qu’ils ne pouvaient emporter. La ville semblait être livrée au pillage. Ceux de nos frères qui purent échapper de leurs mains désertaient leurs maisons, laissant emporter ou brûler leurs biens avec la même joie que les fidèles dont parle l’Apôtre dans son Épître aux Hébreux. (Hebr., xi. 36-37.) A la suite de ces violences, les païens s’allèrent jeter sur une sainte fille nommée Apollonie, d’un âge déjà fort avancé, et lui cassèrent toutes les dents par la violence des coups qu’ils lui donnèrent au visage. Ensuite ayant allumé un grand feu, ils la menacèrent de l’y jeter, si elle ne blasphémait avec eux. Plutôt que d’y consentir, elle s’y précipita d’elle-même, et y laissa bientôt la vie. Sérapion, qu’ils trouvèrent dans son logis, eut à souffrir de leur part des tortures inouïes. Après qu’ils lui curent rompu tous les membres, ils le précipitèrent. Il n’était pas possible d'aller parles rues ni dans les places publiques. Ce n’était de toutes parts qu’un cri sans cesse répété: Que quiconque ne blasphémerait pas devait être brûlé vif. Ces violences durèrent assez longtemps avec le même excès; elles ne se calmèrent qu’à la faveur d’une sédition qui s’éleva parmi ces misérables, et les fit tourner contre eux-mêmes les armes qu’ils avoient si cruellement dirigées contre nous: ce qui nous laissa respirer un moment. Mais le calme ne fut pas de longue durée. Déjà l’on avait publié l’édit de l’empereur qui nous menaçait d’une tempête nouvelle, des plus furieuses qui furent jamais, et bien propre à nous rappeler la prédiction du Sauveur, quand il avertissait que la tribulation serait telle, que ses élus eux-mêmes, s’il était possible, en seraient renversés. (Matth., xxiv. 24.) La consternation fut générale. La peur fit bien des faibles parmi ceux qui tenaient le premier rang dans la ville. Ils furent des premiers à succomber, sans attendre même qu’on les appelât. Ceux qui avoient des charges parurent à l’ordinaire pour les exercer: d’autres se laissaient traîner devant les idoles par ceux qui les avaient dénoncés comme chrétiens; et là, quelques-uns d’entre eux, pâles et tremblants, exposés aux sarcasmes du peuple qui leur reprochait de ne savoir ni sacrifier ni mourir, avaient l'air de victimes paraissant à l’autel pour y être immolées. On en vit aussi s’avancer avec assurance vers les images des idoles, l’encens à la main, protestant qu’ils n’avaient jamais été chrétiens. Ainsi se vérifiait à leur égard la parole de Jésus-Christ, qu’il est certaines personnes à qui il est très-difficile de se sauver. (Matth., xix. 13) Quant au reste, il était partagé, comme je viens de le dire: une partie fuyait, une autre attendait qu’on vînt les saisir. Il y eut bien des lâches parmi ceux même qui avaient commencé par endurer la prison ou les tortures, mais qui n’eurent pas le courage de persévérer. Mais il y eut aussi d’intrépides confesseurs, colonnes de gloire, que le Seigneur avait lui-même appuyées sur le fondement solide de la foi; demeurés fermes et immobiles sous les coups de la tempête, et qui ont mérité d’être les heureux témoins de la vérité de son royaume. Nous citerons Julien, vieillard infirme, tourmenté de la goutte qui ne lui laissait l’usage ni de ses jambes ni d’aucun de ses membres. Il fut traduit avec deux autres qui le portaient. L’un des deux se rendit à la première sommation; l’autre appelé Chronion, et surnommé Eunus, et Julien ayant confessé Jésus-Christ, furent attachés à des chameaux, battus de verges, durant toute la longue route qu’on leur fit faire à travers la ville d’une immense étendue, comme vous savez, et enfin jetés dans un brasier où ils furent consumés en présence de tout le peuple. Un soldat nommé Bésas, qui avait servi à les conduire au supplice, et qui avait repoussé ceux qui les insultaient, fut mené devant le juge aux cris confus de la multitude déchaînée contre lui; il soutint en vrai soldat de Jésus-Christ, l’attaque qui lui fut livrée par les ennemis de la vérité chrétienne, et eut la tête tranchée. Un autre, natif de Libye, nommé Macar (1), digne de son nom, par le bonheur qu’il eut d’obtenir la bénédiction du ciel, vivement sollicité par le juge de renoncer à la foi, n’en voulut rien faire, et subit la sentence qui le condamnait à être brûlé vif. Après lui, Épimaque et Alexandre, après être longtemps restés dans un cachot, où ils avoient eu à souffrir les plus dures privations, en furent tirés pour être fustigés cruellement, déchirés par les ongles de fer, et brûlés dans de la chaux vive. Quatre femmes ont souffert avec eux le martyre: à savoir, une vierge pleine de vertus, nommée Ammonarion, de qui le juge essaya de vaincre par de longues tortures la fermeté avec laquelle elle avait répondu à ses premières instances qu’il ne gagnerait rien sur elle. Ammonarion tint parole, cl fut condamnée à mort. Mercurie, femme vénérable par son âge, Denyse, mère de plusieurs enfants, mais qui aimait Dieu par-dessus ses chers enfants eux-mêmes, une autre Ammonarion, furent seulement décapitées; le juge, honteux de se voir vaincu par des femmes, s’étant lassé d’essayer des tortures inutiles. Héron, Ater, Isidore, tous trois Égyptiens, furent amènes devant le juge; avec, eux était. un jeune homme d’environ quinze ans. Ce fut à lui que le juge s’adressa d’abord, espérant le gagner par des promesses, ou ébranler sa constance par l’appareil des supplices. L’artifice ne lui réussit pas plus que la menace. Les autres confesseurs soutinrent jusqu’à la fin les fouets, et les plus affreuses tortures, et consommèrent leur martyre sur un bûcher. Pour Dioscore, dont la foi venait de se signaler par l’héroïsme et la sagesse de ses réponses, le juge ne pouvant lui refuser une secrète admiration, le renvoya en lui disant qu’il faisait grâce à la faiblesse de son âge, et lui donnait le temps de revenir à de meilleurs sentiments. Nous possédons encore au milieu de nous ce fidèle serviteur de Dieu, réservé sans doute pour de nouveaux combats encore plus illustres. Némésion, de la patrie des précédons, avait été d’abord accusé de complicité avec des voleurs. S’en étant justifié par-devant le centurion, comme d’une calomnie dont il n’avait pas eu de peine à se défendre, il fut depuis dénoncé comme étant chrétien, et amené chargé de chaînes au tribunal du gouverneur. Celui-ci, sous le prétexte de punir un double crime, le fit tourmenter au double des malfaiteurs; et l’ayant condamné au supplice du feu, l’y fit périr avec des voleurs, lui donnant ce trait de conformité avec le Sauveur des hommes. Une compagnie entière de gens de guerre, entre autres Ammon, Zénon, Plolémée, Ingénuus, Théophile chargé d’années, assistaient à la procédure. S’étant aperçus qu’un chrétien, accusé de l’être, et menacé comme tel, fléchissait, ils lui en témoignèrent leur indignation, par un mouvement des yeux, de la tête et de tout le corps, qui se fit remarquer. Voyant tous les regards fixés sur eux, ils prévinrent l’interrogatoire, en déclarant hautement qu’ils étaient chrétiens. Une confession aussi franche déconcerta le juge et ses assesseurs, qui les voyant disposés à souffrir la mort, n’osèrent en prononcer l’arrêt. Ils sortirent du tribunal triomphants et ravis de joie d’avoir pu confesser généreusement leur foi, et fait triompher Jésus-Christ. Grand nombre d’autres ont été déchirés, mis en pièces par les païens, dans les villes et les campagnes. J’en rapporterai un exemple, et je me bornerai à ce trait. Isquyrion servait à titre d’intendant chez un magistrat. Celui-ci, lui ayant commandé de sacrifier aux idoles; sur le refus d'Isquyrion, il le maltraita rudement, et toujours de plus en plus, à mesure de ses résistances. Ne pouvant vaincre sa fermeté, il le tua en lui enfonçant un pieu dans les entrailles. Qu’est-il besoin de parler d’une foule d’autres, qui réduits à errer dans les montagnes et dans les déserts, y sont morts de faim et de soif, de froid ou de maladies, sous le fer des voleurs, ou sous la déni des animaux féroces? Ceux qui out survécu n’ont été conservés que pour être les témoins du choix que Dieu avait fait des autres, et de la victoire qu’il leur ménageait. Je n’en rapporterai qu’un seul exemple. Le vieillard Chérémon, évoque de Nilopolis, qui avait fui sur une montagne de l’Arabie, n’a plus reparu; et malgré toutes les recherches que l’on ait faites, on n’en a pu même retrouver la dépouille. Sur cette même montagne de l’Arabie, plusieurs sont tombés au pouvoir des féroces Sarrasins, et ont été emmenés par eux en captivité. Quelques-uns ont pu se racheter à prix d’argent, les autres gémissent encore aujourd’hui dans les fers.
(1) Du mot grec Μάκαρ, heureux.
« En vous communiquant ces tristes détails, j’ai voulu, mon très-cher frère, vous apprendre tout ce que nous avons eu à souffrir.
» Il faut l’avoir éprouvé, pour bien sentir combien l’épreuve a été dure.
» Au reste, les saints martyrs qui se trouvent aujourd’hui dans la compagnie de Jésus-Christ, participant aux béatitudes de son royaume, n’ont pas refusé d’admettre ceux qui sont tombés durant la persécution, et qui ont eu le malheur de sacrifier. Ils les ont accueillis par égard pour leur pénitence, qu’ils ont crue être agréable à celui qui aime mieux la conversion du pécheur que sa mort. (Ezech. xxxiii. 2.) Ils ne les ont pas repoussés de la communion des prières et du pain mystique. Quelle conduite voulez-vous donc que nous tenions avec eux ? Que devons-nous faire ? Suivrons-nous l’avis des saints martyrs ? Confirmerons-nous la sentence rendue par eux, ou la grâce qu’ils leur ont accordée, en les traitant avec douceur; ou bien nous constituerons-nous les juges de ces vénérables confesseurs; abrogerons-nous leur sentence, renverserons-nous ce qu’ils ont établi? Ferons-nous injure à leur douceur, au risque de provoquer contre nous-mêmes la colère de Dieu (1) ?»
(1) Ce fut cette rigueur qui causa le schisme de Novatien et de Noval, prêtres de l’église de Rome, dont l’inflexible sévérité ou peut-être une jalousie secrète contre le pape S. Corneille, les poussèrent dans de si violents excès. Ils finirent par l’hérésie. C’est la marche ordinaire du schisme. Le pape S. Corneille et S. Cyprien s’élevèrent fortement contre eux. Ils furent condamnés à Rome par un concile de soixante évêques. Ils se donnaient sous le nom de Cathares, c’est-à-dire, purs. On trouve encore des traces de cette secte dans l'Occident au huitième siècle.
Nous avons encore la lettre que saint Denys écrivit à Noval, à l’occasion du schisme que ce prêtre factieux avait introduit dans l'Église de Rome (2).
(2) Dans Eusèb. Hist, ecclés. liv. vi. ch. xli. xlii. Ruynart, Act. martyr. pag. 103, 107.
« S’il est vrai, comme vous le dites, que vous vous soyez séparé malgré vous de la communion des fidèles, vous le prouverez en y revenant de vous-même. Car il fallait tout souffrir plutôt que de rompre l’unité de l'Église; et il n’eût pas été moins honorable pour vous d’endurer le martyre pour cette cause, que de mourir plutôt que de sacrifier aux idoles. Je dirai plus: Il y aurait eu plus de gloire à mourir, s’il l’eût fallu, en conservant l’unité: car le martyr qui donne sa vie pour la foi ne meurt que pour sauver son âme, au lieu que celui qui meurt pour empêcher le schisme, sert par-là l'Église tout entière. Si néanmoins vous parvenez, soit par persuasion soit autrement, à faire rentrer au sein de l'Église ceux qui s’en sont séparés, le bien que vous ferez effacera votre faute, et votre gloire elle-même y gagnera dans l’estime des boni-mes. Que si vous n’êtes plus le maître des autres, du moins sauvez votre âme à quelque prix que ce soit. »
Eusèbe, après avoir rapporté les titres des autres lettres du saint évêque, ajoute que la lecture en pouvait être extrêmement utile (1). Elles formaient en quelque sorte les mémoires de l’histoire du temps.
(1) Euseb. Ibid. ch. xlv et xlvi. Ce qui s’applique surtout à celles que le saint évêque avait adressées aux Romains sur la pénitence et sur les devoirs des diacres, ainsi qu’à une lettre à Origène, à l’occasion des souffrances que ce grand homme avait eues à essuyer durant la persécution de Dèce.
On aura peine à croire qu’un évêque aussi recommandable par ses vertus et ses travaux apostoliques ait pu rencontrer des ennemis parmi les siens. C’est là pourtant une triste révélation à laquelle nos annales ecclésiastiques fourniront plus d’un témoignage. Saint Denys fut accusé par un évêque, et obligé de se défendre. Il le fait avec la noble confiance de l'Apôtre ayant à répondre aux reproche de ses frères. (1 Cor., ix. 2 C0r., xi.) « Peut-être que Germain ( c’était le nom de son calomniateur ) se glorifie d’avoir dans plus d’une occasion fait profession publique de la foi. Peut-être il peut raconter ce que la fureur des païens a inventé contre lui. Qu’il montre donc comme moi les sentences par lesquelles il a été condamné, la vente de ses biens, la privation de ses emplois, la perte de l’honneur du monde, le mépris de la faveur des décurions et des gouverneurs de provinces, les menaces, les clameurs du peuple, l’exil, et la patience au milieu de toutes sortes de maux et de tribulations, telles que j’en ai été éprouvé sous le règne de Dèce, de la part de Sabin et d’Emilien. Où Germain était-il alors, et qu’a-t-on dit de lui? Il y a, je l’avoue (avec l'Apôtre(1), de l’imprudence à parler de soi; mais c’est lui qui m’y contraint. Au reste c’en est assez: je laisse à ceux de nos frères qui sont pleinement instruits de la vérité, le soin de me défendre. »
(1) In quo quis audet (in insipientia dico) audeo et ego: Ministri Christi sunt: ut minus sapiens dico: Plus ego. 2 Cor., xi, 21. 23.
Le style de saint Denys prend bien plus de chaleur et d’élévation dans la description des deux fléaux qui désolèrent Alexandrie durant son épiscopat. Le premier est la sédition qui arma ses habitants les uns contre les autres après la persécution.
« Je ne puis converser que par lettres avec nos frères qui sont clans la même ville on je suis, et que j’aime avec une tendre affection; encore ne sais-je comment les leur faire parvenir. Il est plus facile, je ne dis pas d’aller à l’extrémité de l'Égypte, mais de passer de l'Orient à l’Occident, que d’un quartier à un autre d’Alexandrie. La grande place est pins solitaire que le désert affreux que les Israélites ne traversèrent qu’après deux générations.
Le port de cette ville nous retrace, par l’agitation des partis, cette mer de l’Egypte qui se divisa à la parole de Moïse; et la mer rougie par le sang ressemble à celle qui fut le tombeau des Egyptiens. Le grand fleuve qui arrose cette ville était d’abord demeuré à sec, et donnait à toute la contrée l’aspect du désert où le peuple hébreu, pressé par la soif, fit éclater ses murmures contre Moïse, jusqu’à ce qu’une source d’eau vive sortît du rocher, à l’ordre de celui qui seul failles miracles. (Ps. lxxi. 18.) Tout à coup il s’est rempli et s’est débordé avec violence, inondant les chemins elles campagnes, et nous menaçant d’un nouveau déluge. On l’a vu rouler dans la mer des corps ensanglantés. L’air en est infecté. Les exhalaisons de la terre, les vapeurs des fleuves, les vents de la mer, les brouillards des ports portent partout la corruption et la répandent autour de nous. Comment s’étonner après cela de tant de maladies contagieuses et de morts imprévues?»
» La peste ayant succédé à la guerre civile, un peu avant la solennité de la Pâque, Denys, évêque d’Alexandrie, la décrivit de cette sorte dans une de ses homélies (1):
Dans Eusèb. Hist, ecclés. liv. vii. ch. xxi.(1)
« D’autres que nous peuvent bien ne pas prendre le temps où nous sommes pour un temps de fête. Ils n’ont garde de voir des jours de fête dans des jours où tous sont dans les larmes, où cette ville ne retentit que de gémissements et de sanglots, où l’on pleure et ceux que l’on a perdus et ceux que l’on est menacé de perdre. Nous pouvons bien dire qu’il s’est élevé aujourd’hui parmi nous, ainsi qu’autrefois dans cette même contrée, un grand cri
sur la mort des premiers-nés, parce qu’il n’y avait aucune maison où il n’y eût un mort: (Gen., xii. 30.) et plut au ciel qu’il n’y en eût qu’un seul dans chaque maison! Le fléau qui nous afflige avait été précédé par d’autres tribulations. Nous avons été chassés de nos maisons; mais pour cela nous n’avons point manqué à nos solennités. Tous les lieux où nous avons souffert persécution, les champs, les déserts, les vaisseaux, les hôtelleries, les prisons, nous ont servi de temples pour nos pieuses assemblées. Mais il n’est personne qui ait célébré la fêle avec une aussi vive allégresse que ceux dont la charité a été consommée par le martyre, et qui ont été admis au banquet du royaume céleste. A la persécution avait succédé la famine. De ces fléaux, le premier ne pesa que sur nous; le second s’est fait sentir aux païens comme à nous. Mais nous seuls avons été consolés depuis par la paix que le Sauveur nous a donnée en apaisant la persécution. Mais à peine commencions-nous à jouir de ce bienfait; la peste est venue, mal affreux et qui épouvante jusqu’à l’imagination elle-même, mal toutefois pour les chrétiens sujet d’exercice et d’épreuve comme tontes les autres calamités. La contagion ne nous a point épargnés, bien que ses ravages se soient exercés sur les païens avec plus de fureur que sur nous.... Dans ces circonstances, plusieurs de nos frères s’oubliant eux-mêmes ont péri en soignant les malades, et ne voulant pas les quitter, retenus près d’eux par amour pour Jésus-Christ. Ils prenaient sur eux les langueurs de leurs frères, et se chargeaient eux-mêmes de leurs douleurs. (Isa., liii. 4.) Ils ont rendu à quelques-uns la santé en perdant la vie pour eux. De cette sorte nous avons perdu plusieurs prêtres, plusieurs diacres, d’autres, encore, simples laïques d’une piété consommée. Mourir ainsi, c’est un martyre qui ne le cède guère à l’héroïsme de la confession portée en présence des bourreaux. On les voyait embrasser les corps des saints, leur fermer la bouche elles yeux, les porter sur leurs épaules, rendre à leurs restes tous les devoirs de la sépulture, les lavant de leurs mains, les parant de leurs plus riches habits, pour recevoir bientôt eux-mêmes les mêmes services de la part de leurs frères, fidèles imitateurs de leur zèle et de leur charité. Ce n’est pas ainsi qu’en agissaient les païens. A peine quelqu’un des leurs recevait-il les atteintes de la contagion; saisis d’effroi, ils le repoussaient de leur présence, ils fuyaient jusqu’à leurs proches, et laissaient leurs corps sans sépulture, espérant, mais sans succès, échapper à la mortalité (1). »(1) Ibid. ch. xxii.
On remarque que le saint évêque d’Alexandrie est le premier dont les Pères du concile d’Ephèse allèguent l’autorité contre Neslorius pour donner à la sainte Vierge le titre ineffable de Mère de Dieu (2).
(2) Tom. iii, conc. Labbe. pag. 508.
Enfin nous ne devons pas ignorer quel jugement ce grand évêque des premiers temps porte du livre de l’Apocalypse. « Je suis persuadé que ce livre contient des sens cachés et mystérieux que je ne saurais comprendre. Je ne me rends point le juge de ces vérités, et je ne les mesure point par la petitesse de mon esprit; mais donnant plus à la foi qu’à la raison, je les crois si élevées au-dessus de moi qu’il ne m’est pas possible d’y atteindre. Ainsi je ne les estime pas moins lors même que je ne puis les comprendre; mais au contraire je les révère d’autant plus que je ne les comprends pas (1). » Il nous reste encore de cet illustre docteur une lettre synodale contre les erreurs de Paul de Samozate, et une autre en réponse à l’évêque Basilide, qui l’avait consulté sur divers points de discipline. L’une et l’autre se trouvent dans la collection des conciles (2).
(1) Eusèb. Hist. ecclés. lib. vii, ch. xxv. Hist. ecclés. de Racine, 3e s. art. v, n° 12, pag. 336, édit, in-12.
(2) Tom. 1, conc. Labbe, pages 831 -891.
DE QUELQUES ÉCRIVAINS PROFANES DES TEMPS APOSTOLIQUES.
Saint Jérôme n’a pas dédaigné de donner rang, parmi les écrivains ecclésiastiques, à quelques au-leurs étrangers à notre Église chrétienne. Il compte entre autres, les juifs Philon et Josèphe (3); sans doute parce que leurs témoignages servent en effet à appuyer ceux de nos saints docteurs. A son exemple, D. Cellier s’est étendu assez longuement sur les livres sibyllins, et autres ouvrages fréquemment allégués dans les premiers siècles (4). Le sage Tillemont. n’en parle qu’en passant; mais il ne leur accorde point d’article à part dans ses savants Mémoires ecclésiastiques. Cave n’a pas eu cette réserve (1). Cependant il ne nous est pas défendu de les connaitre, de les employer même. L’abbé Fleury, après avoir supposé comme principe, que tout fidèle, à plus forte raison tout ecclésiastique, doit connaître l’histoire de Jésus-Christ (2), ajoute, au sujet de l’histoire des apôtres, qu’il nous est également indispensable de bien connaître: « Outre » les Actes (qui nous l’apprennent), il y a plusieurs faits considérables dans les Epîtres de saint » Paul (3), dont il est bon de chercher l’explication » dans les auteurs étrangers du même temps, » comme Josèphe et Philon. Josèphe surtout est précieux pour le soin qu’il a d’écrire la ruine de Jérusalem, et de vérifier ainsi sans y penser les prophéties de Jésus-Christ (1). » Aussi voyons-nous que Bossuet, Bourdaloue, la Rue, l’ont cité plusieurs fois. Ce dernier surtout semble traduire, plutôt, encore que simplement indiquer l’historien juif, dans son sermon
sur la vérité de la religion, prouvée parle seul fait de la destruction du temple de Jérusalem (2); et le témoignage d’un tel écrivain, venant à la suite de nos prophéties, est d’un grand poids. Les prédicateurs qui voudraient s’autoriser de son suffrage en faveur de Jésus-Christ, doivent commencer par s’instruire des raisons pour et contre l’authenticité de son fameux passage, et n'ont besoin pour cela que de consulter Bullet dans son Établissement du christianisme par les seuls écrivains profanes (3).(3) In catalog, scriptor. eccles. pag. 106 et 107, tom. iv, part. ii, ed. Benedict.
(4) Hist. des écriv, ecclés. tom. i, pag. 528 et suiv. Bien qu’il eût annoncé dans sa préface « qu’il ne dirait rien des auteurs hérétiques, soit anciens, soit modernes. » Pag. 15.
(1)
Script, eccles. De Philone, pag. 14, De Flav. Joseph, pag. 21.(2) Ier Disc, sur l’Hist, ecclés. n° 7, pag. 24, édit. Paris, 1763.
« Connaître ! ce n’est pas assez. La savoir par coeur, en pénétrer son langage comme sa vie entière, l’avoir profondéincnt méditée, en bien établir dans sa mémoire les faits et les maximes, le texte et la concordance en s’aidant de quelqu’un des meilleurs écrits qui l’exposent, tels que les Histoires de la vie de notre Seigneur, par les pères de Ligny ou de Montreuil, les Méditations de Bossuet
sur les mystères, l'Evangile médité, etc. »(3) Pour la lecture de S. Paul, l’abbé de Besplas recommande (Essai sur la chaire, p. 41), après les homélies de S. Jean Chrysostôme qui en est le plus lumineux comme le plus éloquent interprète, l’ouvrage du P. Bernardin de Piquigny, sous le titre: Triplex expositio in Paulum, qui lui mérita les éloges du pape Clément xi, i vol. in-fol. L’auteur a mieux fait encore: il a lui-même publié un excellent abrégé de son docte commentaire, tant sur l’Evangile que sur les Epîtres de S. Paul, 4 vol. in-12. Un modèle, dans ce genre d’exposition des livres de l’Écriture, c’est celle de l'Épître aux Romains, par M. de Noé, évêque de Lescar, qui se trouve dans le vol. de ses œuvres publié en 1818, i vol. in-8°. pag. 316 et suiv.
(1) Fleury, supra.
(2)
Carême, tom. ii, éd. in-8°, p. 33 et suiv.(3) Pag. 156 et suiv. éd. in-8°, Paris, 1814. La première édition est de 1764, in-4°.